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Corners,
Main Street, Since I Know, Curves and Colors, Day Home, Call, Cécile,
Evision Olivier
Le Goas (dm), Nir Felder (g), Kevin Hays (p), Phill Donkin (b)
Enregistré
le 12 et 13 octobre 2015, Ludwigsburg (Allemagne) Durée:
58' Neuklang
4139 (www.neuklangrecords.de)
Le
batteur Olivier Le Goas s’est assuré d’une solide section de
musiciens new-yorkais pour enregistrer en Allemagne son nouvel album.
Il avait déjà pu s'adjoindre, sur ces précédents enregistrements,
les collaborations prestigieuses de John Abercrombie et Kenny
Wheeler. Ici ce sont des musiciens plus jeunes mais déjà fort
connus notamment Kevin Hays (Sonny Rollins) qui assurent le service.
Nir Felder, fer de lance des nouveaux guitaristes peine à s’affirmer
de ce côté de l’Atlantique pourtant son quartet tourne
régulièrement en Europe. Olivier Le Goas signe toutes les
compositions où sa pulsion illumine tous les solos. Le guitariste
dialogue avec le pianiste dans des thèmes très écrits sans jamais
se perdre. Un disque très technique où les entrelacements des notes
de guitares raviront les spécialistes mais qui lasse un peu au fil
des titres. Les arrangements se rassemblent et la guitare et le piano
souvent joués à l’unisson dans les introductions donne une sorte
de monotonie. L’ensemble est parfaitement maîtrisé mais si
l’urgence de l’interprétation qui caractérise la
quasi totalité des titres on pourra s’attarder sur «Day Home» et
«Cécile» sur lesquels un peu de respiration nous laisse plus
rêveur.
Song
for Untitled, Adagio for Strings, Hunter, Bells, Did You Say
Rotenberg?, Sirènes, Uniskate,Vignette, Fourt for July, Travesuras
Michael Wollny (p), Vincent Peirani (acc) Enregistré
les 4 et 5 mai 2016, Montreuil (93) et le 17 février 2016, Krün
(Allemagne) Durée:
52' Act
9825-2 (Harmonia Mundi)
Les
deux premiers titres nous plongent dans une profonde mélancolie,
s’agit-il de jazz ou tout simplement de musique européenne
d’inspiration classique, très climat pour musique de film intello
dans un paysage peint par Peter Greenaway? «Hunter» (le chasseur)
de Björk est revisité dans un climat tempétueux sur fond de paso
doble andalou pour introduire «Bells» de Wolny. Ensuite Peirani
nous entraîne avec «Did You Say Rotenberg» dans une de ces
compositions qui vous font se perdre dans les brumes du nord, comme
celles de Jacques Brel dans le plat pays. Un album en fait assez
minimaliste qui surligne les qualités indéniables de solistes des
deux compères. Il se conclut sur «Travesuras» signé, par Tomás
Gubitsch, où le dialogue se conjugue dans une progression rythmique
un peu plus endiablée. L’entente est parfaite entre ces musiciens
couverts de prix et récompenses mais qui néanmoins échappent à la
grosse tête et n’hésitent pas à partager les grandes scènes
comme les espaces intimes plus propices à ce type de duo.
Keep Talkin', All in Love Is Fair,
Invitation, That's When We Thought of Love, Four, Blues For Beth,
Strollin', Bumpin on Sunset Bruno Carr(dm), Lonnie Smith (org),
Jimmy Ponder (g), Harold Ousley (ts) Enregistré les 15-17 août 1990, New
York
Voici une nouveauté déjà ancienne ou
une réédition de 1990, peut-être éditée à l’origine chez Hip
Bop, sans certitude. Quoi qu’il en soit, c’est de l’excellente
musique, avec quatre magnifiques musiciens: Bruno Carr, le batteur né
à New York en 1928 et décédé en 1993, a accompagné Ray Charles,
David Newman, Aretha Franklin, chez Atlantic, avant d’accompagner
Sarah Vaughan et Betty Carter (1963), Lou Donaldson et Shirley Scott
(1964), ce qui permet d’évaluer sans peine le niveau d’un
magnifique instrumentiste. Il était d’ailleurs le cousin de Connie
Kay (le batteur du Modern Jazz Quartet) et avait débuté sa vie
comme boxeur. Lou Donaldson est un fil conducteur
pour cet enregistrement. On ne présente plus Dr. Lonnie Smith (né
en 1942), un fantastique organiste très proche de la tradition de
Jimmy Smith, et qui, avec son magistral turban et son jeu
spectaculaire, accompagne depuis de nombreuses années le vétéran
Lou Donaldson dans des échappées où le blues est roi. Sa longue
carrière depuis les années 1960 lui a fait croiser la route des
Supreme, de Jack McDuff, Lee Morgan, King Curtis, Frank Foster,
George Benson, Gladys Knight, Dionne Warwick parmi beaucoup d’autres
(cf. Jazz Hot n°580). Jimmy Ponder (né en 1946) est un
splendide guitariste habitué à cette configuration avec orgue dans
la tradition. Il a côtoyé Charles Earland, Joe Thomas (voc),
Grassella Oliphant (dm), Stanley Turrentine (ts) dans les années
1970-80. Son jeu prend sas racines dans le blues et dans l’esprit
impulsé par Wes Montgomery. Enfin, Harold Ousley est un contemporain
du leader Bruno Carr, né en 1929 à Chicago. Il a accompagné Billie
Holiday, King Kolax et Gene Ammons, Dinah Washington, Brother Jack
McDuff (1966), Clark Terry, Howard McGhee, Joe Newman, Lionel Hampton
(1970), Count Basie (1973-74), Machito, sans oublier ses propres
groupes dans les années soixante; un parcours qui fait de lui un de
ces musiciens familiers qui ont apporté une belle contribution au
jazz sans fanfares ni trompettes. Autant dire que ce groupe et ce disque
respirent le blues, l’expression, le swing et la tradition d’un
jazz de culture dont aucune note n’est jouée par hasard. Le
répertoire n’est pas que blues mais le traitement est marqué par
cet esprit. Ils sont des incarnations de ce que le jazz est par
essence: une expression artistique d’une culture populaire par des
artistes authentiques. Pour ceux donc qui aiment le jazz qui respire
le blues.
New Direction*, A Spring Fantasy°, The
Crossbar°, Shake off the Dust, Connection to Congo Square, Herlin's
Hurdle°, Hiccup Smooth, Harlem Shuffle, Tutti Ma Herlin Riley (dm, voc), Bruce Harris
(tp), Godwin Louis (as, ss), Mark Whitfield* (g), Emmet Cohen (p)
except 6, Russell Hall (b), Pedrito Martinez° (perc) Enregistré à New York, date non
communiquée Durée: 1h 03' 34'' Mackavenue 1101 (www.mackavenue.com)
On peut être l’un des plus brillants
batteurs du jazz actuellement en activité, être bien entouré, sur
un bon label et produire un disque sans intérêt. C’est ici le
cas, et quelle que soit la virtuosité d’Herlin Riley, c’est
consternant de fadeur quand on a vu tout ce que ce musicien est
capable d’apporter à la musique des autres. La New Direction
d’Herlin Riley ressemble à une grande surface du rythme, une
démonstration adolescente de ses capacités à produire toutes les
figures rythmiques possibles avec tous les outils du batteur, mains
comprises. Ce n’est pas spécialement l’image qu’on se faisait
de ce batteur hors norme. Les musiciens qui l’accompagnent n’y
sont pour rien et font correctement et sans génie ce qu’ils ont à
faire, mais ça ne donne pas une âme à un patchwork sans ligne
directrice, nouvelle ou pas. Un disque pour batteurs, sans doute, les
seuls peut-être capables d’apprécier la puissance et les
acrobaties rythmiques d’Herlin, mais le jazz, la musique dans tout
ça? On pourrait isoler quelques moments de l’esprit néo-orléanais
(«Tutti Ma»), ou «Harlem Shuffle» de ce galimatias, où un peu de
cette histoire du jazz ressurgit à la façon des Jazz Messengers,
mais dans le genre, il y a bien mieux, l’original en particulier,
et depuis des lustres. Mais bon, pas d’inquiétude, Herlin Riley
nous rassurera bientôt, mais peut-être pas en leader.
Duane Eubanks Quintet
Things of That Particular Nature
Purple Blue and Red,
As Is, Rosey, Holding Hands, Beer and Water, Anywhere's Paradise,
Dance With Aleta, Aborted Dreams, Slew Footed , "P"
Abraham Burton (tp, flh), Marc Cary (p, clav), Dezron Douglas (b),
Eric McPherson (dm), Steve Nelson (vib) Enregistré le 8 juillet
2014, Paramus (New Jersey) Durée: 53' 33'' Sunnyside 1390
(http://sunnysidezone.com)
Duane Eubanks appartient à une famille de musiciens de Philadelphie.
Sa mère Vera enseigna le piano à Kenny Barron, son oncle n’est
autre que le légendaire Ray Bryant, et ses frères Robin (tb) et
Kevin (g) ont une réputation certaine dans le jazz depuis de
nombreuses années. On n’est donc pas étonné de cet excellent
disque qui réunit un all stars de la génération de Duane
(1969) avec Abraham Burton (1971), Marc Cary (1967), Eric McPherson
(coproducteur avec Duane de cet enregistrement). Duane, très bon
trompettiste, malgré quelques recherches qui l’ont parfois
détourné du jazz, revient enrichir une saga familiale où le talent
est chose si courante. A ses côtés, on trouvera également un aîné,
le bon Steve Nelson (1954), et un cadet, Dezron Douglas, un habitué
des all stars. Cette musique, une descendance des orchestres d’Art
Blakey, Woody Shaw, est parmi ce que le jazz produit de plus
authentique dans ce registre post hard bop qui depuis les années
1970 a illuminé de nombreux concerts sans complaisance commerciale
malgré un air du temps défavorable déjà. Le jazz y est une
belle musique exigeante mais abordable où la mélodie, la poésie,
le blues et le swing sont naturellement au cœur d’une expression
pourtant entièrement renouvelée mais qui ne renie pas ses origines.
Un seul thème n’est pas de Duane, c’est le magnifique «Holding
Hands» du regretté Mulgrew Miller. Retrouver les splendides
Steve Nelson, Abraham Burton et Marc Cary aux côtés de Duane
Eubanks, dans un registre in the tradition, c’est
l’assurance d’une belle heure de musique, car tous, jusqu’à la
section rythmique sont simplement au diapason d’une culture
musicale enracinée.
Since I Fell For You, I Concentrate on
You, Little Person, Cheryl, These Foolish Things (Remind Me of You),
And I Love Her, My Valentine Brad Mehldau (p), Larry Grenadier (b),
Jeff Ballard (dm) Enregistré les 10 décembre 2012 et 12
mai 2014, New York Durée: 55' 40'' Nonesuch 7559794650 (www.nonesuch.com)
Ces enregistrements qui datent de deux
à quatre ans, regroupés ici, se présentent sous un titre qui en
évoquent d’autres comme le splendide Ballads, Blues and Bey,
d’Andy Bey; contrairement à ce chef-d’œuvre, la dénomination
pose ici un vrai problème quand on se réfère au contenu. Il y a
bien des Ballads, parfois un peu de swing, avec parcimonie,
quant au blues, c’est la disette, tout juste une teinte délavée
qui ne trompe personne («Since I Fell For You», «Cheryl»). La
formule trio, avec basse et batterie, jazz de naissance, donne bien
quelque illusion, mais l’écoute ne s’arrête pas à ces
apparences et simulations. Le blues est en effet une composante
permanente et intrinsèque du jazz et de la personnalité des
jazzmen, pas une couleur ponctuelle. Il est la composante
fondamentale qui permet de distinguer le jazz de culture du jazz
d’exécution («These Foolish Things»), le jazz hot
auraient dit nos aînés du jazz straight, une musique de
variété au fond («And I Love Her», «My Valentine»).
Ce qui n’étonnera personne, quand on
connaît Brad Mehldau, un pianiste, doué techniquement, mais éloigné
par culture de cette racine jazz, –il a grandi dans le rock-pop–
même s’il est capable, par mimétisme savant et selon le contexte,
en jam par exemple, de faire illusion comme Uri Caine dans ce même
contexte. Brad Mehldau est bien l’héritier de Keith Jarrett et de
toute une tradition du piano jazz, de Martial Solal à Uri Caine,
capable de se fondre dans le jazz qu’ils ont écouté, travaillé,
côtoyé de près, mais dont ils ont, dans leur for intérieur, dans
leur moi, refusé les fondamentaux. Brad Mehldau a une approche du
jazz purement formelle, avec la même prétention, lui-même, comme
ses producteurs, ses devanciers et ses pairs, d’en définir
l’actualité, la modernité, d’en redéfinir les contours
artistiques, alors qu’ils appartiennent à un autre monde. Comme
ils ne sont pas portés par une tradition populaire (par exemple les
cas Kenny Barron, Cyrus Chestnut, Marcus Roberts, Eric Reed, Aaron
Diehl pour se limiter à quelques pianistes actuels…), qu’ils ne
veulent pas, par choix, appartenir au classique dont la rigidité des
réseaux, des codes et des fonctionnements reste une contrainte,
qu’ils ne veulent pas appartenir aux monde des variétés, dévalué
dans leur esprit sur le plan artistique, ils ont entrepris de
redéfinir le jazz, la plus accueillante des cultures. Ils pourraient
se contenter d’être hébergés, mieux d’en intégrer les codes
comme le fond des milliers de musiciens, artisans et artistes, mais
leur ego ne le permet pas. La question reste toujours la même:
pour Jarrett, Mehldau, Caine et quelques autres, où situer ces
musiques à la lisière du jazz, de la variété et de la musique
classique? Déjà pas dans la musique populaire et pas dans le jazz
donc, car il faut des racines pour cela. On pourrait dire dans une
forme de musique classique, une sorte d’exécution, plus ou moins
savante, une relecture du jazz et d’autres musiques (ici les
Beatles), mais une musique classique qui s’affranchirait des
racines classiques également, car la musique classique suppose
encore un enracinement et l’acceptation de codes multiséculaires.
Pourtant, tout l’intérêt du vocable
indifférencié de «variétés», qu’il ne faut pas confondre avec
la chanson populaire (un autre secteur artistique à côté du jazz
et du classique), les variétés donc qu’on a tort de dévaluer car
les artisans de la musique sont parfois brillants, sincères et
intéressants, est de pouvoir regrouper un certain nombre de
musiciens qui interprètent plus qu’ils ne créent, parce que leur
biographie n’a pas déterminé de fortes racines, et cela
indépendamment de la complexité et de la virtuosité,
indépendamment de la sincérité, des trucs et des simulations. Ce
monde incertain, où l’on peut aussi mettre Richard Clayderman,
André Rieu et certains autres musiciens qui, privés de racines (une
réalité de plus en plus partagée à l’échelle de la planète,
ce n’est la faute de personne, juste un constat) mais plus ou moins
bons techniciens, interprètent une musique légère, plus ou moins
élaborée et virtuose, pas populaire pour un sou, même si beaucoup
vendue parfois, car bénéficiant des réseaux de la diffusion de la
variété internationale. Même si la complaisance est devenue la
règle la plus répandue en matière de variétés en raison de la
consommation de masse imposée, rien ne dit que les variétés
doivent nécessairement être des musiques dévaluées et
d’inspiration commerciale. Elles pourraient tout au contraire
bénéficier d’une définition plus exigeante, y compris sur le
plan de leur élaboration, déconnectée de la complaisance
commerciale ou de l’abrutissement des masses comme ce fut parfois
le cas par le passé.
Il y avait, naguère, sur une radio
nationale une émission intitulée: «Le quart d’heure de musique
légère». Ce disque de Brad Mehldau, pas désagréable sans être
très profond, y aurait sa place: une heure de musique légère…
Fapy Lafertin
Lafertin & Le Jazz. The Recordings 94-96
Swing Guitars 1994: I've Had My
Moments, I Wonder Where My Baby Is Tonight, Besame Mucho, Vous qui
passez sans me voir, Swing Guitars, Je suis seul ce soir, Puttin' on
the Ritz, To Each his Own, Diminishing, Minor Swing, La Defense, Que
reste t'il de nos amours, Swing Guitars 2, Anouman, Puttin' on the
Ritz (inédit), Je suis seul ce soir (inédit), I've Had My Moments
(inédit), Minor Swing (inédit), Anouman ‘live’ (inédit) Hungaria 1996: Melancholy Baby, 12th
year, Songe d'automne *, Time on My Hands, Billet Doux, Russian
Lullaby, Stardust, Hungaria, Liebestraum N°3, Swing 42 *, Stockholm
*, Notes Noir, What a Difference a Day Made, Viper's Dream, Black and
White, J'attendrai (inédit), Loverman (inédit), What a Difference a
Day Made (inédit) Fapy Lafertin (g), Steve Elsworth
(vln), Dave Kelbie (g), Pete Finch (g), Tony Bevir (b), Bob Wilber
(cl)* Enregistré du 11 au14 novembre 1994
(Swing Guitars) et du 19 au 25 août 1996 (Hungria), Avon
(Royaume-Uni) Durée: 1h 12' 59'' et 1h 00' 07'' Lejazzetal Records/Frémeaux et
Associés 8521 (Socadisc)
Ces deux enregistrements, partiellement
inédits (des prises d’autres thèmes déjà présents et deux
thèmes supplémentaires), réalisés dans les conditions d’époque,
comparables à celles des enregistrements effectués par Django
Reinhardt, Stéphane Grappelli et le Quintette du Hot Club de France,
avec des micros de la BBC d’avant-guerre, dans une grange du nord
de l’Angleterre, voulaient restituer, au milieu des années 1990,
la magie sonore du plus célèbre quintette à cordes de l’histoire
du jazz. Cette ambition a été pleinement
justifiée par la réussite de ces deux disques de 1994 et 1996
réunis ici, car outre la technique du son, le studio à l’ancienne,
il y a une belle formation avec le grand Fapy Lafertin, l’un des
très rares guitaristes qui a hérité de l’épaisseur, de
l’intensité expressive du grand Django. Fapy Lafertin possède
également une musicalité, un lyrisme dignes de son illustre
devancier. La formation qui l’accompagne est au diapason de Fapy,
et dans l’esprit du fameux Quintette, avec la puissance de trois
guitares associées, et en particulier un beau violoniste en la
personne de Steve Elsworth. Le répertoire fait non seulement appel
aux classiques du genre («Minor Swing», «Viper's Dream»,
«J'attendrai»…), des compositions que le Quintette du HCF
illustra, mais aussi à la chanson française et populaire («Besame
Mucho», «Vous qui passez sans me voir», «Je suis seul ce soir»…),
aux standards («Stardust», «Russian Lullaby», «Loverman», «What
a Difference a Day Made»…), car c’est dans ce cadre large, jazz,
standards et chanson française jazzy (Trenet, Sablon…) que
s’épanouit le talent de Django, faut-il le rappeler? On trouve également «Anouman» auquel
le lyrisme de Fapy donne une dimension particulière, car joué avec
une manière plus ancienne, plus Django acoustique d’avant-guerre,
que celle à laquelle on est habitué. Il y a aussi chez Fapy Lafertin le côté
sombre de la tradition tzigane, celle que Django conserva dans son
jazz comme une couleur essentielle de sa tradition, qui donne une
intensité particulière, comme une patine, à ces enregistrements.
Le beau soutien de deux guitares, le côté chantant du violoniste,
les commentaires, les harmonies sombres propres à
l’entre-deux-guerre («Stockholm»), les puissants
vibratos-crescendos chers à Django, tout donne à cet enregistrement
nouveau et différent, une tonalité pourtant proche de l’original,
et cela pour notre plus grand plaisir. Il y a enfin chez Fapy Lafertin, cette
manière de poser la note, de développer le contre-chant, de
commenter, d’attaquer la note qui font irrésistiblement penser à
l’illustre modèle («Stardust»). Une féérie guitaristique! Sur trois thèmes, l’incomparable Bob
Wilber, toujours présent dans les meilleurs groupes, apporte son
oreille et son sens musical qui lui permettent de jouer avec des
musiciens de tous les horizons avec naturel, en magnifiant le
résultat comme ce «Songe d'automne», «Stockholm». Il y a encore ces valses manouches,
incomparables comme un monde nouveau qui s’éveille, une
composition splendide de Fapy Lafertin («Notes noir») qui vous
emporte dans ses tourbillons de notes et dans sa manière de faire
rouler les notes. Fapy Lafertin est un indispensable de
la tradition de Django Reinhardt, un de ceux dont on ne peut se
passer, en disque ou en live, si on a la musique de Django chevillée
à l’âme, ce qui est forcément le cas à Jazz Hot. Du très
grand Art!
Analog Counterpoint, Rain Percolates
Laterite, Riding the Trade Winds, Angular Momentum, The Shadow of
Evening, Metal Buzz, Street Rumors, View through the Ellipse, Echoes
of the South Side, The Tumbled Lands, Small Perturbations, Working
the Interstices, Quiet like Stone, Pushing Breath, The Shove, The
Respond Rich Halley (ts, perc.), Michael Vlatkovitch, (tb, perc,
acc.), Clyde Reed (b), Carson Halley (dm) Enregistré les 30 et 31
mai 2014, Portland (Oregon), le 19 mai 2012 et le 26 mai 2013,
Corvallis (Oregon) Durée: 1h 01' Pine Eagle 007
(www.richhalley.com)
Rich Halley 4
Eleven
Reification
suite, The Dugite Strikes, The Creep of Time, Glimpses Through the
Fog, Adjusting the Throughput, Dead of Winter, Convolution, Slider,
The Animas Rich Halley (ts), Michael Vlatkovich (tb), Clyde Reed
(b), Carson Halley (dm) Durée: 1h Enregistré les 30 et 31 mai
2014, Portland (Oregon) Pine Eagle 008 (www.richhalley.com)
Rich
Halley n’est pas un novice si l’on se réfère à son assez
longue discographie. Toutefois, il atteint un âge (il est né en
1947) auquel il devrait être davantage connu. Ses qualités
d’instrumentiste le permettraient mais il a choisi de composer et
jouer un jazz (?) tellement cérébral qu'il n'est plus lié à cette
musique que marginalement. Creative Structure est ainsi
formé de seize compositions du leader (en fait une succession
d'improvisations) que d'aucuns qualifieraient peut-être de free
jazz. Les musiciens entrent en studio sans feuille de route et tout
est spontané. A moins d’être un grand amateur, il faut du cran
pour écouter d’une traite les 61 minutes du disque! La basse et la
batterie, solides, assurent imperturbablement le cadre aux
improvisations débridées du saxophone et du trombone. La fin de
«Riding the Trade Winds» et dans une certaine mesure «Echoes of
the South Side» et quelques passages d’autres compositions
marquent une différence car mieux construits, avec une certaine
logique et un lien avec le jazz. Ces thèmes permettent de valoriser
Rich Halley. Le son et le style du saxophoniste - finalement assez
brillant - s’ancrent chez Rollins, Coleman et Ayler et les acteurs
de l’AACM de Chicago. Eleven est dans le même esprit.
Sauf que même le souffle des improvisations paraît ici rigide. Un
disque qui n'a d'intérêt que si l'on considère la musique avant
tout comme une affaire de technique. En somme, on aimerait entendre
le son de Rich Halley sur de vrais standards de jazz!
Bossa eterna, Rio Loco, Brazilian Samba Jazz,
Descendo da mangueira, Saudade do Franck, Violão quebrado, Ilha do
mel, Luminosa manhã, Oito e meia, Amigo JJ Raoul de Souza (tb), Mario Conde (g),
Julien Lallier, Leo Montana (p), Glauco Solter (elb), Maurio Martins,
Zaza Desiderio (dm) Durée:
47’ Enregistré en France, décembre 2015 Encore Merci 001483
(https://rauldesouza.net)
Fidèle à la terre de ses
racines, le Brésil, où il réside toujours, le tromboniste Raul de
Souza (1934) se présente fréquemment en France (il y a vécu un
temps) et c’est ici qu’il a enregistré Brazilian Samba Jazz.
Malgré une très longue trajectoire qui lui a permis de traverser
toute la MPB en côtoyant ses plus grands artistes, de Souza livre
pour la première fois un album sur lequel ne figurent que ses
propres compositions. Imprégné de sa culture musicale brésilienne
– antérieure à la naissance de la bossa nova - il est très tôt
attiré par le jazz et on l’entend avec ceux qui le sont aussi au
Little Club ou au Bottle’s. La plupart écriront avec lui
l’histoire de la musique brésilienne des années suivantes: Sérgio
Mendes, Paulo Moura, Som Um Romao, Bebeto, Durval Ferreira, Airto
Moreira, Baden Powell... Dès 1955, il enregistre avec ce dernier un
des tous premiers albums de musique instrumentale brésilienne, Turma
da Gafieira. Son intérêt pour le jazz est grandissant et il
rejoint Airto aux Etats-Unis ce qui lui offre la possibilité de
côtoyer des jazzmen de premier plan et d’inviter Cannonball
Adderley et Jack DeJohnette pour Colors (1974) et de
bénéficier des arrangements de J.J. Johnson. Ces précisions sont
là pour signaler que de Souza n’est pas un de ces fusionnistes à
la mode mais que jazz et musique brésilienne sont les deux rives de
sa musique et que celle-ci coule déjà depuis quelques
lustres. C’est dans cette perspective qu’il faut apprécier ce
Brazilian Samba Jazz. Qui marque ses 60 ans de carrière.
Pour celui-ci, le tromboniste a fait appel à de bons musiciens
brésiliens installés en Europe ou venus du Brésil. Un petit
frenchy s’y est joint, Julien Lallier. Ils fournissent un
environnement d’une grande qualité qui permet à de Souza de
montrer qu’il est sans doute l’un des meilleurs spécialistes
latins de l’instrument. Sa sonorité est très personnelle. C’est
du jazz mais il s’en dégage un parfum carioca. On apprécie
en ce sens plus particulièrement la «Bossa Eterna», «Ilha do mel»
pleines de swing; «Brazilian Samba Jazz» ou encore «Amigo JJ» qui
met aussi en valeur le guitariste. «Rio Loco» avec l’intervention
de l’harmonica est original. L’artiste sait transmettre par son
instrument l’indéfinissable atmosphère du saudade
brésilien («Saudade do Franck»). L’écoute de ce disque doit
inciter à rechercher les bons moments offerts par Raul de Souza dans
sa discographie et notamment ce Colors mentionné ci-dessus.
Féérie, When Day Is Done, Mabel,
Tears, Troublant Boléro, Django Jones, Nuages, Night and Day, Minor
Blues, Belleville Romain Thivolle (dir, arr), Lois Coeurdeuil (g
solo), Thierry Amiot (tp lead), Gabriel Charrier (tp), José Caparros
(tp), Fabrice Lecomte (tp), Romain Morello (tb lead), Michael
Steinman(tb), Igor Nasonov(tb), Jean-Philippe Langlois (btb), Gérard
Murphy (as, ss, cl), Julian Broudin (as), Jean-François Roux (ts),
Pascal Aignan (ts, ss), Yannick Destree (bar, fl), Florent Py (fl),
Franck Pantin (p, clav), Serge Arese (b-eb), Philippe Jardin (dm),
Sébastien Lhermitte (perc) Enregistré le 5 août 2015, Pertuis
(Vaucluse) Durée: 1h 17’ 55” RTBB 03 (www.romainthivolle.com)
Vous en savez beaucoup déjà sur ce
disque si vous avez parcouru le compte rendu détaillé de ce
festival en 2015 et si vous avez lu l’intéressante interview de
Romain Thivolle paru dans notre n°676 (été 2016). Et sinon, il est
encore possible de le faire car cela reste disponible sur notre site
et c’est un bon accompagnement pour cette écoute. Il s’agit donc
d’un concert enregistré lors du Festival de Big Bands de Pertuis
en 2015, autour de la musique de Django Reinhardt, arrangée avec
autant d’originalité que de respect par Romain Thivolle, mise en
valeur par un soliste de haute tenue, Lois Coeurdeuil, brillant
soliste à l’origine de cette belle idée de relire la musique de
Django, et par un bel orchestre mêlant jeunes et anciens, où
œuvrent de bons solistes, comme Thierry Amiot, Romain Morello,
Gérard Murphy entre autres. Le répertoire est lui aussi choisi avec
sagacité, avec des compositions de Django et Stéphane Grappelli,
bien entendu, deux standards et un original de Romain Thivolle. L’enregistrement en live est aussi
une autre performance, dont il faut féliciter tout le monde,
musiciens et techniciens; combiné avec un orchestre très impliqué
et des solistes dont un guitariste leader exceptionnel, Lois
Coeurdeuil, en état de grâce («Minor Swing»), cela donne un bel
enregistrement qui nous fait dire qu’il est urgent que les
programmateurs de festivals et concerts sortent des sentiers battus
pour aller à la rencontre de tels projets. Celui-ci est original
tout en étant ancré dans la tradition du jazz, aussi bien celle de
Django Reinhardt et Stéphane Grappelli d’ailleurs que celle des
big bands, de tous les âges du jazz (l’arrangement de «Nuages»
avec un beau chorus de trombone de Romain Morello, «Django Jones»…).
Encore une fois, si vous lisez l’interview de Romain Thivolle, vous
trouverez beaucoup de clés utiles à l’écoute dont une bonne
culture jazz, et si vous écoutez attentivement ce disque, vous
constaterez que ça swingue («Night and Day») avec ce qu’il faut
de blues, que ça joue et que ça improvise avec originalité et
talent dans toutes les sections. Un bel enregistrement qui sort de
l’ordinaire des relectures sans trahir l’esprit!
Aurore Voilqué Septet
Machins choses et autres trucs très chouettes
Mr William, Cocek, Russian Lullaby, The
Mooche, Machins choses, En route, Clopin clopant, A chacun son
problème, Miss Celie’s Blues
Aurore Voilqué (vln, voc), Olivier
Defays (ts), Jérôme Etcheberry, François Biensan (tp), Jerry
Edawards (tb), Jean-Baptiste Gaudray (g), Thomas Ohresser (g, bjo),
Basile Mouton (b), Julie Saury (dm, perc) Enregistré entre le 22 et le 24 mai
2016, Droue-sur-Drouette (28) Durée: 49' 37'' Arts & Spectacles 160502
(www.aurorequartet.com)
Pour son nouveau projet, Aurore Voilqué
a mis des cuivres dans son moteur. Après avoir revisité le
répertoire de Django Reihardt en quartet avec Rhoda Scott
(Djangolized) et donné de la voix sur quelques fameuses
chansons françaises (Live à La Fabrique), la violoniste
confirme son goût de l’éclectisme et surtout son envie de jouer
toujours plus de ses cordes… vocales! En effet, le violon d’Aurore
se fait ici plutôt discret (sauf sur «Cocek» et «The Mooche»,
seuls morceaux instrumentaux) alors que la formation, qui se
caractérise par la présence de trois soufflants (Olivier Defays,
Jerry Edwards et, en alternance selon les titres, Jérôme Etcheberry
et François Biensan), donne à chaque titre l’ampleur que pourrait
lui conférer un big band (saluons au passage les bons arrangements de Biensan, Defays et Mouton). Aurore aime chanter et, sans être devenue
chanteuse de jazz, elle a trouvé sa voie (et sa voix) dans
l’interprétation à la fois habitée et gouailleuse de la chanson
française à texte (au sein de laquelle s’insèrent ici deux bons
originaux: «En route» et «A chacun son problème»). Et, de fait,
l’assemblage entre voix et orchestre (on ne peut plus jazz)
fonctionne assez bien. On n’en apprécie que davantage la variété
des titres: standards (excellent «The Mooche» aux accents funky),
chansons françaises jazzy (c’est le «Machins choses» de Serge
Gainsbourg qui inspire le titre de l’album) et même un joli
traditionnel serbe, «Cocek». A noter qu’un morceau est chanté en
anglais, «Miss Celie’s Blues» (tiré du film The Color Purple
de Steven Spielberg), lequel est surtout l’occasion d’apprécier
la qualité des musiciens qui entourent la leader: Thomas Orhesser (qui
introduit ce blues au banjo) et Jérôme Etcheberry (avec sourdine
wha-wha) pour la facture "vintage", Jerry Edwards, pilier de cette
section de cuivres, jusqu’à Julie Saury qui semble avoir trempé
ses baguettes dans le Mississippi. Au final, un disque effectivement
chouette.
Impressions, Uncle Bubba, Search For Peace, Capuchin Swing, Soulstice,
Crazy She Calls Me, Summer Serenade, Lotus Blossom, I Wish I Knew Gary Bartz (as, ss), Larry Willis (p), Buster Williams (b),
Al Foster (dm) Enregistré le 11 janvier 2015, New York Durée: 1h 08' 05'' Smoke Sessions Records 1506 (www.smokesessionsrecords.com)
Ce disque présente ce que le jazz a d’essentiel. Nul besoin
de longues explications pour comprendre que chacun de ces musiciens possède les
qualités fondatrices du jazz, ici dans l’esprit hérité de John Coltrane.
L’enregistrement fait plus exactement référence à McCoy Tyner, le pianiste et
dernier survivant du quartet légendaire de John Coltrane, car ces musiciens
l’ont côtoyé dès les années 1970 dans ses diverses formations. Le swing, l’expression, le blues, les
atmosphères coltraniennes, qui doivent tant à Tyner, un beau répertoire (John Coltrane,
McCoy Tyner, Jackie McLean, Benny Carter, Billy Strayhorn, Gary Bartz…) et un
naturel qui font de cette heure de musique une heure de pur bonheur. Nul doute
qu’eux-mêmes prennent un grand plaisir à se retrouver dans ce monde, car ils
ont écrit ensemble une belle partie de l’histoire du jazz des quarante
dernières années, et de cette branche du jazz. La légèreté très musicale d’Al
Foster, la profondeur de Buster Williams et le brillant de Larry Willis
soutiennent parfaitement le discours post-coltranien mais en plus linéaire de
Gary Bartz. Un excellent disque de jazz, comme c’est souvent le cas pour ce bon
label qui présente aujourd’hui le meilleur de la scène new-yorkaise dans ce que
nous appellerons le jazz de culture.
Le Brass Messengers de Dominique Rieux
Gead Mulheran Sings Sinatra
Hello Dolly, Come Fly With
Me, The Good Life, I've Got You Under My Skin, Fly Me to the Moon, As Time Goes
By, Mack the Knife, Strangers in the Night, You Are the Sunshine of My Life,
New York New York, My Way, The Lady Is a Tramp Gead Mulheran (voc), Tony
Amouroux, Dominique Rieux (tp, fgh), Rémi Vidal (tb), Christophe Mouly (ts,
fl), Florent Hortal (g), Thierry Ollé (p), Julien Duthu (b), André Neufert (dm) Enregistré en janvier 2016,
lieu non précisé Durée: 38' 24'' LBM 01/1 (www.facebook.com/Dominique-Rieux-Officiel)
Gead Mulheran, originaire de
Rochdale dans le Grand Manchester, est un chanteur jazz et pop (il est aussi
auteur-compositeur et guitariste). Nous avons là la version crooner dans la
lignée du Frank Sinatra des années 1950 et ultérieures. Il aime aussi Nat King
Cole et Mel Tormé. Il s'est produit dans ce créneau avec le Big Band Brass de
Dominique Rieux, aujourd'hui réduit (en effectif) à ces Brass Messengers tout
aussi performants comme le démontre le premier titre, «Hello Dolly»
(Tony Amouroux, tp). Gead Mulheran possède une excellente technique vocale
(maîtrise de la colonne d'air: «Strangers in the Night») et le
phrasé de Sinatra («I've Got You Under My Skin»). La voix plus
légère que celle de Sinatra n'est pas un obstacle à la réussite de cette
évocation. Gead Mulheran possède la décontraction, le feeling des maîtres
américains qu'il a pris pour modèles. Bref ce disque est excellent et balance
bien, agrémenté, sur des arrangements de classe, par de bons solos instrumentaux
de Christophe Mouly («The Good Life»), Rémi Vidal («I've Got
You Under My Skin», «Lady Is a Tramp»), Dominique Rieux
(bugle van Laar!: «Fly Me to the Moon»; tp: «Lady Is a
Tramp»), Thierry Ollé («As Time Goes By»), André Neufert («Lady
Is a Tramp»).
Nat King Cole & The Quincy Jones Big Band
Live in Paris. 19 avril 1960
20 titres Nat King Cole (voc, p) accompagné par
le big band de Quincy Jones et par son trio selon les thèmes
(deux concerts le même soir avec un répertoire voisin) Enregistré le 19 avril 1960, Paris
Durée: 1h 14' 59'' Frémeaux et Associés 5494 (Socadisc)
Etranges, ces coproductions de Ténot et Filipacchi avec Norman Granz, post-mortem (cf. la chronique d’Ella Fitzgerald de la même collection) car cet enregistrement est inédit et, à l’époque, Nat King Cole est sous contrat avec Capitol. Si on peut l’attribuer à la naissance de la société de consommation musicale, dont les producteurs supposés, Ténot et Filipacchi, furent d’ardents promoteurs, la dépréciation du jazz vint parfois des musiciens eux-mêmes, et parmi les plus talentueux. En cédant à la pression commerciale pour un statut de star hors catégorie, et donc hors jazz et culture, en renonçant à l’authenticité de leurs racines pour un statut social ou commercial, par conformisme, et en faisant une musique de complaisance, ils ont contribué à leur échelle à faire que le jazz perde progressivement son public, parfois ses artistes, et plus largement son indépendance. Ce mouvement, apparu très tôt dans l’histoire aux Etats-Unis, plus concentrés sur l’entertainment, terre natale du jazz, mais pas celle de sa reconnaissance et de son identification culturelle, a depuis gagné tous les continents, et nous en subissons aujourd’hui les derniers développements caricaturaux avec le retour de l’étiquette jazz dans le giron des musiques commerciales, comme avant le jazz hot. Ce disque de Nat King Cole, qui fut le premier des artistes de jazz afro-américain à atteindre ce statut de star hors catégories à un tel niveau de notoriété, est l’illustration d’un grand débat entre amateurs de jazz. Soutenu ici par un big band dirigé par Quincy Jones, avec des arrangements du même, très jazz, servis par des solistes de haut niveau (Julius Watkins, Phil Woods, Budd Johnson, Jerome Richardson, Sahib Shihab, Melba Liston, Jimmy Cleveland, Quentin Jackson, Benny Bailey, Roger Guérin qui remplaçait selon le livret Clark Terry, etc.), Nat King Cole (au piano également) sucre certaines de ses interprétations jusqu’au coma diabétique, avec complaisance et/ou un mauvais goût absolu, alors qu’il bénéficie d’un splendide ensemble de jazz très professionnel, les quelques instrumentaux («Tickle Toe», «Blues in the Night» par exemple) le démontrent. L’auteur des notes de livret s’étonne, avec superficialité, de l’accueil parfois mitigé que reçut le chanteur de la part des amateurs de jazz lors de ces tournées. La question n’est pas le purisme d’amateurs de jazz "intégristes" (comme sous-entendu), plutôt plus passionnés qu’ils ne le sont aujourd’hui, mais le manque d’authenticité, de sincérité d’un chanteur qui porte un masque commercial qui se craquelle parfois («Welcome to the Club», «Joe Turner’s Blues», «Thou Swell» qui sont bien meilleurs) quand il se souvient qu’il a été Nat King Cole, le jazzman. Les musiciens de jazz défendent toujours Nat King Cole car, outre l’aspect communautaire, ils savent quel musicien a été Nat King Cole, comme Norman Granz le savait. Mais Norman Granz comme Quincy Jones, le texte du livret le rappelle, n’ont pas hésité à demander à King Cole de jouer du jazz pour faire passer le sirop de sucre. Ils avaient donc conscience, l’un et l’autre, d’un problème et d’un public pour se permettre une telle inconvenance. Des amateurs connaisseurs pas encore soumis au conformisme de l’opinion du plus grand nombre et des médias, c’est plutôt un bon public, possédant encore un sens critique. Le jazz comme l’opéra, parce que musiques populaires, ont eu un tel public, et ce public n’a pas eu toujours tort. C’est mieux que le public consensuel et suiviste des messes médiatiques et des soirées mondaines de notre début de siècle. Au moins, il y avait débat et écoute. Pour éviter toute mauvaise interprétation de ce qui est écrit, Frank Sinatra peut chanter ce qu’il chante, parce que c’est sa culture, et qu’en dehors de son talent artistique d’interprète (car c’est un bon acteur), il est en harmonie avec son expression. Dans ce registre, il chante d’ailleurs avec plus de vérité que Nat King Cole sur le plan de l’expression parce qu’il n’est pas maniéré… Pour éclairer encore le propos, la question n’est pas le répertoire, mais l’expression. Louis Armstrong peut chanter «La Vie en rose» ou «Hello Dolly» parce qu’il reste lui-même, Billie Holiday «My Man», pour la même raison, etc. Il y a d’autres exemples de même nature au fond que cette perdition de King Cole, prenant toutes les formes selon les modes et les pressions du temps, comme pendant la période jazz rock, pour la musique d’avant-garde, pour la musique improvisée, le hip hop… Le résultat est au fond le même: le manque d’authenticité de l’expression et la perte des racines sous la pression d’un quelconque conformisme, commercial, social et/ou esthétique.
Sebastien Girardot/Félix Hunot/Malo Mazurié
Three Blind Mice
Persian Rug,
Black Bottom Stomp, Polka Dot Stomp, When Your Lover Has Gone, Rockin' in
Rhythm, Changes, Echoes of Harlem, Maple Leaf Rag, Bogalusa Strut, I'm Coming
Virginia, Weary Blues, I May Be Wrong, Jubilee Malo Mazurié
(cnt, tp), Félix Hunot (g, voc), Sébastien Girardot (b) Enregistré les
15 décembre 2015 et 28 janvier 2016, Paris Durée: 51' Autoproduit
(www.malomazurie.com) Dans le
territoire dit jazz on a connu ou on connait encore le trio de ce type, d'un
bord considéré traditionnel avec l'excellent Alvin Alcorn (Alcorn, tp, Justin
Adams, g, Frank Fields, b, New Orleans Jazz Brunch, Sandcastle LP 1030 –
très rare!) à l'autre, avec Stéphane Belmondo qui a porté la formule et l'ombre
de Chet Baker à travers les festivals de l'été 2016. Cette formule orchestrale
a le double avantage d'être économique (ce qui aujourd'hui n'est pas à
négliger) et d'être très musicale (mieux vaut pas de batteur qu'un mauvais).
Bien sûr, le climat de ce trio n'est pas sans évoquer la musique aussi fine que
pleine de swing du quartet Ruby Braff-George Barnes et de sa regrettée réplique
française sous la houlette d'Alain Bouchet (finalement avec Félix Hunot, un
guitariste suffit). Les arrangements sont biens tournés («Rockin' in
Rhythm», «Echoes of Harlem», etc). Malo Mazurié utilise beaucoup
les sourdines. Bien sûr, «I'm Coming Virginia» présente les trois
artistes en solo. Sébastien Girardot, bon slappeur (« Black Bottom Stomp »,
« Weary Blues ») mais pas seulement, est fréquemment soliste,
toujours excellent (« Maple Leaf Rag », « Bogalusa Strut»).
Il est aussi l'assise solide du groupe. Félix Hunot, formé par Jean-François
Bonnel, chante à la Bing Crosby dans un titre («Changes»), mais
démontre surtout ses qualités d'accompagnateur et de soliste (introduction très
fine dans « When Your Lover Has Gone »). Malo Mazurié est le jeune
trompettiste (plus souvent au cornet ici) qui monte. Bien sûr, il évoque ici
Ruby Braff («When Your Lover Has Gone», «I May Be Wrong»,
«Jubilee»). Mais inconsciemment peut-être, grâce à sa solide
culture jazz, on entend, sans copie à la lettre, ici où là des traces de Bix («Changes»,
«I'm Coming Virginia»), George Mitchell (exposé de «Black
Bottom Stomp»), Jabbo Smith («Polka Dot Stomp») et la volubilité
de Rex Stewart («Persian Rug», stop chorus de «Black Bottom
Stomp», «Rockin' in Rhythm»). Bref ce CD est un rayon de
soleil dans l'affligeante production dite musicale de nos jours.
Titres détaillés dans le livret Phil Urso (ts, bs), Bob Brookmeyer (tb), Julius Watkins (flh), Ron Washington
(ts), Walter Bishop Jr., Horace Silver, Bobby Timmons (p), Bobby Banks (org),
Percy Heath, Jimmy Bond, Oscar Pettiford, Charles Mingus (b), Kenny Clarke,
Peter Littman (dm) Enregistré entre 1953 et 1959 à Hackensack, Hollywood, New York et
Louisville Durée: 1h 08’ + 1h 02’ Fresh Sound Records 889 (Socadisc)
Le saxophoniste Phil Urso (1925-2008) est peu connu du public. Né à Jersey City mais ayant grandi à Denver, sa carrière (commencée en 1948) a été avant tout celle d'un accompagnateur, notamment aux côtés de Woody Herman, Miles Davis et surtout Chet Baker (1954-1972). Il est par ailleurs retourné vivre à Denver dans les années 60. Il a peu enregistré en leader: outre les sessions rééditées ici, il a sorti en 2002 un Salute Chet Baker avec Carl Saunders (tp). Signalons d’emblée la qualité du livret de la présente production (mais intégralement en anglais)
qui contient un bon texte de Jordi Pujol, les notes de tous les disques
originaux, ainsi que la reproduction des pochettes. Les deux
CDs reprennent des titres que Phil Urso a enregistrés en trio,
quartet et quintet, ainsi qu’au sein du Jomar Dagron Quartet et du sextet d’Oscar
Pettiford. Notons que cette livraison ne contient pas de plages avec Chet Baker (se reporter au Fresh Sound 457).
Cette intégrale des années 1953 à 1959 est une belle pièce pour découvrir le
saxophoniste.
Un premier bloc est constitué par huit thèmes édités auparavant sous le titre The Philosophy of Urso. Quatre
d’entre-eux ont été enregistrés en quartet en 1953. On y trouve notamment une
composition de Phil, «Little Pres». Le travail des trois
partenaires permet de mettre le saxophone en valeur et de bien découvrir le
son, la technique et la personnalité de Phil Urso. Quatre autres – des compositions du
saxophoniste – édités originellement sous le titre Phil Urso & Bob Brookmeyer sont enregistrés un an plus tard en
quintet avec Brookmeyer au trombone à pistons mais aussi Horace Silver, Percy
Heath et Kenny Clarke. S’il a pu, un moment, avant ces enregistrements, sonner
un peu west coast (époque avec Woody
Herman), c’est bien chez les boppers que s’alimente Urso. Ça swingue sur tous
les titres, notamment «Chiketa», ça dialogue en permanence avec
Brookmeyer. Pour ne rien gâcher, les trois autres partenaires s’en donnent à
cœur joie. Mentionnons aussi la belle ballade «Ozzie’s Ode». Deux titres sont issus de compilations éditées sur la Côte Ouest. Pour
«It’s Only a Paper Moon», le quartet de Phil n’est autre que la
formation de Baker avec qui Urso joue à ce moment (1956)… mais sans le
trompettiste! Pour «Too Marvelous for Words» un trombone est
adjoint à la formation. Les deux thèmes swinguent. Evidemment, le saxophoniste
se hisse à une hauteur qu’il ne peut avoir aux côtés de Chet Baker. Ceux qui le
connaissent avec le trompettiste découvrent ici un autre Urso.
Un autre bloc de huit thèmes figure sur ce premier CD. Phil Urso est pour
ceux-ci le saxophoniste ténor et baryton du «Jomar Dagron Quartet»
(nom correspondant aux premières syllabes des membres fondateurs de la
formation: Jo Jo Williams, Marvin Holladay, Dag Walton, Ron Washington). Ce
n’est pas un grand groupe qui entoure ici Urso mais celui-ci en émerge suffisamment
pour que l’on puisse goûter son travail au saxophone baryton sur les standards
«Squeeze me», «Satin Doll», «Pent-up
House», «Star Eyes»… Sans doute pour éviter la comparaison
avec Mulligan c’est au ténor qu’il interprète «Line for Lyons»
ainsi que sa bonne composition «Extra Mild».
Le CD2 débute avec les autres thèmes de The
Philosophy of Urso. Changement total d’ambiance avec ce très mélodique duo
saxo ténor-Hammond pour les cinq – très courts – titres de la session de 1954,
rejoint par un batteur pour les dix autres – à peine plus longs – de celle de
1956. C’est encore contemporain du début de la période Chet Baker mais le
saxophoniste a pris pour ces enregistrements un tout autre chemin. «Sentimental
Journey» pourrait symboliser l’ensemble des quinze plages. La grande
discrétion du batteur tout comme celle de l’orgue dans la plupart des cas,
permet d’apprécier la technique de Phil Urso, et le son cool qui tranche avec
la vigueur des autres thèmes du disque, mentionnés plus haut. On se régale
également avec le très beau phrasé du saxophoniste. «My Heart Stood
Still» et «Easy Out» remporte notre adhésion pour le duo
tandis que le trio brille sur la composition de Ozzie Cadena «Blues to Remember
Her by», «They Can’t Take Away from Me» de George et Ira Gershwin,
«Moonlight Serenade», dans une interprétation plus enracinée dans
le jazz que celle bien connue de Glenn Miller… Le disque s’achève sur la participation de Urso avec le sextet de Oscar
Pettiford. Ce dernier, signataire de quatre des cinq titres, est au violoncelle
et Mingus à la contrebasse. Urso, plus que Watkins (fhn) donne le ton et assume
quasiment un rôle de leader à côté du violoncelle de Petittford qui prend la
basse dans «Tamalpais». Chronologiquement ces cinq plages font
suite aux quatre premières du CD1 (avec le même W. Bishop Jr. au piano) et le
saxophoniste y distille le même style sauf sur cet étrange «Tamalpais»
dépourvu de dynamisme et d’un swing que l’on trouve dans «Jack the
Fieldstalker» ou «The Pendulum at Falcon’sLair».
Au final, ce double CD aura sa place dans la discothèque d’un jazzophile
un peu curieux.
Florent Souchet/Pierre Bernier/Ilfat Sadykov/Anders Ulrich/Corentin Rio
Talkin' About John
What About,
Le John, Bouncin’with John, Jeanne, L’Audière, Etatique, T.C., Dunes, Château
Rouge, Chief Dalton Florent Souchet (g), Pierre Bernier (ts,
ss), Ilfat Sadykov (ts), Anders Ulrich (b), Corentin Rio (dm) Enregistré les 16-17-18-20 Avril 2014, Paris Durée: 1h Parallel 001 (Absilone)
Ce quintet
parisien peu connu dans l’hexagone (il a toutefois joué au Sunset-Sunside) est
composé de jeunes musiciens et semble vouloir s’inscrire dans un jazz digne de
ce nom. Les compositions sont toutes de Florent Souchet et ne sont pas dépourvues
de qualités. Elles permettent l’improvisation et le dialogue entre la guitare
du compositeur et les saxophonistes. Il n’y a pas de trompette mais on sent
l’influence du Miles Davis de la deuxième moitié des années 60. Florent Souchet
– qui, par ailleurs, a des connaissances sur plusieurs instruments – maîtrise
brillamment la guitare. Celle-ci, sans écraser les partenaires, est judicieusement
mise en valeur tout au long des dix morceaux. On l’apprécie dans
«Jeanne», les soli dans «What About», «Etatique»,
«Dunes»… et finalement sur tous les thèmes! Les partenaires du guitariste le valent bien. Pierre Bernier
n’a pas trente ans et ses prestations tant au ténor qu’au soprano sont
superbes. Il faut particulièrement relever «What About», «Bouncin’
With John», «Chief Dalton», la virtuosité au soprano dans
«Etatique». Les soli de
Ilfat Sadykov sont un peu plus rigides et dans l’ensemble les thèmes sur
lesquels il est convié en soliste swinguent moins. Le batteur, qui évite toute
démonstration superflue, et le bassiste soutiennent parfaitement le quintet. Le
groove de la basse est parfait dans «Boucin’ With John». Du bon
jazz. Prometteur!
Singin'
in the Rain, Fit as a Fiddle, Temptation, Dream of You, I've Got a Feelin'
You're Foolin', The Wedding of the Painted Doll, Should I?, Beautiful Girl, You
Were Meant for Me, Good Morning, Singin' in the Rain (arr. 1936), Broadway
Melody, Broadway Rhythm, You Are My Lucky Star, Sing Before Breakfast Alexis
Bourguignon (tp1), Jérôme Etcheberry (solo tp), Hervé Michelet (tp), Pierre
Guicquéro (solo tb), Bruno Durand (tb), Stéphane Guillaume, Nicolas Fargeix
(solo sax, cl), Bertrand Tessier, Stéphane Cros, Dominique Mandin (cl, sax), Raphaël
Gouthière (tu), Mathilde Feber, Virginie Turban, Martin Blondeau (vln), Bastien
Stil (p, perc), Remi Oswald (g, bjo), Raphaël Dever (b), Jean-Bernard Leroy
(dm), Scott Emerson (voc: solos, trios, quartets) Enregistré
les 31 août, 1er et 2 septembre 2015, lieu non précisé Durée: 59' 15'' Klarthe
Records 008 (Harmonia Mundi)
Les choses sont claires
puisqu'on peut lire dans le livret que c'est «un orchestre de danse des Années Folles qui présente dans leur
orchestration d'origine les arrangements publiés d'époque». Le
programme s'attache au parolier Arthur Freed (1894-1973) et au compositeur
Nacio Herb Brown (1896-1964) qui travaillaient pour la MGM. Le livret prend également
soin de nommer l'arrangeur de chaque morceau et le titre du film d'où il est
tiré, avec sa date de réalisation. Et en effet dès la première version de «Singin'
in the Rain», sautillant à souhait, l'orchestre restitue, à la lettre, le
son d'orchestre de 1929. Ces musiques de variétés américaines, on le sait, sont
fortement influencées par le jazz (et donc, ici, les clins d'œil sont par exemple les solos de Jérôme Etcheberry,
bixien, Guicquéro et Bastien Stil dans «I've Got a Feelin' You're Foolin'»;
celui de sax de Stéphane Guillaume dans «Should I?»). L'orchestre
joue bien ces arrangements, dans l'esprit de l'époque, à s'y méprendre (il doit
faire un tabac dans les festivals off) et il est bien enregistré. C'est donc un
disque de variétés, délectable, qui sort du cadre de la revue Jazz Hot,
ou alors c'est qu'Hugues Panassié et Charles Delaunay n'avaient rien compris.
Terry Waldo's Gutbucket Syncopators
The Ohio Theatre Concert
Introduction,
Some of These Days, Anything for You, The Letter, Maple Leaf Rag*, 12th
Street Rag*, How Could Red Riding Hood?, Sweet Georgia Brown*, My Man Ain't
Good for Nothing but Love*°, Am I Blue, I'm a Great Big Baby*°, There'll Be
Some Changes Made*°, To Keep From Twiddling Their Thumbs*°, Black and Blue*°,
St Louis Blues°, Pastime Rag n°1°, The Entertainer, Atty. Gen. William Saxbe
Comments, Ace in the Hole, The Mooche, At the Jazz Band Ball* Terry
Waldo (p, voc), Roy Tate (tp), Jim Snyder (tb), Frank Powers (cl, as, ts), Bill
Moorhead (bjo), Mike Walbridge (tu), Wayne Jones (dm, voc), Atty. Gen. William
Saxbe (voc), Edith Wilson° (voc) Enregistré
le 13 avril 1974, Columbus (Ohio) Durée: 1h 09' 00'' Delmark
251 (www.delmark.com)
C'est la réédition de l'album
Hot House Rag (Delmark 239) avec neuf inédits en plus (*). La vedette est la chanteuse Edith Wilson
(1896-1981) qui, dès septembre 1921, enregistra avec le cornettiste Johnny Dunn
(réédition RST 1522-2). A 15 ans, elle fut la troisième chanteuse de «vaudeville
blues» à graver des disques. Retirée en 1966, elle débute une seconde
carrière en 1972. En 1973-76, elle enregistre d'excellentes faces pour Delmark
(CD 637) avec des vétérans recrutés par le remarquable pianiste Little Brother
Montgomery (Preston Jackson, tb, Ikey Robinson, g-bjo, Truck Parham, b, Franz
Jackson, cl, ss, ts, etc). Elle fait même un superbe show TV en France (1974).
La participation à ce concert donné à Columbus fait partie de son come-back. La
co-vedette aurait dû être Eubie Blake ; tombé malade, c'est Terry Waldo qui le
remplace en piano solos (excellents «Maple Leaf Rag», «Pastime
Rag n°1», «The Entertainer»). L'orchestre réunit par Terry
Waldo n'a pas la saveur de ceux de Little Brother Montgomery. C'est du bon
dixieland comme l'atteste «The Letter» (bonne introduction de
trombone de Jim Snyder, Waldo est bon, bien soutenu par Wayne Jones, et Frank
Powers oscille entre Pee Wee Russell dans le solo et Johnny Dodds en collective
finale). Frank Powers, responsable des arrangements, a de bons moments («Sweet
Georgia Brown»). Le cornettiste est vulgaire sans le panache d'un Wild
Bill Davison mais bon avec le plunger («The Mooche»). Le tuba,
enregistré trop fort, a de bons états de service (Art Hodes, Albert Nicholas,
Lil Hardin, Ted Butterman) et donne une fondation solide et souple («St
Louis Blues»). Mais c'est Edith Wilson qui "brûle les planches"
par sa façon émouvante et sobre d'interpréter rendant l'orchestre meilleur («My
Man Ain't Good For Nothing But Love»). Il est probable que Carol Leigh se
soit inspirée d'Edith Wilson, Doc Cheatham aussi («Black and Blue»).
A 78 ans, elle contrôle moins bien sa voix, mais ça n'a pas d'importance. C'est
une comédienne («I'm a Great Big Baby») et elle a une diction
claire (lignée Ethel Waters). Pas négligeable sans être indispensable.
Titres
et interprètes communiqués sur le livret Enregistré
entre le 11 septembre 1914 et 1972, Congo, Haïti, Trinidad, Guadeloupe,
Jamaïque, Brésil, Cuba, Etats-Unis Durée
: 3h 23' 26'' Frémeaux
& Associés 5467 (Socadisc)
Né en 1960, l'auteur du
livret, Bruno Blum, est le reflet des comportements actuels : des "connaissances" cumulées (les pages 4-5 sont un bon résumé sociologique)
vierges de toute réflexion (l'actuelle société est ainsi faite et on voit les
glorieux résultats : enseignement, économie, social, politique, etc): un
fatras! Vouloir croire à une survivance à travers les siècles de caractéristiques
africaines immuables traduit cette absence de rigueur intellectuelle. Il serait
plus utile (mais le veut-on?) d'analyser pourquoi avec des ascendants communs
les résultats sonores venus à maturité plusieurs siècles plus tard sont si
différents. Ce qui amène au principe d'acculturation (cité une fois, page 4,
sans définition) puis à la notion de «double acculturation» connue
des ethnologues mais ici ignorée (fait de «réinventer»
l'Afrique-mère hors du territoire, plusieurs générations après les premiers
transplantés). Rien ne prouve que cet enregistrement de 1938 à Brazzaville («chant
d'invitation à la danse») «donne une idée...cent ans avant».
C'est du romantisme, pas une approche scientifique. La portion "étiquette jazz"
dans ces 3 CDs est mince: 7 morceaux sur 72 (Louis Armstrong, Duke Ellington,
Red Saunders, Ornette Coleman, John Coltrane, deux Max Roach). «Song of
the Cotton Field» de Percy Granger enregistré en 1926 par Duke Ellington
est une évocation artistique qui ne reflète pas la réalité de la vie des
premiers esclaves 300 ans plus tôt! Pas de doute sur la politisation des artistes
Max Roach et Abbey Lincoln (nom très symbolique puisque c'est Abraham Lincoln
qui a mené la lutte pour l'abolition de l'esclavage aux Etats-Unis) dans «Freedom
Day», mais franchement le «Free» d'Ornette Coleman (ici,
version 1958 avec Paul Bley) a un autre sens (se libérer du carcan harmonique).
Concernant les racines/cousins du jazz, environ 8 titres blues/rock'n roll/R'n
B/Soul (Bo Diddley, Tennessee Ernie Ford, Josh White, Pr Longhair, Sam
Cooke,..) et, on s'en doute, c'est plus copieux pour le spiritual/gospel, 16
titres (Mahalia Jackson, Golden Gate Quartet, Rev. J.M. Gates, Ebony Three avec
Sammy Price et Buster Bailey, Blind Boys of Alabama, les Charioteers, ...). A
noter qu'à notre sens c'est Billy Butterfield plutôt que Joe Wilder le trompette
solo dans «Work Song» par Oscar Brown Jr (1960). Tout cela est de
l'excellente musique. A noter une bonne version de «Bamboula» de Gottschalk par Eugene List (p) très
chopinesque. Un coffret pour les curieux.
Snake
Rag, London Cafe Blues, San, Alexander's Ragtime Band, I Surrender Dear,
Dardanella*, Black Snake Blues, Here Comes the Hot Tamale Man, Froggie Moore,
Willow Tree, Weary Blues°, Liza, Please, Susie, Tight Like This, Stomp Off
Let's Go Beau
Sample (b), Andy Schumm (cnt), Dave Bock (tb), John Otto (cl, as*, ts°), Mike
Walbridge (tu), Jake Sanders (bjo), Paul Asaro (p), Alex Hall (dm) Enregistré
les 19 et 20 juin 2012, Chicago Durée: 1h 00' 34'' Delmark
253 (www.delmark.com)
Il s'agit d'un groupe de
jazz traditionnel dirigé par Beau Sample comme il n'en manque pas. Deux membres
dominent, Andy Schumm et Paul Asaro. J'ai souvenir de Paul Asaro en compagnie
de Wendell Brunious et Orange Kellin à Ascona. On a ici confirmation de son
talent, principalement dans «Stomp Off, Let's Go» (avec partie de
cornet à la Armstrong), «Willow Tree» (Alex Hall est plaisant aux
balais, trop court et délicieux passage cornet-piano en duo), «Liza»
(duo piano-drums). Le jeune Andy Schumm est connu comme un cornettiste bixien,
ce qu'il sait être en effet (solo dans le chapeau : «Dardanella»),
sans ignorer Red Nichols («Alexander's Ragtime Band»). Dans ce
créneau, on retiendra ce «San» (également bonne clarinette version
Noone, piano et basse en slap du leader). Sa prestation sweet avec
sourdine dans «Please» est de qualité. Mais on découvre aussi son
côté armstrongien dans «Weary Blues» (bons stop chorus) et «Tight
Like This» (où son solo est dans l'esprit, pas dans la stricte copie). Il
est plaisant de retrouver ici «Here Comes the Hot Tamale Man» bien
connu des fans de Freddie Keppard (bon solo de basse du leader). L'introduction
de trombone dans «Susie» est bien. Globalement tous ces musiciens
jouent de façon experte ce qu'ils ont choisi d'interpréter ici.
Bathtub Gin, Why Don't You Do
Right, If You Want The Rainbow, Wake Up and Live, Just What Me Doctor Ordered,
When I Take My Sugar to Tea, Shake Sugaree, Throw Your Heart, Put The Sun Back
In the Sky, Happy Feet, Bye Bye Blackbird, Kitchen Man, Smile, Horizontal
Mambo, I Gotta Right to Sing the Blues Roberta Donnay (voc, arr), Rich
Armstrong (tp, cnt, fgh, voc), Wayne Wallace (tb, arr), Danny Grewen (tb, voc),
Shelon Brown (cl, ts, bs, voc), Steve Malerbi (hca), John R. Burr (p), Sam
Bevan (b, arr), Michael Barsimento (dm), Deszon Claiborne (dm, voc), Nicolas
Bearde, Annie Stocking, Eddy Bee (voc) Date et lieu d’enregistrement
non précisés Durée: 1h 03' 08'' Motéma Music 166 (www.motema.com)
Roberta Donnay (née en 1966)
signe là un album intéressant. Elle a commencé à 16 ans. A San Francisco, elle
se produit pour Dick Oxtot (sans doute une bonne école puisque Janis Joplin s'y
frotta au blues en 1963-65). Elle fréquente divers genres (premier disque en
1989) pour revenir au "jazz" en 2005. Ce disque est une bonne surprise. Roberta
Donnay a beau afficher son amour pour les vieilles chansons et pour les stars
du passé, elle nous offre une musique qui ne sonne pas datée, soit en big band,
soit avec trio. Elle chante certes d'une façon maniérée qui n'est pas l'essence
expressive de Bessie Smith, Sippie Wallace, Victoria Spivey, Ida Cox ou même
Ethel Waters et Billie Holiday auxquelles elle fait référence. C'est léger, pas
de drame. Les arrangements en big band sont percutants. Rich Armstrong fait du
bon travail de lead trompette (mais, sans doute à cause d'un choix
d'embouchure, sa sonorité n'est pas séduisante). L'orchestre "envoie” dans «Bathtub
Gin» (bon solo de Sheldon Brown, bs),
«Happy Feet» (bon solo de Sheldon Brown). On pense à Peggy
Lee dans «Why Don't You Do Right?», une réussite de l'album, mais
Robeta Donnay ne copie pas (bon maniement du plunger par Rich Armstrong et
Wayne Wallace). L'orchestre et le sax ténor sont bons dans «Wake Up and
Live», «Sugar to Tea» et «Bye Bye Blackbird»
(alternative piano-batterie). Le tempo est bien lent pour «Smile» où
Sam Bevan, Rich Armstrong, Steve Malerbi prennent de bons solos. Touche dixie
dans «Throw Your Heart» (clarinette et plunger du trompette). L'«Horizontal
Mambo» est de la bonne variété. Les titres en trio sont d'un niveau
variable. On oubliera «If You Want the Rainbow» (bon solo de Sam
Bevan) et «Shake Sugaree» (tendance folk). En revanche, le swing
est présent dans «Just What the Doctor Ordered» (duo vocal avec
Nicolas Bearde), «Put the Sun Back in the Sky» (chœur genre Boswell
Sisters), «Kitchen Man» et «I Gotta Right to Sing the Blues»
(excellents contre-chants et solo de trompette bouchée en plus). Le pianiste
John R. Burr est excellent dans tous les titres. Si ce n'est pas du jazz actuel
satisfaisant, ça y ressemble dans le contexte d'une médiocrité générale.
Honeysuckle
Rose, St James Infirmary, Oh By Jingo, Perdido, Chinatown My Chinatown, Body
and Soul, I Can't Give You Anything But Love, Bei Mir Bist Du Schoen, Just
Squeeze Me, Them There Eyes, Charlie on the MBTA, Tiger Rag* Eli Newberger (tu), Bo Winiker (tp), Herb Gardner (tb), Ted Casher (cl, ts, ss,
voc), Bob Winter (p), Jimmy Mazzy (bjo, voc), Jeff Guthery
(dm), Rebecca Sullivan (voc), Randy
Reinhart* (cnt) Enregistré
les 3 décembre 2013, 5 et 14 janvier 2014, 2-3 avril 2014, Sherborn (Massachusetts) Durée: 1h 07' 15'' Autoproduit
(www.elinewberger.com)
C'est un groupe dixieland
dirigé par le tubiste Eli Newberger. Le premier titre (en public, 2013), «Honeysuckle
Rose», puis «Perdido» donnent une impression défavorable: ça
ne swingue pas et les minauderies de la chanteuse sont fastidieuses. En
revanche, le pianiste, membre du Boston Pops, est bon (il joue en piano solo «Oh
By Jingo”). Jimmy Mazzy (bj, voc) est vedette d'un «St James Infirmary»
très mou, et de «Chinatown, My Chinatown» (avec sympathique solo de
tuba), dans lesquels l'orchestre n'est pas fameux (le soprano est une épreuve).
Ted Casher, chanteur épouvantable, est au mieux de ses possibilités au ténor,
non sans copier Coleman Hawkins («Body and Soul»). L'excellent
Randy Reinhart n'apparait que dans un titre, pas le plus favorable («Tiger
Rag»). Ce disque a un public (américain) qui se satisfait de reconnaître
les morceaux. Le jazzfan tirera plus de profit à (ré)écouter les disques de
Louis Armstrong, Duke Ellington, Ella Fitzgerald et Coleman Hawkins.
All The Things You Are (prelude), For Miles,
Genesis I, Autumn Leaves, Wildwood Flower*, Sweet Sid, Genesis II, Jewels &
Baby Yaz, Iz Beatdown Time, Spot It You Got It, Genesis III, Feb 13th,
A Secret Place*, Ruby Red, Tsagli’s Lean, Professor Farworthy, All The Things
You Are (Spring Feathers)°, All The Things You Are Orrin Evans (p), Christian McBride (b), Karriem
Riggins (dm), Marvin Sewell* (g), JD Walter° (voc) Enregistré le 17
décembre 2014, New York Durée: 1h 18' 21'' Smoke
Sessions Records 1507 (http://smokesessionsrecords.com)
Ayant pris des cours à deux pianos avec Kenny
Barron (Jazz Hot n°673), Orrin Evans avoue une influence majeure du Philadelphia sound sur son œuvre - Larry Carlton (g) a évoqué le versant soul de ce son, par un hommage aux producteurs Kenny Gamble et Leon Huff, dans Plays the Sound of Philadelphia (335
Records, 2010). Représentant d’un jazz moderne ouvert aux
autres formes d’expression musicale, il s’est inspiré de musiciens comme Eddie
Green et Bobby Watson, à l’instar de Christian Mac Bride également originaire
de la scène de Philadelphie. Après avoir publié sept disques chez Criss Cross,
et conduit deux autres formations, Tarbaby et Captain Black Big Band, Orrin
Evans réunit sur The Evolution of Oneself
un trio à la cohésion
irréprochable, qui ne craint pas d’allier
post-bop, néo-soul et jazz-funk, sans jamais perdre le sens du swing. L’unité sonore de ce patchwork
musical est assurée par la production impeccable de Paul Stache, qui met particulièrement
en valeur les interventions des solistes. Il s’agit curieusement de la
première collaboration enregistrée sur disque entre Christian Mac Bride et le
leader alors qu’ils jouent ensemble depuis longtemps, et le plaisir de l’écoute
réside en partie dans cette complicité évidente, servie par une riche
expérience commune. Au niveau du style, le
pianiste se distingue par l’usage de motifs répétitifs qui confèrent un aspect presque
hypnotique à certains gimmicks, tandis que l’apport de Christian Mac Bride
s’avère essentiel dans la texture sonore et l’architecture des morceaux. Karriem Riggins s’illustre tout
particulièrement par son art des liaisons, qui culmine au travers d’un
magnifique solo de batterie sur «Professor Farworthy». Les interludes hip-hop de
«Genesis», l’hommage soul jazz rendu à Grover Washington Jr, «A
Secret Place» ou l’épisode country folk de «Wildwood Flower» sont
quelques-uns des moments marquants de l’album, des références qui témoignent du
parcours très personnel retracé sur The
Evolution of Oneself. A cet égard, la relecture de
«Jewels and Baby Jaz», de Jafar Baron, constitue certainement le véritable
point d’orgue de l’enregistrement, faisant du néo soul d’Orrin Evans une
composante à part entière du jazz moderne.
Ladies in Mercedes, Estamos aï, Overjoyed, Wild
Flower, Caminhos Crueados, On Green Dolphin Street, Mambo influenciado, Theme for
Ernie, Saint Thomas, Growlin’Face, Cantabile Anne Wolf (p, arr), Stefan Bracaval (fl), Chris Joris
(perc), Sal La Rocca (b) Enregistré les 17 et 18 décembre 2015,
Saint-Josse-Ten-Noode (Bruxelles, Belgique) Durée: 1h 13' 36'' Mogno Music j0532 (www.mognomusic.com)
Pari osé pour Anne Wolf qui a choisi de laisser son compagnon (Théo
De Jong, bg) sur la touche pour ce nouveau quartet. Pari osé pour le choix de
thèmes qu’elle n’a pas composés. Pari osé aussi pour avoir préféré enregistrer live. Mais pari justifié par le choix de
ses accompagnateurs: Stefan Bracaval («On Green Dolphin’
Street»), Sal La Rocca («Wild Flower») et Chris Joris («Mambo
Influenciado», «Saint Thomas»). Ne refusons pas ce parfum
d’authenticité avec ses essoufflements et ses accélérations («Estamos
aï»); les tensions/détentes font partie de l’esthétique. Anne Wolf
n’est pas une virtuose au sens strict du terme, mais c’est une personne
sensible, gentille. Son jeu apparait parfois un peu raide, mais enduite elle
vous prend la main, puis le bras et dépose
un baiser pudique sur votre joue. On connait son attachement pour la samba, les chansons brésiliennes
(«Caminhos Cruzados» de Jobim) et la latin-attitude en général («Mambo
influenciado» de Chucho Valdès). Son répertoire passe aussi par la valse
(«Wild Flower»), les belles mélodies: «Overjoyed»,
«Cantabile» de Michel Petrucciani et «Growlin’Face» de
son mentor Charles Loos. Anne Wolf se love avec délectation (nous aussi)
dans «Theme For Ernie» de Fred Lacy. Avec «On Green Dolphin Street»,tous les solistes tournent, très à l’aise.
Sonny Rollins aimerait-il cette version "caravanisante"
de «Saint Thomas»? Stefan Bracaval et Chris Joris se font
trop rare sur nos scènes. Une raison de plus pour aimer cet album joliet qu’on
écoute un mojito à la main, dans un transat à la plage ou au jardin.
CD1:
Old Devil Moon, Theme From Tchaikovsky's Symphony Pathetic, Freedom Suite, Body
and Soul, Manhattan, Grand Street, Who Cares?, You Are Too Beautiful, Doxy,
I'll Follow My Secret Heart; CD2: In The Chapel in the Moonlight, How
High the Moon, The Bridge, God Bless the Child, Don't Stop the Carnival, The
Night Has a Thousand Eyes, Jungoso, Doxy Sonny
Rollins (ts) et diverses formations Enregistré
de 1957 à 1962, New York, Lenox, Los Angeles Durée:
1h 11' 48'' + 1h 09' 44'' Frémeaux
& Associés 3064 (Socadisc)
Une
sélection du Sonny Rollins de cette période autour de son retrait provisoire de
la scène, entre l’été 1959 et 1962, est forcément indispensable, pas forcément
pour les raisons communément avancées de l’histoire mythologique du doute qui
envahit l’artiste face à la concurrence, car Sonny Rollins est déjà un
grand. Comme le souligne Alain Gerber, l’auteur de la sélection et des notes de
livret, Sonny Rollins a profité de son retrait pour continuer à approfondir son
art. Le contrebassiste Henry Grimes, présent sur quelques pièces de cette
époque, connaîtra lui-aussi une éclipse autrement plus longue et profonde. Comme
tout créateur, Sonny Rollins en a profité pour s’enrichir intérieurement, pour
réfléchir sur le sens de sa vie, sur l’articulation entre les racines et son
besoin de novation, d’affirmation de sa personnalité en ces temps où tout
semble aller très vite dans le jazz. Cette
interrogation s’impose à lui dans l’âge d’or d’un jazz encore jeune, malgré
quelques disparitions d’importance (de Bessie Smith et Fats Waller à Billie
Holiday et Lester Young en 1959, en passant par Clifford Brown, Art Tatum et
Charlie Parker). Les grands courants sont actifs, et la création bat son plein
–ce n’est rien de le dire. Les enregistrements exceptionnels de toutes les
générations et styles s’accumulent. Les échanges intergénérationnels
s’intensifient (pour Charlie Parker comme pour John Coltrane), malgré une
«nouvelle» critique avide de rupture (qui contribua à une scission
artificielle), de nouveauté obligée (qui participa de la négation des
racines), de phénomènes de mode liés au développement commercial d’une
industrie de la musique à l’échelle internationale (qui déboucha sur la dérive consumériste
dont le jazz souffre aujourd’hui). Sonny Rollins est aussi probablement
concerné par le statut de l’artiste afro-américain aux Etats-Unis, dans cette
période charnière (New York est une fenêtre de reconnaissance pour le jazz aux
Etats-Unis), et bien qu’ayant dix ans de carrière, ne peut pas être insensible
à ce bouillon de culture, pour évoquer l’un des titres («The Night Has a
Thousand Eyes») qui servit de générique sonore, valorisant et indissociable, à
l’émission de Bernard Pivot vingt ans après. Donc,
pour ce deuxième volume de cette collection consacrée à Sonny Rollins, on a de
splendides thèmes d’avant et d’après les promenades solitaires de Sonny
Rollins et de son saxophone sur le pont.
Compte tenu de la beauté de l’expression, il n’était pas très difficile de
trouver matière à cette compilation: on peut s’arrêter avec plaisir sur chacun
des thèmes, mais il faut remarquer une production plus essentielle dans les
années cinquante. Que ce soit dans le registre post-parkérien («Old Devil
Moon») ou dans l’évocation des racines et de la tradition du saxophone
(«Body and Soul» en solo en référence à Coleman Hawkins), ou encore
pour la dimension «recherche et développement» («Freedon Suite»), tout Sonny
Rollins est déjà là, pour toujours, et ce n’est pas pour rien qu’il est un
ténor majeur des années 1950, et qu’il le restera pour les six décennies
suivantes. Une sonorité épaisse et veloutée, une dextérité parkérienne, une
manière unique de traîner sur le temps, de rouler les notes, une inspiration et
un lyrisme certains, confirme l’une des personnalités fortes du jazz des années
cinquante, malgré son jeune âge (moins de 30 ans). Ses rencontres avec Charlie
Parker, Dizzy Gillespie, Max Roach, Art Blakey, Miles Davis, Thelonious Monk, John
Coltrane en témoignent plus que des discours. Le
retour de Sonny Rollins en 1962 n’apporte rien de vraiment nouveau aux qualités
d’un artiste d’exception, si ce n’est une sensibilité plus grande aux
trompettes de la renommée ou aux sirènes de la critique, ce qui rend parfois
moins profonde, moins naturelle et moins libre (malgré l’étiquette d’époque)
son expression. Il n’est que d’écouter les deux «Doxy» proposés ici, peut-être
avec malice par Alain Gerber, pour constater que celui de 1958 avec la rythmique
du Modern Jazz Quartet (John Lewis, Percy Heath, Connie Kay) est à notre sens
plus essentiel, enraciné et novateur, que celui de 1962 qui sacrifie à quelques
clichés du temps, y compris en matière de mise en place, et qui a moins bien
vieilli. On confirmera Alain Gerber dans son intuition, à savoir que Sonny
Rollins était à la recherche du génie de Sonny Rollins, sans savoir qu’il était
déjà là. Et quand Sonny Rollins reste simplement lui-même, naturel, en 1962
(«God Bless the Child») comme en 1958 («Body and Soul»), il est simplement l’un
des plus grands ténors de l’histoire du jazz, un digne descendant du grand
Hawkins et le second père de centaines de saxophonistes de par le monde: un
idéal, un absolu.
Summer Night, O Grande Amore, Infant Eyes, The Cry of the
Wild Goose, Peace, Con Alma, Prelude to a Kiss, Morning Star Stan Getz (ts), JoAnne
Brackeen (p), Clint Houston (b), Billy Hart (dm) Enregistré du 11 au 16 mai 1976, San Francisco Durée : 1h 15’ Resonance Records 2021 (www.resonancerecords.org)
Stan Getz/João Gilberto
Getz/Gilberto '76
Spoken Intro by Stan Getz, É Preciso Perdoar, Aguas de
Março, Retrato Em Branco E Preto, Samba da Minha Terra, Chega de Saudade, Rosa
Morena, Eu Vim Da Bahia, João Marcelo, Doralice, Morena Boca de Ouro, Um Abraço
No Bonfá, É Preciso Perdoar (Encore) Stan Getz (ts), João Gilberto (g), JoAnne Brackeen (p),
Clint Houston (b), Billy Hart (dm) Enregistré du 11 au 16 mai 1976, San Francisco Resonance Records 2020 (www.resonancerecords.org) Comme toujours chez Resonance, le livret est exemplaire:
on trouve dans celui de Getz (28 pages) de superbes photos de Tom Copi, des
textes de Feldman, Barkan, Ted Panken, Steve Getz, des interviews de Hart,
Brackeen, et des citations de Branford Marsalis et Joshua Redman. Dans celui de
Getz/Gilberto (32 pages), il compte, en complément, un texte de James Gavin et
Carlos Lyra sur la bossa nova. On y lit, entre autres, que Stan Getz était l’un
des saxophonistes préférés de Coltrane (avec Earl Bostic, Lester Young, Sonny
Stitt et Dexter Gordon). Ces deux albums confirment assurément cette lignée dans
laquelle Getz s’inscrit, si certains en doutaient encore. Moments in Time est un enregistrement, passionnant, émouvant, par
la qualité de la musique qui y est jouée, par son exigence aussi, et parce
qu’il est l’unique trace de ce groupe de Getz,composé de JoAnne Brackeen
(p), Clint Houston (b) et Billy Hart (dm), qui dura d’octobre 1975 à février
1977. L’engagement au Keystone Korner (mai 1976) correspond aussi aux
retrouvailles de Getz et Gilberto, qui enregistrèrent The Best of Both Worlds (Columbia) un an plus tôt (en mai 1975), dont
l’album sortit en septembre 1976. Dans cette sélection, composée de standards, Stan Getz, en
très grande forme, joue avec un son énorme, riche, plein d’âme et une rythmique
du tonnerre. On lit d’ailleurs dans le livret qu’il ne s’était jamais senti
aussi soutenu que par ces sidemen-là. On peut le comprendre. Brackeen, Houston
et Hart donnent tout et sont des accompagnateurs incomparables. «Summer Night» commence très fort et annonce la
couleur avec le groove de Houston (b) et le jeu très musclé de Brackeen (p), dont
on sent à la fois l’influence de McCoy Tyner et une expressivité très personnelle.
Après la samba «O Grande Amor» (Jobim, Moraes), Getz joue «Infant
Eyes» (Shorter), un des plus beaux titres de cette sélection, une ballade
gorgée d’émotion, avec un long solo poignant de Getz, avant de laisser la place
à la pianiste au jeu tout aussi profond, pendant le dernier tiers du morceau.
Sans doute pour casser un peu le rythme, «Cry of the Wild Goose» sonne
avec ses accents jazz-funk, pleins d’énergie. Les deux titres suivants comptent
aussi parmi les plus beaux: dans «Peace» d’Horace Silver, le
ténor y montre sa maîtrise, son expérience, ses mille talents. Son
interprétation est bouleversante. Le morceau le plus long (12 minutes) est
«Con Alma». On y entend un long solo du ténor qui gagne en
intensité. Puis deux autres ballades, « Prelude To A Kiss» et
«Morning Star», aussi superbes. Si dans cette sélection, Stan Getz est
au sommet de son art, elle rend justice à la pianiste JoAnne Brackeen, mettant
en lumière son immense musicalité, sa technique, son jeu complexe, très franc au
son très personnel. Rappelons qu’elle joua autour de ces années avec Art Blakey
et les Jazz Messengers (1969-1972) et Joe Henderson (1972-1975). A l’inverse, l’excellent
Houston – Roy Haynes (1969-1970), Roy Ayers (1971-1973), Charles
Tolliver (1973-1975)
– souffre un peu de la sélection. Il n’en reste pas moins très présent
et son jeu épatant. Tout comme Hart, magnifique, rompu à toutes les situations. Avec Getz/Gilberto '76, on change d’atmosphère, à l’image de
la pochette de l’album: une peinture de l’artiste portoricaine Olga Albizu (1924-2005), pionnière de
l’expressionnisme abstrait aux Etats-Unis, dont les œuvres ont illustré d’autres disques de Stan Getzdans les
années 1960 (Jazz Samba,
Verve, 1962; Big Band Bossa Nova,
Verve, 1962; Jazz Samba Encore!,
Verve, 1963; Getz/Gilberto, Verve,
1964; Getz/Gilberto Vol. 2,
Verve, 1966). Disons-le tout de suite, le titre est trompeur. Si Getz et
son quartet sont bien présents, c’est avant un tout un album de Gilberto. Sur
ces douze titres, la voix chaude, délicate, sensible du chanteur, son jeu si
naturel et son immense technique à la guitare sont un enchantement. Après une introduction de Getz, qui salue l’excellence de son
camarade mais regrette qu’il ne joue pas davantage, le ténor devient un
accompagnateur impeccable. Il est d’ailleurs frappant de voir combien le
quartet s’efface au profit du Gilberto. Hormis «Retrato Em Branco
E Preto»
et «Doralice» sur lesquels Getz joue un solo, un peu fort
peut-être, comparé à la fragilité du chanteur-guitariste, et «Chega de
Saudade» et «Eu Vim Da Bahia» en quartet, Gilberto joue seul,
passionnément sur «E Preciso Perdoar», «Aguas de Marco»,
«Samba da Minha Terra», «Rosa Morena», «Morena
Boca de Ouro», «Um Abraco No Bonfa», et un instrumental,
«João Marcelo». Tous les titres sont des merveilles, de véritables œuvres
d’art.
Chicago Eddie, Bye, Bye Blackbird, Sugar, All Blues, At Last, Shakin Frank Catalano (ts), David Sanborn (as), Nir Felder, (g), Demos Petropoulos (org),
Jimmy Chamberlin (dm) Durée: 31’ Enregistré en 2015, Chicago Ropeadope LLC 2014 (www.ropeadope.com)
La trilogie du saxophoniste de Chicago Frank Catalano s’achève sur ce Bye Bye, Blackbird qui fait donc suite à
God’s Gonna Cut You Down et à Love Supreme Collective (Jazz Hot n° 674). A l’hommage à Coltrane
succède celui à Miles Davis; inévitable reconnaissance au trompettiste
qui a su donner sa chance à Frank à ses débuts. Hommage aussi à Eddie Harris, à
travers «Chicago Eddie», saxophoniste de Chicago dont la sonorité a
marqué Catalano, ainsi qu’à son mentor Von Freeman avec «Sugar»
thème que celui-ci a joué dans son album At Long last George. Pas plus que Love Supreme Collective
n’était une reprise de l’œuvre de Coltrane, l’intention de Catalano n’est de
faire une cover des deux thèmes rendus célèbres par Miles: «Bye Bye
Blackbird» et «All Blues». Catalano s’est entouré de
partenaires dont le style s’éloigne de celui du trompettiste, reflète leur personnalité
et se fond avec celle du saxophoniste. L’absence de piano rompt évidemment avec
les quartets et quintets de Miles et l’introduction du B3 change la donne, offrant
un caractère particulier à l’ensemble du disque. Pas de bassiste non plus mais
la guitare de Nir Felder est beaucoup trop discrète à notre goût. «Bye
Bye Blackbird» prend un air de jouvence. Si l’introduction est moins
sèche que dans la version de Miles, le thème est plus dynamique. Présent sur ce
thème David Sanborn et son alto dialoguent avec le ténor. L’excellent et
énergique solo de Jimmy Chamberlin – à travers lequel on perçoit l’influence
rock de celui-ci – rompt avec le travail plus délicat de Philly Jo Jones. C’est
aussi ce thème qu’avait choisi Keith Jarrett pour son hommage personnel au
trompettiste. C’est de nouveau le B3 qui lance un «All Blues» bien
plus court que l’original. Le saxophone ténor prend le rôle de la trompette de
Miles mais Frank ne peut pas s’appuyer sur le back ground de Coltrane et
Cannonball comme le faisait Davis. Seul face au thème, Catalano montre ses
aptitudes, son talent, et sa sonorité est mise en valeur. De nouveau, Chamberlin
s’illustre dans un style évidemment à cent lieues de ce que proposait Jimmy
Cobb qui n’offrait pas de solo, Miles devant juger cela inutile pour ce thème.
Frank voit les choses autrement et celui proposé par Chamberlin s’insère bien
dans la version présente. Le saxophoniste aurait pu aussi sur ce thème inviter
Sanborn mais on a du pur Catalano. Pour quelle raison Frank Catalano a-t-il choisi «At last»? Mystère.
Le thème existe sur un disque sur lequel figurent Miles et Chet Baker mais
c’est en réalité Chet qui joue. Originellement le thème est joué très cool mais
débute ici avec un Catalano à cent pour cent, donc débordant de puissance avant
de donner de la souplesse à son jeu et de revenir vers une ambiance (un peu)
plus cool. Exit Sanborn. Frank joue de bout en bout et peut s’appuyer sur un
excellent groove de Chamberlin et un travail discret du B3. «Chicago
Eddie» est un peu répétitif mais la prestation au saxophone est de
qualité et Jimmy autant que Petropoulos et Nir Felder à la guitare sont
valorisés. Revenons sur «Sugar» ou de nouveau Catalano échange avec
Sanborn, par moment dans un véritable dialogue. Le tempo permet d’apprécier le
détail du jeu de Catalano qui montre toute la richesse de son style. Le B3 est
encore à son avantage. Von Freeman peut être satisfait de son influence! «Shakin» est une reprise du thème initial du
disque God’s Gonna Cut You Down. Chamberlin
et Petropoulos étaient déjà présents sur la première mouture. Pas vraiment de
grosses différences avec celle-ci. Le thème dure le même temps, l’introduction
au B3 est identique, précédant l’entrée du saxophone, de la batterie et des
autres partenaires. Catalano laisse la place à Petropoulos qu’on trouvait plus
percutant dans la version initiale et à un solo démoniaque de Chamberlin. Nir
Felder dans son intervention surpasse en qualité le guitariste de la première
version. Il a aussi la possibilité de s’exprimer plus longuement. Le thème
s’achève avec un excellent retour du saxophoniste.
Very Blue, I Love You Porgy, I’ve never Been in
Love Before, Comme Sunday, Nothing Like You, Three Clowns, Walkin’, Sa Majesté
César II, Black Smoke, Anton’s Journey, Autumn Nocturne Emil Spányi (p) Jean Bardy (b) Enregistré les 24 et 25
avril 2014, lieu non précisé Durée: 1h 06' Parallel 002 (Absilone)
Ce disque est musicalement un beau disque. Toutefois,
malgré une solide formation et une remarquable maîtrise de l’instrument, le
Hongrois Spányi lui n’a su (ou voulu) greffer que rarement ses connaissances du
jazz - certes un peu froides - acquises en côtoyant de bons jazzmen. La
composition qui donne le titre à l’album «Very Blue» se charge de
swing et est sans aucun doute la meilleure pièce du disque. Son autre apport,
«Black Smoke», très belle œuvre, ne relève pas du jazz ni
l’interprétation du classique «Autumn Nocturne» du compositeur
russo-américain Josef Myrow.
Son partenaire de duo, Jean Bardy, n’a rien à lui envier au point de vue de la
formation musicale. Il se révèle un accompagnateur particulièrement à
l’écoute du pianiste. Jean Bardy offre lui aussi deux compositions sur
lesquelles il montre sa virtuosité personnelle. Il débute à l'archet «Sa
Majesté César II», puis c’est Spányi qui lui sert l’accompagnement. C’est
beau mais là encore ce n’est pas du jazz, pas plus que «Anton’s Journey».
Le duo a pioché dans les standards à trois reprises ainsi que chez Gershwin.
Pour «I loves You Porgy» on reste un peu sur sa
faim. Le toucher délicat du pianiste sur «Come Sunday» d’Ellington
nous rapproche de la version du duo Mulgrew Miller/NHOP. « Three
clowns » reste joué dans le même esprit classique et il est peu probable
que Wayne Shorter, son auteur en soit ravi. Reste le «Walkin» que
Carpenter avait offert à Miles Davis. Cette fois le duo est vraiment dans le
jazz et si l’interprétation n’a rien à voir avec celle du trompettiste, elle
est excellente tant de la part de Spányi que de Bardy qui montre là
son bagage jazzistique acquis dans les clubs parisiens depuis quelques lustres.
Préambule, Poulp, Le Clown Tueur de la
Fête Foraine I*, Le Clown Tueur de la Fête Foraine II, Le Clown
Tueur de la Fête Foraine III*, Duet for Daniel Humair, Brainmachine,
Umckaloabo, Balladiza I, Balladiza II
Emile Parisien (st, ss), Joachim Kühn
(p), Manu Codjia (g), Simon Tailleu (b), Mario Costa (dm) + Michel Portal* (bs cla), Vincent Peirani* (acc)
Enregistré les 16, 17 et 18 mai 2016,
Pernes-les-Fontaines (83)
Durée: 59' ACT 9837-2 (Harmonia Mundi)
Avec ce nouveau groupe en quintet,
Emile Parisien, nous propose un album (le septième) moins évident
que ses précédents mais qui confirme désormais sa stature de
leader. «Sfumato» signifie nuancé en italien et l’artiste s’en
inspire pour en définir tel un peintre les contours de cette
nouvelle toile. Album plus grave, plus adulte et moins enjoué, il
faut entrer dans les méandres embrumées d’un jazz bien européen,
la suite «Le Clown Tueur de la Fête Foraine I, II , III» donne le
ton où chaque partie, servie avec des invités, met en valeur ses
propos originaux. Mélancolie, fin d’une adolescence rieuse, le
propos paraît plus grave, la plupart des compositions sont signées
par Emile Parisien. Pas de conflit de génération entre Joachim Kühn
(72 ans) et le jeune Emile (34 ans), Joachim est le pianiste du
groupe et non simplement un invité, et chaque musicien apporte sa
solide contribution à une œuvre sérieuse. Maîtrise parfaite du
soprano et du ténor pour une expérimentation plus alambiquée et
ambitieuse réussie, cet album marque sans aucun doute une nouveau
tournant pour cet artiste qui triomphe sur la scène mondiale. Une
nouvelle référence du jazz portée par cet ancien élève de
l’école de Marciac. On pourra préférer l’instrumentiste
facétieux et tout aussi inventif en concert où son tempérament
s’exprime avec sérieux, fougue, humour et folie.
Haifa la Nuit - Pt.1, Haifa la Nuit -
Pt.2, Turquoise, Tust –Pt. 2, Morning Promise, Pass Pass
Hubert
Dupont (b), Youssef Hbeisch (riq, bendir, derboukas, perc), Ahmad Al
Khatib (oud), Zied Zouari (vln), Matthieu Donarier (cl)
Enregistré en octobre 2015,
Fontenay-sous-Bois
(94) Durée:
46' Ultrabolic 1004 (Musea)
Hubert
Dupont a toujours su emprunter une voie particulière dans le jazz et
ce dès son premier groupe de jeunesse, Kartet. La genèse de ce
nouveau groupe et album remonte en 2013 quand Ahmad Al Khatib et
Youssef Hbeisch invitent Hubert Dupont pour un concert à l’Institut
du Monde Arabe, qui sera suivi par une tournée en Palestine, puis,
en 2014, par des concerts en France et en Finlande. Les musiciens se
présentent alors sous le nom du Trio Sabil. Dès le premier titre
«Haifa la Nuit-Pt.1», l’horizon musical est révélé par
l’introduction au oud d’Ahmad Al Katib; ce devrait être un
voyage oriental, mais Zied Zouari, jeune tunisien (23 ans), introduit
une certain changement à la tradition, percussions et ligne de basse
maintiennent et illustrent le tempo qui donne une entière liberté
au violoniste. La caravane poursuit son voyage au levant sur la
seconde partie du même titre et ce sera Matthieu Donarier qui
s’illustrera en particulier avant de laisser place aux percussions
de Youssef Hbeisch. «Turquoise» rappelle qu’Hubert Dupont est un
de nos contrebassistes de haut niveau et dans une introduction brève
et claire invite la compagnie à se joindre à la mise en valeur de
sa ligne mélodique développée en un long solo soutenu
essentiellement par la derbouka. Cet album s’inscrit plus dans
l’esprit du jazz que dans sa forme et nous charme par sa pureté et
par l’entente et l’écoute commune de musiciens formés à
différentes écoles. N’oublions surtout pas la flûtiste, Naïssam
Jalal qui s’illustre sur le dernier morceau «Pass, Pass». L’album
a été enregistré durant la manifestation Musiques au Comptoir, à
Fontenay-sous-Bois, devant un public plus qu’attentif. La totalité
des compositions est signée par Hubert Dupont qui a aussi réalisé
le mixage, très équilibré, de l’album, pour son label et
structure de production Ultrabolic, qui défend aussi de nombreux
projets menés par cet artiste.
Pain Song, Samsara, Bgida, Boston Love
Affair, Ovadia, Opening, One For Uzi
Itamar Borochov (tp), Hagai Amir (as),
Avri Borochov (b), Aviv Cohen (dm)
Enregistré en mai 2011, Tel Aviv
(Israël) Durée: 58’
RealBird Records
(www.itamarborochov.com)
Itamar Borochov
Boomerang
Tangerines, Shimshon, Eastern Lullaby,
Jones Street, Adon Olam, Jaffa Tune, Avri’s Tune, Ça va Bien,
Wanderer Song, Prayer
Itamar Borochov (tp), Michael King (p),
Avri Borochov (b, oud, voc, sazbush), Jay Sawyer (dm) + Ysraël
Borochov (jumbush, voc) Enregistré du 6 au 12 décembre 2015,
Malakoff (92) Durée: 52' 16'' Laborie Jazz 36 (Socadisc)
Plus de quatre ans séparent ces deux
enregistrements lesquels confirment le talent de ce jeune
trompettiste de 32 ans, originaire d’Israël, qui depuis 2007 vit à
Brooklyn. Cet ancien élève de Junior Mance, Charles Tolliver et
Cecil Bridgewater, a choisi de raconter son histoire qui relie Lower
Manhattan à l’Afrique du Nord, l’Israël moderne (Jaffa, Tel
Aviv) et l’antique Boukhara (mythique route de la soie). Son
inspiration et son style viennent du hard bop mais revisité par de
multiples influences puisées dans une enfance passée à Jaffa
(ville judéo-chrétienne-musulmane) au sein d’une famille de
musiciens où l’on écoutait Edith Piaf comme Weather Reaport. La
musique sacrée juive, fondée sur les gammes arabes, a complété
son initiation. Mais c’est sa confrontation à la scène
new-yorkaise qui lui a amené l’aisance du propos et un
professionnalisme tout américain. Les deux albums se partagent entre
son inspiration traditionnelle – pour les titres «Samsara, Bgida»
sur Outset et «Adon Olam», «Jaffa Tune» sur Boomerang
–, et des titres bien marqués, tirés de sa confrontation urbaine
américaine «Pain Song», «Boston Love Affair», mais aussi
«Eastern Lullaby», «Jones Street», «Prayer» l’ensemble
toujours joué dans une ligne bop moderne. Nul besoin de choisir un
album plutôt que l’autre, tout est bon il n’y a rien à jeter.
Son jeu parfois acrobatique révèle une maîtrise de vieux briscard
et sait jouer avec mille nuances. La clarté du propos lui permet de
n’user d’aucun artifice et sa sonorité très mate se distingue
parmi celle de ses contemporains. On peut relever le talent de ses
accompagnateurs, en particulier du pianiste Michael King. Itamar
avait participé cet été à la nouvelle création du danois Lars
Danielsson, European Sound Trend, y jouant un rôle principal
de soliste. Le trompettiste sera en tournée en France en novembre
2016 avec à ses côtés l’excellent pianiste Shai Maestro.
Décidément la scène jazz israélienne nous livre de nombreux
talents.
John Beasley (p, elp, synth), Reggie
Hamilton, Ricky Minor (b), Gary Nova (dm), Joey de Leon (perc), Bob Sheppard,
Danny Janklow Justo Almario, TomLuer, Thomas Peterson, Jeff Driskill (anches),
Wendell Kelly, Ryan Dragon, Eric Miller, Steve Hughes, Paul Young (tb), Bijon
Watson, Jamie Hovorka , Brian Swartz, Gabriel Johnson, Mike Cottone (tp), Alex
Budman (s), Epistrophy, Skippy, Oska T, Monk’s
Procession,’Round Midnight, Ask Me Now, Gallop’s Gallop, Little Rootie Tootie,
Coming on the Hudson Enregistré en 2015, Los Angeles, New
York, Miami, Venice Durée: 55’ Mac Avenue Mac 1113 (www.mackavenue.com)
Encore du Monk! Mais dès les premières notes d’«Epistrophy» on sait
qu’avec son big band est ses arrangements John Beasley a gagné son pari. C’est
qu’il n’est pas le premier venu: à 56 ans il signe une carrière des plus
intenses. Parmi ses collaborations on compte des arrangements et supervisions
de séances d’enregistrement pour Miles Davis, Steely Dan, James Brown, Sergio
Mendes, Freddie Hubbard ou encore Chick Corea… Il travaille aussi pour la
télévision (Star Trek, Disney) et
pour Hollywood, notamment Carmine Coppola pour Le Parrain III… En 2015, il réalise un vieux rêve, diriger un big band consacré à la
musique de Thelonious Monk et signe ainsi son neuvième album personnel. Chaque
titre revisité mérite un traitement spécial et aucun n’a jamais sonné de cette
façon. Dès le premier morceau, l’introduction est fabuleuse et le soliste ici
mis en valeur sera un vibraphone, plutôt rare chez Monk. Pour «Skippy», la
bataille des cuivres ravage l’arrangement pour laisser place à un saxophoniste
alto puis une trompettiste plus qu’inspirés. «Oska T» introduit par un son
électronique et la voix de Monk himself, qui termine sur un «merci beaucoup»,
vole d’éclat sous un tempo de la contrebasse pour laisser place, une nouvelle
fois, à un dialogue trompette – big band époustouflant. Chaque titre est une
pépite à découvrir où les solistes nous émerveillent, il n’est pas précisé qui
prend les solos mais on saluera tous les musiciens pour leur fougue et leur
travail d’ensemble. John Beasley très discret ne manque pas de se mettre juste
en valeur sur le solo de piano de «‘Round Midnight». Charlie Mingus n’aurait
pas renié l’arrangement d’un long «Little Rootie Tootie» ou l’effervescence
fait place à de subtiles mignardises pour mettre en valeur la section des
saxophones. Un dernier double souhait, la suite par un second album et l’écoute
prochaine en concert de cet orchestre lors d’une tournée en France.
11 titres: détail sur le livret
Jean-My Truong (dm), Nicolas Calvet (voc), Sylvain Gontard
(tp, flh), Leandro Aconcha (p), Pascal Sarton (b) + Neyveli Radhakrishna (vln),
Dominique Di Piazza (b), Balakumar Paramalingam (Mridangam) + String Quartet
Enregistré à Meudon
(78)
Durée: 54’ 35’’
ODL 171649 (www.jeanmytruong.com)
On connaît les qualités de batteur de Jean-My Truong:
drumming fin, sobre, joli toucher des baguettes, élégance des cymbales,
pulsation exemplaire, à l’écoute et au service du collectif et des
solistes; toutes qualités qui servent ce Secret World qui manifeste une volonté d’abolir les frontières
musicales Occident-Orient. Soit, mais les musiques d’Occident et d’Orient sont
variées et multiples. Ceci posé, les intentions, les inspirations, et le
résultat concret sont des choses aléatoires et pas toujours réalisables ou
réalisées. Jean-My Truong s’est tourné vers les musiques indiennes et bengalis,
avec la complicité de musiciens de ces régions. Le violoniste indien
Radhakrishna, qui joua avec Ravi Shankar, est remarquable sur «Bengali
Friend» et encore plus sur «Indian Journey» avec un
formidable et diaboliquement virtuose solo de basse de Dominique Di Piazza,
qui, on s’en souvient, joua avec John McLaughling; d’ailleurs le meilleur
du disque est dans ces morceaux qui rappellent le fonctionnement du Mahavishnu
Orchestra. Pour le reste on est dans une sorte de fusion années 70-80 avec un
chanteur qui s’appuie sur de longues vocalises à l’unisson avec divers
instrument sur des onomatopées majoritairement en ou. On retrouve la belle
sonorité du trompettiste, qui produit un long et beau solo sur «A New
Soul», très volubile comme dans toutes ses interventions ici. Autant
j’avais apprécié «The Blue Light», un hommage particulièrement
réussi à Miles Davis, autant on l’aura compris, je n’adhère que du bout de
l’oreille à cette musique. Les compositions et les arrangements sont du leader.
Dans l’ensemble le déroulement des morceaux est par trop semblable, et je
trouve que le chanteur emmène trop les morceaux vers une sorte de world music,
qui hélas affecte de plus en plus les musiciens de jazz. Ce qui n’entache pas
la sincérité des musiciens de ce disque.
Watt’s, Round Twenty Blues, The Gentleman is a Dope, Hope, Highlanders’s Walk,
East of the Sun, Not so Cold, Yatchan, Stevie the Great, Chinoiserie Fred Nardin, (p), Jon Boutellier (ts),
Patrick Maradan (b), Romain Sarron (dm) + Cécile McLorin Salvant (voc), David
Enhco (tp), Bastien Ballaz (tb)
Enregistré, les 28 et 29 juillet 2013, Meudon Durée: 55’
Gaya Music Productions 023 (Socadisc)
Il se peut que parmi le "grand public" du jazz beaucoup
ne connaissent pas vraiment Fred Nardin et Jon Boutellier. Auquel cas ce disque,
Watt’s,est le bienvenu car loin des "recherches" de certains pour inventer ce qui serait un "nouveau" jazz, un "jazz du XXIe siècle", les deux compères et leurs partenaires jouent
vraiment LE jazz. Celui qui remonte de ses racines, s’alimente des années
50-60, et poursuit sa route sans s’égarer en intégrant l’histoire et le moment présent.
Les membres du quartet se connaissent parfaitement, chacun est attentif à l’autre
et la formation nous régale au long des thèmes,
pour la plupart œuvres de trois membres du groupe: Nardin, Bouteiller et
Maradan. Tout est équilibré, délicat, distillé pour le plaisir des sens.
L’unité du disque n’empêche pas l’éventail d’atmosphères.
On se rend vite compte que Jon Bouteiller est un saxophoniste qui a travaillé à
l’écoute de ses prédécesseurs et possèdeune maîtrise parfaite -de l’instrument c’est évident- mais aussi du
jazz. Fred Nardin, qui n’a rien à lui envier, est brillant, avec un plus sur
les tempilents. Un morceau joué en
quartet est particulièrement beau: «Not so Cold» pour lequelle piano disparaît au profit d’un Fender. Le
batteur Romain Sarron est détenteur d’une connaissance de tous les styles et ça
swing! Patrick Maradan offre deux thèmes rythmiquement différents mais restant
dans l’esprit du disque. Pour les trois morceaux puisés dans le répertoire du
jazz le quartet a fait appel à des invités. Cécile McLorin chante sur «The
Gentleman is a Dope». On peine à croire qu’elle n’est pas la chanteuse permanente
du groupe tant elle s’y intègre aisément. Je ne reviens pas sur ses qualités;
Cécile fait aujourd’hui partie des grande voix du jazz. Elle récidive sur «East
of the Sun». Dans les deux cas se joignent aussi à la formation la trompette de
David Enhco et le trombone de Bastien Ballaz. Tous deuxdonnent de l’éclat à l’ensemble et la
chanteuse en profite aussi pour apporter de la puissance. Les deux
instrumentistes sont aussi invités sur la «Chinoiserie» de Duke Ellington et
s’en donnent à cœur joie.
My Gumbo’s Free, This Time,
New Orleans by Dawn, Force of Nature. Part 1, Force of Nature. Part 2,
Lighthouse, 24 Hours Later, Masquerade, No Hero, True Love Pie, Street Parade
Yves Peeters (dm), François Vaiana (voc), Bruce
James (p, voc), Nicolas Kummert (ts), Dree Peremans (tb), Nicolas Thys (b, eb) Enregistré en juin 2015,
Bruxelles (Bruxelles) Durée: 57’ 54’’ W.E.R.F.Records 136 (www.dewerfrecords.be)
Si vous vous êtes promené dans les rues de New
Orleans, comme l’ont fait Yves Peeters et Pierre Vaiana, vous aimerez cet album
qui goûte le jambalaya. La musique est celle d’aujourd’hui, là-bas: un mélange
de marching bands, deblues et de jazz,
groovy, funky. «This Time», «True Love Pie» et «New Orleans by Dawn» sur lesquels
apparait Bruce James (p, voc) illustrent parfaitement ce feeling du Delta. Son
jeu de piano évoque Dr. John; sa voix: Joe Cocker. Sur les autres plages, on épinglera le soin mis
à l’écriture des lyrics par François Vaiana. Au chant, le fils de Pietro (ss,
avec L’Ame des Poètes)est plus réservé que
l’américain (tessiture); on perçoit l’influence de David Linx («24 Hours
Later»). «No Hero», écrit par Yves Peeters, arrangé par Dree Peremans , est un
authentique gospelqui se clôture par une belle fin chantée en
choral (chorale aussi sur la fin de «Street Parade»). La rythmique (b/eb-dm) est autoritaire, volubile,
hallucinante; vaudou sur «Force of Nature. Part 2». Comment pourraient-ils se
passer du feeling de Nicolas Thys à la basse électrique sur le gospel «No Hero»,
sur «Street Parade», «My Gumbo’s Free» et ailleurs? Les solistes – Nicolas
Kummert (ts, «Force of Nature. Part 1») et Dree Peremans (tb) – impriment
une étiquette plus jazz, plus contemporaine. Ne jetez pas cette carte postale avec
un parfum de Bourbon! Il est permis de danser!
Romanian Dance No. 4, Dance in Bulgarian Rhythm 2,
Romanian Dance No. 2, Romanian Dance No. 3, Dance in Bulgarian Rhythm 1,
Romanian Dance No. 1, Dances in Bulgarian Rhythm 4 and 5, Romanian Dances No. 5
and 6
Teodoara Enache-Aisha (voc), Theodosii Spassov (kaval),
Miroslav Turiyski (key), Attila Antal (b), Oleksandr Beregovsky (perc)
Enregistré entre juin et septembre 2015, Cluj-Napoca
(Roumanie) Durée: 43’ 07’’
E-Media/Autoproduit (http://teodora.arts.ro)
Pour ceux qui ont vu chanter Teodora Enache en France, en club, ce
disque sera une découverte, une surprise, car le jazz n’y a qu’une place
accessoire –une couleur– loin de ce que nos oreilles l’ont entendu
produire au sein de formations de jazz, et elle a en effet côtoyé
beaucoup de musiciens de jazz: Stanley Jordan, Eric Legnini, Billy
Cobham, Johnny Raducanu… La découverte s’explique par l’absence et
l’ignorance, car depuis ses rares passages en France, l’élégante
chanteuse a fait beaucoup de chemin, aux Etats-Unis, dans sa vie et dans
sa carrière en général, et cela l’a conduit, comme souvent pour les artistes, à une
redécouverte et un approfondissement de ses racines, de ce qui a été à
la base de sa culture, musicale entre autres dimensions. Cet
enregistrement se place dans un cycle de redécouverte des racines, dont c’est le quatrième volet,
précédés par plusieurs autres depuis 2002 (Back to My Roots, Shorashim, Doina…). Teodora est roumaine, et si le jazz a son histoire en Roumanie (Jazz Hot
a eu un correspondant roumain dès 1935), c’est aussi un pays riche de
plusieurs traditions musicales, un carrefour historique entre l’Orient et
l’Occident, où musiques traditionnelles (juive, tzigane,
traditionnelles, orientales…) et musiques savantes, locales ou
d’importation, classique et jazz, s’entremêlent dans un écheveau
inextricable. Parmi les musiciens roumains, eux-mêmes de toutes les
sensibilités, on trouve souvent des virtuoses, des savants, car la musique est
la vie, en Roumanie aussi. Teodora Enache (Jazz
Hot n°587) livre ici un hommage à Béla Bartók (1881-1945), né en
Roumanie au temps de l’Empire austro-hongrois, compositeur qui a
exploité avec autant de conviction que d’assiduité le grand répertoire
des musiques populaires. Teodora a réuni pour cet enregistrement une
formation où l’instrumentation traditionnelle –notamment la magnifique
flûte traditionnelle (kaval) de Theodosii Spassov, coleader de cet
enregistrement– mais aussi la conception des percussions contribuent à
un climat très nettement oriental. Tous les thèmes sont inspirés de Béla Bartók.
C’est ainsi que sont ici
reprises et réarrangées les «Danses roumaines» et «Danses en
rythme bulgare» du pionnier de l’ethnomusicologie. Dans
le livret, la chanteuse exprime son attachement à l’œuvre de Bartók.
Teodora ne jazzifie pas Bartók, elle prolonge simplement sa recherche de
racines, à travers une inspiration majeure, Bartók, en y intégrant une couleur jazz par moment qui fait aussi
partie de sa formation, de ce qu’elle est. Mais la tonalité générale de
l’album, une belle musique, reste orientale, populaire et traditionnelle, proche finalement de ce que
désirait la chanteuse roumaine, une musique mêlant de nombreuses
influences mais faisant d’abord référence aux racines roumaines. Sa voix
cristalline, acrobatique, envoûtante, et son mariage avec la flûte
traditionnelle de Theodosii Spassov,
donne chair à un projet honnête, une sorte d’autoportrait de ce qui a
constitué, produit Teodora Enache. La conviction de la voix de la
chanteuse ne trompe pas. Ce n’est un disque de jazz mais c'est un beau voyage…
The Chief*, Afro Blue (Gregory Porter)*°, The
Man From Hyde Park (Gregory Porter), Fools Rush In (Norah Jones)*°, Don't
Misunderstand (Norah Jones), I'll Take Romance (Jane Monheit)*, My One and
Only Love (Jane Monheit), Billie's Bounce (Kurt Elling)*, Portrait of Jennie
(Kurt Elling), You Needed Me (Kurt Elling), Such Is Life (Alexis Cole)*°, Do It
Again (Peter Bernstein), Mozzin', Bobby/Benny/Jymie/Lee/Bu
Harold Mabern (p), Jeremy Pelt (tp)*, Eric
Alexander (ts), Steve Turre (tb)°, John Webber (b), Joe Farnsworth (dm) + selon
les thèmes : Gregory Porter, Norah Jones, Jane Monheit, Kurt Elling,
Alexis Cole(voc), Peter Bernstein (g)
Enregistré les 21 et 29 août 2014, New York
Durée : 1h 09' 32''
Smoke Sessions Records-1503 (http://smokesessionsrecords.com)
Harold Mabern, c’est la générosité sur scène
et hors scène; c’est aussi la modestie. Ajouté à ses qualités artistiques de
pianiste d’exception, leader autant qu’accompagnateur, dans la lignée
esthétique de la grande tradition du piano jazz, de la famille esthétique de
McCoy Tyner, cela donne un artiste archétypique du jazz de culture; celui qui
ne se récite pas, mais celui qui se vit, pas seulement dans le contenu musical
proprement dit, mais au quotidien, dans tous les instants. Quand il joue tout
est donc naturellement du jazz, c’est son langage.
On le retrouve ici dans une formation qui
évoque les Jazz Messengers d’Art Blakey (tp, ts, tb, p, b, dm), mais dans une
formule proposant des rencontres, de différents chanteurs, pour 10 des 14
thèmes, plus 1 en ouverture en quintet (« The Chief ») dédié à John
Coltrane, dont c’était un surnom, 2 thèmes en trio en final qui relèvent pour
le premier de l’univers tynérien-coltranien (« Mozzin »), et pour le
dernier de celui plus funky des Messengers auxquels il est dédié («Bobby,
Benny, Jymie, Lee, Bu», soit Bobby Timmons, Benny Golson, Jymie Merritt, Lee
Morgan et Buhaina Art Blakey, «Bu» pour les intimes).
Pour la partie consacrée aux chanteurs/ses,
aux côtés d’un bel orchestre, et d’un pianiste d’une élégance et d’une écoute
exceptionnelle, on retrouve avec plaisir un excellent Gregory Porter, qui
possède tous les arguments pour se mettre au niveau spirituel de cet ensemble,
comme le «versatile» Kurt Elling, à sa manière, d’abord dans le registre d’Eddie
Jefferson puis dans une manière, plus pop, puis plus soul, pour un thème
sortant du champ esthétique de ce disque («You Needed Me»), Kurt Elling, dont
on connaît l’excellent esprit, la grande culture et les qualités de dynamisme,
pour trois thèmes avec un leader qui se met au diapason des
variations esthétiques (Harold colore son jeu et sa formation en fonction des
thèmes).
Côté chanteuse, on apprécie l’intervention de
Jane Monheit, qui possède une réelle profondeur, et profite pleinement, avec
autant de métier que d’esprit, de cette belle rencontre avec des musiciens de
haut niveau, dont elle partage l’esthétique, Harold Mabern en particulier. Alexis
Cole intervient aussi sobrement, sur un beau thème écrit par Harold Mabern. Reste
la rencontre, problématique pour nous dans ce disque, de Norah Jones, personnalité
qui relève d’un autre monde, du show business, et pas à la façon d’un Sinatra
qui pouvait s’intégrer n’importe où, mais à la façon d’une personne dont
l’expression reste artificielle et superficielle, malgré le cadeau que lui fait
Harold Mabern d’un duo piano-voix; et malgré ses commentaires. En guise de notes de livrets, Harold Mabern
donne une interview à Damon Smith et commente ce disque, d’ailleurs agréablement
pour l’auditeur, les thèmes et les protagonistes, et a un commentaire élogieux
et parfois précis pour chacun d’eux.
Dans ce disque, aussi varié qu’une soirée
d’anniversaire, il faut encore signaler la présence de Steve Turre (4 thèmes),
Jeremy Pelt (6 thèmes), venus compléter, sans se forcer, l’habituel combo
d’Harold Mabern (Eric Alexander, John Webber, Joe Farnsworth), et un autre
invité sur un thème («Do It Again»), l’excellent Peter Bernstein, qui ne s’est
pas non plus fait prier pour faire partie de cette scène new-yorkaise très
active.
Car Harold Mabern, c’est aussi la joie de
jouer, de faire de la musique, et son entrain, son drive sont de ceux qui électrisent
les musiciens de jazz, et ça se ressent pour l’auditeur, les deux dernières
pièces étant, à notre avis, la nougatine la plus appréciable de cette pièce
montée.
Bu, Lover Man, Funky Thing, Trayvon's Blues,
It's Too Late Now, With a Song in My Heart, ’S Wonderful, Peace, Nangadef,*
Spiritman-All Blues
Steve Turre (tb), Bruce Williams (as, ss),
Xavier Davis (p), Gerald Cannon (b), Willie Jones III (dm), Chembo Corniel
(congas)*
Enregistré le 1er juin 2014, New
York
Durée: 1h 09’ 55”
Smoke Sessions Records 1502 (http://smokesessionsrecords.com)
De toute la série récente des disques de ce
label new-yorkais qui propose des enregistrements toujours très intéressants
d’un jazz de culture, le plus souvent enraciné dans l’héritage du bebop-hard
bop, celui des Messengers, d’Horace Silver, voire coltranien, cet opus de Steve
Turre est parmi les plus intéressants. Steve Turre (Jazz Hot n°604) aime toujours le jazz comme s’il avait 20 ans, et
il conserve dans son jeu très élaboré le feu et l’enthousiasme de son jeune âge.
On retrouve ici en ouverture, comme dans le disque d’Harold Mabern sur le même
label, un hommage à Art Blakey («Bu»), figure essentielle de la biographie de
Steve Ture, aux côtés de Woody Shaw etRoland Kirk. C’est Art Blakey, que lui présenta Woody Shaw, qui emporta
à New York, dans ses valises, lors d’un passage à San Francisco, le jeune
tromboniste en l’intégrant sur le champ à ses Messengers, comme il le raconte
dans les notes de livret, et Steve Turre confie qu’il n’a pas peur de swinguer,
car il sait que c’est le fondement du jazz.
Ici, le tromboniste revient à son jeu virtuose
de trombone, et s’il parle de Curtis Fuller dans le livret, on ne peut
s’empêcher de penser aussi à J. J. Johnson par sa manière sur les ballades
(«It’s Too Late Now»). Bien sûr, les tempos enlevés et les ensembles évoquent
aussi l’univers d’Art Blakey-Horace Silver, et donc Curtis Fuller. Cela dit car
Steve Turre connaît ses racines, mais il est par lui-même un formidable instrumentiste,
original autant par certaines atmosphères, par l’utilisation des conques et
d’effets très expressifs, que par un drive qui le rapproche de son maître
Blakey.
A propos de batteur, il y en a un formidable,
Willie Jones III, qui en dehors d’avoir fait la couverture de Jazz Hot n°669, dirige aussi un label,
et joue ici avec ses qualités de finesse et d’énergie qui le rendent essentiel
pour le jazz aujourd’hui. Le reste de la formation est également excellent, avec
les brillants Bruce Williams, Xavier Davis et Gerald Cannon, et comme le
répertoire, mêlant beaux standards et originaux, a été parfaitement choisi et
construit, cela donne un de ces disques qu’on peut passer sans s’en lasser pour
écouter toute la richesse musicale, des arrangements, des instrumentistes, les
chorus que chacun délivre sans faiblesse.
Le «Lover Man» sur tempo rapide est très beau,
Bruce Williams parkérien comme il se doit;le swing et le blues, parfois funky («Funky Thing»), ont toujours la
part belle tout au long de cet enregistrement; il y a un bel hommage à Horace
Silver («Peace») qui venait de disparaître au moment de l’enregistrement, où
Bruce Williams expose le thème avec le beau contrechant du trombone, avant de
s’adjuger un beau chorus, et le dernier thème, «All Blues» de Miles Davis,
introduit par «Spiritman» de Turre, est unepure merveille, les conques rappellent en effet l’univers de Roland Kirk.
Un beau thème est dédié à Trayvon Martin («Trayvon»), l’adolescent abattu en
2012. Gershwin Bros. (’S Wonderful») sont présents pour un thème, de même que
Rodgers & Hart («With a Song in My Hart») pour un magnifique up-tempo où brille particulièrement
Willie Jones III. «Nangadef» associe un percussionniste, Chembo Corniel,et le résultat n’en est que meilleur, avec de
beaux chorus et une couleur latine en sus.
Tout semble très naturel, très enraciné dans
cette musique, savant sans étalage, et c’est pourquoi on parle d’un jazz de
culture, celui pour lequel on ne se pose pas la question de savoir si ça
swingue, si le blues est présent, si l’expression est au rendez-vous, car ce
jazz à de fertiles racines, et il se
sent et se vit de l’intérieur autant pour les musiciens que pour l’auditeur.
L'Ours,
conte symphonique pour quintette de cuivres et orchestre (1), La Grèce en
Automne (2)
(1)
Concert Arban : Thierry Caens, Jean-Paul Leroy (tp, fgh), Eric Vernier (h),
Yves Favre (tb), Michel Godard (tu) & Orchestre Symphonique Ephémère
direction Dominique Rouits : Philippe Slominski, Patrick Fabert, François
Chassagnite (tp), François Lemonnier, Jean-Louis Pommier, Denis Leloup (tb),
Patrice Petit-Didier (h), Vincent Guyot, Philippe Leloup, Rémy Duplouy (cl),
Sylvie Dambrine, Bernard Labiausse, Daniel Martinez, Georges Alirol, Nicole
Libraire (fl), Christian Moreau, Gérard Gaudillère (ob), Jean-Claude Montac,
Jean-Paul David, Philippe Grech (bsn), strings, Laurence Cabel (hp), Philippe
Legris (tu), Emmanuel Roche (tymp), Bertrand Maillot, Didier Sutton, Franck
Tortiller (perc) ; (2) Sinfonietta Ephémère direction Jean-Loup Longnon :
Jacques Peillon (h), Sylvie Dambrine, Gérard Auger (fl), Rémy Duplouy (cl),
Vincent Friberg (ob), Jean-Pierre Gayet (bsn), Nathalie Prouteau (hp), Yvon
Kerouanton (celesta), strings, Philippe Macé (tymp), Didier Sutton (perc)
Enregistré
(1) décembre 1984, Paris; (2) novembre 1992
Durée: 37' 46''
JLLBB2016
(UVM Distribution)
Il ne s'agit pas là du
Jean-Loup Longnon trompettiste, mais du compositeur. «La Grèce en Automne»
(4' 39'') est une bonus track(extraite de l'album Cyclades). L'évènement est la réédition de L'Ours,
conte symphonique, dédié à Henri Dutilleux (37' 02''). L'Ours (éditions
Robert Martin) est une commande de Thierry Caens. Depuis toujours les jazzmen
sont fascinés par la «musique classique» (Louis Armstrong vouait une admiration
pour Tchaikovsky) : «durant trois
ans, la composition de cette pièce avait représenté pour moi, échappant au
jazz, l'occasion unique de revenir vers l'indispensable musique "classique",
celle ayant imprégné mon enfance et que, d'année en année, je chérissais
davantage» (Jean-Loup Longnon). Il se trouve que j'ai participé comme
troisième trompette à la création de cette œuvre à Dijon le 12 août 1982 au
sein de l'Orchestre Symphonique de l'Académie d'Eté dirigé par Roger Toulet. Il
y avait aussi Charles Loerher (tp1), Claude Bonnet (tp2), Joël Vaïsse (tb1),
Philippe Renault (tb2), Eric Vernier (h), Marc Dullion (cl1), Martine Cappozzo
(fl1). Le Concert Arban, quintette de cuivres, comprenait à cette date Camille
Leroy (h) et Gérard Buquet (tu). Il s'agissait d'une première version et je me
souviens de la fébrilité de Jean-Loup Longnon, anxieux de savoir si tel passage
de violon ou autre est difficile ou non. Ce fut pour nous un étonnement, un
ravissement, mais aussi beaucoup de travail. Jean-Loup Longnon a révisé le
score pour la forme définitive enregistrée ici (1984) au célèbre studio Davout
avec des musiciens bénévoles. Il avait, à juste raison, peur que ce travail
connaisse l'oubli après la création ce qui est le lot des"d'œuvres" modernes commandées pour des
congrès, colloques, conférences et autres manifestations commises "entre
musiciens".
L'autre obstacle est que L'Ours s'écoute sans déplaisir,
enfantée à une époque où régnait le terrorisme avant-gardiste des adeptes du
sériel qui condamnaient à l'ombre les tenants d'un degré de mélodie et rythme
comme Jolivet, Tomasi, Dutilleux, etc. Ces résistants ont gagné, les compositeurs
actuels reviennent au sens mélodique et rythmique. L'ombre redevient lumière et
l'œuvre symphonique de Jean-Loup Longnon a légitimement droit à une nouvelle
vie! Voici L'Ours remixé et remasterisé. Bien sûr, le rôle de l'ours est
tenu par le tuba (Michel Godard). C'est lui qui introduit le 1ermouvement, relayé par le quintette de cuivres en fanfare. On notera la belle
phrase mélodique du cor (Eric Vernier) reprise par les trompettes. L'entrée de
l'orchestre avec la partie de harpe évoque Ravel plus que le développement qui
suit (cordes de caractère romantique). Fôret, clairière sont l'argument pour
d'intrigantes parties de hautbois, basson, clarinette. Les cuivres se signalent
dans la troisième partie du 1er mouvement avec même un solo de bugle (Jean-Paul
Leroy, je crois me souvenir) qui l'espace d'un moment swingue. Le tuba ouvre le
2e mouvement. La flûte est sollicitée dans ce nocturne. Percussions
et cuivres ouvrent le 3e mouvement de façon virile et rythmique.
Jean-Loup Longnon a complété l'œuvre par des variations autour de la note mi et
par un mouvement «souvenirs,…, apaisement». La bonus track s'inscrit dans la même esthétique. Longue vie à L'Ours.
Buddy Bolden Legacy Band
Back and Forth The King's Fath
Makin'
Runs, Make Me a Pallet On Your Floor, High Society Rag, Down By The Riverside,
Jelly Roll Blues, My Bucket Got a Hole in It, Buddy's Habits, Careless Love,
Buddy Bolden Stomp, Turkey in The Straw-St James Infirmary, Creole Song-If You
Don't Shake It You Don't Get no Cake, Basin Street Blues, Buddy Bolden Blues,
Get Out of Here*
Fabrizio
Cattaneo (tp), Luca Begonia (tb), Marcello Noia (cl), Stefano Guazzo (ss, cl),
Roberto Colombo (g), Egidio Colombo (bj), Alberto Malnati (b, voc), Robert
Lopez (dm), Elena Ventura (voc)
Enregistré
les 23 janvier* et 12 juillet 2015, Varese (Italie)
Durée
: 1h 03' 25''
Riserva
Sonora 2015/08 (www.riservasonora.com)
Alberto Malnati, musicien
d'obédience "moderne" longtemps imperméable au "jazz traditionnel", qui eut
l'occasion de jouer avec Plas Johnson et Jesse Davis, n'est tombé sous le
charme du feeling néo-orléanais qu'à partir de sa première visite à la Cité du
Croissant (1992). Dans le livret il précise: «I don't know if this record should be defined as Dixieland, or
New Orleans revival or New Orleans today's style, I call it JAZZ». En
fait, la majorité des titres sonnent «dixieland» principalement du
fait du soprano de Stefano Guazzo (préférable à la clarinette qu'il joue
rarement). Le programme est assez recherché et détaillé dans le livret (des
points sont discutables). Comme le
Bechet-Spanier Quartet de 1940, il y a des titres selon cette formule (tp, ss,
g, b) qui ne sont pas les moins intéressants: «Make Me A Pallet on Your
Floor», «Jelly Roll Blues», «My Bucket Got A Hole In It»,
«Creole Song», «Basin Street Blues» et «Buddy
Bolden Blues» dans lesquels Fabrizio Cattaneo confirme ses qualités de
trompettiste issu de la lignée Armstrong. Alberto Malnati est bon bassiste qui
sait manier l'archet («Turkey in the Straw»), mais quel fâcheux
chanteur! Elena Ventura est préférable dans ce bon «Careless Love».
En formation complète (batteur un peu raide), en plus de Cattaneo, on peut
apprécier le talent de Luca Begonia (tb) notamment dans «Makin' Runs»
de Bunk Johnson, «High Society» et «Buddy's Habits».
Belle coda de Fabrizio Cattaneo dans «St James Infirmary».
Sympathique, sans plus.
Bamboleo,
Senor Blues, Soldier's Things, Doha Blues, Sunshine Of Your Love, Tango,
Somebody That I Used to Know, Afternoon In Puebla, Black Coffee, Parlour Song
Dominick
Farinacci (tp, fgh, arr), Mark Mauldin (tb), Heidi Ruby-Kushious, Brianne
Sharkey (fl), Thomas Reed (bcl), Larry Goldings (p, org, celesta), Gabe
Bolkosky (vln), Leah Ferguson (vla), Sawyer Thomson (cello), Gil Goldstein
(accn, arr), Dean Parks (g), Christian McBride (b), Steve Gadd (dm), Jamey
Haddad (perc), Jacob Collier (voc, instr. électroniques), Mike Massy (voc)
Enregistré
à Cleveland, date d’enregistrement non précisée
Durée
: 55' 04''
Mack
Avenue 1112 (www.mackavenue.com)
Dominick Farinacci (né
en 1983) nous a été présenté par Wynton Marsalis en 2000 en compagnie de
Brandon Lee et Troy Andrews. Ce dernier est le seul à être devenu une star, ce
qui n'implique pas une absence de talent chez les deux autres. Farinacci avait
déjà neufs albums à son actif avant de signer avec le label Mack Avenue dont
voici le premier produit. Il y a trois titres qui, jazzistiquement, dominent: «Bamboleo»,
un blues low down lent comme le titre
ne le laisse pas supposer, où il y a un stop chorus de trompette de grande
classe, le langoureux «Black Coffee» (avec sourdine wa-wa) et le funky
«Sunshine of Your Love», sur fond d'orgue avec d'excellents solos
de Dean Parks (g) et Christian McBride (b), où le leader a quelques inflexions
à la Miles Davis (comme dans «Somebody That I Used to Know», avec
effets électroniques pour évoquer le Miles dernière manière). L'album se veut
par ailleurs très varié, voir mondialiste (très tendance donc). Avec cordes et
accordéon, le bien nommé «Tango» est finalement de la variété... de
luxe, mais quel superbe son de trompette! Dans «Doha Blues», signé
Farinacci, où l'on trouvera un solo de Steve Gadd, Mike Massy donne au début un
climat "arabisant", mais le résultat n'a rien à voir avec Ibrahim
Maalouf (dont le timbre est arabe) grâce à Dominick Farinacci qui s'exprime
avec le lyrisme de Wynton Marsalis. Le seul reproche que l'on puisse faire à ce
trompettiste très qualifié c'est d'être trop proche de Wynton Marsalis (en
dehors des clins d'œil à Miles cités): «Soldier's Things» le
démontre, non seulement le timbre de son est le même, mais aussi les inflexions.
Larry Goldings est excellent dans «Afternoon in Puebla»; sa
composition «Parlour Song» est aussi adorable que courte. Les
cordes quand elles sont là, le sont très discrètement. Bref, dans le contexte
d'aujourd'hui du tout et n'importe quoi, c'est là un très bon disque.
Perpetual e-motion, Contagion, In the
interstice, Mondeville juillet 2013, Interfacing you, Altered
asymmetries, Fault lines, Go re-configure, Pace of change, perpetual
e-motion (alternate take)
Sam Coombes (as, ss), Yoni Zelnick (b),
Julien Charlet (dm)
Enregistré le 5 décembre 2013 et le 7
janvier 2014, Paris
Durée: 58'36''
Pol-e-Math Recordings SCPR01 (Socadisc)
Un saxophone (alto ou soprano) une
contrebasse, une batterie, voilà bien la forme de trio la plus
audacieuse et la plus exigeante. Si le choix délibéré et le
mélange de métriques impaires ne facilitent pas la perception du
swing, en revanche, ceux-ci subliment celle du groove, omniprésent.
Très dynamique, la section rythmique donne le tournis à l'auditeur
et des ailes au soliste. Servie par des virtuoses de leur instrument
et, affranchie de tous les codes habituels, cette musique riche,
pleine de surprises et de ruptures ne manque ni d'originalité, ni
d'énergie. Complexe, elle exige toutefois une écoute très
attentive pour être appréciée à sa juste valeur.
Intégrale Vol. 7, Just Friends, 1949-1950 Intégrale Vol. 8, Laura, 1950 Intégrale Vol. 9, My Little Suede Shoes, 1950-1951 Intégrale Vol. 10, Back Home Blues, 1951-1952 Intégrale Vol. 11, This Time The Dream’s on Me, 1952 5 coffrets de 3 CDs avec livrets et discographies détaillés
par Alain Tercinet Enregistrés de 1949 à 1952 Durée: environ 18h d’enregistrement Frémeaux & Associés 1337-1338-1339-1340-1341
La maison Frémeaux, avec le concours d’Alain Tercinet à la
plume et à l’érudition, poursuit avec talent et conviction cette intégrale
essentielle, et on s’en réjouit, bien qu’elle précise toujours avec modestie
les limites de l’exercice. Il est en effet très étonnant de constater que
Charlie Parker, mort à 35 ans, a laissé une telle profusion d’enregistrements,
qu’ils soient officiels, pirates ou quasiment clandestins. Quelle que soit la
qualité sonore, toute note de Charlie Parker, comme on peut le dire de Louis
Armstrong, est précieuse. Autre paradoxe d’ailleurs, car si Louis Armstrong les
distillaient avec une économie certaine, l’art de Charlie Parker plonge ses
racines esthétiques dans la profusion tatumesque, autant dire qu’il remplit
l’espace et que les silences sont rares, l’intensité trouvant curieusement son
compte dans la profusion de l’un et l’économie de l’autre, le mystère et la
diversité du génie. Dans le septième coffret, on débute par les concerts au
Carnegie Hall, placés toujours sous l’égide du blues. Le constat est fait dans
ce cadre, dès 1949, qu’il n’y a aucune rupture et révolution, puisque se
côtoient les générations fondatrices et nouvelles (de Lester Young à Charlie
Parker), sans aucun hiatus, le langage est celui d’un jazz hot où le swing, le blues sont les maîtres mots, même si le grand
enfant provocateur, Charlie, affirmait le contraire comme le raconte Alain
Tercinet. L’ajout que Lester ne l’avait pas influencé, relaté par Tercinet,
étant sans doute l’habituel petit jeu avec la critique de dire le contraire de
ce qu’on pense pour alimenter une provocation dont les racines sont
particulières au monde afro-américain. Ce type de relation avec les médias,
plus attentif au sensationnel qu’à l’essentiel, ne s’arrêtera pas là. Nous,
oui. Parlons plutôt de ces quatre premiers thèmes qui ont l’avantage de nous
présenter des enregistrements longs où le blues est roi, comme toujours chez
Parker, et bien entendu les Lester, Roy Eldridge, Buddy Rich, Flip Phillips, et
les jeunes Ray Brown et Hank Jones ne s’en laissent pas conter. C’est
splendide! On passe ensuite à ce qui fera polémique pour les amateurs
de jazz tant qu’il y en aura… Le jazz est-il compatible avec les violons? Ce
n’est pas une question de système ou de technique, mais de personne. Charlie
n’est d’ailleurs pas le premier à l’avoir tenté, et il ne sera pas le dernier.
On ne reprendra pas la polémique, et on répondra oui, quand le musicien
s’appelle Charlie Parker (ou Ben Webster, ou Wynton Marsalis…), mais il n’est
pas donné à tous les musiciens de pouvoir survoler des cordes, magnifiquement
arrangées ici, avec beaucoup d’intelligence. C’est parfois aussi une question
de moment ou de production. Charlie Parker a cette liberté extraordinaire de ne pas altérer son
discours, et de savoir imposer son discours avec un lyrisme serein, pour cette
fois, mais aussi avec la maestria du soliste d’exception, qualité qui en impose
à tous, musiciens classiques en particulier. C’est sans nul doute un
chef-d’œuvre de l’histoire de la musique tout court. Parce que Charlie Parker
est sans doute un génie naturel, comme Django, de l’histoire de la musique, et
qu’il s’impose à tous les langages. Son «Summertime» est digne de celui de
Sidney Bechet qui a en a fait une autre merveille de l’humanité dès 1939 – avec Meade Lux Lewis (p) Teddy Bunn (g) Johnny Williams (b) Sidney Catlett (dm) et en 1947 avec James P. Johnson (p) Danny Barker (g) George Pops Foster (b) Warren Baby Dodds (dm).
Années des Dieux donc! Ceux du jazz, en l’occurrence. Mais ce disque avec cordes
est dans son ensemble un bonheur absolu, un événement musical. Le problème avec
Charlie Parker, c’est que le reste de ce coffret est aussi essentiel, et
toujours à cause de lui, même s’il est toujours bien entouré dans les petites
formations, de jeunes (Roy Haynes, Art Blakey, Red Rodney…) ou moins jeunes
(Bud Powell, Fats Navarro, Al Haig…). Il faut aussi remarquer ses thèmes:
«Ornithology», «Cheryl», et malgré l’avalanche de notes, tout est
mélodieux, clair, intense, parfait!… età base de blues qu’il grave sur mille facettes comme un diamantaire. Sur
le blues, Charlie Parker semble inépuisable, et il se permet de citer
l’introduction de Louis Armstrong de «West and Blues» dans le cours de son
chorus, histoire de provoquer sans doute… ou de rappeler à quel monde il
appartient pour ceux qui ont des oreilles. Le jeune Red Rodney est un sacré musicien pour suivre le torrent
sur «Koko». Le lyrisme à la Lester reprend parfois le dessus, mais les idées de
Charlie se bousculent, et sa façon de les exploiter impose un discours plus
foisonnant et débridé que celui de son aîné. Pour la suite, avec Fats Navarro, un autre extra-terrestre,
de la trompette, le métronome est définitivement mis de côté. Conserver, comme
Tatum, un tel sens de la mélodie, sur un tel tempo, avec un tel débit, relève
de la prouesse mais aussi du génie musical. Fats Navarro ne refuse pas le
challenge, et il ne faut pas moins que Bud Powell, Curley Russell et Art Blakey
pour suivre ce train d’enfer sans lasser. L’un des facteurs qui rend cette
musique si spéciale est aussi l’intensité. Les grandes voix du jazz, de Louis à
Hawkins, en passant par Duke, Basie, Ella, Billie, Bessie, Mahalia, Lester,
Benny Carter, Bud Powell, Dizzy, Monk, Mingus, Coltrane, ont en commun cette
sur-intensité qui attire tous les publics, même profanes.En ce
début des années cinquante, Parker alterne donc entre la formation avec Fats
Navarro, Bud Powell, Blakey et celle avec Al Haig, Red Rodney et Roy Haynes et,
égal à lui-même, il exploite un répertoire assez balisé de ses compositions,
celles de Thelonious Monk ou les standards. Du grand art!
Back Home, Détachement, No Other Way, Black Rainbow,
Lonesome Traveler, September Song, Inner Peace, Open D, Santo Spirito Lorenzo Di Maio (g), Jean-Paul Estiévenart (tp),
Nicola Andrioli (p, key), Cédric Raymond (b), Antoine Pierre (dm) Enregistré en Novembre 2015, Bruxelles Durée: 55' 47'' Igloo Records 273 (Socadisc)
Né dans une famille de musiciens, Lorenzo Di
Maio a choisi la guitare à l’âge de 15 ans. Il a suivi des cours avec presque
tous les guitaristes qui font autorité en Belgique: Paolo Loveri, Paolo
Radoni, Jacques Pirotton, Peter Hertmans… En 2009, diplômé du Conservatoire de
Bruxelles, remarqué par ses pairs, il joue aussi bien du dixieland avec ses
oncles(Jo et Santo Scinta) que de la soul avec Laurent Doumont (ts, voc).
Initialement influencé par Aaron Parks, John Scofield et Pat Metheny («Open
D»), son jeu s’est enrichi au contact des musiciens de sa génération.C’est avec Fabrice Alleman (cl, sax) etle groupe 4in1 de Jean-Paul Estiévenart (tp)
qu’il se fit particulièrement remarquer. Black
Rainbow est le premier disque à son nom; il y signe toutes les
compositions. Elles sont le reflet de ses acquis. Alors qu’on s’imaginait
découvrir neuf plages énergiques, le guitariste dévoile une sensibilité pour les
harmonies délicates (solo de guitare sèche en coda de «Santo Spirito»)et un
feeling tout en couleurs et nuances («Black Rainbow»,
«Lonesome Traveler»). Les mélodies sont agréables et structurées
rigoureusement («September Song»). Les sidemen, attentifs aux riches
arrangements, fusionnentdans l’écriture
du leader, y puisant leur propre force créative. Ils sont tous majestueuxen
solos ! Nicola Andrioli (p/«Detachement»
& «September Song») et Jean-Paul Estiévenart (tp/«No
Other Way», «Lonesome Traveler») occupent des places de
choix. Mention spéciale aussi pour les ponctuations originales d’Antoine Pierre
(dm) à la cymbale cloutée («Lonesome Traveler») et les solos dans
«September Song» et «Santo Spirito». Outre le fait
qu’on découvre un nouveau et séduisant compositeur-arrangeur, le plus
remarquable: c’est que nous sommes à l’écoute d’un travail de groupe. Ecoutez,
par exemple: l’accompagnement du guitariste (plusieurs guitares) sur le
solo de basse de «Black Rainbow»; l’exposé et les
questions-réponses trompette/guitare de «Santo Spirito». Ce quintet est la réunion de ce qui se joue le
mieux à Bruxelles aujourd’hui. Notez bien leurs noms, vous allez les retrouver
un peu partout, individuellement ou en groupe, de New York à Tokyo, de Reykjavik
à Cape Town dans les années qui suivent… Parce qu’ils le valent bien!
Sylvia Howard Sings Duke Ellington with the Black Label Swingtet and Friends
It Don’t Mean a Thing*, Sophisticated Lady°*, I’m Beginning
to See the Light*, Perdido, Rocks in My Bed, Love You Madly°, In a Sentimental
Mood, Don’t Get Around Much Anymore, Duke’s Place**, Come Sunday, Just Squeeze
Me, Caravan** Sylvia Howard (voc), Christian Bonnet, Antoine Chaudron
(ts), Georges Dersy (tp), Jean-Sylvain Bourgenot (tb), Jacques Carquillat (p),
Jean de Parseval (b), André Crudo (dm) + Claude Carrière° (p), Jean-Jacques
Taïb* (cl), Didier Vétillard** (ss) Enregistré en 2014, Ermont (95) Durée: 52’ 06’’ Black & Blue 797.2 (Socadisc)
Paris possède peu de chanteuses de la trempe de Sylvia
Howard. Il est d’autant plus dommage qu’on l’entende si peu en club et qu’elle
n’en soit, à ce stade de sa carrière, qu’à son deuxième disque sous son nom
(après Now or Never, Black & Blue, 2012), toujours accompagnée par le Black
Label Swingtet de Christian Bonnet. Mais les personnages comme Sylvia, aussi
talentueux que fantasques, ont des natures mal adaptées à notre époque
normative qui a laissé les professionnels de la culture et du showbiz prendre
le pas sur les grands producteurs à l’oreille avertie. On sait donc gré à
Christian Bonnet d’avoir permis une nouvelle fois à la chanteuse de s’exprimer,
qui plus est sur le plus beau des répertoires: la musique de Duke Ellington.
Ellingtonien passionné, le ténor signe d’ailleurs les arrangements (sans
fioritures) de cet album. La performance de Sylvia Howard est évidemment à la
hauteur de nos attentes: son swing, ses belles intonations blues, sa voix
légèrement rauque font merveille et l’on attrape des frissons avec «Come
Sunday» où elle livre une interprétation aussi sensible que puissante. Le Black Label Swingtet et ses invités soutiennent
honorablement Miss Howard, mais pour tout sympathique qu’il est, cet orchestre,
essentiellement composé de musiciens non professionnels, ne parvient pas à se
hisser au niveau de l’interprète principale. Hormis Jean-Jacques Taïb – qui est
excellent à la clarinette –, aucun soliste ne retient vraiment l’attention. On rêve
encore que Sylvia Howard fasse l’objet d’un véritable projet construit autour
de sa personnalité et réunissant des musiciens capables d’entrer en dialogue
avec elle. Il n’en manque pas, notamment à Paris. Reste à savoir s’il reste des
acteurs du jazz suffisamment imaginatifs pour s’emparer de l’idée.
In Graz, BC, Biru
Kirusai, Dark Blue, Highline, Pure Imagination, Monk's Mood, Le Crest, Our Day
Will Come, Going to the Sun. Jim Rotondi (tp, flh),
Joe Locke (vib), David Hazeltine (p, elp), David Wrong (b), Carl Allen (dm) Enregistré le 15
juillet 2015, New York Durée : 1h 04’ 13’’ Smoke Sessions Records 1602
(www.smokesessionsrecords.com)
Voilà, un excellent
disque bop de Jim Rotondi (Jazz Hot
n°663). L'atmosphère n'est pas sans faire penser aux séances Blue Note avec
Bobby Hutcherson, rôle ici tenu par Joe Locke. C'est le cas dans «Monk's Mood»,
la meilleure plage de l'album où David Hazeltine swingue bien. Ce pianiste a un
bon feeling et sait rester sobre quand il faut, notamment dans «Dark Blue»
où le bugle du leader est dans la lignée lyrique de Freddie Hubbard. On notera
la courte citation du «Vol du Bourdon» dans le solo de piano de «In Graz»
(dédié à la ville autrichienne où enseigne Rotondi). Hazeldine est l'auteur du
bon thème, «Highline», la majorité des autres est signée Rotondi. Joe Locke est
partout excellent et cette séance avec vibraphone au lieu d'un sax donne une
couleur sonore très plaisante. Jim Rotondi a, outre l'inspiration, une
excellente maîtrise du bugle et de la trompette avec une belle qualité de
timbre (sombre). Il est très proche de Freddie Hubbard («BC» – pseudo blues de
16 mesures –, «Our Day Will Come», etc), c'est dire le niveau. Tout le monde
s'exprime en solo, même Carl Allen («Highline») et David Wong («Le Crest»).
Le texte du livret est une interview de Jim Rotondi. Bref, les amateurs de Jim
Rotondi et... Freddie Hubbard ne seront pas déçus.
Louis Armstrong Intégrale Vol. 14. Constellation 48
Titres détaillés dans
le livret Louis Armstrong (tp,
voc), Jack Teagarden (tb, voc), Barney Bigard (cl), Dick Cary, Earl Hines (p),
Arvell Shaw (b), Sid Catlett (dm), Velma Middleton (voc) Enregistré entre le 16
octobre 1947 et le 2 mars 1948, New York, Nice, Paris Durée : 3h 49’ 22’’ Frémeaux &
Associés 1364
Le nom de Louis
Armstrong est désormais attaché à celui de son «All-Stars». Il
s'engage dans le rôle de l'ambassadeur international du jazz le plus
indiscutable dans ses ingrédients. On débute par une séance de 4 titres pour
RCA, versions différentes de thèmes joués dans le film A Star is Born.
Les deux meilleurs sont «Please Stop Playing Those Blues» et surtout «A Song was
Born» (le drive foudroyant de Louis à la trompette prouve qu'il n'était pas
l'instrumentiste fini que voulaient faire croire les tenants du progressisme).
Bien sûr le maître est en train de roder une stratégie de concert et une
routine de répertoire illustrée par la retransmission depuis Carnegie Hall (le
15 novembre 1947) où après un indicatif (pour l'heure : la trompette massive de
Satchmo dans le blues, «Back O'Town Blues»), il y a les fameuses «spécialités»
des membres du groupe («Body and Soul» par Barney Bigard, «Stars Fell of
Alabama» par Mr Tea). La présence et puissance de Louis Armstrong balaye tout
dans «Rockin' Chair». L'éditeur a choisi de ne pas inclure l'intégralité de ce
concert pour ne pas faire trop de doublons (le but est pourtant celui de
l'intégrale). Cette réédition documente bien le retour triomphal de Louis
Armstrong en France, d'abord au Festival International de Jazz de Nice puis en
concert à Paris. Double indispensabilité donc, puisque, outre la splendeur de
Louis Armstrong bien entouré, ces documents sonores immortalisent (pour ceux
qui s'y intéressent encore) une manifestation nouvelle en jazz, promise (on ne
le sait pas encore) à un avenir (qui contribuera à la perte du genre par buts
trop lucratifs) : le festival de jazz, célébration sur plusieurs jours. Nous
sommes donc de plein pied dans l'histoire. Michel de Bry et Paul Gilson se sont
occupés de la Radiodiffusion Française, Paris-Inter, Poste Parisien et autres
(BBC, Radio Monte-Carlo, RTB, des radios suisses, scandinaves, tchèques,
d'Autriche et Hongrie), ce qui permit de préserver des moments essentiels de
l'évènement. Hugues Panassié fut chargé de la programmation et pour lui, Louis
Armstrong s'imposait (à juste titre) pour une manifestation de ce genre. En
dehors des salons de l'hôtel Negresco pour la finale, Nice a mis à disposition
l'Opéra et le Casino. La fin du CD1 aborde le «Gala Constellation 48»
(référence à l'avion, fleuron d'Air France, partenaire du festival) donné par
le All-Stars redevenu Hot Five, à l'Opéra, le 22 février 1948. Louis Armstrong
est étourdissant de puissance dans «Rockin' Chair». Des «spécialités» encore
comme ce remarquable «Boogie Woogie on the St. Louis Blues» par Earl Hines et
Arvell Shaw très en forme, «Rose Room» par Barney Bigard, modèle de sonorité de
clarinette, et Sid Catlett. Le CD2 débute par le désormais incontournable
indicatif, mais ici joué en entier, «When It's Sleepy Time Down South» et un
problème technique de prise de son (la trompette de Louis est impériale et
généreuse!). La qualité de son est inégale d'un titre à l'autre, par exemple le
23, entre «Mahogany Hall Stomp» (Louis repend avec classe son solo historique
avec note tenue) et «Royal Garden Blues», mais il est hors de question de
chipoter l'histoire, on s'incline! Tout le groupe est en forme, galvanisé par
l'ambiance, donc tout est du jazz d'envergure. Le CD3 propose des extraits du
concert du 2 mars à Paris retransmis par Paris-Inter (à noter la note loupée de
Louis dans «Dear Old Southland», rendant le génie humain). A suivre.
A Little 3/4 Time for
God & Co, Vacushna, I Am Love, Everything Happens to Me, The Truth, Little
Girl Blue, They Can't Take That Away from Me, Vacushna (Reprise), How High the
Moon, I'll Take Romance, Unidentified, Out of This World, Oh Them Golden
Gaters, Red Sails in the Sunset, Someone Stole My Chitlings, Deed I Do, Dorene
Don't Cry, Come on and Get That Church Les McCann (p), Herbie
Lewis (b), Ron Jefferson (dm) Enregistré le 28
juillet 1961, Paris Durée: 2h 07' 19’’ Frémeaux &
Associés 5635 (Socadisc)
Les McCann (né en 1935)
qui a débuté au tuba dans une fanfare, est vite devenu à partir de 1958 un
pianiste populaire à la tête d'un trio porté par la mode dite «funky» et «soul»
en réaction à la précédente dite «cool». On disait aussi «churchy»
à l'époque (le dernier titre est explicite : «Come on and Get That Church»).
Comme le rappelle le livret, ce trio fut la «révélation» du deuxième festival
d'Antibes, en juillet 1961, peu de temps avant cet enregistrement réalisé en
club, au Caméléon. L'ambiance en club est bien présente ici, avec la tendance
qu'on y trouve d'y faire durer le plaisir : un «How High the Moon» de 11'33» et
un «Out of This World» de 10'29» qui comptent parmi les bons moments de ce
double CD. Il est difficile de placer Les McCann au même niveau qu'un Bud
Powell, vedette du Blue Note, et d'un Memphis Slim, star des Trois Mailletz,
mais sa musique s'écoute sans déplaisir. Du «easy listening». McCann peut être low down et répétitif («A Little ¾ Time
for God & Co»), et il sait swinguer («Vacushna», «Oh Them Golden Gaters», «Someone
Stole My Chitlings»). Il n'est pas sans évoquer Ray Charles («The Truth») ou
Erroll Garner, non seulement par des grognements et un certain sentimentalisme
ici ou là (longue introduction à «Red Sails in the Sunset»). Les «fabricants de
musique» qui l'entourent sont louables : Ron Jefferson est notamment en valeur
dans «Unidentified», et Herbie Lewis dans «Out of This World» et «Deed I Do».
Le programme, comme souvent, alterne standards et compositions personnelles de
Les McCann. Un trio beaucoup plus concerné par le cœur du jazz que la quasi-totalité
des groupes actuels de ce type.
Hard Time Blues 1927-1960 Political and Social Blues Against Racism at the Origin of the Civil Rights Movement
Titres et personnels détaillés
dans le livret Enregistré entre le 17
décembre 1927 et le 5 octobre 1960, New York, Chicago, Oakland, Houston,
Aurora, Los Gatos, Los Angeles, Cincinnati, Detroit, Englewoods Cliffs Durée : 2h 08’ 58’’ Frémeaux &
Associés 5480 (Socadisc)
Partir d'un fait social
pour une compilation musicale donne des résultats aussi discutables
qu'hétérogènes comme Bruno Blum sait le faire pour le même label. Là, à
l'inverse, comme le genre musical est clairement circonscrit, le résultat
musical est homogène et cohérent. Le fil conducteur n'est qu'un prétexte à la
sélection des titres. Les paroles de blues ne sont pas les seules à véhiculer
la «contestation» puisque le «country (folk)» a milité aussi, ainsi
que la bonne chanson en général (on pense à Boris Vian). Les paroles de blues
sont bien plus diverses comme le livre Le Monde du Blues de Paul Oliver
(1962, Arthaud) le démontre, abordant tous les sujets (inondations, etc). Le
thème choisi n'était pas simple. A l'exception tardive de Lead Belly (qui cite
Bunk Johnson dans «Jim Craw Blues», 1944), Josh White, Sonny Terry qui
fréquentaient les chanteurs folk engagés (Woody Guthrie) soutenus par une
fraction blanche «libérale», puis Big Bill Broonzy («Black, Brown and White»)
et J.B. Lenoir, «aucun Noir ne se serait avisé de protester» (Paul Oliver).
Donc, la sélection faite pour illustrer ces «temps difficiles» n'est pas le commentaire
socio-politique auto-censuré (pour le disque), mais l'expression de ses
conséquences ressenties (discrimination – Jim Craw –, pays ingrat – Uncle Sam –,
chômage, prison, etc.) et de ses espoirs (Roosevelt). Les auteurs du livret,
Jean Buzelin et Jacques Demêtre, commencent par citer LeRoi Jones (peu
recommandable comme la nécrologie de Jazz Hot l'a démontré): «Le blues...c'est en premier lieu une forme
poétique et en second lieu une façon de créer de la musique». Pour le
signataire le premier rôle du blues est celui présenté comme second : musical.
Et de ce point de vue, ce coffret est un régal. Outre ce que nous avons cité,
signalons : «Uncle Sam Says» (guitare de Josh White), «Uncle Sam Came And Get
It» (Sammy Price, p!), «The Number of Mine» (pianiste et la basse de Ransom
Knowling), «Cell no13 Blues» (Big Maceo, p, Buster Bennett, as), «County Jail
Blues» (Tampa Red, g), «I'm Prison Bound» (Lowell Fulson, g/voc), «Penitentiary
Blues» (Lightnin' Hopkins, g,voc), «Jim Crow Train» (Sonny Greer, dm), «Back-Water
Blues» (Bessie Smith), «Florida Hurricane» (Sunnyland Slim, p, Muddy Waters,
g), «Don't Take Away My PWA» (Horace Malcolm, p), «Walfare Store Blues» (Joshua
Altheimer, p), «Back to Korea Blues» (Sunnyland Slim, p), «President's Blues»
(J.T. Brown, ts, Sammy Price, p!), «The World Is In A Tangle» (Ernest Cotton,
ts), «The Big Race» (Memphis Slim, p), les trois titres par Champion Jack
Dupree (dont «Warehouse Man Blues» avec un très bon bassiste), plus encore «Crazy
World» (Julia Lee, p/voc, Baby Lovette, dm avec Vic Dickenson et Benny Carter
en duo de trombone!) et ««Hard Time Blues» (Edmond Hall, cl, J.C. Higginbotham,
tb, Hot Lips Page, tp)! Choix arbitraires car tout est bon.
Jolie
Môme, Elle ou moi, Madame rêve, Eu sei que tu amar, Allée des
brouillards, Before the Dawn, Oralice, Both Sides Now, C’était
bien, A bout de souffle, But not for Me, Encore, 13 septembre
Virginie
Teychené (voc), Stéphane Bernard (p), Gérard Maurin (b, g),
Jean-Pierre Arnaud (dm), Olivier Ker Ourio (hca) Enregistré
en décembre 2014, Pompignan (30) Durée:
53’ 10’’ Jazz
Village 570081 (Harmonia Mundi)
Virginie
Teychené s’attaque avec bonheur à un répertoire de chansons;
gageure comportant toujours le risque de s’engluer dans une
interprétation «variété». Mais le pari gagné car ces chansons
reprennent vie, deviennent autres par la grâce de la chanteuse et
les arrangements du tandem Maurin-Bernard. Virginie chante d'ailleurs
à la perfection en brésilien et en anglais. Voyons
d'abord les chansons françaises. Sur «Jolie môme» de Ferré elle
démarre seule, et là on peut goûter la pureté, la tendresse de sa
voix, la délicatesse du vibrato, la perfection de la diction, et des
inflexions dont elle a le secret, et qui amènent tout naturellement
la chanson au jazz. «Madame rêve» du regretté Bashung nous emmène
effectivement dans un rêve éveillé, et l’harmonica de Ker Ourio
fait merveille; il est certainement le plus grand harmoniciste
d’aujourd’hui. Dans «Allée des brouillards» de Nougaro et
Galliano elle se promène dans cette allée précédent un somptueux
solo de Ker Ourio, avant de revenir au tableau. Un formidable «A
bout de souffle» écrit par Nougaro sur le «Blue Rondo a la Turk»
de Brubeck. Virginie s’en sort avec une apparente facilité, chaque
syllabe éclate, avec entre autres un magnifique contrechant main
gauche du pianiste et une riche partie de contrebasse. «C’était
bien» le petit bal perdu de Bourvil; Virginie nous fait oublier, ou
plutôt non, son chant se superpose à la douce nostalgie de la voix
de Bourvil dans notre mémoire. Tant de tendresse et de saudade
et puis le solo d’harmonica. La chanson est devenue une valse-jazz,
un chef d’œuvre. Le «Septembre» de Barbara, toute la douceur de
l’automne teinté de regrets s’avance par l’harmonica seule,
puis juste la chanteuse et la contrebasse qui s’enrichit d’un
contrechant de l’harmonica: on est dans le sublime. Le morceau
respire le bonheur malgré l’adieu à l’amour qui s’en va, car
on sait qu’il reviendra. En français encore «Elle ou moi» de
Gérard Maurin et Marcus Malte, un joli texte avec un beau travail du
batteur sur un rythme latino, et un arrangement aux petits oignons.
«Encore» qui donne son titre au disque, de Virginie Teychené et
Gérard Maurin voit celui-ci à la guitare dans une belle intro sur
tempo médium lent avec le piano. Entendre comment Virginie tient la
note, chose qui se perd chez les chanteuses aujourd’hui. L’hiver
peut bien venir dit la chanson, oui, avec une telle musique on sera
au chaud. Les
deux titres en brésilien «Eu sei que tu amar» de Moraes et Jobim
avec intro guitare-harmonica est une bossa de la meilleure tradition
avec le charme caressant de la voix; «Doralice» d’Almeida et
Caymmi est une samba prise vocal batterie, du pur brésilien, un
bijou. «Before the Dawn», en anglais, de Bernard et Teychené nous
vaut une longue et splendide introduction du piano très Chopin où
prévaut la délicatesse et le romantisme du pianiste, puis la
chanteuse se mêle au piano: émotion garantie. Le standard des
frères Gershwin «But not for Me» repose sur une belle partie
basse-batterie sans piano. C’est le seul morceau vraiment scatté;
Viriginie passe de l’aigu au grave avec une rapidité et une
facilité confondantes, en fait elle chante comme si elle jouait du
saxophone, avec une décontraction à la Sinatra. Du
grand jazz.
Adrien
Varachaud (ts,ss), Rasul Siddik (tp), Tom McClung (p), Harry Swift
(b), Jean-Charles Dejoie (dm) Enregistré
les 2 et 3 décembre 2014, lieu non précisé Durée: 58’ 02’’ Autoproduit (jcdejoie@aol.com)
On
a affaire ici avec cinq musiciens de diverses nationalités mais qui
tous se produisent souvent en France et ont déjà joué les uns avec
les autres, et avec les meilleurs jazzmen qui passent par Paris. Ils
se sont réunis pour ce quintet très homogène d’essence hard bop.
McClung qui fut marqué par Monk et Ellington a fait une forte
impression an 2015 avec son disque Burning
Bright. C’est un réel
plaisir de le retrouver dans le partage avec ses quatre compagnons.
Il faut l’écouter sur «Spirit» en tempo médium, où l’on
entend qu’il a assimilé toute l’histoire du piano jazz. Rasul
Siddick a joué avec David Murray, Lester Bowie, Christian Brazier et
autres pointures. C’est un trompettiste volubile avec des attaques
au scalpel; il aime à parcourir toute la tessiture avec un son
«écrasé» très pur faisant preuve de beaux développements comme
par exemple sur «Silver»; probablement un hommage au célèbre
pianiste. D’ailleurs, le quintet sonne très Horace Silver dans les
arrangements, pour les expositions et les finals. Adrien Varachaud
est très mordant au ténor, assez dans la tradition des ténors
ellingtoniens pour le fond. On peut admirer des growls
impressionnants dans le grave du ténor sur «To B or not to B».
L’Anglais Harry Swift est venu à la contrebasse par Mingus; il est
le piler du groupe de Bobby Few. Il met en place le groupe avec un
accompagnement discret dans une bonne entente avec le batteur. Un
bon quintet dont la prestation repose sur des thèmes écrits par les
musiciens, avec de longs solos, encadrés par des arrangements qui
donnent un véritable son de groupe.
You Fly
Around My Skin, Quand se dévoile l’abîme où veut mon cœur t’emprisonner, The
Most Beautiful Day of Our Life Could Be Now, L’Etrange réunion, Les Mains dans
les poches, La Parisienne, Pirate Dominique
Fitte-Duval (ss), Benoît Martin (key), Yoann Godefroy (b), Jean-Baptiste Palies
(b) Enregistré en
2015, Paris Durée:
1h 15’ BBO JAZZ 0002
(dominiquefitteduval.com)
Le
saxophoniste Dominique Fitte-Duval est venu assez tard au jazz, jouant du sax
ténor en autodidacte; il étudie sérieusement la musique à 37 ans, en
1996, suit un cursus d’instrument, orchestre et arrangement à L’ARPEJ, tout en
jouant dans les clubs.En 1999, il lance
une jam session hebdomadaire au club Les 7 Lézards, qui devient un concert à
part entière. Deux ans plus tard, il crée le Big Bœuf Orchestra. En avril 2004,
il crée l'association BBO JAZZ, reprenant les initiales de son orchestre, en en
changeant le sens, lequel devient le Le
Bien Bel Orchestra. En 2005, il enregistre Night Harmony en grand orchestre avec vingt-deux musiciens. Et le
voici à la tête de son quartet. Au soprano,
il a un son droit, sans vibrato, tirant vers le hautbois; un jeu sobre,
sur toute la tessiture, sans effets ni envolées gratuites. Avance par petites
phrases qui s’enchaînent dans la poursuite du discours, soutenu par une
inspiration solide. Sur des tempos médium-rapides pour la plupart des morceaux.
«The Most Beautiful Day…» ou encore «La Parisienne» sont
assez emblématiques de ses qualités de saxophoniste et de
compositeur-arrangeur, avec de beaux enchevêtrementssax-clavier. Le pianiste
s’exprime avec un jeu élégant et riche harmoniquement. Le contrebassiste
possède un gros son avec attaques canon, il assoit le groupe de belle façon, si
bien que les trois autres n’ont qu’à se laisser porter. Le batteur, d’un grand
classicisme, connaît parfaitement son affaire, discret et efficace, toujours là
où il faut. Certes rien
de révolutionnaire. On a affaire avec un jazz parfaitement dans la tradition et
bien d’aujourd’hui, en ce sens que les musiciens s’expriment avec les canons de
la modernité, sur des arrangements solides qui leur permettent de s’exprimer,
d’aller au bout de leur chant en longs solos, dans une mise en place parfaite.
Ma ion, Pouki Pouki, O grande amor, Neige, Lulea’s Sunset,
Full Moon in K., Vertiges, Body and Soul, Birsay, Time to Say Goodbye Airelle Besson (tp), Nelson Veras (g) Enregistré en 2014, Arles (13) Durée: 47’ 47’’ Naïve 624911 (Naïve)
Airelle Besson Radio One
Radio One, All I Want, The Painter and the Boxer, La
Galactée, Around the World, Candy Parties, No Time to Think, People’s Throughs,
Titi Airelle Besson (tp), Isabel Sörling, Benjamin Moussay (p,
key), Fabrice Moreau (dm) Enregistré en 2015, Pernes-les-Fontaines (84) Durée: 52’ 55’’ Naïve 625911 (Naïve) Ceux qui ne la connaissent pas encore, pourront découvrir
Airelle Besson dans ce Jazz Hot n°676:
une musicienne de formation académique mais au parcours éclectique, ce qui
l’amène, selon les occasions, à fréquenter avec le même talent le jazz comme
des univers musicaux plus personnels. Alors qu’elle présente un nouveau disque en quartet, Radio One, revenons d’abord sur le précédent
opus, Prélude, en duo avec Nelson
Veras, lequel avait échappé à nos radars. Comme Airelle Besson l’explique, ce
disque est le produit d’une longue collaboration avec le guitariste brésilien
et cette complicité s’entend. Le souffle sensible d’Airelle s’accorde joliment
aux cordes délicates de son alter ego. Une douce poésie traverse cet album – à
l’ambiance de musique de chambre –, dominé par les compositions de la
trompettiste (Veras signant «Vertiges»), dont la plus marquante est
«Neige», qui se distingue de l’ensemble par sa densité. Le seul
standard abordé, «Body and Soul», confirme que le duo sait mettre
ses qualités, et notamment sa grande finesse musicale, au service du jazz et de
son patrimoine. Le principal reproche qu’on puisse faire à ce disque – valable
également pour le suivant – est l’absence de notes de pochette. L’élégance de
l’objet n’est pas tout… Cinquième
album en leader d’Airelle Besson, Radio
One plante un univers très éloigné de Prélude.
La formation est bien entendu différente mais c’est surtout la musique (dont la
trompettiste est encore l’auteur) qui change de nature et rompt avec l’idiome
du jazz. Le traitement électrique (le Fender Rhodes de Benjamin Moussay) comme
les psalmodies d’Isabel Sörling amènent une sophistication quelque peu
artificielle. Certains titres ont un caractère méditatif («Around the
World»), d’autres sont plus rythmés («Radio One»), mais
l’ensemble aboutit à un discours musical impressionniste, parfois déconcertant.
Il correspond en tous cas bien aux conceptions défendues par la trompettiste,
définissant le jazz d’abord par l’improvisation (et non par le rythme) et le
souhaitant ouvert aux influences les plus diverses (plutôt qu’enraciné).
Volga Boatmen, Naked City, Minor Moods, You’re Blase, The
Breeze and I, Time on My Hands, Autumn Leaves, Ahmad’s Blues, The Party’s Over,
Poinciana Cecil L. Recchia (voc), Vincent Bourgeyx (p), Manuel
Marches (b), David Grebil (dm) Enregistré en juin 2013, Le Pré-Saint-Gervais (93) Durée: 41’ 36’’ Black & Blue 804.2 (Socadisc)
Si un album-hommage à Ahmad Jamal est un projet naturel et
légitime pour un pianiste, il est plus inattendu et audacieux de la part d’une
chanteuse. C’est une sacrée bonne idée au vu du résultat, et c’est surtout se
souvenir de ce beau disque chez Cadet, Ahmad
Jamal With Voices (1967). Sans l’avoir entendue en live, ce qu’on ne
manquera pas de faire le plus tôt, on peut donc déjà mettre au crédit de Cecil
L. Recchia l’originalité du choix et la curiosité culturelle. Elle a de plus posé des paroles sur des thèmes composés par le maestro et
reprend également des standards ou traditionnels («Volga Boatmen») qu’Ahmad
Jamal a immortalisé à sa façon si particulière. Le livret, sans notes de pochettes (paroles de quelques
morceaux), c’est dommage pour un premier disque, ne nous apprend rien de la
jeune femme. Sur la toile, on apprend que la littérature américaine l’a
conduite au jazz, confirmant la curiosité dont nous parlions, et qu’elle a
étudié au CIM, à Paris, dont elle est originaire, qu’elle a monté son
premier quartet en 2007. Deux ans plus tard, elle a participé à une série de
concerts qui ont abouti sur le disque collégial Jazz à la récré (EMI). Enfin, Cecil L. Recchia, qui a suivi des
master-classes avec Michele Hendricks et Barry Harris, est professeur de jazz
vocal, ce qui suppose déjà une maîtrise certaine de cet art. Dotée d’une jolie diction, d’une voie expressive et
nuancée, d’un swing indéniable, elle s’est également parfaitement appropriée la
musique d’Ahmad Jamal, comme interprète et comme arrangeuse, partageant la
direction artistique du disque avec David Grebil. Il est à noter que le trio
qui l’accompagne est dans l’esprit, notamment Vincent Bourgeyx qui a la
délicate mission de prendre place au piano pour évoquer un Maître. On apprécie bien sûr ce «Volga Boatmen» qui rappelle le
Ahmad Jamal historique de 1956, y compris dans le tempo et la manière de
Bourgeyx, mais le disque dans son ensemble fait référence aux interprétations
du grand artiste, avec un respect certain des tempos, de l’esprit des
interprétations d’origine. Bien entendu, il n’y a pas lieu de comparer (bien
que ce soit nécessaire à la chronique), mais de chercher ce qui est original et
bien approprié. L’original, c’est la voix et le projet en lui-même, et le
mérite est d’exploiter un si beau répertoire pour lui redonner une vie somme
toute très agréable. Voilà donc un premier album de bon goût et d’une évidente maîtrise.
Cecil L. Recchia n’est pas pour l’instant un projet marketing mais une
musicienne de jazz. On apprécie!
Muddy Waters The Blues. Vol. 2. King of the Chicago Blues 1951-1961
CD1: Long
Distance Call, Too young too Know, Honey Bee,Howlin’ Wolf, Country Boy, She Moves Me, My fault, Still a Food, They
Call Me Muddy Waters, All Night Long, Stuff You Gotta Watch, Lonesome Day,Please Have Mercy, Who’s Gonna Be Your Sweet
man, Sytanding Around Crying, Gone to Main Street, Iodine in my Coffee, Flood,
My Life Is Ruined, Sad Sad day. CD2:Baby Please Don’t Go, Blow Wind Blow, Mad
Love, (I’m Your) Hoochie Coochie Man, I Just Want to Make Love With You, I’m
Ready, Smokestack Lightning, Mannish Boy, I Got to Find my Baby, Sugar Sweet,
Trouble No More, Forty Days and Forty Nights, All Aboard, Got my Mojo Working,
Evil, She’s 19 Years Old, Close to You, Walking Thru the Park, Blues Before
Sunrise, Mean Mistreater CD3:Crawling Kingsnake, Hey Hey, Lonesome Road
Blues, Southbound Train,Just a Dream, I
Feel so Good, Woman Wanted, I’m Your Doctor, Deep Down in my Heart, Meanest
Woman, I Got my Brand on You, Soon Forgotten, Tiger in Your Tank, I Feel so
Good, Got my Mojo Working, Rock Me, Blow Wind, Blow, Real Love, LOnesome Room
Blues, Messin’ with the Man Muddy Waters (g, voc),
Little Walter (hca, g), Junior Wells (hca), Big Walter Horton (hca), James
Cotton (hca), Otis Spann (p), Jimmy Rogers (g), Hubert Sumlim (g), Pat Hare
(g), Robert Jr. Lockwood (g), Luther Tucker (g), M.T. Murphy (g), Big Crawford
(b), Willie Dixon (b), Andrew Stephen (b), Milton rector (b),Len Chess (dm), Elgin Evans (dm), Willie Nix
(dm), Fred Below (dm), Francis Clay (dm), S.P. Leary (dm),George Hunter (dm), Al Duncan (dm), Marcus
Johnson (ts), Dates et lieux
d’enregistrement précisés dans le livret Durée:1h02’ 07’’ + 57’ 49’’ + 1h 05’ 10’’ Frémeaux &
Associés 273 (Socadisc)
Sous la direction de Gérard Herzhaft et Patrick Frémeaux, la
maison Frémeaux & Associés poursuit son œuvre encyclopédique en proposant un
second volume consacré à Muddy Waters, accompagné d’un livret de vingt-quatre
pages. Le premier volume retraçait la période 1941-1950 et la première partie
de la carrière de McKinley Morganfield,évoquant la plantation de Stovall, sa rencontre avec Alan
Lomax jusqu’à son arrivée à Chicago et sa rencontre avec les frères Chess et
leur label «Aristocrat». A cette époque, le format guitare, basse,
batterie et harmonica était déjà bien installé. Avec l’électrification de sa
guitare, Muddy Waters mettait le Chicago blues en route. En agrégeant le piano
à son combo, il constituait la matrice de
sa forme d’expression. C’est en 1951 qu’apparaît Otis Spann (p) dans le paysage
sonore de Muddy Waters. Le premier CD de ce nouveau volume expose ainsi le
travail de l’ancien fermier avant l’arrivée du pianiste. Les quatre premiers
titres présentent le trio organisé autour de la guitare avec Little Walter à
l’harmonica et Big Crawford (b). Le blues du Delta que produit alors Muddy
prend grandement appui sur la dextérité de l’harmoniciste et intègre enfin le Top Ten des meilleures ventes de blues
(«Long Distance Call»,«Honey Bee»).Il poursuit dans la voie du succès avec
«She Moves Me», un morceau qui n’a pas perdu de sa saveur
intrinsèque. Au cours de cette période, la guitare de Waters brûle de plus en
plus de distorsion pour évoquer ses passions au rang desquelles celui des
femmes («Still a Fool»). C’est le moment où apparaît aussi Junior
Wells (hca) qui succède à Little Walter après que celui-ci a lâché le groupe
pour une carrière solo. C’est donc sur le deuxième CD que nous retrouvons Otis Spann
quiapporte une nouvelle énergie au
groupe. Il permet au maître du blues de Chicago d’élargir son audience. Une
autre rencontre accélère le succès du King of Blues, c’est celle avec Willie
Dixon. Elle a lieu au club Zanzibar lors d’une répétition dans les toilettes
pour ce qui allait devenirun des titre
les plus dévastateurs de l’histoire de la musique dans son
ensemble(«Hoochie Coochie Man»). Les chansons créées à cette
époque ont marqué les musiciens du British Blues, comme les Rolling Stones,
Fleetwood Mac, Chiken Shack («Mannish Boy», «I’m
Ready») et même au-delà comme les Doors («I Just Want to Make Love
to You»). La complicité entre le pianiste et Muddy se développe aussi
avec les guitaristes Jimmy Rogers, puis Hubert Sumlim («Trouble no
More»). C’est encore le chanteur natif du Mississippi qui va faire éclore
un autre harmoniciste en la personne de James Cotton («Close to
You»). A cette époque, Muddy Waters effectue sa première tournée en
Angleterre avec les conséquences que cela va avoir sur de nombreux musiciens du
Royaume Uni.Le troisième CD correspond un peuau chant du cygne de cette période avec des
titres qui n’obtiennent pas le succès des morceaux précédents («I’m Your
Doctor», «Woman Wanted»). C’est aussi l’ère d’un changement
de public avec la passion des étudiants blancs et des vieux fans de jazz qui
redécouvrent l’essence du blues. Il ne reste plus qu’à l’amateur de musique en
général et de blues en particulier à attendre la livraison d’un troisième volume
sur la vie de Muddy.
James Burton / Amos Garrett / Albert Lee / David Wicox Guitar Heroes
That’s All Right
(Mama), Susie Q, Sleep Walk, You’re The One, Comin’ Home Baby, Flip, Flop and
Fly, Only the Young, Polk Salad Annie, Bad Apple, Country Boy James Burton, Albert
Lee, Amos Garrett, David Wilcox (g), John Greathouse (key, voc), Will Mac
Gregor (b), Jason Harrison Smith (dm) Enregistré le 12
juillet 2013, Vancouver Island (Canada) Durée: 1h 02’ 01’’ Dixiefrog 8774 (Harmonia
Mundi)
Un petit album hors des sentiers du jazz, mais qui comprend
des guitaristes de qualité. James Burton a officié aux côtés de Rickie Nelson,
Elvis Presley, Emmylou Harris ou Gram Parsons. Albert Lee a accompagné Eric
Clapton et les Everly Brothers,Amos
Garrett Bonnie Raitt et Paul Butterfly, enfin David Wilcoxa joué avec Maria Muldaur et de nombreux
artistes canadiens. L’album, capté live lors du festival de Vancouver Island se
concentre donc sur la guitare et les enchevêtrements des quatre musiciens sont
du plus bel effet. «You’re the One». Le jeu tout en slide d’Amos Garrett sur «Sleep
Walk» est particulièrement délicieux, «Only The Young» d’une
pureté incroyable et «Comin’ Home Baby» un moment revigorant qui
reprend bien cet esprit des sixties. Les autres morceaux sont plus dans une
veine plus country blues, quand ça n’est pas purement country avec une mention
particulière pour «Polk Salad Annie» du grand Tony Joe White. Un
albumd’une grande qualité artistique
qui fera le bonheur des fans de la six cordes.
Time to Move,
Bullfrog, She Loves Me, Mississippi John, Some Say,Time, Dead End Road, Would Ya Look at That Xar,
Like a Sunny Day, New Zealand, Miss Dorothy Lee, Mama’s Words, We’re Ready,
Daisy Big Daddy Wilson (voc,
fingersnaps), Eric Bibb (bjo, g, b, voc) + personnel détaillé sur la pochette Date et lieu
d’enregistrement non précisés Durée: 51’34’’ Dixiefrog 8775
(Harmonia Mundi)
Avec Big Daddy Wilson nous nous trouvons en présence d’un ardent
défenseur du blues dit rural. Quand, en plus Eric Bibb se joint au projet, le
doute n’est plus permis. Time est un
album de blues apaisant, entièrement acoustique, rondement mené par Big Daddy
et sa voix profonde comme une entaille dans la terre du Deep South.Il est accompagné par les habituels
partenaires suédois d’Eric Bibb (Staffan Astner, Olli Haavisto, Petri Hakala,
elg), son ami de dix ans. En ce sens, pas de fioritures ni d’excès dans
l’expression. Comme on peut l’entendre dans le délicat «Mama’s
Words». Une douce ballade qui évoque une mère d’une voix feutrée
agréablement soutenue par Ulrika Ponté. «Like a Sunny Day», se
positionne dans une veine plus énergétique, avec le soutien de Bibb à la
guitare acoustique et Astner sur l’électrique. Les chœurs donnent à la
composition une couleur très seventies
dans l’esprit gospel qui lui colle si bien. C’est donc en fin de partie, avec
New Zealand» et «Miss Dorothy Lee»,que les décibels augmentent, toujours par la
magie des phrases du guitariste suédois. Big Daddy et son ami Bibb nous offrent
ainsi une belle virée dans le pays de «Mississippi John».
Kokomo Kidd*, Whish I
Hadn’t Stayed Away So Long, Talking Just a Little Bit of Time, She Just Wants
to Be Loved, Like Sonny Did, Lay Lady Lay, Little Red Rooster°, Maybe I’ll Go,
Blackberry Kisses, Have You Ever Loved Two Woman°°, Cool Drink of Water,
Bumblebee Blues, Wear Your Love Like Heaven Guy Davis (voc, g,
bjo, hca, perc, key), Professor Louie (org, p), John Platania (g), Mark Murphy
(b, cello), Gary Burke (dm), Chris James (mandolin, g) Davis Helper, Miss Marie
Spinosa, Audrey Martells, Zhana Roiya (voc), Charlie Musselwhite (hca)°,
Fabrizio Poggi (hca )°°, Ben Jaffe (tuba)* Enregistré à Hurley
(New York) Durée: 1h 01’ 55’’ Dixiefrog 8779
(Harmonia Mundi)
Guy Davis n’est pas un débutant. A 63 ans, il possède déjà
une bonne dizaine d’albums au compteur. Ce bluesman dans l’âme continue de
perpétuer la musique de ses glorieux aînés. Il opte pour une veine plus
acoustique qu’électrique en usant de banjo, guitare et harmonica mais les
instruments électriques ne lui déplaisent pas non plus. Ainsi sur Kokomo Kidd, on entend aussi bien
l’orgue Hammond de Professor Louie, que la guitare électrique de Chris James ou
John Platania. En parlant de ses partenaires, il est bon de préciser que
l’organiste fut membre de The Bandqui
accompagnât Dylan en son temps. John Platania pour sa part, s’est fait la main
aux côtés de Van Morrison pendant une longue période, il est notamment présent
sur les albums Astral Weeks et Moondance. Ces deux informations donnent
un éclairage précis sur le contenu de cet album. Que ce soit à la guitare ou au
banjo, Guy Davisnous plonge au cœur du
blues. Ses références portent sur Howlin’ Wolf, Mississippi John Hurt,Willie Dixon ou Sonny Terry. La couleur de
l’album est très rurale, même sur des chansons pop-rock comme le très beau
«Lay Lady Lay» de Dylan.L’artiste bénéfice de deux guests
sur l’album et notamment Charlie Musselwhite («Little Red
Rooster»), le grand moment de cet album.Fabrizio Poggi (hca), se fait entendre surun titre original «Have You Ever Loved
Two Women» où il reste bien dans l’esprit des Sonny: Terry et Boy
Williamson. «She Just Want to Be Loved» avec orgue et chœurs
constitue l’autre moment agréable de l’opus du bluesman deNew York. Sa voix évoque Elliott Murphy, qui
s’exprime lui aussi avantageusement dans ce registre. Enfin, sa reprisede Donovan, aux accents reggae, termine de
nous convaincre de la qualité de son expression artistique («Wear Your
Love Like Heaven»). Guy Davis un artiste qui plonge dans ses racines et
qui n’a pas peur de rafraîchir son idiome. Pour info, le bluesman sera en
concert en France au mois d’août.
In a Mist,
Five, Buddy Bolden Blues, Here Comes The Band, Zutty's Memories, Bethena, Bush
Street Scramble, Russian Rag, Wrap Your Troubles In Dreams, Dark Eyes Jérôme Gatius
(cl), Didier Datcharry (p), Guillaume Nouaux (dm) Enregistré les
29-30 janvier 2016 (77) Durée: 40’ 49’’
Enregistré les 29-30 janvier 2016, Soignolles-en-Brie (77) Autoproduit GN2016
(www.guillaumenouaux.com)
Michel Laplace vous a déjà parlé des réussites discographiques récentes
du clarinettiste Jérôme Gatius (Echoes of Spring en duo avec Alain
Barrabès, p) et de l'incontournable Guillaume Nouaux en trio (La Section
Rythmique avec David Blenkhorn et Sébastien Girardot): la rencontre de ces
deux-là pour un nouvel opus, Here Comes The Band ne pouvait être que du
même niveau. Avec la complicité pour compléter le «Band» de Didier Datcharry,
pianiste (bien connu grâce aux frères Chéron), Gatius et Nouaux nous donnent un
voyage musical où la qualité d'interprétation n'a d'égal que l'originalité du
répertoire choisi. «In a Mist» débute le CD, avec un piano bixien à souhait,
puis l'inattendu et joli vibraphone de Guillaume Nouaux avant d'évoquer
Wilson-Hampton-Goodman grâce à la contribution de Jérôme Gatius. Inutile de préciser la «modernité» de
Bix qui vaut celle du Bill Evans de «Five» qui suit et où notre clarinettiste
n'est pas sans nous évoquer Buddy de Franco. Gatius nous avait déjà servi une
composition de Willie The Lion Smith («Echoes of Spring»), en voici une autre, « Here
Comes the Band» et Didier Datcharry démontre sa maîtrise du sujet. Remontant dans
le temps, nous redécouvrons «Bethena» de Scott Joplin (avec le vibraphone de
Guillaume) ; le classic rag ayant beaucoup
pris à la musique dite «classique» occidentale, ceci explique le style polissé
adopté par nos trois artistes. Et Guillaume Nouaux? Toujours l'égal de Gene
Krupa («Dark Eyes») et de Zutty Singleton («Zutty's Memories»). Dans le monde
musical d'aujourd'hui, ce CD est d'une fraîche "indispensabilité".
Daniel Bechet & Olivier Franc Quintet Sidney Bechet, ses plus grands succès
New J.B.,
Jacqueline, Montmartre Boogie Woogie, Sweet Louisiana/I'll Be Proud of You,
Jojo, Buddy Bolden Stomp, Si tu vois ma mère/as-tu le cafard, Madame Bécassine,
Wild Cat Blues, On the Sunny Side of the Street, Anitra's Dance, Song of Songs,
Dans les rues d'Antibes, Summertime, Drums Fantasy, Petite Fleur, Sidney's
Wedding Day, Les Oignons Daniel Bechet
(dm), Olivier Franc (ss), Benoît de Flamesnil (tb), Jean-Baptiste Franc (p),
Gilles Chevaucherie (b) Enregistré à Draveil
(91) Durée: 1h12’
33’’ Autoproduction
(bdfjazz@hotmail.com)
Cette autoproduction est à l'évidence destinée aux ventes d'après
concert et, n'en doutons pas, les admirateurs de ces prestations éphémères
seront heureux de garder ce souvenir. Il ne faut pas confondre ce CD avec celui
du même groupe, portant le même titre, Sidney Bechet, ses plus grands succès,
produit en février 2014 par Frémeaux & Associés et où figure sept titres
identiques. Le problème est un peu le répertoire déjà bien exploité, et il est
douteux que le jazzfan chevronné s'intéresse à une version de plus de «Petite
Fleur» ou «Dans les rues d'Antibes», aussi bien enregistrée fusse-t-elle.
Certes, l’amateur aura en mémoire la même heureuse instrumentation avec Sidney
Bechet et Vic Dickenson (tb) qui sont le fondement du style d'Olivier Franc et
Benoît de Flamesnil. On est surpris de trouver ce «New J.B.» (J.B. pour
Jean-Baptiste Franc, compositeur de ce bon thème-riff) au nombre des plus
grands succès du maître. Mais ce n'est pas le moins intéressant et comme tout
le monde y joue (très bien) en soliste c'est une bonne entrée en matière.
L'autre réussite est le thème-riff «Drums Fantasy» d'Olivier Franc où toute
l'équipe est en valeur en solo, notamment bien sûr Daniel Bechet. On écoutera
aussi les moindre succès de Sidney, mais pas moins plaisants : «Jacqueline»
(parfait pour la qualité lyrique d'Olivier Franc), «Montmartre Boogie Woogie»
(belle sonorité de Benoît de Flamesnil!) et «Sidney's Wedding Day» (bon solo en
slap de Chevaucherie). Bonne idée de
reprendre en Franc duo, «Song of Songs» (si délicatement enregistré en 1947 par
Sidney avec Lloyd Phillips et qu'il avait joué déjà en 1919 pour George V). Il
y a des imperfections («Sweet Louisiana/I'll Be Proud of You») ou du presque
hors sujet (très sympathique «Jojo» de Daniel Bechet en trio, d'esprit Pr
Longhair-James Booker...mais la très créole «Madame Bécassine» de Sidney annonce
ce gumbo; l'excellent piano stride à la Donald Lambert, en solo, sur «Anitra's
Dance» de Grieg... mais Sidney aimait «le classique»). A l'actif, il règne un
enthousiasme galvanisant dans tout le disque.
Coffret de 6 CDs (titres et personnels détaillés dans le livret)
CD1: Joe Castro’s Jam
Sessions/Abstract Candy
CD2: Joe Castro’s Friend/Falcon
Blues, Teddy Wilson’s Jam Sessions
CD3: Joe Castro’s Jam Sessions/Just
Joe
CD4: Joe Castro/Feeling the Blues, The
Quartet Sessions
CD5: Joe Castro Big Band, Reflection
CD6: Teddy Edwards Tentet/Angel City
Enregistré de l’été 1954 à Mai
1966, Beverly Hills/Los Angeles (Californie), Somerville (New
Jersey), Hollywood, Los Angeles (Californie)
Durée: 1h 08' 53'' + 1h 18' 20'' + 1h
06' 13'' + 1h 14' 15'' + 58' 25'' + 1h 01' 21''
Sunnyside 1391(www.sunnysiderecords.com)
A l’origine de ce projet
discographique, on ne peut plus original, il ne fallait pas moins que
le fils de Joe Castro lui-même, James Castro, et la curiosité
insatiable de Daniel Richard, ex-disquaire indépendant, puis
dépendant, puis ex-grand manitou du département jazz d’Universal
Jazz France et depuis donc toujours producteur de disques et de
bonnes idées réalisées avec une perfectionnisme qui dénote le
grand amateur de jazz qu’il est resté au fond.
L’histoire de Joseph Armand Joe
Castro (15 août 1927, Miami, Californie-13 décembre 2009, Las
Vegas, Nevada), excellent pianiste, né sur la Côte Ouest, est tout
sauf banale, et la restituer, à travers cette collection d’inédits
récupérés at home, ainsi que l’iconographie d’origine
familiale, rappelle que l’histoire du jazz s’est écrite de mille
façons, dont parfois les plus improbables, comme cette rencontre
romantique à Hawaï entre un pianiste qui s’y produisait, dont les
parents sont d’origine mexicaine, qui vit par et pour le jazz
depuis son plus jeune âge, et une riche héritière d’un empire du
tabac des Etats-Unis, Doris Duke, qui cherchait sans doute un sens à
sa vie, et qui le trouva, au moins dans cette belle histoire. Le
déroulement de leur vie ne pouvait être ordinaire, et, pour cette
fois encore, la poésie de l’une et de l’autre a été rendu
possible par l’aisance qu’apporta à leurs projets artistiques
l’empoisonnement de la collectivité. Tout n’est jamais
totalement négatif.
Tous ces disques ont été édités à
partir d’un matériel enregistré privé, conservé sans doute avec
soin, mais aussi patiemment choisi et retravaillé sur le plan
technique pour une belle mise en valeur, et il faut donc féliciter
James Castro qui a lui même effectué les transferts et les
restaurations. La proximité du son de ses sessions at home(il y a aussi des enregistrements studios), et quelle maison! (Falcon
Lair, où a été aménagé un véritable espace dédié à la
musique et au jazz, a été précédemment la résidence de Rudolph
Valentino) est un vrai bonheur, et ça s’entend même sur CD… Et
quand ce n’est pas Falcon Lair, c’est Duke’s Farm, dans le New
Jersey, et le cadre n’est pas moins exceptionnellement enchanteur.
Un rêve américain, celui d’une culture partagée, transposé dans
le jazz.
Quand on entend Oscar Pettiford, Leroy
Vinnegar, Teddy Wilson, Lucky Thompson, Zoot Sims, Stan Getz, Teddy
Edwards, Chico Hamilton, Billy Higgins, Buddy Collette, comme si on
était assis à un mètre, c’est exceptionnel! James Castro est
particulièrement à féliciter pour cette réussite sonore.
Le concept maison est bien entendu la
jam session, et il ne faut pas le regretter car il y a une vie et une
énergie sereine qu’on retrouve rarement hors de ce cadre, une
véritable joie de jouer. Il y a aussi dans ce matériel deux disques
(5 et 6) édités à partir du matériel non édité prévu pour le
label Clover Records, également créé par Doris Duke et Joe Castro
(il y eut également une maison d’édition musicale, Jodo). Une vie
mise véritablement en musique, avec la proximité des amis-invités,
les musiciens de jazz d’abord, au premier rang desquels Louis
Armstrong et Duke Ellington, avec une prédominance des musiciens de
la Côte Ouest (Teddy Edwards, Buddy Collette…).
Joe Castro possède un talent réel de
pianiste, dans l’esprit des grands classiques de ce temps quand on
écoute attentivement, d’Oscar Peterson à Ray Bryant en passant
par Erroll Garner, dans l’esprit de ces années cinquante si
fertiles en pianistes exceptionnels, c’est-à-dire avec un swing
évident, toujours la référence au blues. Le disque en big band,
dans l’esprit Basie, nouveau testament mâtiné de Côte Ouest,
arrangé par Joe Castro, définit assez bien son approche du jazz,
avec un exceptionnel Leroy Vinnegar. Les musiciens sont splendides
(Al Porcino, Conte Candoli, Frank Rosolino, Teddy Edwards…), et Joe
Castro y démontre le caractère explosif de son jeu de piano, une
belle technique (blocks chords en particulier) au service du
jazz et une volonté d’originalité sans esbroufe. Malgré toutes
ses qualités, Joe Castro n’a pas une grande discographie,
essentiellement chez Atlantic (Mood Jazz et Groovy Funk
Soul). Ses disques en leader sont rares, et il a joué tout au
long de sa vie, depuis l’âge de 15 ans, accompagnant souvent (June
Christy, Anita O’Day), aux côtés de Teddy Edwards (Sunset
Eyes, Pacific, Teddy’s Ready, Contemporary), puis plus
tard poursuivant une carrière d’accompagnateur à Las Vegas.
Ces six disques sont donc
particulièrement bienvenus pour nous rappeler cette belle histoire
du jazz que fut celle de Joe Castro, et pour nous donner à écouter
ces magnifiques enregistrements inédits, car en dehors de Joe
Castro, artiste généreux, lui-même à découvrir pour de nombreux
amateurs, il a été à l’origine, dans le cadre d’une histoire
très romantique, d’une belle aventure du jazz dont les
protagonistes sont essentiels au jazz, et dont chaque note compte.
Pour illustrer l’esprit de ce beau
coffret, on passera volontiers le «Sweet Georgia Brown», douzième
thème du disque 4 (Teddy Edwards, Joe Castro, Leroy Vinnegar, Billy
Higgins) ou le disque 3 pour la présence démesurée d’Oscar
Pettiford, mais comme on vous l’a dit, chaque disque mérite qu’on
s’y arrête.
Une petite idée en cas de réédition: une iconographie mieux traitée. Il y a sans doute de belles images à chercher chez CTS/Images dont les archives sont riches pour la Côte Ouest. Un petit mystère: ce coffret, intitulé
«Lush Life», ne propose pas de version de ce thème, pourtant
enregistré par Joe Castro pour Clover (331) en mars 1966, à notre
connaissance le dernier enregistrement en leader de Joe Castro.
John Coltrane A Love Supreme: The Complete Masters
Part I-Acknowledgement, Part
II-Resolution, Part III-Pursuance, Part IV-Psalm (alternate takes et
version live: 22 plages au total)
John Coltrane (ts), McCoy Tyner (p),
Jimmy Garrison (b), Elvin Jones (dm) + Archie Shepp (ts) et Art Davis
(b) sur 6 alternate takes du CD2 CD1 et CD2: enregistré le 9 décembre
1964 (Impulse! A-77 et alternate), Englewood Cliffs (New Jersey);
CD3: enregistré le 26 juillet 1965, Antibes-Juan-les-Pins Durée: 50' 32'' + 1h 03' 33'' + 49'
17'' Impulse! 0602547489470 (Universal)
L’un des albums les plus célèbres
et vendus du quartet de John Coltrane trouve ici une énième vie et
prolongement, qu’on espère intégral, des versions parues sur ce
label, avec les alternate takes de l’enregistrement studio,
y compris deux versions mono, et par ailleurs la version live
enregistrée au Festival d’Antibes/Juan-les-Pins de juillet 1965
(plus longue que la version studio), à l’origine éditée par
l’INA en 1987 (l’institut national de l’audiovisuel) en version
CD (Esoldun-INA FCD 106) et non pas en 2002 comme le note la partie
discographique d’un livret dû à Ashley Kane, le spécialiste
actuel de John Coltrane. Abondamment illustré, avec le texte
manuscrit du texte accordé par la succession John Coltrane, de
belles photos de Jean-Pierre Leloir, dont les archives sont en cours
de dispersion malheureusement, de Bob Thiele, de Rudy Van Gelder, et
peut-être d’autres… l’ensemble n’étant pas très
lisiblement crédité. C’est un objet original, contenant
trois disques dans un format DVD, dépliant. Notons pour la description que le
Festival International d’Antibes/Juan-les-Pins/Le Cap (à
l’époque), est rebaptisé improprement «festival mondial» sur le
livret, et que ce même jour, le quartet joua également
«Impressions» qui figure sur l’édition de l’INA de 1987, bien
que la voix d’André Francis, présentateur à demeure à Juan,
nous fait penser le contraire. Pour les amateurs qui possèdent le
Love Supreme édité ou réédité comme l’enregistrement de
l’INA, ils ont déjà l’essentiel. Les autres ont donc la chance
d’avoir une nouvelle édition enrichie de prises supplémentaires
et d’un livret correct bien illustré. Sur le quartet de légende, dans sa
composition classique (Tyner, Garrison, Jones), il faut noter que la
musique, pour être modale et incantatoire, n’en reste pas moins
très accessible, dans ce registre inspiré de la musique religieuse
afro-américaine qui est une clé essentielle de la compréhension du
quartet, avec cette puissance de la conviction autant que du souffle
du quartet. Pas seulement du saxophoniste, car les quatre musiciens
sont véritablement inspirés, puissants et lyriques, comme en état
de transe. C’est peut-être encore plus sensible à Antibes qu’en
studio. Le leader est bien entendu essentiel, mais le quartet est
vraiment en symbiose et au meilleur de son expression dans cette
période, avec une telle intensité que le public en est parfois
saisi autant que surpris, découvrant que le jazz n’est pas que
ludique. Avec le décalage du temps, la force de
cet enregistrement reste, mais ce qui étonne le plus est que cette
conviction a été possible à une époque, et on la retrouve aussi
dans d’autres disques d’un jazz plus «classique», dans le
blues, mais que cela paraisse presque impossible aujourd’hui dans
les cadres qui sont les nôtres, aussi bien dans nos festivals
normalisés et mondialisés que dans nos maisons de disques trop
rares et si peu aventureuses d’aujourd’hui.
Manhã De Carnaval, Take the 'A' Train,
You and the Night and the Music, Jazz Voyage, Body and Soul, Bright
Mississippi, Central Park West, Trane's Slow Blues, Infant Eyes, Joy
Spring, The Peacocks François Ripoche (ts), Alain
Jean-Marie (p) Enregistré le 1er juin
2014, Nantes (44) Durée: 47' 05''
Black & Blue 795 (Socadisc)
François Ripoche et Alain Jean-Marie
aiment les beaux standards et le choix fait pour cet enregistrement
est un all the best du jazz. Comme dirait Brassens: «il n’y
a rien à jeter, sur l’île déserte, etc.». Compte tenu des
excellents musiciens et de cette formule assez intimiste, cette
conversation propose un beau voyage dans un répertoire d’exception
mais aussi dans le jazz, car ces standards font référence à ce que
le jazz a de mieux (Brown et Roach, Coltrane, Monk, Getz et Barron,
Wayne Shorter, Ellington et Strayhorn, etc.), où les musiciens se
sont fait un plaisir, partagé avec les auditeurs sur cet
enregistrement. Il n’y a pas d’urgence dans cette musique, plutôt
une sorte de sérénité, de plénitude, de dialogue attentif, avec
une recherche d’authenticité jusque dans la méthode
d’enregistrement (prises cohérentes sans retouche ou montage). De
la musique de jazz pour le plaisir, comme le disait un célèbre
label.
Christian McBride Trio
Live at the Village Vanguard
Fried Pies, Band Introduction,
Interlude, Sand Dune, The Lady in My Life, Cherokee, Good Morning
Heartache, Down By The Riverside, Car Wash
Christian McBride (b), Christian sands
(p), Ulysses Owens Jr. (dm)
Enregistré les 12-14 octobre 2014, New
York
Durée: 1h 08' 29''
Mack Avenue 1099 (www.mackavenue.com)
Les lieux historiques du jazz, comme le
Vanguard, ont cet avantage indéniable d’inspirer les musiciens de
jazz, même les plus jeunes, et Christian Sands (22 mai 1989) est
aussi jeune que brillant à son piano («Interlude»), et il serait
injuste de ne pas en dire autant de beau batteur, Ulysses Owens, Jr.
(6 décembre 1982). L’aîné Christian McBride (1972), le leader de
cet enregistrement live, bassiste d’un talent hors norme («Good
Morning Heartache»), retrouve dans cet environnement stimulant une
veine jazz très classique dans un registre contemporain, loin de ses
échappées électriques et binaires, qui montrent que le jazz reste
ce terrain d’excellence de la musique auquel tiennent, quoi qu’ils
disent et quoi qu’ils jouent, les musiciens qui font ou ont fait
leur parcours au sein de cette entité culturelle qu’on appelle
toujours le jazz parce qu’au fond elle correspond à l’un des
mouvements artistiques majeurs du XXe siècle, et poursuit
sur sa lancée, malgré les obstacles dressés sur sa route par les
marchands de lessive et les fautes de culture dont se rendent parfois
coupables, y compris les musiciens.
Rien de cela ici, du grand et du beau
jazz, joué avec originalité et pourtant enraciné dans un siècle
de musique. Ça swingue, le blues est là, les mélodies sont
magnifiées (aucune recherche obligée, des standards, un
traditionnel et quelques originaux), le public se fond dans
l’atmosphère, tout concourt à une belle heure de musique en live.
Cela peut paraître simple et naturel, mais c’est à la fois
exigeant, complexe et léger comme la culture. Du jazz.
My Kinda Love, Lazy Afternoon,
S'posin', Where Were You in April, I Wish I Knew, Si tu partais, A
Sunday Kind of Love, An Occasional Man, You Came a Long Way From St.
Louis, Haunted Heart, Manhattan in the Rain, I'm Through With Love
Tina May (voc), Freddie Gavita (tp,
flh), Janusz Carmello (tp), Nicol Thomson (tb), Sammy Mayne (as),
Frank Griffith (ts, cl), John Pearce (p, elecp), Ian Laws (g), Dave
Green (b), Winston Clifford (dm, voc) + Doffidle String Quartet Enregistré les 10-11 mai 2014, Londres Durée: 1h 00' 53'' HepJazz 2101 (www.tinamay.com)
Tina May Home Is Where the Heart Is
Home Is Where the Heart Is, Don't
Forget The Poet Please, A Nameless Gate, The Night Bird, With Every
Smile of Yours (O! Le feu dans les yeux), Within the Hush of Night
(Within The House of Night), I Took Your Hand in Mine (Fellini's
Waltz), Day Dream, Home Is Where The Heart Is (Distance From
Departure), This Is New Tina May (voc), Enrico Pieranunzi (p),
Tony Coe (ss) Enregistré en novembre 2014, Luton
(Angleterre) Durée: 40’ 54” 33 Records 250 (www.tinamay.com)
Sous ses dehors de jolie parisienne à
l’œil pétillant – bien qu’elle soit anglaise; sans doute, ses
bérets et casquettes –, Tina May possède une vitalité et une
curiosité toujours étonnante qui la conduisent à rechercher
l’aventure du jazz dans ses rencontres et enregistrements, et cela
depuis ses débuts où elle côtoyait déjà avec l’audace de la
jeunesse le gotha de la scène britannique, les invités des
festivals (Egberto Gismonti) et la scène parisienne avec les Roger
Guérin, Kenny Clarke (Slow Club).Elle n’hésite pas ainsi à aborder
les sensibilités du jazz les plus variées, les modernes souvent
dans son association régulière avec Nikki
Iles (p), mais aussi l’ensemble des musiciens qui ont fait
le bonheur de la scène anglaise de Ronnie Scott, Stan Tracey à
Peter King, Tony Coe, un autre compagnon de sa route, qu’on
retrouve ici dans quelques thèmes avec Enrico Pieranunzi.En France, c’est dans un autre
contexte, plus mainstream, qu’on la retrouve récemment, notamment
au Méridien et au Caveau de La Huchette, où son énergie et son
swing font le bonheur des danseurs.Elle a encore eu le privilège
d’enregistrer un disque en compagnie du légendaire Ray Bryant, The
Ray Bryant SongBook, arrangé par Don Sickler, avec le non moins
célèbre Rudy Van Gelder aux manettes.Elle chante également la musique
sacrée de Duke Ellington (Académie royale de musique de Londres),
le répertoire de Broadway et elle a participé un peu partout en
France à de nombreuses expériences musicales avec toutes sortes de
formations.La retrouver ici dans deux contextes
assez différents, d’un côté les standards et les beaux
arrangements (avec une introduction d’Eric Satie sur «Lazy
Afternoon») et de l’autre le registre plus dépouillé et
improvisé d’Enrico Pieranunzi et Tony Coe, ne surprendra plus.
Tina May aime les challenges, les découvertes, le changement; elle
aime le jazz et plus largement la musique, en véritable musicienne.
Sa solide formation depuis son jeune âge (à Cardiff), sa voix très
juste, bien placée, ses qualités de respect des différents
univers, aussi bien que son drive sont de solides arguments pour son
expression et sa capacité à s’adapter à différents univers.
C’est donc une belle musicienne, touche-à-tout du jazz et parfois
même au-delà, car l’univers d’Enrico Pieranunzi se situe
parfois au-delà, sans aucune faiblesse d’ailleurs, car lui aussi
est un excellent musicien. Sa rencontre, très jazz, avec Tina May
fait penser à celle du feu et de l’eau, bien entendu. On sent bien
d’ailleurs dans leur rencontre que l’eau se réchauffe parfois
(«Day Dream») au contact de Tina May, mais le feu se fait aussi
parfois braise avec sensibilité pour profiter des atmosphères que
développent le pianiste et son ami de toujours, Tony Coe.Tina May, française de cœur (elle
chante deux chansons en français), mérite d’être connue sous
toutes ses facettes, nombreuses et attachantes, et la conjonction de
ces deux enregistrements en offre l’occasion.
Improtale 1, The Waver, Anne Blomster
Sang, Improtale 2, B.Y.O.H., Tales From the Unexpected, Improtale 3,
Fellini's Waltz, Improtale 4, The Surprise Answer, Interview with
Goetz Buehler
Enrico Pieranunzi (p), Jasper Somsen
(b), André Ceccarelli (dm) Enregistré le 29 août 2015,Gütersloh
(Allemagne) Durée: 1h 16' 26'' Intuition Records 71315 (Socadisc)
Enrico Pieranunzi est un pianiste
délicieux qui côtoie parfois le jazz dont il possède, par héritage
familial, des racines anciennes, presqu’aussi profondes que ses
racines romaines. Pourtant, et cela peut varier selon les
enregistrements, il est aujourd’hui souvent dans le registre de la
musique improvisée très marquée par ses origines européennes,
parfois loin de l’expressivité afro-américaine, très lyrique
comme ici («The Waver», «Anne Blomster Sang»…). Ses qualités
d’instrumentistes, d’invention, son trio avec d’excellents
musiciens au service de ses compositions, font de cet enregistrement
un moment de belle musique où la mémoire de ses inspirations de
jeunesse fait plus appel à Bill Evans qu’à McCoy Tyner, voire à
l’apprentissage du piano classique parfois. Contrairement à ce que dit le texte du
livret, voire Enrico lui-même, il ne semble pas que le swing soit
l’une des cordes principales de son expression ici, à l’exception
de deux thèmes («Improtale 4», «The Surprise Answer») où le feu
tynérien se réveille, mais il est indéniable qu’Enrico
Pieranunzi est un vrai lyrique doublé d’un pianiste exceptionnel,
un beau conteur d’histoires. Son évocation de Fellini, dans une
valse evansienne, est une très belle mélodie qui montre que les
arts peuvent parfaitement communiquer sous la forme d’inspirations
réciproques, surtout quand un artiste romain se souvient du Romain
d’exception qu’était Federico Fellini. Les balais d’André
Ceccarelli sont magiques sur ce thème, comme le bassiste, emportés
par l’expression plus relevée d’Enrico Pieranunzi sur cette
évocation. Quoi qu’il en soit, nous avons là un
excellent opus du pianiste romain, avec un André Ceccarelli brillant
et judicieux par les nuances et couleurs qu’il apporte à ce trio,
et avec un solide bassiste allemand. Curiosité et bonne idée, une
interview d’Enrico Pieranunzi est en conclusion de cet
enregistrement où Enrico revendique avec humour l’italianité de
la Corse, Nice et… de Ceccarelli (mais pas de Napoléon), puis Bach
– nous sommes en Allemagne…, avant que la conversation s’oriente
vers le Cinéma, Fellini, Rome et la Dolce Vita, vue comme une
inspiration pour le jazz. Enrico y dit aussi l’importance de
raconter des histoires, ce qu’il fait excellemment avec son piano,
et il établit à ce sujet une analogie avec le cinéma, une analogie aussi entre
l’improvisation dans le jazz et dans la commedia dell’arte.
L’Italie reste un paysde grande culture… Ça fait aussi
plaisir.
Moxie,
In a Sentimental Mood, Haitian Cotillion, Soft Target, Dear Toy,
Clapping Game, Tag on the Train, Manhattattan Jessica
Jones (ts), Tony Jones (ts), StomuTakeishi (b), Kenny Wollensen (dm) Enregistré
le 12 janvier 2014, Brooklyn, New York Durée:
52’ 16” New
Artists 1062 (www.newartistsrecords.com)
The
Jessica Jones Quartet est une belle découverte. Né dans la mouvance
de la musique d’avant-garde new-yorkaise, cette formation est dans
la droite ligne de la musique des lofts des années 1960-1970. Elle
conserve la fraîcheur de la conviction dans une histoire
particulière du jazz, mais sans esprit de système, donc avec un
vrai pouvoir créatif dénué, dans cet enregistrement, des clichés
habituels, y compris ceux qu’on retrouve dans l’avant-garde.
Ainsi est conservé dans ce disque, certains des aspects les plus
fondateurs du jazz, comme la recherche d’une belle sonorité in the
tradition, que ce soit celle de Sonny Rollins ou d’Ornette Coleman,
non par mimétisme mais en référence. Tony Jones («Dear Toy») et
Jessica Jones possèdent de beau sons et en usent («Tag on the
Train»). Il n’y a pas non plus de refus systématique des
structures traditionnelles du jazz, la mélodie, le thème et ses
improvisations, la recherche de la beauté du son ou de l’idée
(«Moxie», «In a Sentimental Mood», «Dear Toy»), avec un respect
des mélodies, de bons arrangements originaux, même si par ailleurs
se font jour des recherches structurés dans l’esprit
avant-gardiste qui n’ont justement aucune fadeur car elles ne sont
plus gratuites mais enracinées. Le jazz free est aussi une musique
de culture, et c’est ce qui le sépare des musiques improvisées,
savantes ou actuelles. Difficile
d’en savoir beaucoup sur le plan biographique, si ce n’est que
Jessica Jones, la directrice de ce groupe, a rencontré Don Cherry en
Californie où elle résidait avant de s’intaller à Brooklyn
depuis bientôt 20 ans et qu’elle adore le Wayne Shorter qui jouait
chez Art Blakey. La cinquantaine, elle a travaillé avec Joseph
Jarman, Cecil Taylor, Steve Coleman, Don Cherry, Peter Apfelbaum etConnie Crothers qui dirige le label New Artists
de cet enregistrement. Tony Jones, la soixantaine, est son époux. Il a
côtoyé, entre autres Joseph Jarman, Muhal Richard Abrams, Cecil
Taylor et Don Cherry. Excellent arrangeur et compossiteur, il a de
son côté produit récemment un enregistrement en trio (Pitch,
Rhythm and Consciousness).
Les deux ténors sont très complices, dans la vie
au sens large, et la musique en est un résultat, fort bien
construite autour de cette osmose entre les deux beaux sons de ténor
et des idées partagées ou échangées. Les improvisations, loin de
tout esprit bruitiste, propose une belle musique de jazz, qui nous
rappelle tout ce que le jazz de l’époque dite «free» a pu et
peut encore apporter de beauté authentique, avec ses retours parfois
à des racines plus anciennes, loin de toute volonté systématique
de surprendre ou de provoquer, de tourner en dérision par simple
absence de projet. Ce bon quartet – le batteur Kenny Wollesen (John
Zorn) est aussi très musical, le bassiste Stomu Takeishi (Randy
Brecker, Dave Liebman, Henry Threadgill) est original – propose une
véritable musique affirmative, construite, originale, qui reprend
les caractères essentiels de l’histoire du jazz, swing et blues
compris, jusqu’à nos jours, avec une volonté de recherche qui ne
se prive pas des racines, sans tomber dans la reprise aussi d’une
esthétique unique que ce soit celle du new orleans, mainstream, du
bebop ou, ici, du free, empruntant simplement des influences, pour
développer la musique de leur époque, au tronc commun du jazz tout
entier. Du
jazz, en somme, comme on l’aime, authentique, sincère, direct et à
la recherche de la beauté, intérieure et extérieure, et c’est de
cette manière que cette esthétique free a le plus de chance de se
renouveler, comme les autres esthétiques du jazz. Cette
formation joue surtout dans les lieux et cadres répertoriés
avant-garde (du Knitting Factory Festival au Vision Festival). C’est
dommage que les grands festivals de jazz aujourd’hui en Europe, en
particulier, ne soient plus en capacité, par ignorance ou esprit de
chapelle ou mercantilisme-consumérisme, de proposer des programmes
qui réunissent toutes les esthétiques du jazz – et seulement du
jazz, c’est déjà un gros chantier – pour permettre aux
musiciens les rencontres et découvertes mutuelles; pour permettre
aux amateurs de comprendre cette histoire fabuleuse, les filiations,
la lente maturation et le renouvellement de la culture, loin de la
nouveauté médiatisée et éphémère; pour permettre enfin aux
festivals de reconstruite un vrai public de jazz, connaisseur et
respectueux de toute l’histoire du jazz sans esprit sectaire et
sans superficialité consommatrice. Quoi
qu’il advienne, et nous sommes raisonnablement pessimistes sur ce
dernier chapitre (Roland Kirk ne pourrait pas exister aujourd’hui
autrement que dans un cirque ou dans une émission spécialisée), il
reste ce type de bonne formation et ces bons musiciens pour prolonger
l’histoire du jazz dans toute son épaisseur. Bravo et merci à
eux. Puissent-ils résister longtemps et nous donner d’autres bons
enregistrements et concerts en conservant le même esprit qui règne
dans ce disque!
Sunday Afternoon, The Shout, Dynamo,
The Gypsy, Strollin', Silver, All of You, Blue Moon, Autumn Rain
Ahmad Jamal (p), Reginald Veal (b),
Herlin Riley (dm), Manolo Badrena (perc) Enregistré le 5 août 2014, Marciac Durée: 1h 12' 51'' + DVD 1h 25' 05'' Jazz Village 570078.79 (Harmonia Mundi)
Pour ceux qui ont manqué ce concert ou
qui étaient trop loin de la scène, ou encore qui ont adoré cette
soirée, voici restitué en CD et DVD le concert du légendaire
Ahmad Jamal à Marciac en 2014. Il y a même un bonus sur le DVD
(«Morning Mist» qui fait la part belle à Reginald Veal). Entouré
de magnifiques musiciens, Ahmad Jamal fait le show, comme il en est
capable, car sur scène, il reste spectaculaire par sa manière
d’orienter la musique, de diriger ses musiciens, comme par son jeu
de piano, et malgré son grand âge. Pour autant, c’est un homme de scène
et de métier, et il sait faire la différence entre une assistance à
l’écoute et une assistance à grand spectacle, et selon sa
perception, il ne produit pas la même musique, le même spectacle,
la même atmosphère. C’est très curieux mais pas si étonnant
quand on y réfléchit. Ainsi ce concert donne-t-il à voir si on le
compare par exemple avec un concert donné, un an avant, dans un
petit théâtre, non loin de là, à Foix, devant une assistance plus
jazz par l’intimité, qui donnait à écouter. Evidemment, la musique d’Ahmad Jamal
ne change pas fondamentalement, mais elle est dans ce cadre de
Marciac comme plus spectaculaire et moins «naturelle», avec un
petit côté «star» qui n’est pas pour lui déplaire. Le show est
là très cadré, minuté, alors qu’à Foix, il avait été plus
improvisé dans le choix du répertoire, avec des références
nombreuses à l’histoire, avec une place plus grande du pianiste
qui n’hésita pas à se lancer dans de longues improvisations sur
son répertoire historique et fit de nombreux rappel pour cela. Les amateurs de jazz préfèrent bien
entendu la version en petit comité restituant la dimension
historique et instrumentale d’Ahmad Jamal. Mais la vocation de
Marciac étant de faire découvrir, même une légende aussi connue,
à un grand public, ce concert reste parmi ce qui se fait de meilleur
dans le genre, et si on veut parler de jazz, et nul doute que pour
beaucoup ce fut une étonnante découverte. L’idée donc d’ajouter un DVD, pour
Ahmad Jamal en particulier, est excellente, car la scène mérite le
regard autant que l’audition et de fait, le DVD paraît plus
intéressant que le disque (c’est frappant pour «Sunday
Afternoon») car il donne une meilleure idée de la construction du
spectacle, de l’interaction des musiciens, indépendamment de la
musique; c’est un vrai spectacle! On connaît les caractéristiques de
l’art du pianiste de Pittsburgh, un héritier original du grand
Erroll Garner (un sens orchestral, du spectacle et du brillant, le
choix de la petite formation, avec des fidélités, avec
percussionniste parfois, avec une pulsation soutenue) mais avec un
sens de la découpe du discours très différent (ruptures dans
l’expression) convulsif a contrario des torrents du grand Erroll,
plus nerveuse et moins lyrique, pour affirmer sa différence, sa
marque; ce qui était indispensable alors, même si ce n’est pas la
seule raison. Donc au total, une belle production,
d’un musicien à nul autre pareil, et d’une musique aussi
spectaculaire qu’originale, choisissant toujours d’apporter sa
marque aux thèmes les plus connus comme ici «The Gypsy» sans
jamais renier la mélodie. On apprécie l’hommage double d’Ahmad
Jamal à Horace Silver, disparu en 2014 («Strollin’»), joué pour
cette fois avec le classicisme certain du Ahmad Jamal historique, et
qui lui dédie aussi une composition originale «Silver», plus dans
la manière actuelle. Pas indispensable sur le seul plan
musical dans l’œuvre d’Ahmad Jamal, il reste de cette soirée
des images d’un spectacle musical qui, elles, le sont car elles
dévoilent des aspects de la savante alchimie du grand Ahmad Jamal,
brillamment entouré comme à son habitude.
Slinky, Chap Dance,
Hangover, Museum, Season Creep, Get Pround, Enjoy the Future!, Mr.
Puffy, Past Present
John Scofield (g), Joe
Lovano (ts), Larry Grenadier (b), Bill Stewart (dm) Enregistré les 16 et 17
mars 2015, Stamford (Connecticut) Durée: 52' 18'' Impulse! 0602547485106
(Universal)
Voici donc John Scofield de
retour après un passage aux côtés des rockers de Gov’t Mule pour
un album endiablé (Sco-Mule), comme il sait si bien le faire.
Depuis Überjam, Sco s’est fait une spécialité de délivrer
des disques décoiffants loin des reposants (Quiet ou I Can
See You House from Here). Pour Past Present, l’ancien
guitariste de Miles opte pour un format qu’il adore: le quartet
avec basse, batterie et saxophone. Une formule qu’il a souvent
éprouvée au cours de sa carrière s’adjoignant les services de
Dave Liebeman, Kenny Garrett et Joe Lovano. Nous retrouvons ce
dernier une nouvelle fois en compagnie, ici, de Larry Grenadier et
Bill Stewart. Après de multiples expériences, John Scofield revient
aux fondements d’un format qu’il maîtrise parfaitement. Chercher
une pièce originale dans ce bel ensemble n’est pas chosé aisée.
«Get Pround» possède un léger côté Beatles que le guitariste
crée avec force avant de laisser Lovano glisser une dimension plus
«getzienne» dans le propos («Get Pround»). Aussi surprenant que
cela puisse paraître, cette couleur se retrouve aussi sur «Enjoy
the Futur». «Past Present» est l’occasion pour Scofield de se
défouler un peu plus en bénéficiant de l’excellent travail de
Bill Stewart sur les fûts. Une impression de vouloir terminer
l’album sur une vision du présent. Pour le passé, «Chap Dance»
démarre fort façon bebop,
puis le thème se complexifie avec les interventions de Lovano et se
transforme en feu d’artifice. Du bel ouvrage.
CD1: Finger Pickin’, Far
Wes’, Old Folks, Hymn for Carl, Falling in Love with Love, Jingles,
Yesterdays, ‘Round Midnight, Airegin, Four on Six, West Coast
Blues, In Your Own Sweet Way, D-Natural Blues, Work Song; CD2: West
Coast Blues, Yours Is My Heart Alone, Movin’ Alone, Body and Soul,
Tune-Up, While We’re Young, Twisted Blues, Cotton Tail, Repetition,
Delilah, Full House, Blue’N’ Boogie
Wes Montgomery (g), Nat
Adderley (tp), Joe Gordon (tp), Harold Land (ts), Johnny Griffin
(ts), Julian Cannonball Adderley (as), James Clay (fl), Buddy
Montgomery (p), Tommy Flanagan (p), Bobby Timmons (p), Victor Felman
(p), Hank Jones (p), Winton Kelly (p), Melvin Rhyne (org), Joe
Bradley (p), Monk Montgomery (b), Percy Heath (b), Ray Brown (b),
Sam Jones (b), Paul Chambers (b), Paul Parker (dm), Tony Hazley (dm),
Albert Heath (dm), Louis Hayes (dm, vib), Philly Joe Jones (dm),
Jimmy Cobb (dm), Milt Jackson (vib), Lex Humphries (dm), Ray
Barretto (cga), Sam Jones (cello) Dates et lieux
d’enregistrement: 30 décembre 1957, Indianapolis, 18 avril 1958 &
1er octobre 1959, Los Angeles, 5-6 octobre
1959, 26-27 janvier 1960, New York, 18 mai, 5 juin, 11 octobre 1060,
Los Angeles, 4 août, 19 décembre 1961, 25 juin 1962, New York Durée: 1h 15' 49'' + 1h
11' 04'' Frémeaux Associés 3062
(Socadisc)
Les morceaux ici réédités
ont fait les heures de gloire du guitariste d’Indianapolis à ses
débuts. The Quintessence regroupe des pièces enregistrées
entre 1957 à 1962, soit la période Riverside. Sur ce double
CD, tout débute dans la ville natale de Wes avec ses frères pour un
«Finger Pickin’» savoureux. Dès le début, le guitariste charme
par son phrasé. Il n’y a rien de plus normal quand on connaît la
qualité d’un gars qui passait ses soirées à travailler son
instrument en jouant avec le pouce pour ne pas déranger ses voisins.
Ce travail porte ses fruits dès «Far Wes» extrait de l’album
Montgomery Land, qui plonge l’auditeur dans une ambiance
feutrée à souhaits. C’est lorsqu’il signe avec Riverside
que le guitariste montre tout son savoir faire. Sur cette
compilation, on l’entend en trio avec Melvin Rhyne (org) et Paul
Parker (dm). Il y a bien sûr «Jingles», une composition du
guitariste qui orne magistralement ce premier opus, mais aussi et
surtout «Round Midnight» tout en délicatesse. Les notes de la six
cordes sont comme des étoiles qui se détachent de la voûte céleste
tandis que les accords de l’orgue le transporte sur la voie lactée
pour un beau moment de jazz. Ensuite les classiques s’enchaînent
(«Four on Six», «West Coast Blues», «D Natural Blues») et avec
eux les partenaires: Tommy Flanagan, Percy et Albert Heath. La
première galette se termine avec «Work Song» écrit par Nat
Adderley, un morceau majeur de cette deuxième moitié du XXe
siècle. La guitare de Wes répondant à l’appel de la trompette de
Nat sur les incantations de Louis Hayes (dm) tandis que Bobby Timmons
apporte les clés du dialogue, un excellent moment. Le second disque débute
avec un morceau gravé en compagnie de Harold Land, alors leader qui
donne à son album le titre de la compo de Wes. Avant de revenir aux
autres productions du guitariste d’Indianapolis pour Riverside,
le concepteur de la compilation offre un détour sur les rives de
Julian Cannonball Adderley, le frère de Nat, accompagné des Poll
Winners, dont Ray Brown à la contrebasse. Puis c’est Moving
Alone et la flûte de James Clay qui titille les envies de
choruses de Wes («Movin’ Alone»). Ce morceau marque une
pause dans l’œuvre du guitariste qui passe la surmultipliée avec
So Much Guitar où Wes retrouve Ron Carter et bénéfice de la
présence d’Hank Jones (p) pour offrir un magistrale blues
(«Twisted Blues») et un déboulé hyper speed pour l’époque,
ainsi qu’une reprise du maître Ellington («Cotton Tail»). Après
un nouvel album de rencontre en la personne de Milt Jackson, alias
Bag pour un «Delilah» décoiffant, le coffret se termine en
présentant Wes Montgomery live at Tsubo (Full House) en
compagnie de Wynton Kelly, Johnny Griffin, Paul Chambers et Jimmy
Cobb. A ce stade de sa carrière, Wes Montgomery est un modèle pour
tous les guitaristes. Il a joué avec les meilleurs pianistes du
moment et bénéficié d’une rythmique de qualité. Dans ce
coffret, il manque les oeuvres avec cordes qui feront leur apparition
dès Fusion. Peut-être une deuxième étape de Frémeaux qui
pourra poursuivre l’œuvre de mémoire du grand Wes à travers des
enregistrements jugés plus commerciaux à l’époque, mais qui
conservent une saveur indicible dans le chaos musical que nous
offrent certains musiciens du XXIe siècle. Affaire à
suivre?
Aaron & Allen, Seul
compte l’instant présent, Piazza Armerinia, Present Times, Lost
Roadnook, Le Vin noir, L’Etang des iris, Coming Times, Joyful
Breath
Alain Pierre (g), Félix
Zurstrassen (b), Antoine Pierre (dm) Enregistré en juillet 2014,
avril et juillet 2015, Belgique Durée: 49' 23'' Spinach Pie Records 101
(www.spinachpierecords.com)
On retrouve ici
Alain Pierre, entouré de son fils Antoine et de Félix, le fils de
Pirly Zurstrassen (p). L'occasion de réécouter le guitariste, avec
toute la sensibilité qui le caractérise. Formé au Conservatoire de
Liège en guitare classique et en musique de chambre, il a toujours
cherché à séduire par le velouté du son. Le choix qu’il fait
des différentes guitares et cordes (acoustiques, électriques, douze
cordes, cordes nylon…) est significatif. On pourrait rattacher ses
choix mélodiques à ceux de Philip Catherine; la filiation avec
Ralph Towner est plus perceptible («Seul compte l’instant
présent», «L’Etang des iris»). Le picking naturel aux doigts et
le soin prit à coller les voix (rerecording) témoignent d’un
compositeur qui aime les belles harmonies («Lost Roadbook»).
Derrière le soliste on aurait préféré entendre une contrebasse,
ce qui n’enlève rien à la musicalité de Félix Zurstrassen: un
musicien qui s’affirme de mieux en mieux au fil de ses
collaborations («Seul compte l’instant présent»). Le choc des
générations, en contraste, est particulièrement marqué lors du
solo d’Antoine sur «Piaza Amerina». Ecouter «Tree-Ho!» puis
revoir Alain Pierre en concert c’est approcher la zénitude – sa
zénitude («Lost Roadbook»)!
Coffin for a
Sequoia, Litany for an Orange Tree, Who Planted This Tree°, Les
Douze Marionettes, Urbex*°, Matropolitan Adventure, Walking On a
Vibrant Soil, Wandering #1, Metropolitan Adventure (reprise), Moon’s
Melancholia, Ode to My Moon*
Antoine
Pierre (dm), Jean-Paul Estiévenart (tp), Toine Thys (ts,ss), Steven
Delannoye (ts, bcl), Bert Cools (g), Bram De Looze (p), Félix
Zurstrassen (eb), Frédéric Malempré (perc) + Lorenzo Di Maio* (g),
David Thomaere° (key) Enregistré
les 12, 13, 14 septembre 2015, Belgique Durée: 1h
12' 45'' Igloo
Records 268 (Socadisc)
Antoine a la chance d’être
bien né d’un papa musicien (Alain Pierre). Un avantage
dont il a su tirer parti. Béni des dieux,
Antoine Pierre a écouté, appris et compris. A 17 ans, il s’est
fait remarquer au festival de Comblain-la-Tour avec Igor Gehenot (p)
et le Metropolitan Jazz Quartet; à Dinant avec le même Gehenot et
le LG Jazz Collectif; au Gaume Jazz derrière Enrico Pieranunzi (p).
A 19 ans, alors qu’il étudie encore au Conservatoire de
Bruxelles, Philip Catherine l’engage en tournées et en studio pour
son Côté Jardin. La mouvance bouillonnante des nuits
bruxelloises lui laisse un petit manque; il décide alors de passer
un an à New York, à la New School For Jazz And Contemporary Music.
Au contact de cette autre scène, fort de ses enseignements multiples
(Antonio Sanchez), il revient en Europe avec en tête «son» projet
musical. Sabam Award 2015, il voit dans les vestiges industriels de
la Wallonie et le futur fictionnel des bétons new-yorkais (cf. La
Guerre des Mondes): l’homme décadent, impuissant; mais aussi
la renaissance de la nature au milieu du béton. C’est Urbex,
contraction de UrbanExploration! Le jeune prodige de la
batterie a maintenant 23 printemps; il écrit ses visions en musique
entouré de ceux qui, comme lui, ont vu la lumière au travers des
ruines. Résolument contemporaine, la musique de l’octet poursuit
les chantiers débroussaillés avant lui par Charles Mingus
(«Walking on a Vibrant Soil») ou le Thad Jones-Mel Lewis Orchestra.
Le drive d’Antoine Pierre est sûr, autoritaire (influence de Peter
Erskine sur «Metropolitan Adventure»). Les œuvres, solidement
charpentées et bétonnées sont enjolivées par les solistes
pré-trentenaires («Who Planted This Tree?»). On retrouve le
désormais incontournable Estiévenart à la trompette
(espagnolisant sur «Litany for an Orange Tree»), mais on
apprécie aussi les déboulés de Steven Delannoye (ts) sur «Urbex».
Bram De Looze (p) étonne par l’assurance qui lui vient («Coffin
for a Sequoia»); Bert Cools (g), qu’on voit plus souvent en
Flandre, impose l’ouverture trans-régionale qui manque trop
souvent au royaume de la discorde («Litany for an Orange Tree»).
Les invités ne sont pas en reste (présence et créativité de
Lorenzo Di Maio sur «Ode to My Moon»). Les œuvres sont écrites
comme des suites, des travelings en images sonores. Dans cet esprit,
«Les Douze Marionnettes» illustre une déambulation au travers de
friches industrielles où s’infiltre la pluie. Poète romantique
avec «Moon’s Melancholia» et «Ode to My Moon», Antoine Pierre
captive par la densité et la maturité de son œuvre. Une première
déjà si grande qu’elle appelle des lendemains.
Blue Skies, Ain't Doin' too Bad, Ain't
no Sunshine, Fields of Gold, Baby I Love You, Honeysucckle Rose,
Route 66, Bridge Over Troubled Water, Chain of Fools, Fever, Autumn
Leaves, Fine and Mellow, Cheek to Cheek, It Don't Mean a Thing, Late
in the Evening, Next Time You See Me, Waly Waly, Take Me to the
River, Nightbird, People Get Ready, The Letter, Son of a Preacher
Man, Stormy Monday, Tall Trees in Georgia, Something's Got a Hold Me,
Time After Time, Over the Rainbow, You're Welcome to the Club,
Caravan, You've Changed, What a Wonderful World, Oh, Had I a Golden
Thread
Eva Cassidy (voc, g), Chris Biondo
(elb), Keith Grimes (g), Lenny The Ringer Williams, (p), Hilton
Felton (org), Raice McLeod (dm) Enregistré le 3 janvier 1996,
Washington Durée : 1 h 08' 27'' + 1h 11'
42'' + DVD 55' Blix
Street Records G2-10209 (Universal)
Disparue en 1996, à l'âge de 33 ans,
quelques mois après cet enregistrement, la chanteuse Eva Cassidy
n'aura hélas connu qu'une gloire posthume (plus de 10 millions
d'albums vendus depuis sa disparition, et la reconnaissance de
quelques fans célèbres tels Eric Clapton ou Paul Mc Cartney). Sa carrière n'en étant alors qu'à
ses débuts, elle n'avait pas encore définitivement opté pour un
genre particulier, et s'exprimait avec la même aisance dans
différents modes, du country au blues en passant par le jazz ou le
rock and roll, grâce à des qualités vocales exceptionnelles et un
swing sans faille. Il ne lui manquait plus guère que la pratique du
«scat» dont ses qualités de guitariste lui donnaient sûrement
les capacités. A l'heure où de nouvelles chanteuses
au joli minois apparaissent chaque semaine comme autant de «rosés
des prés» insipides, les trente-deux morceaux enregistrés pour la
plupart en «live» de ce double CD (et les 12 versions contenues
dans le DVD qui les accompagnent), démontrent l'ampleur du talent
gâché d'Eva Cassidy (et accessoirement, la nécessité du dépistage
généralisé du mélanome). Un album bouleversant.
My Soul My Sol, When You Are with Us,
Lover Come Back to Me, Sud, Origin Drum Solo, Lady Sings the Blues,
SMS, Song for Anne, Jeudi 12, The Man I Love
Carine Bonnefoy (p), Mathias Allamane
(b), Franck Filosa (dm), Sofie Sorman (voc) Enregistré les 18 et 19 octobre 2015,
Issy-les-Moulineaux (92) Durée: 47' 01'' Great Winds 3179 (Musea)
Dix ans après son premier disque,
Franck Filosa continue sa route et développe sa musique, toujours
avec l’excellente pianiste Carine Bonnefoy pour ancrer son âme
dans le sol: belle idée en ces temps d’incertitudes diverses. Dès
le premier morceau, justement «My Soul, My Sol», délicieux jeu de
mot, sur un rythme assez bossa dans lequel la pianiste se montre très
à l’aise et à son avantage sur ce type de rythme. Suivi sur un
tempo lent par «When You Are with Us» avec une intro très
nostalgique du contrebassiste ponctuée par des accords de piano;
piano qui s’échappe dans un solo très inspiré en osmose avec le
batteur très mélodique. En invitée la jeune chanteuse suédoise
Sofie Sörman qui vient d’un pays où dit-elle «Chanter est un
moyen d’expression essentiel». Elle en fait ici une belle
démonstration: «Lover Come Back to Me» prit sur tempo rapide avec
une belle intervention du batteur qui suit là encore l’articulation
de la mélodie sur les toms; Sofie chante avec une telle énergie que
son Lover ne peut que lui revenir. Elle se frotte au blues avec une
solide personnalité sur «Lady Sings The Blues», qui nous vaut un
solo de piano très senti et un trio parfait. Après une prenante
entrée du piano Sofie s’empare de «The Man I Love» en chantant
les mots avec un lyrisme ad hoc, soutenue à merveille par la
pianiste. On a plaisir à retrouver les belles
attaques à la fois nettes et ouatées de Mathias Allamane sur sa
contrebasse, à le goûter particulièrement sur «Song for Anne» où
le piano se fait rêveur, ou encore en un accrochant duo avec la
batteur sur «Jeudi 12». Le batteur travaille à merveille le son de
ses toms, intervenant assez peu aux cymbales, ce qui donne beaucoup
de chaleur au trio; à apprécier sur son solo absolu sous le tire
«Origin»: un signe! Art du trio qui repose sur de belles
compositions et d’efficaces arrangements de la plume du leader pour
la plupart des morceaux, ainsi que sur une intrication des trois
voies très réussies, avec, et c’est notable, une construction
globale du disque; c’est à dire que les morceaux, bien que
différents, restent dans la même atmosphère, y compris avec la
chanteuse.
This Thing, Scatter, Pop It, Into the
Gloaming, For Satie, Seven Below, Not My Lover, Clem’s Key, I love
Paris, La Javanaise
Chris Cody (p), Karl Laskowski (ts),
Brandan Clarke (b), James Waples (dm) Enregistré les 24, 26 avril et 11, 12
juin 2015, Australie Durée: 1h 05' Wave Music 1 500 1 (www.chriscody.com)
Originaire de Melbourne, le pianiste
Chris Cody (Jazz Hot n°613) a appartenu à la scène jazz parisienne pendant plus de
vingt ans où on l'a entendu aux côtés de Rick Margitza, Rhoda
Scott, Stefano di Battista, Glenn Ferris, Marcel Azzola et beaucoup
d'autres. Il est récemment retourné vivre en Australie où il a
enregistré cet album, le neuvième sous son nom, et qui est un
hommage à Paris et à la France. Outre «I Love Paris» et «La
Javanaise», les thèmes sont de sa plume. Un jeu de piano enthousiasmant,
lumineux, qui respire, avec des attaques tranchantes, une main gauche
en appui avec des accords très personnels, sur une main droite qui
chante. Assez à la façon de Paul Bley. Un sax ténor au jeu sobre,
élégant, délicat, inspiré. Un batteur coloriste qui sait
s’entremêler dans le discours en s’appuyant sur la contrebasse.
Celle-ci joue souvent des motifs répétés comme sur «Scatter» sur
un emballant solo de piano. Belle intro piano solo sur «Pop It»,
piano rejoint par la contrebasse qui place une note sur chaque accord
main gauche, effet garanti. Puis les cymbales viennent enrichir le
chant. Et pour finir le ténor s’ajoute à l’œuvre en marche.
«Into The Gloaming» est un modèle d’échange rubato à 4 voix.
Quant à «For Satie» en piano solo, qui se présente comme une
relecture de la Gnossienne N°3, n’est pas loin non plus des
Gymnopédies, c’est une merveille de Satie revisité par le blues
et les Balkans. Un petit chef d’œuvre. Il est vrai qu’il y a de
l’impressionnisme dans la musique de Cody. Pour «Not My Lover»
Cody nous dit que le morceau est basé sur un thème de Michael
Jackson, une splendide façon de s’approprier le rock avec un sax
bien dans la danse. En fait pas grand chose à voir avec le rock; on
est dans du pur jazz d’aujourd’hui. Et c’est l’expression qui
fait tout. «Clem’s Key» est un joli sourire à sa fille née à
Paris. L’hommage à Paris prend toute sa saveur avec le célèbre
thème de Cole Porter «I Love Paris», en trio, où le pianiste fait
merveille avec un sacré contrechant de la basse sur le thème de
base, un collier de perles à notre Capitale. Et le plus beau pour la
fin, c’est le morceau qui clôt le disque, «La Javanaise» de
Gainsbourg, en trio, prise sur un tempo très lent comme suspendu, le
pianiste et un contrebassiste très inspirés nous jouent «a waltz
for lovers to fall in love at first sight». Un beau et solide quartet, et surtout
un pianiste remarquable, comme un poisson dans l’eau en trio
basse-batterie.
Interlude, The Faction of Cool, Super
City, Shirley, Film noir Interlude, Ferrari, Seeing Through the Rain,
Close the Action, Kats Eye, Street Vibe, Twilight Interlude,
Sanctuary
Jason Miles (key), Ingrid Jensen (tp),
Jay Rodriguez (ss, ts, bs, bcl) Jeff Coffin (ss, ts, bs), Nir Felder
(g), James Genus, Jerry Brooks, Amanda Ruzza, Adam Dorn (b), Gene
Lake, Mike Clark, Jon Wilson (dm) Enregistré en septembre 2014, New York Durée: 53' 09'' Whaling
City Sound 073 (www.whalingcitysound.com)
Mis à part le dernier thème signé
Wayne Shorter, toutes les compositions ont été écrites par le
pianiste et la très virtuose trompettiste, disciple enthousiaste de
Miles Davis. De forme harmonique assez basique elles se caractérisent
pour la plupart par un enchaînement de «motifs d'ambiance» (on
n'ose dire de riffs) flirtant souvent avec des suraigus très
maîtrisés ou des sonorités voilées de trompette bouchée. La
section rythmique soutient l'ensemble façon jazz rock/funky pour
beaux quartiers. Aucune bavure, aucune faute de goût,
travail de studio remarquable. Cela évoque l'esthétique de la
première époque électrique de Miles Davis (dont Jason Miles, en
tant qu'expert en programmation informatique et autres «bidouillages
de son», a été le collaborateur). La copie est certes très
réussie, mais l'original demeure insurpassable.
Love's Walk, Tema do Boneco de Palha,
When You Wish Upon a Star/Someday My Prince Will Come, Starbright,
Two for the Road, Cascade of the Seven Waterfalls, Out of the Blue,
Millbrae Walk, Amor en paz, Squatty Roo, Nuages, Novelho, 49 (Larry
Ford), Carnaval/A felicidade/Samba de Orfeu
Clare Fischer (key, arr.), Brent
Fischer (perc, b), Peter Erskine, Mike Shapiro (dm), Denise
Donatelli, John Proulx (voc) Date et lieu d'enregistrement non
précisés Durée: 1h 11' 20'' Clavo
Records 201509 (www.clarefisher.com)
Plus qu'à sa qualité de jazzman, le
pianiste Clare Fisher, décédé en 2012, doit sa notoriété et
sans doute sa fortune, à ses talents d'arrangeur pour la pop et la
variété (The Jackson Five, Prince, Céline Dion, etc.). Cité par
Herbie Hancock comme étant l'une de ses principales influences, le
créateur de «Pensativa», est souvent comparé au pianiste Bill
Evans qui a immortalisé ce thème. Il s'en défendait pourtant, se
réclamant plutôt de l'arrangeur Gil Evans (son syndrome «Evans
Brothers» disait-il). Attentif, parmi les premiers aux musiques
latines, la bossa nova en particulier, et adepte, parmi les premiers
encore, des claviers électriques, il eut aussi une carrière de pur
jazzman. Auteur d'arrangements pour Donald Byrd, Dizzy Gillespie ou
Branford Marsalis, il avait aussi joué avec Gary Peacock, Joe Pass
et Cal Tjader. Dans ce disque, Brent Fisher,
contrebassiste et arrangeur, publie quelques enregistrements privés
inédits et miraculeusement retrouvés, dont une bonne moitié de
compositions personnelles de son père (avec la présence de Cal
Tjader, sur un titre). Avec beaucoup de respect et de tact, il y
ajoute parfois, et sans rien dénaturer, une partie apocryphe de
vocaux, de contrebasse et de batterie. Un vrai miracle de studio.
Voici une occasion inespérée de profiter du réel talent de
pianiste, aujourd'hui injustement oublié, de Clare Fisher.
Prelude to Schizophrenia,
Schizophrenia, Palma's Waltz, Sunny Road Trip, Spring Bloom, Parallel
Spaces, Bouncing Peanuts, Fun Keys
Laurent Coulondre (p, org), Rémi
Bouyssiere (elb, b), Martin Wangermée (dm) Enregistré en décembre 2014, Vannes Durée: 44' 48'' Sound
Surveyor 1509 (L'Autre distribution)
A moins de 30 ans Laurent Coulondre a
remporté plusieurs prix, joué à Marciac et à Vienne, assuré des
premières parties prestigieuses (Jacky Terrasson, etc.) et, déjà,
publié trois albums. Aussi à l'aise au piano qu'à l'orgue,
il mène un trio où Rémi Bouyssière passe brillamment de la basse
électrique à la contrebasse et où le batteur Martin Wangermee se
montre particulièrement efficace sur les rythmiques les plus
complexes. Compositions dynamiques et subtiles, traits d'orgue
Hammond (ou de synthé de la marque suédoise Nord?) fulgurants. Beau
toucher de piano, tantôt lyrique, tantôt tranchant comme un coup de
cymbale. Swing convaincant, superbe technique, belles idées que la
fougue de la jeunesse (et aussi une belle expérience et une sacrée
culture jazzistique) transcendent. Tout est là pour assurer un beau
succès à ce CD qu'on peut écouter en boucle sans lassitude et, qui
donne, de plus, fortement envie d'écouter les précédents.
Captain's Refusal, Hypocondriac's Fun,
Good Intentions, Reader's choice, Héritage déjà vu, Forgotten
Nickname, The Owner, A Town in Flames, I Remember Julie, Overlown
Overweight
Ed Motta (p, voc), Hubert Laws (fl),
Cecil McBee Jr, Charles Owens, Ricky Woodyard, (s), Curtis Taylor
(tp) Patrice Rushen, Greg Phillinganes (key), Tony Dumas (b), Marvin
«Smitty Smith» (dm) Enregistré en septembre 2015, Pasadena Durée: 49' 32'' MustHaveJazz/Membran (Harmonia Mundi)
Pianiste et chanteur, Ed Motta,
surnommé le «Barry White» brésilien, n'a pas fini de nous
surprendre. Eminent amateur de jazz, et grand collectionneur de
disques (on parle de plus de 300 000...), c'est un véritable
«melting pot musical» à lui tout seul. Il a déjà tâté avec
brio de tous les styles: funk, disco, bossa nova, reggae, rock. Et
voilà qu'il se met au jazz pop/rock le plus élégant... Dès le premier titre, on pense à
Steely Dan, au deuxième à Stevie Wonder, au troisième à Raul
Midon...et ainsi de suite. Tous gens de bonne compagnie. Le disque étant sous titré «Soul
Gate/Jazz Gate», on l'attendait un peu à ce dernier tournant. Mais
c'est gagné! Car la partie instrumentale, grâce aux nombreux et
généreux solos des sidemen, s'inscrit parfaitement dans la
tradition de notre musique préférée. Energie, inventivité, swing,
exigence de qualité et références tutélaires bienvenues (à Dizzy
Gillespie, Art Blakey ou Horace Silver, quelques courts instants
décisifs...), tout y est. Ed Motta a du succès, il plait aux
«jeunes». Et c'est tant mieux. On ne va quand même pas lui en
faire le reproche, car il a tout l'air d'être une personne très
respectable.
Symmetry, Eleven, Common Ground,
Mackrel's Groove, Shadows, Brazil Like, Labyrinth, Greenwich Time,
Contemplation, Bop Zone
Kirk MacDonald (ts), Tom Harrell (tp,
flh), Brian Dickinson (p), Neil Swainson (b), Dennis Mackrel (dm) Enregistré les 8-9 juin 2013, Toronto,
Canada Durée: 1h 16’
Addo Records 018 (www.addorecords.com)
Voici donc un second opus qui date de
l’année précédent l'enregistrement de Vista Obscura. On
peut dire qu’il choisit bien ses invités, puisqu’il est ici
entouré de Tom Harrell et Denis Mackrel, toujours avec le soutien de
haute volée de Neil Swainson et, pour ce disque, de son ami de
longue date Brian Dickinson, absent du suivant puisque l’invité
était Harold Mabern. Autre qualité de Kirk, en connaisseur
du jazz, il respecte la différence d’univers de ses invités, et
il plie sa musique, y compris ses compositions, à l’univers de
chacun d’entre eux. L’album avec Harold Mabern était coltranien,
celui-ci est shorterien, cela pour situer rapidement l’atmosphère
qui prévaut dans cet enregistrement. Cela permet aussi d’apprécier
les qualités de ces différents enregistrements, savoir que la
mélodie et l’expression sont plus importantes dans
l’enregistrement avec Mabern, que l’harmonie et la construction
d’ensemble le sont davantage dans celui avec Harrell. De ce fait, ce disque de 2013 est conçu
comme un tout. A l’exception du dernier thème, «Bop Zone», plus
accentué «à l’ancienne», on a une sorte de suite tissant une
œuvre entièrement composée par Kirk MacDonald, élégante et
nuancée comme l’impose la présence de Tom Harrell, où les
harmonies savantes créent une véritable bulle de beauté dans
laquelle on s’immerge, musiciens comme auditeurs. Pour les amateurs
de ces atmosphères, c’est un très bel enregistrement, dans la
lointaine lignée de Booker Little, qui était plus dramatique, du
Wayne Shorter d’après Art Blakey. Tom Harrell est comme un poisson dans
l’eau dans ce cadre, donnant la pleine mesure de ce son si limpide;
Dennis Mackrel est remarquable dans sa manière de colorer cette
musique sans jamais imposer une pulsation rythmique pourtant
présente; Neil Swainson, est, comme le dit lui-même le leader dans
les notes de livret, l’un des meilleurs bassistes qui soient, sans
faiblesse. Les deux amis Brian et Kirk sont parfaitement à leur aise
dans cet univers où Kirk est à l’écoute, moins brillant que dans
l’album avec Mabern, mais tout aussi musical. Ses compositions le
disent aussi. Ces hommes aiment le jazz et la musique, et ça
s’entend! Il n’y a aucune démonstration, juste la musique, le
plaisir et l’exigence. On vous le confirme, Kirk MacDonald, au
centre de ces projets made in Canada, est un musicien à
découvrir de ce côté de l’Atlantique.
Lonnie's Lamment, Vista Obscura, There
But For the Grace of..., Calendula, You See But You Don't Hear,
Naima, The Mill Dam, Walkaround, Mira Nights
Kirk MacDonald (ts), Pat LaBarbera (ts)
5, 6, 7, Harold Mabern (p), Neil Swainson (b), André White (dm)
Enregistré les 27-28 juillet 2014,
Toronto
Durée: 1h 16' 33''
Addo Records 025 (www.addorecords.com)
Le nom de ce saxophoniste canadien ne
dira pas grand-chose à beaucoup d’amateurs de jazz européens,
bien qu’il ait côtoyé Dave Young, Kenny Wheeler, Eddie Henderson,
Harold Mabern, Walter Bishop Jr., Pat LaBarbera, John Taylor, Ron
McClure, Mike Stern, Jim McNeely, Vince Mendoza, John Clayton, Chris
Potter, James Moody, Rosemary Clooney, et d’autres encore. C’est
dommage, car voici un magnifique ténor, doué d’une sonorité
exceptionnelle et d’une virtuosité instrumentale peu commune, dans
un registre hard bop-coltranien, autrement dit le mainstream
d’aujourd’hui. Son répertoire, dans ce bel enregistrement fait
d’ailleurs explicitement référence à John Coltrane («Lonnie's
Lament», «Naima»), sans faiblesse aucune par rapport à
l’original, car l’explosif Harold Mabern, qu’on ne présente
plus, est à la hauteur du modèle Tynérien et que la section
rythmique est des meilleures. Kirk est aussi un bon compositeur
(«Walkaround»), le reste du répertoire sur cet enregistrement est
d’ailleurs magnifique.
Il est brillamment soutenu par le très
beau son de contrebasse de Neil Swainson, le benjamin de cette
réunion (1955, Canada), le plus connu parmi ces Canadiens de
qualité, doué d’un swing réjouissant, qui côtoya dès son jeune
âge Sonny Stitt, Herb Ellis, Barney Kessel, Tommy Flanagan, James
Moody, Jay McShann, Lee Konitz, George Coleman, Woody Shaw (deux
enregistrements), Slide Hampton, Joe Farrell et beaucoup de musiciens
de jazz de haut niveau.
Enfin la pulsation nerveuse et très
musicale d’André White, autre trésor encore plus caché du
Canada, batteur mais aussi pianiste et enseignant, vraiment
excellent, donne à cette formation une allure de all star de haut
niveau.
En invité, le «frère» de Kirk, Pat
LaBarbera (1944, Canada), lui aussi ténor de haut niveau, et à
écouter les trois thèmes où joue Pat, en particulier «Naima», il
y a plus qu’une complicité entre ces deux ténors canadiens, de la
connivence fraternelle. Pat a joué avec Buddy Rich, Louie Bellson et
a tourné avec Elvin Jones en 1975, en europe en particulier. Il a
également fait partie de l’orchestre de Carlos Santana, grand
amateur de Coltrane, et on comprend son choix de Pat LaBarbera.
Les sexagénaires (Neil, André et
Kirk), septuagénaires (Pat), octogénaire (Mabern) produisent une
musique d’une intensité, d’une puissance, d’une inventivité
qui font plaisir à écouter.
Leur discographie en leader reste
modeste, et n’embarrasse pas les bacs des disquaires, Ils ont peu
tourné en Europe et s’ils ont une bonne notoriété au Canada,
nous aurions mérité d’en savoir plus sur leur musique, sur eux.
Les scènes du monde s’honoreraient de ces dignes représentants
d’un jazz de qualité plutôt que ce que nous voyons souvent. Il
faut croire aussi que le jazz n’est pas aussi international qu’il
pourrait l’être, et que le Canada ou le Pôle Nord en matière de
jazz, c’est un peu pareil pour nos directeurs artistiques
européens. C’est peut-être ce que voulait dire Kirk avec son
titre énigmatique Vista Obscura…
Ce bel enregistrement dirigé par Kirk
MacDonald, lui aussi enseignant depuis trente ans, et ces beaux
musiciens qui l’accompagnent, méritent un indispensable. Nous
serions heureux qu’une tournée européenne nous permette de
découvrir bientôt en live cette splendide énergie.
Aria, East
Coast West Coast, Les Feuilles Mortes, Night Stork, Goma, Sahel Al
Mumtanah, Bossa de l’Hiver, Letter From Home, Bron-Yr-Aur
Emmanuel
Baily (g), Lambert Colson (cornet à bouquin), Jean-François Foliez
(cl), Xavier Rogé (dm), Khaled Aljaramani (oud, voc) Enregistré
en mars 2015, Bruxelles Durée:
41' 06'' Igloo
Records 265 (Socadisc)
En totale adéquation avec
les objectifs des Jeunesses Musicales du Luxembourg Belge, de
Jean-Pierre Bissot et du Gaume Jazz Festival le projet d’Emmanuel
Baily prône la mixité. Nous aurions pu nous passer de chroniquer
cet album dans une revue spécialisée «jazz». Toutefois le projet
d’Emmanuel est tellement original par les couleurs qu’il
développe qu’il nous apparait intéressant d’attirer votre
attention. Dès l’écoute d’ «Aria», l’étonnante association
de la clarinette et du cornet à bouquin interpelle pour l’évidence
harmonique. Avec «East Coast West Coast», qu’il aurait pu
intituler «Nord-Sud», on sent déjà l’appel des grandes dunes
sahariennes (l’oud). Le chant de Khaled Aljaramani sur «Sahel Al
Mumtanah nous impose l’humilité; le solo d’oud est joliment
porté par l’accompagnement du guitariste ouvrant sur les entrelacs
des souffleurs. Un peu plus au Sud, sur l’équateur, il nous invite
à onduler du popotin congolien, comme un message d’espoir parmi
les viols et le génocide («Goma»). Le poétique «Night Stork»
s’inspire des battements d’ailes d’une cigogne … noire,
d’après l’auteur; majestueuse, quoi qu’il en soit
(re-recording de guitares)! L’originalité des «Feuilles mortes»
réside d’abord dans une longue intro à la gratte à laquelle
succède l’union des vents. Xavier Rogé (dm) poursuit par des
rythmes mats qui ouvrent sur un solo bien inspiré du clarinettiste.
Avec «Bossa de l’Hiver» et le druming hypnotique et binaire de
Rogé, Emmanuel Baily se sent pousser des ailes. Le délicieux
«Letter From Home» vient nous rappeler d’où il les tient! Pour
conclure sur un country sound, Emmanuel Baily fait un tribute
à Jimmy Page («Bron-Yr-Aur»). Ce sera l’ultime témoignage
(pour cette fois) d’un guitariste doué, d’un musicien ouvert et
d’un arrangeur d’une grande sensibilité. Non, mais! On n’a pas
d’œillères, nous, Monsieur!
Valerio Pontrandolfo & Harold Mabern Trio Are You Sirius?
Twenty, You, Touched, Tongue Out,
Recado Bossa Nova, Make Believe, Are You Sirius?, Rakin' &
Scrapin, Tune Up
Valerio Pontrandolfo (ts), Harold
Mabern (p), John Webber (b), Joe Farnsworth (dm) Enregistré le 11 septembre 2014,
Vignola (Italie) Durée:
40' 22'' In
Jazz We Trust 001 (www.valeriopontrandolfo.it)
Ce
n’est pas sur le livret (à quoi servent-ils aujourd’hui)
que vous apprendrez quoi que ce soit sur Valerio Pontrandolfo. Ce
natif (24 avril 1975) de Potenza (Basilicata), dans le sud de
l’Italie, installé depuis 20 ans à Bologne, a étudié le
saxophone avec Piero Odorici puis a suivi l’enseignement si
recherché de Barry Harris, et pris des cours avec Steve Grossman et
George Coleman. Il a côtoyé sur scène (festivals européens,
clubs) beaucoup de beaux musiciens de jazz comme Steve Grossman,
Alvin Queen, Andrea Pozza, et bien sûr beaucoup de la scène
italienne du jazz. Le parcours est donc jalonné de références
solides, et d’une certaine manière on l’entend dans cet
enregistrement très jazz, c’est-à-dire pétri dans le blues, le
swing et l’expression hot. Comme le remarque l’auteur des
quelques mots d’introduction du livret, le ténor Eric Alexander,
habituel compagnon du trio très new-yorkais qui accompagne la
découverte de ce disque, Valerio puise aux meilleures sources,
celles de Sonny Rollins souvent ou de ses maîtres successifs. Nul
doute qu’il aime le jazz, et qu’il s’est fait un énorme
plaisir à jouer avec une section ryhtmique de rêve ou l’evergreen
Harold Mabern est soutenu par la paire complice et puissante de John
Webber et Joe Farnsworth. Beaucoup de standards, les bonnes
compositions sont recommandées quand il s’agit d’un disque de
présentation, et les quatre originaux sont très «classiques»,
dans le même esprit. Valerio est d’ailleurs très concentré sur
son sujet, il ne se laisse pas aller (les thèmes tournent autour de
4 minutes dans un disque de 40 minutes), et on peut le comprendre, un
maître du jazz l’accompagne. Un introduction donc sympathique qui
s’écoute avec plaisir d’un musicien qui n’a pas la prétention
d’inventer le jazz, même s’il a l’audace d’être le leader
d’un trio qui habite à l’étage supérieur. A suivre...
Just You, Just Me, The Petite Waltz
Bounce, Honeysuckle Rose, The Way You Look Tonight, It's the Talk of
the Town, Caravan, Cheek to Cheek, Look Ma-All Hands!, (There's) No
Greater Love, Lullaby of Birdland, I've Got My Love to Keep Me Warm,
Groovy Day, A Cottage For Sale, That Old Feeling, Misty, Afternoon of
an Elf, I'll Remember April, Autumn Leaves (Les Feuilles Mortes) ,
Mambo Carmel, The Man I Love, Time on My Hands, Passing Through, The
Way Back Blues, Soliloquy, You'd Be So Nice to Come Home to, French
Doll, The French Touch, Mack The Knife
Erroll Garner (p) et selon les thèmes:
Oscar Moore (g), Nelson Boud (b), Teddy Stewart (dm), John Simmons
(b), Shadow Wilson (dm), Wyatt Ruther (b), Eugene Fats Heard (dm),
Eddie Calhoun (b), Denzil Best (dm), Al Hall (b), Specs Powell (dm),
Kelly Martin (dm) Enregistré de 1948 à 1962, New York,
Carmel, Los Angeles Durée : 1h 12' 24'' + 1h 11'
55'' Frémeaux et Associés 3063 (Socadisc)
Dans The Quintessence, la
collection des compilations de grande consommation (on l’espère
pour la maison Frémeaux, c’est mérité), voici le deuxième
volume consacré à Erroll Garner qu’on retrouve ici en solo, trio,
quartet. Un bon texte d’Alain Gerber raconte toute
l’incompréhension du cas Garner qu’on peut résumer par un
génie «naturel» et modeste. Par «naturel», il faut entendre
«culturel», car toute la force de Louis Armstrong, Fats Waller ou
Erroll Garner était bien de donner naturellement à entendre
l’essence d’un jazz inspiré par des siècles de culture. Alain Tercinet s’occupe de la
sélection retenue et de son commentaire, et remarque (en les citant)
que la plupart des pianistes ont adoré Erroll Garner. Il rappelle
que son talent fut apprécié par Boris Vian et Charles Delaunay en
France. Il faut aussi se souvenir que, parfois, son plaisir de plaire
au public le privait de celui de plaire à une critique faussement
«intellectuelle». La variété du répertoire, l’absence de
barrière (technique, de tonalité, d’a priori stylistique et
autres) ont fait d’Erroll Garner un pianiste universellement
apprécié, d’abord des producteurs (il n’avait pas besoin de
plusieurs prises) et pas seulement des amateurs de jazz. Beaucoup ont
fredonné ses interprétations sans avoir de notions très précises
de ce qu’était le jazz, ce qui le rapproche à nouveau de Louis
Armstrong. Erroll Garner se place bien entendu
dans un ensemble culturel identifié, notamment par son lieu de
naissance, Pittsburgh, Pennsylvanie, une ville bénie pour le piano
jazz (de Mary Lou Williams à Ahmad Jamal), dans un moment où l’art
du piano atteint des sommets d’expression et de virtuosité, mais
la préexistence de Fats Waller, Earl Hines, Teddy Wilson, Art Tatum,
Nat King Cole et quelques autres, qui l’ont tous inspiré, ne
l’empêche pas de développer son style à nul autre pareil: un
style orchestral avec ses introductions légendaires, ses
développements sur tempos doublés («The Man I Love»), un délié
et une attaque puissante du clavier et de chacune des notes, avec ses
redoublements, un jeu en blocks chords légendaire, avec ce petit
décalage-retard qui détermine un jeu d’une souplesse
extraordinaire et qui est sa marque de fabrique, une musicalité
rhapsodiante, une gamme de nuances sans limite du lento-pianissimo au
forte-allegro et un swing qui, comme celui de Basie, pourrait servir
d’exemple parfait d’une des composantes essentielles du jazz. Le
piano de Garner, c’est le jazz en cinémascope. Pianiste de
culture, son oreille était capable de tout saisir (y compris chez
ses contemporains de Bud Powell à Oscar Peterson) et d’en faire du
Erroll Garner. Le génie du jazz est aussi là. De fait, Erroll
Garner a influencé, même à leur insu, tous les pianistes de jazz
(comme le remarque Jimmy Rowles dans une des citations du livret) et
au-delà. Bon, les amateurs auront déjà dans
l’oreille beaucoup de ces chansons qu’il a fait siennes ou qu’il
a composées («Misty», «Mambo Carmel»), mais pour les plus jeunes
ou les moins spécialisés, cet enregistrement sera une ouverture sur
un monde merveilleurx, si l’auditeur est capable, lui aussi,
d’écouter ce musicien extraordinaire sans les a priori sonores du
jour.
It Gonna Come,
Preacherman, Morning Sun, Same to You, Don’t Misunderstand, Don’t Talk, If Ever
I Recall Your Face, Bad News, She Don’t Know, Once I Was Loved + Palmas da Rua,
No Man’s Prize, March for Mingus, After the Rain, Burying My Trouble (sur la
version The Artist’s Cut)
Melody Gardot (voc, p,
g), Gary Grant (tp), Irwin Hall (as), Dan Higgins (ts, bs), Andy Martin
(tb),Pete Kuzma, Larry Goldings (org),
Mitchell Long, Dean Parks, Jesse Harris, Reese Richardson (g), Chuck Staab,
Vinnie Colaiuta (dm), Pete Korpela (perc), Heather Donavon, Clydene Jackson,
Julia Waters, Maxine Waters (bck voc)
Durée: 48' 52''
Enregistré à Los
Angeles, date non communiquée
Decca 4724682
(Universal)
Quatrième pépite pour la native de Philadelphie et une
nouvelle fois la finesse et la profondeur de sa musique sont au
rendez-vous.Melody Gardot joue un jazz
qui puise aux sources du blues et de la soul en y apportant ses couleurs faites
d’esthétique, de fashion week et de
joaillerie. Sur la galette cela se traduit par des compositions toujours aussi
fortes en émotion, une instrumentation sophistiquée avec des cuivres et des
cordes à volonté et un line-up de haute qualité.En plus d’Irwin Hall (as), Mitchell Long (g)
et Chuck Staab (dm), ses musiciens habituels, Larry Goldings (org), Dean Parks
(g) et Vinnie Colaiuta (dm) apportent leur expérience et leurs connaissances à
la formation constituée pour l’occasion. La jeune femme, pour qui la musique a
été une thérapie, conduit son navire vers les destinations qui lui
correspondent tout à fait. L’album est à la fois hot, tendre et spicy avec
un clin d’œil au free qui mérite
d’être souligné. Currency of Man
(version longue) ouvreavec «Don’t
Misunderstand», comme si l’artiste voulait nous extraire des champs de
coton du Delta profond pour nous amener sur la route d’une certaine libération,
avec l’orgue en soutien d’une voix gorgée de sensualité.La Gardot dit des choses fortes sur une
musique suave («Don’t Talk») ou plus funky («It Gonna
Come»). Aux détours de l’album, on retrouve le Philly Sound qui constitue la base principale de la production de
Larry Klein, qui avait produit My
One and Only Thrill, ainsi que Herbie Hancock et Joni
Mitchell. «Preacherman» est le morceau déclencheur de cette
direction. Lors de la tournée 2013 pour son album The Absence,Miss Gardot
jouait déjà cette pièce, dédiée à Emmett Till, jeune Afro-Américain
assassiné en 1955. Un désir de parler d’une période qui est
malheureusement toujours d’actualité outre-Atlantique. Le son est à présent
plus rond, un choix esthétique qui se combine fort bien avec les autres
morceaux franchementsoul («Same
to You») et cette référence à sa ville natale. Sur «She Don’t
Know», Melody Gardot joue avec les mots. En fait, sur ses chansons elle
parle de la vie qu’elle perçoit à travers sa propre existence. En cela elle est
jazz et le témoigne par certaines orchestrations et certaines interventions de
son fidèle Irwin Hall. Ce dernier devenant par instantsun Roland Kirk du présent avec ses deux saxos
en bouche («Bad News»). Enfin, comment ne pas évoquer«March for Mingus», un extrait
d’à peine une minute, pour rendre hommage au grand contrebassiste, mais qui sur
scène se transforme en plus de dixminutes d’intenses échanges jazziques. Un choix défendu par la
chanteuse, malgré les réticences de la maison de disques.
Au final, on stage,
le public peut être pas forcément féru de la note bleue, découvre une musique
qui peut lui paraître lointaine grâce à l’excellent travail de la guitariste
signée par Gibson. Pour les fans, il
y a encore «Burying My Trouble», et cette sensation que Melody vous
parle en direct pour vous dire l’essence de son existence. Ce dialogue ne peut
vous laisser insensible.C’est la magie
de Melody. Rendez-vous pour un nouvel opus qui semble-t-il pourrait avoir la
couleur du Brasil d’Astrud, Antonio et Stan?
The Katie Bull Group Project All Hot Bodies Radiate
The Crazy Poet Song, Venus on the A Train, Koko's Can Do
Blues, Ghost Sonata, The Drive to Woodstock, If I Loved You/ What if?,
Torch Song to the Sub, Love Poem for Apollo, I Guess This Isn't Kansas Anymore,
Some Perfume Home, Ding Dong the Witch Is Dead, Rapture for the David, The Sea
Is Full of Song Katie Bull (voc) Jeff Lederer (ss, ts), Landon Knoblock (p),
Joe Fonda (b), George Schuller (dm) Enregistré en avril 2013, Paramus (New Jersey) Durée: 1h 04’ 54’’ Corn Hill Indie (www.katiebull.com)
Katie Bull, poétesse d'avant-garde, compositrice et
arrangeuse, est fortement impliquée dans la défense de la nature et est très
préoccupée par les changements climatiques. Dans ce CD sous-titré
«Love-Nature-The Nature of Love», elle psalmodie (plus qu'elle ne
les chante) ses textes sur fond d'une musique de jazz tout aussi
intransigeante, car, l'engagement musical est total, etplus proche des véhémences du free jazz que
des candeurs du «flower power».
Si lasection rythmique ne mérite que des éloges,
Jeff Lederer, le saxophoniste, magnifique musicien, fortement influencé
parAyler, sideman occasionnel de Buster
Williams ou de Gunther Schuller et conseiller pédagogique du Jazz at Lincoln
Center est, quant à lui, digne d'encore plusde compliments. Ce disque étant avant tout un manifeste militant et ne
conviendra pas vraiment à une écoute familiale apaisée de fin de week-end....
Mais il rappelle à bon escient, s'il en est encore temps, que le jazz a aussi
une dimension politique.
Graffiti Celtique, Guizeh, Rue aux fromages, Nomade sonore,
Monsieur Toulouse, Popa, Kamar, Matin rouge, Sur le pont de Gazagou, Cheeky Monkey Eric Seva (ss, bs), Daniel Zimmerman (tb), Bruno Shorp (b) Enregistré à Maison Alfort, date non communiquée Durée: 59' 33' Gaya Music Production ESGCD001 (Socadisc)
Le saxophoniste Eric
Seva a le sens des titres qui font mouche pour décrire sa démarche. AprèsFolklores
imaginaires (en 2005 avec Didier Malherbe au doudouk) et Espaces croisés (en 2009, avec Lionel
Suarez au bandonéon), voiciNomade sonore, son dernier album. Ayant grandi dans un milieu très concerné par le bal musette,
il eutle privilège d'être initié au
jazz dès l'enfance par un grand expert en la matière, son voisinJean, l'immense (et si tendre) dessinateur
Cabu. Oui, celui là-même qui nous manque tant. Enfin, après de solides études
musicales, Eric Seva eut, la chance d'être choisi comme élève par Dave Liebman.
Alors, question métissages, il en connait un rayon.D'autant que ponctuée de rencontres
miraculeuses, sa carrière l'a conduit àenregistrer avec l'ONJ, Khalil Chahine, Didier Lockwood, Sanseverino,
Maxime Leforestier, Dick Annegarn ou... Céline Dion (pour faire court). Difficile de décrire sa musique tant elle déborde
d'influences diverses mêlant,parfois au
sein d'un même morceau, un folklore désuet revitalisé parles«notes bleues»,aujazz le plus swinguant.
Ecriture précise, larges plages d'improvisations, climats et rythmiques
combinantmoments de tension et de
plénitude dans un tourbillon frénétique rempli de rebondissements, ne cessent
de surprendre. Les très beaux sons de soprano et de sax baryton s'accordent à
merveille avec la variété des timbres du trombone (la prise de son est
remarquable), tandis que la basse et la batterie tiennent avec légèreté et une
grande complicité leur rôle indispensable de gardien du cap. C'est tout
simplement captivant! Ce disque est dédié aux douze victimes de l’attentat
de Charlie Hebdo. On comprend
pourquoi.
Julie Saury / Carine Bonnefoy / Felipe Cabrera The Hiding Place
Harufe, Laissez-moi, Through the Clouds, Desde Abrit,
Samuel, The Hiding Place, Horns and Horses, Vertigo, Un p'tit moi, Stars Fell
on Alabam
Julie Saury (dm), Carine Bonnefoy (p), Felipe Cabrera (b)
Enregistré les 3, 4 et 5 octobre 2013, Videlle (91)
Durée: 1h 00' 42''
Gaya Music Production 021 (Socadisc)
Quel est donc ce lieu évoqué par le titre de
l'album? Si c'est celui de l'origine géographique des membres de ce trio "mixte" (deux filles et un garçon) venant d'horizons si différents,
il faudra se plonger dans un atlas et se livrer à de sacrés calculs... Car si
Julie Saury est parisienne et Felipe Cabrera cubain (ou parisien?),
Carine Bonnefoy a des origines polynésiennes, mais a grandi en Provence... Quel
casse-tête! Peu importe, ils se sont trouvés et bien trouvés. Chacun a
apporté ses compositions, et le choix du seul standard (dédié à
Maxim... dont le nom de famille n'est pas un vraisecret et qui est joué avec beaucoup de
tendresse), n'a pas dû faire débat tant l'entente de ce trio semble totale.
Thèmes d'une grande qualité, mises en place découpées au scalpel (en trio on ne
peut guère parler «d'arrangements»), écoute de tous les instants,
respect de la parole de l'autre, changements de climats soudains et inattendus,
interactions éclairs, ostinatos furtifs, choix harmoniques audacieux et
surprises rythmiques diaboliquement maîtrisées. Bref, tout ce qu'il est normal
d'attendre d'un trio de "vieux briscards", rompus par des années de
tournées est là. Evident.
Ce CD est un prodige d'invention de grâce et d'authenticité.
Enregistré dans le confort d'un studio on dirait presque un live.
Une vraie réussite!
Baiao loco, Quel chic, Blue Samba, Il pleut bergère, Astor,
Lucie, Aria pour Michèle, Anatelius, Petite valse, Suite pour piano et quatuor
à cordes, Like a child Jean-Yves Candela (p), François Arnaud, Bertrand Cervera
(vln),Vincent Aucante (avln), Thierry Amadi (cello), Marc Bertaux (b), Realcino
Lima Filho dit Nenê (dm) Enregistré en mai 2006, Paris Durée: 51’ 58’’ JMS 111-2 (Sphinx Distribution)
La guimauve n’étant pas son fort, c’est toujours avec un peu
d’appréhension que le chroniqueur reçoit un disque de jazz «avec
cordes». Mais àl’écoute de
celui-ci, les craintes sont vite dissipées. Malgré un penchant certain pour le
côté fluide et nostalgique des harmonies de la musique brésilienne, le
pianiste, Jean-Yves Candela y signe des compositions énergiques et des
arrangements dénués de mièvrerie. Le trio piano, contrebasse, batterie emporte
l’enthousiasme par le dynamisme,la
précision, et la richesse harmonique de cette musique élégante et lyrique.
Thèmes de toute beauté, improvisations pertinentes et mises en place
redoutables de finesse ne souffrent aucunement de la présence des cordes,celles-ci n’étant pas, comme si souvent,placées en renfort ou en fond de scène. Mais,
postées à point, et parties prenantes du discours, elles participent pleinement
à sa réussite. Signe des temps, malgré les références de son auteur (Les
Etoiles, Elisabeth Kontomanou, Babik Reinhardt, Christian Escoudé, Sylvain Luc,
Richard Galliano, André Ceccarelli, JM Jafet, les frères Belmondo…), remarqué
par André Francis dès 1989, son disque sort presque dix ans après avoir été
enregistré… Dur dur de faire carrière quand on vit en province…
Smiles for Serious
People, Cyclone, Child's Mood, Crystal Rain, Shanty Trails in the Sky, Crossing
Flow, Two Sides, On the Road, Vantan Céline Bonacina (bs, ss), Gwilym
Simcock (p), Chris Jennings (b),Asaf Sirkis (dm) Enregistré du 25 au 27 août 2015, Meudon (92) Durée: 55’ 07’’ Cristal Records 245 (Harmonia Mundi)
Céline
Bonacina, saxophoniste baryton et soprano de 40 ans, originaire de Belfort,
s’est formée dans les conservatoires, cursus dont elle est sortie diplômée et
qui lui a permis d’enseigner pendant sept ans sur l’île de la Réunion. De
retour dans la métropole en 2005, elle crée son propre trio jazz et autoproduit
un premier album, Vue d’en haut.
Suivent deux disques en trio parus chez ACT, Way of Life (2010, avec la participation de Nguyên Lê) et Open Heart (2012, avec en invités Mino
Cinelu, perc, et Pascal Schumacher, vib). Trois opus marqués par la volonté
d’intégrer au jazz des influences world
music.
Avec Crystal Rain elle nous présente son
nouveau quartet acoustique, formation qui conserve une teinte world, et qui porte une musique
essentiellement écrite par son leader. Les
accents boisés du baryton de Céline Bonacina sont mis au service de
compositions aériennes, comportant des préoccupations esthétiques et une
tonalité qu’on pourrait qualifier de contemplatives et spirituelles (référence
au cristal qui dans la mouvance New Age est le prisme permettant une certaine ouverture
au monde).Si les notes
chaleureuses du baryton prédominent, Céline Bonacina utilise aussi le soprano
au travers de contrastes plus appuyés sur des plages atmosphériques mettant en
valeur le jeu inspiré des cymbales d’Asaf Syrkis. L’imaginaire
est fortement sollicité à l’écoute de cette musique dont l’onirisme ne se
dément pas, mais l’apparentement au jazz s’exprime ici principalement par les
arrangements et l’interplay présent entre
les instrumentistes.
CeCrystal Quartet utilise
des mesures composées, et bien qu’un véritable sens du collectif anime l’album,
la pulsation rythmique ne permet que sporadiquement la mise en valeur des
contributions propres à un musicien en particulier. Du coup, l’univers des
joutes instrumentales est à peu près absent du vocabulaire usité sur ces
pistes, remplacé par l’ambition d’élaborer un discours musical inédit, basé sur
les émotions. On ressent d’ailleurs clairement la présence d’autres courants
musicaux que le jazz parmi les influences de la saxophoniste (d’où une quasi
absence de swing), et surtout un véritable sens de l’ornementation qui ne relève
jamais de l’enluminure gratuite, de plus assorti de breaks bienvenus, qui émaille les titres les plus audacieux de ce Crystal Rain.
Le CD se clôt joliment
sur «Vantan»,
une ballade mémorable du contrebassiste, et paradoxalement c’est peut-être sur ce
titre (en dehors, bien sûr, de «Crystal Rain») qu’on ressent le plus l’âme
d’enfant sous l’égide de laquelle Céline Bonacina a voulu placer son œuvre.
Emile Saint Saëns,
Willie’O, The Stalker, You Make Me Feel so Crazy, Latina, Billy Hart, Brook,
Studio 16, Be Bop à Lulu
Jean-Philippe
O’Neill (dm), Ronald Baker (tp, voc), Philippe Petit (p), Peter Giron (dm)
Enregistré du 1er
au 4 février 2014, Paris
Durée: 48’ 39’’
Black & Blue
798.2 (Socadisc)
A tous ceux qui
n’entendent la créativité en jazz qu’en le dénaturant de son essence,
Jean-Philippe O’Neill oppose un démenti incontestable. Soit Willie’O, un album uniquement constitué
d’originaux, dans une tonalité globalement bop. Ceux qui fréquentent les clubs
parisiens, en particulier le Caveau de La Huchette, on pu repérer ce joyeux
gaillard aux côtés de Ronald Baker. Une enfance au Mexique, une adolescence à
Paris et une dizaine d’années à New York (il est diplômé de la Rutgers
University) ont par ailleurs donné au batteur des horizons larges et une solide
maîtrise du swing. Et c’est justement de cette rencontre avec l’ami Ronald –
nous explique-t-il dans la (trop) courte notice du CD – qui a jeté les bases de
ce quartet (ce qui ne nous étonne guère, tant ce projet paraît cousin des
albums de l’excellent Ronald Baker Quintet), lequel est fort bien complété par
l’une des Rolls parisiennes de la contrebasse, Peter Giron, et le groovissime
Philipe Petit.
Outre la qualité
des interprètes, celle des compositions – signées par les trois sidemen – et
des arrangements sont à souligner. Les ambiances sont variées, allant de l’évocation
de la musique d’Horace Silver (excellent «Emile Saint Saëns» de Petit) à un détour
par Cuba («Latina» de Baker), tandis que l’on compte quelques jolies ballades
portées par la sensibilité aiguë du trompettiste, en particulier sur les deux
meilleurs titres de cet opus: «Billy Hart» (un hommage bienvenu sur un
disque de batteur!) et «Brook», tous deux écrits par Peter Giron.
Willie’O est ainsi une œuvre collégiale dans laquelle le leader ne se met pas
en avant: à peine nous gratifie-t-il d’un solo en ouverture de «Latina» (où le
duo avec Philippe Petit, tout aussi percussif, fonctionne à merveille). Un
excès de modestie peut-être. Mais on ne va pas se plaindre que la belle
cohésion du groupe ni des couleurs subtiles que Jean-Philippe O’Neill distille
du bout des baguettes.
My Time Is Now, Ride On, Ballade for Kele, What Do You See?, Dirty Old Town, Happy, Main Street, She Moves Through the Fair, D’iazz Song, That’s True, Now and Then, My Dear Friend, And I Ask You Why, Love for Two Austin O’Brien (voc), Michel Pastre (ts), Christian Brun (elg), Philippe Petit (org), François Laudet (dm) Enregistré en 2014, Meudon (92) Durée: 56’ 39’’ Autoproduit (www.austinobrienmusic.com)
Les habitués du Caveau de La Huchette ont forcément déjà croisé sa haute silhouette au bar, dans le public et évidemment sur scène. Car cela fait dix ans que cet Irlandais à la forte personnalité fréquente le club de Dany Doriz. Entertainer se réclamant de la tradition des Harry Connick Jr, Frank Sinatra et Tony Bennett, Austin O’Brien propose un album qu’il présente avant tout comme un compagnonnage amical et musical avec Michel Pastre, François Laudet, Christian Brun et Philippe Petit, ce dernier étant l’auteur des arrangements. La qualité du groupe qui entoure le chanteur n’est effectivement pas le moindre des atouts de ce projet (le son hawkinsien de Pastre est tout simplement magnifique) comprenant à une large majorité des originaux, ce qui n’est pas le cas le plus fréquent pour un disque de swing. Ces compositions sont toutes signées ou cosignées par le leader avec Petit, Brun, Michel ou César Pastre (on doit notamment au jeune fils du ténor – par ailleurs, excellent pianiste – une jolie ballade: «D’iazz Song») et elles sont de bonne facture (avec une mention spéciale pour «That’s True», concoctée par O’Brien et Petit). Côté reprise, on retiendra une surprenante version du tube R’n’B de Pharrell Williams, «Happy», – si bien jazzifié qu’on le prendrait pour un standard –, alors qu’avec le traditionnel irlandais, «Dirty Old Town», l’opération paraît artificielle. Résultat des courses: un disque fort sympathique porté par un interprète qui mérite de l’attention.
Magic Dance, Bud Like, Cook's Bay, In the Slow Lane, Shuffle Boil, Light Blue, Lunacy, Dreams, Prayer, Nightfall
Kenny Barron (p), Kiyoshi Kitagawa (b), Johnathan Blake (dm)
Enregistré les 4 et 5 juin 2015, New York
Durée: 1h
Impulse! 477 0129 (Universal)
Kenny Barron en trio, c’est un classique du jazz, l’un des
meilleurs de l’histoire. Il a aussi enregistré en solo (At Maybeck), en duo (Together avec Tommy Flanagan, Red Barron avec Red Mitchell, Two As One avec Buster
Williams, People Time avec Stan Getz,Night and the City avec Charlie
Haden), en quartet (la série des Sphereavec Charlie Rouse, Buster Williams et Ben Riley), voire en plus grande
formation, toujours de magnifiques disques, parce que Kenny Barron est l’un des
piliers du jazz d’aujourd’hui, un musicien qui a magnifié l’histoire du jazz
depuis sa jeunesse, aux côtés de Dizzy Gillespie dès 19 ans pour un parcours
d’excellence sans le moindre égarement.
En trio, comme dans tous les formats, c’est un géant, et la
connivence entre musiciens comme la large place laissée à l’expression de
chacun de ce format réduit, ont fait de cet échange à trois celui qu’il utilise
le plus en tournée. On se souvient, mieux, on se les repasse fréquemment, de
ses trios avec Buster Williams et Ben Riley (Green Chimneys, IMO Live),
avec Ron Carter et Michael Moore (1+1+1),
avec Cecil McBee et Al Foster (Landscape),
avec Ray Drummond et Ben Riley, un trio au long cours avec lequel il a souvent
tourné, l’une des plus belles réunions de l’histoire (Lemuria), avec Rufus Reid et Victor Lewis (The Moment), avec Charlie Haden et Roy Haynes (Wanton Spirit)… On pourrait s’étendre, mais il vaut mieux retourner
à son interview du n°575 de Jazz Hot,
avec la discographie détaillée qui vous donnera des idées et des envies de
disques de Kenny Barron.
L’essence du jazz y est dans toutes ses dimensions: la
qualité de l’expression (plénitude, nuances, récit), le blues, un swing jamais
contraint, l’originalité absolue et un sens rare de la mise en place, une sorte
de perfection harmonique et rythmique qui ne se départit jamais d’un langage
naturel, accessible. En homme de la mémoire du jazz, il n’oublie jamais ceux
qu’il admire (Thelonious Monk, représenté dans ce disque par deux thèmes) ou
qu’il a côtoyés: un beau thème très nostalgique («Nightfall») est dédié à
Charlie Haden, et bien entendu Kiyoshi y a une partie réservée.
Kenny Barron a, derrière sa science infinie du jazz et du
clavier, l’ouverture et l’humilité de servir le jazz, la musique avec naturel,
de mettre à la disposition de toutes les oreilles, même les plus profanes, la
beauté de cette musique avec son talent d’artiste accompli. Comme les plus
grands du jazz, Kenny Barron rend le jazz accessible à tous, et toujours avec
une modestie, une allure anti-star qui incarne l’esprit du jazz dans ce qu’il a
de meilleur. L’idéal artistique.
Dans ce disque, avec des partenaires triés sur le volet et
qu’il élève au sommet de l’expression, Kiyoshi Kitagawa (1958, Osaka) et
Johnathan Blake (1976, Philadelphie), il délivre encore une œuvre parfaite. Il
suffirait d’écouter le seul «Lunacy» pour s’en persuader, mais chaque thème est
une merveille, et le disque est d’une certaine manière encore plus abouti que
la prestation en concert à Paris (cf. nos comptes rendus), car chaque thème
profite d’une forme d’économie et de rigueur (de temps et d’espace) qui confère
plus d’intensité, comme dans «Prayer» où Kiyoshi Kitagawa nous gratifie d’un
très beau jeu à l’archet et Johnathan Blake de ses nappes aux cymbales comme
des voiles jetés sur les notes perlées d’un Kenny Barron extatique.
On devrait encore s’arrêter sur ce «Bud-Like», sur chacun
des thèmes, sur la construction du disque qui alterne thèmes aériens et
intense, tempos médiums et tempos rapides, originaux et classiques, avec l’art
consommé de Kenny Barron de savoir faire respirer la musique et l’auditeur,
pour la beauté de l’une et l’attention de l’autre. Kenny Barron est un sommet
de l’art du trio aujourd’hui, tant mieux pour le jazz et pour nous!
64 titres
Ella
Fitzgerald (voc) avec:
8 mai
1957: Don Abney (p), Herb Ellis (g), Stuff Smith (vln), Ray Brown (b), Jo Jones
(dm)
30 avril
1958: Lou Levy (p), Max Bennett (b), Gus Johnson (dm)
23
février 1960: Paul Smith (p), Jim Hall (b), Wilfred Middlebrooks (b), Gus
Johnson (dm)
28
février 1961 et 11 avril 1961: Lou Levy (p), Herb Ellis (g), Wilfred
Middlebrooks (b), Gus Johnson (dm)
16 mars
1962: Paul Smith (p), Wilfred Middlebrooks (b), Stan Levey (dm)
Enregistré
à Paris
Durée: 1h
16’ 03” + 1h 14’ 21” + 1h 17’ 39”
Frémeaux
& Associés 5476 (Socadisc)
Dans le
cadre de la collection «Live in Paris: la collection des grands concerts
parisiens», dirigée par Michel Brillié –qui rédige le texte du livret– et
Gilles Pétard, le directeur de feu la bonne collection Classics (intégrales
chronologiques du jazz, par musicien), voici le volume consacré à Ella
Fitzgerald, après Miles Davis, Quincy Jones, Ray Charles, Count Basie, et d’autres
sont à venir sans doute, sous le parrainage bienveillant du label de Patrick
Frémeaux, qui continue son œuvre. Puisse-t-on trouver la solution pour le
conserver au jazz dans la glace, mais actif, pour le siècle entier.
En
particulier, parce que ce coffret de trois disques est un événement majeur du
jazz et de l’art –puisqu’on parle d’Ella Fitzgerald– même si personne d’autre
que Jazz Hot ne le dit. On espère
quand même, après cette chronique, que les lignes bougeront… Les
enregistrements sont indiqués comme étant dus à l’équipe d’Europe 1 et crédités comme produits par Norman Granz, Frank Ténot
et Daniel Filipacchi. A ce propos, si l’essentiel des titres du volume consacré
à Count Basie était déjà paru à un titre près (chez Magic-Awe et Laserlight, cf.
discographie), cette mention d’une coproduction pour Ella est mystérieuse car
deux des trois sont morts et ne nous le diront pas, et que ce volume semble
intégralement inédit pour tous les discographes, ce qui en fait un diamant pour
tous les amateurs de jazz et de chant et de la First Lady, et ils sont
nombreux.
En effet,
la consultation des discographies d’Ella, alors qu’elle mentionne beaucoup des
concerts européens enregistrés lors de ces tournées de 1957 à 1962 (Berlin,
Rome…), produits par Verve, et donc enregistrés avec l’aval de Norman Granz à
l’époque, ne mentionne aucun des enregistrements d’Ella à Paris inclus dans ces
trois disques. Il est d’ailleurs douteux autant pour Ella que pour le Count que
l’enregistrement des concerts de 1957 soit dû aux techniciens d’Europe 1. A cette époque, Europe 1, dont l’émetteur est au-delà de
la frontière française, en Sarre qui a choisi l’Allemagne (en raison du
monopole des ondes en France), vient à peine de commencer à émettre depuis
1955, et non sans difficultés car le message est brouillé (cf. Dictionnaire de la Radio, Pug), étant à
l’époque une radio-pirate (sans accord formel d’émission et attribution d’une
longueur d’onde). La sulfureuse Europe 1,
en 1960-1962, bien qu’émettant alors, est encore au centre d’un conflit
juridique interne sur le nom même de son propriétaire qui provoquera un conflit
entre la France et la Principauté de Monaco (Histoire de la Radio en France de René Duval, Alain Moreau). Une
«guerre» que la France gagnera (pour une fois) mais qui n’est pas plus à son
honneur que celle d’Algérie.
Frank
Ténot, dans son histoire Radios
Privées-Radios Pirates (Denoël), qui reprend souvent les informations
telles quelles de René Duval, élude cette fois l’épisode de 1960-62, et signale
en forme d’épitaphe que le fondateur d’Europe
1, Charles Michelson, un industriel juif, mourut ruiné en 1970. Notre
imagination et quelques informations indiquent
qu’il fut doublement spolié de sa création (qui tire des racines
lointaines en 1936), d’abord en 1940 par Laval, en personne, puis en 1962, lors
de ces épisodes juridico-rocambolesques qui ont bercé la naissance d’Europe 1, qui mêlèrent en dehors de
Michelson, Sylvain Floirat, industriel au passé sulfureux, les Etats français
et allemands, la Principauté de Monaco, le monde de la finance de cette époque,
l’Assemblée nationale française, et brassèrent quelques milliards au total.
C’est une vieille histoire, aujourd’hui oubliée, qui dépasse l’imagination, et
nous en rappelle d'autres, plus actuelles.
Pour
revenir donc à notre disque, qui nous a permis de replonger dans une histoire à
la Dumas-père, mais qui se termine, selon notre imagination, moins bien pour le
bon que pour le truand, on peut imaginer que les actifs Ténot et/ou Filipacchi,
amateurs de jazz et activistes de la radio, pionniers du show business et à
l'orée d'un empire des médias (Pour ceux
qui aiment le jazz, et Salut les
copains sur Europe 1), aient
enregistré, avec leur Nagra III (apparition déterminante en 1958 d’un petit
enregistreur à bande de haute qualité entièrement transistorisé) ces concerts
d’Ella Fitzgerald, en se passant du consentement de Norman Granz qui veillait
jalousement sur sa perle rare et sur tous ses enregistrements. Le livret
rappelle justement l’attention extrême que Norman Granz portait à Ella
Fitzgerald. Cela expliquerait, on peut aussi l’imaginer, que Norman Granz n'ait
pas publié lui-même cet enregistrement, et qu’on ait attendu la disparition de
Norman Granz et plus de 50 ans de délai pour voir apparaître ces enregistrements
précieux.
L’auteur
d’un livret sympathique mais insuffisant vu la réalité exceptionnelle de cet
enregistrement – qui a pu aussi circuler entre collectionneurs, n’en doutons
pas, dans des éditions pirates non connus des discographes – raconte d’ailleurs,
en trouvant succulente l’anecdote, que l’un des jeux du 28 février 1961
consista à berner Norman Granz qui réclamait pour Ella, sous peine d’annulation
– Ella à qui on avait réservé pour toute loge un coin des coulisses et un paravent
– une loge équivalente à celle d’Edith Piaf, la sauveuse de l’Olympia, alors en
difficulté sur le plan économique. On trouva l’astuce d’un faux panneau Edith
Piaf sur une porte de placard. L'histoire fait «sourire jaune».
On
imagine (encore) que les relations d’alors avec Norman Granz n’étaient pas à la
coproduction d’un enregistrement d’Ella, comme l’indique le livret plus de 50
ans après. Et si tel avait été le cas, on suppose que ces enregistrements
auraient fini dans les archives de Verve, comme ceux des autres pays d’Europe,
et seraient disponibles depuis cinquante ans.
Mais bon,
tout ça n’est que de l’imagination, et le résultat est là…
On
découvre avec bonheur, la grande, la splendide, la surnaturelle Ella
Fitzgerald, au sommet de son art, pour plus de trois heures trente minutes de
musique inédite, au moins pour la plupart des amateurs. Merci à ceux qui ont
dévoilé ces merveilles du jazz.
La First Lady, non pas du jazz, mais of Song, au singulier, mérite ce titre.
Elle reprend non seulement quelques blues, avec autant de grâce que de
gouaille, Ellington, Monk, Strayhorn, Ray Charles, etc., mais encore le grand
livre de la chanson populaire américaine (Irving Berlin, George Gershwin, Cole
Porter, Johnny Mercer, Rodgers & Hart…) que justement Norman Granz l’a
incité à explorer dans le courant des années cinquante. Elle est en ce début
des années soixante et restera jusqu’à son décès en 1996, une icône du jazz, un
absolu du chant, l’équivalent de Maria Callas dans l’art lyrique classique.
Il ne
sert à rien d’isoler un thème dans cet ensemble d’un niveau exceptionnel. Il
suffit simplement de se rendre compte qu’un inédit d’Ella Fitzgerald, trouvé
dans la poussière du temps, doit être un événement artistique majeur de la
planète, comme le serait la découverte d'inédits de Maria Callas, ou la
découverte d’un tableau de Van Gogh dans un grenier.
Ce serait
alors un événement médiatique, un best-seller… Avec notre imagination, on peut
le souhaiter à la maison Frémeaux, elle le mérite pour ce travail exceptionnel
autour de la mémoire du jazz.
Good News, One Life, Peri's Scope, I'll Wait and Pray, A New
Day, KD JR. (In Memory of Kenny Drew, Jr.),The Power of Two, The Duke, Circle Into Your Grace, Whistling Spirits Steve Slagle (as, fl), Bill O’Connell (p) Enregistré le 12 septembre 2014, Paramus (New
Jersey) Durée: 53’ 23” Panorama Records 005 (www.steveslagle.com)
Cet album a vu le jour à partir de l’idée d’un hommage de Steve
Slagle à son ami Kenny Drew, Jr., pianiste de grand talent, prématurément
décédé, à 56 ans, en 2014. Steve et Kenny ont partagé plusieurs aventures
musicales ensemble, dont celle du Mingus Big Band, et Kenny avait participé à
des enregistrements de Steve (Reincarnation,
1994, chez SteepleChase). C’est l’occasion également pour Steve de retrouver un
autre vieux compagnon de route, Bill O’Connell, et de permettre aux amateurs
d’écouter cette musique de la nuance, de la profondeur, intime mais également
puissante et émouvante comme l’évoque le titre. Dans le jazz, la musique en duo laisse beaucoup de place à
l’expression de chacun et permet un dynamisme et une grande spontanéité par le
dialogue et bien sûr par la légèreté de la formule. Sur un répertoire
majoritairement de Steve Slagle, avec deux compositions de Bill, un standard du
jazz et deux compositions de Miles Davis et Dave Brubeck, Steve et Bill se
répondent avec complicité, vérité, et c’est tout l’intérêt de la
rencontre.Du beau jazz, où l’émotion est omniprésente, joué par deux
excellents musiciens. Steve Slagle alterne la flûte
et l’alto – cela enrichit la palette du duo d’autant que Steve Slagle y excelle
–, et donne la pleine mesure de ses qualités expressives qu’on apprécie depuis
tant d’années (belle sonorité). Bill O’Connell est à l’écoute, soutient ou
intervient avec un sens mélodique confirmé, un toucher très fin dans la grande
tradition du beau piano jazz si riche et élaborée. Un plaisir de disque de jazz
(avec tous les accents swing et blues) pour nous rappeler le regretté Kenny
Drew, Jr., qui partageait avec ces deux musiciens le sens de la musicalité. Des
musiciens au service de la musique et du jazz: excellent!
Afternoon in Paris, Garden at Life Time, B♭ Where It’s At, Minoru,
Yesterdays*, Day Dream, Sunset and the Mockingbird, Three Little Words
Lew
Tabackin (ts, fl), Boris Kozlov (b), Mark Taylor (dm)
Enregistré
les 20 mars* et 20 avril 2015, New York
Durée
: 1h’
Autoproduit
(www.lewtabackin.com)
S’il
enregistre peu, joue à Paris une fois par an, à peu près jamais en régions ni
dans les festivals de jazz, Lew Tabackin est pourtant bien présent. Il revient
avec un excellent album, autoproduit et enregistré dans les conditions du live au
Drum Shop de Steve Maxwell (le 20/04/15), à New York, avec le photographe/ingénieur
du son Jimmy Katz à la coproduction (un titre, «Yesterdays» ayant
été enregistré un mois plus tôt à son domicile).
Pour
ce trio sans pianiste, le format qu’il préfère, le ténor s’est entouré de ses
fidèles compagnons de route, Boris Kozlov et Mark Taylor, présents aussi sur Tanuki's Night Out (2002) et Live in Paris (2008). Il joue depuis une
dizaine d’années avec le bassiste et plus de trente ans avec le batteur. C’est
donc ici l’album d’un vrai groupe de jazz, avec une complicité musicale très
solide.
Les
standards choisis par Tabackin et ses compositions personnelles ont une
histoire et racontent une histoire: «Afternoon in Paris»
est un titre de John Lewis avec qui il jouait régulièrement, et enregistra
l’album Duo en 1981. C’est aussi une
composition qu’il interprète souvent, en tournée, et c’est l’hommage à Paris
après les deux attentats, ville avec laquelle il a noué de fortes attaches, et
dont il ne manque jamais de saluer en concert l’importance historique dans
l’histoire du jazz. Pour
sa «trilogie» japonaise, «Garden at Life Time» évoque
la fois où le patron du club de jazz Garden Cafe Lifetime, à Shizuoka, avait demandé au musicien
d’accompagner à la flûte le spectacle «Hagoromo»,
une des plus célèbres pièces de théâtre Nô ; «B♭ Where It’s At» est un hommage
au club de jazz B Flat, à Tokyo, où il joue depuis des
années;«Minoru» salue la mémoire de Minoru Ishimari, réparateur
de saxophones qui «sauva la vie» du musicien à de nombreuses
reprises lors de ses tournées au Japon.
Cette
sélection de titres et ce va-et-vient entre le ténor et la flûte ressemblent
bien à un des puissants sets de Tabackin qu’on peut entendre en club. Comme il
nous le racontait dans son interview (dans ce numéro 675), son approche des
deux instruments change du tout au tout. Et c’est bien deux voix qu’on entend, deux
personnalités distinctes: un ténor qui rugit, au gros son qui envahit la
salle, nourri de Coleman Hawkins, Ben Webster, Sonny Rollins, Zoot Sims (son
«grand frère»), avec ses improvisations intenses, brûlantes, et un
flûtiste, au son très personnel, qui apporte d’autres textures, d’autres
couleurs, dans un mélange de jazz et de tradition orientale, japonisante, classique.
Si le jeu du musicien est élégant, intègre et sans concession, il a d’autant
plus de charisme et de présence qu’il joue en totale confiance, soutenu par
deux excellents musiciens, très swing, toujours mis en valeur par le leader.Si les interprétations au ténor suffisent à elles seules à faire de cet
album une réussite, celles jouées à la flûte poussent le niveau d’un
cran supérieur: «Garden at Life Time» est plein de cette
tension dramatique qu’on peut imaginer sur la scène d’une pièce Nô, et son superbe
«dérangement» de «Sunset and the
Mockingbird», s’il est, dit-il, sa façon de taquiner les puristes de Duke
Ellington en incorporant autant de Charlie Parker que possible, il est surtout
l’affirmation profonde d’un musicien complet, inspirant, bouleversant et la
preuve que le jazz est un art bien vivant.
Chuck Israels Jazz Orchestra Joyfull Noise: The Music of Horace Silver
Sister Sadie, Moonrays, Creepin’ in, Doodlin’, Cool Eyes,
Opus de Funk, Strollin’, Cookin’ at the Continental, Peace, Home Cookin’, Room
608 Chuck Israels (b, dir), Charlie Porter (tp), John Moak (tb),
Robert Crowell (as, bar, fl), John Nastos (as), David Evans (ts), Dan Gaynor
(p), Christopher Brown (dm) Enregistré les 1-2 septembre 2014, Portland (Oregon) Durée: 1h 09’ 37” Qoulsatch Music 7827724472 (www.soulpatchmusicproductions.com)
Pour ceux qui se souviennent du beau parcours de Chuck
Israels depuis les années cinquante entre Eric Dolphy, George Russell, Cecil
Taylor et Bill Evans durant les années soixante avec qui il enregistra beaucoup
de disques remarquables, cet hommage à Horace Silver pourrait paraître curieux.
Pourtant, à y regarder de plus près, il n’étonne pas. Chuck Israels avait parlé
de jazz dans une interview accordée à Jazz
Hot (n°654), en 2010, et raconté comment il était né dans une époque
extraordinaire, peuplée de musiciens d’une intensité remarquable, et il raconte
dans le texte de livret comment lui et ses copains, dans cette époque, se
précipitaient pour acheter les premiers le dernier disque d’Horace Silver,
toujours entouré de la génération dorée de hard boppers, Art Blakey, Curley
Russell, Lou Donaldson, Clifford Brown, etc. Sa discographie, surtout en sideman, a aussi montré qu’il a
enregistré avec Coleman Hawkins,Stan
Getz, Barry Harris, Herb Ellis, et il a joué avec tant de musiciens de jazz
extraordinaires… Il raconte sa première rencontre avec Horace Silver, comme
auditeur d’un enregistrement de studio à la fin des années cinquante, et sa
profonde admiration pour le grand compositeur, dont il reprend ici un
florilège, et pour l’homme, une nature ouverte, joyeuse et généreuse, d’où le
titre de cet album, Joyful Noise. Et
on ne peut qu’acquiescer, car si un musicien a autant donné à la fois par son
rôle de transmission au sein de ses splendides orchestres, et par son talent de
magnifique compositeur et arrangeur, c’est bien le grand Horace Silver (cf. Jazz Hot n°528, 1996, avec une
discographie) disparu en 2014. Sa musique très personnelle, swingante («Room
608»), joyeuse («Doodlin’», «Sister Sadie») et parfois si émouvante («Peace»),
a tellement été reprise que cet hommage à l’un des très grands compositeurs du
jazz est évident pour tout amateur de jazz, et Chuck Israels en reste un,
au-delà de sa grande carrière. Le bassiste natif de New York, installé à Portland dans
l’Oregon, a fait appel à des musiciens de la scène locale, soit qu’ils y soient
nés comme Robert Crowell (McMinnville, à côté de
Portland), John Nastos, Christopher Brown, Dan Gaynor (Portland) ou
installés comme John Moak (Oklahoma),Charlie Porter (New York), David Evans (Alabama). Les arrangements sont
très respectueux de l’original (Gaynor respecte lui-même le jeu de piano de
Silver dans son phrasé), et le disque est excellent avec ce qu’il faut de
dynamique pour cette musique, et des instrumentistes de qualité. John Moak est
un beau trombone qui donne ici d’excellents chorus; Charlie Porter, qui a suivi
les enseignements de la Juilliard (jazz et musique classique) est un trompette
percutant, et chacun des saxophonistes apporte sa couleur. Mais cette musique,
conçue comme une sauce de grand chef étoilé, vaut par la couleur des
arrangements. Chuck Israels remarque un des attributs essentiels du jazz
dans les années cinquante, l’intensité des musiciens d’alors. Il est certain
que c’est aujourd’hui difficile de la retrouver dans une revisite, mais on
passe plus d’une heure de plaisir à l’écoute de ces belles musiques fort bien réinterprétées,
avec exigence, et nul doute que Chuck Israels s’est fait et nous a fait un
grand plaisir avec cette relecture de grande qualité.
Dark Blue, Interlude V-2,
Latina Bonita, Interlude V-6, My Scenery, Interlude V-9, Five Days in May,
Vonski, Interlude, Inner Orchestrations, Percussion Song Two, Chico, Interlude
V-5, What's in Between, Essence of Silence, Interlude V-4, A Distinction
Without a Difference, Interlude V-10, Angel Eyes, Percussion Song One, Marko*,
Chico & George Introductions
George Freeman (g, voices*),
Chico Freeman (ss, ts), Kirk Brown (p, clav), Harrison Bankhead (b, voc), Hamid
Drake (dm), Reto Weber (hang, perc), Mike Allemana (g), Joe jenkins (dm),
Joannie Pallatto (voices)*
Enregistré de septembre 2014 à
janvier 2015, Chicago
Durée: 1h 18’ 55”
Southport 0143
(southport@chicagosound.com)
Un album de famille sans nul
doute, et plus encore si on étend cette notion de famille à la ville qui a vu
naître l’oncle et le neveu, George et Chico, car on retrouve dans cette
production exceptionnelle, l’ensemble des composantes musicales qui font de
Chicago l’équivalant, au bord des Grands Lacs du nord des Etats-Unis, du Gumbo
néo-orléanais au sud, au bord du Mississippi. Ici, à Chicago, les influences,
musicales et plus largement humaines, culturelles, viennent de loin: de New
Orleans justement et de toute cette vallée fertile du grand fleuve (le Delta)
que les hommes ont remonté peu à peu pour vivre, apportant leur joie de vivre,
leurs peines, leurs traditions, leur culture. Chicago, la Cité du vent, est
aussi celle du blues, mais encore celle des grands orchestres, d’une tradition
du jazz qui remonte aux débuts du jazz, quand King Oliver, Freddie Keppard,
Earl Fatha Hines et Louis Armstrong en étaient déjà les rois, et peu après de
Benny Goodman. La descendance est riche. Chicago est enfin, sur le plan
musical, la ville qui compte une centaine de chorales religieuses, avec un
nombre d’obédiences sans égal aux Etats-Unis. Le fait religieux y est fort,
quelle que soit la religion; l’Islam, en particulier, y a son plus fort développement.
La dureté de la vie, du
travail, y a aussi créé une tradition de révolte, de force, qui a fait de ce pôle,
l’un des plus remuants politiquement, culturellement, religieusement des
Etats-Unis, et des plus radical en matière de combats pour les droits civiques.
C’est un représentant de l’’Illinois, Barack Obama, qui est le premier Président
des Etats-Unis d’origine africaine et américaine.
La vie culturelle est protéiforme,
et toujours particulière, avec une importante marginalité acceptée, et dans le
jazz-blues, très tôt dans l’après-guerre, des musiciens ont privilégié leur
ville plutôt que New York, encore à l’instar de ce qui s’est passé pour New
Orleans, un signe d’une forte identité culturelle au sens large de la mégapole
du nord. Chicago est toujours restée une étape importante de la reconnaissance
artistique aux Etats-Unis, en particulier sur le plan musical.
C’est dans ce contexte qu’ont vécu
les Freeman, et la famille Freeman, dans son ensemble peut être choisie comme
exemplaire de cette ville (George Freeman vient de faire la couverture du Chicago
Tribune). Le grand-père, George, policier de son état, joue du piano et
chante dans le registre de Bing Crosby; la grand-mère joue de la guitare et
chante parfaitement. A la maison, on héberge Louis Armstrong, l’ami de la
famille, lors de son arrivée puis de ses passages; on reçoit Earl Hines, Fats
Waller et Art Tatum… George amène le premier disque de Charlie Parker à la
maison. Les enfants vont évidemment en retirer le goût de la musique. Bruzz
devient batteur, Von saxophoniste et George Jr., ici présent, guitariste. Plus
tard, la troisième génération donne Chico Freman, le fils de Von, et on ne
connaît pas le reste de la famille, bien qu’on sache par ce disque que Mark
Freeman, le frère de Chico, n’est pas étranger au jazz. Cela rappelle encore
cette tradition familiale néo-orléanaise, et cet enregistrement Fathers
& Sons réunissant Ellis et Wynton Marsalis, Von et Chico Freeman. Comme
Ellis, Von et George sont restés dans leur ville de naissance, jouant le rôle
de passeur, de conservateur de la mémoire, mais également d’innovateur, de
professeur pour la nouvelle génération. Ils ont accueilli Charlie Parker que
toute la fratrie (Bruzz, Von et George) a accompagné, comme la plupart des
grands musiciens de passage, Lester Young, Coleman Hawkins, Coltrane, sans
aucun distingo générationnel. Chico, dans l’interview du Jazz Hot n°675
nous raconte sa détermination à jouer avec Elvin Jones, McCoy Tyner.
Leur manière d’aborder le jazz
n’est pas celle de New York ou de New Orleans. C’est un condensé de cette ville
où les racines les plus profondes (le blues, l’Afrique) jouxtent la modernité
la plus radicalement décalée (de Sun Ra à toutes les composantes de l’AACM créée
en 1965). On retrouve chez Von et George, et par ailleurs Fred Anderson (même génération)
qui n’ont jamais fait partie de l’AACM par choix, les caractères d’une musique
de recherche qui va devenir à l’AACM (à laquelle adhère Chico) un élément d’un
discours, parfois même d’un système pour certains. Ils sont dans l’esprit nécessairement
free de ce temps des Droits civils et de cette ville rebelle, sans adopter
l’esprit de système dont Chico est lui-même distant. Leur musique vient
toujours des racines, le blues y est une donnée essentielle, ce qui n’empêche
pas la liberté individuelle et la recherche de ce qui différencie, de ce qui
fait que chacun est unique.
Ce disque, construit comme une
rencontre familiale sur un trimestre (les photos dans la cuisine le disent
aussi), est ainsi une sorte de réunion de tout ce qui fait le caléidoscope
chicagoan, le beau son, les racines blues, africaines, la novation, le jeu, la
recherche, la famille au sens large, et la présence d’Harrison Bankhead (qui
nous gratifie d’un interlude à la Slam Stewart, basse et voix à l’unisson),
d’Hamid Drake, de Reto Weber indique encore que la famille chicagoane à
l’esprit large, et est toujours capable de se réunir, de proposer une synthèse
musicale, sans esprit de chapelle et avec ce grain d’originalité qui la rend si
précieuse (George est une rareté du jazz).
Le répertoire est composé
d’originaux de George (4), Chico (7), d’un standard («Angel Eyes») et
d’interludes (9) où la tension alterne avec la gravité, la sérénité ou la bonne
humeur, avec un thème ludique sans doute dédié à Mark Freeman, le frère («Marko»)
avec les voix de George et de la productrice en toute familiarité.
Une synthèse aussi de professionnalisme
et de vie quotidienne qui évoque encore le pôle sud du jazz, New Orleans.
Au-delà de la musique, cet
album, dédié par George à toute sa famille, et par Chico à Von et Ruby (sa mère),
est essentiel pour la leçon de sociologie musicale, ce qui ne nous étonnera pas
de ce personnage étonnant qu’est Chico Freeman qui cache derrière son art de
musicien, une joie de vivre et un rire éclatant, les attributs d’un excellent
professeur. Ses interventions lors de l’anniversaire de Jazz Hot, en
mars 2015, comme en de nombreuses autres occasions depuis 40 ans, témoignent
toujours d’un esprit aiguisé et particulièrement brillant, en matière de jazz
en particulier. Bon sang ne saurait mentir!
Jumeaux, Mister Jazz*, No
Blues°, Limelight, Old Trip, Argot, D’une étincelle, Atmosphère, Chuiquita José Fallot (b), Pierre
Olivier Govin (s), Franck Avitabile (p)°,
Renaud Palisseaux (p), Mike Stern (g)*, Etienne Brachet, (dm), Carole Sergent
(voc) Enregistré dans l’été 2014, Vannes (56) Durée: 47’08’’ Sergent Major Company 130
(EMI/The Orchard)
José
Fallot est un stakhanoviste de la musique. Né en 1955, il baigne très tôt dans
l’univers musical : son grand-père
maternel pratiquait le cornet à pistons, ses parents jouaient du piano. Au
début des années soixante-dix, attiré par les sonorités du British Blues il opte pour la six-cordes. Sa première formation
joue le répertoire des Stones et des Beatles, avec ungoût affirmé pour le jeu de Paul McCartney.
Il commence à s’intéresser au jazz, suit des cours avecYvon Gardette
(org) et Pierre Urban (g).C’est avec ce dernier qu’il commence à
«tourner». En 1987, il fait ses premiers clubs parisiens, passe à
la basse cinq puis six cordes, frettée ou non. Les tournées et festivals
s'enchaînent, notamment en compagnie de la chanteuse Carole Sergent, avec qui
il enregistre trois albums. Dans la
foulée,il produit des spectacles dont
un Tribute to Duke Ellington, avant
de devenir le bassiste du cirque Gruss. Il rajoute une nouvelle corde à son arc
en devenant programmateur (les Lundis Jazz et au Théâtre Montansier à
Versailles). Avec une telle expérience il se lanceenfin comme musicien leader et enregistre en
2009, Another Romantic. Le bassiste revient à la production
discographique avecun deuxième volume à
son opus de 2009. Entouré de ses fidèles musiciens de tournée, Pierre Olivier Govin
(s), Renaud Palisseaux (p) et Etienne Brachet, (dm),il s’adjoint aussi les services de Carole
Sergent (voc), Franck Avitabile (p) et Mike Stern (g). Le guitariste américain
apporte sa touche particulièrement flottante sur «Mister Jazz», dans
la foulée de la prestation de Pierre Olivier Govin, omniprésent. La chanteuse
se fait entendre de façon très subtile sur trois titres dont le très doux
«D’une étincelle». Quand au pianiste invité, il excelle dans l’art
de raconter une histoire («No Blues»).Le maître de Another Romantic vol.2 reste tout de mêmele bassiste qui charpente bien son projet par
une présence forte et mélodique de tous les instants. Renaud Palisseaux (p)
maintient un haut degré de prestation («Old Trip).L’entente avec son batteur reste de très bonne facture tout au long des neuf
plages qui constituent un bel album, dans une veine très traditionnelle aux
légers accents «fusion».
8
titres: voir livret Heinrich Von
Kalnein (ts-afl),Michael Abene (p) Enregistré
les 12 et 13 décembre 2014, Udine (Italie) Durée:
57’ 30’’ Natango Music 613-2 (www.natangomusic.com)
Le
saxophoniste-flûtiste Heinrich Von Kalnein a poursuivi une carrière pas tout à
fait jazz, mais il a travaillé avecle Vienna
Art Orchestra de 1996 à 2004, Le Jazz Big Band Graz et quelques pointures.Le
pianiste américain Michael Abene, né en 1942, est surtout compositeur et
arrangeur, ayant été le Chefdirigent du WDR Big Band of Cologne. Il a fourni
des arrangements à une foule de grosses pointures du jazz. Les voici
réunis en duo. Ils se sont rencontrés il y a une quinzaine d’années et ont
pensé qu’ils feraient un duo dans les vingt années à venir. Voilà, c’est
fait! Que dire? Les deux musiciens s’entendent bien, ont
manifestement du plaisir à partager leur musique, ils sont parfaits du point de
vue technique, mais de l’uniformité naquit l’ennui. Tous les morceaux ou
presque sont pris sur tempo moyen avec le même déroulement. Le saxophoniste
possède un son ample et chaud, il reste dans le médium et le grave, joue sans
fioritures, sans frime, mais hélas sans flamme, sans passion: c’est très
plan-plan. A la flûte il est d’essence classique. Seuls deux morceaux sortent
du lot: ««Sippin’ at Duke’s» avec un parfum Duke
Ellington, et «The Wind Cries Mary» d’influence blues et le
pianiste qui décolle un peu.
Dîner
flottant, Danse avec le vent, Fly On, Magic Mirror, The River of No Return,
Rainbow Shell, Tomettes et plafond haut, Paying My Dues to the Blues, Three
Rivers and a Hill to Cross, Ending Melody, Le Songe du papillon Perrine
Mansuy (p), Jean-Luc Difraya (perc, voc), Rémi Décrouy (g), Eric Longworth
(cello), Mathis Haug (voc) Enregistré en 2015, Solignac (87) Durée:
48’ 06’’ Laborie Jazz
28 (Socadisc)
Revoici
Perrine Mansuy pour son onzième disque avec un nouveau groupe plutôt original
et de très bionne facture. On retrouve les qualités de la pianiste, un son de
cristal où pointe la sonorité de Keith Jarrett, un phrasé limpide et aéré, la
richesse harmonique, et par dessus tout l’amour de la mélodie. La nouveauté
vient surtout de l’emploi du violoncelle, souvent à l’archet d’inspiration
baroque-romantique, ou pizzicato façon Oscar Pettiford, très sage ici, mais
essentiel. Dès le premier morceau «Dîner flottant» on entre dans le
nouveau son de groupe, avec toujours une belle mélodie au piano sur contrechant de
violoncelle, puis guitare et batterie occupent l’espace. Des
interventions vocales avec Mathis Haug sur «Fly on» plein de
charme, et Perrine dans les chœurs, le classique «The River of No Return»
pris rubato lent par le chanteur très crooner à la belle voix grave, accompagné
avec délicatesse par le piano; et encore «Paying My Dues To The
Blues» version personnelle du blues de la part de Perrine, où le chanteur
dévoile toutes ses possibilités vocales, un beau solo de piano puis la guitare
entre en jeu, ils finissent tous en chœur avec claquements de mains et quelques
vocalises de Difraya. Ils ont très bien payé leur dette au blues. «Rainbow
Shell» beau duo piano violoncelle à l’archet puis percussions et guitare,
un texte dit, tenues de guitare, le tout dans une riche et belle
harmonisation: morceau très prenant. L’art du trio n’est pas oublié avec
«Ending Melody» où l’entente et le partage piano, violoncelle et
batterie est parfait. Le disque se termine sur un duo piano violoncelle de
toute beauté.Un disque plein de charme, réjouissant, qui brise un peu les frontières
avec une fraîcheur roborative.
Donnerwetter,
Fragile, Sunday Pony Blues, Waves, Flugmodus, Hello, Cocaine, When You Breathe,
The Owl, Flying Leaves, Nicha’s Blues Nicole
Johänntgen (as, ss), Marc Méan (p), Thomas Lähns (b), Bodek Janke (dm), Nehad El
Sayed (oud), Amro Mostafa (duff, riq), Robertson Head (voc, g) Enregistré en
2015, Allemagne Durée:
1h 03’ 34’’ Household Ink
Records 149 (www.nicolejohaenntgen.com)
Pour son nouvel
album, la jeune saxophoniste allemande (voir notre interview dans ce n°675) frappe
fort et joue dans la cour des grands. Son mentor, Dave Liebman, ne tarit pas
d’éloge sur son exceptionnelle énergie ajoutant qu’elle joue comme si sa vie en
dépendait. Egalement compositrice elle est l’auteur de tous les morceaux de ce
CD sauf «Sunday Pony Blues». Le pianiste,
né en Suisse en 1985 n’est pas un inconnu chez nous, ayant participé au
Concours de la Défense en 1997 avec le groupe No Square; il fut à la tête
d’un très bon trio à partir de 2009. Le bassiste, né en Suisse en 1981, a joué
avec Dave Liebman, Greg Osby, Wolfgang Puschnig, Glenn Ferris. On le voit assez
souvent en France. Le batteur percussionniste est né en 1979 en Pologne dans
une famille de musiciens, il commença par le piano à l’âge de 3 ans, étudia la
percussion au conservatoire de Karlsruhe, et obtint un master au City College
de New York. Lui aussi a joué avec Dave Liebman, et beaucoup d’autres à travers
le monde, dont Olivier Ker Ourio (hca) en France. Voilà donc un quartet
européen avec des musiciens de la même génération, pour le meilleur. Dans son jeu de
saxophone Nicole Johänntgen est à la croisée de Charlie Parker, John Coltrane
et Jan Garbarek, pour la situer, non pour la comparer. A l’alto elle a un jeu
de ténor avec un gros son. Une maîtrise technique absolue, arrivant même à
jouer à l’alto la mélodie dans le suraigu comme sur «When You
Breathe». Au soprano c’est un son ample et généreux également, avec une
souplesse de phrasé remarquable. Le thème qui ouvre le disque «Donnerwetter»
(un orage avec des éclairs, en allemand) est très coltrannien avec le pianiste
endossant les habits de McCoy Tyner, d’ailleurs le thème aussi est
d’inspiration Coltrane, par contre le jeu du bassiste est très personnel. Et
puis une musicienne qui joue le blues comme ça, il faut la promouvoir. Elle est
fabuleuse en duo avec le contrebassiste sur «Nicha’s Blues», à la
fois dans la tradition et sa conception du genre, et un autre blues qui
décoiffe «Sunday Pony Blues» du guitariste invité Robertson Head,
inspiré de Charley Patton et J.J.Cale, arrangé par la saxophoniste: en
plein dans la tradition blues, mâtinée rock, déviée jazz, et mené tambour
battant par le guitariste chanteur; et la saxophoniste ne laisse pas sa
place. Robertson Head est né en Ecosse en 1956 (le vieux de la
bande!); il a fait partie de Thin Lizzy et Motörhead. On trouve une
série de morceaux très aérés, dans lesquels la musique respire, prend son
temps, laisse passer le lyrisme des mélodies comme sur «Cocaine»,«When You
Breathe», «Flying Leaves»,«The
Owl» avec pour ce dernier un épatant solo de piano les deux mains en contrepoint. A noter un
morceau particulier, un peu en dehors du jazz, avec en invité Nehad El Sayed,
au oud dont il apprit à jouer au Caire; il a obtenu un master de
composition et jazz à Berne. Il a beaucoup joué dans tout le Moyen Orient et en
Afrique du Nord, il fut l’invité de l’institut arabe à Paris. Ici, dans
««Flugmodus» il intervient magnifiquement, assez à la façon
d’Anouar Brahem; là encore la saxophoniste et la rythmique assistée par
Amro Mostafa au Duff et au Riq (des tambourins), font merveille; et ça
chauffe d’enfer.On l’aura compris, ce quartet devrait faire parler de lui, pour le
meilleurdu jazz.
Better Git
Hit in Your Soul, Wednesday Night Prayer Meeting, Cuernavaca, Devil Woman,
Eclipse, Strange Man, O.P., Ecclusiastics, For Lester, Goodbye Porkpie Hat Jacques Vidal
(b), Isabelle Carpentier (voc), Pierrick Pedron (as), Daniel Zimmermann (tb), Xavier
Desandre-Navarre (dm, voc), Nathalie Jeanlys (ss), Stéphanie Bowring (voc alto),
Allen Hoist (voc ténor), Thierry François (voc basse) Enregistréles 2, 3, 6 et 9 mai 2014, Paris Durée: 45’
34’’ Soupir
Editions 227 (Abeille Musique)
On connaît
l’amour et les affinités du contrebassiste Jacques Vidal pour la musique de
Mingus. On peut dire qu’il lui rend ici un bel et grand hommage avec six thèmes
de contrebassiste sur les neuf, les trois autres étant du leader. «Better
Git Hit…» joué façon blues/gospel nous met tout de suite dans l’ambiance.
Un autre morceau «Devil Woman» est pris avec bonheur lui aussi
blues-gospel avecle chœur des quatre
chanteurs. Le contrebassiste possède un gros son bien rond, et des attaques
nettes et tranchantes: un régal. Le tromboniste est de la race des
trombonistes d’Ellington avec quelque chose de Gary Valente, c’est dire!
L’altiste et le batteur sont au-dessus de tout soupçon. «Eclipse»
chanté par Isabelle Carpentier sur contrechant de trombone mélange les couleurs
Mingus/Ellington. «Strange Man» de Vidal, introduit par lui-même à
l’archet, mélange aussi les atmosphères Mingus/Ellington avec un solo d’alto
qui semble faire en passant un petit clin d’œil à Johnny Hodges.
«Ecclusiastics» sur un arrangement qui mélange Carla Bley et Mingus est
un chef d’œuvre avec l’échange trombone-altosur rythmique basse/batterie
pour terminer sur le chœur scat dans un chase
de grand cru, le tout là encore dans une ambiance gospel. Le disque se termine
par un hommage à Lester Young sur «For Lester» de Vidal avec une
intro basse archet de facture classique très expressive, une voix féminine dit
en français sur contrechant à l’archet un texte profond sur Lester
«Lester est mort et Mingus joue son dernier chorus…» qui s’enchaîne
avec un «Goodbye Porkpie Hat» (le chapeau de Lester) plein de
nostalgie, et un magnifique solo de l’altiste qui se termine avec le chœur très
Double-Six. Voilà comment
il faut interpréter la musique des anciens et le blues quand on veut les faire
revivre, et être soi-même.
Imaginant Miró, El Segador, Nocturn, Polaritats, Noia, Jacints i
Futbol, Van Gogh, Improvisació Serial, Dança Tribal, Caricies Sinusoidals, Espirals
Cósmiques
Ignasi Terraza (p, comp, arr), Horacio Fumero (b), Esteve Pi (dm)
Enregistré les 27 et 28 février 2014, El Vendrell (Espagne)
Durée: 46’ 59’’
Swit Records 17 (www.switrecords.com)
A l’occasion de l’exposition Joan
Miróà Washington (DC) en 2012, Ignasi
Terraza reçut la commande d’une composition évoquant l’œuvre du peintre
catalan. Etant aveugle depuis l’âge de 9 ans, avec l’assistance Carlota Polo, qui lui décrivit l’exposition,
il en transposa l’imaginaire dans sa musique. Il proposa sesTableaux d’une exposition
Miro en une poésie amoureuse imaginée par Ellington. Cet album, Imaginant Miró, présente un contenu musical très abouti de cette Suite de huit pièces avec introduction,
«Imaginant Mirò», transition, «Van Gogh», et
conclusion, «Duke’s Visit».Le livret fournit les explications qui, selon
le compositeur et le critique d’art, fondent sa création. La progression des
pièces comme l’agencement formel des mouvements en deux parties obéissent à un
souci de mise en cohérence à la fois esthétique et chronologique.Son langage à mutilpes sens fait référence à l’univers
poétique du peintre qui, depuis son arrivée à Paris au début des années 1920,
s’était rallié au Surréalismetriomphant dans les cercles intellectuels de la capitale française; il
invoquait le registre de l’imaginaire comme fondement de sa création.
Les cinq premières pièces obéissent rythmiquement aux exigences du
swing stricto sensu et harmoniquement
au jazz d’avant la mutation modale coltranienne; toutes ces pièces
traitent de tableaux réalisés avant 1940. Les cinq dernières, toujours très
ellingtoniennes, sont plus libres et commentent des tableaux réalisés
ultérieurement ou de facture plus abstraite que surréaliste. «Duke’s visit», une
mélodie pleine de Duke, est le terme de la visite solitaire, aussi nostalgique
que déférente, du Maestro au Maître de l’exposition. Elle prit souvent des
allures de voyages dans le temps. Réflexion musicale inspirée, ce chant superbe
joué presque adlibitum en piano solo est le retour méditatif du poète qui clôt sa
ballade.
La musique de Imaginant Miróest très belle. C’est même de la grande musique en ce qu’elle comporte
d’assimilation des héritages musicaux dont elle se réclame avec justesse. C’est
du jazz, du très beau jazz avec tous les ingrédients qu’on est en droit
d’attendre d’un compositeur et d’un musicien qui s’en réclame: swing,
feeling… et connaissance de la grande littérature de la musique
afro-américaine. Tous les musiciens sont à la hauteur de la tâche. Esteve Pi
(dm), que nous avons entendu très bon dans d’autres contextes, révèle ici des
qualités qu’on ne soupçonnait pas: énorme écoute et belle sensibilité au
service d’un art consommé des nuances. Le bassiste Horacio Fumero est la
découverte de l’album. Lui aussi contribue grandement à la réussite de cet
album. Quant à Ignasi Terraza… il est tout simplement exceptionnel. C’est un
vrai musicien, qui possède un art consommé de la composition. Cet artiste ne se
contente pas d’écrire la musique; il lui donne vie en l’interprétant avec
tout le talent que nous lui connaissions déjà pour celle des autres. Le
pianiste possède la technique et la musicalité des grands concertistes:
mise en place, clarté du toucher, respiration dans l’articulation du discours.
Après avoir enregistré Imaginant
Miró, au mois d’août 2014 à Jazz in Marciac, Ignasi Terraza avait
tenté de faire partager au public de l’Astrada,
son expérience de l’écoute de la musique dans le noir absolu. Jazz in the Dark avait bouleversé de
nombreux spectateurs qui en étaient ressortis bouleversés. Je ne doute pas que
la beauté de ces Tableaux d’une
exposition de Miro, qui invitent au voyage en poésie surréaliste, ne vous
émeuve tout autant.
When It's Sleepy Time Down South, Indiana, A Kiss to Build a Dream
on, My Bucket's Got a Hole in It, Tiger Rag, Now You Has Jazz, High Society
Calypso, When I Grow too Old to Dream, Tin Roof Blues, Yellow Dog Blues, When the
Saints, Struttin' With Some Barbecue, Nobody Knows the Trouble I've Seen,
Blueberry Hill, The Faithful Hussar, Saint Louis Blues, After You've Gone, Mack
the Knife Louis Armstrong (tp, voc), Trummy Young (tb), Joe Darensbourg
(cl), Billy Kyle (p), Bill Cronk (b), Danny Barcelona (dm) Enregistré le 24 avril 1962, Paris Durée: 1h 16’ 02’’ Frémeaux et Associés 5612 (Socadisc)
Ces plages ne sont pas inédites: en 1999, Europe 1 avait
donné une première édition (RTE 1001); et en 2002, Laserlight (17438)
avait proposé en Allemagne une réédition de cet enregistrement public. Elles n’en
sont pas moins importantes à plus d’un titre. Dans sa récente chronique
consacrée à Count Basie, Live in Paris.
1957-1962, Michel Laplace déplorait, fort justement, «l’abandon des
rééditions, après l’âge d’or des années 1990, outils indispensables à la "mémoire”».
En effet, ces faces sont le témoignage de la résistance du jazz à la tendance
uniformisatrice que les phénomènes de mode tentaient de lui imposer. Depuis la
fin de la guerre, au nom d’une modernité mal comprise et d’un dogme du progrès
pervers plus encore, cette musique subissait les effets de la tentative
hégémonique de la part d’une coterie au bénéfice d’un courant nouveau, le bebop
qui, pour être de qualité, n’en était pas moins aussi excessif qu’injustifié.
Ce concert enregistré établit que, résistant à cette dictature culturelle
ambiante, le public n’en continuait pas moins à recevoir cet art nouveau dans
toutes ses composantes et, notamment de la part d’un des ses créateurs, Louis
Armstrong. Depuis la fin des années 1940, Satchmo tournait en Amérique et
dans le monde avec une petite formation, Louis
Armstrong and His All Stars, qui proposait au public une anthologie de la
musique qui avait fait sa renommée mais aussi et surtout un échantillon du jazz
dont il était le créateur vivant. Au cours de cette période, les membres de
cette formation ont changé; il y eut Earl Hines, Barney Bigard, Jack
Teagarden, Cozy Cole, Arvell Shaw… Mais hormis le contrebassiste souvent
différent, depuis le milieu des années 1950, Trummy Young et Billy Kyle, ici
présents, furent des cadres permanents de l’orchestre; Joe Darensbourg et
Dany Barcelona arrivés en 1960 renforcèrent la stabilité du groupe. Le spectacle
était bien rôdé et le répertoire parfaitement maîtrisé. Sans être innovant, le
concert fut de belle facture, explorant pour une large part le style
Nouvelle-Orléans dont Louie était
l’emblématique représentant parmi les créateurs. Car les musiciens étaient au
diapason de leur leader, si tous n’avaient pas la renommée et le lustre de
leurs illustrissimes devanciers. La musique est belle. Elle se suffit à
elle-même. Le trompettiste de 61 ans, parvenu à une sorte de perfection
classique, joua «à sa main», sans jamais en rajouter. Le chanteur
avait conservé sa verve populaire authentique. C’est beau de simplicité. Dans
ces conditions, point n’est besoin de longs commentaires pour découvrir et
apprécier le jazz hot et le swing dont Louis Armstrong and His All Stars donnaient en ce 24 avril 1962 de
si brillants exemples. Louis
Armstrong, Live in Paris. 24 avril 1962 est un superbe album que Frémeaux
& Associés met à disposition de ceux qui n’eurent pas la possibilité de
voir et d’entendre cet immense artiste.
Poinciana, Reflection,
Over and Out, Chega de Saudade, Brilliant Corners, The Feeling of Jazz, In the
Know, Turquoise, Tonight I Shall Sleep With a Smile on My Face, Circus, Silver
Screen, Stranger in Paradise Dmitry Baevsky
(as), David Wong (b), Joe Strasser (dm) Enregistré
le 21 janvier 2014, New York Durée:
1h 09’ 00’’ Jazz Family 002
(Socadisc)
Dmitry Baevsky a, depuis 2004, produit cinq albums: Introducing Dmitry Baevsky (Lineage
Records, New York 2004), Some Other
Spring (Rideau Rouge, New York et France 2009), Down With It (Sharp Nine Records, New York 2010), The Composers (Sharp Nine Records, New
York 2011). Over and Out (Jazz
Family,New York, 2014) est son dernier
opus. Nous devons à Fabien Mary, qui le fréquente sur la scène new-yorkaise,
d’avoir fait découvrir ce saxophoniste brillant au public français, notamment
au Caveau de La Huchette au mois de
septembre 2010. Cet album est certainement le plus ambitieux de ceux qu’il a enregistrés.
La formule, sax/contrebasse/batterie, fait immanquablement référence à celle,
exigeante, de Sonny Rollins (ts) dans les années 1950 (avec Ray Brown, b, et
Shelly Man, dm; Donald Bailey, b, et Pete La Roca, dm; Wilbur Ware,
b et Elvin Jones, dm - 1957). Cubic’s Monk (ACT 9536-2, 2012) de Pierrick
Pédron avec Thomas Bramerie (b), Franck Aghulon (dm) s’inscrivait dans le même
esprit. Au-delà des trois pièces originales, «Over and Out», titre
éponyme de l’album, «In the Know» et «Silver Screen»,
compositions récentes (années 2012/2014), l’altiste se collette avec un
répertoire souvent joué par des musiciens qui en ont laissé des versions de
référence. Mis à part les deux titres «exotiques», «Poinciana» et «Chega
de Saudade», qui lui donne l’occasion de «chanter» son
improvisation comme l’y autorisent ces deux thèmes à la mélodie bien
charpentée, les autres faces empruntent aux classiques du jazz:un Ray Bryant un peu oublié de 1958, «Reflection»
bien venu, un de Monk «Brilliant Corners» (1956), deux d’Ellington
– un cosigné par Mercer – peu souvent repris «The Feeling of Jazz»
(1962) et «Tonight I Shall Sleep With a Smile on My Face» (1943), un
de Cédar Walton, «Turquoise»
(1967), un standard, «Circus»
(Louis Alter, Bob Russell – 1949) et une pièce classique de Borodine, «Stranger
in Paradise», remise au goût du jour dans les années 1950. Le programme
est équilibré. La musique est de qualité; jouée avec beaucoup d’aisance
et sans effet ostentatoire par des musiciens qui se connaissent et se font
confiance. Le trio tourne comme une horloge. Dmitry Baevsky possède une jolie
sonorité, très personnelle, et une technique parfaite (qui évoque par la
rigueur et la maîtrise le regretté Phil Woods). Le musicien connaît sa discipline:
les compositions sont équilibrées et dans la forme qui convient à l’album pour
sa cohérence et son unité. David Wong (b) qui travaille souvent avec le leader
joue un rôle essentiel dans la réussite de l’album; sa mise en place est
un plaisir tant il permet au soliste de liberté. Ses soli, de vraie contrebasse
dans la tessiture de l’instrument, sont simples et bien construits; ça
chante quand et comme il convient. Joe Strasser (dm) est d’une grande
discrétion tout en étant très présent et relançant avec beaucoup de finesse le
saxophoniste.L’album,
peut-être un peu austère pour le public actuel peu habitué à une attention
soutenue devant une musique exigeante, est de très bonne facture. C’est solide
avec quelques instants très libres de récréation qui laissent respirer
l’ensemble («Poinciana»). Ça swingue et ça chante avec les exigences de
la musique de chambre, sans bruit ni fracas («Stranger in
Paradise»). Over and Out comporte de vraiment beaux moments:
«Turquoise», de jolies phrases dans l’improvisation sur la
composition d’Antonio Carlos Jobim; et l’interprétation de «Tonight
I Shall Sleep With a Smile on My Face» est remarquable. Alors que
demander?
Live
Alone and Like It, There's a Lull in My Life, Estrellitas Y Duendes, Lazy
Afternoon, Three Little Words, T'es beau tu sais, Let's Get Lost, Samois à moi,
Nine More Minutes, Laverne Walk, That Old Feeling, Each Day*, Words Cyrille
Aimée (voc), Matt Simons* (voc), Adrien Moignard (g), Michael Valeanu (g), Sam
Anning (b), Rajiv Jayaweera (dm) Enregistré
en 2015, New York Durée:
42’ 15’’ Mack
Avenue Records 1097 (Harmonia Mundi)
Après
It’s a Good
Day (qui
succédait à plusieurs autoproductions, dont deux chroniquées dans Jazz Hot n°667), Cyrille Aimée propose
son second album chez Mack Avenue, Let’s Get Lost, enregistré au Flux Studio de New
York. Comme la plupart des disques actuellement enregistrés par les chanteuses,
le programme est varié; sur la structure maîtresse de quelques standards
de Tin Pan Alley des années 1930 et 1940 («There's a
Lull in My Life», «Lazy Afternoon», «Three Little Words»,
«That Old Feeling» et le titre éponyme, «Let's Get Lost»),
s’agrègent quatre pièces personnelles («Samois à moi», «Nine
More Minutes», «Each Day» et «Words»), une
chanson de Broadway («Live Alone and Like It»), une rumba caraïbe
(«Estrellitas Y Duendes), une jolie mélodie de Georges Moustaki sur des
paroles bien tournées d’Henri Contet. Et pour conserver une certaine jazzité
d’ensemble à ce patchwork musical, un duo voix/contrebasse sur une composition
écrite à Paris en 1958 par Oscar Pettiford, «Laverne Walk»
(originalement «Montmartre’s Blues»). La
chanteuse, qui a découvert le jazz à Samois, en a conservé l’ambiance;
elle a choisi de se faire accompagner par un trio de cordes (deux guitaristes
et un contrebassiste) et un batteur. Le ton d’ensemble est original et tranche
dans le monde des chanteuses de jazz en général sur la formule
piano/basse/batterie. Le résultat est dans l’ensemble agréable à entendre.
Chanteuse de son temps, Cyrille Aimée interprète des chansons dont la musique
est rythmée; ce n’en est pas pour autant toujours ce qu’on est en droit
de qualifier de jazz: la rumba, le merengue, la habanera, formes
musicales qui ont engendré quelques chefs d’œuvre, n’appartiennent néanmoins
pas à la même syntaxe. La chanteuse possède la voix gracile d’une adolescente,
voire un peu nasillarde d’enfant qu’elle semble parfois cultiver. Le lolitisme n’est pas que
littéraire…Elle est en tous cas accompagnée par de très bons musiciens
qui lui déroulent un tapis; leur musique travaillée fait un bel écrin. Et
le guitariste Adrien Moignard y apporte un plus avec sa couleur Django. Le
label américain Mack Avenue semble ainsi s’être fait une spécialité des
chanteuses françaises: après la révélation Cécile McLorin
Salvan, voici Cyrille Aimée.
Toutes les deux ont la particularité de posséder une double culture, ce qui
leur a conféré une grande capacité d’adaptation à la culture mondialisée de
notre temps. Cyrille Aimée est le versant éclairé de la face sombre et
certainement plus enracinée de Cécile. A découvrir.
You
Made a Good Move, Change Partners, Lover Come Back to Me, The Boy Next Door,
Bring Enoug Clothes, After You've Gone, It's a Sin to Tell a Lie, Social Call,
Get out of Town Champian
Fulton (voc, p), Cory Weeds (ts), Jodi Proznick (b), Julian MacDonough (dm) Enregistré
les 1er et 2 mai 2014, Edmonton (Canada) Durée:
1h 02’ 36’’ Cellar
Live 050114 (www.cellarlive.com)
Champian Fulton After Dark
Ain't
Misbehavin'*, That Old Feeling, What a Difference a Day Made, Blue Skies*, Keepin'
out of Mischief now, A Bad Case of the Blues*, Travelin' Light*, Mad About the
Boy, All Of Me, Baby Won't You Please Come Home, Midnight Stroll Champian
Fulton (voc, p), Stephen Fulton* (tp, flh), David Williams (b), Lewis Nash (dm) Enregistré
le 17 août 2015, Paramus (New Jersey) Durée:
54’ 30’’ Gut
String Records 022 (www.champian.net)
En
2012, le public de JazzAscona avait découvert une jeune pianiste-chanteuse de
27 ans, Champian Fulton, qui faisait l’une de ses premières apparitions sur le
Vieux continent. Fille du trompettiste Stephen Fulton, un proche de Clark
Terry, elle était attendue avec curiosité par les amateurs qui ne mirent pas
longtemps à reconnaître son talent. La demoiselle a depuis fait du chemin et
passe par Paris chaque printemps. Son
album Change Partners (sorti l’année dernière) correspond à la
sélection de neuf moments des deux concerts donnés par la pianiste dans le club
du saxophoniste ténor et producteur de Cellar Live, le canadien Cory Weeds, The Yardbird
Suite, installé dans la capitale de la province
de l’Alberta, Edmonton. L’artiste construit son programme autour des songs qui lui
fournissent matière à chanson. Les pièces de jazz proprement dites, («You
Made a Good Move» de Frank Wess, «Bring Enoug Clothes» de Stephen
B. Fulton, «Social Call») sont en revanchetraitées en tant
qu’œuvres de musique. Elle ouvre d’ailleurs son album avec une pièce totalement
instrumentale, celle de Frank Wess avec lequel elle eut souvent l’occasion de
se produire au début de sa carrière. La composition de son père, dans la
tradition du bop, est aussi totalement instrumentale. C’est l’occasion de
l’entendre dans un style pianistique qu’on lui connaît moins dans ses
concerts; alors qu’habituellement sa manière est classique, empruntant à
Garner parfois, elle évoque, dans ce thème, Red Garland surtout dans la façon
d’utiliser les blocks chords. C’est dans la composition de Gigi Gryce,
avec les paroles de Jon Hendricks qu’elle réalise la forme la plus aboutie de
son projet musical, associant chant et musique dans un esprit
«lied». Elle est bien entourée, tant par Cory Weeds, un ténor bien
dans l’esprit de sa musique, que par le reste de la rythmique; le batteur
joue bien et «fait ce qu’il faut et ce qu’il doit». La
contrebassiste, Jordi Proznicki est parfaite. Un
an plus tard, avec After Dark, le ton
d’ensemble est différent, plus orienté production commerciale. Il n’en est pas
moins agréable, sinon plus travaillé. Comme dans le précédent, nous retrouvons
la part de songs
de Tin Pan Alley («That Old Feeling», «What
a Difference a Day Made», «Blue Skies», «Mad About the
Boy», «All Of Me»), qui permet à la chanteuse d’œuvrer avec
un certain talent dans son dialogue avec le piano, ne manquant jamais d’évoquer
quelques versions rendues célèbres par quelques grands – «That Old
Feeling», manière Garner bien exécutée ou «What a
Difference», dans un accompagnement façon King Cole à l’articulation des
phrases. Cependant les autres pièces, plus enracinées dans la tradition du
jazz, lui permettent de faire valoir ses qualités de chanteuse-musicienne et de
pianiste nourrie et avertie de la littérature du jazz. Sa composition, «Midnight
Stroll», un blues bien assis en piano solo, est une bonne illustration de
cet héritage. C’est dans les thèmes walleriens, dont elle a parfaitement
assimilé les subtilités, qu’elle est le plus à son affaire, et qu’elle relit de
manière ludique en traitant son instrument dans l’esprit Hank Jones (Ain’t Misbehavin, 1978). Dans
cet opus, la jeune chanteuse s’essaie à reprendre des thèmes interprétés par
Dinah Washington qu’elle semble particulièrement apprécier: «Baby
Won't You Please Come Home» ou « (I’ve Got) a Bad Case of the
Blues» (version Mercury 1959) en attestent. Néanmoins sa tessiture de
voix ne semble pas convenir à cet objectif; son amplitude comme sa
puissance ne lui permettent pas de transcrire la dramaturgie des textes;
alors qu’elle s’en acquitte fort bien musicalement, avec beaucoup de réussite
même. Sur quatre faces de l’album, Champian a invité son père, Stephen Fulton.
Son style très lyrique constitue un très bon contrepoint à sa voix
(«Ain’t Misbehavin’» ou «A Bad Case of the Blues»). Ses
soli sont également de très belle facture, que ce soit en medium tempo
(«Blue Skies», «A Bad Case of the Blues») où le
musicien laisse à ses notes tendrement voilée la totale liberté d’emplir l’espace
qu’en tempo soutenu («Travelin’ Light») où sa filiation avec Clark
Terry devient indubitable. Plus que tout, c’est la complicité musicale entre
père (parfois intimidé) et fille (qui s’affirme avec et contre lui) qui fait
plaisir à entendre. Au-delà de ce duo à l’intérieur de l’album, qui lui donne
une couleur particulière, c’est la qualité de la section rythmique qu’il
convient de souligner. Que ce soit David Williams ou Lewis Nash, Champian a
choisi deux merveilleux musiciens qui excellent dans cette fonction
d’accompagnateur qui exige présence et discrétion à la fois. Par ailleurs, ils
sont aussi brillants solistes (à l’archet sur «Blue Skies» oupizzicato sur«All of Me» DW;
4/4 de LN sur «Travelin’ Light»). Leur mise en place est un modèle
du genre. Change
Partnerset surtout After Darksont deux très bons albums
de jazz. Et si Champian Fulton n’entre pas dans la catégorie des légendes
vocales, la chanteuse livre un résultat impeccable. En revanche, la pianiste a
un vrai talent: c’est plus qu’agréable à écouter!
Whirlybird,
Little Pony, Corner Pocket, Lovely Baby, Bleep Blop Blues, Nails, The Kid from
Redbank, Well, Alright, OK, You Win; Roll’ Em Pete, Gee, Baby Ain’t I Good to
You, One O’Clock Jump, Shiny Stockings, H.R.H. , A Little Tempo Please , Makin’
Whoopee, Who Me, In a Mellow Tone, Blues
in Hoss’ Flat, Splanky; Segue in C, Why Not, Easy Money, Vine Street Rumble,
Discomotion, Mama’s Talking Soft, Jumpin’ at the Woodside, Easin’ It, Basie, Lil’
Darlin’, Toot Sweet, You’re Too Beautiful, Bleep Blop Blues, April in Paris,
The Song is You, Stella by Starlight, Cute, I Needs to Be Bee’d With, Nails,
The Blues, One O’Clock Jump Count
Basie (p), Wendell Culley, Snooky Young, Sonny Cohn (tp1), Joe Newman, Thad
Jones, Al Aarons (tp), Henry Coker, Benny Powell, Al Grey, Quentin Jackson
(tb), Marshall Royal (as1, cl), Frank Wess (as, ts, fl), Frank Foster (ts, cl),
Eddie Davis, Billy Mitchell (ts), Eric Dixon (ts, fl), Charlie Fowlkes (bs), Freddie
Green (g), Eddie Jones (b), Sonny Payne (dm), Joe Williams, Irene Reid (voc) Enregistré entre le 9 novembre 1957 et 5 mai 1962, Paris Durée: 2h 33’ 32’’ Frémeaux & Associés 5619 (Socadisc)
L’auteur de ces lignes déplore l’abandon des rééditions, après l’âge d’or des années 1990, outils indispensables à la «mémoire» et aussi à l’éducation des plus jeunes qui n’abordent de nos jours ce qu’ils croient représentatif d’un genre que par les nouveautés, dernières émanations pour l’essentiel éloignées du cœur du sujet. Peut faire le même office, la sortie, comme ici, d’inédits des maîtres qui outre les mêmes nécessités, combleront aussi les «jazzfans» chevronnés (du moins, ce qu’il en reste). Voici donc d’inespérés trésors que nous devons à Frank Ténot, Daniel Filipacchi et Norman Granz, enregistrés en direct à l’Olympia (onze des quinze titres des 9 et 12 novembre 1957 -quelques jours après la mise en boîte de l’album historique Atomic Basie- et vingt morceaux du 5 mai 1962 –tout le CD2) et au Palais de Chaillot (neuf titres, 29 mars 1960), grâce aux équipes techniques de la radio Europe 1 (pas terrible en 1957). Lorsqu’il célébra les 25 ans de l’orchestre, en 1960, Count Basie (1904-1984) était au sommet de sa popularité internationale. C’est plus que de l’éducation que ce genre de disques permet, c’est de la rééducation des oreilles (et du cerveau) sur ce qu’est la nature même du swing. L’arrivée exubérante de Sonny Payne, qui surclasse son bon prédécesseur Gus Johnson, y est pour beaucoup. Pour Basie: «Comment swinguer? C’est la façon de jouer qui fait tout» (livret). En plus, l’orchestre Basie, à toutes ses époques et surtout celle-là, est une constante démonstration du jeu décontracté (même dans l’effervescence), agrémentée d’une parfaite maîtrise des dynamiques (exemple: la fin de «Segue in C»), des contrastes entre les pupitres. L’écoute des amateurs (parfois chevronnés) comme des consommateurs de jazz, trop soumise à la performance des solos (l’improvisation n’est qu’un plus, et non un but), passe donc souvent à côté d’un intérêt primordial de l’art des grands ensembles, celui de l’orchestration (d’où l’importance des arrangeurs comme Neal Hefti, Ernie Wilkins, Buster Harding, Frank Foster, Thad Jones, Quincy Jones, Benny Carter). Le plaisir de l’auditeur doté d’une bonne oreille éduquée est de percevoir au-delà d’un résultat sonore global, tous les détails de traitement du son et du rythme, pupitre par pupitre, voir des alliages (exemples: passages de flûte et trompettes avec des sourdines différentes dans «Segue in C»; background au solo de basse dans «Mama’s Talking Soft» par deux flûtes –Wess et Dixon-, clarinettes –Royal et Foster- et clarinette basse –Fowlkes-; stop chorus écrit pour la section de trompettes dans «Discomotion»). On regrette donc que le livret ne donne pas le nom des arrangeurs qui le méritent autant que chaque musicien exécutant, artisan de pupitre comme artiste soliste. Chez Basie tout porte à l’excellence collective que le «live» préserve autant que la technicité en studio. Il est dommage aussi que les noms des solistes ne soient pas mentionnés, car Basie ne les annonce que rarement (Frank Foster, ts, dans «Little Pony»; Eddie Jones, b, dans «Nails» dont le solo est truffé de citations en 1957 comme en 1962 –même band vocal–) et il est douteux qu’aujourd’hui un nouveau venu sache identifier tel trompettiste même au jeu considéré, hier, comme personnel (exemple: Snooky Young, au style swing et percutant avec plunger dans «Who Me»). L’album Atomic Basie, d’octobre 1957, sur des arrangements essentiels de Neal Hefti («Lil’ Darlin’», «Splanky», etc.), pour le label Roulette nouvellement lancé, marqua une nouvelle étape pour cet orchestre qui disposait d’une belle phalange de solistes (Joe Newman, tp, Henry Coker, tb, Eddie Lockjaw Davis, ts), de premiers pupitres (Wendell Culley et Snooky Young, tp, Marshall Royal, as) et d’une rythmique de rêve (Basie, Freddie Green, g, Eddie Jones, b, Sonny Payne, dm) pour son image de marque, le swing. Peu après celui de Duke Ellington (à Newport en juillet 1956, avec notamment les 27 chorus de Paul Gonsalves sur Diminuendo in Blue and Crescendo in Blue), le grand orchestre de Count Basie ressurgit donc sur le devant de la scène jazz internationale, prouvant s’il en était besoin (pour les Hodeir et disciples en tout cas) que la nouveauté n’a nul besoin de renoncer à la raison d’être d’un genre expressif. A cette même époque charnière 1956-57, Dizzy Gillespie aussi dirigeait un excellent big band, mais il ne s’imposera pas durablement contrairement à celui de Count Basie qui a, avec succès, chez les solistes, joué l’assimilation/intégration d’une approche bop (Thad Jones, tp, Benny Powell, tb, Frank Foster, ts-cl-arr, Frank Wess, as-ts-fl –ces deux derniers recommandés à Basie par Billy Eckstine). Remarquons la stabilité du personnel en 1957-62, clé d’accès à la perfection, pour la rythmique et pour la section de sax à un ténor près (Lockjaw Davis en 1957, puis Billy Mitchell -1960- et enfin Eric Dixon, également flûtiste -1962-). Celle-ci est menée par le premier alto «chantant» Marshall Royal. Sa sonorité donne la couleur et la personnalité de toute la section («Lovely Baby» -où le baryton de Charlie Fowlkes donne du poids-, «One O’Clock Jump» -générique de fin de concert-, «H.R.H», «Easy Money», «April in Paris», etc.). Marshall Royal, musicien de culture classique, était directeur musical, et Count Basie se reposait sur lui. Si Count Basie aimait singulièrement son équipe de 1957 («Quand on avait Joe Newman, Thad Jones, Snooky Young et Wendell Culley là-haut dans la section de trompettes, on était tranquille», in Good Morning Blues, p43 –section malheureusement desservie ici par l’enregistrement: «Bleep Blop Blues», CD1-Joe Newman, tp solo et très difficile passage pour la section menée par Snooky Young), le prélude à sa renaissance est déjà dans l’album April in Paris pour Verve (enregistré les 26 juillet 1955 et 4 janvier 1956) dont des morceaux se sont inscrits durablement à son répertoire et que nous retrouvons ici en 1957 («Corner Pocket» de Freddie Green, arrangé par Ernie Wilkins, donne à entendre Thad Jones –qui reprend la citation de «Cherry Pink» comme dans le disque- et Frank Wess), en 1960 («Shiny Stockings» avec un solo bop de Thad Jones, le piano économe du chef et des breaks de Sonny Payne) et en 1962 («April in Paris», arrangé par Hefti avec sa célèbre fausse coda). On constate qu’au cours des deux concerts de 1957, deux titres seulement viennent de l’Atomic Basie: «Whirly-Bird» (où, concurrence du syndrome Ellington/Gonsalves, Eddie Lockjaw Davis fait monter la «sauce») et «The Kid From Red Bank» bien sûr pour le piano de Basie en vedette (on notera les riffs de trompettes en détaché, et la coda qui prouve que sans un 1er trompette et un batteur de classe il n’y a pas de bon big band)! En 1960, il joue encore «Splanky» de Thad Jones (thème en appel-réponse des sections de cuivres et de saxophones, solo véhément de Billy Mitchell, ts, et les trois notes du chef en clôture). En 1962, l’incontournable «Li’l Darlin’» d’Hefti d’Atomic Basie est toujours là, avec son solo de trompette écrit, souvent assumé par le premier pupitre (qui rappelons-le n’est pas le soliste attitré qui le plus souvent est 2e à 4e pupitre, mais le meilleur technicien de l’équipe, pas forcément bon improvisateur, responsable de l’esprit musical à donner à l’ensemble) et qu’une multitude de trompettistes professionnels et amateurs, de par le monde, ont joué et rejoué note pour note. Ce solo créé en 1957 par Wendell Culley (avec la sourdine harmon avec tube et du vibrato) fut repris, comme ici (librement), par Sonny Cohn qui a remplacé Culley dès 1960. Basie aimait beaucoup Joe Williams qu’il présenta dans un album de 1955 Count Basie swings–Joe Williams Sings (Barclay GLP 3561) et qui deviendra une vedette auprès du grand public. Joe Williams, inspiré par Big Joe Turner et Billy Eckstine, chante juste, avec une bonne diction et un certain swing. Il apparaît ici dans trois titres: «All Right Okay You Win» qui lui convient bien, «Roll ‘Em Pete» (solo de Frank Wess, ts), deux blues, et le «Gee, Baby» de Don Redman (1957). C’est Quentin Jackson qui a remplacé Al Grey, parce que «Base» voulait qu’il y ait toujours un spécialiste du plunger dans la section de trombone. Et Quentin Jackson nous donne là de belles démonstrations: «Makin’ Whoopee», «Segue in C» (qui vaut aussi pour le véhément sax ténor au son charnu, Billy Mitchell). Quentin Jackson dispose d’excellents collègues de pupitre bons solistes: le bopper Benny Powell («A little Tempo Please») et surtout Henri Coker, puissant («In a Mellow Tone» où il débute sur des notes pédales; «Blues in Hoss’ Flat», morceau de Basie et Foster pour l’album Roulette Chairman of the Board de 1958, rendu célèbre par le sketch de Jerry Lewis, avec ici un Snooky Young, méchant et growleur avec le plunger). On ne compte plus les big bands qui ont joué «Cute» de Neal Hefti destiné à mettre en valeur le batteur et lancé par l’album Basie Plays Hefti (avril 1958, Roulette Records R52011). Mais rares sont ceux qui avaient un artiste comme Sonny Payne aux balais (ici, en 1962 –Frank Wess, fl-). Bien entendu les critiques conventionnels n’en avaient que pour Max Roach et Art Blakey (qui sont passés en 1956-57 par un sommet dans leur genre), sans porter assez attention à Sonny Payne, un transfuge de l’orchestre Erskine Hawkins qui a beaucoup joué au Savoy pour les danseurs. Il swingue de façon directe, intense. Un atout de Basie est dès lors le jeu furieux de Sonny Payne à la fin de nombreux titres («Lovely Baby» -notez le «shake» du premier trompette-, «In a Mellow Tone», ««Splanky», «Bleep Blop Blues», etc). En 1962, Count Basie mélange vieux succès («Jumpin’ at the Woodside» -bon solo avec citations de Frank Foster-) et nouveautés du moment tirées de The Music of Benny Carter (7 septembre 1960, Roulette 52056) et From the pen of Benny Carter (2 novembre 1961, Roulette 52086), respectivement «Vine Street Rumble» (en vedette: le Count et Eric Dixon, disciple de Paul Gonsalves) et «Easy Money» (solos de Thad Jones et Benny Powell). Dans «Toot Sweet», on retrouve les préoccupations d’alliage sonore présentes dans l’album Impulse! The Kansas City 7 (mars 1962): la trompette avec sourdine de Thad Jones et la flûte de Frank Wess (ils sont aussi solistes dans «Why Not»). Dans «Easin’ It» de Frank Foster, toute la section de cuivres est à l’honneur (alternatives, dans l’ordre: Henry Coker, ouvert, Quentin Jackson, plunger, Benny Powell, sourdine soft, puis Al Aarons, Sonny Cohn, Snooky Young, Thad Jones). Le méconnu Eric Dixon (1930-1989) est soliste dans «Basie» d’Ernie Wilkins et dans la ballade «You’re Too Beautiful» (influence de Ben Webster). Quentin Jackson (plunger) est soliste dans «I Need to Be Bee’d With» de Quincy Jones (qui vaut aussi pour Basie) et en contre-chant d’Irene Reid dans «The Blues» (lent), tandis que le bopper Benny Powell est en vedette dans «The Song is You», un standard qui a pour pendant «Stella by Starlight» pour un remarquable trompette concurrent d’Harry James en Sonny Cohn (vibrato, beaux aigus!). Cette nouveauté, puisqu’il s’agit d’inédits, intéressera les jazzophiles vétérans qui retrouveront les principes de leur formatage (et l’ambiance des concerts du Count), mais aussi les apprentis batteurs, les orchestrateurs et ceux qui aiment que ça swingue de façon ludique sans chercher, contrairement à cette chronique, à savoir qui fait quoi.
Jeb
Patton (p), D. Wong (b), Lewis Nash (dm), Albert Tootie Heath (dm) + Elena Pinderhugues (fl), Michael
Rodriguez (tp), Dion Tucker (tb), Dmitri Baevsky (as), Pete Van Nostrand (dm) Make Believe, Gigi, Rise
& Fall, Cool Eyes, Orpheo’s Wish, Holy Land, Hidden Horizons, I’ll Be Around,
Foreign Freedom, Violets for Furs, Juicy Lucy Enregistré
en 2014, New York Durée: 1h 03’ Cellar Live 010515 (www.cellarlive.com)
Même
s’il a dépassé la quarantaine Jeb Patton est pour nous une découverte. Nous
sommes face à un brillant pianiste qui, tout en ayant un toucher moderne, joue
un jazz ancré dans la tradition et avec le swing. Jeb tire ses connaissances
des enseignements de Sir Roland Hanna. Les prestations en trio offrent un grand
dynamisme et mettent en évidence toutes les qualités de Patton:
virtuosité sans effet inutile, percussivité. Son jeu main droite déborde de
vivacité. Jeb offre pour ce travail en trio notamment deux excellents thèmes de
Horace Silver et un de Jerome Kern. Ses partenaires, s’inscrivant parfaitement
dans le travail de Jeb, sont économes en soli mais dans ce domaine Nash est
excellent sur «Cool Eyes». Patton sait aussi se montrer maître dans
la ballade comme il le fait savoir sur «Violets for Furs». On doit
noter également que le trio joue de la même manière que ce soit Nash ou
«Tootie» qui manient les baguettes. Les cinq compositions personnelles révèlent également les possibilités du
pianiste dans cet art. Il y inclue trompette, flûte, saxo ou trombone. Sur
«Gigi», «Rise and fall» et «Orpheo’s wish»
on relève la présence de la flutiste Elena Pinderhugues. Une petite vingtaine
d’années et un grand talent. Si elle est ici à disposition du pianiste(avec un beau solo sur le dernier de ces thèmes);
en d’autres circonstances on peut l’entendre exprimer pleinement toute sa
classe. Elle a déjà côtoyé quelques pointures comme Hancock, Barron, Spalding,
«Maraca», Redman… Le trompettiste Michael
Rodriguez rejoint les partenaires de Patton dès que la géométrie du groupe
dépasse le trio. C’est un bon interprète qui, dans un solo, se hisse à la
hauteur de son leader; il est époustouflant sur «Hidden
Horizons». Dion Tucker (tb) s’incorpore à la formation sur plusieurs des
compositions de Jeb, ainsi que Dmitri Baevsky (as) sur «Foreign
Freedom» ce qui transforme sur ce thème la formation en un beau quintet. On
notera que sur quatre des cinq compositions de Jeb Patton les batteurs attitrés disparaissent au profit
de Pete Van Nostrand et que le bon contrebassiste David Wong est présent sur l’ensemble
des titres.
Antonio
Adolfo (p), Marcelo Martins (fl, ss), Leo Amuedo (elg), Claudio Spiewak (g), Jorge
Helder (b), R. Barata (dm, perc), Armando Marçal (perc) Alegria for all, Natureza,
Phrygia Brasileira, Sambojazz, Alem mares, Sao Paulo Express, Todo dia, Trem da
Serra, Melos, Variations on a Tema Triste Enregistré
à Rio de Janeiro (Brésil), date non précisée Durée: 52’ AAM Music 0708 (www.aammusic.com)
Antonio Adolfo a exhumé plusieurs de ses travaux de la fin des années soixante,
pour certains en collaboration avec Tiberio Gaspar, Xico Chaves. Il les a, cinquante
ans après, à la lumière de la maturité, retravaillés, réarrangés, transformés
en versions instrumentales et enregistrés avec des musiciens actuels. On est dans l’ensemble en présence de versions
qui prennent leur liberté face à la MPB
qui nous est bien connue comme le «Phrygia Brasileira»
inspiré pourtant du folklore. Antonio Adolfo est un excellent pianiste au style
très percussif comme le montre «Sambo Jazz». Sur ce dernier thème
il s’adjoint les percussions de samba offertes pas Hugo Sandim.
Le disque recèle d’autres bonnes plages à l’image de «Alegria for
all», «Sao Paolo Express» ou encore «Trem da
Serra». Parmi ses excellents partenaires signalons le très bon travail
des percussionnistes et l’interprétation de Leo Amuedo (elec.g) sur «Sao Paolo Express» et
«Sambo Jazz» auquel se joint celui qui au long du disque tient la
guitare acoustique, Leo Spiewak, pour ce dernier thème à la basse électrique.
Quant à M. Martinez nous le préférons nettement au saxophone soprano plutôt qu’à
la flûte.
European Jazz Sextet Live at the International Jazzfest in Viersen
V'S Groove, D'NA, Lonnies's Lament, Impressions, Chasin' the
Trane Alan Skidmore (ts), Gerd Dudek (ts,ss), Jiri Stivin (as, fl),
Steve Melling (p), Ali Haurand (b), Clark Tracy (dm) Enregistré le 27 septembre 2013, Viersen (Allemagne) Durée: 48' 18'' Konnex 5309 (www.konnex-records.de)
Selon une formule assez inhabituelle (deux sax ténor dont un
joue aussi du soprano, et un sax alto également flûtiste, devant une section
rythmique conventionnelle), ce sextet, enregistré en public au festival
Jazzfest de Viersen fait preuve d'un bel enthousiasme. Il reprend trois thèmes
de John Coltrane (issus des albums Crescent, Chasin' the Trane et
Impressions) et développe, dans la même veine, deux thèmes composés par
le pianiste (évidemment, très influencés par McCoy Tyner). L'univers est connu,
mais semé d'embûches, tant on a usé de pointes de lecture sur nos platines
vinyles en écoutant les versions originales. Pourtant, ces cinq musiciens
natifs de Grande Bretagne, d'Allemagne, de République Tchèque, et de Pologne,
semblent avoir pour langue maternelle un«esperanto» du jazz contemporain familier et savant. Magie, magie... car, où et quand se retrouvent-ils donc pour
répéter, choisir les thèmes et définir les arrangements? tant l'alchimie
de cette rencontre fonctionne bien. Les arrangements subtils et efficaces, le
drive d'enfer et les solos très inspirés emportent l'enthousiasme (les
spectateurs ne s'y trompent pas et applaudissent à tout rompre, affolant,
parfois, les aiguilles des potentiomètres). Le résultat est tout simplement
stupéfiant: un hommage et une re-création de l’œuvre de Coltrane d'un tel
niveau mérite l'admiration. Bravo messieurs!
Goody Goody, Imagination, At Long Last Love, Moonlight in
Vermont, Without A Song, Day-In Day-Out, I've Got You Under My Skin, I Get a
Kick Out Of You, The Second Time Around, Too Marvelous for Words, My Funny
Valentine, In the Still of the Night, April in Paris, You're Nobody Till
Somebody Loves You, They Can't Take That Away From Me, All the Way, Chicago,
Night and Day, One for My Baby, I Could Have Danced all Night, A Foggy Day, Ol'
Man River, The Lady Is a Tramp, I Love Paris, Come Fly With Me Frank Sinatra (voc), Bill Miller (p), Al Viola (g), Emil
Richards (vb), Harry Klee (as, fl), Ralph Pena (b), Irv Cottler (dm) Enregistré 5 et 7 juin 1962, Paris Durée 1h 18' 51'' Frémeaux & Associés 5470 (Socadisc)
Comme on célèbre le centième anniversaire de sa
naissance,Frank Sinatra se retrouve
opportunément à la une de nombreux de magazines censés incarner le bon goût en
matière de Culture. «The Voice» est donc de nouveau en cour. «C'est dur d'être
aimé par des cons!» aurait pu titrer le regretté Cabu, grand connaisseur du
jazz. Oubliées donc ses relations troubles avec la mafia, ses rapports
tumultueux avec les Kennedy et ses frasques scandaleuses. Dix-sept ans après sa
disparition, Frankie est pardonné; il n'est même plus ringard... On se réjouira, à l'inverse, de l'initiative des éditions
Frémeaux de mettre à notre disposition ce live de 1962. A 46 ans, Sinatra est
alors au sommet de sa gloire et c'est la première fois qu'il se produità Paris (au Lido le 5 juin et à l'Olympia le
7 juin), au cours d'une tournée mondiale, entièrement à sa charge (car à but
caritatif). Etait-ce pour redorer son image? Sur des arrangements de Neal
Hefti, il est accompagné par le sextet du pianiste Bill Miller pour un show
millimétré, (identique tout au long de sa tournée)et impeccable de bout en bout, devant le
«tout Paris». Juliette Gréco, Fernand Raynaud, Tino Rossi et Henri Salvador,
étaient-là, dit-on.La noblesse de ses
intentions ne l'empêchera pas toutefois de passer quelques moments privilégiés
et privés (heureux homme) avec les «Bluebell Girls», ces danseuses sculpturales
du cabaret du Lido. Certes, il reviendra quatre fois à Paris entre 1975 et
1991, mais les fans inconditionnels du «crooner aux yeux bleus», ne manqueront
pas de porter une oreille attentive aux vingt-cinq chansons de ce CD.
3 CDs: titres
et personnels détaillés dans le livret Enregistré entre
1959 et 1962, principalement en Californie Durée: 1h 09’ + 1h
02’ 26’’ + 1h 07’ 56’’ Frémeaux &
Associés 5482 (Socadisc)
Plus de 50 titres,
soigneusement sélectionnés, répartis sur seulement deux années permettent
d’avoir une bonne vision de ce qu’a pu être la vogue de la bossa nova aux USA.
Si le livret présente le célèbre concert
du Carnegie Hall du 21 novembre 1962 comme l’événement fondateur de cet engouement,
il n’est pas le point de départ de l’intérêt des jazzmen américains pour la
musique brésilienne et la bossa nova. Mentionnons, parmi d’autres, la visite à
Rio, dès 1959, de Sarah Vaughan puis celle, l’année suivante, de Lena Horne qui
se lance dans l’interprétation de «Bim Bom» de Joao Gilberto au club Copa. La
même année, Charlie Byrd s’intéresse au genre puis Tony Bennett et Don Payne
qui, captivé par les explications qu’on lui donne et la musique qu’il écoute, rapporte
à Stan Getz tout ce qu’il a pu apprendre et acquérir. Herbie Mann et de
nombreux jazzmen sont présents à Rio de Janeiro pour l’American Jazz Festival
en juin 61. Le flûtiste a aussi passé de longues journées en CalifornieavecJoao Donato. Dans l’univers des jazzmen, la table bossa nova est mise
depuis quelques mois lorsque le fameux concert est organisé et le grand public
conquis. Le coffret présenté
par Frémeaux & Associés rassemble ainsi une très grande majorité d’enregistrements
antérieurs au concert de novembre 62, qui, mis sur le marché quasiment à la
sortie des studios, étaient donc à disposition du public américain. Tout était
prêt pour le raz-de-marée populaire. Des thèmes précèdent même les dates indiquées
par le coffret: celui de Bud Shank (signalé 1959) est en réalité enregistré
en mars 1958 à Los Angeles; ceux
du vocaliste Jon Hendricks sont de 1961.
D’autre part, la date de 1962, proposée pour «Speak Low» (CD2) de Laurindo
Almeida, nous semble une erreur car le WP 1412 dont il serait issu est une
réédition du PJ 1204 enregistré en avril 1954. Petite erreur aussi, Charlie Rouse enregistre sa version pleine de swingde «Samba de Orfeu» (CD3), non pas en 1960,
mais juste après le concert du Carnegie, le 26 novembre 1962 à New York. Qui sont les jazzmen ayant enregistré la bossa nova et pourquoi cet
intérêt? Notons qu’à l’exception de Dizzy Gillespie, fasciné par tout ce
qui est latin, Charlie Rouse, Coleman Hawkins et Jon Hendricks tous les autres acteurs
proviennent du jazz «blanc». Et il y a une certaine logique. La bossa nova est le produit musical d’une jeunesse brésilienne blanche, certes
en rupture mais issue de milieux aisés et raffinés qui vit hors des quartiers
noirs, principalement vers les plages. Imprégnés
de culture européenne ces jeunes écoutent pourtant le jazz, celui de la Côte
Ouest des Etats-Unis, Rogers, Mulligan, Baker, Brubeck… mais aussi du bebop. Tous
sont de brillants musiciens avec une solide formation classique, académique.
Ils composent une musique de qualité, avec de belles harmonies, des
arrangements raffinés, des paroles soignées offertes pas des auteurs de talent.
(Jon Hendricks voulait toujours en connaître le sens avant de s’en emparer). De par leur culture
et leur formation, les jazzmen du style dit West Coast sont les plus attirés
par cette jeune génération brésilienne et les plus sensibles à la bossa nova – très
clairement un polissage du samba populaire – et c’est grâce à eux que la bossa
a pu sortir de la confidentialité et du Brésil. Stan Getz est bien
entendu le chef de file du «mouvement». Il offre sur ces disques
cinq thèmes, abondamment diffusés par ailleurs, dont trois de son tout premier
enregistrement avec CharlieByrd en mars 1962. Dave Brubeck était
incontournable et ses cinq titres sont tous issus de l’album sorti début 1963. On
relève également le très bon Zoot Sims dont le son convient bien au genre sur
l’historique «Maria Ninguém» (CD3) et les moins connus «Ciume» (CD2), «Recado bossa
nova» (CD2), «Cantando a Orquestra» (CD3) le tout provenant
de la même session d’enregistrement du mois d’août 1962. Herbie Mann est
sans aucun doute l’un des plus prolixes de l’année 62, il enregistre la Bossa à
tour de bras en mars, avril et octobre. Sa présence à Rio de Janeiro dans les
mois antérieurset le fait qu’il s’installe
en studio en octobredans la cité
carioca lui ont permis de rassembler autour de lui des noms comme Baden Powell
(g), Sergio Mendes (p), Durval Ferreira (g), Paulo Moura (as), Carlos Jobim (p
et voix), Dom um Romao (dr)…Les cinq
morceaux présentés ici sont issus de trois sessions successives de ce dernier
moisavec des personnels différents. On
en goûte la richesse rythmique particulièrement dans« Deve ser amor» (CD1),«Influênza do jazz» (CD1). Deux noms très
discutés chez les amateurs de jazz, ceux de Cal Tjader et de George Shearing ne
pouvaient faire défaut. De Tjader cinq morceaux nés en mars 62 à Hollywood
figurent sur les CDs. Ils font partie d’un ensemble comprenant aussi des thèmes
mexicains montrant la versatilité de Carl et son flair quant à surfer sur les
modes. Shearing apporte sa version du célèbre «Manha de Carnaval» (CD1)
avec une interprétation qui correspond assez bien à l’atmosphère de la musique
originale du film de Marcel Camus plus qu’à une version jazz et «One note
samba» (CD1). Coleman Hawkins
enregistre en septembre des disques qui ne sortiront qu’au début de l’année
suivante. On apprécie le jazzman qui prend le pas sur la musique brésilienne.
Hawkins a su déceler dans le réservoir de la Bossa un titre clé de celle-ci
«O Pato» (CD2) et en donner une version très personnelle. D’autres
interprètes peut-être moins connus méritent d’être écoutés comme le Brésilien
Laurindo Almeida dont le rôle a été important dans l’implantation de la musique
brésilienne en Californie avant même la naissance de la Bossa Nova puisqu’en
1952 il pratique déjà une fusion jazz-choro avec Bud Shank. Il offre ici
l’excellent «Speak low» (Cd1) (1954). On retrouve d’ailleurs sur le
CD1 Laurindo avec Bud pour «Lonely» non en 1959 comme le précise le
livret mais à Hollywood en mars 1958. Figure aussisur les différents disques Bob Brookmeyer avec «Chora sua tristeza» (CD1) d’août
1962.Le trombone swingue bien et les
guitares et percussions brésiliennes donnent l’ambiance. «A Felicidade»
nous semble bien moins intéressant. On trouve encore cinq thèmes interprétés
par le pianiste argentin Lalo Schifrin. La prestation de
Gillespie à la trompette est excellente mais il propose une introduction
puérile dans «Chega de Saudade» (CD1). C’est son partenaire Lalo
Schifrin (p) qui apporte le back ground
brésilien car Dizzy joue jazz. Cela vaut pour «Desafinado» (CD2). Il est surprenant
de ne pas avoir choisi pour cette compilation d’inclure Cannonball Adderley qui,
en décembre 1962 à New York, enregistre magnifiquement des thèmes moins
classiques permettant de prendre une liberté et de se montrer moins cool que ne le sont Getz, Brubeck et
autres. Nous avons aussi
aimé pourvoir comparer les diverses versions d’un même thème proposées par le coffret. Ecouter «Desafinado»
par Getz, Dizzy, Hawkinsoffre la possibilité d’apprécier la manière dont
chacun aborde la Bossa et la ressent. C’est vrai aussi pour «Samba de uma
nota so» par Brubeck, Mann, Shearing, Hawkins;«Chega de Saudade» par Hawkins et
Gillespie. On aurait aimé une autre version de «Meditação» en plus
de celle de Tjader. On ne peut que
recommander ce très beau coffret qui rassemble bien l’essentiel des amours
entre jazz et bossa nova.
Just Say Goodbye, Better Than Anything, I’m
Gonna Leave You, Mack The Knife, Where’d It Go, Nowhere to Go, Jive, Nerver
Leave Me, Para Raio, The End of the Line Sarah Thorpe (voc), Olivier Hutman (p, arr),
Darry Hall (b), Philippe Soirat (dm) + Ronald Baker (tp, flh), Guillaume
Naturel (ts, fl) Enregistré les 29-30 décembre 2014 et le 14
janvier 2015, Maurepas (78) Durée: 41' 58'' Spirit of Jazz Productions / Elabeth ST001 (www.spiritofjazz.fr)
Pour ce premier enregistrement, Sarah Thorpe
nous offre une promenade sensible entre standards et titres moins
courus. Formée par Daniela Barda et Sarah Lazarus, elle a également suivi
l'enseignement de Joe Makholm, Michele Hendricks et Géraldine Ros. Entourée par
un quintet monté pour cette session, la chanteuse impose son univers
particulier, entre jazz et rythm'n'blues, sur les arrangements inspirés
d'Olivier Hutman, qui compte également à son actif une prestigieuse carrière
d'accompagnateur (Clifford Jordan, Steve Grossman, Clark Terry, Stéphane
Grappelli, etc.). On lui doit notamment ici un «Mack the Knife» métamorphosé et sur
lequel Sarah Thorpe a posé de nouvelles paroles. Il en ressort une ballade
brillante, sans doute le morceau de bravoure de cet album. C'est que la vocaliste franco-britannique, a,
en effet, et avant tout, le talent de s'être très bien entourée: Darryl Hall,
une référence de la scène jazz internationale (Benny Golson, Kirk Lightsey,
Mary Stallings, Eric Reed, Dianne Reeves, etc.), un excellent batteur parisien,
Philippe Soirat, et deux très bons guests, Ronald Baker et Guillaume
Naturel. Portée par ce line-up de luxe, Sarah Thorpe tire son
épingle du jeu sur les tempos lents, qui lui permettent de jouer sur
l'émotion. On a
sinon plaisir à entendre le solo de Darryl Hall en ouverture de «Better Than
Anything», les interventions de Philippe Soirat sur «Jive» ou l'élégante
sourdine de Ronald Baker sur «Just Say Goodbye». Le disque se termine avec une vibrante reprise de Nina Simone, «The End of
the Line», qui contribue à en faire de l'ensemble un beau moment d'évasion.
Mack Avenue SuperBand Live From the Detroit Jazz Festival 2014
Introduction, Riot, The Struggle, A Mother's Cry, Santa
Maria, For Stephane, Introduction to Bipolar Blues Blues, Bipolar Blues Blues Tia Fuller (as, ss), Kirk Whalum (ts, fl), Aaron Diehl (p),
Rodney Whitaker (b, dir), Evan Perri (g), Carl Allen (dm), Warren Wolf (vib) Enregistré le 1er septembre 2014, Detroit (Michigan) Durée : 59’ 12’’ Mack Avenue 1096 (www.mackavenue.com)
Enregistré en live lors d’un grand festival américain, avec
un orchestre a priori de rêve quand on note la présence de Carl Allen, Rodney
Whitaker et Aaron Diehl, le résultat est très décevant, en dépit des
applaudissements, avec trois premiers thèmes très démagogiques (on est à
Detroit) quand on connaît la valeur de ces musiciens. Sort du lot le «Santa Maria» d’Aaron Diehl qui fait briller
ses talents de compositeur et de grand concertiste sur la première composition
digne de ce nom qui fait d’ailleurs la différence avec le thème suivant «For
Stephane» qui tire pourtant son inspiration de la même source.
La touche finale sur «Bipolar Blues Blues» de Kirk Whalum,
plus rhythm’n’blues, a pu faire danser sur place, mais reste assez pauvre pour
l’écoute en disque, bien que plus épicé que la plupart des autres thèmes. Et
pourtant la section rhytmique est vraiment de rêve et en donne quelques moments sur «Bipolar Blues Blues». C’est dommage!
Ran Blake / Ghost Tones Portraits of George Russell
Autumn in New York,
Alice Norbury*, Living Time*, Paris, Telegram From Gunther, Biography,
Stratusphunk, Jack's Blues, Manhattan, Ballad of Hix Blewitt, Cincinnati
Express, Vertical Form VI, Jacques Crawls*, Lonely Place, Ezz-Thetic*, You Are
My Sunshine, Autumn in New York (alt. take) Ran Blake (p, elp*) + Peter Kenagy (tp), Aaron Hartley (tb),
Doug Pet (ts), Eric Lane (p, elp), Jason Yeager (p), Ryan Dugre (g), Dave Knife
Fabris (g), Rachel Massey (vln), Brad Barrett (b), David Flaherty (dm, perc),
Charles Burchell (dm, perc), Luc Moldof (electronic) Enregistré les 24 et 26 août 2010, Boston (Massachusetts) Durée : 1h 04’ 43’’ A-Side 0001 (www.a-siderecords.com)
Ran Blake / Christine Correa The Road Keeps Winding: Tribute to Abbey Lincoln Volume Two
Straight Ahead, The Heel, The River, Throw It Away I, When Autumn Sings, In the Red, Love Lament,
Midnight Sun, Driva Man, Throw It Away II, Living Room, Evalina Coffey (The
Legend of) Ran Blake (p), Christine Correa (voc) Enregistré les 15 et 27 juin 2011, Boston Durée : 50’ 55” RedPianoRecords 14599-4415-2 (www.redpianorecords.com)
Ran Blake (Jazz Hot n°667)
consacre ce premier volume à un portrait de George Russell dont il fut un fan
de la première heure, qui devint un ami personnel et plus largement de la
famille Blake. Ran milita ainsi, le terme n’est pas trop fort, auprès des
musiciens et personnalités les plus réputées du jazz pour que le Jazz Workshop de George Russell
(RCA-Victor), épuisé en 1959, fût réédité, et il obtint ainsi les signatures de
Jaki Byard, Harry Sweets Edison, Nesuhi Ertegun, Ornette Coleman, Charles
Mingus, Thelonious Monk, et de beaucoup d’autres, qu’il fit parvenir à George
Avakian (cf. Jazz Hot n°671), sans
succès, puisqu’il fallut attendre 1987 pour une réédition. 50 ans après, pour
ce portrait, Ran Blake évoque son admiration de jeunesse, avec un hommage de
son cru à sa musique, parfois jazz, parfois bruitiste, et, sur le livret, par
les signatures prestigeuses qui acceptèrent de soutenir son enthousiasme
juvénile. Ayant accompli son parcours de musicien au milieu des George
Russell, Gunther Schuller et des avant-gardistes comme Bill Dixon, Ran Blake
est un musicien contemporain au sens naturel du terme, sans esprit de système,
qui aime le jazz mais aussi les belles musiques, et cela s’entend. Sa démarche
est intéressante et reste de qualité, authentique, correspondant à une personnalité
simplement sans frontière musicale. Ce disque, au charme certain, est donc
difficilement classable, le jazz s’y glisse parfois, mais c’est du Ran Blake
authentique, exigent, délicat, atmosphérique, dévoué à une évocation de George
Russell avec l’inévitable «Ezz-Thetic».
Changement de registre, dans le second CD, avec ce Tribute to Abbey Lincoln Volume Two.
Christine Correa a très bien écouté Abbey («Driva Man»), et elle en restitue
les accents pugnaces avec beaucoup de conviction et de qualités (expression,
clarté, justesse). C’est un registre plus jazz que le premier disque, même si
Ran Blake conserve sa manière très contemporaine d’accompagner ou en soliste,
organisant un très beau contraste entre la voix enracinée et son jeu
impressionniste, qui n’est pas sans rappeler parfois certaines idées de Martial
Solal («The Heel»). Christine Correa, dans sa façon de shouter, à la manière d’Abbey Lincoln, en appel-réponse, évoque
aussi curieusement une autre voix, Cab Calloway («The River») pour s’adresser
au ciel. Elle est aussi à l’aise pour fondre l’univers d’Abbey Lincoln dans un
style théâtral moins marqué par le jazz, genre «Opera de Quat’ Sous» («In the
Red»), en s’appuyant sur le style très narratif de Ran Blake, et en jouant
d’une hyperexpressivité à la fois inspirée et distanciée d’Abbey Lincoln. C’est
une belle rencontre, un disque passionnant.
Uranu, The Steadfast Titan, Flux Capacitor, Organic
Consequence, Kat's Dance, Santa Maria, Broadway Boogie Woogie, Space, Time,
Continuum Aaron Diehl (p), David Wong (b), Quincy Davis (dm) + Joe
Temperley (bs), Benny Golson (ts), Stephen Riley (ts), Bruce Harris tp),
Charenée Wade (voc) Enregistré à New York, date non pécisée Durée : 55’ 33’’ Mack Avenue1094 (www.mackavenue.com)
Aaron Diehl est l’un de ces miracles dont le jazz a toujours
le secret. Né en 1985, dans un cadre déjà marqué par la musique (un grand-père
musicien), il est à 30 ans l’un des pianistes les plus prometteurs de sa
génération, et déjà un musicien de jazz accompli, possédant son blues et son
swing sur le bout des doigts. Remarqué dès 2002 dans le cadre des
manifestations du Lincoln Center de découvertes des nouveaux talents, il a été,
l’année suivante, invité par le septet de Wynton Marsalis, et il est l’artiste
le plus jeune commissionné par le Monterey Jazz Festival en 2014. Ses
collaborations avec beaucoup de jazzmen confirmés, de Lew Tabackin à Wycliffe
Gordon, et sa complicité fertile avec un autre miracle du jazz des années 2000,
la chanteuse Cécile McLorin Salvant (elle signe ici les paroles du dernier
thème), récemment nominée aux Grammy Awards, font d’Aaron Diehl un
indispensable de la nouvelle génération. Son parcours s’est déroulé dans l’excellence, et après une
formation classique solide, c’est la rencontre d’Eldar Djangirov, son
contemporain (1987), autre prodige du piano, russe d’origine installé aux
Etats-Unis, qui l’a paradoxalement orienté vers le jazz. Aaron a suivi par la
suite les enseignements de la Juilliard School (Kenny Barron, Eric Reed, Oxana
Yablonskaya), et sa très solide éducation musicale n’en a pas fait un surdoué
virtuose mais un beau musicien au service de la musique comme en témoigne cet
enregistrement, son troisième semble-t-il après Live at Carammoor (2008) en solo, et Live at the Players (2010) avec deux trios. Dans cet enregistrement, Aaron Diehl a invité, autour de son
trio habituel déjà présent en 2010 (David Wong et Quincy Davis), de jeunes
complices, Stephen Harris, très beau son de ténor feutré dans «Kat's Dance»,
Bruce Harris, un jeune trompettiste que Wynton Marsalis a distingué parmi ses
pairs, Charenée Wade, une belle voix de plus dans la nouvelle génération
(«Space, Time, Continuum») dans la filiation de Betty Carter. Aaron Diehl a également intégré dans ce projet deux toujours
jeunes que sont les octogénaires Joe Timperley, auteur d’une splendide
intervention sur «The Steadfast Titan», et Benny Golson, toujours à son aise
avec sa sonorité de velours sur des compositions originales d’Aaron Diehl, dans
le ton d’aujourd’hui, mais avec ce qu’il fallait de référence à l’Ancien
commece beau «Organic Consequence». Il reste à vous parler du leader, pianiste de l’essence du
jazz, sans mensonge, orchestral dans son jeu, maître de son langage, doué d’une
technique hors norme, compositeur et arrangeur, toujours à l’écoute de ses
invités pour faire que cet objet artistique qu’est un disque de jazz soit une
œuvre. Pour le plaisir du piano, on hésitera entre le powellien «Broadway
Boogie Woogie» (époustouflant) ou l’atmosphérique boléro «Kat’s Dance» ou le
rhapsodique «Santa Maria» avec citation de Pierre
et le Loup de Prokofiev ou le blues and swing «Space, Time, Continuum»… En
fait, Aaron est parfait, tout le temps. Les commentaires avisés et précis d’un aîné, Ethan Iverson,
le pianiste du groupe The Bad Plus, viennent nous en dire un peu plus sur la
confraternité musicale des pianistes et l’admiration qu’il a pour Aaron Diehl.
Aaron est aussi, paraît-il, pilote d’avion, à ses heures qu’il ne consacre pas
au jazz. C’est la seule inquiétude qui plane sur son talent stratosphérique.
Soul to Go, Autumn Nocturne, The
Feeling of Jazz, Wise One, Blues In Few, Litlle Girl Blue, Live And
Learn, Under a Strayhorn Sky, Vaya Con Dios Jeff Hackworth (ts), Ed Cherry (g),
Radam Schartz (org), Vince Ector (dm) Durée: 55' 37'' Enregistré le 18 avril 2013, Clark
(New Jersey) Big Bridge Music 1006
(www.jeffhackworth.com)
En lui donnant une petite touche de
modernité, le saxophoniste ténor new-yorkais Jeff Hackworth,
s'inscrit dans la grande tradition des «combos sax ténor - orgue
Hammond B3- guitare - batterie» initiée dès la fin des années 50
par les organistes Brother Jack Mc Duff, Jimmy McGriff, Richard
Groove» Holmes (entre autres) et dont Jimmy Smith représenta, sans
doute, la quintessence. Outre ses propres compositions, il
reprend ici quelques standards du répertoire, et y adjoint, ce qui
est moins courant, une composition de l'album Crescent publié
en 1964 de John Coltrane, dont il est par ailleurs un admirateur et
un fervent disciple. Si les thèmes en tempo rapide sont
«groovy» à souhait, le swing est constant même dans les ballades.
L'orgue évite soigneusement les registres trop flatteurs, la guitare
évoque, sans les imiter, Kenny Burrell ou Wes Montgomery, et la
batterie lie la sauce sans effets superflus. Une leçon de bon gout
et d'élégance par quatre musiciens pas du tout complexés de
s'exprimer dans la mouvance d'un jazz main stream qui n'a pas
encore décidé de se laisser jeter aux oubliettes. Un CD tout simplement délicieux!
Riders on the Storm, The Hitchhiker,
Telluric Movements, Light My Fire, The Movie, People Are Strange,
Invocation, The Crystal Ship, Petition The Lord With Prayer, The Soft
Parade, Blue Sunday, Blue Words, The Blue Bus, Hara, Tribal Dance Samy Thiébault (ts, fl), Adrien Chicot
(p), Sylvain Romano (b), Philippe Soirat (dm), Nathan Wilcocks (voc) Durée : 57' 06'' Enregistré en mai 2014, lieu non
communiqué Gaya
Music Production STGCD005 (Socadisc)
Dois-je l'avouer, même dans ma folle
jeunesse, je n'ai jamais été un fan de la musique des «Doors». Il
m'aura donc fallu attendre la sortie de ce CD pour enfin m'y
intéresser. Toutefois, après ré-écoute, l'original me séduit
beaucoup moins que sa re-création par le quartet de Samy Thiébault. En effet, à part quelques inserts
vocaux superflus, on n'est plus ici dans le registre d'une musique
«pop» plus ou moins d'avant garde (pour son époque), mais dans
celui d'un jazz contemporain de grande facture. Peu importe, pour
une fois ses sources d'inspiration (qui se soucie encore du sort des
vraies demoiselles de la rue d'Avignon?), cette musique est là,
vivante, vibrante, enthousiasmante, magistrale, et «définitive»,
comme aurait dit Christian Garros, musicien d'un autre monde et
expert en métissages, à l'issue d'une fructueuse répétition. Du jazz comme je l'aime.
Cantabile, Little Piece in C for You,
Guadeloupe, Hidden joy, Chloe Meets Gerswin, Play Me, Thirteen, Take
the "A" Train, It's a Dance, Brazilian Like, In a Sentimental Mood, I
Wrote You a Song Fabrizio Bosso (tp), Alessandro Collina
(p), Marc Peillon (b), Rodolfo Cervetto (dm) Enregistré en octobre 2013, Gênes
(Italie) Durée: 59' 47'' Egea Records INC183 (www.egeamusic.com)
Découvert au festival Sotto le stelle
d'Ospedaletti l'été dernier, «Michel on Air», est un projet fort
bienvenu pour raviver la mémoire de Michel Petrucciani, pianiste
subtil autant qu'énergique, disparu en 1999, et aujourd'hui bien
injustement négligé. Quatre musiciens de la Riviera italienne et
française, revendiquant à ce titre les mêmes racines
méditerranéennes que leur modèle et mentor, nous proposent de
redécouvrir quelques unes des pièces favorites de son répertoire. A l'exception de «Take the "A" Train»
et de «In a Sentimental Mood», deux standards fétiches qu'il a
très souvent joués, tous les thèmes choisis sont en effet des
compositions de Michel Petrucciani. Excellemment accompagné et mis
en valeur par une impeccable section rythmique, soudée par une
longue pratique collective et une solide amitié, et où chacun se
montre tour à tour très habile soliste. Fabrizio Bosso (Jazz Hot n°671) a ainsi les
coudées franches, déploie des prodiges d'invention et de lyrisme
que lui permettent une fabuleuse technique et un son superbe. Fait remarquable, l'enregistrement
garde l'intensité dynamique du concert (et a, paraît-il, beaucoup
de succès aux Etats-Unis... nul n'est prophète en son pays). Un bel
envol pour Michel on Air!
L'Air de rien, Eteignez vos portables, For Lena l'aînée, March à
suivre, Jambon beurre shuffle, Introduction Back From N.O., Back From N.O., The
Blessing, C'est quand qu'on arrive, MACH1N N1, Milled Quiet Moon, Après le
calme, la tempête, The Groove Merchant Pierre Guicquéro (tb, comp, arr), Julien Silvand (tp), Davy Sladek
(as, ss), Franck Pilandon (ts, bs), Bruno Martinez (p), Dominique Mollet (b),
Marc Verne (dm) Enregistré du 22 au 25 avril 2014, Clermont-Ferrand (63) Durée: 1h 02’ 05’’ Black & Blue 800.2 (Socadisc) Pierre Guicquéro est de ces musiciens effacés mais brillants qui
peuplent les différents orchestres français de jazz: nous l’avons entendu
au sein de l’Anachronic Jazz Band, du Paris Swing Orchestra, du Julien Silvand
All Stars, des Be Bop Stompers, de Sac à Pulses, du Big Band de Jean-Loup
Longnon… et du Montier Guicquéro Quintet (le MGQ!). Cette énumération,
longue mais non exhaustive (car il est n’est pas rare de le retrouver à
«faire des remplacements» au sein d’autres grandes formations), dit
tout son talent et sa capacité d’adaptation aux contextes les plus divers,
ainsi que de sa connaissance assimilée des univers musicaux du jazz. Il a
d’ailleurs une bonne vingtaine d’albums à son actif en tant que sideman de
formations plusieurs fois primées. Arrivé à l’âge de raison et avant de souffler sa dernière bougie
de quadra (il est né à Vitry-Sur-Seine en 1968) et profitant de l’opportunité
d’enregistrer à l’opéra de Clermont-Ferrand, Pierre Guicquéro s’est enfin
décidé à sortir de l’ombre rassurante du musicien
pour musiciens aux fins de réaliser en tant que maître d’œuvre cet album Back From N.O. Avec ce P.G. Project, il
nous expose sans fard un panorama de son imaginaire musical avec pas moins de
onze compositions personnelles sur treize que compte cet album (les deux autres
étant empruntées à deux auteurs non négligeables, Ornette Coleman et Jérôme
Richardson). Toutes ces créations, qui puisent à la meilleure tradition du
swing, sont bien écrites. Les thèmes solides manifestent un réel sens de la
mélodie. Sans être simples, les arrangements bien construits conservent une
parfaite clarté. Ce septet sonne
d’ailleurs souvent comme une grande formation («The Groove Merchant»). Tous les musiciens de cette formation sont à féliciter pour la
qualité de leur participation; les ensembles sont parfaitement équilibrés
tout en étant joués avec une belle générosité. L’intervention de chacun en tant
que soliste n’est pas moins remarquable. Le Toulousain Julien Silvand est
particulièrement brillant («Marche à suivre», «Introduction
Back from N.O.», «Back from N.O.», «Jambon, beurre,
shuffle»). Franck Pilandon au ténor et au baryton («Eteignez vos
portables») fait preuve d’une belle maîtrise instrumentale. Davy Sladek a
un beau phrasé («Après le calme la tempête» et lechase «March
à suivre»). Bruno Martinez est un pianiste sûr; son accompagnement
et ses liaisons sont parfaits; quant à ses interventions elles ont la
belle élégance de la concision («C’est quand qu’on arrive»). Marc
Verne est présent et bien présent («Marche à suivre», «Jambon
beurre shuffle»). Dominique Mollet possède une très belle
musicalité; c’est un contrebassiste qui mérite à être connu
(«Milled Quiet Moon»). Sa mise en place est remarquable et son
accompagnement en duo avec Guicquéro sur la pièce d’Ornette Coleman, un modèle
du genre, est l’un moment fort de cet album. Tout au long de son opus, le
tromboniste fait montre de sa grande maîtrise instrumentale et d’un grand sens
musical: excellent soliste, il sait également établir les équilibres
musicaux. Pour réaliser Back From N.O., Guicquéro a dû, comme beaucoup d’artistes actuellement, faire appel à une souscription. Remercions les
personnes qui ont permis l’enregistrement de ce magnifique album dans lequel
tous les musiciens servent cette musique de qualité avec une ferveur amoureuse.
Seven Steps to Heaven, Free Man, India Blue, Black Inside,
Dance of Light for Luani, Nia’s quest, N’Tiana’s Dream, lara’s Lullaby, Erika’s
Reverie, Soft Pedal Blues, Niskayuna, The Crossing, Ballad for Hakima Chico Freeman (ss, ts), Antonio Farao (p), Heiri Känzig (b),
Michael Baker (dm) Enregistré à Munich et Nuremberg, date non précisée Jive Music 2080-2 (www.jivemusic.at)
Chico Freeman / Heiri Känzig The Arrival
One for Eddie Who 2, Early Snow, The Essence of Silence, Ancient Dancer, Will
I See You in the Morning, Dat Dere, Song for the Sun, Just Play, Eye of the
Fly, After the Rain, To Hear a Teardrop In the Rain, Chamber's Room Chico Freeman (ts), Heiri Känzig (b) Enregistré les 13-14 décembre 2014, Winterthur (Suisse) Durée: 1h 00’ 20’’ Intakt 251 (www.intaktrec.ch)
Bien qu’il paraisse toujours jeune, Chico Freeman est un son
du saxophone qui s’impose depuis la fin des années 1970. Fils du grand et
regretté Von Freeman, il a fait partie de cette belle génération musicale qui a
gardé au jazz sa capacité d’inventivité
et son authenticité à travers le temps. De son parcours enraciné dans la
tradition chicagoane du père et dans l’expérimentation de l’AACM, où il développa
aussi une partie de ses recherches musicales, il a au cours du temps donné un
exemple original d’ouverture d’esprit: ne reniant jamais, contrairement à
une partie de ses pairs de l’AACM, la grande tradition du jazz, des beaux sons,
du récit et des standards appris auprès de son père, il a quand même su faire
sienne un esprit d’aventure propre à la Cité des vents, ne récusant pour autant
ni le blues, ni le rhythm & blues, ni la soul, ni même parfois des formes
plus «commerciales» de l’expression musicale afro-américaine. Il a conservé ainsi un jeu naturel, direct et pourtant
sophistiqué, comme le jazz, et un souci d’originalité dans tous les formats
qu’il a fréquentés, au sein de ses quartets, de ses groupes comme les leaders. Aujourd’hui Européen d’adoption, on le retrouve ici sur deux
enregistrements en quartet et en duo saxophone-basse avec des musiciens
européens, l’excellent Antonio Farao (p) et une découverte, le bassiste autrichien Heiri Känzig, plus
Michael Baker à la batterie. C’est la formation, à l’exception du batteur
remplacé par le vieux et brillant compagnon Billy Hart, qui s’est produite
l’été 2015 à Jazz à Vienne au Théâtre de minuit, alors qu’elle aurait tout
aussi bien pu prétendre à la grande scène au milieu de la soirée la plus jazz
de la quinzaine. Le disque en duo est composé essentiellement de ballades
originales soit de Chico soit de Heiri, parfois des deux, plus deux standards,
«Dat Dere» (Bobby Timmons) et «After the Rain» (Coltrane). Le beau son feutré
de Chico et la contrebasse chantante d’Heiri ont beaucoup de place pour
s’exprimer sans pression, avec beaucoup d’écoute réciproque, de complicité,
sans abstraction. L’atmosphère de certaines compositions est propre à l’univers
apaisé habituel de Chico Freeman que l’on connaît depuis ses débuts:
sérénité, sensualité, spiritualité, et le contrebassiste se coule avec adresse
dans cet environnement. Le disque en quartet propose essentiellement des
compositions originales de Chico Freeman (huit) dont cinq belles compositions
dédiées à ses cinq filles, plus deux d’Antonio Farao, une de Heiri Känzig, une
de Miles Davis et un blues de Stanley Turrentine. L’ensemble du disque
appartient au climat jazz de la fin du XXe siècle, avec parfois un petit manque
de relief, d’impulsion. En live, la formation semblait plus tendue...
Struttin' With Some Barbecue*, Mood Indigo*, Double Gin Stomp, Sweet
Lorraine*, Royal Garden Blues, Doobooloo Blues, Honeysuckle Rose, China Boy*,
"C” Jam Blues*, Sobbin' and Cryin'*, S' Wonderful*, Promenade aux
Champs-Elysées* Barney Bigard (cl), Claude Luter (cl), Eddie Bernard (p), Roland
Bianchini (b), Teddy Martin (dm) Enregistré les 14 et 15* février 1960, Paris Durée: 53’ 25’’ Milan 399 349-2 (Universal)
Voici enfin réédités des enregistrements effectués en France par
des musiciens français de jazz et un américain qui méritent le qualificatif
d’historiques et d’indispensables. Précisons que deux titres de ce Paris Session ne concernent que Barney
Bigard («Sweet Lorraine» et «S' Wonderful»). Mis à part deux originaux cosignés (1960) par les deux
clarinettistes, le programme est puisé dans un répertoire ancien composé entre
1919 et 1951: des pièces faisant référence au style new orleans
évidemment, mais également deux compositions tardives (1947 et 1951) de Sidney
Bechet, ainsi que d’Ellington, de Waller, de Gershwin sans oublier une
révérence à Jimmy Noone («Sweet Lorraine»). Dans le livret, Fabrice Zammarchirappelle les
circonstances qui permirent l’enregistrement de ces faces: la réalisation
du film Paris Blues, qui vers la fin
du quatrième trimestre de 1960 réunirent dans la capitale les orchestres du Duke et de Louie, dont faisait partie Barney Bigard. Charles Delaunay ne fut
pas étranger à l’opération et s’activa pour rendre possible cette rencontre. Il
fit en sorte de mobiliser un studio sur plusieurs jours «pour engranger
de la matière», disait-il. Lors de la session, Barney Bigard, âgé de 54
ans, était en pleine possession de ses moyens. Son style tout de sérénité était
parvenu à une sorte de perfection classique qui faisait de lui le représentant
emblématique encore vivant, de la grande école des clarinettistes de New Orleans.
Claude Luter avait 37 ans; il était en pleine force de l’âge et tout
juste sorti de sa période de gloire, mais aussi de formation, avec Bechet. Et
la réunion a tenu toutes ses promesses. Dans ces enregistrements, Claude Luter s’affirme comme un disciple
de Sidney Bechet/clarinettiste, celui de «Blue Horizon» (1944), de
«Egyptian Fantasy» (1941), et de «Old Stack O Lee
Blues» (1946). Il évoque beaucoup le Bechet du début des années
1940; on y retrouve le vibrato du maître sur le blues, («Doobooloo
Blues») mais également dans les tempi soutenus (cf. «China
Boy» avec Sidney Bechet/Muggsy Spanier mars 1940). Comme lui, dans cet
album, Luter «attaque» la clarinette (traitement «hot»
du son de l’instrument), il la traite à la manière d’un soprano, lui donnant
une expressivité mâle voire agressive. Le vibrato Claude est moins ample, moins
soutenu, moins véhément que celui de Bechet. Il n’en demeure pas moins que son
style rugueux lui permettait de conduire le discours musical. Au-delà de la
très forte présence musicale de Bechet, Luter était en position d’infériorité
dans son orchestre par rapport au maître qui utilisait un soprano plus
puissant. Or en jouant à égalité, sur le même instrument que son partenaire,
Claude Luter pouvait rivaliser et réalisa une session exceptionnelle, dont il
avait raison de dire qu’elle constituait son
grand œuvre,la «plus grande
réussite de sa carrière». Quant à Barney Bigard, il est impérial tant dans ses solos
(«Double Gin Stomp», «Doobooloo Blues»), dont la
rigueur et la poésie sans affectation constituent la puissance d’évocation, que
dans ses dialogues avec Luter et surtout dans sa manière de réinventer à
l’infinie la polyphonie néo-orléanaise par la volubilité de son discours léger
et la fluidité exquise de son expression. Zammarchi parle de sa part de
«féminité» qu’il oppose à la masculinité de Luter; je
préfèrerais parler de la tradition d’élégance créole (Lorenzo Tio, son mentor)
dont son style témoigne dans ces faces que j’opposerais à la rusticité policée
de Luter, héritée celle de Dodds créolisée par le lyrisme de Bechet. Dans les
deux titres où il joue en quartet, Bigard nous présente une autre lecture
musicale de l’école créole: sur «Sweet Lorraine», très
personnelle et différente de celle de Jimmie Noone, son aîné de dix ans qui fut
également l’élève de Tio; sur «‘S Wonderful», par la
structuration classique acquise à New York auprès d’Ellington. Les deux solistes sont certes brillantissimes, mais leur
prestation doit également beaucoup à la section rythmique qui leur déroule un
tapis. Claude Luter disait, à juste titre, que ce fut la meilleure de sa
carrière. Roland Bianchini (b) accompagne et soutient à la perfection. Teddy
Martin (dm) est présent sans gêner; son accompagnement est rigoureux et
ses interventions en solo sont de bonne facture. Mais la pièce maîtresse de
cette formation est Eddie Bernard. Au-delà de l’amitié qui unissait les deux
hommes, on comprend que Claude Luter ait été très affecté par la disparition
d’un artiste de cette trempe. Il y est exceptionnel: dans ses
introductions, où il installe des tempi parfaits, dans ses accompagnements
aussi stimulants qu’intelligents et justes dans l’esprit de la pièce. Son jeu d’une
grande finesse évoque ceux de Teddy Wilson et d’Ellis Larskins. Bernard n’était
pas qu’un pianiste «stride»,
technique qu’il fut l’un des premiers en France à posséder dans toute sa
complexité; sa connaissance de la littérature du jazz et sa maîtrise du
clavier en faisait tout simplement un grand pianiste. Ses interventions en solo
sont dignes des plus grands solistes. «Mood Indigo» est un joyau de
cette perfection, au plan de la musicalité et du toucher d’une clarté et d’une
densité formidables. Quant à ses deux faces en quartet, Bigard lui doit d’y
être sublime; on comprend qu’il l’ait sollicité pour graver ce superbe
«Sweet Lorraine» et son étincelant «‘S
Wonderful»: le soutien d’un Fats
à l’élégance française. M. Edouard Bernard était un immense pianiste: ces
enregistrements lui doivent vraiment beaucoup. En France au lendemain de la Seconde guerre mondiale, le caractère
festif de la musique new orleans a, peut-être, éclipsé, voire occulté la beauté
intrinsèque de cette école. Or, ici Bigard et Luter jouent la musique de la musique de Crescent City,
en intimité, en communion, en l’absence de toute relation avec l’extérieur,
d’où la densité extrême de ces moments superbes: jubilatoires dans
«China Boy», «Struttin’», «Honeysuckle
Rose» ou «C Jam Blues»; jusqu’à l’extase parfoisdans l’exposition du thème de «Mood
Indigo» ou le final de «Doobooloo Blues». Une des albums les plus importants de l’histoire du jazz.
Dee Dee Bridgewater / Irvin Mayfield / The New Orleans Jazz Orchestra Dee Dee's Feather
One Fine
Thing, What a Wonderful World, Big Chief, Saint James Infirmary, Dee
Dee's Feathers, New Orleans, Treme Song/Do Whatcha Wanna, Come
Sunday, Congo Square, C'est ici que je t'aime, Do You Know What it
Means, Whoopin' Blues Dee Dee
Bridgewater (voc), Irvin Mayfield (tp) and The New Orleans Jazz
Orchestra: Bernard Floyd (tp), Ashlin Parker (tp, voc), Eric Lucero
(tp), Leon Chocolate Brown (tp, voc), Michael Watson (tb, voc), David
L. Harris (tb), Emily Frederickson (tb), Khari Allen Lee (as), Rex
Gregory (as, cl), Derek Douget (ts), Edward Petersen (ts), Jason W.
Marshall Sr. (bs, bcl), Victor Atkins (p), Don Vappie (g, bjo) ,
Jasen Weaver (b), Peter Harris (b), Adonis Rose (dm), Bill Summers
(perc), Glen David Andrews (voc), Branden Lewis (tp), etc. + Dr. John
(voc) Enregistré du 23 au 25 mars 2014, New Orleans Durée: 1h 07' 18'' DDB
Records / Okeh 88875063532 (Sony)
Dee Dee
Bridgewater est devenue une Néo-Orléanaise d’adoption, et comme
on a pu le constater en France, quand Dee Dee aime, ce n’est pas à
moitié… Elle consacre beaucoup de temps donc, non seulement à
faire ce qu’elle sait très bien faire, chanter et animer une scène
ou une séance avec un big band, comme ici, mais aussi à promouvoir
tout ce qui contribue à faire que New Orleans retrouve la splendeur
non seulement de son âme musicale mais que s’y développent de
nouvelles initiatives à même de rendre la joie de vivre à la belle
Cité du Croissant, un véritable art de vivre. De la France à la
ville la plus française des Etats-Unis, il n’y avait qu’un pas
et elle a rencontré un des acteurs les plus actifs de ce renouveau
néo-orléanais en la personne de l’excellent trompettiste et
leader, Irvin Mayfield, qui non seulement dirige plusieurs formations
dont ce magnifique big band, mais aussi un club et maintenant un Jazz
Market, sorte de centre culturel à l’américaine, où l’on
retrouve, depuis son inauguration au printemps dernier, tout ce qu’un
amateur de jazz peut souhaiter, des disques, des partitions, un
auditorium… On vous en parlera mieux dès qu’un rédacteur de
l’équipe l’aura visité.
C’est
à cette occasion que Dee Dee et Irvin ont réalisé, pour
l’inauguration, un enregistrement, au départ avec cette seule
ambition. Conjoncture aidant (10 ans que l’Ouragan Katrina a
dévasté la ville), mais aussi excellence de cette rencontre,
l’album est devenu un vrai projet discographique, et a reçu un
incroyable accueil aux Etats-Unis où il a été placé en têtes des
hits du jazz.
C’est
donc cet album, cet orchestre et la renaissance de New Orleans
qu’étaient venus nous présenter, en septembre 2015 à l’Olympia,
à Paris, Dee Dee Bridgewater et Irvin Mayfield, soutenus par une
opération de communication du New Orleans Convention et Visitors
Bureau. Le concert fut un beau succès, d’assistance et
d’atmosphère (voir notre compte rendu). Cet
enregistrement est à la hauteur de l’attente et de l’événement.
Le big band néo-orléanais, peuplé de musiciens du cru de
haut-niveau, dont certains sont déjà des protagonistes de premier
plan du renouveau musical de la ville depuis des années (Don Vappie,
Adonis Rose…) et même des stars (Bill Summers, Dr. John), tourne à
merveille avec cette souplesse d’articulation, ces sonorités qui
font encore du New Orleans sound un cas à part dans le jazz,
aussi bien sur le plan rythmique que sur le plan du phrasé et de la
sonorité. Dee Dee
retrouve en cette occasion le punch et la conviction qui sont ses
qualités essentielles. Avec son naturel, son
exubérance qui se marient si bien à l'esprit de New Orleans, elle
transpose littéralement l’amour qu’elle porte à cette ville et
à sa musique, très directement, sans maniérisme. Elle possède aussi, sur scène, une énergie et un
savoir-faire rares, qui en font une actrice à part entière dans la veine des
grands devanciers comme Cab Calloway. Le
répertoire, de standards et de hits néo-orléanais, n’a rien de
nouveau et ce n’est pas un problème car les arrangements comme
l’interprétation et les interventions sont parfaits, originaux,
partageant avec tous et dans l’excellence – la recette de son
succès – un patrimoine, aujourd’hui commun, de l’humanité. Une
bonne manière de rappeler que New Orleans lives!
plus que jamais et qu’il suffit de l’exposer à la lumière pour
que nouveaux bourgeons explosent de sa nature exubérante.
Olha Maria/O Grande Amor, Caravan,
Pastorale, Whirl, The Song Is You, In Walked Bud, Both Sides Now Fred Hersch (p) Enregistré le 14 août 2014, Windham
(New York) Durée : 1h 00' 36'' Palmetto Records 2180
(www.palmetto-records.com)
Fred Hersh est un excellent artiste,
pianiste classique par la culture (une dédicace est faite à Robert
Schumann dans ce disque ainsi qu’à Suzanne Farrell, une grande
ballerine américaine née en 1945) qui aura choisi de vivre son art
et de se produire comme un artiste de jazz par l’esprit. Il a derrière lui une belle carrière
et un production soutenue d’enregistrements (c’est son 10e
album en solo), toujours de grande qualité, où, en véritable
artiste, il joue ce qu’il a mûri, pénétré de l’intérieur,
maîtrisé. Et son répertoire n’est pas exclusif: il est amateur
de belles musiques, et son choix s’écarte du piano classique au
jazz ou aux beaux thèmes de la musique populaire (le premier de cet
enregistrement par exemple est brésilien) et des standards de jazz
bien entendu. Là, commence sa création, son apport.
Il ne jouera pas comme un musicien classique, car il apporte ce qu’il
est, son vécu, réharmonisera, enrichira les mélodies tout en les
respectant; il apportera même quelques inflexions rythmiques dans
l’esprit du jazz quand le morceau ne peut s’en passer («In
Walked Bud»), et nous entendons parfois ici par exemple une manière
de jouer qui fait référence à Randy Weston («Caravan»). Mais
Fred Hersch ne swingue pas et le blues est absent de sa manière, son
toucher du clavier appartient à une autre tradition. Ce n’est pas
une incapacité technique, car c’est un grand pianiste qui pourrait
«faire semblant» comme d’autres (Jarrett et Mehldau…) qui
arrivent à tromper qui le veut bien par des artifices. Fred Hersch se respecte; sa musique est
de lui; c’est du très beau piano; c’est un choix artistique,
humain, d’une honnêteté radicale qui fait plaisir, d’autant que
ses interprétations sont toujours très touchantes de sincérité et
captivantes d’inventivité, virtuoses, émouvantes, sans tromperie,
sans boursoufflure de l’égo. C’est un musicien savant qui a
toujours écouté les artistes avec attention, et qui sait honorer
ses sources. Il précise dans la notice que, parmi ses
enregistrements en solo, c’est le troisième disque en live, prévu
d’abord pour ses archives personnelles, mais qui, répondant à ses
critères de cœur, d’esprit et de technique (a first class
recording), est ainsi publié, sans que cela ait été prévu. On
ne peut mieux décrire une démarche artistique.
Just a Closer Walk With Thee, Hard Times, Buddy
Bolden's Blues, Elijah Rock, Saint James Infirmary, It Ain't My Fault, Girl of
My Dreams, The Mooche, The Nearness of You
David Blenkhorn (g), Sébatien Girardot (b),
Guillaume Nouaux (dm)
Enregistré les 4 et 5 mai 2014, Créon (33)
Durée: 43' 26''
Frémeaux & Associés 8514 (Socadisc)
Sur des thèmes «standardisés»dans les années
1950/1960 par des interprètes majeurs du jazz, les faces de cet album
illustrent et revisitent toutes les formes de l’expression musicale
afro-américaine du Sud au sens large du terme : de la marche funèbre – « Saint James Infirmary » (1928) – à la danse/transe ritualisée – «It Ain’t My
Fault» (Smokey Johnson 1964); du negro spiritual – «Elijah Rock»
immortalisé par Mahalia Jackson en 1962 – au rhythm & blues – «Hard Times» (Paul Mitchell) magnifié en 1958
par David «Fathead» Newman et Ray Charles; de la bluette – «The Nearness of You» (Hoagy Carmichael, 1937) song sublimé par le duo Ella/Louis en
1956 – au blues néo-orléanais –
«Buddy Bolden’s Blues» (1923); de la romance
– «Girl of My Dreams» (Sunny Clapp, 1928), transfigurée par Erroll Garner en
1956 et adaptée au gout du jour des années 60 par Etta James – à la parade – «Just a Closer With Thee» (traditional,
1885); du jazz standard – «Night
Train» (Jimmy Forrest, 1952) – au jungle
style – «The Mooche» (Duke Ellington, 1929).
Mis à part les traditional
et «Buddy Bolden Blues», ces thèmes, souvent révélés ou immortalisés dans/par
les musical tours en Louisiane, ont
été composés par des musiciens originaires du Middle-West (Jimmy Forrest, Smokey
Johnson, Hoagy Carmichael…): effet de l’économie culturelle nomade aux
Etats-Unis dès les années 1920.
Par ailleurs, cet album mêle intelligemment les
univers sacré et profane qui habitent la tradition musicale afro-américaine; la
musique jouée par ces musiciens est inspirée et sentie, profonde, même si elle
conserve toujours cette part d’extraversion qui constitue un des caractères
essentiels de cette tradition: gospel
song joué lors des enterrements, «Just a Closer Walk With Thee», est traité
avec beaucoup de sensibilité à la manière d’une danse rituelle ; et «Hard
Times», qui relève du work song profane, est joué en
recourant à la strette, selon la logique responsorielle de la liturgie
incantatoire des chants religieux.
Certes David Blenkhorn, qui vit le jour à Tamworth
en 1972, et Sébastien Girardot, né à Melbourne en 1980, sont Australiens; mais
Guillaume Nouaux, qui naquit à Arcachon en 1976, est Français. Et il est
remarquable que ses deux collègues océaniens aient éprouvé le besoin de
s’installer, comme beaucoup d’autres, dans notre pays pour jouer cette musique de jazz. Je partage
totalement l’hommage que leur rend Evan Christopher dans le livret; ce trio de
musiciens a un palmarès de sidemen auprès du gratin du jazz de Crescent City tout à fait exceptionnel.
Et l’on comprend pourquoi en écoutant La
Section Rythmique. Car leur talent ne réside pas seulement en un «simple
travail de reproduction», fût-il brillant; ils ont assimilé l’idiome musical de
cette tradition au point de le faire leur et de le rendre vivant en continuant
cette tradition dans une relecture innovante permanente. Par leur traitement
propre, chaque pièce est une œuvre en soi et leur agencement rend l’album
pertinent Les trois compères sont formidablement unis dans cet ouvrage; c’est
un ensemble d’une homogénéité rare au regard du fonctionnement actuel des
formations de jazz. C’est une section rythmique très soudée. On comprend ainsi
pourquoi elle est si souvent sollicitée pour accompagner des musiciens aux
univers jazziques si différents que Michel Pastre et Cécile McLorin Salvant.
L’accompagnement est l’école de l’exigence; les musiciens s’y révèlent. Dans
cet album, dont ils sont à la fois leaders
et sidemen, solistes et
accompagnateurs, le talent de chacun explose à tout instant.
David Blenkhorn est un guitariste assez
exceptionnel. Il connait de manière évidente et approfondie la littérature de
son instrument et du jazz. C’est un technicien impressionnant. Sébastien Girardot n’est pas moins brillant. Dans
cet album, il joue un rôle essentiel, étant à la fois second élément rythmique
et harmonique, d’une part, et deuxième voix mélodique (exposition du thème et
solo dans «Hard Times»), d’autre part. Guillaume Nouaux est tout bonnement extraordinaire
dans ce volume. Il joue la musique qu’il aime comme il la sent et sans retenue
avec tous les moyens dont il dispose («It Ain’t My Fault») qui sont immenses.
C’est un rythmicien d’exception – un des rares européens à savoir jouer les
rythmes et les tempi de New Orleans – en tant qu’accompagnateur et un vrai
partenaire dans le groupe. Il joue de la musique sur ses tambours avec toutes les nuances qu’on est en droit d’attendre d’un
interprète.
La Section Rythmique est une
œuvre jubilatoire; pour ceux qui jouent, pour celui qui écoute. L’auditeur est
à chaque instant sollicité, dans sa curiosité comme dans son intelligence; ces
trois gars font découvrir et
redécouvrir la musique américaine dans sa diversité complexe mais également
et plus spécifiquement l’entièreté composite de la civilisation du jazz dans sa
branche afro-américaine: de sa sociologie et son histoire à ce qui fait sa
spécificité musicale, le swing.
A la Verticale, Ordinary People, Drift,
Can’t Get Next to You, Oublie-moi, Seven Days Seven Nights,
Windmills of Your Mind, Spanish Joint, Overture David Sanborn
(as), Roy Assaf (p, key), Marcus Baylor (dm), Javier Diaz (perc),
Marcus Miller (b), reste du personnel détaillé dans le
livret Enregistré à Brooklyn, date non précisée Durée: 42'
24’’ Okeh 88875063142 8 (Sony Music)
C’est par «A la
verticale», une composition de la Parisienne Alice Soyer et de
Sylvain Luc que débute ce CD. Au cœur du disque on trouve aussi
«Oublie-moi». Dans cette dernière Sanborn et son saxo alto, hors
du jazz, offre l’ambiance poétique, sensuelle, chère à Alice, en
jouant cool et en laissant traîner les notes. La délicatesse du
clavier de Roy Assaf contribue à l’atmosphère. «A la verticale»
est plus dynamique avec deux sax, trompette et trombone, un travail
percussif plus marqué et une belle participation d’Assaf. Deux
thèmes sont de Sanborn lui-même. «Drift» joué en quintet (as,
key, b, perc. dm) apparaît comme une sorte de ballade, de
complainte, prise très slow tandis que pour «Ordinary People» le
saxophoniste lance son armada avec Rhodes, Hammond B3, trombone,
clarinette, sax, etc., mais le morceau, même avec un ton latino,
conserve une nonchalance qui finit par peser. Le même ton se
poursuit par «Seven Days, Seven Night» de l’autorité de Marcus
Miller. La voix de Lary Braggs dans le funky «Cant’Get Next to
You» plaira peut-être davantage aux amateurs de jazz/blues tout
comme les «Moulins de mon cœur / Windmills of Your Mind »
et la superbe voix de Randy Crawford. David Sanborn se coule dans
l’ambiance tout comme l’accompagnement de Diaz qui s’illustre
également sur «Spanish Joint», un thème bien plus dynamique avec
un bon groove. Le thème final «Overture», en duo Sanborn-Assaf,
reste dans cette mélancolie que l’on trouve tout au long du
disque. Finalement un disque qu’il faut consommer en plusieurs
fois pour ne pas se lasser mais que l’on ne peut raisonnablement
pas ranger dans les bons disques de bon jazz.
Aaron Golberg (p), Reuben Rogers (b), Eric Harland
(dm) + Kurt Rosenwinkel (g) Trocando em miudos, Yoyo, The Xind in the Night,
E-Land, Perhaps, Triste Baía da Guanabara, Background Music, Francisca, One’s a
Crowd, One Life Enregistré
en 2009, Stalden (Suisse) et en 2014, New York Durée: 53' 22'' Sunnyside 1402 (www.sunnyside.com)
Superbe disque! Utilisant
le format du trio dans sa conception la plus traditionnelle avec une section rythmique de talent (et le
non moins talentueux guitariste Kurt Rosenwinkel sur le dernier thème),rodée par quinze années de vie musicale
partagée; Goldbergpropose un jazz
renouant fortement avec le classicisme d’un Evans par exemple. S’appuyant
sur ses deux partenaires qui assurent parfaitement leur rôle, le pianiste est
brillant, virtuose sans excès. Sur des tempi
lents le trio dégage de la sérénité, de la spontanéité, du lyrisme et swingue («Perhaps» en particulier) comme le jazz
l’exige. Les trois partenaires jouent détendus et les soli de chacun s’enchaînent sans rupture au sein des morceaux. Le
répertoire, éclectique, va du Brésil à Charlie Parker en passant par le
folklore d’Haïti et les propres compositions de Goldberg. Ces compositions de
Goldbergsont les plus récemment
enregistrées (2014). Dans « The Wind in the Night » Goldberg est le
seul à s’exprimer, Rogers et Harland veillant à mettre le pianiste en évidence.
Le court « E-Land » offre du dynamisme, le drummer est valorisé. A
chaque phrase de «Francisca» on attend une voix… mais non le morceau est
purement instrumental. Les balais de Harland contribuent à l’atmosphère
feutrée. «One’sa Crowd» avec un jeu
plus percussif du pianiste est gorgé de swing et laisse un espace à
l’expression personnelle de la contrebasse et de la batterie. Les autres thèmes
étaient depuis plus de cinq ans en stand
by. «Trocando» se déroule comme une marche majestueuse; «Yoyo» rythmé est
parsemé de breaks. Du nostalgique «Triste Baía da Guanabara» émerge un beau
solo de contrebasse. Pour «Back Ground Music» le trio prend un tempo
d’enfer! Malgré le temps séparant
les deux dates d’enregistrement The Now
possède une unité car les thèmes d’auteurs sont bien assimilés et rendus avec
personnalité, donnant une homogénéité à presque tout l’ensemble. Presque car
l’introduction de la guitare sur «One Life» marque une rupture compte tenue de
l’intervention de Rosenwinkel dont la guitare sonne parfois comme une flûte! Il
est en effet la voixprincipale du
thème, le piano s’effaçant dans l’accompagnement, mais c’est ainsi que Goldberg
a entendu «One Life» en le composant.
Titres
et personnels détaillés dans le livret Dates
et lieux d’enregistrement détaillés dans le livret Durée :
1h 12' 48'' + 1h 10' 52'' Frémeaux
& Associés 3061 (Socadisc) Ce
coffret fait suite au premier volume (1945-1951) et propose un ou
deux thèmes (les meilleurs en principe) des principaux disques du
saxophoniste Stan Getz couvrant la période 1953-1958. Après une
époque californienne, puis ses passages au Storyville à Boston,
Getz fait une «pause studio» dont les conséquences vont être très
bénéfiques. Dans la foulée de sa participation au 25e
anniversaire de Duke Ellington au Carnegie Hall, il enregistre en
quintet à New York. «You Turned the Tables on Me» fait partie de
cette session. Puis Stan retourne sur la Côte Ouest et, entre les
jams au Lighthouse ou au Zardi’s et les tournées, il enregistre
dans les studios de Los Angeles. De nouveau en quintet on découvre
deux titres où figure l’excellent tromboniste Bob Brookmeyer que
Stan a amené avec lui, «The Nearness of You» et «Pernod»,
chargés en swing. «I Don’t Mean a Thing» (1953): treize
minutes de régal. Les deux premiers titres étaient plutôt
cool mais cette fois avec le disque Diz & Getz with The
Oscar Peterson Trio le saxophoniste se mêle aux grands boppers :
Dizzy Gillespie (tp), Max Roach (dm), Oscar Peterson (p), Ray Brown
(b), Herb Ellis (g) complètent le plateau. Stan répond à son aîné
Diz sans jamais se soumettre, et l’association du trompettiste et
du ténor fonctionne à merveille. Elle est encore meilleure trois
ans plus tard lorsque Diz, Brown, Ellis reviennent avec Sonny Stitt
(as), John Lewis (p) et Stan Levey (dm). Il en sort un bebop assez
fou dans lequel Stitt cherche à tirer les marrons du feu… mais
non, ce sont bien Stan et Gillespie – qui font preuve d’un mutuel
respect – les acteurs principaux. Max Roach est resté à L.A
et récidive avec le quartet du saxophoniste : «Down by the
Sycamore Tree» est une jolie ballade. Le batteur revient
un an plus tard (1955). Les partenaires de Getz ne sont plus les
mêmes et on découvre le remarquable Lou Levy (p) que Stan Getz va
beaucoup apprécier et appeler dans ses formations. Les deux thèmes
proposés sont très éloignés. «Shine» avec la trompette de Conte
Candoli swingue. «A Handful of Stars », courte ballade, montre
que Levy, bien qu’issu de Chicago, a su profiter en Californie de
ses passages chez Woody Herman puis Shorty Rodgers. Levy a déjà
collaboré avec Getz quelques jours avant lors de l’enregistrement
que ce dernier réalise avec Lionel Hampton. Ils sont accompagnés
par le batteur incontournable du west coast, Shelly Manne, et un
bassiste non moins important Leroy Vinnegar, tous les deux s’adaptant
facilement au jeu de vibraphoniste. Levy offre un swing superbe
sur «Cherokee». Hampton va crescendo jusqu’à se montrer déchaîné
– comme souvent – et choisit alors de proposer, sans se calmer,
un sensationnel dialogue avec le saxophoniste qui se prolonge trois
bonnes minutes, ponctué d’interjections des musiciens qui
jubilent! A la fin de 1955, Stan Getz voyage en Suède et invite
trois jazzmen autochtones pour enregistrer. Il en sort un surprenant
«Over the Rainbow». On écoute ensuite trois thèmes en quartet,
issus de l’album The Steamer. La section rythmique (Levy,
Levey et Vinnegar) impressionne sur «There’ll Never Be
Another You» mais est bien tenue de le faire pour être à la
hauteur de Stan qui mène un train d’enfer durant neuf minutes. Ce
morceau contient de beaux échanges entre Getz et Levy et entre ce
dernier et Levey. La suite est sur le second CD. «Blues for
Mary» est la première composition de Getz proposée dans cette
Quintessence. Est-elle dédiée à son grand problème, la marijuana
ou peut-être à la secrétaire de Norman Granz. L’interprétation
regorge d’idées et de belles phrases. Le quartet enchaîne avec la
jolie ballade « You’re Blasé ». Stan Getz fait
une infidélité à L.A. pour enregistrer The Soft Swing à
New York, ce qui nous permet de l’écouter avec un quartet
différent sur une autre composition personnelle «Down Beat».
Interprétation très standard, pas de virtuosité, de chorus
endiablés, ni de fioritures mais du bon jazz. Oscar Peterson et
son trio reviennent à Los Angeles en 1957 et Stan en profite. Il
commence avec le trio auquel il adjoint Connie Kay (dm)
et Jay Jay Johnson (tb), coleader, et se produit lors d’un concert,
enregistré, dont sort une très bonne version de «My Funny
Valentine». C’est vivant et les interventions, parfaitement en
symbiose, des deux hommes sont appréciées du public. Extraite du
même concert on apprécie «It Never Entered My Mind». Cette fois
Getz est à la barre. Peut-être une des plus belles ballades de
Stan. Trois jours plus tard le saxophoniste se remet au travail en
studio avec le trio. Contrairement à la première opportunité de
1953, l’enregistrement se fait sans batteur et l’on a encore
le privilège d’écouter une superbe ballade, «I’m Glad There Is
You», permettant de goûter la beauté du son que Getz sait faire
surgir de son ténor. Herb Ellis offre également de bonnes
interventions. Vraisemblablement le lendemain de cet enregistrement,
Stan est invité par le même Ellis qui a en outre rassemblé dans le
JATP all-stars Roy Eldridge (tp), Ray Brown et Stan Levey. «Tin
Roof Blues» est issu de cette session. Evidemment, la guitare et la
trompette se sont mis successivement en évidence puis Getz
intervient. C’est assez linéaire mais on y apprécie le son de
chacun. Le jour suivant, Getz, gardant Levey et Brown rappelle Lou
Levy pour inviter Gerry Mullignan (bs). Le coffret présente deux
thèmes émanant de cet enregistrement capital. Entre Stan et Gerry
c’est un véritable corps à corps… On trouve de tout dans
«This Can’t Be Love», improvisation conjointe, soli,
dialogues, fantaisie… Cela tient de la jam-session. «Ballad»
composition attribuée (à tort pensons-nous) à Getz permet aux deux
hommes de calmer leurs ardeurs et de s’attacher à la mélodie en
faisant couler lentement le meilleur de leurs instruments. Au risque
de se répéter (mais cela prouve que l’on a bien là la
Quintessence de Stan Getz) c’est du bonheur. 1958:
Stan Getz et Chet Baker (tp) ne s’apprécient pas vraiment;
pourtant les talents de négociateur de Norman Granz suffisent à
convaincre le second d’enregistrer avec le premier et la session se
passe à Chicago. Ni Stan ni Chet n’offrent une prestation
exceptionnelle. On assiste à une espèce de bagarre musicale sur un
tempo effréné que ne laissait pas présager les premières
mesures de «Half Breed Apache» (composition de Getz), toute en
délicatesse! Finalement c’est Getz qui déclenche un petit quart
d’heure d’hostilités. Le coffret s’achève sur
l’enregistrement de Stockholm de septembre 1958. Getz réunit
ses Swedish Jazzmen parmi lesquels Lars Gullin (bs) un excellent
musicien de formation classique, passionné de jazz, partenaire dans
des tournées européennes de Chet Baker, Zoot Sims, Lee Konitz, etc.
Gullin écrit «Stockholm Street». Il faut relever dans la
formation la présence du trompettiste Benny Bailey, un Américain
installé en Suède à ce moment-là, partenaire de Diz pour le
célèbre concert de la salle Pleyel. Du très classique. Getz
s’exprime seul, les six Suédois n’assurant que l’accompagnement
sur ce thème. Comme l’indique le livret, signé d’Alain
Tercinet, le coffret se clôt alors que Stan Getz n’a que trente et
un ans; certes avec quinze ans de carrière. Il est à la moitié de
sa vie. Cela donne une idée de l’envergure de ce jazzman que ses
détracteurs devraient réécouter.
Serge Merlaud / Jean-Pierre Rebillard Bear on a Tightrope
Françou on My Mind, Bear on a Tightrope, Peau douce, Allô Romain*,
Deep Passion*, Un verre de graves pour Françou, Anaïta, Dorémifanny, Kalimàt,
No Way*,
L'eau qui dort* Serge
Merlaud (g), Jean-Pierre Rebillard (b), Claude Braud
(ts)* Enregistré les 11 et 12 juin 2014, Epinay-sur-Orge (91) Durée: 45’ 58’’ Black & Blue 799.2 (Socadisc)
Que voilà un album original et attachant. Bien que l’œuvre de
«vieux de la vieille», c’est une agréable «Découverte»,
même s’il n’est pas classable. C’est une belle conversation entre deux
musiciens, le guitariste Serge Merlaud et le contrebassiste Jean-Pierre
Rebillard, auxquels vient se joindre, sur quatre titres, le saxophoniste Claude
Braud. Les amateurs de jazz ne sont pas habitués à les entendre dans un tel
registre. Neuf de ces onze pièces, dont cinq composées par Jean-Pierre
Rebillard et quatre par Serge Merlaud, les autres l’ayant été par Steve Swallow
et Lucky Thompson, ne relèvent pas de l’idiome du jazz. La musique n’en étant
pas moins superbe; et l’on se laisse rapidement envouté par l’ambiance
intimiste de cette réflexion à plusieurs voix («Un verre de graves pour
Françou»). Ressortent de cet ouvrage les versions de «Peau
Douce» (Swallow), dans laquelle la délicatesse de Merlaud, dont la
musicalité évoque Charlie Byrd, et la subtilité de Rebillard font merveille, et
«Deep Passion» (Thompson) où la sensibilité de Braud s’épanouit dans
une élégance réservée de bon aloi. Un bel album à écouter au coin du feu.
Miguel Zenón, (as), Luis Perdomo (p), Hans Glawischnig,
(b), Henry Cole (dm), Will Vinson, Michael Thomas (as), Samir Zarif, John Ellis
(ts), Chris Cheek (bs), Mat Jodrel, Michael Rodríguez, Alex Norris, Jonathan
Powell (tp), Ryan Keberle, Alan Ferber, Tim Albright (tb) De donde vienes?, Identities are changeable,
My Home, Same fight, First language, Second generation Lullaby, Through Culture and Tradition, De donde vienes? Enregistré les 18 et 19 mars 2014, New York et
en 2011, La Havane (Cuba) Durée: 75’ Miel Music (www.miguelzenon.com)
Dans une très antérieure chronique nous avions souligné l’intérêt que montre
Zenón, à travers sa Caravane Culturel,
à diffuser le jazz dans les plus petits villages de son l’île, Puerto Rico.
Aujourd’hui Zenón est plongé dans des recherches identitaires et s’attache au
mouvement migratoire qui depuis plusieurs générations entraîne ses compatriotes
vers les Etats-Unis. Les Portoricains constituent à New York une colonie de
plusieurs millions de personnes. Ce disque assez étrange ne ressemble en rien à
ce que l’on a l’habitude d’écouter. Miguel Zenón se livre à de nombreuses
interviews de ces Portoricains vivant dans la gran manzana. Il les questionne sur leurs liens actuels avec Puerto
Rico, leur façon de vivre etc... et superpose ces interviews sur les huit
thèmes qu’il compose spécialement pour ce projet et dont les titres font
référence à ces interviews. Le quartet de Zenón et le Identies Big
Band apparaissent donc en arrière plan chaque fois que les interviews se
superposent à la musique. Les thèmes – à l’exception de l’introduction et de la
conclusion –excédant les dix minutes on
peut quand même percevoir le jazz de Zenón et de ses partenaires, percutant, au
sein de laquelle éclatent les trois trombones, à la manière de certaines
formations latines aux Etats Unis à l’apparition de la salsa. Toutefois Zenón les équilibre avec le pupitre des saxos et
des trompettes. L’ensemble est donc puissant avec toute cette armada de metales. En filigrane très discret
apparaissent les bases de la musique portoricaine historique, la plena, peut-être la bomba apportant une référence à la latinité correspondant aux
personnes interrogées. Ce disque s’adresse aux découvreurs de mystères… car pour connaître Zenón,
d’autres disques sont plus à conseiller.
The Thrill Is Gone, In the Still of the Night, Bewitched,
Bothered and Bewildered, Answer Me, My Love, Why Don't You Do Right ?, Cry
Me a River, Something Cool, Wives and Lovers, I Get Along Without You Very Well Hetty Kate (voc), James Sherlock (g), Sam Keevers (p), Ben
Robertson (b), Danny Farrugia (dm) Enregistré le 15 mars 2013, Melbourne (Australie) Durée: 40' 50'' ABC Jazz 378 2335 (www.hettykate.com)
Gordon Webster / Hetty Kate Gordon Webster Meets Hetty Kate
Button Up Your Overcoat***, Blitzkrieg Baby, Peek-a-Boo,
Shoo Fly Pie & Apple Pan Dowdy, How D'ya Like to Love Me ?, Eight,
Nine & Ten, There's Frost on the Moon*, Busy Line, Sweet Lover no More, I
Wanna Be Around, Hard Hearted Hannah, Bésame Mucho**, I Lost My Sugar in Salt
Lake City**** Gordon Webster (p), Hetty Kate (voc), Mike Davis (tp),
Cassidy Holden (g), Rob Adkins (b), Kevin Congleton (dm) + Joseph Wiggan (tap
dancing), Shannon Barnett (tb)*, Adrien Chevalier (vln)**, Adam Brisbin (g)***,
Evan Arntzen (cl)****, reste du personnel détaillé dans le livret Enregistré en septembre 2013, New York Durée: 49' 03'' Autoproduit (www.hettykate.com)
En juin 2015, nous étions tombés sous le charme de la
pétillante Hetty Kate, qui se produisait au Caveau de La Huchette (Jazz
Hot n°672). Une rencontre à l'occasion de laquelle ses deux derniers albums
en leader, enregistrés durant l'année 2013, à quelques mois d'intervalle, nous
sont tombés sous la main. Originaire de Hampshire, en Angleterre, mais élevée
en Australie, Hetty Kate vit à Melbourne. Elle appartient donc à cette scène
lointaine jazz océanique dont nous avons quelques échos de temps en temps (Joe
Chindamo, Jazz Hot n°596) et aussi quelques représentants qui ont leur
rond de serviette dans les clubs parisiens : Chris Cody (p), Dave
Blenkhorn (g), Sébastien Girardot (b) ou encore Wendy Lee Taylor (voc). Dim All the Lights est un album de ballades qui
s'ouvre avec un «The Thrill Is Gone» joliment mélancolique et qui
capte d'emblée l'oreille. La voix sensuelle de Miss Kate évoque le timbre de
Peggy Lee, avec un phrasé qui épouse le swing. L'accompagnement du piano
(«In the Still of the Night») comme de la guitare
(«Bewitched, Bothered and Bewildered», sobre et élégant, met
parfaitement en valeur la chanteuse. Les subtiles variations d'un titre à
l'autre maintiennent notre intérêt de bout de bout : des ballades certes, mais
les couleurs sont différentes entre «Why Don't You Do Right?», «Cry
Me a River» ou «Wives and Lovers». Un disque très plaisant. Sur le second opus, Hetty Kate partage l'affiche avec le
pianiste Gordon Webster, émule canadien de Fats Waller, installé à New York. La
rencontre des deux, sous le signe du swing, est des plus réjouissantes !
Webster et Kate nous embarquent dès le premier titre, «Button Up Your
Overcoat» et nous convient à une joyeuse évocation du jazz des années
trente et quarante, convoquant même un danseur de claquettes sur «Shoo
Fly Pie & Apple Pan Dowly». Rien n’est artificiel ni ringard :
on a affaire à de bons musiciens qui maîtrisent leur style (le groupe se révèle
particulièrement alerte sur Eight, Nine & Ten» et sur «There's
Frost on the Moon». Hetty Kate, portée par l’ensemble, est délicieuse sur
«Peek-a-Boo», drôle sur «Busy Line», romantique sur
«Hard Hearted Hannah» dévoilant ainsi une palette assez large.
On ne peut que souhaiter la
voir revenir bientôt sous nos climats pour profiter en scène de ses atours
vocaux.
Witchcraft, Bess You Is My Woman, You
Don’t Know What Love Is, My Man’s Gone Now, Our Love Is Here to
Stay, Get Out of Town, I Hear Music*, Blues in Green, Boplicity Frederic Borey (ts, arr), Michael
Felberbaum (g, arr*), Leonardo Montana (p), Yoni Zelnik (b), Fred
Pasqua (dm) + Gildas Boclé (b) Enregistré les 7 et 8 juin 2015,
Videlles (91) Durée : 58' 46'' Fresh Sound New Talent 486
(www.fredericborey.com)
Le clin d’œil de Frederic Borey
passe, dans ce nouvel enregistrement, par une relecture de standards
parmi les plus connus, revus au filtre d’une filiation
hendersonienne (Joe), avouée dans les quelques notes de pochette.
Les influences et admirations de Frederic Borey, né en 1967, ne
s’arrêtent bien sûr pas là, et s’il est aujourd’hui mis en
valeur par le label New Talent (Fresh Sound) de l’excellent Jordi
Pujol, ne vous y trompez pas, c’est un musicien expérimenté,
diplômé, enseignant lui-même, qui a déjà côtoyé d’excellents
partenaires depuis plus de vingt ans sur les scènes du jazz. La
présence de Gildas Boclé sur le premier thème, le soutien de Jerry
Bergonzi et Lionel Loueke dans les notes de livret, confirment ce
statut de musicien reconnu et expérimenté, et la musique jouée
vient confirmer cette présentation rapide. Nous évoquions l’influence de Joe
Henderson, et elle est en effet marquante dans cette manière de
diffuser un voile aérien de réharmonisations sur toutes les
compositions pour créer un véritable univers, captivant. La
sonorité même de ténor de Frederic Borey n’est pas sans rappeler
l’élégance du regretté et grand saxophoniste de Lima (Ohio). Ses
héritiers ne sont pas si nombreux, et c’est donc un plaisir
supplémentaire de cet enregistrement. On apprécie l’apport du très bon
Michael Felberbaum, guitariste américain né à Rome et qui vit son
actualité jazzique à Paris, tout à fait dans l’esprit de cette
musique, particulièrement sur le très réussi « Our Love Is
Here to Stay », et le soutien d’un Fred Pasqua à son aise
dans cet univers, apportant juste ce qu’il faut avec délicatesse. Les relectures métamorphosent plus ou
moins les standards, mais dans l’ensemble, ce qui est remarquable
est l’unité du ton, la création d’un ensemble musical à la
personnalité certaine, à la tonalité originale, une construction
d’une séance cohérente dans laquelle on s’immerge
progressivement, conclue sur un « Boplicity » enlevé et
joyeux : un cheminement qui contribue à faire de ce disque un
excellent moment musical.
No Strings, Undecided, Shall We Dance,
Lulu’s Back in Town*, Running Wild, Living in a Great Big Way, Get
Happy*, Fascinating Rhythm, Darling je vous aime beaucoup, It Don’t
Mean a Thing, After You’ve Gone, Nagasaki, When Somebody Thinks
You’re Wonderful, When I Get Low I Get High, Me Myself and I Lucy Dixon (voc, tap dance, dm), Samy
Daussat (g), David Gastine (g), Sébastien Gastine (b), Laurent de
Wilde (p), Steve Argüelles (dm, perc) + Umlaut Big Band* :
Pierre Antoine Badaroux (as, arr), Louis Laurein (tp) Geoffroy Gesser
(ts, cl), Fidel Fourneyron (tb) Enregistré en mai 2014, Juillaguet
(16) Durée : 36' 38'' SideStreet Music
(www.thelucydixon.com)
Lucy Dixon est anglaise, elle danse
(les claquettes), elle possède un excellent drive, et comme vous
pourrez l’entendre sur ce disque, sans trop de moyens apparents,
elle a su réunir autour d’elle une bonne section dans l’esprit
de Django, avec les excellents frères Gastine, et un Samy Daussat,
toujours aussi brillant guitariste de cette tradition, augmentée
quand il le faut de Steve Argüelles, qui produit le disque, et d’une
section de cuivres. Son répertoire va des standards à la
tradition de Broadway, le tout marqué par l’empreinte de Django, à
cause de Paris et du choix des musiciens qui l’accompagnent, et
cela donne une résultat musical de belle facture. Lucy possède sur
disque, nous ne l’avons pas écouté en live, une vraie
personnalité, une belle voix juste, un phrasé swing ce qu’il faut
pour ce registre et pose les paroles avec une vraie connaissance de
ce répertoire. La mise en place est réussie, les musiciens
connaissent leur Django sur le bout des doigts et en donnent une
belle illustration tout au long de ce bon enregistrement. Donc, ce qui pourrait paraître pour un
disque promotionnel de plus, dans une présentation économique, en
dépit d’une photo sympa et des renseignements de base, est en fait
très prometteur, et mérite une attention certaine d’où le
plaisir n’est pas exclu. Il évoque tout aussi bien la grande
tradition populaire américaine que la tradition française marquée
par Django. En direct, les claquettes ne seront pas non plus à
dédaigner, car la dame semble se débrouiller parfaitement
(« Nagasaki »). Donc si vous croisez ce groupe sur votre
route, allez l’écouter et vous pourrez même conserver un souvenir
de la bonne soirée.
Frank Catalano / Jimmy Chamberlin Love Supreme Collective
Acknowledge of
Truth, Resolution of Purpose, Pursuance and Persistence, Psalm for
John Frank Catalano (ts, ss), Jimmy Chamberlin (dm), Chris Poland
(g), Adam Benjamin (key), Percy Jones (b) Enregistré en
2012 et 2013, Chicago Durée : 22' Ropeadope
13833 (www.ropeadope.com)
Frank Catalano / Jimmy Chamberlin God's Gonna Cut You Dawn
Shakin, Karma,
Expressions (for John Coltrane), Tuna Town, God’s Gonna Cut You
Down, Big Al’s Theme and Soul Dream Frank Catalano (ts),
Jimmy Chamberlin (dm), Demos Petropoulos (org), Scott Hesse (g),
Eddie Roberts (g), Mike Dillon (vib) Enregistré en janvier et
février 2015, Chicago Durée : 41' 05'' Blujazz 3434
(www.blujazz.com)
Handicapé
par un accident, Frank Catalano reste toute l’année 2011 sans
pouvoir s’exprimer musicalement. Il passe et repasse sans cesse la
musique de John Coltrane qu’il a toujours aimée (voir notre
interview dans ce numéro). Coltrane et l’album Love
Supreme lui permettent
de maintenir son cerveau en ébullition. Il ne pense alors qu’à
rendre hommage à John et conçoit Love
Supreme Collective.
Catalano appelle pour cela son ami de longue date Jimmy Chamberlin
qu’il considère comme le batteur adéquat pour son projet. Jimmy
lui fait penser à Elvin Jones. Il invite également le bassiste
Percy Jones, une vieille connaissance. Tous les trois s’enferment
dans un studio pour enregistrer quasiment en live.
Les parties de guitare sur « Psalm for John » et de
clavier sur le premier thème et sur « Pursuance and
Persistance » seront ajoutées par la suite après un long et
méticuleux travail. Le disque ne constitue pas une reprise des
quatre thèmes même si le saxophoniste attribue à ses quatre
compositions les mêmes titres que celles de Coltrane. Ce que l’on
retrouve, c’est la manière d’envisager le jazz, l’esprit,
l’élan vital tout en notant que Catalano laisse percer sa propre
personnalité, chacun des thèmes exprimant un sentiment différent.
« Acknowlegment of the Truth » reste dans le même mode
que celui de Coltrane. On retrouve la puissance de Coltrane, sa
rapidité, mais avec un son qui frappe de plein fouet. Il ne faut pas
aller chercher davantage de rapports avec le disque de Trane. Frank
réalise bien un travail personnel exprimant sa propre intériorité
du moment et c’est ce qui en fait son intérêt. Les choix sont
d’ailleurs différents pour les trois autres compositions et
l’écriture musicale est réalisée en fonction de ces sentiments.
Dans « Resolution of Purpose », assez court, avec un son
du ténor plus rond, moins agressif que pour le premier thème
l’ambiance générale est plus nostalgique. « Pursuance and
Persistence » comme chez Coltrane débute par la batterie mais
ici le saxo entre de manière très précoce et reprend la violence
et l’agressivité du premier thème. Là encore Frank Catalano
impose une rapidité extrême. Il ouvre la porte au free jazz. Très
vite le saxophoniste entraîne ses partenaires et les pousse à une
grande vélocité. Chamberlin se déchaîne pour se mettre dans le
tempo. Il démontre ses aptitudes au jazz, lui qui promène
l’étiquette Smashing Pumkins. Le « Psalm » de John
devient chez Catalano « Psalm for John ». Les effets
offerts par Chris Poland et sa guitare donnent parfaitement le ton
psalmique du morceau. Cette fois Frank joue plus cool, laisse trainer
les notes. Ce qu’il a pu percevoir dans la musique religieuse lors
de sa toute première jeunesse remonte en surface dans ce thème
d’une grande beauté pour lequel le batteur se coule dans un moule
différent. Co-leader de l’enregistrement Jimmy Chamberlin a un
rôle fondamental à chaque fois. Il apporte une sonorité
personnelle sur laquelle s’appuie parfaitement Percy Jones. Ils
offrent à eux deux une base ferme pour le saxophone de Frank
Catalano. Le travail de Chamberlin, bien que Catalano valorise sa
proximité avec Jones, nous semble toutefois s’en éloigner malgré
une énergie assez proche dans le premier thème. Jones est plus
souple, moins brutal que Chamberlin dont la tonalité est sèche et
le jeu explosif. Un choix de matériel sans doute aussi. Notons aussi
que Chamberlin, jazzman au départ puis rocker et de nouveau jazzman,
parvient dans ce périple musical à garder son identité. God’s
Gonna Cut You Down
rompt radicalement avec le Love
Supreme Collective.
L’objectif pour Catalano et Chamberlin étant de déposer sur
disque la musique qu’ils jouent de manière plus régulière en
clubs et en concerts. Catalano choisit le vieux thème de blues
« God’s Gonna Cut You Down »que la version de
Johnny Cash a toujours captivé. Frank et Jimmy s’accordent pour
doubler le tempo original. Ce dernier apporte un groove funky et le
Hammond B3 et la guitare maintiennent le fond blues du thème. C’est
une des rares (peut-être la seule) reprise du thème par un jazzman.
Tous les autres thèmes sont des compositions de Frank Catalano.
« Big Al’s Theme and Soul », « Shakin » sont
en 4/4 et appartiennent à un répertoire antérieur à la venue de
Chamberlin. « Shakin » est marqué par la vélocité du
saxophone. La batterie y apporte son groove particulier et s’illustre
abondamment dans les soli.
Le son de Petropoulos face au Hammond B3 souligne parfaitement le
travail du batteur. « Karma » possède des
caractéristiques proches. Sur « Tuna Town » Jimmy et
Frank mettent aussi en valeur Petropoulos. Dans « Expressions »,
dédié à Coltrane, Catalano retrouve un peu le jeu déployé dans
le premier disque avec la même vélocité, à peine moins
d’agressivité. Chamberlin soutient le solo du Hammond. Ça groove
encore comme dans « Tuna Town » ! Le solo de
batterie permet de bien percevoir la sonorité spéciale, très sèche
que montre Chamberlin dans le premier disque. « Big Al’s
Theme and soul » intègre à peu près tout ce qu’offrent les
autres compositions, un gros son du ténor, de la puissance, de la
rapidité, du groove, un feeling un peu rock. Ce thème conclue le
disque d’un musicien à découvrir car jusqu’ici sa présence en
France a été trop rare.
Tribalurban
1, Doctor solo, Trois total, Balallade 2, La Megaruse, Tribalurban 2,
Die coda Andy
Emler (p), Philippe Sellam (as), Guilaume Orti (as), Laurent Dehors
(ts), François Thuillier (tba), Laurent Blondiau (tp), Claude
Tchamitchian (b),Eric Echampard (dm), François Verly (perc, marimba) Enregistré
les 16 et 17 décembre 2014, Pernes-les-Fontaines (84) Durée :
55' 30'' Label
La Buissonne RJAL397024 (Harmonia Mundi)
Ce
qui prime chez Andy Emler c’est l’écriture, donc l’expression
du groupe comme un instrument global. Et dans cet Obsession
3, les morceaux semblent
écrits en forme de concertos avec des cadences improvisées par les
solistes, mais dont les solos s’insèrent parfaitement dans
l’arrangement. Je veux dire que ce n’est pas un solo pour
lui-même, ce qui est souvent le cas, et est tout aussi jubilatoire
quand le soliste est bon. Par exemple « Doctor solo » est
un concerto pour tuba et MegaOctet, qui me fait assez penser, dans sa
conception, au « Concerto for Cootie » de Duke Ellington.
Et les interventions du tuba sont de toute beauté. On a parfois des
ensembles riches d’unissons très travaillés d’où éclatent les
solos, « Trois total » avec les sopranos et la trompette,
ou encore « Balallade 2 » avec des unissons allant
crescendo comme lorsqu’on s’approche d’une cascade, avec un
long et riche solo de trompette, et un solo de basse très tendre. Il
y a des ruptures de tempos, de rythmes et d’atmosphères qui
titillent l’écoute. « La Megaruse » s’ouvre sur une
petite merveille de duo contrebasse-batterie sur lequel se greffe le
piano, puis le ténor rageur sur tempo rapide, puis tout finit dans
le calme et les aigus doux du ténor (un exploit) avec piano et
orchestre. « Tribalurban 2» démarre par une intro du
batteur pour s’ouvrir sur un long délire saxophone calmé par le
piano et les tenues de l’orchestre. Le disque se termine par « Die
coda », un dialogue entre l’orchestre et le piano. Attention
après un long silence le piano plaque un dernier accord bref. Le
MegaOctet poursuit son chemin sur les hauteurs du jazz, un jazz
certes savant, mais tout aussi roboratif.
D’Août, La Tête dans les étoiles,
Sur le sentier de la guerre, Le Lac Majeur, Septième vague, French
Riviera, J’sais pas quoi faire, Faux bond, Tex-Mix, Les Pieds sur
terre Christian Brazier (b), Perrine Mansuy
(p), Christophe Leloil (tp), Dylan Kent (dm) Enregistré les 27 et 28 février 2014,
Pernes les Fontaines (84) Durée : 50' 15'' ACM Jazz Label 63 (Socadisc)
Le contrebassiste compositeur et chef
d’orchestre Christian Brazier nous revient en disque après cinq
ans d’absence. En effet son dernier disque, Circumnavigation,
date de 2010, disque au sommet. On reste sur la mer avec cette
Septième vague ; rappelons que Brazier fut marin.
Septième vague c’est aussi un festival à Brétignolles, qui n’a
rien à voir avec le jazz et un roman de Daniel Glattauer qui la
définit comme suit : « Les six premières sont
prévisibles. Elles se suivent, se forment l’une sur l’autre,
n’amènent aucune surprise. La septième vague est longtemps
discrète. Elle s’adapte à celles qui l’ont précédée, mais
parfois elle s’échappe. La septième vague remet tout à neuf.
Pour elle, il n’y a pas d’avant, mais un maintenant. Et après,
tout a changé ! » Serait-ce aussi une définition de ce
qui fait l’évolution du jazz ? Est-ce cette idée qui a
inspiré Christian Brazier dans le choix du titre et l’écriture de
sa musique ? En tout cas il retrouve ici deux de ses compagnons
depuis 2007, Perrine Mansuy et Christophe Leloil, auquel est venu
s’ajouter un nouveau batteur, l’Australien Dylan Kent, qui sait
tricoter des baguettes sur la caisse claire et la charleston ;
bon soutien et bien intégré. Dès le premier morceau, après une
intro du piano lumineux de Perrine, on retrouve le phrasé dansant
des mélodies et des ensembles de Brazier. Et la trompette de Leloil
éclate. Il se taille d’ailleurs la part du Lion dans ce disque. Il
a ainsi loisir de développer toute l’étendue de son jeu,
essentiellement mélodique, comme d’ailleurs tous les membres du
quartette. Il y a parfois un aspect assez funky, surtout de la part
du batteur. A noter que les solos de contrebasse sont tous empreints
d’une douceur nouvelle chez Brazier, avec une certaine mélancolie,
la basse chante comme un souffle d’amour. Une rupture très agréable dans le
disque avec « Tex-Mix » sur un rythme façon salsa, dans
lequel Leloil fait merveille à la trompette bouchée, où la
pianiste se montre très à l’aise et inspirée sur ce genre de
rythme, le tout avec une excellente cohésion du quartette. Dans ce disque-ci Brazier (auteur de
tous les thèmes) laisse essentiellement le champ libre aux solistes.
Pas d’esbroufe, pas d’exploits virtuoses, de la musique, et de la
mélodie avant toute chose. Une parenthèse enchantée.
Promise of the Sun, Sicilienne,
Indifférence, Beautiful Love, For Heaven’s Sake, La Mer, Chant des
marais, Without a Song, Pull marine Pierre de Bethmann (p), Sylvain Romano
(b), Tony Rabeson (dm) Enregistré les 30 et 31 mars 2015,
Pompignan (30) Durée : 52' 23'' Aléa 007 (socadisc)
Pierre de Bethmann, après Virginie
Teychené, s’attaque à la chanson. A chaque fois le dilemme est
là : comment s’y prendre ? Faut-il ré-harmoniser, ou
s’en tenir à la mélodie ? Les deux bien-sûr. Ce qu’ont
magnifiquement réussi Virginie et Gérard Marin récemment avec
Encore, et évidemment De Bethmann dans ce disque. Ce trio s’est donc formé après un
gig de dernière minute au Duc des Lombards. Rencontre parfaite de
trois générations de musiciens, qui n’en font plus qu’une dans
la musique, et qui manie l’art du trio en toute liberté. Déjà le
jeu du pianiste, avec la main droite qui s’envole sur des traits
rapides, un peu à la façon d’Art Tatum, une main gauche parfois
en contrepoint harmonique, un beau sens de la mélodie, avec le
plaisir de la goûter qui se ressent tout de suite. Une pompe véloce,
chantante et joyeuse du bassiste, et le délicat tricotage des
baguettes du batteur, pour le déroulement d’un tapis très riche :
tous deux heureux de propulser le pianiste, tout en tenant leur
partie avec une inspiration en verve. La « Sicilienne » de Fauré
après un bel exposé au piano nous vaut un trio de grande soirée,
avec des roulements du batteur qui conviennent incroyablement au
thème. Fauré leur donne des ailes. Un autre beau moment c’est
cette somptueuse valse, « Indifférence », de
l’accordéoniste des années quarante Tony Murena. Thème souvent
joué par Galliano et magnifiquement chanter par Minvielle chez
Lubat. La version du trio est à la hauteur, avec des impros
sidérantes. « La Mer » offre un splendide échange
piano/basse ; la contrebasse se taille la part du lion. « Chant
des marais » ou « Chant des déportés » écrit en
1933 par des prisonniers politiques au camp de concentration de
Bôrgermoor en Basse Saxe, avec Rudi Goguel pour la musique. Le trio
le prend sur un mode lent et dramatique très émouvant, avec pour
l’exposition une harmonie légèrement dissonante. Les notes tenues
de la basse sonnent comme un glas. Magnifique interprétation,
tragique sans pathos. « For Heaven’s Sake » en piano
solo me semble vraiment dans la lignée Art Tatum, dans le
développement et le jeu des deux mains. Idem dans le solo sur
« Without a Song ». Dans « Pull marine » de
Gainsbourg qui clôt le disque, entendre comment la mélodie naît
des accords graves du piano, puis après une paraphrase de toute
beauté, et le retour au thème on voit subrepticement le portrait
d’Isabelle Adjani apparaître, et on entend sa voix tant le
pianiste chante la chanson. La preuve qu’on peut jouer un jazz
savoureux de grande lignée avec de simples chansons. Mais au fond
c’est comme cela depuis plus d’un siècle.
Arc noir, Trivium,
Heyokas, Cromlech, Zéphyr, Orages, Points hauts, A la moelle Sylvain Kassap (cl),
Julien Touéry (p), Fabien Duscombs (dm) Enregistré le 17 octobre
2014, Tours Durée : 41' Mr. Morezon 011 (Orkhêstra
International)
Voici trois gaillards qui
s’engagent en free sans complexes ; un free musical, lyrique,
non politique, juste pour le plaisir de jouer librement, en toute
confraternité ; loin du free de complaisance, de mode, qui vire
au n'importe quoi. Dès « Arc noir » on entre dans du
lyrique pur avec la clarinette basse ; Kassap est un sacré
joueur de cet instrument magnifique et tellement expressif. Il en
tire les plus beaux chants. S’ensuit « Trivium » sur un
tapis diluvien du batteur, le martèlement du piano, et un Kassap qui
monte jusqu’à l’exaspération. Un très prenant « Cromlech »,
sur tempo lent, des grappes de batterie et de piano et la clarinette
basse chante sa chanson tout en faisant monter la tension : très
beau ! « Orages » au souffle continu sur la
clarinette alto, de longues phrases ultra-rapides sur des ostinatos
batterie-piano ; à couper le souffle. Et les disque se termine
sur « A la moelle », une grande envolée du trio sur un
tempo dément. Ce trio fonctionne à
merveille dans un chant à trois voix qui s’entremêlent. Pas de
solo, du collectif, et du beau, du grand, du supérieur.
Réconciliation garantie avec l’impro collective libre.
Simmer, Whispered
Confessions, Labyrinth, When I Fall in Love, Bach/Basie/Bird Boogie
Blues Bop, Kaleidoscope, Midnight Mania, Blue Horizon, Stepping Into
Paradise, One and Only, Sunny Side Up. Lisa Hilton (p), J.D.
Allen (ts), Larry Grenadier (b), Marcus Gilmore (dm) Durée : 49' 33'' Enregistré les 3 et 4
décembre 2013, New York Ruby Slippers Productions
1017 (www.lisahiltonmusic.com)
La présence aux côtés
de cette pianiste californienne (qui signe neuf des onze titres du
disque, les deux autres étant des standards) de « pointures »
reconnues de la contrebasse, de la batterie et du saxophone aiguise
l'appétit. Elle s'est dit-on, déjà produite avec Christian
McBride, Larry Grenadier et Lewis Nash (excusez du peu...). Pourtant,
sa prestation laisse un peu sur sa faim, car ce sont surtout ses
comparses qui captent l'attention... Technique presque hésitante,
abondance de clichés, phrasé manquant de souplesse, et, sens du
swing et de la mise en place très approximatifs... (même sur le
blues, un comble pour quelqu’un qui se réclame de l'héritage de
Sonny Terry et Brownie Mc Ghee...). En grands professionnels,
Grenadier, Gilmore et Allen se tirent de cette situation difficile
avec les honneurs.
The Atoll, Trip Through
Turbulence, A Brief Note, The Wisdom of Rocks, Faint Scattered
Lights, The Get-Go, Heat in May, Tale by Two, Radial symmetry, The
Semblance of Stealth, Of Fives and Sixes, Conversation in Blue Rich Halley (ts), Michael
Vlatkovich (tb), Clyde Reed (b), Carson Halley (dm) Durée : 53' 02'' Enregistré les 26 et 27
mai 2013, Corvallis (Oregon) Pine Eagle 006
(www.richhalley.com)
Le répertoire ne compte
que des compositions personnelles de l'un ou l'autre des membres du
quartet (voire co-signées par plusieurs) dans une belle unité
stylistique. Les thèmes, aux structures minimalistes et prétextes à
des improvisations débridées, sont le plus souvent exposés par les
deux soufflants en un joyeux et savant décalage harmonique flirtant
avec les dissonances. Cela fait immédiatement penser aux audaces
très « libérées » de l'AACM de Chicago (Association
for the Advancement of Creative Musicians), creuset de musiciens
« d'avant garde » depuis le milieu des années soixante.
Imperturbables, la basse et la batterie (tenue par le fils du
leader), mènent le tempo avec rigueur et balisent clairement les
changements d'harmonies. Le tout est joué avec un drive et un swing
à l'enthousiasme communicatif. Voici un disque tonique, original,
sans concession, pas franchement « commercial », mais,
splendide !
Magic Flea, All of Me, Broadway, Mean
What You Say, Teach Me Tonight, Nice Work If You Can Get It,
Basically Yours, Little Pixie, Ya Gotta Try, Air comme René, Just
Friends, Que reste t'il de nos amours, Our Love Is Here to Stay, Step
to the Bop Jean-Loup Longnon (tp) et le Paris-Calvi Big Band (personnel détaillé sur le livret) Enregistré le 18 juin 2014, Calvi (20) Durée : 1h 15' 06'' Autoproduit JLLBB00020152
(www.longnon.com)
Ce disque enregistré en public à
Calvi est un hommage chaleureux à René Caumer qui dès la fin des
années soixante-dix invitait des musiciens de jazz chez lui, ce qui
fit germer l'idée d’un festival de jazz à Calvi. Cet homme
généreux ayant horreur de l’argent s’arrangea pour faire
héberger et nourrir les musiciens dans la région, à charge pour
eux de faire de la musique. Une foule de musiciens, et d’amateurs,
s’y précipita tous les ans, faisant de Calvi la capitale du jazz
pendant une semaine. Comme beaucoup de grands festivals, celui-là
était né de la passion, du dévouement, de la générosité, voire
de l’abnégation d’un homme et d’une équipe. Y en aura-t-il
encore de ces individus nécessaires à la vie de cette musique, à
l’heure où tant de grands, beaux et purs festivals ont disparu et
que d’autres vont encore disparaître ? René Caumer décéda
le 16 août 2013. Les amis de René eurent l’idée de créer une
grande formation composée de fidèles sous la direction de Jean-Loup
Longnon pour porter témoignage de leur reconnaissance. Il y eut un
premier concert au café des « petits joueurs » à Paris,
puis le grand concert de Calvi. Ce sont en tout trente musiciens qui
furent de la fête de l’amitié Chaque morceau est dédié à des
solistes différents (détails sur le livret), et les arrangements,
tous magnifiques, sont de divers musiciens. L’orchestre est une
merveilleuse machine à swing, de tendance bebop. On pourrait évoquer
le big band de Dizzy Gillespie, pour la répartition des masses,
l’impétuosité, l’intégration des solistes. On joue collectif,
même en solo, pas de tirage à soi de couverture, ou d’exploits
m’as-tu vu. On sent la ferveur, la réunion pour une cause
partagée. L’équilibre des masses orchestrales est remarquable,
masses qui s’envolent en phrases mélodiques, les cuivres sont des
blocs de granit sur lesquels les anches viennent se couler. La
rythmique est au-dessus de tout soupçon : elle carbure dans la
joie. On a des arrangements de Sammy Nestico, Thad Jones, Stan
Lafferière, Dave Wolpe, Zool Fleischer, Rob Mc Connell, Peter
Herbolzeimer et Jean-Loup Longnon. Du solide comme on le voit.
Admirables solos de trompette : Longnon sur « Magic
Flea », Alour sur « Mean What You Say », Folmer sur
« Little Pixie », Guichard sur « Just Friends » ;
de saxophone : Temime, Avakian, Scali au baryton; des
pianistes fabuleux, Pierre de Bethman et Antonio Faraò, tous deux
avec une sonorité limpide et tout de délicatesse ; des
trombonistes : Ballaz, Fossati ; des chanteuses :
Antoinette d’Angeli qui chante trop en force sur « Teach me
Tonight », comme si elle voulait dominer l’orchestre, mieux,
avec naturel sur « Nice Work if you can get it », Chloe
Cailleton qui a pris quelques tics d’aujourd’hui ; des
chanteurs , l’excellent baryton Marc Thomas, et puis dans un
bouquet final délirant, Jean-Loup Longon lui-même, redoutable
scatteur devant l’éternel, qui débute « Step to the Bebop »
dans un a cappella à renverser la citadelle de Calvi ; dur de
poursuivre après lui, le regretté Marc Thomas et Chloé Cailleton
s’y risquent avec tout le big band, qui termine ce concert à la
façon de Count Basie. Michel Houellebecq affichait La
Possibilité d’une île. On a avec ce disque la possibilité
d’un big band fastueux, digne de la Swing Era.
Trips
and Quads, The Camel Step, You're Not on the Map, The Little Tower on
a Hill, Ydal Drib, Lament, Yellow Dog, Adam 1890 Blues, Line on
Rhythm Fabien
Mary (tp), Steve Davis (tb), Frank Basile (bs), Chris Byars (ts, fl),
David Wong (b), Pete Van Nostrand (dm) Enregistré
le 12 octobre 2014, New York Durée :
53' 17'' Elabeth
621064 (Socadisc)
Outre
les nombreux CDs enregistrés au sein d’autres formations de styles
très divers, Fabien Mary nous a déjà donné, en tant que leader,
cinq beaux albums. Ce Three
Horns Two Rhythm,
toujours chez Elabeth, est le second opus de facture totalement
américaine après Conception
(2011), à avoir été enregistré par lui à New York avec
musiciens locaux. S’il est rentré en France, après un long séjour
new-yorkais de 2008 à 2011, le trompettiste a conservé de
nombreuses attaches à Big
Apple,
où il retourne régulièrement. Ce dernier volume atteste de cet
ancrage. Mis
à part le sixième titre, « Lament » (composée
en 1954 par Jay Jay Johnson)
au demeurant arrangée par lui, toutes les pièces ont été
composées et orchestrées par Fabien Mary, à New York, dans la
période 2013-2014 ; d’où la couleur générale de ces
enregistrements tout à fait big
apple clubs.
Autre particularité de cet ouvrage, Fabien Mary choisit une formule
orchestrale très tendance US, plutôt austère, ne comportant ni
guitare ni piano, réduisant la section rythmique à sa plus simple
expression, basse et batterie. Les
pièces sont très largement nourries d’influences bebop, années
1950-1960 ; on y entend des références à Tadd Dameron, Benny
Golson, Thelonious Monk (« Adam 1890 Blues ») et J. J.
Johnson, « le plus trompettiste des trombonistes », dont
la composition constitue l’articulation logique de l’opus. Les
expositions des thèmes à l’unisson, dont « Line on Rhythm »
est une parfaite illustration, replacent l’auditeur dans une
période musicale peu souvent fréquentée sur la scène parisienne
et française actuelle. Les structures de ses pièces sont cependant
au goût du jour ; certes traitées selon une esthétique
référencées, elles n’en sont pas moins construites selon des
canons structurels de notre temps. Et c’est l’arrangement qui
confère au travail de Fabien Mary sa grande originalité ; il
évoque immanquablement ses illustres prédécesseurs dans le ton et
dans le souci d’organisation de sa musique, comme le permettait
l’existence de formations permanentes jusqu’au milieu des années
1960. Mais ses orchestrations présentent également des novations
tant au plan harmonique que rythmique et surtout compositionnel. En
effet, l’apparente simplicité des arrangements relève de
l’intelligence et de la pertinence de leur construction rigoureuse,
dont Benny Golson et Gigi Gryce étaient des exemples rares en leur
temps. Bien
que ne revenant qu’occasionnellement cette tradition musicale, les
musiciens newyorkais possèdent encore la culture du bop. Et ce n’est
pas pour rien que Fabien Mary a sollicité ces musiciens, qu’il
fréquente depuis plusieurs années, pour participer à son ouvrage ;
il est, en retour, fort bien servi dans leur interprétation. Au plan
collectif, les voicing
sont remarquables : équilibre et rapports sonores parfaits
entre instrumentistes ; de ce point de vue, le travail du
contrebassiste et surtout du batteur est exceptionnel ; c’était
l’écueil à éviter en l’absence du liant harmonique d’un
piano ou d’une guitare éventuellement. Au plan individuel, la
réalisation n’est pas moins brillante. Fabien
Mary a choisi chacun de ses collègues en considération de leurs
qualités musicales après une fréquentation réelle, parfois longue
et complice. C’est le cas de Frank Basile avec lequel il a déjà
gravé trois albums. Par son aisance technique et son attaque, ce
baryton évoque parfois Pepper Adams (« Line on Rhythm »)
et par sa musicalité il est l’héritier de Gerry Mulligan
(« You're Not on the Map », « Yellow Dog ») ;
c’est un musicien complet, capable d’adapter sa manière au
contexte avec beaucoup de finesse. A presque 50 ans, Steve Davis est
un tromboniste rompu à toutes les formes jazziques ; d’une
grande subtilité dans les ensembles (« The Camel Step »),
c’est un soliste élégant qui a un sens aigu de la mélodie et en
joue avec charme façon Kai Winding dans cette version de « Lament »
alors qu’on l’entend plus « j.j.
johnsonien »
habituellement (« Ydal Drib »). Le ténor Chris
Byars est un nouveau venu dans la galaxie Fabien Mary. Il y apporte
une part de bebop plus ancienne, façon Lucky Thompson encore
enraciné dans le jazz classique. C’est un flutiste de « charme »
(« The
Camel Step ») rompu aux accents particuliers des univers
orientalistes même sur le blues (« Adam 1890 Blues »).
Mais le ténor a une attaque affirmée puisée chez les premiers
boppers (« Line on Rhythm », « You're Not on the
Map »). Le bassiste David Wong est un vieux compagnon de Fabien
Mary. Il en connaît les attentes et remplit sa mission
remarquablement en fournissant un soutien impeccable à la section
mélodique : « Trips and Quads » est un modèle du
genre. Ses interventions en solo sont solides ; il est peut-être
plus intéressant à l’archet (« Adam 1890 Blues »). Le
batteur Pete Van Nostrand est également une vieille connaissance du
trompettiste. Et sa complicité est importante dans la réalisation
de cet album. Il est toujours là sans jamais étouffer la musique ;
c’est un percussionniste qui a l’art de nuance (« Carmel
Step ») comme celui du drive. Sa mise en place dans les 4/4
(« You're Not on the Map », « Ydal Drib »,
« Line on Rhythm ») est parfaite. Quant
à Fabien Mary, lui-même, il nous fait ici découvrir une face de sa
personnalité de musicien (compositeur et orchestrateur) qui dépasse
largement le formidable instrumentiste qu’il était déjà ;
dans ce volume, il acquiert une maturité dans son discours qui gagne
en densité. Si Kenny Dorham est, de manière évidente, sa
référence, son phrasé en est plus « aisé » que celui
de son maître ; il a souvent la fluidité de Dizzy (dans le 4/4
de « You're Not on the Map »). Et le réduire à n’être
que l’épigone du compositeur de « Blue Bossa » serait
faire fi de sa créativité propre, tant en tant que musicien
qu’instrumentiste. Cet album révèle un Fabien Mary d’une
nouvelle dimension.
La Hora, Swingin' Enesco, Dancing on
the Ceiling, Danse Roumaine, The Game With the Ball, Jancy's Tune,
Too Close for Comfort, Delectare, XS Bird, All Too Soon Ramona Horvath (p), Nicolas Rageau (b),
Frédéric Sicart (dm) Enregistré les 23 et 24 février 2015,
Paris Durée : 44' 33'' Black & Blue 806.2 (Socadisc)
Voici le premier opus enregistré en
France par une pianiste encore inconnue de la scène jazzique
hexagonale. Comme beaucoup de premiers albums, celui-ci n’a pas
échappé au risque du « vouloir être original ». En
sorte que cette musicienne accomplie, très mature, présente un
répertoire, qui sans être mauvais ni même médiocre, n’est pas à
son niveau de compétence ; elle n’entre ainsi pas de plein
pied dans le monde très fermé des pianistes rares auquel sa
technique superbe – qualité du toucher et clarté du détaché
vraiment « très haut de gamme » ! – doit
l’autoriser à prétendre. Dommage. Elle n’a rien à voir avec
certains pianistes venus de l’Est, modèle Tigran édenté. C’est
une vraie pianiste qui maîtrise tous les ressorts de l’instrument
et le fait sonner en exploitant toutes les ressources de sa
tessiture. Une très belle musicalité et une mise en place parfaite.
Ajouter à cela qu’elle possède une superbe impulsion dans
l’attaque (talent rare que possédait le regretté Oscar Peterson)
et une très belle articulation sur les basses à la main gauche
qu’on n’entend plus guère chez les pianistes. Ne soyez pas surpris par ce magnifique
bagage pianistique. Madame Horvath, qui est née en 1975, est
diplômée du département de musique le l’Université de Bucarest
associé au conservatoire national où l’on ne plaisante pas avec
le niveau technique des candidats. Ajouter à cela que son mentor,
Jancy Korossy, avec lequel elle travailla plusieurs années, était
un élève de Teodor Cosma (le père de Vladimir), auquel il
déclarait tout devoir ! Et il n’a pas manqué de lui donner
quelques règles à suivre pour entrer dans la logique d’une
musique ; or elle possède déjà, et plus que bien, le
caractère essentiel de l’idiome du jazz, le swing, une denrée en
voie de disparition. Pour vous convaincre de sa maîtrise
instrumental, il faut que vous sachiez que cette dame fut invitée à
donner un concert à deux pianos avec son professeur a l’Auditorium
Bösendorfer en octobre 2007 ; elle joua sur un Model Imperial,
qu’Oscar Peterson était l’un des rares à maîtriser. Ramona Horvath est ainsi une
authentique concertiste. Alors nous attendons un album enregistré
sur un Bösendorfer Imperial dans un répertoire digne de ses
capacités instrumentales et musicales. Mais à découvrir dans
l'immédiat.
Take Five, Fa dièse, Le
Sourire de Babik, Bluehawk, Light'n up, Something on My Mind, Seul
sans toi, Mr Sanders Emmanuel Bex (org), Glenn
Ferris (tb), Simon Goubert (dm) Durée : 1h 02' 45'' Enregistré les 28 et 29
juin 2013, Paris Naïve
623771 (Naïve)
Enregistré en public, au Sunset, ce
disque présente une formule assez inusitée, trio : orgue
Hammond, batterie et trombone (le saxophone étant bien plus
courant). Pour composer l'album : deux standards (« Take
Five » de Paul Desmond, « Bluehawk » de Thelonious
Monk), et deux thèmes de chacun des membres du trio, choisis parmi
les morceaux joués lors de deux concerts à Paris. Arrangements
réduits (c'est un trio, même si les lignes de basse de l'organiste
donnent l'impression d'écouter un quartet) et comme dictés par
l'instant, pendant que la musique est en train de se créer.
Magnifique cohésion de groupe, et immédiate réactivité de chacun
à ce que jouent les deux autres. Musique pleine de surprises, mais
néanmoins limpide, et swinguante à souhait. Un vrai bonheur.
Dawn on the Gladys Marrie,
West Virginian Blues, Together, Last Dance, The Code, Ballad du jour
/ Zen lieb, Out of the Bowels, Workin'it, Blues for Israel,
Incantation, Chant, Encore du jour Phil Haynes (dm), Dave
Liebman (as), Drew Gress (b) Enregistré le 6 septembre
2012, Rochester (New York) et le 8 septembre 2012, Milheim
(Pennsylvanie) Durée 48' 15'' et 51'
03'' Autoproduit
(www.philhaynes.com)
Un vrai scandale !
Comment se fait-il qu'un tel CD , « double », de
surcroit, dont une partie enregistrée en public, puisse être
« autoproduit » ? Les responsables des grandes
maisons de disques auraient-ils mis leurs oreilles en « mode
veille » en attendant la fin de la crise ? Toute la saveur et
la véhémence du free jazz y est contenue, vivante, jaillissante,
joyeuse, et débordant de mélodies claires et d'harmonies d'une
furieuse modernité. C'est bien connu, le trio
« sax-contrebasse-batterie » est l'un des plus
difficiles, exigeant des qualités hors du commun, et celui-ci les a
toutes. Dave Liebman, Drew Gress et Phil Haynes, nous présentent là
une musique surprenante, intense, authentique, absolument
jubilatoire : une oeuvre spontanée et accomplie, à écouter de toute
urgence.
Wings of Waves, Star
Watcher, Silence dans le Ciel, Couleur de temps (part 1), Morning Sun,
Lost Life, Nagual Force, Couleur de temps (part 2), Icarus Reborn,
Couleur de temps (part 3), Slow Sky Christophe Laborde (ss),
Giovanni Mirabassi (p), Mauro Gargano (b), Louis Moutin (dm) Durée 1h 13' 45'' Enregistré les 18 et 19
octobre 2011, Meudon (92) Cristal Records (L'Autre
Distribution)
Si le disque débute comme
une tempête par une composition bourrée d'énergie (les ailes des
vagues), il n'en compte pas moins quelques morceaux en tempo medium
et quelques ballades apaisées. Christophe Laborde possède un très
beau son de soprano, un phrasé dynamique et un certain talent pour
écrire des thèmes aux mélodies limpides mais aux développements
harmoniques et rythmiques nimbés de surprises et de mystère,
exerçant, à l'écoute, un effet assez fascinant. De plus, il
bénéficie d'un merveilleux accompagnement : Giovanni Mirabassi
au toucher de piano et à l'inspiration d'une extrême élégance,
Mauro Gargano aux habiles lignes de basse, et Louis Moutin au jeu de
batterie d'une grande finesse. Novatrice, mais inscrite dans la
tradition du jazz le plus moderne, et débordante de swing, voici une
très belle musique qui donne l'envie de l'écouter encore et encore.
Weird Blues, Mila, November Dusk,
Opposite Poles, Blues pour Valentin, Snow Peaks, Rungs, Pluton, Fall
Line Flow, May Breeze, Mr. Sleepy Philippe Crettien (ts), Patrick Mottaz
(g), Seab Farias (b), Mike Connors (dm) Enregistré les 16 et 17 avril 2015,
Springfields (Massachusetts) Durée : 1h 02' 55'' Autorpduit
(www.philippecrettienmusic.com)
Le Philippe Crettien nouveau est
arrivé. J’ai connu le saxophoniste à ses débuts, notamment à
Jazz à Toulon dont il fut l’un des premiers invités et
protagonistes. A l’époque, il jouait du ténor avec un gros son et
un engagement rentre-dedans, influencé par Coleman Hawkins, entre
autres. Depuis, il n’a cessé d’évoluer pour arriver à cette
maturité qui l’a vu s’engager sur les pas de Wayne Shorter et
surtout de Warne Marsh, en gardant une sonorité ronde, puissante
mais avec quelque chose de fragile, et parfois un son plus râpeux,
plus angulaire. Il est comme un poisson dans l’eau avec ce quartet
qui lui sied à merveille. Une belle évolution dans l’écriture
aussi, avec des arrangements soignés et personnels, tel ce bel
unisson entre ténor et contrebasse sur « November Dusk »
avec des solos qui découlent les uns des autres, sur des
contrechants de la contrebasse. Le guitariste est de la grande école
de la guitare jazz, excellent aussi bien en solo qu’en
accompagnement : un garçon à surveiller ! Le batteur joue
en finesse, qu’on en juge par son solo sur un thème quelque
peu calypso « Blues pour Valentin » ; le ténor ici
sonne légèrement Sonny Rollins ; hommage peut-être ? On
retrouve les mêmes impressions sur un autre calypso « « Fall
Line Flow », une très belle mélodie distillée par un ténor
inspiré suivi par le guitariste du même tonneau, tous portés par
de belles lignes de basse. D’ailleurs le groupe revisite certains
rythmes, comme le reggae sur « Opposite Poles » où le
guitariste fait merveille. Citons encore une autre belle mélodie
« Pluton » sur laquelle se développe la grande
sensibilité du saxophoniste. Seul reproche : pourquoi faire du
pseudo free sur « Rungs » qui s’annonçait bien :
ce genre de truc est dépassé... Mais ne boudons pas notre plaisir,
c’est un beau disque de jazz, joué par de jeunes et moins jeunes
musiciens, totalement maîtres de leurs moyens. Les compositions sont
de Crettien et Mottaz, qui se révèlent tous deux d’excellents
mélodistes. Savourons le dernier titre « Mr Sleepy » qui
démarre par une intro de contrebasse suivi de la guitare façon
orgue, et qui va développer un solo mélodique de toute beauté.
46 morceaux sans titres Nicola Fazzini (as) Enregistré le 15 décembre 2014,
Trévise (Italie) Durée : 31’ 36’’ Nusica.org 08 (www.nusica.org)
Le saxophoniste italien s’est fait
connaître avec son excellent et original XY Quartet (voir nos
chroniques). Le voici qui s’engage en solo avec son alto,
production périlleuse en soi. De grands noms s’y sont risqués :
Steve Lacy au soprano (Fazzini possède quelque chose de Lacy dans le
son et la démarche), Anthony Braxton sur différents saxs, et
surtout Evan Paker. Quand celui-ci remplit l’espace de longues
phrases inextinguibles grâce au souffle continu, Fazzini est
minimaliste et parcimonieux. Quelques notes égrenées, quelques sons
des clés, des sons filés, suffisent chaque fois à créer un
morceau. Pas de phrases développées, mais des motifs répétitifs,
ou des sortes de gammes, des arpèges développés. Tout est joué
rubato, pas de swing, pas de pulse. J’avoue que je comprends mal le
projet de l’artiste. On a un peu l’impression d’assister à une
leçon de saxophone avec ces quarante-six morceaux très courts, des
variations sur dix matrices (poissons, divisions, choses, machines,
etc…) que Fazzini appelle des « objets sonores »
enregistrés au hasard sur chaque disque, ce qui rend chaque copie
unique. La mienne porte le n° 77. Fazzini conseille, après une
première écoute complète, d’écouter ensuite le disque « at
random », ce qui donne une autre perception de la musique.
Pas simple tout ça ! C’est peut-être avant tout un disque
pour musicien, mais non sans charme.
14 titres : voir livret Reggie Washington (b, voc), Marvin
Sewell (g), Patrick Dorcean (dm, perc), DJ Grazzhoppa (turntables,
samples), reste du personnel communiqué sur le livret Enregistrés en 2014, divers lieux Durée : 1h 05’ Jammin'colorS (www.jammincolors.com)
Reggie Washington a été le bassiste
des Five Elements de Steve Coleman pendant quinze ans, groupe dans
lequel il eut une influence et une importance majeures. Le voici qui
mène une carrière solo, avec un brio et un lyrisme incandescent.
Sur sa basse électrique il s’est donné un son d’une pureté
absolue, aucun bruit parasite, des notes de cristal, un phrasé clair
et délié. Pas d’esbroufe ni de performances inutiles. Il joue sa
musique avec quelque chose du Stanley Clarke des débuts.
Certainement le plus beau son de basse électrique aujourd’hui. Il
dit qu’il faut jouer la note juste, au bon moment, au profit de la
musique. Il progresse souvent par petits motifs mélodiques
répétitifs qui aboutissent à de longues phrases très prenantes.
On trouve également une inspiration chez Hendricks, comme dans « As
Free » et « Move/Shannon » en basse saturée, assez
proche de la guitare. Il chante aussi, avec une voix et une technique
entre George Benson et Stevie Wonder. Un régal de l’entendre ainsi
sur « Morning » ou « Living ». Son groupe est solide et s’appuie sur
un batteur donnant simplement le tempo et la pulse, sans fioritures.
Marvin Sewell est un fin guitariste, grand mélodiste lui aussi, dont
le jeu se mêle merveilleusement à la basse. Il y a un DJ aux
platines et samples, mais pas de crainte, il est discret, se
contentant d’enrichir le son du groupe parcimonieusement et à bon
escient, et sans gratouillis ! « Finding » est un
blues de la plus belle eau, avec en invité le pianiste Jonathan
Crayford : retour aux racines. On peut admirer les qualités
d’accompagnateur de Reggie Washington sur « Take the
Coltrane » avec des lignes admirables pour soutenir le
guitariste. Des invités : les trompettistes Alex Tassel sur
« Black Sands », un thème assez rêveur, et Wallace
Rooney sur « Sewell in the Grazz » qui s’amuse au funk.
Jacques Schwarz-Bart, qui pour la circonstance avait sorti son sax de
velours, nous gratifie d’un long solo très inspiré en tempo lent.
Et aussi la chanteuse Lili Anel sur « Living » entourée
d’un beau solo de basse. Le disque se termine par un hommage
très émouvant au guitariste Jef Lee Johnson décédé en 2013 à
l’âge de 54 ans, « For You Jef » dans lequel on entend
Tiboo réciter un poème d’une scansion très musicale. Le disque
est dédié aux parents de Jef Lee Johnson.
Nothing Has Changed, Massena, Mr.
Loops, Kimpa I, Uprooting, Kimpa II, This Word Is Suffocating, Child
Soldiers Rémi Abram (ts, as), Famoudou Don Moye
(dm), Claudio Celada (p), Tibor Elekes (b) Enregistré du 27 au 30 août 2013,
Marseille (13) Durée : 1h 17' 43'' Alambik Musik 8 (www.alambikmusik.fr)
Rémi Abram revient en beauté avec ce
disque, en la compagnie de l’incomparable Famoudou Don Moye,
batteur-percussionniste tous azimuts, remarquable ici aux cymbales.
Rémi retrouve Claudio Celada, son pianiste attitré qui colle à sa
musique, et Tibor Elekes, bassiste suisso-hongrois qui a joué avec
Clark Terry, Woody Shaw, les Belmondo,
Archie Shepp, Michel Portal, entre autres…
Rémi Abaram est un écorché vif, très
vigilant et actif dans la défense des peuples africains. Ici, il se
penche sur l’esclavage après avoir eu connaissance, lors d’un
voyage au Congo, d’un personnage étrange, Kimpa Vita Nsimba, née
en 1684 et baptisée sous le nom de Dona Béatrice. Celle-ci annonce
que la terre du Kongo est la véritable Terre Sainte, affirmant que
saint Antoine de Padoue lui avait confié la mission d’amener le
peuple Congo à retrouver son unité. Le Royaume adhère à cette
prophétie, ce qui ne plaît pas à l’occupant portugais. Elle
finira brûlée vive le 1er juillet 1706, elle avait 22 ans. Et la
traite des esclaves repartit de plus belle. Ce qui nous vaut un
disque inspiré et prenant. Rémi semble s’être assagi en
s’exprimant avec un lyrisme tendre qui le place dans certains
morceaux, dans la lignée des saxophonistes ellingtoniens, bien qu’à
l’ordinaire il soit plutôt dans le lignage Sonny Rollins-David
Murray, mais en fait c’est la même famille. On peut apprécier cet
assagissement sur « Massena » au ténor, ou encore sur
« Kimpa I », qui offre également un très beau solo de
piano : une main droite qui développe la mélodie tandis que la
gauche pose ses accords là où il faut, lesquels s’intriquent dans
les notes rondes de la basse, le bassiste ne jouant que les notes
essentielles. A l’alto, Rémi produit un son pur et prenant sur les
tempos lents, tel ce « Nothing Has Changed » sur tempo
médium-lent, avec juste un léger vibrato sur la fin des notes
tenues, une sorte de froissement émotionnel ; et là on peut
admirer le travail du batteur aux cymbales, et le solo de piano très
inspiré. Le duo soprano/batterie sur « Mr. Loops » est
un vrai diamant : écouter comment le batteur et le saxophoniste
entremêlent leur chant ! Dans « This World is
Suffocating » Rémi au ténor devient plus anguleux, écorché,
il faut que ça sorte. Il revient au calme avec le soprano sur un
titre qui pourtant n’inspire pas la douceur « Enfants
Soldats », mais justement il exprime la douleur,
l’incompréhension, que l’on a devant ce phénomène horrible et
inacceptable. Comme quoi les choses n’ont pas beaucoup avancées
depuis la mort de Kimpa Vita. En dehors de ce contexte inspirant,
c’est avant tout de la musique, du beau et vrai jazz, sur des
compositions superbement mélodiques de Rémi Abram.
Brooklyn Bridge part 1, 2, 3, Carroll
Gardens, Bay Parkway, BAM, Mapletone, Boerum Hill, Neptune Avenue,
7005 Shore Road, Avenue M, Dumbo, Gowanus Claudio Fasoli (ts, ss), Ralph Alessi
(tp), Matt Mitchell (p), Drew Gress (b), Nasheet Waits (dm) Enregistré les 16 et 17 novembre 2014,
Udine (Italie) Durée : 58' 09'' Musica Jazz 1289 (www.musicajazz.it)
Claudio Fasoli continue son exploration
des capitales en musique, aujourd’hui Brooklyn, et pour ce faire il
s’est entouré de trois jazzmen de premier plan. Nasheet Waits a
été le batteur de Fred Hersh, Andrew Hill, Jason Moran. Dew Gress a
joué aussi avec Fred Hersh et Bill Carrothers, il est le
contrebassiste préféré de Uri Caine, capable de jouer ses
partitions les plus complexes. Matt Mitchell tient le piano chez Tim
Berne, Dave Douglas, Lee Konitz. C’est donc une rythmique de rêve.
Quant au trompettiste Ralph Alessi il n’est plus à
présenter en France. Claudio déclare qu’il a suivi dans
Brooklyn un itinéraire assez illogique, et surtout plus émotionnel
que rationnel. Les treize compositions du leader sont de purs joyaux
mélodiques. Pour ce disque Claudio Fasoli utilise systématiquement
les unissons saxophone-trompette, et parfois s’y ajoutent piano et
contrebasse, en variant les intervalles, ce qui donne des couleurs
surprenantes et attrayantes aux ensembles. Ralph Alessi possède un son de
trompette légèrement écrasé qui s’intègre à merveille aux
sons des saxes de Claudio, un son droit, sans effet ni fioritures,
jouant toujours avec une émotion d’autant plus forte qu’elle est
contenue. Le quintet est très soudé, déjouant le piège de jouer
hard-bop. Claudio a su en faire un bijou tout neuf, par la grâce
d’arrangements peaufinés harmoniquement, sans jamais être
chargés. Les solos coulent de source. A titre d’exemple il suffit
d’écouter « Bam » sur un tempo médium-lent dans
lequel brillent la trompette et le soprano lyrique qui n’est pas
sans évoquer Steve Lacy. Ou encore « Carroll Gardens »,
un curieux morceau mené par le ténor qui souffle tout le mystère
du jardin. La rythmique coule de source, avec simplicité et
efficacité, et les solos de contrebasse sont de grand cru. C’est une musique limpide, belle et
forte. Claudio Fasoli poursuit son chemin créateur, tranquillement
et sereinement, hors des modes, pour le bonheur du jazz.
46 titres Henri Renaud (p), André Hodeir (vln),
Jimmy Gourley (g), Kenny Clarke (dm), Sacha Distel (g), Maurice
Vander (p), Jean-Claude Fohrenbach (ts), Martial Solal (p), René
Thomas (g), Joe Zawinul (p), Gianni Basso (ts), Ronnie Scott (ts),
reste des personnels détaillé dans le livret Durée : 1h 15' 55'' et 1h 16' 07'' Enregistré entre 1951 et 1959, Paris
et plusieurs villes d'Europe Frémeaux & Associés 5428
(Socadisc)
A cette époque, « la guerre du
jazz » faisait rage et l'événement était très suivi par
Jazz Hot (Charles Delaunay, fondateur de la revue, étant
d'ailleurs le producteur de nombreuses sessions reprises dans le
premier CD). Il fallait choisir son camp... Ce n'était pas facile
pour les jeunes musiciens disciples de Lester Young plus que de
Charlie Parker ou de Louis Armstrong, d'imposer un style nouveau
qu'on appellerait: « Jazz Cool ». Pas évident non plus
pour de jeunes arrangeurs de faire admettre leurs idées novatrices.
Comme l'indique Alain Tercinet (ancien collaborateur de Jazz Hot
et qui a participé, en avril dernier, à l'une des tables-rondes
organisées à l'occasion des 80 ans de notre revue) dans son
livret très documenté : « Le style Swing avait ses
supporters, d'autres se tournaient vers le New Orleans Revival et,
après une courte période d'adaptation, le jazz nouveau eut ses
adeptes. Peu nombreux dans un premier temps (…). »
Enregistrées à Paris mais aussi à Stockholm, Cologne, Baden Baden,
Vienne, Francfort, Milan, Rome, Hilversum et Londres de 1951 à 1959,
voici 46 petites perles sauvées opportunément de l'oubli au moment
même où se pose de plus en plus la question de la conservation
durable de la « mémoire du Jazz ». Empruntons encore à
Alain Tercinet sa conclusion : « (...) bien
naturellement le jazz passa à autre chose (…) reléguant aux
oubliettes les tentatives conduites durant une courte décennie
(...). Ce qui reste de cette musique, qu'elle soit due à Bobby
Jaspar, Lars Gullin, Jean-Claude Fohrenbach, Henri Renaud, Jimmy
Gourley, Sadi, Hans Koller, Gianni Basso ou bien d'autres, montre
qu'ils eurent raison d'aller voir ailleurs si l'herbe était plus
verte ». Des enregistrements essentiels et précieux.
Pentaprism, Omnitonic, Extremes, In a
Sentimental Mood, RE, Easy Fucksong, Rough Business, Ana Maria, Rough
Stuff Félix Simtaine (dm), Michel Herr (p),
Philippe Aerts (b), Joe Lovano (ts), John Ruocco (ts) Eric Veraeghe,
Serge Plum, Richard Rousselet, Bert Joris (tp, flh), Paul
Bourdiaudhy, Marc Godfroid, Jean-Pol Danhier (tb, tuba), Peter
Vandendriessche (as), Erwin Vanslembrouck (ss, ts), Kurt Van Herck
(ts) Johan Vandendriessche (bs, fl), Jean-Pierre Catoul (vln) Durée : 1h 04' 44'' Enregistré en novembre 1986, Bruxelles Igloo
Records 044 (Socadisc)
Fondé en 1978 (et en sommeil,
semble-t-il, depuis 2011), l'Act Big Band, véritable institution en
Belgique, a connu la consécration officielle en recevant en 1986
l'aide du « Conseil de la Musique de la Communauté Française
de Belgique » lui permettant de commander quatre œuvres à
Francis Boland, Michel Herr, Arnould Massart et Jean Warland et,
aussi, d'inviter Joe Lovano et John Ruocco pour les enregistrer.
Remastérisé il y a peu, ce disque est une superbe réussite. Aux
arrangements tirés au cordeau, les solistes (dont certains sont
hélas aujourd'hui disparus), ajoutent leur grain de folie et de
génie personnels. Le résultat est passionnant, preuve que la
formule magique du big band (doit-on dire « classique »?)
est également maîtrisée de ce côté-ci de l'Atlantique. Dommage
qu'elle ne soit pas plus souvent (et plus durablement) appliquée.
The Pete McGuinness Jazz Orchestra Strength in Numbers
The Send-Off, What Are You Doing the
Rest of Your Life, Trixie's Little Girl, The Swagger, Beautiful
Dreamer, Spellbound, You Don't Know What Love Is, Nasty Blues,
Bittersweet, You Don't Know What Love Is Pete McGuiness (tb, voc), Dave Pietro
(as, ss, fl), Marc Phaneuf (as, fl), Tom Christensen (ts, fl), jason
Rigby (ts, ss, cl), Dave Reickenberg (bs, bcl), Bruce Eidem, Mark
Pattersonet Matt Haviland (tb), Jeff Nelson (btb), Jon Owens, Tony
Kadlek, Bill Mobley, Chris Rogers (tp), Mike Holober (p), Andy Eulau
(b), Scott Neumann (dm) Enregistré le 24 octobre 2013, New
York Durée : 1h 17' 26'' Summit
Records 627 (www.summitrecords.com)
A l'exception de « What Are You
Doing The Rest of Your Life » (de Michel Legrand), et de « You
Don't Know What Love Is », qu'il chante d'ailleurs avec
beaucoup d'émotion et sur lesquels il scatte habilement, toutes les
compositions (et la totalité des arrangements) sont de la plume du
chef d'orchestre et talentueux tromboniste Pete McGuiness. Sur des
mélodies très élégantes, et de très riches harmonies, il a
façonné des arrangements qui mettent particulièrement en valeur
les unes et les autres tout en laissant le champ libre aux très
brillants improvisateurs de l'orchestre (tous fines gâchettes du
jazz new-yorkais). Renouvelant pour le moins le genre, ce disque
comblera tous les amateurs de big bands frustrés par leur absence
dans la programmation de la plupart des festivals d'été (à la
notable exception de celui de Pertuis dont c'est la spécialité).
At Long Last Love, Parking Lot Blues,
Daahoud, Both Sides Now, Django, Hymn to Freedom, Reflections In D /
Prelude to a Kiss, C Jam Blues, Old Folks, Old Devil Moon, Close
Enough for Love, Celia Larry Fuller (p), Hassan Shakur (b),
Greg Hutchinson (dm) Enregistré les 10-11 décembre 2013 et
14 janvier 2014, Paramus (New Jersey) Durée 1h 00' 38'' Capri
Records 74135-2 (www.caprirecords.com)
Dernier pianiste du grand Ray Brown,
le New-Yorkais Larry Fuller revendique l'héritage des musiciens middle jazz. Son jeu très volubile évoque
d'ailleurs fortement celui d'Oscar Peterson, le maître absolu. Pas
étonnant qu'il soit ici entouré de Greg Hutchinson, qui fit ses
classes auprès de Ray Brown, et de Hassan Shakur qui les fit au sein
du Duke Ellington Orchestra, et aux côtés de Monty Alexander, autre
grand maître. On est donc entre gens de bonne compagnie. Ce trio est
un modèle du genre : sens de la mélodie, sens du blues,
(boogie-woogie en solo compris), respect des harmonies des standards,
swing et parfaite entente. Un CD à recommander dans toutes les
écoles...
Bebe, Debout, A Better Life,
L'impatience, Romance, Même seul, Electrizzante, Spring, Winter, As,
Blackbird, Un Beau Souvenir Didier Ithusarry, Laurent Derache,
Antonello Salis, David Venitucci, Roberto de Brasov, Jacques
Pellarin, Lionel Suarez, Marcel Loeffler, Richard Galliano, Jimmy
Gourley (personnels détaillés dans le livret) Dates et lieux des enregistrements non communiqués 52e
Rue Est 100 (Modulor)
Voici une compilation qui n'aurait pas
déplu à Frank Hagège, fondateur des Django d'Or et grand amateur
d'accordéon. Elle réunit, dans des styles très différents,
quelques-unes des talentueuses figures de la « nouvelle vague »
de la « boîte à frissons », du Basque Didier Ithusarry
au Rémois Laurent Derache, en passant par l'Italien Antonello Salis,
le Grenoblois David Venitucci, le Roumain Roberto de Brasov, le
Chambérien Jacques Pellarin, le Manouche Marcel Loeffler et,
forcément, la star internationale du genre et initiateur du
renouveau de l'instrument : Richard Galliano. Parcours
initiatique conseillé à tous ceux qui en sont restés à Marcel
Azzola... et qui ignorent encore qu'accordéon et jazz moderne
peuvent faire bon ménage.
Richard Galliano / Jean-Charles Capon Blues sur Seine
Blues sur Seine, For My Lady, Un pied
dans le caniveau, Waltz for Debby, Laura et Astor, Kitou, Les
Forains, Tears, Goodbye Miles, Neigerie, Fou rire, Bateau mouche Richard Galliano (acc), Jean-Charles
Capon (cello) Durée: 50' 21'' Enregistré en février 1992, Paris Frémeaux & Associés/ Label La
Lichère 177 (Socadisc)
En ce temps-là, Richard Galliano
n'avait pas encore publié Laurita, New York Tango
encore moins Ruby My Dear, et son aura n'était pas celle
d'aujourd'hui...mais déjà Napoléon pointait sous Bonaparte. Son
duo « audacieux » avec le regretté Jean-Charles Capon,
musicien « classique » autant que « jazzman »,
(qui nous a quittés en 2011), fut un succès discographique
inattendu. Le voici réédité et c'est une occasion à ne pas
manquer, tant s'accordent les talents de ces deux merveilleux
musiciens. Compositions de Capon et de Galliano et standards (de Bill
Evans, Toots Thielemans, Django Reinhardt) et même un vieux succès
d'Edith Piaf (« Le Chemin des forains »), tout est traité
avec le même respect et la même grâce.
Bad town, For JM, Sadness, Loupgaloo,
Italian Prelude, Night come back, Océan, Dendrolague, Sun of the
road, Emilio Richard Manetti (g), Stéphane
Guillaume (ss, ts), Fred D'Oelsnitz (p), Jean-Marc Jafet (elb), Yoann
Serra (dm) + Didier Lockwood (vln), Cédric Ledonne (perc) Durée : 56' 47'' Enregistré en décembre 2013 et
janvier 2014, Antibes (06) Label
Bleu 6718 (L'Autre distribution)
Il faut se faire une raison :
Richard Manetti n'a pas vraiment l'intention de marcher sur les
brisées de Romane, son père, premier professeur de guitare dans le
registre manouche. Il le confirme avec ce nouveau CD qui fait suite à
Why Note, sorti en 2011, et enregistré avec les mêmes
musiciens. Le Parisien Stéphane Guillaume, les Niçois Jean-Marc
Jafet et Fred D'Oelsnitz (qui proposent chacun une composition) et
Yoann Serra, auxquels se joignent, pour un titre chacun, Cédric Le
Donne et Didier Lockwood. Pas de section de cordes, cette fois et ce
n'est pas plus mal. Cette « groove story », résolument
« funky » ne manque ni d'énergie, ni de swing. Harmonies
limpides, compositions séduisantes, arrangements subtils de Fred
D'oelsnitz, solos très inspirés, belle cohésion, d'ensemble et
superbe prise de son de Fred Betin. Une réussite !
Three
Little Words, I’m Feelin’ Lucky, Rock on Bluesman, One Leg at a
Time, Rollin’ and Trumblin’, Come to Me, Save Your Own Life, I’m
a Pitbull (Nothin’ but Love), Too Much Information, The Way It Is Popa
Chubby (g, voc, perc), Dave Keyes (p, org, elp), Francesco Beccaro
(b), Chris Reddan (dm), Tipitina Horrowitz (tp), Mike Zito (g), Dana
Fuchs (voc) Enregistré
entre le 1ermai et le 30 juin 2014, New York Durée :
54’ 15’’ Dixiefrog
8769 (Harmonia Mundi)
Popa
Chubby fête ses vingt-cinq ans de carrière et il va bien, très
bien même. Son album est un condensé de ce qui se fait de
l’autre côté de l’Atlantique. Pour être complet, il s’est
adjoint deux artistes du label Ruf Records pour donner un peu
plus de piment à un album qui pour certains pourrait sembler trop
sage. Dès les premières mesures, le tempo est donné, sur trois
petits mots. Le son est propre et la guitare sonne bien. Dans le
registre blues traditionnel on a droit à un « One Leg at
a Time » bien dans l’esprit de la Nouvelle Orleans et un
« Rollin’ and Trumblin’ » enlevé. Il faut
attendre « I’m Feelin’ Lucky », pour retrouver le
premier esprit de Popa Chubby, quand il portait la coupe « afro ».
Ça sent le godfather of Soul à plein nez. Les cocottes de
guitare flirtent avec les gimmicks funky et Popa est Lucky. Sur
« Rock on Bluesman », il bénéficie du soutien de Mike
Zito (g). Avec lui, il s’aventure vers les espaces qu’apprécie
Uli Jon Roth, le guitariste du groupe Scorpion, fan de Jimi Hendrix.
Même si on est loin des premières expériences punk du géant du
Bronx avec Richard Hell, le blues rock balancé sur cette plage
mérite une oreille attentive pour percevoir la complémentarité des
deux artificiers. « Too Much Information », renvoie au
« Wild Horses » des Stones et « The Way It Is »
au blues-rock sudiste cher à Bad Co. La petite pépite se trouve en
plein cœur de l’album. Avec Dana Fuchs, que nous vous avons
chroniqué dans le dernier numéro, Ted Horrowitz tire le gros lot.
Le duo qu’il forme avec la chanteuse donne des ailes à Popa, qui
se délecte d’un chorus de qualité. La voix de Dana évoque Janis
Joplin, la guitare de Chubby celle de Jimi (ou presque), on se
rapproche d’un duo mythique qui n’a jamais existé et enfin le
voilà, peut-être, d’où cette distinction « indispensable ».
Pour en savoir un peu plus sur le guitariste New-Yorkais, le livret
présente succinctement son parcours et un CD bonus retrace ses
débuts lorsqu’il évoluait au sein des Noxcuse ou du Ted Horrowitz
and Monster. Un quart de siècle pour quasiment autant de galettes
c’est un joli score qu’il faut apprécier à sa juste valeur.
Down in Mexico, I’m Gonna Quit my Baby, Svengali, Blues Beyond the
Call of Duty, Emphasis of Memphis, Confusion Blues, Motor Trouble,
Nasty Guitar, Temptation, She’s so Fine Duke Robillard (g, voc), Bruce Bears (p, elp, org, voc), Brad
Hallen (b, voc), Mark Teixeira (dm, voc), Sunny Crownover (voc), Doug
Woolverton (tp), Rich Lataille (as, ts), Mark Earley (ts, bs) Enregistré à West Greenwich (Rhode Island), date non précisée Durée : 39’ 28’’ Dixiefrog 8766 (Harmonia Mundi)
Lorsqu’on
écoute un album de Duke Robillard, on est sûr d’une chose, c’est
que l’on ne sera pas déçu. Ainsi Independently Blue, sorti
en 2013, avait eu droit à un « Indispensable » notable.
Calling All Blues reste dans une bonne veine de blues, mais
d’un degré moins excitant. Parmi les bonnes réussites de ce
dernier opus on note « Blues Beyond the Call of Duty »,
avec la voix de Sunny Crownover et des entrelacs de la guitare avec
les sonorités ouatées de l’orgue. Il s’agit d’un blues lent,
à la fois lancinant et émoustillant par les promesses qui en
découlent. On est en plein dans le vrai pour se rappeler les jolis
phrasés de Luther Johnson via les doigts de Duke Robillard. Dans un
style plus punchy pour ne pas dire funky, « Emphasis
Memphis » avec sa section de cuivres évoque l’heure de
gloire du label Stax : du blues profond gorgé de gospel, un
agréable moment. « Temptation » avec la trompette mute
de Doug Woolverton complète ce podium très subjectif. La guitare du
Duke évoque Pink Floyd de la grande période, tandis que la
trompette fait pensé à Miles pour un morceau de grande qualité. Le
reste de Calling all Blues, aborde d’autres aspects du
blues : urbain avec le piano scintillant de Bruce Bears
(« Confusion Blues »), ou plus rural (« Svengali »),
quand le leader renvoie ses troupes dans les années trente. Enfin,
« Nasty Guitar » et « She’s so Fine » sont
deux odes aux racines du guitariste, le son du blues d’Alabama et
le rock’n’roll.
A Little
Diddy, It Was so Beautiful, Jacky’s Jaunt, Time on my Hands,
Michellie’s Mambo, Low Blow, Titillating, The Bottom Line, People
Will Say We’re in Love, The Sandy Effect. Mark Elf
(g), David Hazeltine (p), Peter Washington (b), Lewis Nash (dm),
Steven Kroon (perc) Enregistré
le 16 décembre 2013, lieu non précisé Durée :
54’ 46’’ Jen Bay
0012 (www.jenbayjazz.com)
Mark
Elf fait partie des guitaristes que votre revue suit depuis
toujours. Avec plus d’une dizaine d’albums en vingt-cinq ans de
carrière, le compte ne semble pas y être et pour cause. Après
avoir été opéré d’un cancer au début des années 2000, le
guitariste n’est revenu sur la scène jazz qu’en 2004 avec un
album au titre plus qu’évocateur (Glad to Be Back). Il
pensait reprendre son activité discographique comme par le passé
avec un album par an et puis ne voilà pas que l’ouragan Sandy
vient se mêler de tout ça. Résultat de l’affaire, le New-Yorkais
perd sa demeure et doit repartir de zéro pour tout reconstruire.
Aussi, c’est un petit miracle de voir sur nos platines Returns
2014, un album qui aurait du sortir bien avant. Pour ce disque,
Elf s’est entouré d’une rythmique qu’il a l’habitude de
pratiquer. Avec David Hazeltine (p), Peter Washington (b), Lewis
Nash (dm), présents sur ses deux dernières productions, l’ancien
partenaire de Charles Earland et Jimmy Mc Griff ne fait pas dans la
dentelle. Le résultat, de qualité, débouche sur une ambiance très
classique pour ce XXIe siècle. « The Sandy Effect », qui
clôt cette galette renvoie au fameux ouragan de 2012. Tout est
désolation quand Elf égrène les notes de ses accords en descendant
lentement les différents paliers du manche. Les enchevêtrements
qui en découlent évoquent bien évidemment les conséquences
désastreuses de cet acte de dame nature. Des thèmes lents
jalonnent encore Returns, qui prennent appui sur des
standards revisités (« It Was so Beautiful ») ou
« People Will Say We’re in Love », un arrangement du
classique « Oklahoma » de Rogers et Hammerstein. Pour les
blues, Mark Elf utilise sa guitare baryton pour donner plus de
profondeur à son expression (« Low Blow »). Enfin,
« Michellie’s Mambo » est le titre qui ressort le plus
de ce come-back. La présence de Steven Kroon (perc) apportant un
plus indéniable à un excitant mambo, où le jeu rapide du
guitariste se laisse délicatement apprécier. Un deuxième retour
réussi pour Mark Elf en espérant qu’à présent son chemin vers
de nouvelles orientations ne soit pas parsemé de nouvelles embuches.
CD1 :
Night Work, He’s Walking, Living in a Dream, Cold as Ice, Sweet
Soul Music, As the Years Go Passing By, B Shuffle, I Loved Another
Woman, Gary’s Gone, Can’t You See What You’re Doing to Me,
Under the Influence, Blues for Roy ; CD2 : Ain’t no Love
in the Heart of the City, Bet on the Blues, Beyond the Moon, Under
the Influence, Better Off Lonely Fred
Chapellier (g, voc), Johan Dalgaard (key), Charlie Fabert (g, voc),
Abder Benachour (b), Denis Palatin (dm) Enregistré
en janvier 2014, Bartenheim (68) Durée :
1h 06’ 28’’ + 21’ 48’’ Dixiefrog
8764 (Harmonia Mundi)
Fred Chapellier nous
présente un album haut de gamme par les thèmes retenus, la
technique utilisée et le feeling diffusé. Vraiment, le bluesman
Lorrain marque un grand coup dans l’univers du blues made in
France. Avec Peter Green (« I Loved Another Woman »),
Albert King (« Can’t You See… ») et Deadric Malone,
alias Don Robey, au programme, Chapellier fait dans la beauté. On
retrouve tout le soyeux du phrasé de l’ancien Fleetwood Mac, avec
une voix qui se rapproche étrangement de celle de l’ « Albatross ».
Avec le thème de King on passe à la vitesse supérieure. Là, ça
déménage vraiment, mais dans le bon sens du terme avec un Abder
Benachour impérial à la basse. Enfin, avec le magnifique « As
the Years Go Passing By » de Deadric Malone, l’émotion monte
d’un cran supplémentaire. La voix de Chapellier associée aux
sonorités d’orgue de Johan Daalgard font leur effet. Au niveau
des compos, le partenaire de Tom Principato et Neal Black, rend
hommage aux grands bluesmen blancs disparus. Au catalogue, un
« Gary’s Gone » pour Moore, le flamboyant guitariste
irlandais, dans un registre plutôt lent, avec l’émotion de la
disparition d’un phare du blues et un jeu qui évoque forcément ce
dernier. Un grand et beau moment de Electric Communion.
« Blues for Roy », pour Buchanan, une autre grande
influence de Frédéric, nous fait entrer dans un univers plus
singulier, avec des single-notes acérées. Une sonorité
profonde et prenante qui démontre bien l’intérêt porté par le
Français pour ce bluesman de l’Arkansas. Et le reste me
direz-vous ? Il est à la hauteur de tout ce qui vient d’être
dit sur ce cet album. Avec encore de ci-de là quelques jolies perles
comme « Living in a Dream » très « greenien »
qui fait vraiment rêver, ou le très swinguant « Cold as
Ice ». Un petit shuffle en Si et le tour est joué, le
corps reprenant alors le pas sur l’âme. Un CD bonus enregistré en
studio nous permet d’entendre le combo de Fred Chapellier dans une
atmosphère plus calibrée. Outre le « Under the Influence »,
magistralement distillée en live, on a droit à un blues plus
agressif, mais toujours de qualité (« Bet on the Blues »).
Le live extrait d’un concert du caf’ conc’ des Trois
Frontières à Barteihem et le CD bonus méritent vraiment de
trôner en bonne place dans votre discothèque. Sûr que cette
galette, comme le bon vin, vieillira en se bonifiant.
Spinal Tap/Goes to 11, Djangolongo,
Variations for Piano op. 27, Sleepwalker, Tongue & Groove,
Scatterbrain, Bar Codes, The Logos, Entangoed Heart, Spinal Tap (take
2) Tom Chang (g), Greg Ward (as), Jason
Rigby (ts), Chris Lightcap (b), Gerald Cleaver (dm), Akshay
Anatadmanabhan (kanjira, mridangam), Subash Chandran (konnakol) Enregistré le 26 Juin 2012, New York Durée : 49' 37'' Autoproduit (www.tomchangmusic.com)
Tom Chang est un Coréen qui très
jeune a émigré vers le Canada. Lorsqu’il commence la guitare, il
apprécie particulièrement Jeff Beck, Jimi Hendrix, Jimmy page avant
de succomber à la finesse de Jim Hall et de Wes Montgomery. Cette
immersion dans le jazz va l’amener à intégrer le Guitar Institute
of Technology de Los Angeles et à se former sous la férule de Scott
Henderson, Ted Green et Joe Diorio. Avec une telle formation, la
musique que délivre le guitariste ne surprend pas. Son jeu de
guitare est fait d’envolées speedy lyriques avec des placages
d’accords exacerbés pour tenir tête aux déboulés des
saxophonistes sur « Variations for Piano op. 27 » d’Anton
Webern. « Tongue & Groove » débute par un monologue
en coréen, sans certitude aucune, avant de céder la place à la
guitare extatique de Tom pour une balade dans des contrées aux
confins du Nord du Canada, sûrement. On retrouve un peu les
atmosphères de Jan Garbarek avec la fluidité du phrasé de John
Scofield. Les compositions du leader se veulent modernes et le sont.
Le swing n’est pas très présent mais son approche est
intéressante. On attend de voir comment va mûrir sa riche
expression.
The Secret Love Affair, Autumn Leaves,
She's Funny That Way, Can You Tell Me How to Get to Sesame Street,
I'm Confessin' That I Love You, But Beautiful, Speak Low, Nancy With
the Laughing Face, The Man With two Left Feet, That Old Feeling, My
Romance, If I Were a Bell, Cover the Waterfront Delfeayo Marsalis (tb), Ellis Marsalis
(p), John Clayton (b), Marvin Smitty Smith (dm) Enregistré à Burbank (Californie), date non précisée Durée : 1h 10' 40'' Troubadour Jass Records 081814
(http://delfeayomarsalis.com)
Cet album, enregistré aux Cahuenga
Pass Studios de Burbank en Californie, est présenté comme un
hommage à Mulgrew Miller, « a great
musician, classy individual & true Southern Gentleman »,
écrit Delfeayo sur la pochette de l’album. A propos de cet album,
le tromboniste pose la double problématique du perçu esthétique de
chaque génération de musiciens, jeunes et plus âgés, d’une
part, et le fait aussi difficile qu’intimidant d’enregistrer avec
son propre père, lorsque celui-ci est un vrai maître, d’autre
part. En fait, la difficulté d’être chacun soi-même et de
trouver à s’épanouir sur un répertoire commun, d’où le choix
de standards et de ballades dans lesquelles son père peut exprimer
le romantisme qui constitue la substantialité de son style
pianistique ; en sorte que « The Last
Southern Gentlemen is a firm acknowledgement of the existence and
importance of sweet, gentle sounds ».
Mise à part la composition de Jason,
« The Man With two Left Feet » à la structure complexe,
les autres pièces sont des ballades en tempo medium, voire lent
comme « I’m Confessin’ », dans lesquelles la mélodie
peut emplir tout l’espace de son développement harmonique, somme
toute très classique, hormis le premier thème, « The Secret
Love Affair » sur rythme caraïbe, traité de façon modale.
Que ce soit le contrebassiste John Clayton (exposition du thème de
« That Old Feeling ») ou le batteur Marvin Smitty Smith,
Delfeayo dit les avoir toujours admirés pour ce qu’ils sont, des
musiciens pétris d’une tradition classique mais d’une
originalité propre. Le résultat est effectivement de très haute
tenue ; chaque instrumentiste participe à l’élaboration de
la musique correspondant à un certain art de vivre de ce Sud où,
selon Delfeayo, serait née la musique proprement américaine. The Last Southern
Gentlemenest un album en tout
point musicalement exemplaire, au plan de l’interprétation, d’une
tradition musicale originale – « relaxation,
melodic, construction and swing » – qui permet à un
fils, dans son entreprise délicate, d’être fier de son père et
réciproquement. Néanmoins, il convient de souligner que deux des
pièces retenues pour cet exercice « southern »
ont été composées par deux auteurs européens, et non des
moindres, Kurt Weill et Joseph Kosma. Par ailleurs, si Delfeayo signe
un long texte, au contenu sibyllin, regrettons que, pas une fois, le
coffret ne mentionne le nom des auteurs de ces treize thèmes. En des
temps si attentifs à la traçabilité des produits, l’hypertrophie
de l’égo de certains semble leur faire oublier leurs obligations à
l’égard du droit, au moins moral, des auteurs, à moins que ce ne
soit celle de producteurs qui cherchent à s’affranchir d’autres
contraintes afférentes. Car la tendance actuelle est générale dans
la production phonographique d’oublier de donner – ou de « se
tromper sur le nom du compositeur » – sur chaque album les
informations indispensables et légalement obligatoires, à savoir
les dates et lieux précis de réalisation et d’enregistrement,
informations qui figurent obligatoirement sur les publications
écrites.
Prince H. Lawsha & Frédérique Brun Melodies & Memories
Sentimental
Journey, A Fine Romance, La Vie en rose, Dream a Little Dream, Let's
Call the Whole Thing off, Into Each Life Some Rain Must Fall, The
Nearness of You, Over the Rainbow, Our Love Is Here to Stay, Just in
Time, They Can't Take That Away From Me, That's All Prince H.
Lawsha (voc), Frédérique Brun(voc), Robinson Khoury
(tb), Alain Brunet (tp, fgh), Laurent Alex (s), Philippe Khoury (p),
Patrick Maradan (b), Philippe Maniez ou Andy Barron (dm) Enregistré
en 2013, Lyon (69) Durée : 48'
54'' QS Music
Productions 004 (www.princelawsha.com)
Le
chanteur, batteur et producteur Prince H. Lawsha, qui a maintenant
dépassé la soixantaine après un parcours aussi divers qu’étonnant,
réside relativement souvent en France depuis la fin des années
1990. Il est très sollicité par les formations d’Alain Brunet
pour des tournées dans le sud de la France. C’est dans ces
conditions qu’il a été amené à rencontrer un grand nombre de
musiciens français, notamment de la région Rhône-Alpes, avec
lesquels il s’est produit et eu l’occasion d’enregistrer comme
ces quelques douze faces de standards. Ici, il
chante en compagnie de Frédérique Brun, professeur de chant jazz au
conservatoire de Vienne, des evergreen
de Tin Pan
Alley : Gershwin,
Jerome Kern, Jule Styne, Harold Arlen et même « La Vie en
rose » ! Prince a une très belle voix de basse. Cette
formation, qui compte une bonne section rythmique et quelques
soufflants avertis, tourne les pages de l’album de Broadway ;
elle permet de passer des instants agréables.
La
Princesse d'Artolu, Smile, Prelude to a Kiss, Ab for G, Haupé, The
Duke, All Too Soon, U.M.M.G., Summer Leaf Frédéric
Loiseau (g), Benoît Sourisse (org), André Chalier (dm) Enregistré
les 12 et 13 mars 2014, Videlles (91) Durée :
44' 37'' Black &
Blue 789.2 (Socadisc)
C’est le
second opus de Frédéric Loiseau en tant que leader ; et dans
sa présentation, le musicien affirme que le choix de ses
partenaires lui est apparue « comme une évidence » et,
plus encore, « sans répétition préalable avec le
frisson de l’aventure spontanée ». Le programme de cet album
est pour une large part emprunté au répertoire ellingtonien :
deux pièces du Duke et deux de son alter ego, Billy Strayhorn,
auquel il convient d’adjoindre l’hommage de Dave Brubeck au
maestro composé en 1955 (« The Duke »). Les autres
thèmes sont du leader de session. Les deux compositions d’Ellington
sont de 1938 et 1940 ; en revanche toutes les autres (quatre),
hormis les siennes, furent écrites entre 1954 et 1959. Ce choix
donne un ton à l’esthétique musicale dominante que vient
renforcer la propre sensibilité du maître d’œuvre et de ses
partenaires.
Unité de
ton ou monotonie ? Quoi qu’il en soit, le parti pris de
l'esquisse reste trop souvent floue et même incertaine ; si le
solo dépouillé ad libitum
sur « All too Soon » se conçoit fort bien et constitue
une réelle réussite, manque quelques traits appuyés - qui eussent
structuré « Prelude to a Kiss » en épure – structure
que comporte justement « Upper Manhattan Medical Group ».
En sorte que restent des ébauches, au mieux des pochades un peu
fades voire affectées (« Summer Leaf », variation sur
« Les feuilles mortes »). Il y a néanmoins quelques
parties prometteuses : exposition du thème et premier chorus de
« la Princesse d’Artolu », « Smile », « Ab
for G », « Haupé », « The Duke ». Trop
d’ambiance où l’on attend plus de musique ; car les deux ne
sont pas opposées. La rançon, peut-être le risque, de « l’aventure
spontanée » ?
Monty Alexander Harlem-Kingston Express Vol. 2 : The River Rolls On
Hurricane Come And Gone/Moonlight City,
People Make The World Go Round, Concerto de Aranjuez, Sleaky, Trust,
The Harder They Come, The Rivers Roll On, What's Going On, Love
Notes, Skamento, Linstead Market, Redemption Song, Regulator
(Reggae-Later) Monty Alexander (p, melodica, voc),
Hassan Shakur (b), Obed Calvaire, Karl Wright, Frits Landesbergen
(elb) Yotam Silberstein, Andy Bassford (g), Earl Appleton (key),
Courtney Panton (perc), Caterina Zapponi, Wendel Jr Jazz Ferraro
(voc) + George Benson (g, voc), Ramsey Lewis, Joe Sample (p) Durée : 1h 05' 42'' Date et lieu d'enregistrement non
précisés Motéma
233828 (Harmonia Mundi)
Fidèle à son habitude, Monty
Alexander, truffe son jeu (un des plus volubiles de l'histoire du
piano jazz) de citations. La première, est une forme de manifeste :
« It don't mean a thing if you ain't got that swing »
(dès les premières minutes du premier titre), l'exigence du swing,
son cheval de bataille depuis toujours. Comme l'annonce le titre de
l'album, il s'ingénie à lancer des ponts entre le reggae de ses
origines (il est né en Jamaïque) et le jazz, tout en y mêlant
aussi d'autres références (comme ce « Concerto d'Aranjuez »
joué en bossa nova où l'on reconnaît quelques notes de « All
Blues » et, de... « La lettre à Elise »). Un
melting-pot kaléïdoscopique pour lequel il a invité à se joindre
à sa formation de base les voix de Caterina Zapponi (d'origine
italienne), et de Wendel Jr. Jazz Ferraro (rappeur d'origine
jamaïcaine), et pour « Love Notes », George Benson,
Ramsey Lewis et le regretté Joe Sample. Le résultat de cette
disparité (certains titres ont même été enregistrés en « live »)
aurait pu être un peu fourre-tout. Mais tout cela reste toutefois
très homogène, tant la personnalité du maître de cérémonie
lisse et unifie les contrastes. Musique alerte, joyeuse, et facile
d'accès malgré ses exigences.
Blues in My Blood, Funky Broadway, Nana
Jarnell, I Pity the Fool, Boogie-Woogie Blues Joint Party, I'm Still
Here, The Son of a Bluesman, I Can See Clearly Now, Joy, You Lucky
Dog, I'm Still Here Lucky Peterson (g, org, voc), Shawn
kellerman (g) Timothy Waites (b), Raul Valdes (dm), Remon Hearn (org,
elp), reste du personnel détaillé dans le livret Durée : 57' 01'' Date et lieu d'enregistrement non
précisés Jazz
Village 570035 (Harmonia Mundi)
Après une période en demi-teinte, le
guitariste-organiste-chanteur et showman exceptionnel, Lucky
Peterson sort de sa semi retraite avec ce CD où faisant référence
à son propre père, (James, bluesman de renom), il explore tous les canons
du genre. Allant du blues quasi acoustique façon bayou, à celui
arrangé avec cuivres mode Ray Charles, en passant par des ambiances
à la sauce rock and roll ou soul que n'aurait pas reniés Jerry Lee
Lewis, Little Richard ou Wilson Pickett. Cette fois encore, Lucky
Peterson montre à quel point il possède et domine son sujet. Pas de
doute possible, le successeur de BB King est désigné.
Celestial Bird Dance, Threshold, Open
Door-Within, Unfettered-Muken, Spiral Mist, Just Arrived, Kalahari
Pleiades, For Coltrane, Twelve By Twelve, Shadows Lean Against My
Song, The Song Is My Story-URA, Marinska, African Dawn, Eclipse at
Dawn, Phambili-Looking Ahead, For Coltrane, Children Dance Abdullah Ibrahim (p, s) Durée : 39' 55'' + DVD 56' Enregistré en juin 2014, Sacile
(Italie) Intuition
Records 3442 2 (Socadisc)
Malgré une très courte introduction
et une conclusion plus brève encore au saxophone, c'est bien d'un
récital de piano solo qu'il s'agit ici, enregistré de surcroît
dans le saint des saints de la maison mère du célèbre facteur
Fazioli. Abdullah Ibrahim improvise librement sur quelques uns de ses
thèmes fétiches, ceux-là même dont il explique la genèse dans le
DVD joint au disque, où il parle (sans être traduit,
malheureusement), plus qu'il ne joue . C'est bien entendu magnifique.
Le pianiste se montre très inspiré jouant plus que jamais des
silences et, jonglant avec toutes les nuances permises par un
instrument exceptionnel. La prise de son est parfaite. Un seul
regret toutefois, moins de quarante minutes, c'est bien peu, et,
l'auditeur ravi n'aurait pas refusé de savourer quelques instants
supplémentaires de ce moment de pur bonheur.
Huyana, Wild, Zamba Blanca, Cajon
Negro, Yankadi, Diya Nyö, Carnaval, L'éléphant et l'oiseau, Flanm
La Brèz Stéphane Chausse, Pierre Bertrand,
Stéphane Guillaume, Sylvain Beuf, Frédéric Couderc (s), Michel
Feugère, Tony Russo, Nicolas Folmer, Fabien Mary (tp), Denis Leloup,
Guy Figliontos, Philippe Georges, Didier Havet (tb), Alfio Origlio
(b), Jérôme Regard (b) + Minino Garay (perc), André Ceccarelli
(dm), Kabiné Kouyaté, Meddy Gerville (voc), Maré Sanago (djembé),
Miguel Ballumbrosio (cajon) Durée : 50' 19'' Enregistré au printemps 2011,
Rochefort (17) Cristal Records 202 (Harmonia Mundi)
Mené de mains de maîtres par le
saxophoniste Pierre Bertrand et le trompettiste Nicolas Folmer (qui
signent toutes les compositions), le Paris Jazz Big Band suit un
petit bonhomme de chemin peu banal, parsemé des embûches inhérentes
au maintien de la survie d'un grand orchestre (particulièrement en
période de crise), qu'il semble l'un des rares à savoir éviter.
Après A suivre, Méditerranéo, Paris 24h et
the Big Live, voici Source(s), dont les thèmes
s'inspirent (très librement) de musiques traditionnelles d'Afrique,
de la Réunion et d'Amérique latine. Que l'on se rassure, il ne
s'agit pas ici d'une world music passée à la moulinette d'une
modernité opportuniste, mais d'une authentique musique de Jazz,
inventive et swingante à souhait, arrangée selon les canons les
plus stricts des grandes formations de référence, et diablement
gaie et entraînante, et, truffée d'improvisations lumineuses. La
valeur d'un Big Band , c'est bien connu, tenant autant à la qualité
de ses arrangements qu'à celle des solistes, ces deux conditions
étant ici parfaitement remplies, ce dernier CD du Paris Jazz Big
Band est en tout point une réussite enthousiasmante.
Places of Emotion, Shine and Blue, Song
For Her, Loving You, Clubbing, Springtime Dancing, Walking By Your
Side, Beats And Bounce, Drum Solo, Snapshot Manu Katché (dm), Luca Aquino (tp),
Tore Bruneborg (s, synth), Jim James Watson (p, elb) Durée : 1h 05' 56'' Enregistré le 16 juin 2014, Paris ACT 9577-2 (Harmonia Mundi)
S'il était plutôt attendu dans le
registre d'une musique fortement typée « jazz-fusion »,
l'exubérant batteur Manu Katché, brouille savamment les pistes sur
ce CD enregistré en public au New Morning. On pense, bien sûr, ça
et là, aux oeuvres de Michaël Brecker, de Jan Garbareck ou de Paolo
Fresu, mais, sur ses compositions assez habiles et plutôt savantes,
les deux soufflants, bien soutenus et suivis aussi par le pianiste et
organiste, ne se complaisent pas dans la facilité, et développent
des climats intimistes et envoûtants où l'énergie, toujours
sous-jacente jaillit parfois de façon tout à fait savoureuse. Un
disque très plaisant.
Alone Together, Rue Serpente, Flamingo,
Goovin' Higher, Skylark, Tricotism, Méditation, East of the Sun,
Lovers of Their Time, Tangerine, Line for Lyons Yvan Belmondo (bs), Stéphane Belmondo
(tp, flh), Lionel Belmondo (ts), Jean-Philippe Sempere (g), Sylvain
Romano (b), Jean-Pierre Arnaud (dm) Durée: 49' 59'' Enregistré les 15 et 16 avril 2013,
Solliès-Toucas (83) B
Flat Productions 6107645 (Discograph)
Stéphane et Lionel Belmondo solistes
brillants et reconnus, ont convié leur père (et premier professeur)
Yvan Belmondo (sax baryton), resté dans l'ombre de ses fils, pour un
barbecue aux herbes de Provence, face à la grande bleue. Sur le
grill, quelques morceaux de choix de Pepper Adams, Oscar Pettiford,
Gerry Mulligan, entre autres. Retrouvailles familiales sympathiques,
certes, mais d'une grande exigence. Arrangements à trois voix de
haute volée des trois Belmondo et solos lumineux concoctés comme il
se doit. Le tout pimenté par la guitare de Jean-Philippe Sempere,
relevé par quelques touches d'épices du bassiste Sylvain Romano et
accommodées à la sauce savoureuse et fluide du drumming de Jean-
Pierre Arnaud. Un régal !
Real Brother, Past Dreamers, Reborn,
Brighter, Half Moon Romance, Time Flies, Keep The Headland, Isaac,
Waltz for My Mother, Blues For Mac Kevin Norwood (voc), Vincent Strazzieri
(p), Sam Favreau (b), Cédrick Bec (dm) Enregistré en octobre-décembre 2013,
Pernes-les-Fontaines (84) Durée : 1h 01' 13'' Ajmiseries 25 (Socadisc)
Voici un nouveau chanteur, Kevin
Norwood, repéré par David Linx, dont il a la souplesse de voix, et
le sens des envolées. Kevin Norwood est né en 1986 à Avignon ;
il a fait des études de saxophone au conservatoire du Pontet (84)
puis il étudie à Carpentras et Salon-de-Provence. C’est donc un
Sudiste, pas étonnant qu’il ait été repéré par l’AJMI
d’Avignon, pépinière de jazzmen. C’est une révélation, car
s’il apparaît tous les jours de nouvelles chanteuses, on peut
compter les hommes sur les doigts d’une seule main. C’est un
chanteur d’une grande sensibilité, d’une belle délicatesse, qui
cisèle les paroles, pratique un scat léger très instrumental.
Qu’on l’écoute dans « Time Flies », une chose rare,
un duo voix-batterie. Pas d’esbroufe du côté du batteur, son
discours est parfaitement dans la ligne du chanteur. Au jeu des
comparaisons, je le mettrais dans la ligne d’Andy Bey, même
approche, même sensibilité, subtilité et sens des couleurs, la
différence c’est que Kevin Norwood possède une voix aiguë,
proche parfois de la haute-contre. Une voix ambiguë, quelque peu
androgyne, mais à ne pas comparer à Chet Baker, dont la voix est
plus brumeuse, plus confidentielle. Dans le titre éponyme, plein de
charme, sur tempo lent, il tient la note, à la façon d’un
trombone crooner. Le bassiste a des attaques à la fois sèches et
ouatées, et ses solos sont toujours mélodiques. Le pianiste sait
laisser respirer sa musique ; on peut écouter le travail de sa
main gauche sur « Half Moon Romance » en répons aux
accords de la main droite. Quant au batteur, il est celui qu’il
fallait à ce groupe. Ce chanteur a su s’entourer d’un trio
impeccable, et l’ensemble est un véritable quartette et non pas un
trio qui accompagne un chanteur. Les atmosphères des titres sont
très variées. On y trouve l’aération du Modern Jazz Quartet avec
la place du silence.
De la musique avant toute chose chez
ces moins de 40 ans. Ils jouent un jazz évident et cultivent la
beauté.
Chan’s
song/Never Said, La chanson de Delphine à Lancien, Salut l’artiste,
Charade, Two for the Road, Le bal des casse–pieds, Cucurrucu
Paloma, Argomenti, Mo’ Better Blues, Le vieux fusil, Nous irons
tous au paradis, Les Valseuses Jean–Marc
Montaut (p, elp), Laurent Vanhée (b), Dave Blenkhorn (g), Guillaume
Nouaux (dm) Enregistré
les 12 et 13 novembre 2013, Rochefort (17) Durée :
52' 51'' Frémeaux
& Associés 8510 (Socadisc)
Le
pianiste historique de Pink
Turtle, ce groupe qui manie
la poésie décapante du surréalisme musical, propose dans cet album
la lecture appliquée et même grave de douze musiques de films, dont
celle de Morricone dans Le
Casse, qui, dit-il, malgré
sa frayeur enfantine, ne l’avait jamais plus quitté. Ces
compositions, qui s’étalent sur une trentaine d’années
(1967-2002), correspondent à des œuvres ayant teinté son vécu. Il
s’agit ni plus ni moins que d’une sorte d’autobiographie
musicale, qui en dit bien plus sur l’homme que de longs discours.
L’esthétique cinématographique française, avec la poésie du
temps qui passe (« Salut l’artiste »), domine largement
avec huit films sur douze ; et dans les autres, la thématique
et l’univers n’en sont guère éloignés. S’y découvrent ainsi
les constantes psychoaffectives de l’individu qui ont structuré la
personnalité du musicien : Yves Robert sonorisés par Vladimir
Cosma (trois faces), mais également Stanley Donen animé par Henry
Mancini (deux plages). Et le jazz qu’il invite « ne se prend
jamais trop au sérieux » ; il a le goût des regrets
tendres et présente l’image sublimée du rétroviseur jusqu’au
« climax »
d’Herbie Hancock ; et les « Valseuses » de
Grappelli ont même l’élégance d’être bostonnées.
Montaut
trouve auprès de ses partenaires des complices de sa
relecture de ses
moments musicaux recomposés. Dave Blenkhorn est l’autre voix du
quartet qui, en contrepoint, illumine l’album de ses soli (« La
chanson de Delphine »). Laurent Vanhée soutient fermement
l’ensemble, n’intervenant qu’occasionnellement avec sobriété
(« Valseuses »). Quant à Guillaume Nouaux, il est
remarquable dans sa façon d’accompagner (notamment aux balais,
« Nous irons tous au paradis »), de colorer l’espace
(« Valseuses ») et de relancer la machine (« Charade »).
Ça swingue merveilleusement (« Le bal des casse-pieds »)
et c’est fait avec beaucoup de finesse et d’intelligence. A 50 ans,
Jean-Marc Montaut nous donne, avec Drive
In, à découvrir plus que le
musicien, le personnage que l’on ne soupçonnait pas. Nous lui
connaissions son professionnalisme sérieux, dans des contextes
infiniment plus ludiques. Or dans ces faces, il nous propose plus
qu’un travail bien fait sur une thématique en définitive, sinon
convenue, du moins assez simple. Les albums consacrés à la musique
de films ne sont, en effet, pas rares ; pour preuve ceux de
Claude Bolling dont le dernier en date, Cinéma
Piano Solo (FA 8508,
chroniqué par ailleurs) ou l’anthologie Le
Jazz à l’Ecran (1929-1962)
chez le même éditeur, Frémeaux & Associés (FA 5462).
Néanmoins, assez peu de solistes se sont attachés à dégager
l’unité de musiques de films, si différentes, de par le ton, la
couleur, et l’univers ; il leur en retient son
dénominateur commun. Par sa façon de métamorphoser les souvenirs
en songes, la manière de Jean-Marc Montaut relève de la réflexion
musicale. Et c’est souvent superbe.
Jean-Pierre Derouard Swing Music Octet Storyville Story. Swingologie. Jazz Portrait of Louis Armstrong vol. 6
Storyville
Stomp, St-James Infirmary, West End Blues, Cornet Shop Suey, For Anna
With Love, Tight Like This, Tiger Rag, Black and Tan Fantasy,
Potatoes Head Blues, On the Sunny Side of the Street, Big Butter and
Egg Man, Swing That Music, What a Wonderful World Jean
Pierre Derouard (tp, voc, dm), Esaie Cid (cl), Philippe Desmoulins
(tb), Olivier Leveau (p), David Salesse (b), Alain Wilsch (bjo), Paul
Gélébart (soubassophone), Laurent Cosnard (dm) Enregistré
les 22, 23 et 24 avril 2013, Thoiré-sous-Contensor (72) Durée :
56' 48'' Autoproduit
JPD6 (www.jeanpierrederouard.com)
Storyville
Stomp constitue le sixième
volume du Jazz Portrait of
Louis Armstrong entrepris par
Jean-Pierre Derouard en 2001 ; il comprend deux compositions
originales du trompettiste dont une sert de titre éponyme à
l’album. Pour l’essentiel, cet opus est composé de thèmes du
répertoire de Louie,
dont « Black and Tan Fantasy » que « Satchmo »
n’enregistra, pour la première fois, que le 3 avril 1961 en
compagnie de Duke d’ailleurs. Mis à part « Potatoes Head
Blues », « Big Butter and Egg Man » et « Cornet
Shop Suey » (d’ailleurs orthographié « Cornet Chop
Suey »sur l’édition
originale Okeh 8320) qui concerne le premier Hot
Five (avec Lil
Armstrong-Harding, p), tous les autres thèmes relèvent du second
Hot Five,
période postérieure à l’arrivée d’Earl Hines (printemps
1928), et des époques ultérieures. Figurent sur ce volume, trois
pièces emblématiques de l’œuvre enregistrée d’Armstrong :
« West End Blues » et « Tight Like This », de
sa première partie de carrière, et « What a Wonderful World »
symbole universel de la fin de sa vie.
Ces
moments de l’œuvre armstrongienne s’articulent autour de pièces
personnelles composées en 2012 par Derouard illustrant l’esthétique
de chacune : « Storyville Stomp » concernant la
première, style New Orleans ; « For Anna With Love »
s’inscrivant dans l’esprit du courant classique swing. La
formation orchestrale retenue par le leader de session donne une
couleur personnelle à ces thèmes fortement marqués par leur
créateur dans leur instrumentation originale ; que ce soit le
premier Hot Five
avec Lil Harding, sans contrebasse ni batterie, ou le second avec
Earl Hines, également sans contrebasse ; comme plus tard
par le big
band qui accompagna
Louie
après 1930. Cette mise
en perspective du répertoire de cet album paraît essentielle pour
présenter la logique du projet de Jean-Pierre Derouard dans ce
volume qui s’inscrit dans une vision bien plus large de la
relecture de l’œuvre magistrale de Louis Armstrong. Car tout en
reprenant les enregistrements du maître, il ne se contente pas de
« recopier » le modèle, au demeurant insurpassable dans
l’expressivité, mais bien d’en souligner certains aspects que la
perfection, l’évidence et la concision d’ensemble de l’original
ne permettent pas toujours de percevoir à la première écoute.
Ainsi « Cornet Chop Suey », qui servit si longtemps
d’indicatif à une célèbre émission d’Hugues Panassié, est
pris en tempo légèrement plus lent que celui de Louie
et plus encore de celui de Wynton Marsalis. Mis à part l’original
qui ouvre l’album et « Tiger Rag », joués « enlevés »
selon les règles de la musique New Orleans, les interprétations,
qui respectent l’économie générale des enregistrements de
référence, sont généralement jouées un peu plus lentement ;
l’aspect virtuosité instrumentale n’étant pas premier, les
ensembles comme les soli gagnent en qualité de swing. Par ailleurs
la présence du soubassophone donne une tonalité plus
nostalgiquement orléanaise à l’ensemble que les enregistrements
originaux dynamiquement plus « nordistement
urbains »;
et cela également pour la seconde composition originale. Les
arrangements ne sont pas étrangers à cette impression générale ;
le solo de trompette accompagné par la seule contrebasse (cet
instrument n’était pas dans les enregistrements originaux) et la
batterie dans « Tight Like This » contribue à cette
dramaturgie musicale qui a beaucoup de charme. Cet octet
est tout à fait remarquable. Les arrangements simples et bien dans
l’esprit de la musique d’Amstrong sont joués avec talent et
ferveur. Les ensembles sont exécutés avec rigueur et les soli sans
esbroufe sont souvent remarquables de clarté et de concision. La
section rythmique, superbement emmenée par Olivier Leveau assure un
soutien sans faille aux soufflants. Laurent Cosnard accompagne
superbement ; il connaît cette musique et n’en rajoute pas.
Son solo sur « Tiger Rag » est parfait. Alain Wilsch et
Paul Gélébart apportent du volume à l’ensemble. David Salesse a
une mise en place solide sur laquelle ses partenaires se sentent en
sécurité. Quant à Olivier Leveau, bien que stylistiquement
différent de ceux de Lil et de Fatha,
son accompagnement est irréprochable dans son classicisme (proche de
Billy Kyle plutôt) et certains de ses choruses
sont magnifiques. Dans la section mélodique, la partie de trombone
révèle Philippe Desmoulins au grand public ; il est à la fois
tonique et plein de poésie (« St-James Infirmary »).
Esaie Cid est formidable à la clarinette ; « Black and
Tan Fantasy », qui lui fait la part belle, est peut-être, par
l’équilibre instrumental, la face la plus parfaite de cet album.
Bien dans la tradition de Barney Bigard, il en rappelle le timbre
chaleureux et profond propre à cette école de Crescent
City. Derouard
intervient brillamment en tant que batteur dans « Swing That
Music ». Mais c’est surtout comme trompettiste qu’on
l’entend dans cet album. On retrouve le musicien généreux mais
également intelligent qui raconte, qui évoque son
Louis Armstrong, tel qu’il l’a « entendu » et qui le
restitue d’une manière aussi fidèle qu’originale. Sans copier
et en respectant le texte musical, son interprétation pleine
d’émotion de l’introduction, véritable obligado de « West
End Blues », restitue toute la force évocatrice de Louie ;
la suite de cette pièce est tout aussi remarquable avec le soutien
exceptionnel de ses partenaires. Storyville
Stomp est un album superbe.
On ne s’ennuie jamais ; il évoque les parfums de la Louisiane
dans un langage d’une poésie musicale recomposée. Il était
gonflé de se colleter avec des pièces de cette envergure. Le défit
a été relevé et gagné. Chapeau !
Le Jazz à l'écran Hollywood - New York - Paris - Turin 1929/1962
Titres
et personnels détaillés dans le livret Enregistré
entre le 28 mars 1928 et le 17 janvier 1962, Hollywood, New York,
Paris et Turin Durée : 1h
09' 34'' + 1h 14' 46'' + 1h 15' 40'' Frémeaux
& Associés 5462 (Socadisc)
Le coffret
de trois CDs, Le Jazz à
l’écran (soit
trois heures et demi de
musique), présente un panorama de la production
cinématographique des quatre capitales du septième art au cours du
second tiers du siècle dernier : Hollywood, New York, Paris et
Turin. Cette anthologie réunit soixante-neuf faces extraites des
bandes sonores de films enregistrées par plus d’une soixantaine
d’artistes et/ou d’orchestres pour des films. Comme le signale
Alain Tercinet dans le livret fort complet, si certaines ont été
extraites des sound
tracks optiquesmêmes, beaucoup ont été
enregistrées ultérieurement en studio hors de la réalisation du
film, reproduisant la musique diffusée lors de la projection. Première
constatation, d’ordre quantitative : l’immense majorité des
prises ont été réalisées aux Etats-Unis à Hollywood, capitale du
cinéma, et à New York, même pour certains films tournés en Europe
et en France particulièrement. A cela rien de bien surprenant :
si le cinéma commença en Europe, et notamment en France avec les
ascendants de certaines personnes ayant présidé à la naissance de
Jazz Hot,
comme Pierre
Gazères,
l’industrie du cinéma
s’est surtout développée aux Etats-Unis – souvent sous
l’impulsion de promoteurs issus de la seconde génération
d’immigrants européens. Par ailleurs, le jazz étant une musique
née dans la civilisation américaine, il n’est guère surprenant
que l’immense majorité des musiciens de jazz ayant prêté leur
concours aux bandes sonores de films soit également américaine. Et
si Paris, et à un moindre degré Turin, fut une ville où le jazz
participa à l’élaboration d’œuvres cinématographiques, le
phénomène n’intéressa surtout que la période postérieure à
1945. Par
ailleurs, conséquence du choix des auteurs de cette compilation ou
pas, peu nombreux sont les réalisateurs, en dehors d'Orson Wells
dont nous connaissons l’intérêt pour cette musique, à avoir
sollicité plusieurs fois des musiciens de jazz pour la musique de
leurs œuvres. De la même manière, il apparaît que certains
musiciens (Armstrong, Ellington) ont été sollicités tout au long
de cette longue période alors que d’autres apparaissent et
disparaissent au gré des modes au cours de ces trente trois années.
Se pose alors la question de la place tenue par le jazz dans les
films : musique d’habillage, sujet central, moyen
d’évocation... Autant de situations différentes qui ont pu
engendrer des résultats disparates. Le
jazz est surtout représenté dans ces faces par les interprètes qui
peuplent les différents orchestres et même les orchestres de
studio. En sorte que la musique, composée pour représenter le jazz,
est jouée selon les règles adéquates. Et l’illusion est
préservée sans que l’imaginaire propre à la musique de jazz soit
réellement sollicité et n’entre en concurrence avec celui du
cinéma qui reste primordial. De ce point de vue, cette anthologie
s’avère d’un très grand intérêt car les pièces jouées et/ou
composée par d’authentiques formations de jazz constituées
(Ellington, Lunceford, Armstrong, Goodman…) présentent une
crédibilité jazzique plus affirmée que les autres comprenant des
jazzmen réunis pour jouer de la musique de circonstance. Sans être
de jazz, les pièces de Gainsbourg, de Louiguy par exemple n’en
sont pas moins intéressantes quant à ce que le jazz pouvait
représenter dans l’imaginaire de certains compositeurs. Comme le
sous-entend Corneau, les musiciens de jazz « ne font pas
semblant » ; ils jouent la musique qu’ils pratiquent,
c’est celle qu’ils connaissent. « Anatomy of a Murder »
ou même « Blues in the Night », composé par un auteur
de Tin
Pan Alley
(H. Arlen, J. Mercer),
ne relèvent pas du même registre d’expressivité que « Something
for Cat » ou « Satan in High Heels », même si
Henri Mancini ou Mundell Lowe sont, comme Michel Legrand, des
musiciens de grand talent. Le jazz est certes, comme le dit fort
justement Michel Laplace, une façon de jouer la musique (comme le
déclarait Jelly Roll Morton), mais il est aussi une musique dans
l’intentionnalité du musicien lui-même, ce qui explique le
« parce qu’une
improvisation raconte quelque chose comme l’image le fait »
de Corneau. Cette
anthologie, très illustrative de la musique de jazz à l’écran,
est très instructive et enrichissante. Le livret d’accompagnement
contient une foule de renseignements qui en éclaire toute sa
réalité. A lire et à écouter attentivement absolument. Et quand
aurons-nous le coffret de trois ou quatre DVD proposant les extraits
mêmes des films, associant l’image et le son ?
Grace Moment, New Feel, Move, Dolce
Divertimento, A, Nick D, Toscane, Carmignano, The End Is Always Sad,
Positive Mind Guillaume Vierset (g, comp, arr),
Jean-Paul Estievenart (tp, flh), Steven Delannoye (ts, ss), Laurent
Barbier (as), Félix Zurstrassen (b, eb), Antoine Pierre (dm) Enregistré en mai 2014, Bruxelles Durée : 1h 01’ 35’’ Igloo Records 258 (Socadisc)
LG = Liège. Attardons-nous – en
passant, si vous le voulez bien - sur la photo qui se trouve à
l’intérieur de la pochette : une contre-plongée au pied de
l’Escalier de la Montagne de Bueren, dans le centre historique de
la Cité Ardente. De quoi, en passant, vous inciter à visiter cette
ville wallonne encore trop méconnue par vous : les
Français ! En août 2012, sept liégeois gagnaient haut les
mains le tournoi des Jeunes Talents du festival « Jazz à
Dinant ». Le groupe de jeunes loups s’était constitué à
l’occasion d’une commande faite à Guillaume Vierset (g) pour
arranger des œuvres de compositeurs liégeois. On découvrait
ainsi : une version jazzée d’un hit d’André-Modeste
Grétry. Après quelques concerts à droite et à gauche dans toute
la Belgique, Guillaume Vierset a ouvert son répertoire à d’autres
instrumentistes jeunes et Belges et d’autres compositeurs (tous
Belges). Ainsi : Philip Catherine pour « Toscane »
et Lionel Beuvens pour « A ». L’incontournable montois
Jean-Paul Estiévenart (« The End Is Always Sad ») tient
maintenant le pupitre du trompettiste ; le louvaniste Steven
Delannoye : ceux du sax-soprano (« Dolce Divertimento»)
et du sax-ténor (« Nick D »). Imparable, Antoine Pierre
(dm) soutient la charpente avec la maestria d’un
compagnon-bâtisseur (« Move » « Positive
Mind »). Igor Gehenot met sa créativité au service de la
collectivité (« The End Is Always Sad »). Laurent
Barbier (as sur « Newel » et « Carmignano »)
et Félix Zurstrassen ( eb sur « A », b sur « The
End Is Always Sad ») réjouissent par leur maturité révélée.
Il s’agit avant tout d’une musique collective (« Nick
D »); une musique qui a muri pendant deux ans ; une
musique participative où chacun trouve une place au service des
belles compositions et des arrangements d’un leader :
Guillaume Vierset, qui ose relire l’œuvre magistrale de Philip
Catherine (« Toscane »). Au long des plages, ce sont bien
les ensembles qui priment sur les individualités. Les souffleurs
viennent en réponse aux phrases des solistes pour les magnifier en
plaçant une virgule ici ; un point d’exclamation, une
affirmation : là (« Dolce Divertimento », « Nick
D »). L’écriture est riche du début jusqu’au but ; les
thèmes s’articulent comme des oratorios ; les couleurs sont
vives (« Move »), les rythmes variés (questions réponses
afro-cubaines entre Igor et Jean-Paul dans « A »). La
mise en place est rigoureuse comme elle peut l’être avec les
grands orchestres (voir le B.J.O). Je ne suis pas loin de penser que
Guillaume Vierset va s’affirmer pour ses écrits comme un digne
successeur de Michel Herr (p). Un premier tir. Mais un tir qui va
droit au but !
Just
Teasing You, Lou's Fantasy, Bossa Plus, Romain's Recipe, Logically,
To Beat or Not to Beat, Street Song, Raindrops Keep Falling on My
Head, Munsterioso, We Remember Chet Bernard
Hertrich (g, voc), Ludovic de Preissac (p), Francis Fellinger ou
Werner Brum (b), Mourad Benhammou (dm) Enregistré
les 4 et 5 mai 2013, Ensisheim (68) Durée :
51' 13'' Black &
Blue 779.2 (Socadisc)
Cet album
offre l’occasion de découvrir des musiciens qui, pour n’être
pas « Parisiens », sont ignorés par le grand public. Or,
depuis les années 2000, il est permis d’entendre – Internet
oblige – des artistes dont le talent n’a rien à envier à ceux
de la capitale. Au début des années cinquante, les provinciaux
« montaient » à Paris pour faire une carrière ;
Michel Hausser, auprès de qui Bernard Hertrich a passé une grande
partie de sa carrière, s’est fait connaître ainsi. Ils auraient
maintenant plutôt tendance de rentrer dans leur région, transports,
télécommunications aidant cette « relocalisation » de
la culture française. Et c’est
ainsi qu’à 55 ans, enfin, Bernard Hertrich nous propose son
premier album en tant que leader. Pour l’occasion, il a invité
dans son Alsace natale deux représentants majeurs de la fine fleur
de la scène parisienne du jazz, le pianiste Ludovic de Preissac et
le batteur Mourad Benhammou, pour enregistrer un bien bel album dans
une petite cité martyrisée par les bombardements de février 1945,
Enseishem. Bernard ne se contente pas seulement de bien jouer ;
la presque totalité de ces faces sont des compositions personnelles
largement influencées par l’esthétique du be-bop qu’il a tétée
dans la formation de Michel Hausser, dont il reprend une composition
« Munsterioso » à la structure powellienne. Les
protagonistes s’en donnent à cœur joie : Ludovic bien sûr,
de plus en plus accompli dans ses soli, mais également Mourad qui
drive tout ce beau monde avec la maestria qu’on lui connaît. Mais
il convient d’écouter Hertrich, dont le style puise dans la
tradition américaine (école Kenny Burrell), ce qui est original en
Alsace marquée par la tradition manouche. Les deux contrebassistes,
Francis Fellinger et Werner Brum, ne se contentent pas d’accompagner
seulement. Leur mise en place est tout à fait remarquable, certes,
mais leurs interventions en solo démontrent une belle maîtrise
technique de l’instrument (cf. Werner Brum sur la composition de
Michel). Lou’s
Fantasy est un excellent
album, représentatif d’une école de la guitare jazz quelque peu
sous représentée dans notre pays.
'Tain't
What You Do, Begin the Beguine, I'm Confessin, Summit Ridge Drive,
Cherokee, Smoke Gets in Your Eyes, Drum Boogie, Special Delivery
Stomp, Sophisticated Lady, Frenesi, You're Looking at Me, Dr.
Livingston I Presume Claude Tissendier (cl, as), Jerôme
Etcheberry (tp), Gilles Rea (g),
Jean-Pierre Rebillard (b), Alain Chaudron (dm) Enregistré
les 15 mars 2013 et 3 avril 2014, Paris Durée :
56' 14'' Black &
Blue 794.2 (Socadisc)
Claude
Tissendier ravit ses auditeurs, depuis qu’il a gravé, dans les
années 1980, son premier album en tant que leader, Tribute
to John Kirby. Et tout au
long de ces trente dernières années, en labourant les même sillons
qu’il grave, à raison d’une galette tous les deux ou trois ans,
un petit bijou musical construit autour d’une idée, d’un thème
qui donne à réfléchir à ceux pour qui la musique donne sens au
temps qui passe, à la vie. Poursuivant l’exploration de cette
musique avec son air de ne pas y toucher – la finesse du pédagogue
intelligent –, il propose une sorte mise en perspective de deux
répertoires rarement exploités et en apparence – seulement –
opposés : ceux d’Artie Shaw et de Willie Smith. Le premier
était, jusqu’alors, assez peu exploré et même voué aux gémonies
par les anciens et les modernes ! Musicien jamais accepté
dans le monde du jazz – il lui fut, avant tout et toujours,
reproché ses succès –, il a pourtant permis à beaucoup
d’authentiques jazzmen de vivre de leur métier, la musique, en une
période où sévissait un chômage endémique grave. Le second,
Willie Smith, fait au contraire figure de « génie méconnu »
de l’alto dans le monde fermé du jazz. Il bénéficierait même
d’une sorte de privilège : celui d’être la récompense
« Pour ceux qui connaissent le jazz » et, pas seulement,
pour ceux qui l’aiment. Originalité
de l’album, la formule, empruntée au Gramercy
Five de Shaw constitué en
septembre 1940 – Billy
Butterfield (tp), Artie Shaw (cl), Al Hendrickson (g), Jud DeNaut (b)
Nick Fatool (dm) – duquel a été retiré le clavecin alors confié
à Johnny Guarnieri. La partie
harmonique est confiée aux seules guitare, de Claude Rea, et
contrebasse, de Jean–Pierre Rebillard. Jérôme Etchéberry (tp)
complète la section mélodique de l’ensemble drivé par la
batterie d’Alain Chaudron. Dans cette
évocation, Tissendier a pris le soin de conserver l’esprit de
chaque musicien sans se priver d’apporter sa touche personnelle à
la lettre, aidé en cela par tous les participants. La section
rythmique assure une mise en place remarquable sur laquelle la
section mélodique et les solistes ont la possibilité de jouer en
toute liberté. Alain Chaudron est présent sans jamais écraser
l’ensemble et son jeu aux balais est remarquable de sensualité.
Jean-Pierre Rebillard brille par la rigueur de sa ligne qui structure
la formation dans le développement du discours. Gilles Réa a la
lourde tache de faire le liant du groupe ; il y parvient avec
bonheur sans se priver de quelques interventions en solo
particulièrement bien trouvées, tendance Oscar Moore. Jérôme
Etchéberry a beaucoup gagné en maturité et en sérénité dans le
développement du discours. Présenté comme un héritier d’Harry
Edison, Roy Eldridge, Joe Newman ou Frankie Newton, il y apporte sa
générosité et sa parfaite connaissance de cette littérature ;
dans cet album, il évoque parfois Charlie Shaverset surtout, par la
concision de sa phrase, le Cootie Williams armstrongnien.
Quant à Claude Tissendier, il surprend encore, comme dans chaque
nouvel enregistrement. Un point commun sur les deux instruments,
l’élégance : rien d’outrancier ou de démonstratif. Un
parfait équilibre entre la ligne mélodique et le mode d’expression.
Dans ces plages, bien que relisant Willie Smith touché par « The
Rabbit », il évoque plus, par le ton, Benny Carter que Johnny
Hodges. A la clarinette, son aisance technique jazzique le rattache à
l’école de Benny Bailey (plus qu’à celle de Goodman) ; et
de ce point de vue, c’est en référence au technicien de
l’instrument, Artie Shaw, que ces interprétations personnalisées
sont intéressantes. Les
arrangements simples et structurés mettent en valeur un quintet
original qui swingue et tourne superbement. Les musiciens excellents
ont visiblement plaisir à jouer ensemble. Swingologie
est une très belle réalisation phonographique qui fait honneur à
ses réalisateurs et au jazz.
Emler / Tchamitchian / Echampard Sad and Beautiful
A Journey Through Hope, Last Chance,
Elegances, Second Chance, Tee Time, By the Way, Try Home Andy Emler (p), Claude Tchamitchian
(b), Eric Echampard (dm)
Enregistré en juillet et août 2013,
Pernes-les-Fontaines (84) Durée : 45' 22'' La
Buissonne RJAL397018 (Harmonia Mundi)
Ce trio fut créé en 2003, et le voilà
qui sort son troisième disque. Certains estimeront que c’est peu,
mais au moins ces trois musiciens prennent le temps de faire mûrir
et de développer leur musique.
Le piano d’Emler sonne admirablement,
et il a un beau sens des nuances, le tout mû par l’énergie rock
qu’on lui connaît dans son Mega Octet. Le batteur est un maître
de rigueur et d’à propos, tandis que le contrebassiste est plutôt
du côté de la tendresse, de la rêverie, ce qui n’exclut pas la
force. Il est remarquable dans « A Journey Through Hope »,
« Un voyage à travers l’espoir » ce qui résume bien
son jeu : après une intro à l’archet sur des harmoniques il
passe pizzicato avec de splendides montées crescendo et retour.
« Second Chance » est un magnifique chant de la
contrebasse. On goûte le côté méditatif du groupe dans
« Elegances » (là encore le titre parle) avec un prenant
dialogue piano-basse qui se développe ensuite en trio sur un motif
répétitif. Et sur « By The Way », (au fait !) ça
déménage, le batteur est à son affaire, et les longues tenues à
l’archet derrière le piano, c’est un sacré beau moment. C’est un vrai trio, dans lequel le
dialogue, l’interaction entre les trois musiciens, sont un partage
de création, dans lequel il n’y a pas de hiatus entre l’écriture
et l’improvisation, ce qui signe justement un réel travail
collectif. Le disque est plus « beautiful » que « sad »,
mais les deux notions se marient très bien, dans l’expression de
ce que l’on pourrait appeler un romantisme d’aujourd’hui.
Sarah Bell Wallace, Blues : Cosmic
Beauty, Zulu Water Festival, Dark Lady of The Sonnets, Mbira Wadada Leo Smith (tp, flh), Min
Xiao-Fen (pipa, voc), Pheeroan akLaff (dm) Enregistré les 24 et 25 janvier 2007,
Finlande Durée : 56' 13'' TUM Records 023 (www.tumrecords.com)
Ce disque est construit comme une suite
en différents mouvements. Wadada Leo Smith y joue magnifiquement de
la trompette et du bugle, mais constant dans son choix d’instruments
peu fréquents, il est en compagnie d’un pipa, qui est une sorte de
luth chinois qui se tient droit sur les genoux, manche vers le haut,
au son aigrelet, avec un jeu qui a la légèreté de la mandoline,
dont les cordes peuvent être aussi frappées. C’est un instrument
à quatre cordes vieux de plus de 2 000 ans : Min Xiao-Fen
en est une virtuose, aussi bien pour la musique traditionnelle que
pour la musique d’avant-garde. Elle chante et compose également.
Voilà qui ne pouvait qu’attirer Wadada. Le mbira dont il est fait
référence dans un titre est le piano à pouces africain, beaucoup
plus connu chez nous. Wadada joue souvent avec une grande
douceur, surtout au bugle, avec une parfaite maîtrise du souffle et
de toutes les techniques. « Sarah Bell Wallace » est une
sorte de longue incantation très prenante où domine la trompette.
Dans « Blues : Cosmic Beauty » on est dans un
débordement façon free, manifestement Min est perdue et gratouille
son pipa comme elle peu, mais on passe en tempo lent et le duo
pipa-trompette n’est pas mal, après un solo de batterie revigorant
on entend quelques étranges vocalises de Min. Et « Zulu Water
Festival » révèle un grand et bel échange Min-Wada. Wadada
s’empare brillamment de l’ostinato du pipa, et après quelques
appels de la trompette le chant de Min s’élève épaulé par la
trompette bouchée sur un tempo très lent. Min possède une voix
pure de soprano, qui monte facilement dans l’aigu. On est dans la
beauté. Dans le titre éponyme Min utilise son pipa en percussion,
ce qui fonctionne bien avec la batterie. « Mbira » est
pris rubato lent, avec de longues tenues de la trompette et des sons
de la voix en écho. Les compositions et les paroles sont de Wadada
lui-même. C’est un disque qui sort du commun
bien sûr, qui est très facile d’écoute, qui reste malgré tout
dans la sphère du jazz ; et c’est aussi un vrai trio basé
sur le partage à trois voix.
Hot Club de Madagascar Guitares manouches et voix malgaches
12 titres
Erick Manana (voc, g), Solo
Andrianasolo (voc, g solo) Benny Rabenirainy (voc), Dina Rakotomanga
(b) + Jenny Furh (vln), Passy Rakotomalala (perc) Enregistré à Bègles, date non
précisée Durée : 48' 13'' Ternaire Bleu 01TBHCM12/1
(www.hot-club-madagascar.com)
Les quatre musiciens du Hot Club de
Madagascar se revendiquent arrières petits enfants du grand Andy
Razaf (1895-1973) qu’on déclare « Cœur américain, âme
malgache », qui est en fait le compositeur de deux fabuleux
standards : « Ain’t Misbehavin et Honeysuckle Rose ».
Andy Razaf est né à Washington, mais son père était le neveu de
la reine Ranavalona III d’Imerina, un royaume de Madagascar. On
voit qu’ils placent la barre des origines très haut. Qu’en
est-il de la musique ?
Ce sont quatre joyeux drilles qui
chantent en groupe, avec un soliste Benny Rabenirainy, assez
emphatique. Le côté guitares manouches est bien là, assez
simpliste, mais le soliste est bon, bien que ses solos soient très
linéaires. Le quartette s’empare aussi de rythmes brésiliens,
sambas, bossas, et en donnent leur interprétation. On estdans de la variété
malgache d’essence plus ou moins jazz ; ce qui n’a rien
d’infamant, tant les musiciens sont sincères et remplis de joie. Un disque soutenu par l’Institut français de Madagascar
qui nous permet ainsi d’entendre un peu de ce qui se fait là-bas.
CD 1 : Intoduction, Directions,
The Mask, It's About That Time, Bitches Brew, The Theme,
Paraphernalia, Footprints ; CD 2 : Directions, The Mask,
It's About That Time, Bitches Brew, The Theme, Spanish Key, The
Theme ; CD 3 : Directions, The Mask, It's About That Time,
I Fall in Love too Easily, Sanctuary, Bitches Brew, The Theme, Miles
Run the Voodoo Down ; CD 4 : Directions, The Mask, It's
About That Time, I Fall in Love too Easily, Sanctuary, Bitches Brew,
Willie Nelson, The Theme Miles Davis (tp), Steve Grossman (ts),
Chick Corea (key), Keith Jarrett (org, key), Dave Holland (b), Jack
DeJohnette (dm), Airto Moreira (perc) Enregistré du 17 au 20 juin 1970, New
York et le 11 avril 1970, San Francisco Durée : 1 h 08' 45'' + 58' 01'' +
1 h 06'18'' + 57' 28'' Columbia Legacy 88765 43381 2 (Sony
Music)
L'année 1970 est cruciale pour Miles
Davis car elle marque la rupture définitive avec le jazz issu du
bebop et ses différents quintets. Les nouvelles générations de
spectateurs se détournent du jazz et se passionnent pour le rock
dans ces nouveaux temples que sont les Fillmore West à San Francisco
et East à New York. Dès le mois de mars 1970, il est pour deux
soirées au Fillmore East et les concerts sont enregistrés par
Columbia. Malheureusement, les ingénieurs chargés de
l'enregistrement, peu habitués au niveau sonore des concerts de rock
ne parviendront pas à éviter les distorsions qui rendent la musique
peu audible : les bandes resteront dans les réserves de
Columbia. Du 11 au 17 avril Miles est au Fillmore West au même
programme que le Grateful Dead pour le plus grand plaisir de Jerry
Garcia. Du 17 au 20 juin, Miles revient au Fillmore East et
l'enregistrement est cette fois-ci réussi. Ce sera le dernier
concert du groupe dans cette salle new-yorkaise. Au mois d'août, il
donne le fameux concert de l'Ile de Wight dont la vidéo a été
publiée par Columbia. Il revient encore au Fillmore West pour quatre
jours au mois d'octobre de cette même année et une ultime fois à
la salle de San Francisco du 6 au 9 mai 1971. Ensuite ces temples du
rock fermeront les uns après les autres et Miles Davis réintègrera
le circuit habituel des musiciens de jazz. Les quatre CD présentés
ici reprennent l'intégrale des concerts des quatre dates
new-yorkaises de juin 1970 avec trois morceaux du concert du 11 avril
1970 à San Francisco. Les années précédentes étaient des
années de transition : la musique demeurait parfois acoustique,
en particulier lors des concerts, alors que les enregistrements
studio faisaient de plus en plus appel aux instruments électriques.
Ayant sauté le pas, la musique est désormais totalement électrique,
les thèmes changent même si certains morceaux acoustiques sont
réinterprétés. Alors que les précédentes versions (l'album Miles Davis at
Fillmore) avaient été remontées par Teo Macero (tout devait
rentrer sur les quatre faces d'un double vinyle), cette fois-ci la musique se présente enfin dans sa continuité. L'intérêt de
ces lives est d'abord le dimension expérimentale,
l'exploration des nouveaux instruments et la recherche perpétuelle
d'une sonorité de groupe. La plupart des sidemen sont jeunes, au
début de leur carrière et sont attirés par les nouvelles
directions du jazz. Ainsi Chick Corea au piano électrique développe
une sonorité qui va l'emmener vers Anthony Braxton aussi bien que
vers le groupe Return to Forever. Keith Jarrett joue en quartet avec
Dewey Redman tout en obtenant un large succès avec ses « solos
concerts ». Il en est de même pour Dave Holland et Jack
DeJohnnette qui partiront dans diverses directions. Miles Davis
paraît particulièrement à l'aise avec cette musique. Il peut jouer
avec de très courtes séquences et largement développer certains
longues phrases tout en maintenant en permanence une très grande
tension. Il s'appuie sur un accompagnement toujours en recherche de
sonorités différentes qui le pousse perpétuellement vers un au
delà de ce qu'il propose. Sa sonorité demeure toujours identique et
son jeu ignore toujours le vibrato. Il ne crée l'émotion que par
une tension interne constante avec de nombreuses ruptures
harmoniques. Chick Corea pousse dans une direction de plus en plus
libre et utilise en accompagnement les nappes sonores. Keith Jarrett
à l'orgue est beaucoup plus discret. Il déclarera ne pas être à
l'aise dans ces groupes et sera l'absent remarqué du concert à la
Villette en juillet 1991. Mais les aspects les plus libres de cette
musique viennent surtout de la section rythmique où la basse
électrique de Dave Holland apporte sûreté rythmique et richesse
harmonique, laissant à Jack DeJohnette et Airto Moreira toute
latitude pour apporter des couleurs supplémentaires à cette
musique. Seul Steve Grossman, très coltranien, semble avoir du mal à
trouver sa place dans ce groupe électrique. Par la suite, les solos
de Dave Liebman seront souvent déplacés ou même totalement
supprimés lors du montage par Teo Macero. Tous les morceaux
s'enchaînent et la sono très puissante ne laisse aucune place aux
réactions de la salle. Après le concert de l'île de Wight Chick
Corea quitte le groupe et laisse Keith Jarrett seul aux claviers. Il
reviendra épisodiquement et la prochaine étape sera l'introduction
des guitares et une musique souvent moins expérimentale et qui tend
de plus en plus vers le funk. Un important livret avec de nombreux
documents complète parfaitement cette réédition, même si on
aurait préféré avoir l'intégrale des concerts aux Fillmore East
et West.
Miles Davis Live in Paris. 21 mars / 11 octobre 1960
CD1 : All of
You, So What, On Green Dolphin Street, Walking, Bye Bye Blackbird,
'Round About Midnight, Oleo, The Theme Miles
Davis (tp), John Coltrane (ts), Wynton Kelly (p), Paul Chambers (b),
Jimmy Cobb (dm) Enregistré
le 21 mars 1960, Paris Durée :
45’ 20’’ + 40’ 51’’ CD 2 : Walkin',
Autumn Leaves, Four, Unidentified, 'Round Midnight, No Blues, The
Theme, Walking, If I Were a Bell, Fran Dance, Two Bass Hit, All of
You, So What, The Theme Miles
Davis (tp), Sonny Stitt (ts), Wynton Kelly (p), Paul Chambers (b),
Jimmy Cobb (dm) Enregistré
le 11 octobre 1960, Paris Durée :
1h 00’ 06’’ + 58’ 36’’ Frémeaux
& Associés 5451 (Socadisc)
Lorsqu'à
la fin de l'hiver 1959-1960 Miles Davis se prépare à partir pour
une nouvelle tournée en Europe, il désire emmener avec lui son
quintet habituel. Or John Coltrane, qui est depuis cinq ans avec le
trompettiste, pense qu'il est prêt à voler de ses propres ailes et
ne souhaite pas le suivre en tournée. Les deux personnalités se
heurtent, mais Miles finit par avoir gain de cause et le
saxophoniste, bon gré mal gré, le suit dans cette dernière
aventure. Mais, tout au long de la tournée, Coltrane est distant, de
mauvaise humeur et se coule de moins en moins dans le modèle de son
leader. Il prend des solos de plus en plus longs (et lorsqu'il dit à
Miles Davis qu'il ne sait pas comment s'arrêter celui-ci lui répond
« tu n'as qu'à enlever ta p... d'embouchure de ta p... de
bouche »).
L'ambiance
au sein du quintet tout au long de la tournée est donc assez
houleuse et la cohésion de l'ensemble est très précaire. Ce
concert du 21 mars 1960 en est un bon exemple. Le public est venu
voir et écouter Miles Davis et c'est la première fois que John
Coltrane vient en Europe. Heureusement, la section rythmique est très
solide et compense les difficultés entre le leader et un
saxophoniste. Après un premier long solo de Miles, celui de Coltrane
est encore plus long et quelques sifflets du public apparaissent déjà
vers la fin de son intervention très fouillée mais encore bien peu
aventureuse. Wynton Kelly n'est pas en reste et intervient lui aussi
longuement. Une nouvelle intervention de Miles, tout aussi
aventureuse que celle de Coltrane, conclut ce « All of You »
de 17 minutes. En tout cas, il est clair que le trompettiste est
entré dans une zone de turbulences musicales. Le quintet est en
train d'exploser tant chacun souffre de la confrontation entre le
leader et son saxophoniste. Les interventions de Coltrane sont déjà
magistrales. Il tire vraiment la couverture à lui et Miles Davis ne
masque son dépit qu'en jouant lui aussi de façon curieuse,
essayant, sans succès, de se mettre à son diapason. Une partie du
public ne supporte pas les longues phrases de Coltrane, les nappes de
sons, son jeu de plus en plus rapide et une improvisation de plus en
plus loin du thème. Présenté sur le disque comme un seul concert,
la lecture de Jazz Hot
n°152 de mars 1960 indique que deux concerts avait été programmés
pour chacun des trois groupes proposés par Norman Granz (Miles
Davis, Oscar Peterson, Stan Getz). Or nous n’avons pas d’indication
sur la provenance des enregistrements : viennent-ils des deux
concerts ou d’un seul ? Nous savons que l'accueil du public et
de la critique a été assez houleux (Jazz Hot n°154). Henri Renaud
et Jef Gilson défendirent Coltrane et stigmatisent le manque
d'ouverture d'un certain public. Quelques
mois plus tard, Miles Davis revient à Paris avec un quintet quasi
identique, à la notable exception que John Coltrane est
définitivement parti. Il a donc engagé Sonny Stitt saxophoniste
classique de l'époque de Charlie Parker qui ne va pas chercher à
mettre son leader en difficulté avec une musique que celui-ci ne
peut jouer. Au contraire, avec la même section rythmique et un
nouveau saxophoniste qu'il connaît bien, la formation retrouve une
cohésion qu'elle n'avait pas dans la tournée précédente. Le
répertoire est à nouveau celui des années 50 avec tous les thèmes
enregistrés chez Prestige. Cette fois pas de sifflements, le public
a retrouvé le Miles Davis qu'il attend. Mais quel retour en
arrière ! Même si le niveau musical de l'ensemble est très
élevé, il n'est pas du tout dans le sens d'une évolution de la
musique telle que la désirait probablement Miles Davis. Sonny Stitt
est le premier d'une longue série de saxophonistes dont George
Coleman sera le plus représentatif et Sam Rivers le plus inattendu.
Heureusement Wayne Shorter que Miles Davis refuse alors va arriver en
1964 et le troisième quintet va voir le jour avec un succès sans
précédent : il réalisera alors ce qu'il avait désiré avec
Coltrane. Ces
quatre disques sont passionnants, moins par la valeur intrinsèque de
la musique que par le témoignage historique qu’il constitue. C'est
une indispensable leçon de jazz. Mais on peut regretter les
imprécisions du livret jusqu’à la photo de pochette anachronique
puisqu’on y distingue Herbie Hancock, Tony Williams et même la
main de Ron Carter. Il s’agit en effet du troisième quartet de
Miles et il ne verra le jour que trois ans plus tard.
A Love
Supreme (poem), Introduction, Part 1. Acknowledgement, Part 2.
Resolution, Part 3. Pursuance, Part 4. Psalm Christophe
DalSasso (arr, dir), Stéphane Belmondo (tp), Erick Poirier (tp),
Laurent Agnès (tp), Merrill Jerome Edwards (tb), François Christin
(french horn), Bastien Stil (tuba), Dominique Mandin (as), Lionel
Belmondo (ts), Sophie Alour (ts), Guillaume Naturel (ts, cl), Laurent
Fickelson (p), Clovis Nicolas (b), Philippe Soirat (dm), Dre
Pallemaerts (dm), Allonymous (voc) Enregistré
le 27 février 2002, Paris Durée :
37’ 37’’ Jazz &
People 814001 (Harmonia Mundi)
La suite
A Love Supreme
tenait particulièrement à cœur John Coltrane et il l'a
malheureusement peu jouée en public. De même, très peu de reprises
ont été faites à part celle d'Elvin Jones avec Wynton Marsalis
(uniquement en concert) et quelques extraits par d'autres musiciens,
Branford Marsalis en particulier. Celle de du big band de Dal Sasso
avec les frères Lionel et Stéphane Belmondo est une excellente
nouvelle. En effet une pièce aussi emblématique soit-elle, si elle
n'est pas jouée, adoptée, transformée n'a plus de véritable
existence. Mais apparemment cette œuvre qui sort aujourd'hui après
avoir été enregistrée en 2002 a eu beaucoup de difficultés à
être diffusée puisqu'il a fallu une souscription auprès du public
pour qu'elle soit enfin publiée. Le big band Dal Sasso – Belmondo
nous offre une version à la fois proche et différente de l'original
de John Coltrane. Le poème qui figurait au dos de la pochette du
vinyle original est récité en ouverture par Allonymous avec une
improvisation de Christophe Dal Sasso, des frères Belmondo et de Dre
Pallemaerts. L'introduction est également un apport de Christophe
Dal Sasso qui annonce l'esprit dans lequel la suite de John Coltrane
va être reprise. La suite elle-même est profondément remaniée,
même si elle reste constamment dans l'esprit de la suite originale.
Chacune des quatre parties est présente mais raccourcie malgré la
présence de solos de plusieurs instrumentistes, comme si tous les
interprètes, par révérence pour Coltrane, cherchaient à ne pas
s'exprimer trop personnellement. Lionel Belmondo a parfaitement
assimilé le jeu de John Coltrane et reste très proche de l'esprit
de la version originale dans la première partie « Acknowledgement ».
Les parties d'ensemble viennent souligner la volonté de Coltrane de
faire une prière et apportent une sorte d'élévation de la musique.
C'est Clovis Nicolas qui introduit « Resolution », la
deuxième partie comme le faisait parfois Jimmy Garrison en de longs
solos introductifs (malheureusement coupés à la production !).
Après l'entrée de l'orchestre pour présenter le thème, Laurent
Fickelson prend un solo extensif à nouveau relancé par tout
l'orchestre. Dans la troisième partie, les solos sont partagés
entre la trompette de Stéphane Belmondo très volubile et brillante,
relancée deux fois par l'orchestre et Lionel Belmondo qui poursuit
sur ses improvisations des deux précédents mouvements bientôt
repris par l'orchestre qui le pousse vers la dissonance et le
discours déchiré qui sera ensuite celui de Coltrane. Le psaume
final est lancé par le tuba de Bastien Stil et reste dans les
sonorités graves et sombres jusqu'à ce que l'orchestre débouche
vers la lumière. L'apport principal de cette version de A
Love Supreme, outre les
solos bien construits, sont principalement les parties collectives.
Grace à cet ensemble et au travail des frères Belmondo et de
Christophe Dal Sasso, la suite prend une autre dimension tout en
demeurant fidèle à l'esprit de l'original.