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© Jazz Hot 2017
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Paris en clubs Juillet-Août 2017
Michel Pastre (ts) est un
habitué du Caveau de La Huchette et
chaque prestation qu’il nous offre est toujours très soignée. C’était encore le
cas ce 6 juillet. Rappelons que
Michel est un passionné de Lester Young. De temps en temps, il s’amuse à
incliner son saxo à la manière de ce grand musicien. Rappelons ici qu’il est
également le chef, depuis plusieurs années, d’un Big Band qui joue la musique
de Count Basie. Ce soir, les spectateurs et les danseurs sont nombreux et la
piste de dance est pleine de jeunes et moins jeunes. Tous ces danseurs se
dépensent joyeusement et créent une ambiance très sympathique. Le quartet de
Michel comprend un brillant pianiste César Pastre (p) qui n’est autre que le
fils de Michel et qui s’affirme de plus en plus. Cédric Caillaud (b) et
Stéphane Roger (dm) viennent apporter leurs compétences et leur bonne humeur à
ce groupe bien constitué pour jouer au Caveau de la Huchette. Au cours de sa
carrière, Michel a joué avec plein de musiciens au Caveau et ailleurs, et il a
eu de fortes interactions avec eux. Aujourd’hui, il est un professionnel
brillant, reconnu par tous et il a un répertoire riche. Au Caveau, son swing
entraînant, fait lever les danseurs qui ne laissent pas leur place sur la piste
de dance. Ce soir, le quartet de Michel nous fera apprécier, entre autres, les
morceaux suivants: «Leapin’on Lenox», «Star Fells on Alabama», «Soul Burnin’», «The
Godfather» de Nino Rota, «Tickle Toe», «Stolen Sweets» ou encore «Jumping
with Cesar», une composition du leader. GH
Le
22 juillet, le trio de Romain Pilon (g) invitait Walter Smith III (ts) sur la scène du Sunside dans le cadre du traditionnel
«American Jazz Festiv’Halles» organisé par le club de Stéphane Portet. Avec la
stabilité et le caractère presque pneumatique permis par la section rythmique sans
défaut de Matyas Szandai (b) et Fred Pasqua (dm), ils ont donné un concert
formidable, tout de finesse et de musicalité. Romain Pilon est un guitariste
qui ne fait jamais dans la démonstration gratuite. En tant que leader, il met
ses connaissances harmoniques étendues au service de la musique, proposant un
discours musical très élaboré dont les notes précieuses voient leur pouvoir
d’évocation encore renforcé par la parcimonie et le goût avec lequel elles sont
égrenées sur sa guitare custom. Ses lignes semblent jaillir littéralement des
gammes et de la grille d’accords employées, avant un retour au jeu en positions
si naturel qu’il laisse pantois une bonne partie du public. Ce modèle
d’inspiration trouve son équivalent dans la figure du funambule Philippe Petit,
auquel le groupe dédie «Man on a Wire»,
un titre au rythme instable et sautillant, tout à fait dans le ton du gig
proposé par le quartet. «Cycles» et un morceau sans titre calment un peu le
jeu, avant que «Seventh Hour», tiré de The
Magic Eye, l’album le plus récent gravé
par la formation, ne propulse au premier plan le jeu très volubile de Walter
Smith III, entendu il y a peu sur un album de Laurent Coq dédié au personnage
de La Fayette. L’enchaînement «Quiet» et «Serenity» met en exergue la grande
maitrise digitale de Romain Pilon, qui enchaîne les neuvièmes et les treizièmes,
tout en produisant des accents très émouvants au moyen d’attaques de cordes nuancées
et de résonances savamment modulées. Un titre dédié à Joe Henderson, un autre à
Wes Montgomery, en guise de révérence vis-à-vis des grands anciens, et le
concert se termine sur un chorus endiablé de Walter Smith, qui incendie littéralement
«Limbo», célébrant de toute sa vigueur (le saxophoniste, comme possédé,
accompagne avec le corps ses soli) la légende vivante qu’est Wayne Shorter. Un
très beau concert, dont les harmonies célestes résonnent longtemps après que
les dernières notes ont retenti dans la salle, et la preuve qu’il est encore
aujourd’hui des musiciens de jazz qui gardent
les oreilles ouvertes en vue de dégager des voies nouvelles sans rien sacrifier
au culte du paraître. JPA
Le
9 août, la grande Mandy Gaines (voc) était au Caveau de La Huchette, entourée de sa
rythmique française, les excellents Cédric Chauveau (p), Nicola Sabato (b) et
Mourad Benhamou (dm). La venue de la chanteuse de Cincinnati, qui devait se
produire à Marciac le lendemain, n’est pas passée inaperçu: ce soir, comme la
veille, le Caveau était plein au point que le public est venu progressivement
s’assoir sur la piste de danse, devenue impraticable pour les adeptes du
be-bop. La Huchette semble donc (et c’est tant mieux) toujours bénéficier de
l’effet La La Land, particulièrement
visible en période d’affluence touristique. Quelles que soient les raisons qui
ont amené ce public nombreux et enthousiaste, ce dernier en eu pour son compte,
bénéficiant de la présence d’une artiste à l’expression authentiquement jazz.
De «Exactly Like You» à «The Lady Is a
Tramp», Mandy Gaines a interprété les standards avec un swing naturel qui remet
les pendules du jazz à l’heure (ce qui est réconfortant en cette période festivalière
où le jazz n’est souvent plus qu’un prétexte). Un régal partagé avec les
musiciens trop heureux d’accompagner une jazzwoman de cet acabit et donnant, du
même coup, le meilleur. JP
On
commence de plus en plus à entendre parler de Marvin Parks, installé à Paris depuis quatre ans. Le chanteur, qui
a choisi comme principal lieu d’expression le métro parisien, s’en sert
également pour attirer le public à ses concerts (en plus d’être très actif sur
les réseaux sociaux). Le fait est que cela fonctionne, car l’ami Marvin faisait
le 18 août salle comble à la Cave du 38 Riv’. Il était en cela fort
bien accompagné de son inséparable et précieux complice, Julien Coriatt (qui
est également depuis quelques temps le pianiste attitré de Denise King), d’Adam
Over (b) et, en invité spécial, de Lawrence Leathers (qui tient les baguettes
habituellement pour Cécile McLorin-Salvant). Un trio impeccable, donc, pour
appuyer l’interprète présentant ce qui n’est pas seulement un concert, mais un
spectacle: Marvin Parks: American Jazz Singer. Baigné depuis l’enfance
dans la musique populaire américaine et les chansons de Broadway (qui sont le
premier creuset des standards du jazz), le natif de Baltimore (dont les amours
musicales vont de Nat King Cole à Barbara Streisand) enchaîne les titres les
plus courus du répertoire avec simplicité et naturel («Old Devil Moon», «On a
Clear Day», «I Fall in Love too Easily»…) et un certain lyrisme dans
l’expression issu du chant gospel. Chaque morceau est ponctué par une anecdote
racontée avec humour –Marvin se moquant même de sa propre adoration pour les
divas du jazz en effectuant le second set avec un boa autour du cou– et
dessinant au fil de la soirée le portrait d’une personnalité atypique, comme
seul le jazz peut en produire. JP
Le 30 août,
Big Daddy Wilson (voc, perc) a pris
la scène du Duc des Lombards pour un
concert tout de décontraction et de convivialité, dans le cadre de sa tournée
de promotion de l’album Neckbone Stew. Avec Cesare Nolli (g, voc), Paolo
Legramandi (eb) et Nik Taccori (dm, voc), le bluesman a littéralement inondé le
club parisien de musicalité joyeuse et composite. Le leader présente la
particularité d’avoir connu le blues en Europe, bien qu’originaire du sud des
USA, où il était exposé à une culture gospel et country. Implanté en Allemagne,
qu’il a connue au moment de son service militaire et où il a rencontré sa
femme, il pratique un blues ouvert sur le monde, croisé avec de multiples
courants musicaux contemporains, comme le reggae jamaïcain. Après une entrée en
matière très laid-back, presque acoustique, le groupe étonne en reprenant «Nobody’s
Fault but Mine», popularisé par Led Zeppelin en Europe mais originellement
interprété par Blind Willie Johnson. Cette sorte de retour aux sources du
gospel blues est une trouvaille géniale du chanteur qui célèbre ses racines de
la plus belle des manières en entame de concert. Le guitariste a un son travaillé
au phasing et au flanger, avec pas mal de reverb
qui l’oblige à bien détacher chaque note quitte à ralentir ses licks (sauf au moment des chorus). «Time
to Move», sur lequel l’artiste nous rappelle que le temps n’est pas notre ami,
n’inquiète personne tant l’atmosphère quasi rasta développée par la formation
rallie tous les suffrages quel que soit le message véhiculé par les paroles de
la chanson. La guitare électrique à corps plein taille au cœur même du titre un
solo déchirant, tandis que la jolie basse à éclisses de Paolo Legramandi
apporte la souplesse nécessaire à une rythmique très élastique. «Cross Creek
Road» est scandé par un public déjà conquis qui ne se fait pas prier pour
frapper dans ses mains, tandis que l’atmosphère poisseuse du bayou est comme
ressuscitée par un bottleneck du plus
bel effet, superbe partie de guitare de Cesare Nolli. Enhardi par l’accueil
chaleureux qui lui est réservé, Daddy Wilson nous présente «Seven Years» en
nous disant que cette chanson évoque sa relation aux douze mesures du blues,
alors que «Neckbone Stew» incarne plutôt le côté funk et soul qui parcourt
l’ensemble de son œuvre depuis son tout premier album. «She Loves Me» est dédié
à son épouse, qui lui inspira ses premiers textes, et les harmonies vocales
proposées par les quatre musiciens sur ce morceau ne sont pas sans évoquer la
musique des Isley Brothers, avec un pont aérien jeté entre gospel et soul.
«Baby Don’t Like» ajoute les cocottes funky à ce déjà fort bel ensemble, conclu
par une magnifique coda a cappella sur laquelle Daddy Wilson s’avère vraiment un
lead vocalist exceptionnel. «Country
Boy» achève comme un symbole de reconstituer le parcours musical du bluesman,
après lequel un medley final vient conclure un set qui semble vraiment trop
court, sur lequel chaque musicien va tour à tour prendre le micro pour entonner
des classiques comme «Stand By Me» ou «Sittin’ on the Dock of the Bay», ce qui
place franchement cette fin de concert sous le haut patronage de Sam Cooke et
Otis Redding, et dans une atmosphère soul qui s’arrête délibérément avant le
psychédélisme de Sly and The Family Stones et de la West Coat. Une soirée
musicale chaleureusement applaudie, particulièrement festive et porteuse de
valeurs fédératrices. JPA
Textes: Jean-Pierre Alenda, Georges Herpe, Jérôme Partage Photos: Jean-Pierre Alenda et Jérôme Partage © Jazz Hot n°680, été 2017
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241e anniversaire de l'Indépendance des Etats-Unis Ambassade des Etats-Unis (Paris 8e), 29 juin 2017
Le 29
juin, à l’occasion du centenaire de la Grande Guerre et du 241e
anniversaire de l’Indépendance des Etats-Unis d’Amérique, l'Ambassade des USA à Paris invitait un jazz band tout à fait
exceptionnel pour rendre hommage aux musiciens du 369e régiment d’Infanterie du
lieutenant James Reese Europe, qui débarquait sur les côtes bretonnes il y a
bientôt cent ans.
Ainsi, The
Original Paris James Reese Europe Commemorative Orchestra réunissait, sous
la direction de Ricky Ford (ts): Mark Simms (tb), Sulaiman Hakim (as) Rasul
Siddik (tp), Bobby Few (p), Harry Swift (b) et Chris Enderson (dm), habillés en
costume d’époque ! Ils ont d’abord joué dans la cour d’accueil les
derniers morceaux enregistrés par James Reese Europe: «Jada», «Mirandy», «Jazz
Baby», «Russian Rag» et «Down Home Rag», avant que de reprendre «The Star
Spangleg Banner» dans une relecture soigneusement harmonisée par Ricky Ford.
Deux autres morceaux dont les arrangements ont été revus «Castel House Rag» et
«Half and Half» furent également proposés au public, avant que le groupe ne
rejoigne la grande scène du jardin où un des ensembles de l’Armée de l’Air des
Etats-Unis, The Wings of Dixie, venait de finir d’interpréter «L’Américana».
L’orchestre de "vétérans" du jazz repris ensuite «La Marseillaise» et «My
Choc Late Soldier Sammy Boy», toujours réarrangés par le ténor qui nous
confiait, après le concert, éprouver une immense reconnaissance
envers James Reese Europe et la fierté d’avoir joué sa musique.
Une évocation tout à fait mémorable, qui est
également un hommage à tous les musiciens américains venus s’installer à Paris
depuis la fin de la Première Guerre mondiale et qui ont transmis leur art aux
jeunes musiciens et amateurs français, échange fécond dont Jazz Hot est issu.
Texte et photo: Patrick Martineau © Jazz Hot n°680, été 2017
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Paris en clubs Juin 2017
Il est des rencontres entre un lieu, un artiste, une atmosphère
particulière, une rencontre telle que celle proposée en cette soirée du 1er juin au Caveau de La Huchette par Marie-Laure Célisse (voc, fl) et ses
Frenchy’s: César Pastre (p), Brahim Haiouani (b) et Lucio Tomasi (dm). Le
groupe nous présentait son premier album, Dansez
sur Moi, dans un esprit qui mêle adaptations de standards jazz avec des
chansons du patrimoine français, le tout interprété dans un esprit swing
particulièrement savoureux. En un lieu qui a très peu changé depuis
l’après-guerre, la complicité et la fraîcheur des protagonistes nous ramènent
tout naturellement à l’atmosphère des années cinquante et soixante. Le sens du
glamour de Marie-Laure Célisse, qui joue un rôle de chef d’orchestre empreint
d’une certaine malice (Brahim Haiouani, très pince-sans-rire lors de la
présentation des musiciens, lui attribuera même des compétences en matière de
santé mentale au sein de la formation), s’exprime ici dans une veine très
chorégraphique, et chacun de sentir la sincérité qui anime les musiciens sur un
répertoire qui est sans nul doute le reflet de passions musicales de toujours.
L’alchimie entre le piano de César Pastre et le joli falsetto de Marie-Laure
Célisse est enrichie et étoffée par l’expérience de Brahim Haiouani, qui assure
une pulsation rythmique sans faille avec le soutien de Lucio Tomasi, dont les
qualités s’avèrent essentielles sur scène comme sur disque, au cœur d’un projet
prouvant par l’exemple qu’une certaine humilité peut rimer avec la plus grande
des musicalités. La place prépondérante occupée par l’amitié et les échanges
avec le public, dans les concerts proposés par la formation, ressuscite un jazz
solidement ancré dans une époque que d’aucuns jugeraient révolue, n’était sa
beauté intemporelle qui lui confère paradoxalement une contemporanéité
certaine. Ce jazz-là trouve sa véritable raison d’être sur la scène, dans un
espace où son équilibre et sa dynamique se déploient sans contraintes. Le
disque des Frenchy’s exprime au reste très bien ce rapport implicite au live,
et les nombreux gigs donnés en tous lieux où le partage trouve droit de cité se
ressentent distinctement au travers de la vaste gamme des émotions proposées.
Cette expérience nous permet d’assister à une représentation riche de nuances,
avec des accents tantôt juvéniles, tantôt aguerris. Il y a un côté cabaret chez
la chanteuse, une élégance toute féminine qui ne se laisse jamais corrompre par
la morosité ambiante. Ce sens de la fête tissé de pure générosité, permet de
colorer avec tendresse les standards revisités, comme s’il s’agissait en
l’espèce de promouvoir une certaine idée du bonheur et de la vie. Avec une
telle vision du monde et de la musique, tout ce dont le combo s’empare
s’imprègne presque magiquement de swing, et nous rappelle que le jazz est aussi
et d’abord une musique de danse (les nombreux danseurs présents dans la salle
peuvent en témoigner). La communication avec le public, exemplaire, sert un
sens du plaisir et de la bonne humeur qui insuffle classe et élégance aux
parties instrumentales comme aux parties chantées, tandis que l’adaptation de
standards de la chanson française, dont les arrangements sont réalisés avec un
goût très sûr, permet à la chanteuse de s’approprier des classiques comme «C’est Mon Homme», «La Javanaise » et « Je ne
veux pas travailler». L’ambiance très jam session dans laquelle se déroulent
les trois sets autorise également des emprunts judicieux au répertoire
anglo-saxon, avec notamment de belles interprétations de «You Make Me Feel», «The
Lady Is a Tramp» et le morceau de bravoure qu’est «Route 66» pour les
Frenchy’s. Une bien belle soirée en forme de célébration d’un art de vivre et
d’être ensemble qui fait chaud au cœur et à l’âme. JPA
Paddy Sherlock, le fantasque tromboniste vocal a investi la
belle scène du Jazz Club Etoile, le 3 juin, pour une soirée complètement
débridée, comme il a l'habitude d'en proposer à son public. A ses cotés, les
fidèles Philippe Radin (dm) et Jean-Philippe Naeder (perc), accompagnés de
Philippe Dourneau (ts), Billy Collins (g), Stan Noubard Pacha (g) et Laurent
Griffon (b). Ce soir, il n’y aura que des compositions inédites, dont quelques-unes
n'ont encore jamais été jouées en public, et qui feront partie intégrante du
nouvel album à venir, comme «Babe our Love Is Here», «Going Down Dancing», «You're
too Good», «Take Me» ou encore «Girl From U.H.». Le club est complet et le
public, tout au long des trois sets, reste subjugué par la présence sur scène
(et parfois dans la salle) de Paddy qui se joue des difficultés techniques pour
trouver tour à tour des inflexions jazz, rock’n’roll et rhythm’n’blues au
hasard de ses pérégrinations musicales. Le plaisir de ses fans, toujours
nombreux ce soir, est contagieux et le temps passe à une vitesse prodigieuse
pour nous amener au terme d'un concert endiablé et mémorable. PM
Après huit années de silence, le Vintage
Orchestra revient revenait, le 8
juin, sur la scène du Studio de
l’Ermitage pour présenter son nouvel album, Smack Dab in the Middle (voir notre chronique), toujours sous
l’influence du compositeur Thad Jones. Sous la direction de Dominique Mandin
(ts), le big band retrouve les musiciens à l'origine de son identité sonore, et
qui sont tous devenus depuis des solistes ayant développé leur propre carrière. Aux saxophones, on retrouve
Olivier Zanot, Thomas Savy, David Sauzay et Jean-François Devèze; aux
trompettes: Erick Poirier, Lorenz Rainer, Fabien Mary et Julien Ecrepont; aux
trombones: Michaël Ballue, Bastien Ballaz, Jerry Edwards, et Martin Berlugue.
La rythmique étant assurée par Florent Gac (p), Yoni Zelnik (b) et Andrea Michelutti (dm). Après deux titres
instrumentaux, «The Farewell» et «61'st and Rich It», qui nous offrent les
premiers chorus à l'unisson proposés par le groupe des soufflants, Walter
Ricci, jeune chanteur napolitain, aperçu dernièrement aux cotés de Stefano Di
Battista et Mickaël Bublè, rejoint le big band pour «The Second Race».
Suivront des morceaux comme «Get Out of
My Life», «It Don't Mean a Thing» et «Hallelujah I Love Her so» qui clôtureront
ce premier set. La deuxième partie s’ouvre avec l’instrumental «Quiet Lady»
et «Fingers» à l'issue duquel Denise
King arrive sur scène, très applaudie, pour chanter magnifiquement «A That's Freedom».
Après «Yes Sir That's My Babe» et «I Left My Heart in San Francisco» nos
chanteurs reviennent pour un duo sur «Bye bye Blackbird» qui enflamme
littéralement le public. Un dernier instrumental «Making Woopee» et c’est la
fin d'une soirée où l’on a retrouvé avec plaisir un répertoire et un très bon
orchestre. PM
Le 13 juin, Pierre Christophe (p) présentait au
public du Duc des Lombards son tout
nouvel opus: Live! Tribute to
Erroll Garner (voir notre chronique), enregistré en compagnie du complice
de toujours, Raphaël Dever (b), ainsi que de Stan Laferrière (dm, qui a
délaissé son piano pour l’occasion) et Laurent Bataille (cga). A l’image du
disque, Pierre Christophe, pianiste à la fois talentueux et inspiré par la
tradition, a rendu au maître un hommage de la meilleure facture, y ajoutant une
dimension didactique en prenant le soin d’introduire chaque morceau. Les titres
présentés étaient soit des compositions d’Erroll Garner («Dreamy», ballade
enchanteresse aux accents tchaïkovskiensou «My Lonely Heart», un original
très peu joué et enregistré une seule fois en 1956) soit des standards (un «Tea
for Two» aux arrangements étonnants, donnant l’occasion à Laurent Bataille de
s’exprimer longuement, un«When Your Lover Has Gone» pris à contre-emploi
sur un ton joyeux, ou encore «Humoresque» de Dvorak, brillamment jazzifié). En
un set, Pierre Christophe et ses musiciens ont ainsi redonné vie à l’univers
élégant et singulier d’Erroll Garner, tout en exposant leurs qualités
personnelles. Tout simplement magnifique. JP
Le 14 juin, Lorenzo Di Maio (g) présentait au Duc des Lombards son dernier album, Black Rainbow (Igloo Records), premier
projet en tant que leader et pour lequel il a composé tous les titres, bien
entouré, par Jean Paul Estiévart (tp), Cédric Raymond (b), Antoine Pierre (dm)
et Léo Montana (p) qui remplaçait ce soir Nicola Andrioli. Ce concert unique en
France a ainsi donné l’occasion au public parisien de découvrir cette jeune
garde du jazz de Belgique. «Détachement» ouvre le set, suivi d’une ballade, «Black
Rainbow», où Cédric Raymond procure un soutien de fond, tandis que sur «Lonesome
Traveler» Léo Montana livre un remarquable solo. Passant du groove au blues,
Lorenzo Di Maio nous entraîne, avec parfois une touche de mélancolie, jusqu’au
final avec « Black Dog ». PM
Dans son interview parue à l’hiver 2015-2016 ( Jazz Hot n°674), Esaie Cid
nous avait fait part de ses projets: le quintet de François Laudet, autour de la musique de Gene Krupa
(dont il a assuré les arrangements) et un premier disque sous son nom, en
quartet. Ces deux projets ont été menés à bien et vous pouvez les retrouver
dans nos chroniques de disques. Le 28
juin, justement, l’altiste barcelonais fêtait la sortie de son CD, Maybe Next Year, au Sunset, entouré de sa fine équipe: Gilles Réa (g), Samuel Hubert
(b) et Mourad Benhammou (dm). Les trois sets ont permis de revenir sur ce bel
hommage à Art Pepper, paru chez Swing Alley, l’un des labels du compatriote
catalan Jordi Pujol. La plupart des titres présents sur l’album on en effet été
joués, dans un esprit similaire à celui de l’enregistrement, dont «Music
Forever» qui a donné l’occasion à Mourad Benhammou de nous livrer un bon solo,
ou «Nothing Ever Changes My Love for You» sur lequel le batteur a troqué ses
baguettes pour des pinceaux, étalant de jolies couleurs. Avec «How Long Has This Been Going On»,
magnifique ballade, Esaie Cid s’est exprimé avec toute la poésie et le
raffinement qui le caractérisent, introduisant les titres avec un humour
quelque peu surréaliste (sans doute l’influence de Buñuel…). Mais le leader
sait passer d’une atmosphère douce à un swing mordant, comme sur «Pea Eye»,
blues réjouissant qui a ouvert le deuxième set. Toujours dans une veine très
animée, l’orchestre a donné «Mambo de la Pinta», tandis qu’il revenait ensuite
à un registre intimiste, avec le très beau morceau éponyme du disque, «Maybe
Next Year», et un sublime «Lush Life» pris à la manière de Clifford Jordan, sur
lesquels on a également apprécié la finesse de Gilles Réa et de Samuel Hubert.
La soirée s’est conclue par bref troisième set, ouvert aux amis musiciens
présents dans la salle: Jean-Philippe Bordier (g) ainsi que Hugo Lippi (g),
lequel a partagé un blues avec Sophie Druais (b) et Corinne Sahraoui (voc). Un
concert sans faute de goût qu’on pourrait résumer par cette maxime d’Honoré de
Balzac (écrivain cher à notre ami saxophoniste): «Le beau, c’est le vrai bien habillé». JP
Textes: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage Photos: Patrick Martineau et Jérôme Partage © Jazz Hot n°680, été 2017
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Musiques en stock La Seyne-sur-Mer (83), 20 juin - 1er juillet 2017
La
Seyne-sur-Mer consacrait une exposition, intitulée «Musiques en stock», à Jean-Philippe Pichon –photographe à l’agence
Dalle et ancien de Jazz Hot– répartie dans les trois médiathèques de la ville:
Paul Caminade, Andrée Chédid et Le Clos Saint-Louis dans laquelle avait lieu le
vernissage en musique avec le pianiste Gilles Gravière, le 20 juin. Après une
brève présentation de la part du directeur de la médiathèque, Thierry Kriegel, l'artiste s'est prêté volontiers aux questions du public, répondant avec force détails.
Jean-Philippe
Pichon a photographié des musiciens de jazz, de blues, et d’autres musiques,
ainsi que des stars du showbiz et bien des sujets encore, provenant d’univers divers à
travers le monde. Il en a rapporté une moisson essentiellement en noir et blanc
et en argentique. Les trois médiathèques lui ont offert leurs murs de sorte
qu’on peut admirer un large éventail de son travail, essentiellement jazz. Pour les
«photos jazz» on reconnaît tout de suite la patte Pichon par des
fonds d’un noir intense, profond, d’où jaillit la lumière d’un visage, de
mains, d’un instrument. Pas de détails annexes, pas de fioritures, rien que les
notes essentielles, comme disait Miles. C’est à chaque image l’expression d’un
visage, l’incongruité d’une situation, la pose du corps, le brillant d’un
instrument, le détail parlant, qui capte le regard. L’artiste est révélé dans
un moment sublimé, une effraction de quelques centièmes de seconde, et pourtant
il est là, figé et vivant à la fois, crevant l’écran de la photographie.
Texte et photo: Serge Baudot © Jazz Hot n°680, été 2017
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Jazz au Fort Napoléon La Seyne-sur-Mer (83), 10 juin 2017
En cette douce soirée du 10 juin,
l’association Art Bop donnait son concert de fin de saison «Jazz
sous les étoiles» avec un duo de luxe: Alain Jean-Marie (p) et
Sylvain Beuf (ts). Art Bop, menée de main de maître mais avec
souplesse et bonhommie, par Michel Legat et sa femme, est une
association qui œuvre pour le jazz depuis pas loin de trois
décennies. Il leur faut un sacré courage et une belle abnégation
pour continuer à produire des concerts pointus dans la situation
locale actuelle (on sait que, faute d’aide, l’inoubliable
festival de Robert Bonaccorsi a dû s’arrêter après plus de 30
ans de soirées extraordinaires où l’on a vu défiler des
musiciens de la légende du jazz, et surtout ceux qu’on voyait
rarement ailleurs, tels Georges Cables, Harold Mabern, Cyrus
Chestnut, Cedar Walton, et tant d’autres). Ce couple fou de jazz
réussissait à produire trois concerts par mois, de septembre à
juin, permettant aux jazzmen français, principalement ceux du Grand
Sud, de s’exprimer devant un public d’amateurs. Maintenant ils
arrivent encore, malgré d’immenses difficultés, à organiser un
concert par mois, et ce grâce à un carnet d’adresses d’amis,
une petite subvention de la ville de la Seyne-sur-Mer, et quelques
modestes et méritant donateurs. Néanmoins l’aventure continue et le
jazz existe toujours au Fort Napoléon. Sans oublier l’association
des Workshops de Gérard Maurin qui investit également ce lieu
mythique tout au long de l’année. Alors quelle émotion de se
retrouver sur les gradins de la cour du Fort, à l’acoustique
exemplaire, face à la grande scène, avec les étoiles au dessus de
la tête. Tant de magnifiques souvenirs...
Alain Jean-Marie et Sylvain Beuf, les
officiants de cette soirée, n’ont pas choisi la facilité, car
jouer Monk en duo tient un peu de la gageure. Partie gagnée haut la
main. Alain Jean-Marie s’empare de Monk et le fait sien. Le danger
était de tomber dans le plagiat ou l’imitation. Écueils évités.
Le pianiste livre son Monk, enrichissant encore la palette harmonique
monkienne, jouant le plus souvent en accords, ou en discours, des
deux mains, dans un jeu orchestral qui laisse entendre une rythmique
complète, un orchestre, derrière ou plutôt avec le sax; Alain-Jean
Marie est également d’une inspiration mélodique captivante dans
les solos. On sait que les parties de sax de Monk sont extrêmement
complexes, Steve Lacy en parlait, avec démonstration sur son
soprano. Sylvain Beuf s’en tire à merveille, aussi bien au soprano
qu’au ténor. Rien ne l’arrête, il rentre dedans, mort dans la
musique, ça sort et ça swingue, il ira même jusqu’à scatter au
rappel sur «Reflections» tant il est pris par son défoulement en
une sorte de transe monkienne. Et ce foisonnement duettiste respecte
l’esprit monkien, sa rigueur, sa clarté, sa profondeur, et bien
sûr son swing. On a entendu des thèmes célèbres comme par exemple
«Light Blue», «Bye-Ya», «Reflections», «Ba-Lu Bolivar»,
«Eronel», «Played Twice», «Misterioso», «Trinkle Tinkle»,
«Pannonica», et quelques autres moins connus. On ne saurait en
détacher aucun. Quel que soit le thème, le duo fréquentait
toujours les sommets, avec encore plus d’impétuosité dans le
deuxième set. C’était leur troisième concert, c’est dire que
le duo a trouvé sa vitesse de croisière. Tous ces musiciens qui
tournent autour d’Art Bop partage une amitié, ou du moins une
camaraderie, qui les fait se serrer les coudes, comme on dit. C’est
ainsi que Sylvain Beuf remercia le trompettiste José Caparros de
leur avoir ouvert les portes du Fort Napoléon, ce lieu unique si
cher au cœur des amateurs de jazz.
Texte et photos: Serge Baudot © Jazz Hot n°680, été 2017
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A Great Day in Paris Cinéma Le St André des Arts (Paris 6e), 17 mai 2017
Le
17 mai, Michka Saäl nous conviait à la première du film A
Great Day in Paris
au cinéma Le St André des Arts à Paris. Cet événement s’inscrit
dans le cadre des découvertes de St André, sélection authentique
s’il en est, tant A
Great Day in Paris
est surtout une histoire d’amitié. Tout à commencé en 2008, pour
les 50 ans de la fameuse photo «A
Great Day in Harlem» d’Art Kane, donnant à Ricky Ford l’idée
de reproduire l’évènement à Paris avec des musiciens de Jazz qui
vivent en France. Après presque un an de gestation, une photo a
enfin été prise à Montmartre, scène immortalisée par le
photographe Philip Lévy-Stab. La
cinéaste d’origine tunisienne Michka Saäl, formée en histoire de
l’art et en sociologie à Paris et en Cinéma à Montréal,
passionnée par les liens qui unissent les êtres, a ainsi décidé
de réaliser un court-métrage sur l’exil des musiciens de jazz. Ce
documentaire, sur la réunion de plus de soixante-dix jazzwomen et
jazzmen vivant en France, est entrecoupé d'entretiens avec des
musiciens comme John
Betsch, Sangoma Everett, Bobby Few, Ricky Ford, Kirk Lightsey, Steve
Potts, et quelques autres, réalisés le plus souvent à domicile,
favorisant ainsi les anecdotes et l’humour. A cela s'ajoute des
prises de vues de Montmartre, lieu de retrouvailles pour cette petite
communauté d'artistes; la dernière séquence étant, bien sûr, le
moment de la prise de vue sur les marches.
Ce
17 mai, au
cinéma St André des Arts, Sangoma
Everett, Bobby Few, et Ricky Ford avaient fait le déplacement, ainsi
que Curtis
Young, historien du jazz,
et quelques amis et fidèles tels que Trevor,
Alfie. Le public, très réactif, a ponctué la projection de ses
exclamations et de ses rires.
Michka
Saäl, visiblement très émue, a pris la parole à la fin de la
projection pour rappeler la genèse et les étapes de construction du
film, après quoi elle fut très applaudie. Bobby et à Ricky sont
intervenus pour témoigner à leur tour et ont tenu à remercier
Michka pour sa persévérance.
Pour
ma part, je suis intervenu au nom de Jazz Hot pour rappeler qu’en
2016, pour célébrer «l’International Jazz Day», la chanteuse
Denise King et le danseur chorégraphe Brian Scott Bagley avaient
aussi organisé une photo sur l’esplanade du Trocadéro (voir Jazz
Hot
n°675).
Texte et photo: Patrick Martineau © Jazz Hot n°680, été 2017
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Paris en clubs Mai 2017
En
cette soirée du 3 mai, marquée par
la tenue du traditionnel débat télévisé de l’entre-deux tours de l’élection
présidentielle, Christophe Wallemme (b,
elb) et son sextet investissent la scène du Studio de L’Ermitage pour nous présenter l’album intitulé Ôm Project, un enregistrement longuement
muri, avec l’ambition manifeste de proposer une mosaïque de sons et
d’influences, pour la plupart nés dans les années 70, sans qu’il s’agisse
toutefois d’une fusion, stricto sensu, entre rock et jazz comme celle proposée
par les groupes de l’époque. Cofondateur du trio Prysm en 1994, avec Benjamin
Henocq (dm) et Pierre de Bethmann (p), un combo connu pour composer autour de
mesures asymétriques, Christophe Wallemme est épaulé ce soir par Manu Codjia
(g), Diederik Wissels (p, kb), Adriano Tenorio (perc), Pierre-Alain Tocanier
(dm), Émile Parisien (ts, ss), et Leila Martial (voc). Il préfère dire que la
musique de ce projet est du rock jazz plutôt que du jazz rock, mais le concert
en lui-même témoigne de ce que cette musique vaut mieux que n’importe quelle
tentative de catégorisation. Ainsi, l’aspect métissé des sons proposés traduit
une fascination certaine pour les voyages, avec des harmonies empruntées à la
musique indienne et orientale. «Back to My Om» et «Rock My
Home», dont le bassiste nous dira avec humour qu’ils contiennent des
assonances fortuites, possèdent une identité sonore dont les bases furent
posées par In a Silent Way et Bitches Brew, les deux albums
de Miles Davis. Du jazz électrique, donc, mais avec des tonalités
intimistes et des silences bien peu usités à la grande époque du jazz fusion,
plus encline aux exploits instrumentaux et aux prestations étourdissantes.
Christophe Wallemme utilise d’ailleurs une basse fretless propice aux
glissandos et à un jeu expressif, en slide comme en slap. À l’avenant, les
percussions d’Adriano Tenorio sont tantôt jouées à mains nues, tantôt avec des
baguettes, et ce parti pris expressif et sensuel est particulièrement émouvant
sur «Kaya», où les musiciens font montre d’un sens du collectif
conforme à la vision du leader. «Ma Kali» met en évidence l’aspect
spirituel de l’œuvre, en même temps qu’il révèle la dévotion inspirée par la
déesse hindoue de la préservation, de la transformation et de la destruction.
Sur ce morceau, les mauvais génies censément dissipés par l’évocation de Kali
s’incarnent essentiellement en la personne de Manu Codjia, qui prend un solo de
guitare électrique mémorable durant plusieurs minutes, portant l’attention du
public à son plus haut degré d’intensité pendant ce qui s’apparente à un
hommage plus ou moins inconscient à Allan Holdsworth, quoi que les figures en
sweeping évoquent plutôt le style pyrotechnique de Frank Gambale, le guitariste
du Chick Corea Elektric Band. «Le Temps Présent» comporte de
multiples nuances réverbérées, sorte de voyage ouaté au pays des couleurs, avec
des volutes en spirale qui se dissipent dans l’atmosphère à la façon de
fumerolles polychromes (une véritable machine fumigène est à l’œuvre sur
scène). «Un Rêve de Cochin» comprend une longue introduction à la
basse électrique, avec effet phasing et boucles électroniques. Sur ce titre
inspiré d’un voyage éclair de quelques jours en Inde, on est plus proche de ce
que proposait Jaco Pastorius sur «Continuum», tandis que
«Charly» introduit des atmosphères plus percussives, tel que
popularisées, entre autres, par Stanley Clarke. Christophe Wallemme remerciera
chaleureusement le public d’avoir partagé ce moment avec le groupe alors que,
dit-il, «il y avait tant de choses intéressantes à voir à la télé ce
soir», et le set se termine dans une atmosphère de communion entre les
musiciens et le public sans doute assez proche de ce que l’artiste avait en
tête en enregistrant son album. JPA
Le
5 mai
au Duc des Lombards,
c’est en quartet qu’on retrouvait Tom
Harrell. Le trompettiste, en
très grande forme, était accompagné
de Danny Grissett (p),
Ugonna Okegwo (b)
et Adam Cruz (dm). Et c’est avec ce
groupe très soudé, ces musiciens ultra solides, avec qui il joue
ensemble depuis dix ans, qu’il a donné un set plein d’énergie
où tout est supérieur. Tom Harrell ne cesse de composer, on le
sait, et d’étoffer un répertoire de compositions originales et
une discographie déjà très riches. Ce soir-là, il a puisé dans
ses trois de ses derniers albums. Le set se composait de quatre
thèmes du leader («Sunday», «Delta on the Nile», «Otra») et de
deux standards («There Will Never Be Another You», «The Song Is
You»). Si, en raison de sa subtilité et de sa complexité, la
musique de Tom Harrell contraint parfois les musiciens à se pencher
sur leurs partitions, ce soir-là, cette musique déborde de swing.
Les mélodies sont superbes. Tout est original. Vers la fin de la
soirée, le trompettiste nous interprète «Vibrer» (qui paraîtra
sur Moving Picture, son prochain album dont la sortie est prévue en
septembre) en duo avec Danny Grissett, au jeu aussi élégant
qu’original. Un de plus beaux moments de cette soirée,
exceptionnelle. MP Quand le batteur
Joris Dudli vient jouer à Paris, c’est toujours en bonne
compagnie. On se souvient de concerts inoubliables avec Sonny
Fortune, en quintet, ou avec Vincent Herring, Eric Alexander et
Harold Mabern, en quintet, ou encore avec Curtis Fuller. C’était
en février 2013. Le tromboniste historique était alors accompagné
de Josh
Bruneau (tp), Ralph Reichert (ts), Rob Bargad (p), Milan Nikolic (b)
et Joris Dudli. Voir Curtis Fuller à Paris après des années
d’absence était poignant. Quatre ans plus tard, c’est au Duc
des Lombards
que le batteur célébrait le 19
mai
le 60e
anniversaire de l’album Blue
Train
de John Coltrane avec son Blue
Train
Sextet,
cette fois sans Curtis Fuller, ralenti, à 82 ans, par des problèmes
de santé. Du coup, c’est l’excellent Steve Davis (tb) qui le remplace. Le musicien new-yorkais, très rare à Paris, jouait en compagnie de Milan Nikolic (b), Ralph Reichert (ts), Oliver Kent (p), Jim Rotondi (tp) et Joris Dudli. Ce sextet incarne cet état d’esprit
du hard bop, ancré dans la tradition. Loin de toute nostalgie, il en
est la descendance directe. Les six musiciens, au jeu personnel et au
swing du tonnerre, attaquent avec «Easy» et
«Spirit Waltz», deux compositions de Davis. Bien sûr, tout cela
est brillant et inspiré, les musiciens sont soudés. C’est le
dernier soir de dix jours de tournée à travers l’Europe. Ils
jouent au maximum. Mais plus encore, la complicité de Davis, Rotondi
et Dudli remonte au début des années 1990 lorsqu’ils se
retrouvaient pour jouer au Augie’s, devenu depuis le Smoke, à
Harlem (lire l’interview de Joris Dudli dans Jazz
Hot
n°670: c’est là qu’est né One For All, le sextet cofondé par
Steve Davis, Jim Rotondi, Eric Alexander, John Webber, David
Hazeltine et Joe Farnsworth). Et Dudli, Reichert, Nikolic
tournent ensemble depuis des années. Cette
complicité-là, cette confiance-là s’entend. La
soirée se poursuit avec «Déjà vu» du pianiste autrichien Oliver
Kent, dont c’est le premier passage à Paris. Lui aussi a fait un
détour par New York au début des années 1990, après avoir fait
ses armes avec Art Farmer et Idris Muhammad à Vienne avant de s’y
installer à nouveau en 1995. Tout au long de la soirée, Reichert et
Nikolic donnent tout. Rotondi alterne entre bugle et trompette, et
c’est dans un solo magnifique, sensible, bouleversant, qu’il
revisite «My Romance», rejoint par Kent. Le
sextet reprend avec «Ruth», une composition du trompettiste dédié
à sa mère, et conclut la soirée avec «Blue
Train, dont l’arrangement très enlevé est signé Joris Dudli,
tout comme cette tournée. On attend son retour avec
impatience! MP
Le 23 mai, Fred Hersch (p), John Herbert (b), Eric Mc
Pherson (dm), investissaient la scène du Sunside pour promouvoir leur
album live Sunday Night at the Vanguard.
Le trio n’en est pas à son coup d’essai puisqu’ils avaient déjà
enregistré en ce même lieu mythique le fameux Alive at the Village Vanguard qui, en 2012, marquait la résurrection de l’artiste au sortir d’un coma lié à sa
séropositivité. Un malaise de John
Herbert au début du concert, sans qu’on sache vraiment s’il était dû au trac ou
non, aurait pu mal augurer d’une prestation empreinte tout d’abord d’une
tension très perceptible. Mais le talent des musiciens, l’habitude des joutes
musicales de haut niveau dans un partenariat qui pousse au dépassement
personnel plutôt qu’à la démonstration technique, fait rapidement des échanges
proposés au public attentif un spectacle de haut vol. Fred Hersch, déjà connu
pour un répertoire extrêmement vaste, approfondit encore sa recherche d’absolu
musical, puisant son inspiration aussi bien dans le répertoire de la musique
brésilienne (Antonio Carlos Jobim) que dans la pop (Joni Mitchell, Beatles) ou
le jazz traditionnel (Thelonious Monk, Benny Golson). Le résultat est bouleversant, à la fois
exercice d’érudition virtuose (l’artiste change ses arrangements et ses
résolutions d’accords d’une performance à l’autre) et partage d’émotions hors
pair, basé sur un parti pris d’universalité unique en son genre. «Serpentine», tiré de l’album
live permet de goûter le jeu de batterie tout en finesse de Eric Mc Pherson,
dont la maitrise aux balais est à nulle autre semblable, alliant délicatesse et
puissance au service d’une intensité dont le trio ne se départit jamais. Les
structures circulaires jouées par le groupe ondulent dans l’espace comme autant
de motifs libertaires. Fred Hersch ajoute çà et là des tensions internes à la
trame des mélodies en introduisant des chromatismes et des silences inattendus
au sein de ses phrases, laissant l’auditeur mentaliser seul la mélodie, comme
si elle se déployait alors dans un espace non limité par nos capacités de
représentation. «Let’s Cool One» de Monk est assurément, de ce
point de vue, le moment marquant du premier set, proposant subtilités
rythmiques abouties et mini-breaks qui désossent le thème, révélant des
richesses sous-jacentes qui donnent envie d’aller réécouter l’original dès la
sortie du concert. Puis le pianiste nous informe que le second set sera
constitué d’une performance en solo, l’indisposition de John Herbert s’étant
malheureusement confirmée entretemps. Chacun retient son souffle alors, tant
l’exercice est certes bien connu de Fred Hersch, mais certainement pas prévu au
moment de l’annonce officielle des dates effectuées par le combo dans la
capitale. «Both sides now», de la chanteuse Joni Mitchell (qui
toucha au jazz avec l’album Court and Spark), exprime le goût du
pianiste pour les morceaux chantés (que les jazzmen nomment judicieusement
«songs» qu’il s’agisse d’instrumentaux ou de chansons). «For
No One» des Beatles n’est pas la composition la plus célèbre des Fab
Four, mais prend un sens tout particulier quand on sait que le pianiste ne peut
interpréter des titres dont il n’aime pas les paroles ( Jazz Hot n°679). «After You’re Gone» fait revivre les
fantômes de Bessie Smith et de Louis Armstrong. À cet instant, des masses
d’énergie flottante semblent s’épanouir dans la salle,
donnant un sens plus pur aux notes de musique égrenées, et le public se sent en
osmose avec l’artiste dont la solitude sur scène paraît curieusement renforcée,
au titre d’une prestation d’ensemble qui relève proprement de la poésie. Fred
Hersch nous quitte sur un ultime rappel mariant le piano rag de Scott Joplin à
la délicatesse des arpèges de Bill Evans. Il sort de scène le visage dévasté
par l’effort de concentration fourni, et les notes de piano continuent de
résonner dans nos têtes, à l’instar des mots de Tomas Tranströmer: «Chaque homme est une porte
entrouverte donnant sur une salle commune». JPA
Le
25 mai au Sunset, le groupe Aerophone
composé de Yoann Loustalot (tp, flh),
Blaise Chevallier (b), Fred Pasqua (dm), et Glenn Ferris (tb) venait nous
présenter son nouvel album Atrabile. A
l’origine un trio fondé par Yoann Loustalot et le contrebassiste Blaise
Chevallier, les expérimentations sonores et philosophiques du groupe reposent
initialement sur l’absence de soutien d’un instrument harmonique, privilégiant
un certain dénudement propitiatoire à un retour aux sources de la musique. Déjà
leur troisième disque, paru chez Bruit Chic, Atrabile est aussi une première œuvre en quartet, avec l’adjonction
de Glenn Ferris au trio de base. Le premier titre qui nous est proposé est
«Improvisation», le justement nommé, et qui place d’emblée le set
sous le signe des explorations dont le combo s’est fait une spécialité. Les
schèmes déployés traduisent le goût de la formation pour les structures
ouvertes, avec une appétence non dissimulée pour le principe des poupées
gigognes, tel qu’on peut l’appliquer en musique selon une logique de fractales.
Le flirt avec le free jazz est constant, et le swing est aussi présent sous
forme de tempos très rapides, qui mettent en exergue le talent de Blaise
Chevallier. La trompette virtuose de Yoann Loustalot se taille rapidement la
part du lion, avec le contrepoint presque oulipien offert par le trombone de
Glenn Ferris, complètement intégré au groupe, loin de la mode des guest stars
parfois préjudiciable à la cohésion musicale. Le jeu de batterie de Frédéric
Pasqua est émaillé de nombreuses frappes sur le l’anneau de sa caisse claire,
générant un son métallique et inharmonique dont il orne certains backbeats, proposant de fait une
souplesse, une plasticité assez rares chez un drummer aussi accompli
techniquement. «Moustal» semble un morceau fétiche de la formation,
tant les musiciens y montrent l’étendue de leur sensibilité, mais
«Sornette» constitue véritablement un pic d’inspiration pour le
groupe, composé lors d’une tournée à l’annonce du décès d’Ornette Coleman, et
donnant libre cours au dodécaphonisme en forme de crescendo qui constitue une
sorte de trademark chez Aerophone.
«Ancient Empire», dont le trompettiste nous dit ironiquement qu’elle n’a jamais été jouée en public, introduit des
nuances sombres dans un set par ailleurs traversé par une joie de vivre et de
jouer évidents. Un humour et une légèreté compatibles avec une certaine
profondeur, tel semble le leitmotiv du concert. «Spontaneous Suite»
porte le sceau de l’immédiateté, composé rapidement et interprété en fonction
de l’inspiration du moment. Si la tonalité est ici résolument acoustique, les
territoires défrichés ne sont pas sans évoquer certaines œuvres de fusion
progressive, avec des changements d’accord incroyablement dynamiques. L’art du
contretemps, au niveau rythmique, se conjugue de fait avec le contrepoint
harmonique, lorsque les échanges entre trompette et trombone se font plus
denses et plus intenses. Le caractère protéiforme du groupe lui permet ainsi de
flirter avec la musique contemporaine au hasard de pérégrinations musicales
déterritorialisées. «Atrabile» renoue avec une certaine mélancolie,
plus proche de la saudade brésilienne que du desassossego portugais, tandis que
«Spongious» semble basé sur la gamme tempérée de la musique
sérielle. Finalement, le coup de cœur du public va certainement à
«Pousse-Pousse», confirmant l‘appétence de la formation pour les
breaks fulgurants, et constituant un climax qui emporte l’adhésion pleine et
entière des personnes présentes sur scène comme dans la salle. Une bien belle
performance de la part d’un collectif qui tient toutes ses promesses, sans jamais
céder à la facilité. JPA
l
y a des concerts dont la musique reste avec vous et ne vous quitte
pas pendant trois jours. Vous ne regrettez qu’une chose: qu’elle
n’ait pas été enregistrée ce soir-là pour retenir un peu de son
intensité et de la beauté des mélodies. Le concert de Antonio
Faraò du 26
mai au Sunset
fait partie de ces concerts. Le pianiste italien, que l’on a
entendu en avril avec Benny Golson, jouait en trio avec Thomas
Bramerie (b) et Jean-Pierre Arnaud (dm). Les trois musiciens se
connaissent, très bien même. Durant trois sets, de 45 minutes
chacun, tout est très intense, très collectif, si bien que,
composition originale après composition originale du leader
(«Something», «Seven Steps to Heaven», «Domi», «Positive
Life», «Syrian Children», «Theme for Bond», «Black Inside»),
s’acheminant vers des relectures très contemporaines de «Giant
Steps», «Maiden Voyage», «Round Midnight» et «Oleo», on peine
à croire que ces trois musiciens d’exception n’aient pas joué
ensemble depuis plus de vingt ans, tant ils sont soudés et le
déroulé de la soirée, naturel. Ce plaisir qu’ils ont eu à jouer
ensemble, qui a nourri une atmosphère jazz pétrie de virtuosité
artistique, ils nous l’ont transmis avec générosité, et on s’en
souviendra longtemps. MP
Qu’on se le
dise, Stéphane Roger est gentiment
agité de la cafetière! Le batteur, que l’on peut entendre tous les
dimanche soir au Caveau de La Huchette avec son Megawing, avait, le 29 mai à L’Européen, libéré son délirant alter ego: le chanteur Robeurt Féneck! Devant un public fourni où se retrouvèrent
beaucoup de musiciens et d’amis, Stéphane Roger, à la tête d’une formation de dix pièces, le
Mad in Swing Big Band, a donné un spectacle au ton parodique, faussement maladroit
car, au contraire solidement écrit et musicalement excellent. Le leader, débute
ainsi seul en scène par un long solo de batterie qu’on devine être la très
reconnaissable intro de «Sing Sing Sing». Entrent ensuite la
section de soufflants –François Biensan (tp, responsable des arrangements
acrobatiques des improbables reprises composant la set-list), Pierre Gicquéro
(tb), Pierre-Louis Cas (as, cl), Philippe Chagne (ts, fl)– ainsi que Nicolas
Peslier (g), César Pastre (ep) et Patricia Lebeugle (b). Ce premier morceau
instrumental installe le décor de la soirée: celui d’un vrai big band,
avec une pêche terrible. Stéphane Roger abandonne alors les baguettes à Roger
Ménière (ancien de chez Maxim Saury), renforcé par Jean-Philippe Naeder (perc),
et endosse les habits bariolés de Robeurt Féneck: veste à queue de pie,
bermuda et canne de dandy. Les
reprises fantaisistes s’enchaînent: certaines sont des tubes de variétés
(très bien) jazzifiés («Born to be Alive» pris en mode bossa ou
«Alexandrie, Alexandra» transformé en un très drôle et
swinguant «Les Ayant droits»), d’autres sont des standards
détournés («It’s a Good Day» devenu «Une Belle journée» ou
«Makin' Whoopee» changé en «Makin' Poopee», pour la
touche pipi-caca…). Bref, on s’amuse beaucoup
de cette rencontre du calembour et du jazz –on est dans l’esprit Boris
Vian; de même qu’on se régale des interventions des solistes, tous
magnifiques. Robeurt Fénecka a ainsi embarqué sans difficulté la salle dans
ses joyeuses facéties, dont l’ultime consista à effectuer le rappel habillé en
femme! C’est pourtant très ému que Stéphane Roger quitta un public ravi
et des musiciens heureux, car faire vivre sur scène un tel projet reste, quoi
qu’il en soit, un moment de grâce. JP
Le Dany Doriz Swing Band était programmé
au Caveau de La Huchette le 30 mai. Mais son leader ayant été
retenu, il n’a pu assurer la direction de l’orchestre. Mais il fallait
davantage pour désarçonner les musiciens, rôdés au répertoire et au jeu
collectif, et qui ont assuré le spectacle avec bonne humeur et dynamisme!
Encore une bonne soirée de swing pour les danseurs! Pascal Thouvenin
(ts), grand maître des arrangements était secondé par son collègue ténor, Boris
Blanchet, qui s’est dépensé sans compter. Il est impressionnant à voir!
La rythmique était excellemment assurée par Philippe Petit (org) et Didier
Dorise (dm). Au menu de cette agréable soirée – qui a permis de constater que
l’engouement créé par le fim La La Land
ne se dément pas – étaient inscrits les morceaux suivants:
«Amen», «Slipped Disc», «Moanin’» (que Duffy
Jackson chanta au Caveau il y a quelques années), «Place du Tertre»
de Biréli Lagrène ou encore le fétiche «Hamp’s Boogie». La
Huchette, c’est toujours chouette… GH
Textes: Jean-Pierre Alenda, Georges Herpe, Jérôme Partage, Mathieu Perez Photos: Georges Herpe, Patrick Martineau, Didier Pallagès by courtesy © Jazz Hot n°680, été 2017
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Espace Julien / Le Cri du Port Marseille (13), 10 mai 2017
Le
10 mai, l'Espace Julien proposait deux concerts avec le soutien du
Cri du Port. En première partie, Les
Quatre Vents, tout jeune groupe né en octobre 2016, est composé de
zélés serviteurs du jazz très actifs depuis plusieurs années sur
la scène sudiste et nationale, à savoir Perrine
Mansuy (ep), Christophe Leloil (tp), Pierre Fenichel (b) et Fred
Pasqua (dm). Pour leur troisième
concert en public, le mistral a été gagnant, délaissant le piano
acoustique pour un clavier électrique, le groupe a fait le bon choix
pour cette soirée placée sous le signe des puissances telluriques.
Il fallait assurer en lever de rideau de John Patitucci et dans un
bref set le succès a été immédiat. Si nous n'avions pas doute sur
la qualité individuelle de chacun des musiciens, vu leurs parcours
et leur expérience, la question portait sur la réussite de leur
nouvelle alchimie. Cette réserve fut immédiatement balayée,
envolée dès le premier titre scintillant et claquant qui propulsa
le quartet dans une fusion bouillonnante et salutaire. Une musique
réjouissante qui prouve que le jazz européen peut être festif, de
qualité et sans concession. Les plus anciens pourront établir un
parallèle avec les groupes de Randy Brecker ou avec la première
formule de Return to Forever de Chick Corea, chanteuse en moins. Le
groupe sonne funky par moment et la rythmique magistrale assure un
tempo qui permet les plus belles envolées à chacun des solistes. Un
groupe terriblement équilibré avec quatre mousquetaires portant un
vrai projet commun qui vise un swing électrique. Tel quatre boules
de cuir qui virevoltent sur le ring, le match se déroule en grande
vitesse et le final arrive trop tôt. Les titres sont signés par
Perrine Mansuy («La Baie singes», «La Nuit») qui a déjà produit
plusieurs albums personnels, Christophe Leloil («Must Seen», «Deval
in Time») qui lui aussi dirige son quintet et un final, «Libeccio»,
de Pierre Fenichel. Titre symbolique pour clore cette première
partie qui mariait un esprit de chaleur, de force, de liberté qui
souffle sur la côte méditerranéenne. Si tous les titres et les
solos furent très applaudis, le batteur Fred Pasqua reçu une
véritable ovation pour un final hyper vitaminé. Il faut espérer
qu’au-delà des scènes de jazz qui seront sans aucun doute
sensibles à ce groupe détonnant les scènes dites de musiques
actuelles comprennent que ces musiciens peuvent déclencher l’émeute
dans les rangs de leur public.
Quand
John Patitucci (eb) ne tourne pas avec Wayne Shorter ou l’Elektric
Band de Chick Corea, il a le loisir de tourner avec ses propres
projets, dont l’excellent Electric Guitar Quartet, avec un dernier
album, Brooklyn,
paru fin 2015. Seulement deux dates en France pour cet European
Tour (la
seconde à Nice) qui présentait les titres de Brooklyn
en hommage à son quartier natal. Si John Patitucci a souvent joué à
Marseille avec Wayne Shorter, lors de différentes éditions du
Festival Marseille Jazz des Cinq Continents, il fallait remonter en
1994 pour son premier et unique concert en leader dans cette ville et
c’était justement à l’Espace Julien, concert organisé par le
Cri du Port. C’est avec une certaine émotion et humour (vu sa
photo et sa coupe de cheveu de l’époque) qu’il redécouvrait
dans sa loge le programme datant de cette époque de jeunesse. Steve
Cardenas (g) s’était produit aussi dans cette salle en 2015 au
sein du groupe de Steve Swallow, et pour conclure les retrouvailles,
Adam Rogers (g), pas vraiment reconnu en France avait aussi joué
pour le Cri du Port avec Scott Colley et en leader. Cet historique
fait, on ne peut oublier leur quatrième compère, le batteur
exceptionnel, Nate Smith (dm) qui remplace Brian Blade présent sur
Brooklyn. Après
un bref changement de plateau, le rideau rouge s’ouvre et le
tonnerre annonce la tempête. Le groupe va livrer durant 75 minutes
une musique de fête, jouissance entre la fusion et le blues intense
où les deux guitaristes dans un équilibre de funambule nous
ravissent. John Patitucci est certes le leader mais il n’assène
pas de longs solos démonstratifs de sa technique; le groupe joue sa
musique et tous sont à son service. Il présente avec humour deux
titres successifs de Thelonious Monk, «Four in One» et «Trinkle
Tinkle», compositeur peu joué par les guitaristes, à part
l’Electric Be Bop Band de feu Paul Motian. Il enchaîne avec «Band
of Brothers», assez symbolique de cette réunion, suivi d’un blues
d’enfer dédié à B.B. King qu’il a accompagné dans sa
jeunesse, puis il propose une ballade en hommage à son épouse,
«Valentina». Le répertoire met en valeur à tour de rôle chaque
soliste qui développe son univers, sa sonorité, pour un
résultat collectif de haut niveau. Même si certains thèmes
nécessitent un œil sur la partition, car ils sont joués sur scène
pour la seconde fois, on a face à nous un groupe authentique.
A saluer, la performance de Nate Smith qui joue d’habitude avec
Chris Potter ou Randy Brecker aussi puissant que délicat sur le
final joué aux balais.
Texte: Philippe Berre Photos: Francis Raissac by courtesy of Le Cri du Port © Jazz Hot n°680, été 2017
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Jazz Portraits Aux Petits Joueurs (Paris 19e), du 1er au 30 avril 2017
Durant tout le mois d'avril, «notre»
Patrick Martineau exposait, dans le bistrot Aux Petits Joueurs, ses
photos dont beaucoup sont connues des lecteurs de Jazz Hot.
Des portraits de musiciens noir et blanc, comme Patrick les
affectionne, et qu'on pouvait ainsi admirer au-delà de l'écran dans
un endroit qui s'y prêtait parfaitement, soit le sympathique club de
la rue de Mouzaïa où le patron, Olivier David, leur avait réservé
un accueil des plus amicaux. Tout ceci s'effectuant bien
naturellement sous le patronage de Jazz Hot.
Le 5 avril, le vernissage s'est tenu à
l'occasion d'un de ces mercredis où la scène des Petits Joueurs est
tenue par Daniel John Martin (vln, voc). Beaucoup d'amis et de
professionnels se sont ainsi retrouvés autour de l'artiste (et de
quelques verres): les photographes Anna Solé, Bruno Charavet,
Bernard Bérenguer, la monteuse de cinéma Nancy Wahl et, pour le
monde du jazz, Manu Le Prince, Marie-Laure Célisse et Mv Guilmont,
des musiciens César Pastre, Alexandre Arnaud, Arsène Charry,
Frédéric Poujouly, Karo Gorille, Pascal Vautrot et Sylvie Lefebvre
du Corbeil-Essonnes Jazz Festival.
L’exposition a permis aux visiteurs
d’admirer de magnifiques clichés pris sur le mode ombres et
lumières caractéristique du photographe, avec notamment des images
de Denis King, Cécile McLorin Salvant, Ricky Ford, China Moses,
Mighty Mo Rodgers ou Rhoda Scott. Nourrie de ses riches expériences
personnelles, cette promenade musicale dans tous les lieux où le
jazz se donne en spectacle révèle moments d’inspiration,
d’abandon, et/ou de concentration des musiciens, avec une
importance égale apportée à la forme et au contenu. En un lieu où
le jazz de Django est régulièrement à l’honneur, et qui
accueille aussi bien le blues et les musiques du monde, l’intérêt
pour les autres, le goût des rencontres, l’instant privilégié de
la convivialité qui réunissent les amateurs révèlent toute la
beauté des portraits exposés, ajoutant un supplément d’âme à
des prises de vue qui magnifient le travail des artistes et l’énergie
qu’ils transmettent au public. Un moment de partage comme ceux que
prise Patrick Martineau.
Texte: Jean-Pierre Alenda Photos: Patrick Martineau et Nancy Wahl © Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Paris en clubs Avril 2017
Le
5
avril,
dans un Duc
des Lombards
bondé, Benny
Golson
(ts), était accompagné des excellents Antonio Faraò
(p), Gilles Naturel (b) et Doug Sides (dm). Le jeune homme de 88 ans
cultive un rôle de passeur, racontant la musique autant qu’il la
joue, avec la fragilité, l’intensité et le swing permanent d’un
maestro. Ainsi, entre deux thèmes, il retrace l’histoire du jazz
telle qu’il l’a vécue à Philadelphie, à la fin des années
40, en côtoyant John Coltrane, les frères Heath, le pianiste Red
Garland ou le batteur Philly Joe Jones. Chaque morceau proposé est
l'occasion d'une longue évocation comme sur sa composition en
hommage à Clifford Brown «I Remember Clifford» avec qui il
partagea la scène au début des années 50. Au-delà du superbe
ténor au large vibrato avec un phrasé toujours aussi sinueux, moins
modal que dans les années 80, on retiendra le compositeur prolifique
avec son bluesy «Blues March», «Whisper not», ou une belle
version de «Killer Joe» au swing irrésistible. Antonio Faraò
se veut un excellent sideman au service du leader en délaissant
l'ombre de Bill Evans pour un jeu plus dynamique et post bop. La
rythmique impeccable amenée par Gilles Naturel, à la belle sonorité
boisée et ronde, tandis que les baguettes du puissant Doug Sides
assurent un tremplin idéal au soliste sous les yeux du pianiste de
Detroit Kirk Lightsey venu saluer son vieil ami Benny Golson qu'il
accompagna à de nombreuses reprises. DB
& MP
Le 11
avril, toujours au Duc
des Lombards, c'est une ancienne
gloire du style west coast qui s'illustrait à l'aube de son 81e
printemps: Don Menza.
Bien que New-yorkais, ce spécialiste des pupitres s'est illustré
avec son ténor chez Maynard Ferguson, Buddy Rich, Louis Bellson,
Woody Herman et Stan Kenton après un intermède européen en
Allemagne. Son travail tant pour la télévision et les studios est
considérable mais c'est sa participation au projet de Supersax qui
donnera à sa carrière un nouvel élan au-delà des petites
formations auquel il a participé auprès de Frank Rosolino (tb),
Conte Candoli (tp) ou Shelly Manne (dm). Pour son rendez-vous
parisien, il s'était entouré d'un excellent trio franco-autrichien
amené par le Bordelais Vincent Bourgeyx (p), Fabien Marcos (b) et
Bernd Reiter (dm). Dès le premier thème «I Remember You» on reste
subjugué par le jeu droit et direct de Don Menza avec un énorme
vibrato dans la lignée d'un Zoot Sims avec de longues phrases
sinueuses. Une belle version de «My One and Only Love» permet au
leader d'évoquer son travail avec d'illustres chanteurs tels que
Sarah Vaughan, Carmen McRae ou Tony Bennett avant d'annoncer la venue
de son invité la chanteuse suisse Nicole Herzog. Avec sa voix
fluette au charme désuet évoquant parfois Billie Holliday, elle
revisite avec brio «Mood indigo». On retiendra également le final
calypso sur un thème de film où Don Menza évoqua Sonny Rollins
dans son approche de l'instrument comme un clin d'œil à son
héritage stylistique. DB
Le 13 avril
2017, le Jazz
Club Etoile accueille the Amazing
Keystone Septet, issu du
Keystone Big Band, qui a revisité
avec succès des classiques tels que Pierre
et le Loup de Serguei Prokofiev,
et Le Carnaval des Animaux, de
Camille Saint-Saëns. Tout commence par une interprétation énergique
de «Jet Song», tiré de West Side Story. Cette œuvre fait l’objet
d’une relecture jazz que n’aurait pas reniée Leonard Bernstein,
et Bastien Ballaz (tb) déploie déjà sur ce titre toute la
virtuosité dont il est capable. Avec lui, le saxophoniste Jon
Bouteiller (ts), le pianiste Fred Nardin (p), et le trompettiste
David Enhco (tp), forment le noyau dur de la formation, mais ce soir,
c’est Malo Mazurié (tp), un fan de Bix Beiderbecke, grand
connaisseur du jazz de New Orleans, qui le remplace sur scène.
Épaulés par Jean-Philippe Scali (as, bar), Florent Nisse (b) et
Romain Sarron (dm), ils vont livrer une prestation toute de finesse
et de générosité. «The Gentleman Is a Dope», popularisé par Jo
Stafford, est une première occasion de relever le phrasé et la
diction impeccable de la jeune chanteuse Célia Kameni (voc), dont
le jeu de scène habité apporte énormément à la performance du
jour. Les interactions entre la basse de Florent Nisse et la voix
réminiscente des plus grandes divas du jazz, font merveille sur
«Come Sunday» de Duke Ellington, avec un vibrato exceptionnel calé
sur les circonvolutions rythmiques de la batterie de Romain Sarron.
Les compositions de West Side Story font vraiment figure de fil rouge
pour le septet, qui joue le prologue de la comédie musicale en
entame de son second set, comme pour mieux célébrer les noces
virtuelles de la danse et du jazz, tel qu’esquissées en une sorte
de chorégraphie imaginaire très palpable sur scène, quoi que
seulement suggérée par le groupe. «Something is coming» puis
«Sometimes I’m happy», sur lesquels la trompette de Malo Mazurié,
se détache, relèvent d’ailleurs, d’un music-hall de la plus
belle facture, et la reprise de «Everyone Wants to Be a Cat»,
célébrissime comptine du film Les
Aristochats, constitue, en quelque
sorte, la divine surprise de la soirée, avec une performance une
nouvelle fois impeccable de Célia Kameni, rehaussée par la palette
harmonique hors pair de Jon Bouteiller; un musicien qui a l’art de
se mouvoir avec décontraction au sein des différents changements de
clé et de tempo qu’il suscite et appelle , évacuant comme en se
jouant toute monotonie d’un spectacle combinant autant de saveurs
musicales que de fragrances mélodiques. «East of the Sun, West of
the Moon», de Brooks Bowman, et «Blues in the Night» évoquent des
paysages oniriques empreints d’une élégance suave, et achèvent
de transporter le public en un monde meilleur, avec leurs
efflorescences lunaires, évocation presque mystique du monde de la
nuit. Fred Nardin, récent lauréat du prix Django Reinhardt,
éclabousse au passage de son talent plusieurs chorus mémorables,
avant qu’une reprise de «The Gentkeman is a Dope» en guise de
rappel itératif n’établisse définitivement l’empreinte d’un
combo qui sonne comme un big band. Un bien beau concert, avec une
esthétique très élaborée, issue d’un mariage réussi entre
tradition et modernité. JPA
China Moses
(voc) était au New Morning,
le 28 avril,
pour nous nous présenter le répertoire de son nouvel album
Nightintales
(MPS). Entourée de Luigi Grasso (as), Mike Gorman (p), Luke
Wynter (elb) et Marijus Aleksa (dm), la diva a proposé un show entre
jazz, soul et funk, empli d’énergie. Auteur de ses chansons, elle
découvre son univers au fur et à mesure des morceaux, aborde des
thèmes de société, comme sur «Disconnect» sur la présence
invasive des réseaux sociaux dont elle est pourtant une adepte.
L’arrivée de Josiah
Woodson (tp) sera l’occasion d’un excellent moment avec «Watch
Out» et un duo épatant avec Luigi Grasso. Un concert mené avec
maîtrise par une chanteuse talentueuse et charismatique et dont le
caractère transversal, au sein des musiques afro-américaines, plait
au plus grand nombre. JP
En cette soirée
pluvieuse du 30 avril,
le Frank Catalano Quartet
investissait la scène du Sunset
pour un concert chaleureux, qui a considérablement augmenté la
température du lieu à mesure que les titres allaient s’enchaîner.
Patrick Villanueva (p), Jean Bardy (b), et Manu Dalmace (dm)
secondent très efficacement le leader, qui donne en compagnie de ses
«french guys» un concert extraordinaire de polyvalence, dont
l’esprit œcuménique est en lui-même une prise de position
artistique. Franck Catalano (ts) a joué très jeune avec Von
Freeman, et se trouve très attaché, en tant que pilier du club
Green Mill, à ce que l’on nomme «l’école de Chicago» du
saxophone (Jazz Hot
n°674). Entre deux sets, il nous dira sa passion pour la vigueur des
«chases» initiées par des musiciens qu’il considère comme ses
maîtres, tels Johnny Griffin, dont les tempos allègres lui donnent
envie de travailler son timbre jusqu’à acquérir cette sonorité
blues et brillante, envisagée comme un élément à part entière de
son identité musicale. L’articulation du set s’effectue autour
de Bye Bye, Black Bird,
son récent album enregistré avec le batteur Jimmy Chamberlin,
musicien qui a participé à l’aventure d’un groupe de rock
alternatif célèbre, les Smashing Pumpkins. Fidèle à cette optique
protéiforme, le saxophoniste joue ce soir avec Manu Dalmace, dont le
jeu éclectique est empreint d’influences composites, allant du
rock au jazz, en passant par le funk et le blues. «Bye Bye Black
Bird», titre comportant cocottes funky et breaks de batterie, donne
une idée de l’étendue du répertoire du groupe, tandis que les
effluves de la période Mighty Burner
(surnom de Charles Earland, l’un des mentors de Catalano) mettent
en évidence des sonorités caractéristiques du soul jazz, mâtinées
de quelques touches fusion. On songe aussi à Benny Golson sur
Killer Joe,
et bien sûr au groupe Weather Report, s’agissant de la cohésion
d’ensemble et du fighting spirit. L’aspect à la fois très
classique et finement métissé de la formation de Patrick Villanueva
(il dissémine de nombreux motifs latino-américains au sein de ses
parties solo), associé au caractère très bop et stylé de Jean
Bardy, confèrent pourtant à la prestation un caractère très
enraciné. «Sugar» avec ses accents colorés et son rythme
soutenu, exprime une admiration immense envers Dexter Gordon, tandis
que «Stella by Starlight» célèbre à sa façon Stan Getz, dont le
timbre chaleureux hante visiblement les explorations du saxophoniste,
même s’il dit mettre au même niveau toutes les expériences
vécues en tant qu’artiste, que ce soit comme side man ou comme
musicien de session, aux côtés de Tony Bennett («Fly Me to the
Moon»), de Santana, ou de Miles Davis. Dans les second et troisième
sets, c’est toutefois l’influence des Brecker Brothers qui
s’avère vraiment la plus évidente, avec ses cascades de cuivres,
ses rythmes binaires ondoyants et funky, et ses rythmiques syncopées.
Et l’on se souvient de ce live mémorable gravé en compagnie de
Randy Brecker, avec un son qui fait penser à Grover Washington Jr
pour les passages jazz funk, une esthétique dont David Sanborn a
d’ailleurs garanti l’intégrité en gravant deux parties de
saxophone alto sur les titres de Bye
Bye Black Bird. Les solos énergiques
pris tour à tour par les musiciens traduisent l’importance de la
dynamique dans une musique faite pour le live, littéralement
irrésistible lorsque l’humour se mêle aux évolutions musicales
du quartet. Le thème du film Retour
vers le Futur, cher au cœur de
Catalano, est d’ailleurs interprété magistralement, tandis que
«Lazy Bird» porte la satisfaction du public à son comble, en
rappelant le jazz plus exigeant des grands ainés, qui savaient
conjuguer des valeurs d’entertainment
avec ce qu’ils ressentaient comme un devoir de fraternité
musicale. Un concert très généreux, animé par une vigueur
tonifiante et contagieuse. JPA
Textes: Jean-Pierre Alenda, David Bouzaclou Jérôme Partage, Mathieu Perez Photos: David Bouzaclou et Patrick Martineau © Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Billie Holiday. Sunny Side A La Folie Théâtre (Paris 11e), du 10 mars au 27 mai 2017
La comédienne Naïsiwon
El Aniou a écrit, mis en scène et joue cette pièce inspirée de la
vie de Billie Holiday. Durant 1h15, elle évoque, à travers la voix
de Lady Day, seule dans une chambre, des épisodes tristes ou heureux
de son parcours, le jazz, les hommes, la drogue, les conflits avec la
police et la justice, ou encore son alter ego chéri, Lester Young.
Naïsiwon El Aniou interprète avec finesse la fragilité bravache de
Billie. En outre, elle met en résonance les terribles épreuves de
la diva blues avec son œuvre, récitant les textes de ses chansons
(en rappelant qu'elle en était l'auteur) avant de diffuser
l'extrait d'un enregistrement original. Par ailleurs, Naïsiwon El
Aniou ajoute une dimension dansée à sa Billie Holiday, une façon
se s’approprier le personnage auquel elle rend un hommage dont on
peut apprécier la justesse ainsi que la dimension didactique.
Ce spectacle sera de nouveau à l'affiche d'A La Folie Théâtre du 8 septembre au 2 décembre 2017.
Texte: Jérôme Partage Photo: Denis Rion, by courtesy of Cie Le Malika © Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Paris en clubs Mars 2017
«Jazzola»
était l’intitulé du concert du 2 mars
au Jazz-Club Etoile. C’est aussi le
nom de l’album enregistré en 2002 par Dany
Doriz (vib) avec le grand Marcel
Azzola (acc). Les deux musiciens étaient ainsi entourés, ce soir-là, par Nicolas
Peslier (g), Philippe Duchemin (p), Patricia Lebeugle (b) et Didier Dorise
(dm). Après un morceau d’introduction par le quintet, Marcel Azzola entre en
scène et raconte déjà une première anecdote, à propos de Biréli Lagrène, avant
de commencer à jouer. Il en distillera avec humour tout au long de la soirée. Il
débute ainsi avec «Place du Tertre» de Biréli, justement, suivi de «Double
scotch», une de ses compositions ponctuée d’un remarquable solo de Nicolas
Peslier. Changement de registre avec «Taking a Chance on Love» de Vernon Duke
et «Rockin’ in Rhythm» de Duke Ellington, dans une version adaptée spécialement
pour l’accordéon, avec une prestation endiablée de Philippe Duchemin. Le
premier set se conclut sur «Nuage» que Marcel introduit seul, avant de
recueillir les réponses du piano et de la guitare sur le thème. L’accordéoniste
redit son regret de ne jamais avoir accompagné Django, même s’il a eu l’occasion
de jouer avec Babik et David, ainsi qu’avec les frères Ferré.
Par
une «Pich'nette» le second set est lancé et Marcel Azzola entame, seul sur
scène, son medley favori: un hommage émouvant à Jacques Brel, qui suscite chez
son fidèle public des «chauffe Marcel» éclatants de sincérité. «Take Bach», une
composition de Philippe Duchemin, est entamée pour le retour du quintet, qui
clôt ce second volet. Il est minuit passé, la salle se vide un peu mais
beaucoup d’amateurs vont rester pour applaudir les classiques: «Indifférence»,
la fameuse valse de Tony Murena, ou «Sweet Georgia Brown» et «Cherokee». On
espère voir encore longtemps ce conteur de maintenant 90 printemps particulièrement
mis en valeur par la formation de Dany Doriz et les harmonies colorées de ce
dernier. PM
Le 3 mars, à Autour de Midi, Esaie Cid
(as) avait invité Estelle Perrault
(voc) à se joindre à son trio (Gilles Réa, g, Duylihn Nguyen, b). Celle-ci est
une nouvelle venue sur la scène jazz parisienne où elle se produit depuis deux
ans seulement, en particulier pour des jam-sessions. C’est au cours de l’une
d’elle a été repérée par l’altiste. La multiplication des chanteuses –qu’on écoute parfois plus avec les yeux–
peut agacer l’amateur de jazz. Mais l’ami Esaie a un goût sûr et nous a permis
de faire une jolie découverte: la jeune Estelle a une belle diction et le sens
du swing. Lors de cette session très spontanée le groupe a enchaîné «Mean to
Me», «One Note Samba», «Honey Suckle Rose» ou encore un «The Nearness of You»
qu’Estelle Perrault a su rendre avec émotion. Le trio a quant à lui produit un
jeu d’une grande finesse (interventions ciselées de Gilles Réa), à l’image de
son leader qui allie une élégance de la sensibilité à une profondeur assez
exotique compte-tenu de l’époque. JP
Il
faut avoir vu Rhoda Scott au moins
une fois dans sa vie. La façon dont elle joue de l’orgue Hammond, entourée de
ses Cabines Leslie, est un spectacle en lui-même, et elle ne faillit pas à sa
réputation en cette soirée du 16 mars
au New Morning. A la voir ainsi
manœuvrer son B3 légendaire, en un ballet sophistiqué des mains et des pieds
nus sur les commandes, on se dit qu’elle est sans doute une des rares
claviéristes à pouvoir jouer de façon aussi convaincante ses parties de basse,
en parallèle des lignes mélodiques chaleureuses et puissantes qu’elle développe
sans effort apparent. Elle joue en compagnie, comme elle le dit dans un
français volontiers approximatif et humoristique, du «gratin» du jazz féminin
français, et quelle belle idée que ce «all stars» entièrement dévolu à la cause
féminine, le Lady Quartet avec Sophie
Alour (ts), Lisa Cat-Berro (as) et Julie Saury (dm). Cet auguste aréopage nous
est proposé à l’occasion de la sortie du disque We Free Queens. Ce soir, Lisa Cat Berro, l’une des figures
emblématiques du quartet, est absente. C’est donc à Géraldine Laurent qu’échoit
le redoutable honneur de jouer les parties de saxophone alto de Lisa, et son
talent naturel, qui éclate désormais de maturité, lui permet de s’en sortir
avec un brio certain, à telle enseigne que sa prestation constitue même l’un des
highlights de l’événement. Le mélange
des timbres avec le sax ténor de Sophie Alour est d’ailleurs l’un des atouts
maîtres du quartet, et ce d’autant plus qu’il se combine souvent au cours du
set avec les parties de trompette de Julien Alour, véritable joker masculin de
l’équipe, qui transmue le combo en quintet le temps de quelques interventions
bien senties (sans oublier Stéphane Belmondo qui vient lui aussi faire une
apparition savoureuse en guest star pour un solo de bugle).
Renforçant le
caractère événementiel de ce happening (le concert est sold out), d’autres invités additionnels viennent enrichir de leurs
contributions les performances du groupe: Anne Paceo (dm) et Stéphane Belmondo
(flh). La première propose sur le remuant «I Wanna Move» un drumming
judicieusement décalé par rapport à celui de Julie Saury, tandis que «What I’d
Say», l’hymne rythm and blues de Ray Charles, donne le sentiment que Rhoda
Scott transforme en or tout ce qu’elle interprète, véritable machine à swing
dont le talent hors normes met en évidence le lien existant entre toutes les
musiques issues de la matrice afro-américaine. Cet œcuménisme procure à Julie
Saury un plaisir évident, qui l’amène à esquisser vocalement les lyrics des titres
chantés dans leur version originale. Sur «Que reste-t-il de nos amours», de
Charles Trenet, Sophie Alour se taille la part du lion, illustrant les liens
profonds qu’entretient Rhoda Scott avec la culture française. Géraldine Laurent
brille de mille feux sur «Rhoda’s Delight», tandis que «Valse à Charlotte»
permet de se souvenir que Rhoda Scott est aussi à l’origine de quelques
standards du jazz. «Joke» est de nouveau l’occasion pour Sophie Alour de
monopoliser l’attention, et c’est elle qui aura sans nul doute marqué cette
soirée, avec une fougue, une générosité, et une sonorité raffermie. La reprise
de «Bad», le tube de Michaël Jackson, reste l’un des moments mémorables du
concert. La passion de Julie Saury sur ce titre fait plaisir à voir, qu’elle
conclut d’un spectaculaire «Who’s Bad» a capella emblématique du King of Pop. Cependant
le Lady Quartet n’oublie pas les amateurs de jazz, au sens strict, en
proposant, deux compositions de Wayne Shorter: «One by One» des Jazz Messengers
(sur lequel, Julien Alour vient nous régaler de ses sonorités brillantes) et
«Adam’s Apple» tiré de l’album éponyme avec Herbie Hancock. Des reprises interprétées
dans un climat d’émulation qu’a symbolisé pleinement, par sa hardiesse, «We
Free Queens». JPA
Sur
la scène du Baiser Salé, le 17 mars, Tricia Evy (voc) rendait un joli hommage à Louis Armstrong, en
compagnie de la pianiste finlandaise Riitta Paakki (née en 1971), laquelle se
produit, dans son pays d’origine, avec son propre trio ou au sein d’autres
formations. Avec de belles inflexions swing, la chanteuse s’est livrée à une
évocation en bonne et due forme: «Love Is Here to Stay», «Basin Street Blues»…
Très à son aise dans ce registre, elle a quelque fois poussé l’hommage jusqu’à
l’imitation («Cheek to Cheek»), mais avec finesse et humour. La personnalité enjouée
de Tricia collant assez bien à l’esprit du trompettiste et offrant un contraste
certain avec le jeu –certes tout à fait jazz– mais très délicat de Riitta
Paakki. Invité, Franck Nicolas est venu faire raisonner sa trompette sur
quelques morceaux (dont un «When You’re Smiling» pris en mode
bossa) mais avec une expression plutôt cool
que hot. On serait curieux d’entendre
de nouveau Tricia sur ce répertoire mais avec des interprètes qui en sont plus proches dans l'esthétique. JP
Le 18 mars, le Sunset était plein à craquer pour Lenny Popkin (ts) et son trio, composé de Gilles Naturel (b) et
Carol Tristano (dm). En raison d’une programmation un peu maladroite, le trio
ne put jouer qu’une petite heure (le set qui débutait à 20h était suivi du Thomas
Savy Trio à 21h30), mais ce n’en fut pas moins un set passionnant. Car chacun
de ces trois musiciens sont au diapason du jazz le plus sincère, le plus
exigeant, et d’une recherche de tous les instants. Chez Lenny Popkin, des
thèmes comme «After You're Gone», «Stardust», «These Foolish Things», «There
Will Never Be Another You», «Out of Nowhere», «Star Eyes» sont autant de rampes
de lancement vers des improvisations sensibles, fines, poétiques, à la beauté
sans cesse renouvelée. Chacun de ces instants est une petite œuvre d’art. Après
un tel concert, on attend avec impatience de revoir ce magnifique trio qu’on
voit et entend trop bien peu à Paris. MP
Jolie
découverte le 21 mars à la Cave du 38 Riv’: à 25 ans à peine, Leila Duclos (g, voc) interprète avec fraîcheur
le répertoire de Django Reinhardt. Le duo avec son père, Cyril (g) –qui arbore
encore un air de gamin– est visiblement fusionnel (on se doute bien comment l’amour
de Django s’est transmis de père en fille): les deux musiciens composent et
écrivent ensemble. Car leur évocation du grand guitariste passe aussi par la
chanson (jazzy), comme «Jacqueline» et «Interaction». A ce duo intimiste et
complice –enveloppé par la voix veloutée de Leila–, se sont agrégés Satoru Kita
(ss) et Serge Marne (perc) qui apportent respectivement une touche free et
world à l’univers jazz & chansons de Leila et Cyril Duclos. En résulte une interprétation
délicate et colorée de standards («Caravan», «Belleville», «Les Yeux noirs»…) et
de compositions originales, comme «La Braise» qui raconte l’incendie de la
roulotte de Django. JP
Voilà
un an et demi que le trompettiste Wallace
Roney n’était venu à Paris. Le 23
mars, le Sunside affichait
complet pour le leader. Soutenu par les excellents Ben Solomon (ts), Oscar L.
Williams, Jr. (p), Curtis Lundy (b) et Eric Allen (dm), le leader nous a
électrisés durant deux sets, piochant dans son répertoire habituel: une
composition personnelle, «Metropolis», deux thèmes de Lenny White («L’s Bop»,
«Wolfbane»), un de Tony Williams («Elegy»), un de Wayne Shorter («Plaza Real»).
Avec son intensité, cette atmosphère à la Miles Davis, qu’il sait créer comme
personne, ce swing, cette profondeur, Wallace Roney et son quintet nous ont
fait passer une soirée inoubliable! MP
Le 23 mars, toujours, Mighty Mo Rodgers (elp, voc) était au Jazz-Club Etoile pour notre plus grand plaisir. Entouré de bons
musiciens italiens (Luca Giordano, g, Walter Monini, b, Alessandro Svampa, dm),
le bluesman-philosophe a porté la bonne parole du blues à la façon d’un preacher:
«The blues sets you free!». Chaque concert de Mighty Mo Rodgers est une
création à part entière: il improvise, selon son inspiration du jour, des
paroles pleines d’esprit et d’humour sur quelques accords, comme cette chanson
où il raconte la visite de musées parisiens qui s’achève sur un dialogue avec
«Le Penseur» de Rodin. Avec un art certain de la mise en scène (Maurice Rodgers
joue le personnage de Mighty Mo Rodgers), il déroule des histoires en apparence
très simples, mais pleine de profondeur («I Got a Call From the Devil»).
Embrassant tout le spectre de la musique afro-américaine, il a rendu hommage à
la soul music avec «Sweet Soul Music», entre deux aphorismes: « Only three
things are true: dearth, taxes and blues!». Après quelques embardées du côté du
reggae, au deuxième set, Mighty Mo Rodgers a livré un dernier set rock’n’roll,
enchaînant les standards: «Johnny B. Goode» (du regretté Chuck Berry),
«Lucille» (Little Richard), «Blueberry Hill» (Fats Domino) ou encore «The Dock
of the Bay» (Otis Redding). Mighty Mo Rodgers, est à lui tout seul un
syncrétisme de l’Afro-Amérique. Un artiste précieux (et un amour d’homme)
porteur d’un discours et de valeurs d’un autre temps, dont il faut savourer la
présence. JP
Le 24 mars, le guitariste Yves Brouqui présentait au Sunset son nouvel album, How Little We Know, son cinquième en
leader, son premier en trio. Et quelle réussite! Enregistré avec Joe Strasser
(dm) et Kenji Rabson (b), c’est Yoni Zelnik qui jouait de la contrebasse ce
soir-là. Que le trio joue «How Little We Know», «These Are Soulful Days»,
«Between You And Me», «This Time the Dream's on Me», chacun de ces thèmes sont
des moments de grâce. Chez Yves Brouqui, tout semble naturel, avec cette
sincérité, cette élégance, dans la descendance d’un René Thomas, cette
musicalité. Du grand art! MP
Le 26 mars, aux Ateliers du Chaudron, le trio de Jobic Le Masson (p), est invité par Steve Potts (as et ss) en un lieu de prédilection pour le
saxophoniste, qui fait partie de l’équipe artistique de la compagnie éponyme fondée par Tanith
Noble. Avec Peter Giron (b) et John Betsch (dm), ils nous présentent l’album Song et manifestent pour l’occasion une
cohésion que seules de nombreuses heures de jam sessions sont en mesure
d’expliquer. D’emblée, le talent de Jobic Le Masson brille au grand jour,
restituant à l’instrument le rôle indispensable qu’il joue au sein de toute
section rythmique jazz authentique, et tire parti de l’intégralité du spectre
harmonique du piano, emplissant le lieu d’une sorte de réverbération naturelle
à mesure que les différentes nuances de son jeu produisent leurs effets
cathartiques sur les auditeurs. Si le pianiste propose quelques morceaux de
bravoure comme «Cervione», avec ses motifs itératifs répétés sur plus de dix
minutes, il n’oublie pas de laisser à ses compagnons des espaces de liberté,
comme «Double Dutch Treat», de John Betsch, où l’expérience commune du batteur
et du saxophoniste au sein de l’orchestre de Steve Lacy se fait très
agréablement sentir, dans une optique très free qui voit l’édifice rythmique
parfois reposer sur le seul Peter Giron, capable de faire swinguer un riff avec
la rigueur d’un métronome, même quand ses partenaires tentent une figure de
style inédite à la faveur d’un break. Le batteur produit constamment des
structures et des soubassements ouverts
sur l’instant et le monde extérieur, caractérisés par un jeu de charleston
prolixe et un usage très personnel des cymbales, assorties de quelques timbales
et objets bizarroïdes ramassés au sol le
temps d’une frappe. Les sourires sur les visages en disent long sur la qualité
d’une prestation démontrant par l’exemple le bénéfice d’une formation durable,
avec des musiciens qui prennent le temps de bien se connaître, permettant des
prises de risque maximales lors de certains passages clés de la partition. Le
fonctionnement du groupe est alors presque incroyable, tant il permet de
possibilités d’improvisation avec, toujours, un retour au thème d’origine
naturel et virtuose. Le combo se comporte alors tel un chat qui retombe
toujours sur ses pattes, même dans les situations les plus compromises. C’est
sans doute sur «Tangle», que l’esprit général de Song, l’album qui fournit la matière première du set, s’exprime le
mieux, marqué par une intervention tout en finesse d’un invité de marque,
Thomas Savy (bcl), que Steve Potts initie à l’esprit du jour par une formule de
son cru: «C’est en ré mineur au début, et puis ensuite, tu verras (rires)».
Au-delà du sourire, Steve Potts dévoile sur ce titre une discipline, une
sobriété, une économie de moyens qu’on oublie trop souvent d’associer au free
jazz, emportant l’adhésion pleine et entière du public même lors de quelques
stridences en jeu out. Un grand moment de musique et de partage, en une journée
ensoleillée marquée d’un changement d’heure semestriel qui pouvait faire
craindre le pire aux organisateurs, alors que l’assistance fournie témoignait,
au contraire, d’une communauté d’intérêts corroborée par la diversité des
personnes présentes dans la salle. Une prestation mémorable interprétée par des
musiciens qui, parce qu’ils sont avant tout des amis, jouent
une musique inspirée et qui atteste de la valeur artistique
d’interactions basées sur l’échange et les affinités électives. JPA
Le 30 mars au Jazz-Club Etoile, le label Black
and Blue fêtaît ses 50 ans et c’est à une véritable célébration du jazz et
du blues que nous étions conviés, en présence d’un des membres fondateurs du
label et d’invités de marque, tels Rhoda Scott et Dany Doriz. Pour magnifier
l’événement, rien moins que trois groupes emblématiques réunis sous la bannière
«Black and Blue All Stars», un titre qui reflète assez mal le talent et
l’humilité des musiciens présents pour la circonstance. En premier lieu, le Philippe Duchemin (p) en trio, avec
Christophe Le Van (b) et Philippe Le Van (dm). Dès l’enchaînement «Fly With Me»
/ «Take Bach», on sent qu’on a ici affaire au jazz de la meilleure tradition,
avec des arrangements inspirés des plus grands trios de l’histoire du jazz. Le
second titre suggère que J.S. Bach est le compositeur préféré des jazzmen, son
art du contrepoint fait sans doute écho aux accords arpégés des artisans du
swing. «Hymn» est un premier moment d’émotion, avec des aspects intimistes et
introspectifs tout droit issus de l’époque romantique. «Cantabile» est un
hommage splendide au regretté Michel Petrucciani. Le style de Philippe Duchemin
intègre toutes sortes d’influences, allant du jazz le plus traditionnel à la
chanson à texte française en passant par la musique classique. Poursuivant dans
une veine émotionnelle qui lui réussit, le trio nous délivre une très belle
version de «Hymn to Freedom» d’Oscar Peterson. Présenté comme un maître à penser, le grand pianiste
figure ici dans sa veine la plus délicate, avec un lyrisme empreint d’une
grande sensibilité. C’est au tour de Chick Corea d’être à l’honneur avec d’une
de ses compositions les plus célèbres «Armando’s Rumba», tiré de l’album My Spanish Heart. La version proposée ce
soir, Black & Blue oblige, conserve les propriétés du jazz acoustique et confère
à la mélodie de ce classique un éclat tout particulier. Le set se conclut sur «Qu’est-ce
qu’on attend pour être heureux» de Ray Ventura, et la cohésion manifestée par
les frères Le Van tout au long de la performance force une nouvelle fois l’admiration,
évoquant certaines gloses sur la connexion jamais rompue entre jumeaux. De ce
point de vue, il n’est sans doute pas innocent de relever qu’ils n’ont
quasiment pas besoin d’échanger un regard pour effectuer un travail rythmique
dense et de bon goût.
Vient
ensuite le sextet de François Biensan
(tp). En fait, il s’agit plutôt d’un septet puisque Patrick Bacqueville (voc,
tb) s’est joint au groupe composé de Michel Pastre (ts), Fred Nardin (p), Stan
Noubard Pacha (g), Jean-Pierre Rebillard (b) et François Laudet (dm). La
formation dispose d’un registre et d’un répertoire impressionnants, aux confins
du jazz et du blues. Les licks de guitare de Stan Noubard Pacha sont carrément
blues, même une fois passés au prisme d’un amour de toujours pour le jazz. Mais
cet amour de toujours lui permet tout de même de plaquer efficacement ses
accords sur des rythmiques ternaires. Avec ce groupe, ce sont les cuivres qui
sont à la fête, et la formation ne manque pas d’allure lorsque les trois
souffleurs s’avisent de faire front sur scène, concentrant toute l’attention
sur leurs personnes. On commence d’ailleurs avec une évocation des «Hot Lips»
de Lester Young, avant que de faire escale sur un «Jeep’s Blues» de la plus
belle facture, en hommage à Duke Ellington et Johnny Hodges. Le ton est donné;
c’est effectivement le middle jazz et le swing qui sont à l’honneur ce soir, et
le septet ne va pas manquer à ses obligations en organisant tout son set autour
des grands compositeurs et musiciens qui popularisèrent ce répertoire. Patrick
Bacqueville et François Biensan n’hésitent pas à ajouter des sourdines pour
voiler leur son et en accentuer la patine, suggérant le caractère immémorial d’un
hommage sincère et appuyé. «Just Squeeze Me» du Duke est certes un des grands
moments de la soirée, qui voit le tromboniste faire montre d’une versatilité
qui se verra confirmer lorsqu’il donnera de la voix sur «Every Day I have the
Blues», véritable manifeste établissant la connexion entre Count Basie et Memphis
Slim. Sur ce titre, Michel Pastre, dont
le timbre est éclatant de maturité, et Fred Nardin se transcendent,
matérialisant le lien évident entre la matrice du blues et les premières formes
de jazz, sur une rythmique toute de groove traversée de quelques fulgurances
guitaristiques qui mettent tout le monde d’accord et suscitent même quelques
danses spontanées au sein du public.
Après
une telle prestation, on aurait pu s’attendre à une baisse de tension, mais
c’est bien mal connaître les Jazz Workers de Mourad Benhammou (dm). Ce soir ce n’est pas Pierre Christophe au
piano mais Guillaume Naud. Avec Fabien Mary (tp) et David Sauzay (ts, ss), et
Fabien Marcoz (b), ils forment une solide et prolifique formation dont les
œuvres discographiques ont trouvé chez Black and Blue un écrin idéal. Ils
entament leur set avec un thème de John
Williams, qui a parfois touché à l’univers du jazz. A plusieurs reprises, le
groupe revient à la culture cinématographique en parallèle de sa passion pour
les musiciens de l’âge d’or du jazz, allant jusqu’à faire l’éloge du film Le Roi et moi, une œuvre de Walter Lang
de 1956 avec Yul Brynner et Deborah Kerr, auquel le quintet emprunte un thème
musical. Ce motif de quelques notes admirables de Richard Rodgers fournit
l’occasion d’admirer les multiples talents de David Sauzay, qui alterne parties
de saxophone et flûtes aux côtés de Fabien Mary avec le plus grand naturel,
conférant un brio réjouissant aux parties de cuivre qui donnent des fourmis
dans les jambes à pas mal de monde en cette soirée anniversaire. Cet amour de
la musique fait des deux souffleurs les compagnons idéals pour le grand
passionné qu’est Mourad Benhamou. Le leader possède un jeu expressionniste et
spectaculaire dont l’énergie ne se dément pas durant la totalité du set. Alors
que la soirée a pris un certain retard en raison des nombreux changements
nécessités par la succession des musiciens sur scène, les Jazz Workers tinrent
à assurer le spectacle et à donner un véritable concert à part entière,
poussant leurs évolutions musicales bien au-delà du terme de la plupart de
soirées jazz. Une bien belle prestation, sans doute la plus dynamique de la
soirée, à laquelle Guillaume Naud a apporté des teintes exotiques et classiques
qu’Alain Jean-Marie n’aurait sûrement pas désavouées. Happy birthday Black
& Blue! JPA
Le 31 mars à l’Espace Krajcberg (15e arrdt.), Manassés De Sousa (g), guitariste issu du nord-est du Brésil, se
produit en duo devant un public conquis par ce mélange très personnel de choro
et de jazz. Approché un temps par Gil Evans, il décline l’offre pour ne pas
déménager aux Etats-Unis, mais collabore, lors d’un séjour à Paris, avec
quelques artistes hexagonaux, comme George Moustaki, Claude Nougaro ou Bernard
Lavilliers. Spécialiste de la douze cordes électro-acoustique, il n’en utilise
pas moins des instruments à six, huit ou dix cordes, des guitares portugaises
et un cavaquinho qu’il fut un des premiers à introduire en France (devenu le
ukulélé à la suite de son importation à Hawaï). Le point de convergence
entre le choro et le jazz est cette propension à improviser autour d’un thème,
imprimant de multiples variations à la mélodie de base du morceau. Le musicien
qui a joué et enregistré aux côtés de Nanà Vasconcelos et Paco de Lucia, joue
ce soir avec Ney Veras (perc,g) dont le talent de percussionniste ne l’empêche
nullement de faire équipe avec Manassès sur des instruments à cordes. L’emploi
de gammes brisées et d’accords fragmentés n’est pas sans évoquer celui des blue
notes au sein du blues et du jazz, avec un certain nombre de phrases étouffées,
qui renforcent l’aspect rythmique des partitions de guitare. L’utilisation
d’une douze cordes permet d’amplifier le champ de résonances de la guitare,
faisant retentir de magnifiques harmoniques artificielles et naturelles dans la
salle. Les bons moments sont légion. «A Terceira Ponte» et «Retirante» portent
la marque d’une grande fraicheur, avec des atmosphères presque folk qui
flirtent avec une modernité certaine, non démentie par son attachement de
toujours à sa terre natale. «Passeio De Onibus», «Caminho Das Indias», attirent
particulièrement l’attention, empreints d’une émotion sincère qui prépare le
terrain pour l’acmé du set sûrement constituée par «Doce De Coco», dont le côté
choral emplit l’espace de polyphonies célestes, à mesure que Manassés poursuit
ses pérégrinations musicales sur un mode inspiré. L’artiste n’oublie pas de
citer Chico Buarque, dont les œuvres servirent, en leur temps, une contestation
du pouvoir détenu par les militaires dans son pays. Un moment à la fois
intimiste et universel, en compagnie d’un superbe musicien, par ailleurs
empreint d’une humilité et d’une humanité manifestes, qui démontrent par
l’exemple que l’enracinement culturel n’est pas incompatible avec le fait de
toucher de nombreux publics. JPA
Textes: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez Photos: Patrick Martineau et Jérôme Partage © Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Hommage au Jazz de Clama Mairie du 17e arrondissement (Paris), du 1er février au 31 mars 2017
Pierre Clamagirand (1934-2015), dit
Clama, a eu deux grands amours dans sa vie: la peinture et le jazz. Son
œuvre picturale a donc évidemment été fortement marquée par ses élans musicaux.
Et c’est cette dimension de son travail que son fils, le comédien Sylvain
Clama, a souhaité mettre en lumière, réunissant des toiles reliées par le fil
de la note bleue mais dont certaines ont été dispersées au sein de diverses
collections privées. Restait un lieu à trouver pour accueillir cette
rétrospective: ce fut naturellement la mairie du 17e
arrondissement de Paris, dont l’édile, Brigitte Kuster, est une amie de la
famille. On ne reviendra pas ici sur le parcours de Clama (le lecteur peut se
reporter à notre rubrique nécrologique). On rappellera simplement le long
compagnonnage du peintre avec Jazz Hot
(la revue était sa cadette d’un an), à qui il offrit deux belles couvertures
(numéros 540 et 591), d’ailleurs exposées. Plusieurs dizaines d’œuvres étaient
ainsi visibles dans le hall de la mairie (quelques-unes à l’étage), dont les
murs blancs et froids (c’est la seule mairie d’arrondissement parisienne
«moderne», construite en 1970-72) offraient par contraste un bel
écrin pour les couleurs swingantes de Clama. On retient tout particulièrement
de la visite le magnifique triptyque où se déploie un big band.
Le 1er février, le vernissage
vit se presser un public nombreux. Les «officiels» de
l’arrondissement, bien sûr, la famille, les amis de Clama, les gens du quartier
et même deux fameux acteurs: Jean-Claude Dreyfus, venu en voisin, et
Pierre Richard –lui-même amateur de jazz–, dont le fils, le saxophoniste
Olivier Defaÿs (qui se produira quelques soirs plus tard), est un ami d’enfance
de Sylvain Clama; le fils du peintre improvisa d’ailleurs avec allant une
visite guidée à travers les pièces montrées. Quatre concerts devaient donc
ponctuer la durée de l’exposition qui fut inaugurée par le duo Rocky Gresset
(g) / Gilles Barikosky (ts). Le second
concert programmé (le 13 février) réunissait quant à lui Janie-Noële Héliès
(p), Jean-Claude Bénéteau (b) et Philippe Combelle (dm).
La présence d’Olivier Defays (as, ts),
le 17 février, tenait au lien amical et ancien qui le lie à Sylvain Clama. Le
fils du peintre partageant des souvenirs avec le fils du comédien (Pierre
Richard) depuis l’enfance. Et c’est avec son quartet «Men in Bop» –codirigé par son alter ego Philippe Chagne (ts) et complété de Philippe Petit
(org) et Yves Nahon (dm)– qu’il a honoré l’invitation. Voilà un groupe
réjouissant! Ça groove autant que ça rigole, ça swingue avec les
standards aussi bien qu’avec (les excellentes) compositions du groupe
(«Emile Saint-Saëns» de Philippe Petit, «Mérou’s Bounce»
de Defays ou une jolie ballade de Chagne: «I Remember Frank West»).
S’inscrivant dans l’esprit du duo Eddie David / Johnny Griffin («Save
Your Love From Me»), les ténors dialoguent avec une volubilité bop,
soutenus par une rythmique qui ne cherche pas à en faire trop et a livré une
fort subtile introduction de «Caravan» en fin de concert. Au reste,
la joyeuse entente qui transpire de ce collectif est communicative. Et si
l’humour potache dans le jazz –pratiqué par les «revivalistes»
comme par les créatifs institutionnalisés– n’est pas toujours du meilleur goût
(et la musique non plus), on rit de bon cœur avec ces quatre-là jamais en
retard d’une anecdote ou d’une gentille moquerie.
La dernière soirée musicale, le 2 mars,
fut assurée par le cœur gospel Stella Matutina. Abordant un large répertoire,
allant de spirituals historiques jusqu’à des compositions contemporaines, cette
sympathique prestation, assurée par des amateurs, a pris une toute autre
dimension lors des interventions en soliste d’Henry Bastien d’Elie (basse) qui
a donné chair à cette belle évocation. De quoi faire monter jusqu’au Ciel les
notes à la mémoire de l’ami Clama.
Texte: Jérôme Partage Photos: Patrick Martineau et Jérôme Partage © Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Jazz à Rio Rio de Janeiro (Brésil)
A
l’occasion d’un concert dirigé par la jeune musicienne Mariana
Zwarg (fl, ss) nous faisons un rapide point sur la situation
désastreuse de la diffusion du jazz à Rio de Janeiro. En effet, il
s'y est raréfié, se résumant à de ponctuels concerts de vedettes
américaines présentés dans des centres culturels financés par les
institutions (Etat de Rio, Ville de Rio) où par la mécénat privé
(obligatoire pour les grandes entreprises), en particulier le réseau
des SESC (Service Social du Commerce), alimenté par une taxe
destinée à l’action culturelle et sociale, très actif dans les
grandes villes du sud du Brésil: Curitiba, Florianopolis, Porto
Alegre et surtout São Paulo.
Ceci
alors que Rio a une longue histoire avec le jazz: rappelons-nous la
grande époque où les jazzmen venaient enregistrer des albums de
bossa nova au contact des rythmiques et autres solistes cariocas qui
maîtrisait cet art à la perfection. Ainsi Herbie Mann ou Cannonbal
Adderley (entre autres) ont côtoyé dans les studios des maîtres
tels Baden Powell, Paulo Moura, Airto Moreira; de même, une
génération de jazzmen brésiliens a créé une forme musicale
mariant les styles brésiliens (samba, choro, baião, forro) au jazz
le plus moderne. Plusieurs de ces musiciens se sont installés
ensuite aux Etats-Unis: Luis Bonfa, Dom Um Romao, Hermeto
Pascoal…plus tard Eliane Elias. Le
Festival Jazz in Rio a brillé de ses éclats quelques années mais
rien ne l’a remplacé. Quant aux clubs qui ont animé la scène
brésilienne pendant des décennies, ils appartiennent désormais à
l'histoire. Ainsi le Beco
das Garrafas, dans
les années 50 à 60, a accueilli, entre autres, Sergio Mendes,
Raul de Souza, Baden Powell, le Quarteto Novo (Airto Moreira, Hermeto
Pascoal, Heraldo do Monte, Theo de Barros), Elis Regina, Sylvia
Telles... Mistura Fina, durant ses vingt-cinq ans d’existence a
présenté une programmation haut de gamme et a même reçu Chet
Baker, Pat Metheny, et Wayne Shorter. Quant au disquaire Modern Sound
(1966-2010), situé à Copacabana, en plus de proposer un immense
choix de disques, programmait un concert tous les soirs (il était
doté d'une scène) à l'heure de l'apéro. Du célébrissime Ed
Motta, à la clôture avec la jeune chanteuse Julianna Caymmi en
passant par les accompagnateurs des novateurs Egberto Gismonti,
Milton Nascimento, tels Toninho Horta (g), Mauro Senise (ss)…les
habitués, un public un peu âgé mais aussi des jeunes curieux
(l’entrée était gratuite) ont pu assister à des centaines de
concerts. Aujourd’hui
les jeunes musiciens sont dans l’obligation d’organiser leur
propre concert dans des lieux inédits, souvent sous forme de
prévente par internet et selon l’adhésion du public assurent le
concert où l’annulent faute de recette. Le petit lieu culturel de
Lapa (quartier chaud de Rio), TribOz- Centro Cultural
Brasil-Australia, ainsi que The Maze à Catete proposent aussi
quelques concerts payés à la recette et le très cher Rio Scenarium
diffuse parfois du jazz (Big band de la Radio Danoise, Carlos Malta).
On peut rajouter quelques concerts le dimanche matin dans l’immense
Théâtre Municipal de Rio de Janeiro, dont le prix l’entrée est
très bas (Leo Gandelman) pour boucler ce tour du jazz à Rio.
Nous
avons pu assister, le 11 mars, au concert de Mariana
Zwarg e A Musica Universal d’Hermeto Pascoal e Itiberê Zwarg
(Mariana
Zwarg, fl, ss, arr, comp, Aline Falcão, cl, Ricardo Sà Reston, elb,
Pierre Chastel, dm, voc, Sami Kontola, perc, dm, Mette Hadja Hansen,
voc, avec en invités Ajurinã Zwarg, ss, Itiberê Zwarg, melodica,
cl, et Maria Clara Valle, cello). Cette
soirée, organisée par les musiciens, a été possible grâce à
l’accueil de la famille Mol qui a mis son immense villa à la
disposition des musiciens. Située dans le quartier de Recreio dos
Bandeitrantes (50 km du centre de Rio), la mobilisation était
nécessaire et tout le public présent a contribué par un
financement participatif à la réussite de l'opération. Selon
Hermeto Pascoal, la «musica universal» est une musique sans
pré-concept qui englobe tous les styles, valorise les éléments de
la musique populaire brésilienne et en même temps outrepasse les
barrières entre la musique érudite et populaire créant ainsi un
pont entre toutes les musiques régionales du monde entier, reflétant
ainsi son caractère universel. Ce projet a démarré en 2016, à
l’occasion des 80 ans d’Hermeto Pascoal qui marque aussi les quarante
années de collaboration musicale entre le maître et Itiberê Zwarg
son bassiste et ami. Mariana Zwarg a été invité à Barcelone pour
assurer la direction musicale et signer les arrangements d’un
programme de concerts donné aussi à Berlin et Copenhague. Ce
concert de Rio fêtait les retrouvailles d’une partie des musiciens
qui compte un Français, une Danoise, un Finlandais et des
Brésiliens. Dans
une atmosphère chaude et une humidité à couper au couteau, et
après un churrasco bien arrosé, les musiciens nous entraînent dans
leur sillage. Dès
le premier titre «Capivara»,
signé
par
Hermeto, Mariana Zwarg assure l’introduction à la flûte et passe
avec autant de talent au soprano; elle dirige d’un coup d’œil et
veille avec autorité mais bienveillance à la bonne exécution de
ses arrangements. La Danoise Mette Hadja Hansen utilise sa voix comme
un instrument sans parole et apporte une vivacité à l’ensemble
des compositions. Elle ne parle pas le portugais mais ne commet
aucune faute de prononciation car il s’agit là de vocalises très
équilibrés qui savent s’envoler et improviser à l’égal des
solos des autres musiciens. Dès le second titre, «São
Jorge»,
Aline Falcão, venue spécialement de Salvador da Bahia (à 1600 km),
prouve qu’elle n’a pas fait le déplacement pour rien: toute la
soirée son sourire et son assurance, tant dans l’accompagnement
que dans les solos, sont aux bons endroits et au bons moments. Les
sonorités de ses claviers rappellent ceux du pianiste de Carlos
Santana, Richard Kermode. Immédiatement enchaîné, «Vivo
Edu Lobo» (qui
sera présent sur le nouveau double album d’Hermeto), rend hommage
au chanteur et compositeur éponyme qui a marqué de son originalité
l’époque post bossa nova. Chaque thème est très arrangé et ne
laisse pas de place à l’erreur ouvrant néanmoins à chacun
l’espace de s’exprimer en soliste. Sur ce titre Mariana sera
rejointe, après un long solo par la voix de Mette dans un dialogue
endiablé. Sur «Solena»,
Mariana invite son père, Itiberê Zwarg au mélodica, et Maria Clara
Valle, dont c’est l’anniversaire, à les rejoindre pour nous
offrir une lente et belle ballade. Cette chaleur des retrouvailles,
sera suivie par un nouveau thème marqué par un long solo de
violoncelle, totalement fluide et acéré, parfois très free,
laissant ensuite la place à des solos du Français Pierre Chastel et
de Ricardo Sà Reston qui assure en permanence le pivot du groupe,
pour un final de flûte dialoguant avec cordes. Les titres, soit
d’Hermeto soit en son hommage («Campo»
signé
par Mariana), complètent le programme et la flûtiste aime rappeler
que ses premiers pas et son apprentissage se sont faits sous la
double tutelle d’Hermeto (qui est aussi son parrain) et de son
père. Tous deux l’ont vraiment accompagné, lui prodiguant
conseils et critiques salutaires. Les interventions d’Itiberê,
invité spécial, passent du mélodica au clavier où a l’impromptu,
il improvise une dédicace musicale à Maria Clara Valle pour son
anniversaire et pour son implication dans la mise en place de la
soirée. Le groupe terminera la soirée par un onzième titre,
rappelant la richesse du répertoire, le percussionniste finlandais,
Sami Kontola, plutôt discret remplacera à la batterie (d’ailleurs
la sienne fabriquée dans son pays) Pierre Chastel, qui lui scatera
ou plutôt défiera son amie Mette Hadja Hansen dans un combat vocal
où l’hilarité laissa la place à une parodie de colère. Une
belle soirée musicale qui sort des sentiers battus et qui nous
l’espérons pourra ouvrir à ce jeune groupe une carrière
internationale.
Textes et photos: Michel Antonelli © Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Bruxelles en février Jazz Station, Bruxelles (Belgique)
Les concerts du samedi à la
Jazz Station connaissent un succès grandissant d’année en
année. On pourrait en imputer la cause à l’originalité du
timing: de 18h à 20h30, laissant aux aficionados la faculté de se
restaurer ensuite et ailleurs ou celle de poursuivre les
réjouissances plus tard, dans l’un ou l’autre club de la
capitale (Music Village ou Sounds, par exemple). Le 4 février
-exception à la règle- le public n’excédait pas la cinquantaine
pour venir découvrir l’improbable: la rencontre entre le pianiste
Fabian Fiorini (compositeur du morceau imposé au Concours
Reine Elisabeth de piano) et le violoniste Yves Teicher
(exubérant musicien le plus souvent écouté en formule gipsy).
Alors que Fabian Fiorini est coutumier d’envolées
audacieuses d’une grande liberté harmonique (cf. avec Aka Moon),
on connait moins, à Bruxelles, les ouvertures du violoniste
liégeois. Honnis soient donc les jazzfans à tiroirs qui restèrent
au coin de l’âtre, le «zizi-coin-coin» (pastis liégeois) à la
main! Or donc, alors qu’on attendait l’affrontement de ces deux
mondes extravagants-extravertis, on eut droit à des convergences
totalement inattendues entre un Paganini de l’électrochoc et un
dodécaphoniste virtuose. Au premier set, Yves Teicher se présenta
seul pour évoquer ses fondements tziganes et grappelliens
auxquels il ajoute un bon nombre de provocations percutées, criées,
grincées, et des harmoniques. On ne fut pas trop surpris
lorsqu’entre deux débordements crin-crins, le soliste laissa choir
l’instrument pour se muer, vocalement, en poète de l’absurde,
vitupérant et lançant l’anathème aux jazzmen qui structurent et
pontifient oubliant trop souvent la folie créative, celle de Louis
Armstrong, de Dizzy Gillespie ou de John Coltrane. Tel un autre Boris
Vian, cet Arthur Rimbaud du jazz liégeois termina sa demie heure
solo sur «Nuages»… Un nuage d’orages! Lui succédant, avant
l’interruption, Fabian Fiorini (p), seul, survola tous les climats,
tous les genres: mélancoliques, nostalgiques, tendres puis rageurs.
Divinement inspiré, léger ou appuyé, percussif, prolixe, volubile,
il improvise et développe des phrases riches, mêlant sa science
musicale et contemporaine dans un jazz pluriel où transpirent
syncopes, pompe, gospels. Dans ses variations, on surprend les
harmonies de «All The Things You Are»; de «Roun’ Midnight» et
… du «Plat Pays» de Brel. Au deuxième set, plus qu’une
convergence, ce fut un dialogue qui s’installa entre le violoniste
et le pianiste, entre folie et créativité, l’un ouvrant la voie à
l’autre ou le relançant. Après «Autumn’ Leaves» et un
original de Stéphane Grappelli, ils terminèrent par Schubert et sa
«Truite», digressée «Autour de Minuit». Un régal de fraîcheur!
Les Jazz Tours des Lundis
d’Hortense faisaient étape le 22 février à la Jazz
Station. Au programme: le Mimi Verderame Quartet. Batteur,
guitariste, compositeur et leader de big band, le Sérésien avait
préféré faire cette tournée à la batterie, accompagné par
Victor da Costa (g) et Ewout Pierreux (p) qui remplaçait Nicola
Andrioli (p) pour trois dates. Dario Deidda (elb) était venu
spécialement d’Italie pour effectuer les sept concerts en
compagnie de son ami Mimi. Je ne connaissais pas ce virtuose
transalpin de la guitare-basse mais je compris très vite l’ampleur
de mon ignorance en constatant la présence dans la salle de deux de
ses éminents confrères belges: Benoît Vanderstraeten (elb) et
François Garni (elb). Ils ne furent certainement pas déçus puisque
l’artiste peut se comparer à l’un pour sa virtuosité, à
l’autre: pour la puissance de son swing. Avec une grande diversité
rythmique et harmonique, le répertoire choisi par le chef compte des
morceaux de bravoure comme «Invitation», «Calypso», «You Step
Off a Dream» et «Giant Steps», mais aussi: «Massa» de Nicola
Andrioli, «Olivera» de Victor Da Costa et «Paysages Insolites» de
Carlos Jobim. Le quartet est très soudé avec une disposition
généreusement rebop sur des arrangements méticuleux du
leader. D’entrée, on aurait pu croire qu’il s’agissait de
variations sur des séquences écrites, mais les solistes s’affichent
très vite, réjouissants à souhait. Pas de longs solos ennuyeux;
Ewout Pierreux (p), enjoué, surprend par l’intensité de son
swing; Mimi Verderame fait chanter drums et cymbales, mélodieux et
léger; Dario Deidda (eb) étonne par la sonorité de son instrument
et l’intensité mitraillette de ses chorus sur «Invitation»
et «Giant Steps». Un peu en retrait, Victor Da Costa (g) se
rappelle à nous par un beau solo sur «Silver Serenade», les jolies
harmonies de «Olivera» - son original- et une belle envolée qui
suit à une entrée approximative sur le tube de Coltrane. Avec «For
Nothing», de sa plume, Mimi Verderame (dm) enchante par la structure
de son lead et un solo inventif et chantant. La mise en place
est impeccable de bout en bout; la musique coule, légère et riche
jusqu’au rappel: une composition de Mimi Verderame dans une belle
structure en 5/4.
Le 25 févier, LAB Trio
était invité à fêter ses dix années d’existence à la Jazz
Station. Je me souviens avoir assisté à l’un des premiers
concerts du jeune trio flamand dans une très belle salle qui
prolongeait la Mercedes House à la place du Sablon. Les voitures ont
déménagé et, malheureusement, je pense qu’il n’y a pas eu
d’autres concerts de jazz dans ce bel auditorium. Je n’avais pas
été convaincu de l’avenir de cette formation, malgré la
découverte éblouissante du jeune batteur: Lander Gyselinck (20 ans
à cette époque). Aujourd’hui, il faut avouer que je me suis
grandement trompésur leur devenir ! Bram De Looze (p) s’est
affirmé, malgré une attaque fluette et une immense empreinte
Sonates de Bach, comme un pianiste de jazz protéiforme et
inventif; Lander Gyselinck (dm) a, dans ce trio, mis une sourdine sur
ses débordements percussifs pour nuancer ses propos à l’aide
d’une loque sur la caisse claire. Mais c’est Anneleen Boehlee
(b) qui m’a scotché à ma chaise. La jeune femme a grandi,
assurant aujourd’hui une pince puissante. C’est elle qui dirige,
autoritaire. Son jeu est rigoureusement juste en bas du manche comme
en harmoniques; ses solos sont parfaits. Le répertoire de LAB Trio
(Lander/Anneleen/Bam) est peut-être trop classique dans le
sens romantique du terme; on pourrait, à l’aide d’un néologisme,
dire qu’il est bachisant -mais Jean-Sebastien
n’improvisait-il pas? Au travers des arrangements convenus, appris
par cœur, les musiciens aboutissent sur de belles envolées, plus
libres, plus contrastées. Ce jazz-là vaut bien une cantate, sans
doute!
Texte: Jean-Marie Hacquier Photos: Pierre Hembise © Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Blues Station de Tournon Tournon d'Agenais (47), 18 février 2017
Pour cette 110e édition,
c'est l'un des plus talentueux harmonicistes américain de sa
génération qui est venu fouler la scène qui porte bien son nom:
«Here is the blues». R.J. Misho est devenu au fil du temps un des
piliers de la scène californienne bien qu'originaire de la région
de Minnéapolis, lui dont l'apprentissage se fit auprès des gloires
du Mississippi telles que Lazy Bill Lucas, Baby Doo Caston ou Big
Guitar Red. Un esprit de transmission à l'ancienne qui l'amènera à
partager la scène du légendaire Big Walter Horton et de Percy
Strother avec son groupe Blues Deluxe avant d'accompagner les
pointures de passages tels Pinetop Perkins ou Little Smothers.
Aujourd'hui à 57 ans et une discographie sans faiblesses, il est
venue présenter le répertoire de son nouvel album «Everything I
Need» un modèle du genre west coast avec une pointe de Chicago
blues. D'emblée, la cohésion de la rythmique amenée par Abdell Bop
Bouyousfi (b) et Pascal Mucci (dm) installe un écrin aux solistes
que sont Nico Duportal (gt) et le leader R.J. Misho. Un véritable
exercice de style mettant en valeur la virtuosité de l'harmoniciste
tant au chromatique qu'au diatonique. «She's My Babe» aurait pu
sortir tout droit du catalogue Chess du répertoire de Little Walter,
sur tempo médium lent où les inflexions vocales de R.J. Misho
évoquent la nonchalance d'un Jimmy Vaughan. Derrière la guitare de
Nico Duportal fait des merveilles tant en single note à la T. Bone
Walker où en tenant la note à la Albert Collins dialoguant en
permanence avec le leader. R.J. Misho est valeur sure du blues qui à
travers ses prestations continue de creuser le sillon de ses amis
disparus que sont Lynwood Slim et Lee McBee.
Textes et photo: David Bouzaclou © Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Miles Ahead Biographie de Don Cheadle (100 min., USA, 2015) Sortie en France le 17 juillet 2016 et le 24 janvier 2017 (VOD)
L'idée
d’un film sur la vie de Miles Davis est apparue de manière détournée à Don
Cheadle en 2006, lorsque le trompettiste a fait son entrée au «Rock
and Roll Hall of Fame». Soutenu par le neveu du jazzman, le projet de
l'acteur (qui est également un "fan") a manqué de s’interrompre à
plusieurs reprises, faute d’argent. Cheadle est cependant parvenu à réunir les
fonds nécessaires en 2014, grâce au financement participatif, faisant de ce «biopic»
un film complètement indépendant, bénéficiant également de l’appui et de la notoriété de l’acteur
britannique Ewan McGregor. Distribué aux Etats-Unis par Sony, propriétaire d’un
grand nombre des albums de Miles, à travers sa filiale, Columbia Records, le
film a connu une promotion discrète. Il a été présenté en clôture du festival
du film de New York, en octobre 2015, avant de sortir, le 1er avril
2016, dans seulement quatre cinémas américains! En France, le film est
arrivé dans l’été 2016, de façon tout aussi furtive, si ce n’est l’avant-première
organisée à Marseille par le festival Jazz des Cinq Continents. Il est depuis
janvier dernier visible en «vidéo à la demande» (VOD). Plutôt
qu’un récit de carrière, Miles Ahead
évoque les démons du trompettiste pris dans une course-poursuite, à la
recherche d’un enregistrement volé, et épaulé dans sa quête par un journaliste
du magazine Rolling Stone, (Dave Braven alias Ewan McGregor). L’action se situe pendant la période de retrait
de Miles, à la fin des années soixante-dix, entrecoupée de flash-backs. On
notera à ce titre les similitudes avec Born
to Be Blue sur Chet Baker. Les deux films choisissant d’aborder (sans doute pour son intensité dramatique) des moments d’extrême vulnérabilité du
héros-musicien, d’éloignement de la scène et du public ainsi que l’emprise de
la drogue. Ces thèmes – notamment l’addiction – étaient également présents (et
pour cause) dans d’autres biopics jazz comme Bird (Clint Eastwood, 1988) ou Ray
(Taylor Hackford, 2004). Mais ces long-métrages relataient la vie de leur sujet
sur le long-court.
Malgré toute la bonne
volonté de Don Cheadle pour incarner le jazzman, restituant ses mimiques, sa
voix, ses postures et utilisant même une de ses trompettes, l’histoire peine à
décoller et à faire oublier les inexactitudes. Supervisée au départ par Herbie
Hancock, la direction musicale du film a été finalement assurée par Robert Glasper
et c’est l’élément le plus réussi de cette œuvre! Il faut, par ailleurs,
rappeler qu’en 2016, à l’occasion du 90e anniversaire de Miles, le
pianiste a également publié Everything’s
Beautiful (Columbia-Legacy), un
album aux accents jazz, hip hop
et soul sur lequel il mêle habilement des enregistrements originaux du trompettiste
à des samples inédits, comme des instructions données par Miles en studio
après de faux départs.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Born to Be Blue Biographie de Robert Budreau (97 min. Royaume-Uni, Canada, USA, 2015) Sortie en France le 11 janvier 2017
Ce «biopic»,
agrémenté d’éléments de fiction, consacré à Chet Baker, relate la période où l’existence
du musicien bascule après ce tristement célèbre épisode de 1966 où le
trompettiste est passé à tabac dans un parking. Agression qui lui laisse la
mâchoire fracassée, le privant de la capacité de jouer de son instrument. Le
film raconte comment sa petite amie, Jane, parvient à lui faire traverser cette
épreuve et remonter sur scène. Dans l’atmosphère
glauque d’un Los Angeles à la James Ellroy, l’ange déchu, ancienne belle
gueule, cherche à fuir les démons qui le hanteront toute sa vie. Le climat
musical est bien restitué et la photographie, qui alterne couleur et noir et
blanc, nous fait penser à des pochettes d’albums de l’époque. Ethan Hawke, dans
le rôle de Chet, félin déglingué par la drogue, livre une prestation au fil du
rasoir et se prête parfaitement à revêtir les oripeaux de l’ex-vedette du jazz
weast coast dont le succès reposa davantage sur l’image que sur la qualité du
jeu. Le défi est ainsi porté sur la scène du Birdland où il doit s’exécuter
devant ses pairs, en l’occurrence Dizzy Gillespie et un Miles Davis assez
impitoyable.
Ce film est à voir en parallèle avec Let’s Get Lost (1988) de
Bruce Weber, formidable documentaire où Chet Baker se livre à cœur ouvert, ôtant tout élan nostalgique vis-à-vis de son personnage. Le titre Born to Be Blue est tiré d’une
composition du trompettiste qui a été aussi enregistrée par Grant Green et
Freddie Hubbard.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Paris en clubs Février 2017
Le 1er février, Jeff Tain Watts, compagnon de route de Branford et Wynton
Marsalis faisait escale au Duc des Lombards. Le batteur présente la
particularité d’avoir un background très riche, combinant études de percussions
classiques, expériences de télévision, de cinéma et surtout de jazz, qui l’ont
vu participer notamment au Love Supreme Live de Branford, ce superbe hommage à
l’œuvre de John Coltrane, et au Live at Blues Alley de Wynton. Il joue ici en trio
avec Paul Bollenback (g), dont les accords en quarte et le jeu modal célèbrent
à leur manière l’héritage de musiciens comme McCoy Turner, et Orlando Le Fleming (b), dont la formation
académique et l’esprit d’ouverture lui permettent d’assurer avec aisance les
soubassements d’une musique truffée de breaks et de ruptures de tempo. Écouter
Jeff Tain Watts, c’est prendre conscience d’un lien ténu mais bien réel reliant
l’intelligence d’Elvin Jones au caractère explosif de Tony Williams. Moins
ancré que ses illustres prédécesseurs dans une pratique rythmique qu’ils auront
contribué à inventer, le leader propose là une prestation plus tendue qu’elle
n’en a l’air, dans une perspective cinématique qui contraste avec l’apparent
relâchement du trio. Jeff Tain Watts mobilise toutes ses ressources
chromatiques pour intégrer des éléments extérieurs au jazz à une rythmique par
ailleurs rigoureuse et empreinte de motilité.
Sans jamais perdre complètement le sens du swing et du groove puisé chez
Art Blakey et Max Roach, il s’illustre spectaculairement par une puissance de
feu sans doute un peu excessive pour la scène aux dimensions humaines du Duc
Des Lombards, avec un marquage des tempos nettement plus appuyé que celui des
batteurs de bop. On retrouve un kit de batterie de taille assez modeste, si
l’on excepte les splendides cymbales turques ajourées qui font partie
intégrante du jeu spectaculaire du leader. Bollenback fait sonner ses accords
diminués sans difficulté apparente, bien aidé par l’usage d’une guitare à corps
plein, une pédale de volume prévenant les larsens intempestifs, ainsi que par
une maîtrise tonale remarquable, qui le fait tutoyer par instants, lors de
judicieuses citations, les plus grands guitaristes de l’histoire du jazz. Il ne
dédaigne pas, pour autant, de se servir d’effets comme le delay ou la reverb
dont il habille ses traits les plus laid-back. Le blues et les blue notes font
bien évidemment partie du vocabulaire du groupe, nommément requis lors de
l’interprétation des chorus ornant les parties centrales des titres à rallonge
interprétés dans ce set. Jeff Watts utilise des maillets et des balais pour
étoffer son son de batterie, et l’aspect exagérément percussif de ses frappes
en cet espace intimiste est alors heureusement compensé par un sens des nuances
et des accents aussi inattendu que rafraichissant. Le batteur ne donne la
pleine mesure de l’indépendance de ses quatre membres qu’au cours de solos
placés au cœur même des morceaux, comme en rupture avec la structure d’ensemble
de la composition («Vodville»). Il donne alors dans une polyrythmie
spectaculaire, mais ce parti pris prive, peut-être, ses exhibitions techniques
d’un supplément d’âme qu’il a, à l’évidence, la capacité de leur incorporer.
Les prises de parole sont rares, concentrées au début et à la fin du set, avec
un hommage à George Benson et à Mexico City, ainsi qu’un morceau dédié à la
fureur de vivre adolescente. Le trio quitte la scène, à l’issue d’un ultime
rappel, sous les applaudissements nourris d’un public conquis par le fait qu’une
partie des évolutions musicales entendues en cette soirée semble avoir relevé de l’improvisation la
plus pure, d’où, sans doute, une tension très palpable perçue distinctement
durant une partie du concert. JPA
Organisées par le Château Mercier, en Suisse, les
rencontres Orient-Occident regroupent des conférences, des films, des pièces de
théâtre et des concerts. Le jeune Mahmoud Chouki (g, voc) en est le directeur
artistique et invite chaque année, le temps d’une semaine, cinq musiciens
venant des bords de la Méditerranée, pour préparer un concert unique. En
2016, les musiciens originaires de
Grèce, du Maroc, de France, de Turquie, et de Suisse décidaient de prolonger
l’aventure, créant un groupe «Orient-Occident» enregistrant un
album où chacun illustre sa propre culture (voir notre chronique dans Jazz Hot
n°678). Réunis au Café de
la Danse, le 2 février, autour de Mahmoud Chouki, Eleftheria Daoultzi (kanun),
Aurore Voilqué (vln, voc), Ahmet Misirli (perc), Stéphane Chapuis (acc) et
Samuel Pont (b) nous ont entraîné sur des thèmes traditionnels: arménien
avec «Tamzara» et «Dzachkats Baleni», macédonien avec
«Jovano», Bulgare avec l’enlevé «Gnakini Horo» et une
belle intro au violon, ou encore gharnati avec «Kom Tara». Le
concert nous a également offert aussi de magnifiques duos (bandonéon/violon sur
«Tamzara»). Après l’admirable «Kom Tara», avec Mahmoud
Chouki et Stéphane Chapuis, ont suivi d’autres belles compositions:
«Arrows» (Chouki) spécialement dédiée à Aurore, visiblement très
émue, «A deux doigts de te dire oui», de la violoniste ou encore la
remarquable balade «Yona Ma Tehegi» de la chanteuse israélienne
Etti Ankri. Le concert s’est achevé sur «Mechul», composition du
percussionniste, qui finit sur un chant qui a entrainé tout le public debout
avec lui. Une soirée unique délivrant un message de paix plus que jamais
d’actualité. PM
Le 6 février, Frederic Borey (ts) nous avait conviés sur
la péniche Le Marcounet pour un «tour de chauffe» comme on dit en
Formule 1. En effet, le quartet «Lucky Dog» qu’il co-dirige avec
Yoann Loustalot (tp) se préparait à enregistrer – le lendemain et le
surlendemain – un album live au Jacques Pelzer Jazz Club de Liège. Un disque
qui paraîtra chez Fresh Sound New Talent. L’heureux producteur, Jordi Pujol,
avait d’ailleurs fait le déplacement de Barcelone pour applaudir ses
«poulains». Complété des excellents Yoni Zelnik (b) et Fred Pasqua
(dm), Lucky Dog nous a ainsi présenté le répertoire qu’il s’apprêtait à graver
Outre-Quiévrain. Des compositions réussies, comme «C’est tout», du
trompettiste, ou «Old and You», du saxophoniste, un titre empli
d’énergie. La musique du quartet est dense et parfois âpre. Mais elle séduit
par son relief. La puissance suave de Frederic Borey, la belle expressivité de
Yoann Loustalot, la finesse du soutien de Yoni Zelnik, l’onirisme rugueux de
Fred Pasqua se répondent, constituant l’équilibre d’une formation qui sonne. JP
Après huit ans d’absence, le James Taylor Quartet faisait
son retour à Paris le 10 février, au Jazz Club Etoile. Le fameux groupe d’acid
jazz anglais n’a rien perdu de son groove. Le maître de l’orgue Hammond, James
Taylor, était accompagné d’Andrew McKinney (eb), Pat Illingworth (dm) et du
jeune Ralph Wyld (vib). Ils nous offerts deux sets très généreux, très funky.
Dès la première note, on reconnaît la patte du leader et le style de ce groupe
emblématique qui pioche dans son énorme répertoire (le JTQ fête ses 30 ans
cette année), «Picking Up Where We Left Off», «Never In My Wildest Dreams»,
«The Template», «Theme From Starsky & Hutch». Autant de thèmes qui
rappellent les héros du JTQ, Lalo Shifrin et John Barry. Le vibraphone remplace
l’habituelle guitare électrique et permet une relecture sensuelle, un son qui
fait penser à Roy Ayers (avec lequel James Taylor a enregistré plusieurs fois),
surtout pour «Joe’s Diversions». Il y a aussi des thèmes jazz, avec «Root down»
(Jimmy Smith), «Jungle Strut» (Gene Ammons), «Muffin Round» (Jack McDuff).
Espérons qu’il ne faudra pas attendre 2025 pour les revoir! MP
Le 12 février, le Sunside était plein à craquer. Les
amateurs étaient en effet venus nombreux pour souffler les 80 bougies de Louis
Hayes (il les aura le 31 mai prochain). Pour cette tournée anniversaire, le
batteur historique s’est entouré de musiciens d’exception: Jeremy Pelt
(tp), Danny Grissett (p), Dezron Douglas (b). Ce soir-là, le répertoire faisait
honneur aux trompettistes: avec deux thèmes de Freddie Hubbard, «Happy
Times» et «The Thing We Did Last Summer», un de Donald Byrd, «French
Spice». Il y avait aussi «Is That So?» du pianiste Duke Pearson. Le leader et
ses accompagnateurs nous ont offerts une musique, jouée avec une telle
virtuosité, des mélodies interprétées dans un registre contemporain, ancré dans
le swing, avec une telle beauté et une telle émotion que l’enregistrement
s’imposait pour garder une trace de cette soirée inoubliable. Le public
n’oubliera pas ce très grand moment de jazz! MP
Le 14 février, Bobby Few (p) avait convié, à La Java, un
parterre d’amis du jazz à l’avant- première d’un film à son sujet, Musical
Hurricane de Nicolas Barachin. Un projet qui a fait l’objet d’un financement
participatif, sur la base du constat qu’aucun documentaire n’avait jusqu’alors
été consacré à cette belle figure du jazz, dotée d’une personnalité très
attachante. Nous eûmes l’occasion de nous entretenir avec le réalisateur juste
avant la projection, qui nous expliqua que la levée de fonds avait permis de
réunir l’équivalent de 7000€, somme nécessaire au financement du montage et de
l’étalonnage, mais sans toutefois autoriser une rémunération du travail
nécessité par le film. Barachin n’oublie d’ailleurs pas de mentionner cet
aspect désintéressé des passionnés de jazz, qui est bien souvent le lot des
musiciens eux-mêmes, évoquant tout spécialement la générosité de jazzmen comme
Bobby Few en la matière. Outre le plaisir de découvrir ou redécouvrir les
différentes étapes de la carrière du pianiste (apprentissage de la musique dès
l’âge de 7 ans à Cleveland, amitié avec Albert Ayler, séjours à New York, en
Europe et à Paris), on est agréablement surpris du fait que le musicien mette
en parallèle son arrivée dans la capitale française au moment où, selon ses
propres dires, une révolution avait lieu à Paris, et son expérience avec Steve
Lacy, qu’il crédite de la naissance d’un goût jamais démenti pour le free jazz.
Ce dernier avait d’ailleurs débuté par le dixieland et le jazz traditionnel, et
on sent que Bobby n’aime rien tant que ce grand écart entre le jazz hot et les
formes les plus aventureuses de la musique afro-américaine. Le réalisateur du
film insiste sur le contraste entre la gentillesse un peu surannée de Bobby
Few, et sa défense de l’idée que, désormais, le monde a sans doute à nouveau
besoin d’une révolution («les choses sont un petit peu trop tranquilles
en ce moment»). Bobby Few ne précise d’ailleurs pas si cette révolution
qu’il appelle de ses vœux est une révolution sociétale ou seulement musicale,
mais cet oubli volontaire traduit mieux que tout autre sa malice coutumière. Le
sous-titre de «Musical Hurricane» s’explique par le fait que Bobby
y décrit son effet «ouragan» (déjà approché dans Jazz Hot n°677
pour évoquer une performance en solo), qui lui permet de faire jaillir d’un
chaos de formes apparent des mélodies, citations et autres fragments de
compositions célèbres. Avec une ironie somme toute mordante, il ajoute que
cette idée lui est venue du fait qu’il n’a sans doute jamais joué les mélodies
et les accords de manière fidèle, leur préférant l’inspiration du moment et la
grâce de l’instant, en bon libertaire passionné de nature qu’il est. La projection fut suivie d'un concert improvisé du
pianiste, en trio avec Harry Swift (b) et Ichiro Onoe (dm), assisté de quelques
musiciens venus spécialement soutenir Bobby pour un titre d’inspiration très
free (Rasul Siddik, tp, François Lemonnier, tb, Jacques de Lignieres, ts,
Chance Evans,ts) et nous n’oublierons pas l’émotion vive et sincère du pianiste
à l’issue de la projection du film, acclamé et applaudi comme il se devait par
l’ensemble des personnes présentes dans la salle. JPA
Il y a-t-il un leader qui ait plus de classe que Johnny
O’Neal (p)? Au Duc des Lombards, le 15 février, deux mois après son
dernier passage, il nous présentait son nouveau trio,composé de Ben
Rubens (b) et Itay Morchi (dm). Le contrebassiste vient du New Jersey. Il a
étudié à la Manhattan School of Music à New York, joue avec le leader depuis le
mois d’août dernier. Le batteur est israélien. Il s’est installé à New York en
2013, a fait partie des groupes de Tuomo Uusitalo (p), Andrew Forman (g),
Hillel Salem (tp). Il accompagne le pianiste depuis décembre. Rubens et Morchi
ont 25 ans chacun et viennent en Europe pour la première fois. Johnny O’Neal
pourrait s’entourer des plus grands musiciens, retrouver d’anciens camarades, tels
Lonnie Plaxico, Peter Washington, Lewis Nash, avec qui il a joué et enregistré
dans les années 1980 et 1990, ou faire appel à de jeunes lions rompus à toutes
les situations. Mais jouer avec les musiciens les plus jeunes est la seule
façon de leur transmettre cette musique (voir son interview dans ce numéro). Et
durant toute la soirée, les accompagnateurs sont hyper attentifs. Johnny
O’Neal joue au feeling. Il choisit les thèmes au fil du set, toujours
sensible à l’attention du public. Il attaque par «Between the Devil and the
Deep Blue Sea», suivi d’une de ses spécialités: la relecture de thèmes de
la Motown ou des tubes soul, pop des années 1970-1980. Il poursuit avec «The First Time on a Ferris
Wheel» (chanté par Smokey Robinson et Syreeta) qu’il chante, puis «Just The Way
You Are» (Billy Joel) suivi de «Betcha By Golly Wow» des Stylistics. Réputé
pour les milliers titres de son répertoire, il joue peu ses propres
compositions. Ce soir-là, il nous offre «CJLS», les initiales des musiciens de
son trio précédent, Charles Goold (dm) et Luke Sellick (b). Si tout est
supérieur chez Johnny O’Neal, si tout est virtuosité, si tout est swing, il
n’est jamais aussi à l’aise que dans le blues. Et c’est ce qu’il nous chante de
sa voix, douce et chaude, vite éraillée, touchante. Il invite sur scène le
pianiste Franck Amsallem avant de prendre le micro pour «The More I See You» et
«All The Way». Les deux pianistes se connaissent bien, sont complices. La
soirée finit en beauté avec «Mornin’», en hommage à Al Jarreau, décédé le 12
février. Johnny O’Neal est en résidence dans six clubs new-yorkais. Et si la
septième était à Paris? MP
Le 15 février, toujours, Didier Conchon (g) était de
retour à Paris, à la péniche Le Marcounet
après une longue période passée dans le sud de la France (trop calme à
son goût, confie-t-il) et un rapide séjour aux Etats-Unis. En formation réduite
ce soir avec Alain Jean-Marie (p, avec lequel il a conçu un album en 2006), et
Nicola Sabato (b, avec qui il a souvent joué), pour quelques reprises. Ambiance
tranquille dans la cale de la péniche autour de «Jingles»,
«Four on Six» (Wes Montgomery), «East of the Sun»
(Brooks Bowman) ou encore «It Could Happen to You» (Jimmy Van
Heusen/Johnny Burke), titre immortalisé par Chet Baker. De retour à Paris,
Didier Conchon est là pour jouer, jouer et jouer. On attend les prochains
rendez-vous avec impatience. PMC’est, sans aucun doute, l’un des plus beaux événements
de l’hiver: la reformation exceptionnelle des Primitifs du Futur. Et
exceptionnelle également fut cette soirée du 16 février au Studio de
l’Ermitage. Ces derniers temps, ils se font rares. Certains ont pu les voir (en
sextet) au Duc des Lombards en 2012, ou en 2014 aux Nuits de Nacre, à Tulle, et
au Bluegrassfestival, à Rotterdam. Du coup, les retrouvailles n’en étaient que
plus chaleureuses (une tournée est en préparation au Canada et aux Etats-Unis). Autour du guitariste-chanteur-compositeur-arrangeur
Dominique Cravic, ils étaient huit sur scène : Claire Elzière (voc), Daniel
Huck (voc, as), Bertrand Auger (ts, ss, cl), Daniel Colin (acc), Jean-Michel
Davis (vib, dm), Jean-Philippe Viret (b), Mathilde Febrer (vln), Fay Lovsky
(voc, uku, thrm, scie musicale). Sans oublier les invités! Ils étaient
nombreux pour nous offrir un concert plein de grâce, de beauté, d’humour,
d’émotion. «World Musette», «Tribal Musette», les titres de leurs disques (aux
pochettes splendides de Robert Crumb) annoncent la couleur: du musette,
du swing, de la chanson française, de la fantaisie, de la nostalgie, des
parfums exotiques, et des histoires. Cet orchestre remarquable nous raconte
avant tout de belles histoires. Dans la «Java viennoise», Claire Elzière nous
chante les aventures de la fille de Freud, qui a le béguin pour un certain
Louis le Gambilleur. Puis, direction Cuba avec «Kid Chocolat», le
champion du monde de boxe poids plumes dans les années 1930, et puis «Chanson
pour Louise Brooks». Avant de repartir pour la Chine avec la «Valse
chinoise», et le quartier de Barbès avec «La Femme panthère et l’homme
sandwich», Daniel Huck et Fay Lovsky nous offrent un blues plein d’humour. Du
scat à la chanson française, de l’ukulélé à la scie musicale et au thérémine,
du 18 e arrondissement de Paris à l’autre bout du monde, l’imagerie ne pourrait
être plus poétique. Chez les Primitifs du Futur, tout est poétique, tout est original,
tout est subtil. Dans la seconde partie de la soirée, place aux chansons à
textes ciselées. En ouverture, la valse hawaïenne «J’écoute la guitare»,
chantée en 1932 par Jean Lumière, suivie de la superbe chanson «Ton manteau
gris» (Cravic, Paringaux). Histoires d’amitié aussi. Les invités se
succèdent, chacun avec un instrument qui ajoute une saveur supplémentaire à
l’orchestre, et une étrangeté aussi. Voilà les guitaristes Hervé Legeay et Max
Robin pour «La bicyclette» en hommage au grand Pierre Barouh, qui s’est
éteint le 28 décembre 2016. Evocation aussi du génial Allain Leprest, avec
«Marabout Tabou», dont Dominique Cravic et Claire Elzière défendent le
répertoire (et lui ont consacré le disque Claire Elzière chante Allain Leprest,
Saravah, 2014, un vrai bijou). La Japonaise Mieko Miyazaki, vêtue d’une tenue
traditionnelle, monte sur scène. Elle installe son koto, une sorte de longue
cithare posée à plat, et nous joue un blues! L’effet est épastrouillant.
Et ce n’est pas fini! Voilà les musiciens algériens Mohamed El Yazid
Baazi (oud) - grand défenseur de la musique chaâbi - et Khireddine Medjoubi
(darbouka). L’orchestre nous joue alors une «Valse orientale» et «C'est la
Goutte d’Or qui fait déborder la valse». Un plaisir! Le dernier thème de
cette magnifique soirée est peut-être l’un des plus nostalgiques des Primitifs
du Futur (d’autant plus qu’il est dédié à Dédé Roussin): le «Dernier musette» avec, en ouverture, Daniel Colin à
l’accordéon puis Michel Esbelin à la cabrette, la cornemuse auvergnate. En
rappel, «Passez la monnaie» (la version française de «We're in the Money»,
chantée dans le film Gold Diggers of 1933 de Mervyn LeRoy). Un signe envoyé par
le pince-sans-rire Dominique Cravic aux programmateurs de clubs et de
festivals qui seraient bien inspirés de donner à cet orchestre la place
qu’il mérite? MPUn duo de haut vol nous était proposé au Duc
des Lombards, le 18 février: Martin Taylor et Ulf Wakenius, deux
guitaristes qu’une grande complicité unit audiblement. Sideman de Stéphane
Grappelli durant plus de dix ans, l’Anglais Martin Taylor est passé maître dans
l’art du finger picking, capable de faire sonner sa guitare comme un petit
orchestre en jouant simultanément les rythmiques et les lignes mélodiques. Le
Suédois Ulf Wakenius, pour sa part, fut un des derniers compagnons de route
d’Oscar Peterson, aidant le grand pianiste à pallier la faiblesse de son bras
gauche conçue à la suite d’un accident vasculaire cérébral qui l’a privé d’une
partie de ses capacités motrices. Développant chacun un sens rythmique hors pair
au cours de ces expériences formatrices, les deux musiciens se découvrent dès
l’origine une complicité profonde, acquise au fil de collaborations
fructueuses. Cette tournée s’intitule «Legacy», et ce mot va
prendre tout son sens puisque le set débute par un hommage à Barney Kessel, que
Martin Taylor seconda en compagnie de Charlie Byrd (superbe version de
«Blues for a Playboy»). Les guitaristes enchainent avec «Two
for the Road» dont l’album éponyme fut enregistré en binôme avec Alan
Barnes. Déjà, les parties solos inspirées de Wakenius combinées avec la science
des arrangements et l’intelligence rythmique de Taylor font merveille,
transportant un public médusé par l’aisance confondante dont font montre les
deux six-cordistes. Sans nous laisser reprendre notre souffle, ils entament
«Last Train to Hauteville», tiré du «Spirit of Django»
de Martin Taylor, et dont Stéphane Grappelli suggéra le nom en disant à son
guitariste qu’il avait su, sur cet enregistrement, capter l’esprit même du
génie de la guitare manouche. On imagine combien ce compliment dut émouvoir
l’Anglais, tant il met de soin et d’application à célébrer cette musique depuis
lors. On n’oublie d’ailleurs pas qu’on est en France puisque les deux hommes
évoquent«l’Hymne à l’Amour», d’Edith Piaf, un titre
interprété dans l’esprit de Django. Dans cette optique très roots, ils nous
proposent aussi «Lullaby for Birdland», de George Shearing,
véritable tour de force qui donne à entendre en filigranes le chant d’illustres
divas de l’histoire du jazz. En associant cet héritage à un sens de l’ouverture
très «world», Wakenius et Taylor effectuent fréquemment des
citations à caractère humoristique, tirées de la culture musicale populaire et
qui égayent un concert à la fois festif et musicalement très abouti. L’Amérique
est ainsi traitée au travers de la musique d’Ennio Morricone («Once Upon a Time
in America»), tandis que Martin Taylor nous parle d’une collaboration avortée
avec Stevie Wonder, et des conditions bien plus rémunératrices dans lesquelles
des musiciens comme les Rolling Stones effectuent leurs tournées. Autour des
variations en solo proposées par les deux duettistes, leur collaboration sur
«Oscar’s Blues», en hommage à Oscar Peterson, prend un relief tout
particulier, sans doute l’acmé d’un concert chaleureux et complice. Cet état
d’esprit se manifeste encore par un clin d’œil en direction de deux fans de
Youn Sun Nah, que Wakenius épaule depuis 2009, constitué par l’esquisse de
l’hymne coréen Aegukga, et la fin du concert approche avec «Down at
Cocomo’s» de Martin Taylor, une composition destinée à conjurer le manque
de soleil ressenti durant ses années d’enfance, de facture très caribéenne avec
capodastre, toucher pizzicato en palm mute, et tapping. Un moment magique par
essence. JPALe 21 février, il y avait de l’excellent jazz de part et
d’autre de la Seine: Rive Droite, au Sunset, Jean-Philippe O’Neill (dm)
avait réuni l’équipe avec laquelle il a enregistré son album Willie’O (voir
notre chronique dans Jazz Hot n°675): Ronald Baker (tp, flh, voc),
Philippe Petit (p) et Peter Giron (b). Le quartet du batteur a pour principale
qualité de s’exprimer, dans un idiome bop, sur un répertoire de compositions
qui plus est très réussies. Une caractéristique qu’il partage avec quelques
autres formations du même tonneau, notamment celles auxquelles appartiennent
ses membres, comme le Ronald Baker Quintet ou le groupe Men in Bop avec
Philippe Petit. L’occasion de souligner le talent de compositeur de ce dernier,
particulièrement prolifique, qu’on retrouve ici au piano plutôt qu’à l’orgue.
Pour autant, les thèmes apportés par O’Neill, Giron et Baker ne sont pas moins
bons (très réussi «Latina» du trompettiste). Un standard, tout de
même, «It Ain’t Necessarily So» permet à Ronald Baker de livrer un
solo pétillant. L’ensemble, enrobé de la finesse de Peter Giron et porté par le
groove du leader, est plus que plaisant. Rive Gauche, au Caveau de La Huchette, Olivier Defaÿs
(ts, as) et Philippe Chagne (ts) étaient en quartet avec François Laudet (dm)
et Guillaume Naud (org) qui remplaçait ce soir-là Philippe Petit (lequel n’avait
pas – contrairement à certains candidats à l’élection présidentielle – envoyé
son hologramme pour être présent en deux endroits). Arborant un gros son de
ténor, les deux saxophonistes on fait sonner leur quartet comme un big band. La
puissance de François Laudet, en soutien, n’y est pas étrangère («Tickle
Toe» de Basie). Voilà un groupe qui envoie du bois! Au deuxième
set, deux batteurs sont venus faire le bœuf: Stéphane Roger (qu’on
retrouve avec Philippe Chagne dans le groupe Tenor Battle), au drumming très
swing, puis Robert Ménière (autre complice de Chagne, au sein de Take 3), un
colosse à l’attaque explosive, qui a donné un solo spectaculaire. Le tout pour
le plus grand plaisir du public du Caveau -
fort nombreux pour un mardi soir – et notamment des curieux (repérables
à leur mine incrédule et ravie) attirés par l’engouement que le film La La Land
a créé autour du club (qui a vu sa fréquentation croître de 30%). Pourvu que ça
dure! JP
Aux Petits Joueurs, Daniel John Martin (vln, voc) nous
avait concocté, le 22 février, un joli plateau pour sa carte blanche
hebdomadaire du mercredi: Adrien Moignard (g) avec Benji Winterstein (g)
et Jérémie Arranger (b). Qu’il est réjouissant de constater que la tradition
Django se porte bien, vivifiée par le renouvellement des générations, nous
offrant encore en 2017 le plaisir d’être spectateur d’une expression artistique
enracinée dans la pratique communautaire et ouverte sur l’universalité. A 32 ans, Adrien Moignard est une des personnalités de la scène Django ayant émergé ces dernières années (il figure d'ailleurs au casting du biopic sur le divin guitariste à sortir au mois d'avril). Autodidacte, son jeu reste marqué par ses premières influences blues. Ces inflexions imprègnent en effet son interprétation du répertoire, nimbée d'une douce poésie. Une approche particulièrement réussie sur «Les Feuilles mortes» ou sur l'incontournable «Nuages». Daniel John Martin et son violon grappellien lui répondent avec une gaité au fond mélancolique, jouant des émotions contradictoires. C'est tout simplement beau et vrai. JPPour célébrer la sortie de l’album For Maxim. A Jazz Love
Story, dédié à son père ( voir notre chronique dans ce numéro), Julie Saury (dm)
avait pris, au Sunside, le 24 février, la tête d’un sextet tout entier dévolu à
ce projet d’hommage très personnel, soit: Aurelie Tropez (cl), Frédéric
Couderc (ts), Shannon Barnett (tb), Philippe Milanta (p) et Bruno Rousselet
(b). Les bases posées dès l’entame du concert sont très swing, avec les
premiers frisés de la batterie et ce sens du drive si caractéristique, mais on
note presque simultanément une volonté d’appropriation personnelle des
classiques interprétés. Les échanges de solos se font dans un esprit très bop,
tandis que les tempos et les orchestrations constituent le plus souvent de
véritables relectures de morceaux choisis pour leur ductilité, et nous
n’assistons pas ce soir à un revival traditionnaliste du jazz de New Orleans.
«Sweet Georgia Brown», «Moppin and Boppin» font ainsi
montre d’une certaine liberté au niveau des tempos, tandis que
«Avalon» est dotée d’un son
moderne et brillant, quoi qu’évoquant des ambiances nées à l’époque du ragtime
et du Harlem stride. «Indiana» témoigne d’une facture plus
classique, avec les traits rythmiques inspirés de Philippe Milanta, et le
groove puissant de Bruno Rousselet. «Basin Street Blues» et
«Crazy Rhythm» permettent d’apprécier l’authentique virtuosité
d’Aurélie Tropez qui brode à plaisir autour des thèmes dans un
esprit très dixieland. Frédéric Couderc brille lui par une grande polyvalence,
illustrée par un aspect multi-instrumentiste qui le voit utiliser un certain
nombre d’instruments à vent pas toujours identifiables, dont quelques sifflets
lui permettant de ponctuer avec humour les propos de son leader.
«The Song Is You» puis «Together» mettent en
valeur le talent de Shannon Barnett, aussi à l’aise dans le contrepoint
rythmique au trombone qu’en prenant le micro sur des classiques chantés, où son
timbre de voix irréprochable conquiert les amateurs les plus exigeants. Au
passage, ces titres confirment un point de convergence entre Maxim et sa fille
qui semble cristallisé autour du patrimoine vocal américain, d’où, sans doute,
un traitement très choral sur certaines pistes de l’album For Maxim. «Do
You know What It Means to Miss New Orleans» et «Dinah» sont
d’ailleurs des morceaux, seulement présents sur l’édition vinyle de l’album.
Julie Saury a en effet profité des fonds mobilisés par l’intermédiaire de la
campagne de financement participatif pour constituer une sorte de double album,
avec un track listing différent sur le CD et sur l’acétate. «Petite
Fleur» est l’un des grands moments du concert, avec un tempo lent et des
solos qui relèvent d’une déconstruction savante permise par Patrice Caratini,
l’auteur de l’arrangement préservant l’intégrité du chef d’œuvre. «St
Louis Blues» respecte la structure duelle de l’enregistrement studio,
précédé d’un solo de batterie tout en finesse et presque tribal par son
caractère percussif dénué d’ornementation (avec notamment un usage très
parcimonieux des cymbales et une hi-hat actionnée uniquement à la pédale, qu’on
retrouve sur la plupart des rythmes enlevés joués par la percussionniste).
«Les Roses de Picardie» est présenté comme l’un des titres favoris
du père de l’artiste, et à nouveau on sent la volonté de donner une relecture
moderne d’un classique lyrique. Le medley final, interprété en trio, vient
rappeler que le blues fait partie intégrante de l’héritage de Julie Saury, avec
des citations érudites qui achèvent de constituer ce qui restera comme un bel
hommage rendu à la musique de Sydney Bechet, Louis Armstrong et Fats Waller.
JPA
Textes et photos: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez Photo du concert de Julie Saury © Zancovision, by courtesy © Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Bruxelles en janvier Brussels Jazz Festival, Flagey, Bruxelles (Belgique)
Trois
festivals le même mois (Flagey, Riverside, Djangofolllies): te veel is te veel! («trop c’est trop», en
néerlandais). Malgré ceci et nonobstant les frimas, nous étions le 12 janvier au Brussels Jazz Festival à Flagey
pour retrouver Roy Hargrove.Le
trompettiste est trop souvent absent des scènes européennes pour des problèmes
récurrents de santé. Nous n’étions donc pas les seuls à nous impatienter du
come-back du gamin texan de 47 ans
(déjà). La salle était fully booked dans
le «paquebot» d’Ixelles pour ce premier concert d’un festival qui en
compte dix-huit. Roy Hargrove et ses acolytes nous ont livré une sorte
d’encyclopédie de la Great Black Musicà
l’image de ses albums avec le RH Factor. Du jazz avec ses rythmes ternaires, binaires
et variés; des originaux et des standards comme «Never Let Me
Go»; mais aussi du blues, du bop parkéro-davisien, des ballades
originales, du funk, de la soul avec «Fantasy» d’Earth Wind &
Fire (chanté en duo avec le pianiste) et quelques pas de danse de la génération
hip-hop. Hargrove est apparu en assez
bonne forme, s’économisant quant à la longueur des solos. Son discours, sans
outrance, pourrait apparaître conventionnel; les notes sont choisies,
essentielles, séduisantes au bugle comme à la trompette, avec ou sans sourdine.
Aux drums, Quincy Philips appuie les rythmes, attentif, délié, juste, efficace.
Le jeu d’Armeen Saleem (b), malgré des attaques snapée, est beaucoup moins
attrayant. Justin Robinson (as), excessivement volubile et démonstratif aurait
tendance à prendre plus de chorus que ceux qui lui sont dévolus. Pour moi, la
grande révélation est à mettre sur le compte du pianiste: Sullivan
Fortner. Il joue avec une incroyable aisance, souple, disert; on
distingue ici et là les influences: Monk pour des syncopes, Art Tatum et
Oscar Peterson pour les envolées
enjouées, Ellington pour la richesse du discours, Horace Silver ou
Wynton Kelly pour le swing. Une formidable démonstration de ce qu’un pianiste
de jazz peut démontrer. Un musicien à
suivre bien certainement. Et, en plus: il chante aussi en duo avec son
leader! En
définitive: un concert attendu, excellent, clôturé en standing ovation! Nous avons
appris par la suite que la soirée s’était prolongée au Sounds pour le plus grand plaisir des
amateurs noctambules et des musiciens belges présents. Lorenzo Di Maio (g) et
Daniel Romeo (eb) garderont sans doute un bon souvenir de cette incroyable et
improbable jam session.
Le 18 janvier, c’était au tour de Tom Harrell (tp, flh) de se produire
avec son quartet «Trip» dans le cadre du festival. On attend
toujours beaucoup lui lorsqu’il se
produit en Belgique. Trop peut-être? C’est la conclusion qu’on pouvait
tirer à l’issue d’un concert livré sans le soutien harmonique d’un piano ou
d’une guitare. Pour se repérer parmi les méandres écrits par leur leader, les
musiciens avaient à disposition quelque 2,5 mètres de partitions en largeur !
Ralph Moore (ts) eut bien du mal à en faire bon usage. Non seulement il laissa
choir du pupitre des pages et des cahiers entiers, mais ses lectures
témoignèrent en plus d’une totale approximation! Quant à la créativité de
ses solos, elle était totalement absente. On peut même affirmer qu’il a gâché
le plaisir qu’on pouvait recueillir à l’écoute des autres intervenants: Ugonna
Okegwo (b)–bien en rythmes et en accord– et Adam Cruz (dm), prodigieux,
les pas bien assurés dans les empreintes de Tom Harrell, magnifique dans sa
manière de breaker puis de relancer le discours (mais un peu fort peut-être). Avec
des tempos et des moods différenciés
on était resté en éveil au cours des quatre premiers originaux, espérant que le
saxophoniste s’amenderait par la suite. Le compositeur avait choisi de
présenter ensuite une très grande suite. Cette sorte d’opéra en vingt strophes
nous a laissé quelques beaux solos de basse et de drums, mais encore et
toujours: les ânonnements de Moore! De ce concert au bord de la
crise de nerfs, nous garderons un pur bonheur: le «Body And
Soul» joué en duo bugle/contrebasse. Un peu de cran, Monsieur Harrell !
Cachez à nos oreilles ce saxophoniste qu’on ne peut plus entendre!
Texte: Jean-Marie Hacquier, Photos: Pierre Hembise © Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Paris en clubs Janvier 2017
Assister
à un concert de René Urtreger (p), c'est un peu avoir
rendez-vous avec l'histoire du bebop à Paris. Le 6 janvier,
le public Sunside se bousculait pour apercevoir du fond d'un
couloir le trio d'un René Urtreger maniant à merveille l'humour
avec son auditoire évoquant un thème chanté par Danielle Darrieux
«Premier rendez-vous» en 1941, pendant l'Occupation, ou bien le
fameux «Tune Up» de Miles Davis, période désargentée. Le
pianiste cultive toujours une forme d'élégance dans son phrasé
avec ce souci permanent de swinguer comme sur ce sublime «Easy Does
it» en hommage à Count Basie. L'arrangement du thème rappelle
celui de Ray Brown avec une longue citation du fameux «Gravy Waltz»
de ce dernier. S'exprimant dans le langage du bop qu'il maîtrise
avec brio, bien qu'il ait su s'en émanciper avec le trio HUM ou bien
en solo, René Urtreger nous proposa trois sets magnifiques en
restant proche de son idiome favori.
Yves
Torchinsky (b) et Eric Dervieu (dm) sont devenus au fil du temps un
bel écrin pour le clavier du leader. Une rythmique d’orfèvre qui
évolue avec lui depuis presque trois décennies dont le dernier
album, Trio (Carlyne Music) représente une sorte
d'aboutissement. La belle sonorité ronde et boisée d'Yves
Torchinsky répond au jeu aérien d'Eric Dervieu . Avec l'âge, le
pianiste s'est assagi, en explorant que les notes essentielles comme
sur cette version de la ballade «Everything Happens to Me»
rappelant l'école de Detroit de Tommy Flanagan ou Hank Jones à
l'image d'une belle reprise de «Just One of Those Things». «Timide»
thème dédié à Agnès Dusarthe l'auteur de l’excellent livre Le
Roi René (Odile Jacob), également présente dans le club, est
une sorte de calypso en tempo médium. Le second set est plus
décontracté et les musiciens improvisent en alternant standards et
compositions originales du maître. «It Could Happen to You» (qu'il
joua certainement avec Chet Baker) précède une version pleine
d'autorité et débordante de swing de «Jordu». La délicatesse de
son jeu mélodique refuse néanmoins tout effet facile tombant dans
une certaine forme de romantisme, à l'inverse d'un Brad Mehldau. Un
thème de Parker reflète une thématique bop avec le fameux «Round
About Midnight» de Monk pour terminer le set sur un clin d’œil à
son mentor Bud Powell avec une sublime version de «Dance of the
Infidels». Le dernier set débute sur un arrangement plus intimiste
de «Con Alma» qui prépare l'incontournable mélodie de «Thème
pour un ami» avant de plonger sur un «Tea for Two» dont le tempo
d'enfer dans un langage purement bop est un modèle du genre. DB
Le
7 janvier, sur la scène du Caveau de La Huchette, Michel Pastre (ts)
de se produisait en quartet laissant pour une série de concerts sa
rythmique habituelle amenée par Pierre Christophe (p), remplacée au
pied levé par son fils César (p), l'impeccable Cédric Cailleau (b)
et l'assurance tous risques aux baguettes avec François Laudet (dm).
C'est d'ailleurs ce dernier qui s'est illustré sur la fameuse intro
de «Sing, Sing, Sing» (immortalisée jadis par Gene Krupa dans
l'orchestre de Benny Goodman) et qui a amené une version enlevée de
«Topsy». On était sinon plutôt dans un esprit de jam autour de
classiques du répertoire de Basie («April in Paris») ou
d'Ellington («Satin Doll») permettant aux solistes de s'exprimer
pour le plus grand bonheur des nombreux danseurs du Caveau. César
Pastre varie son jeu avec quelques audacieux passages en block chord
et quelques clichés à la Erroll Garner. On retiendra la
quintessence des interventions de Michel Pastre conjuguant Don Byas
avec l'expressivité de l'école Texane propre à Jacquet ou Buddy
Tate. Après son excellent disque en hommage à Charlie Christian
(Memories of You) le ténor se projette déjà à un retour au
big band pour 2018 avec pourquoi pas un nouvel album. DB
Le 8
janvier, Cecil L. Recchia (voc)
présentait au Sunside son nouveau
projet, «The Gumbo»: des compositions évoquant New Orleans qui feront l’objet
d’un enregistrement dans le courant de l’année. Pour servir ce répertoire, un
bon trio: Pablo Campos (p), Raphaël Dever (b), David Grebil (dm). On savait
déjà, depuis son dernier disque, Songs of
the Three (voir notre chronique dans Jazz
Hot n°676) consacré à Ahmad Jamal, que la chanteuse choisissait ses sujets
avec intelligence et originalité. C’est encore une fois un vrai projet de
musicienne qu’elle propose. Le choix des accompagnateurs n’est d’ailleurs pas
le fruit du hasard: on connaît leur connaissance pointue du patrimoine et leur
talent pour le faire vivre. Cecil a ainsi repris «Second Line», «Jungle Blues»
de Jelly Roll Morton (transformé en «Blues de la jungle» avec des paroles
originales), «Go to the Mardi Gras» du Professor Longhair ou encore «Basin
Street Blues». Le tout d’une voix joliment veloutée, dotée d’une belle
expressivité swing. On est sous le charme… JP
Le 11
janvier, la Mairie du 11e arrondissement avait confié à l’association
Spirit of Jazz la mise en musique de sa cérémonie de vœux à la population. C’est
Michele Hendricks (voc) qui a ainsi
investi la scène de la salle Olympe de
Gouges, entourée de Ronald Baker (tp, voc), Sean Gourley (g), Nicola Sabato
(b) et Philippe Soirat (dm). Un bel attelage, monté pour l’occasion, et qui a
délivré un swing des plus festifs autour de thèmes variés: «The Bear Necessities»,
«It Don’t Mean a Thing» ou encore quelques compositions de Michele Hendricks.
Le dialogue à deux voix ou à la trompette avec Ronald Baker a été réjouissant.
Quant à la rythmique –inédite–, elle a apporté un soutien d’une grande finesse.
Un régal. JP
Devant un parterre fourni, Pierre de Bethmann nous présentait, le 21 janvier au New Morning, son Medium Ensemble, un collectif de douze musiciens
dont il dit qu’ils ne constituent pas un big band à ses yeux, mais juste
l’occasion qui lui fut donnée de composer pour un groupe plus étoffé que ceux
qu’il avait dirigés jusqu’à présent. La plupart des titres interprétés
proviennent des deux albums de la formation, Exo et Sisyphe, mais De
Bethmann profite de l’occasion pour introduire des réminiscences de ses
formations antérieures, de telle sorte que même son trio Prysm était, d’une
certaine façon, présent ce soir-là. En
marge de ces relectures de morceaux dont les arrangements initiaux étaient
destinés à des combos plus modestes en taille, «Moderato» instaure un climax
sur lequel on repère déjà le registre très vaste couvert par le sax alto de
Sylvain Beuf et le sax ténor de David El-Malek.
«Ton sur ton» permet de relever l’excellent drumming de Karl Jannuska,
qui interprète les métriques savantes du compositeur comme en se jouant,
qualité jamais démentie durant les deux longs sets de ce concert (plus d’une
heure et demi chacun). Pour «Attention», Pierre De Bethmann nous dit
ironiquement la difficulté qu’il éprouve à trouver des titres pour ses
compositions (raison sans doute pour laquelle il se contente d’un ou deux mots
dans la plupart des cas). La première partie du concert se clôt sur «Exo», avec
une brillante démonstration de Stéphane Guillaume (fl) et le sentiment d’avoir
affaire à une prestation qui touche à la musique contemporaine se confirme. Le
second set débute par une composition antérieure, «Complexe», dans une
relecture évidemment complète par rapport à l’originale qui était enregistrée
par un quintet (et qui serait un hommage à Edgar Morin). Le pianiste alterne le
piano acoustique et le Fender Rhodes pour des sonorités plus électriques, et,
n’était l’extrême variété des timbres utilisés, seul l’état d’esprit général
qui anime le groupe témoignerait du fait que nous assistons bien à un concert
de jazz. Il faut dire que le leader intervient davantage ce soir comme
directeur musical et chef d’orchestre que comme soliste. La densité de la trame
musicale et du tapis harmonique offerts par les douze musiciens lui permet de
s’appuyer sur des voicings pour mieux
se concentrer sur le collier de notes déroulé par sa main droite, emprunt la
plupart du temps d’une inspiration mélodique remarquable. «Panser et penser»
confirme l’imprégnation d’influences classiques issues de la première moitié du
20e siècle, avec des accents tirés des pièces froides pour piano d’Erik
Satie. «76» et «Sisyphe» sont des pistes
de décollage idéales pour ceux qui aiment le Fender Rhodes et la clarinette
basse de Thomas Savy. À noter les contributions de Bastien Stil (tu) qui
parvient presque à reproduire le son d’une voix humaine lorsqu’il descend dans
les graves (un exploit qu’on croyait inhérent à l’usage du vocoder), tandis que
le trombone de Bastien Ballasz brille par ses interventions toutes de tact et
de finesse. Bien sûr, le swing n’est pas le point cardinal de ce type de
happening artistique, car la composition et l’orchestration imposent le plus
souvent de limiter l’improvisation et la fantaisie aux seuls solos des
musiciens; mais si l’on accepte le principe holiste de la forme momentanée en
filigrane des montées en puissance qui jalonnent certains titres, on se
retrouve finalement dans un territoire, certes moins dépouillé, mais pourtant
pas si éloigné de ceux jadis arpentés par le groupe Magma de Christian Vander,
que les magnifiques contributions vocales de Chloé Cailleton évoquent
d’ailleurs immanquablement. Un concert parsemé d’émotions positives, que
demander de plus en ces temps bien trop oublieux du sentiment fédérateur de la
beauté? JPA
Le 21
janvier, Christian Brenner conviait son ami Martin Jacobsen, ténor danois et
parisien d'élection, au Café Laurent
pour une formation en quartet complétée par Gilles Naturel (b) et Pier Paolo
Pozzi (dm). De «Lover Man» à «Yesterday» en passant par «There Is no Greater
Love», ces reprises permettent à Martin Jacobsen de dévoiler son jeu ample tout
en retenue qui s’accorde parfaitement avec celui de Pier Paolo Pozzi retenant
ses baguettes comme pour mieux effleurer les peaux de sa batterie. D’autres
standards sont encore donnés par ce beau quartet, tout en cohérence, dont le
dansant «Groovy Samba», «On Green Dolphin Street» de Miles Davis et un final
sur «Star Eyes» salué par des applaudissements nourris mais feutrés, à l’image
du lieu. De quoi conquérir une nouvelle fois les habitués qui étaient présents.
PM
Le
23 janvier, au Caveau de La Huchette, Dany Doriz (vib), maître de ses
lieux, était en trio avec son batteur de fils, Didier Dorise, et
l'excellent Philippe Petit (org). Belle ambiance ce soir-là, avec un
enchaînement de morceaux propices à la danse: «Tenderly» ou encore
«Vibes Boogie». La belle Australienne Wendy Lee Taylor est venue poser
sa voix de velours sur quelques titres. Si le public était ce
soir-là peu nombreux, on avait plaisir à se retrouver entre
habitués. La Caveau qui célèbre ses 70 ans cette année (dont près
de 47 sous la direction de Dany Doriz) aborde en tous les cas cette
année 2017 avec la sérénité d'un incontournable monument
parisien. GH
Chaque mercredi, depuis l’ouverture du «resto-concerts» Aux Petits Joueurs, en 2008, Daniel John Martin (vln, voc) invite un
représentant de la tradition Django Reinhardt. Le 25 janvier, c’était Romane (g), accompagné de Romain Vuillemin (g), qui partageait la scène avec le violoniste,
devant un public nombreux. Au programme, des standards évidemment, joliment
revisités par le trio («Smile», «Tea for Two»…) et
habillés par les cordes virevoltantes de Romane. Daniel John Martin, qui se
situe dans la filiation de Stéphane Grappelli et de Stuff Smith, poursuivant un
dialogue plein de poésie avec ses invités et donnant également de la voix à l’occasion.
On connait les difficultés que traverse cet endroit où le jazz se partage
en famille ou avec des amis, entre des rires, un verre et un bon petit plat. Que
nous puissions en profiter encore longtemps! JP
Textes et photos: Jean-Pierre Alenda, David Bouzaclou, Georges Herpe, Patrick Martineau, Jérôme Partage © Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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La La Land Comédie musicale de Damien Chaselle (128 min., USA, 2016) Sortie en France le 25 janvier 2017
La première vocation de Damien Chazelle (32 ans) était d’être batteur
de jazz. Ne s’estimant pas suffisamment talentueux, il s’orienta vers des
études de cinéma. L’apprentissage de l’instrument, parfois douloureux, il l’a
raconté dans son premier film, Whiplash
(2013) qui mettait face à face un maître abusif et son élève. Avec ce deuxième long-métrage, La La Land, Damien Chazelle (également
scénariste) place encore une fois son histoire dans un contexte jazz:
cette comédie musicale, qui se veut un hommage aux classiques du genre des
années 40 à 60, met en scène la rencontre et la relation entre Mia (la touchante
Emma Stone), actrice tentant de faire carrière à Hollywood, et Sebastian (le
fringuant Ryan Gosling) pianiste de jazz courant le cachet et dont l’ambition est
d’ouvrir un club à Los Angeles. Soit deux personnages portés par leur rêve (en
l’occurrence le rêve américain, celui qui appelle à s’élever, à accomplir), qui
vont bien entendu tomber amoureux, mais également devoir effectuer des choix
entre leurs aspirations et leur amour. A ce titre, notamment, le film – largement
salué pour ses vertus euphorisantes –, sans être véritablement profond, n’est
pas si léger. Sebastian, qui vit au milieu de ses reliques (portrait de
Coltrane, etc.), est de ces amateurs de jazz intransigeants qui n’acceptent pas
sa mise au goût du jour à des fins commerciales et fustige le grand public trop
ignare pour s’y intéresser. Il rêve d’un club où l’on joue un jazz «pur
et dur», celui de Basie, de Parker, et dont l’inévitable succès sera l’accomplissement
de son grand-œuvre: «sauver le jazz»! Cause perdue pour son
ami Keith, leader d’un groupe à la mode (interprété par le musicien de «néo-soul»
John Legend), qui lui, à l’inverse, recherche l’adhésion facile du public. Ce
décalage assumé de façon bravache (et qui rappelle le discours de beaucoup de jeunes
jazzmen parisiens jouant middle jazz) nous rend bien sûr le personnage éminemment
sympathique (l’occasion de saluer également le jeu de l’acteur qui est un authentique
musicien) tout comme le réalisateur qui parle à travers lui. On est donc d’autant
plus déçu, qu’en dehors de quelques scènes de club assez réussies, le jazz soit
absent de la bande originale signée de Justin Hurwitz. Comble du ridicule,
quand après un morceau très swing, Sebastian se met au piano et exprime ses
sentiments pour Mia, il nous inflige la bluette mièvre («Mia &
Sebastian’s Theme») qui est la
chanson principale du film. Il est fort dommage que le réalisateur n’ait pas
mis son propos en pratique en nous servant tout du long de la chanson de
Broadway (et pas la meilleure), au demeurant pas très bien chantée par les
acteurs. Exception faite du thème d’ouverture, «Another Day of Sun»,
auquel est associé une excellente scène de danse; les autres manquant malheureusement
d’ampleur. Au final, La La Land aligne
les bonnes intentions et les références pertinentes (comme la reconstitution,
dans une jolie scène finale, du Caveau de La Huchette) mais ne parvient pas à faire
aboutir les idées qui auraient constitué sa réussite. Tant pis, on peut
toujours se consoler en revoyant un chef d’œuvre de la comédie musicale jazz,
tel Stormy Weather.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Jazz in Australia Sydney, Melbourne, etc.
Le pianiste Chris Cody (Jazz Hot n°613) nous adresse une carte postale
en provenance de son pays natal, l’Australie, où il est retourné vivre pour
quelques temps, après vingt-et-un ans passés à Paris (où il a effectué un court
passage, en juin dernier –voir notre compte-rendu ci-dessous– pour présenter
son dernier disque, Not My Lover –dont
la chronique est également disponible). Il est vrai qu’en dehors de quelques
musiciens, essentiellement ceux parisiens d’adoption, comme Sebastien Girardot
(b), David Blenkhorn (g), Wendy Lee Taylor (voc), ou encore Joe Chindamo (p, Jazz Hot n°596) qu’on ne connaît que par
enregistrements interposés, la scène jazz australienne nous est fort lointaine. C’est
donc un intéressant panorama qu’esquisse Chris Cody, pour se faire une petite idée
du jazz au pays des wallabies…
L’Australie est connue
pour ses magnifiques déserts, ses plages de surf, ses «cafés
culture», ses événements sportifs et l’opéra de Sydney; moins pour
sa scène jazz et ses musiciens dont beaucoup ont fait carrière en Europe et aux
Etats-Unis. Ainsi, l’amateur de jazz ne sera-t-il pas déçu par cette scène
australienne réduite mais de qualité, particulièrement à Sydney et Melbourne,
les deux plus grandes villes du pays qui comptent chacune environ 5 millions
d’habitants.
A Sydney, bien que quelques-uns de ses clubs historiques –tel El
Rocco ou le Soup Plus– soient fermés depuis longtemps ou que d’autres encore –comme
The Basement–, ne programment plus de jazz, il existe encore des lieux
spécifiquement dédiés au jazz. Par ailleurs, on peut entendre régulièrement du
jazz dans nombre de bars, pubs, restaurants et festivals. A l’image de Sydney, synonyme
de soleil et de plages, le jazz y est coloré, extraverti, original, avec
souvent une base groove.
Près du centre-ville, se
tient le Foundry 616 (ouvert en septembre
2013), au 616 Harris Street Ultimo, dans un ancien quartier ouvrier. La salle
est de forme carrée avec un bar et des tables éclairées de bougies devant la
scène où l’on peut dîner. La programmation est variée, avec une dominante de
jazz moderne et contemporain, et s’étend occasionnellement à la world music et
au hip hop. S’y produisent notamment Mike Nock (un pianiste néo-zélandais qui
après plusieurs années passées aux Etats-Unis est aujourd’hui considéré comme
le doyen de la scène australienne), Dale Barlow (ts, ancien membre des Jazz
Messengers d’Art Blakey), Vince Jones, Virna Sanzone et Emma Pask (voc). Le 505 Club était originellement situé dans un entrepôt (2004-2009),
appartenant à un contrebassiste, où le public devait s’asseoir par terre. Début
2010, le club déménageait dans des locaux plus adaptés –où l’on peut boire et
manger–, au 280 Cleveland Street, à Surry Hills, un quartier populaire qui, à
la manière de Soho, s’est couvert de petits restaurants et de bars branchés.
L’atmosphère du 505 Club est résolument underground: vieux canapés,
lampes, graffitis sur les murs extérieurs. C’est un espace d’expression
artistique où l’on entend du jazz moderne, du funk, du groove, mais également
un blues enraciné. Du lundi au mercredi se tiennent les jam-sessions et les
concerts le reste de la semaine. On peut y écouter régulièrement Matt McMahon
(p), le groupe 20th Century Dog, Carl Dewhurst, and Carl Morgan (g), Andrew
Gander (dm) et quelques autres formations. La Sydney Improvised Music Association (SIMA) –en bas des escaliers de
l’espace bar du Seymour Center, un grand complexe dédié au théâtre et à la
musique, en bordure du campus universitaire – est financée par l’Australia Council for the Arts (le fonds culturel du
gouvernement australien), elle a ainsi toute latitude pour programmer un jazz
contemporain original. Toutefois, ces dernières années, le budget alloué à la
Culture a subi des coupes franches qui rendent incertain l’avenir des artistes
australiens (qui ne connaissent pas le statut d’intermittent). Mais la SIMA,
qui se maintient à flot depuis plus de trente ans, en a vu d’autres… Parmi les
musiciens qui fréquentent sa scène, on trouve Sandy Evans (ts, ss), Andrew Robson (as), Paul Cutlan (s, bcl…), James
Greening (tb), Mike Bukowski, Phil Slater (tp), Lloyd Swanton (b) ou encore
Mark Isaacs (p). Le public de la SIMA, assez varié, notamment en âges –mais en
diminution ces derniers temps–, prend place dans un décor de briques quelque
peu austère, heureusement enrichi de bougies et de jeux de lumières. Colbourne Avenue n’est pas un lieu habituel: cette ancienne église possède un
piano-à-queue et propose du café et du thé en self-service. Chacun paie ce
qu’il veut et la musique est essentiellement acoustique. Les plus récents
concerts ont permis de mettre en lumière des musiciens émergeants, tel Laurence
Pike (dm, samples), Simon Ferenci, Mike Majowski (tp), Matt Keegan (ts), Richard
MaeGraith (ts). Les passants se laissent facilement happer par cette atmosphère
très particulière, y compris les sans-abris du quartier. D’autres lieux à Sydney
proposent occasionnellement du jazz, comme The Camelot Lounge, à Marrickville, qui
possède une salle haute consacrée au cabaret et à la world music et une salle
basse, le Django Bar, orné d’une
grande affiche du guitariste. Dans quelques pubs du centre ville et dans le
vieux quartier des Rocks on peut entendre du middle jazz et du dixieland, ainsi
que dans des restaurants et quelques festivals de plein air. Tandis que les
quartiers de Newtown et de Surry Hills, privilégient une musique plus groovy
qui réunit souvent un chanteur, un saxophoniste et un DJ.
Moins impressionnant et
connaissant des hivers plus froids, Melbourne
abrite une scène jazz moins extériorisée et dont la sensibilité est plus proche
de la scène européenne contemporaine. Si Bennetts Lane est le plus ancien club de Melbourne –créé en
novembre 1992 par Michael Tortoni – son avenir paraît incertain depuis le
départ de son fondateur. Il n’en reste pas moins que le club a vu défiler la
crème du jazz australien: Paul Grabowski (p), Jamie Oehlers (ts,
originaire de Perth, sur la côte sud-ouest du pays), Jordan Murray, Shannon
Barnett (tb), sans compter les musiciens de renommée internationaleThe Uptown Jazz Café, dans le quartier de Fitzroy, est une petite
salle en haut d’un escalier, comprenant un piano-à-queue et pouvant accueillir
environ soixante-dix spectateurs; le dimanche, l’association Melbourne Jazz Co-Operative y programme
de la musique improvisée, notamment Julien Wilson (ts), Barney MCall (p) ou Scott
Tinkler (tp). The Paris Cat Jazz Club, à Goldie Place, est un autre club intime où l’on
peut entendre Gian Slater (voc) ou Andrea Keller (p), tandis que l’élégant Dizzy’s Jazz Club, à Richmond, propose
beaucoup du jazz vocal –telle Nichaud FitzGibbon, une véritable institution à
Melbourne–, mais également des big bands et des petites formations. De même que
le Ruby’s Music Room fait également
la part belle aux chanteurs et aux formations réduites.
Les principaux festivals
de jazz australiens sont organisés à Melbourne, Wangaratta, Perth, Thredbo,
Manly et à Stonnington, offrant un
spectre assez large. Mais le jazz est également présent au sein de festivals
plus généralistes, comme ceux de Brisbane, Perth, Sydney ou Adelaide. En dehors
des grandes cités, quelques petites villes rurales comme Bellingen, Dubbo,
Fremantle ou Berry proposent des festivals plus modestes, souvent sur un seul
week-end, avec une programmation middle jazz. Et malgré la distance qui sépare
le continent australien des Etats-Unis, on retrouve des têtes d’affiche
américaines dans les grands festivals, les grandes salles de concert, comme
l’Opéra de Sydney où se sont notamment produits Herbie Hancock, Wayne Shorter
et Sonny Rollins. C’est également le cas de certains clubs, comme le 505 où Gary
Bartz est passé en juin de l’année dernière.
Bien entendu, la société
australienne s’intéresse d’abord au sport, au rock, à la pop music et aux
grands espaces (ces endroits où vous pouvez «jeter une crevette sur le
barbecue» - «throw a shrimp
on the Barbie»). Le jazz reste donc une culture underground, animée
par des musiciens qui, comme en France et aux Etats-Unis, doivent mener de
front des activités d’enseignement, d’autopromotion, de production pour pouvoir
vivre de leur art. Mais avec passion.
NDLR: Le portail
internet Jazz Australia met à disposition de nombreux compte rendus et
interviews de musiciens qui renseignent la scène australienne.
Texte: Chris Cody Photos by courtesy of Chris Cody © Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Festival Jazz'titudes de Laon Blue Rhythm Band avec Dany Doriz et Faby Médina. Maison des Arts et Loisirs, Laon (02), 20 janvier 2017
Sis dans la jolie citadelle médiévale
de Laon, le festival Jazz’titudes fête en 2017 sa vingtième
édition avec une programmation qui s’étale sur toute l’année
(du 20 janvier au 15 décembre) et dont les temps forts sont prévus
pour le mois de mars, avec notamment un «plateau anniversaire» de
dix musiciens (le 18 mars) en partenariat avec le Jazz-Club de
Dunkerque qui, de son côté, célèbre ses 35 ans. Si la plupart des
concerts se tiennent dans le bel auditorium de la Maison des Arts et Loisirs de Laon – au pied de la cathédrale –, d’autres,
parmi vingt-six annoncés, se déroulent dans divers lieux de la
ville ou dans quelques communes proches (la programmation complète
peut être consultée dans notre Agenda ou sur le site du festival:
www.jazztitudes.org).
Le 20 janvier, Jazz’titudes 2017
s’ouvrait, à la Maison des Arts et Loisirs, avec un
concert dont les bénéfices devaient être reversés pour aider à
la restauration de la chapelle des Templiers de Laon (XIIe siècle),
vestige quasi unique en France de l’ordre des Croisés, et à
propos duquel un court documentaire fut diffusé de façon
préliminaire. Mais la soirée était avant tout placée sous le
signe du swing avec le Blue Rhythm Band, formation créée à
Saint-Quentin en 1951 et qui est, à ce titre, le plus vieil
orchestre de jazz amateur en France. En plus de soixante ans, le
groupe s’est évidemment renouvelé et il ne reste plus aujourd’hui
de membres fondateurs encore actifs (un "ancien", Alain Richard, tp, flh –
né en 1935 –, était cependant venu en spectateur); bien
que la plupart des musiciens aient de nombreuses années de service,
à l’instar de leader, Serge Duftoy (p), au «BRB» depuis 1968. La
rythmique de l’octet est une affaire de famille: Didier Duftoy (b,
frère de Serge) et Armand Duftoy, dm, son neveu et benjamin du
groupe). Quant aux soufflants, se sont Jacques Verrièle (tb, le
doyen, membre de l’orchestre depuis 1956), Bruno Vilain (tp),
Philippe Holbach (tp), Xavier Wolfersberger (as, cl) et Serge
Helminiak (ts). En outre, le BRB avait à ses côtés deux invités
de marque: Dany Doriz (vib, tout juste de retour de Liverpool où il
s’était produit pour les 60 ans du Cavern Club, cave historique où
ont débuté les Beatles et qui a été aménagée sur le modèle du Caveau de la
Huchette!) et Faby Médina, que l’on connaît en particulier comme
la voix féminine du Claude Bolling Big Band.
L’octet a d’abord accueilli le
patron de La Huchette sur un des titres fétiches de ce dernier: «Air
Mail Special». Les fines harmonies du vibraphoniste habillant avec
bonheur chacun des morceaux joués. Peu après, c’est Faby Médina
qui entrait en scène avec «G. Baby» d’Illinois Jacquet. Sa
présence a constitué une belle découverte pour le public laonnois:
puissance maîtrisée, diction claire et surtout un excellent groove!
On s’est ainsi régalé à l’écouter reprendre «Lullaby of
Birdland» ou encore «I Got Rhythm» en fin de première partie.
Après un entracte au cours duquel les spectateurs ont pu partager
une coupe de champagne avec les musiciens, le concert a repris avec
un second set plus dynamique, chacun ayant eu le temps de prendre ses
marques. Délaissant son saxophone pour exposer ses talents d’artiste
lyrique, Xavier Wolfersberger a interprété «Ol’ Man River», le
thème principal de la comédie musicale Show Boat, et fait
sensation. On est cependant très vite revenu à une véritable
expression jazz, avec Faby Médina qui a donné une très belle
version de «Stormy Weather». Un autre bon moment fut «Moppin’
and Boppin’» de Fats Waller lors duquel, pour quelques mesures,
Dany Doriz s’est amusé à rejoindre Serge Dutfoy au piano pour un
quatre mains. Il est, par ailleurs, à signaler qu’au sein des
cuivres, Serge Helminiak (ts) s’est distingué par la qualité de
son jeu, notamment sur «Blues and Sentimental». La soirée s’est
achevée sur deux rappels particulièrement sympathiques: «It Don’t
Mean a Thing» et «Route 66» qui ont ravi l’assistance.
Une agréable soirée de jazz, sans
aucun doute, qui doit autant au talent des deux invités du BRB qu’à
la gentillesse de l’équipe organisatrice, le très dynamique
Dominique Capelle en tête. Jazz’titudes comptant encore parmi les
festivals où musiciens, bénévoles, journalistes et public se
côtoient avec convivialité. L’esprit du jazz, tel que beaucoup de
festivals de dimension plus importante l’ont malheureusement
oublié.
Textes et photos: Jérôme Partage © Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Paris en clubs Décembre 2016
Blues! Blues! Blues!
L’édition 2016 (la 48e!) du fameux Chicago Blues Festival était assurément un excellent cru, d’autant
plus remarquable que la plupart des musiciens partageant la scène du Jazz Club Etoile, le 9 décembre, ne s’était jamais produit
en France. Quel plaisir ainsi de découvrir ces artistes délivrant un blues 100%
pur jus, tiré à la source! Eddie Cotton Jr. (elg, voc, 1970) est
originaire de Clinton (Mississippi). Fils de pasteur, il intègre tout jeune la
chorale de l’église (dont il deviendra plus tard directeur musical) tout en
apprenant la guitare à l’écoute B.B. King. Il a étudié à l’université de
Jackson. Grady Champion (hca, voc, 1969) vient également du Mississippi (Canton)
et s’est aussi formé à l’église. Il est, par ailleurs, producteur et animateur
de radio. Diunna Greenleaf (voc, 1959) est née à Houston (Texas). Venue du
gospel, elle consacre une partie de son temps à un «blues program»
destiné aux écoles. Outre ces trois têtes d’affiche, le groupe était constitué
de Darryl Cooper (p), Myron Bennett (elb) et Kendero Webster (dm). Soutenu par
cette bonne rythmique, Cotton, Champion et Greenleaf se sont succédés sur le
devant de la scène, chacun avec une énergie communicative. Entertainer bien
rôdé, Cotton a surtout brillé par sa prestance, faisant se lever un public aux
anges. Champion a lui séduit par son enthousiasme et sa façon de dégager de good wibes. Mais la personnalité la plus
marquante fut sans nul doute celle de Diunna Greenleaf, aussi imposante
physiquement que vocalement. Une diva du blues «à l’ancienne» comme
on n’a plus guère l’occasion d’en entendre, puissante et sensible, et qui a notamment
présenté quelques belles compositions personnelles. JP
Le 15 décembre, celui qui a fait équipe avec Philip Catherine venait
nous présenter, au Centre Wallonie-Bruxelles,
son dernier album, Summertime. Spécialiste
du finger picking, le Belge Fabien
Degryse, qui a étudié au Berklee College of Music de Boston, a déjà huit
disques à son actif et présente la particularité de jouer sur une guitare folk
aux cordes en acier, avec un son très naturel amplifié au moyen d’un capteur
piézo. Si le choix de privilégier une amplification généreuse peut paraître
risqué à première vue (le travail de frettes se fait davantage entendre), ce
parti pris permet à Fabien Degryse de faire ressentir les moindres nuances de
son jeu ainsi que son sens du rythme, éléments
fondamentaux qui donnent tout son relief à la prestation d’un homme seul en
scène avec sa guitare. Après de nombreuses œuvres basées sur des compositions
personnelles, Summertime semble l’album d’un retour aux sources en même
temps que celui de la maturité d’un artiste qui se fait le plaisir de célébrer
ceux qui sont à l’origine de sa vocation musicale. De fait, son set est émaillé
d’anecdotes, de petites notices d’introduction, pour lesquelles il développe un historique, une genèse, et met en exergue une
figure de l’histoire du jazz. Nous voyageons en sa compagnie éclairée sur des
relectures savantes de Shearing, de Gershwin, Porter ou Jobim. Chaque fois,
l’artiste nous propose un arrangement distinct de l’original qui est au moins
autant l’œuvre d’un amoureux de la musique que celle d’un musicien
professionnel qui ne veut pas tomber dans la redite. Le passage par le Brésil
et la bossa, «Corcovado», est justifié par des collaborations
telles que celle de Stan Getz avec Joao Gilberto, et la Belgique n’est pas
oubliée grâce au formidable «Bluesette» de Toots Thieleman. Parmi les moments forts du concert, on trouve les emprunts
au Kind of Blue de Miles Davis et
cette relecture de «Summertime» de George Gershwin, dont il nous
dira qu’elle constitue l’une des dizaines de milliers de versions déjà existantes
de ce classique parmi les classiques. Pourtant, c’est sans doute l’hommage
rendu à Duke Ellington qui, parce qu’il est inattendu de la part d’un
guitariste solo, constituera le souvenir
le plus mémorable de cette soirée. «In My Solitude» a peut-être été
composé en quelques dizaines de minutes sur un coin de table, aux dires du Dukelui-même.
Mais c’est en tout cas une façon élégante pour Fabien Degryse de souligner ce
que nous devons aux grands anciens, et combien la marque de ces génies
incontestables de la musique continue et continuera de hanter le jazz moderne.
JPA
Textes et photos: Jean-Pierre Alenda, Jérôme Partage © Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Paris en clubs Novembre 2016
Le Spirit
of Life Ensemble de Daoud-David Williams (perc) était de passage au Caveau de La Huchette, le 1er novembre. On y a
retrouvé ses membres réguliers: Rob Henke (tp), Dwight West (voc), Chip Shelton
(as, fl) auxquels se sont agrégés d’autres «habitués» parisiens: Katy Roberts
(p) et Philippe Combelle (dm). Deux nouvelles têtes cependant dans la
formation: le propre fils de Daoud, Sam Williams (perc) – plutôt discret – et
un contrebassiste venu en dernière minute: Jean-Pierre Rebillard. Une nouvelle fois, la prestance de Dwight
West a beaucoup apporté au spectacle donné par le groupe: excellent vocaliste,
il a livré une enthousiasmante version de «Everyday I Have the Blues». On l’a
également entendu sur «Night in Tunisa»
ou «Take the A Train», esquissant par ailleurs quelques pas de danse avec une
spectatrice pendant les solos de ses petits camarades. A souligner également la
direction musicale avisée de Ron Henke, ainsi que les qualités de la rythmique,
en particulier Katy Roberts. Quelques invités sont, en outre, venus se joindre
à l’orchestre, au deuxième set: Rasul Siddik (tp) et Adrien Varachaud (as),
pour un «Caravan» très fleuri. Comme dirait Daoud:«Viva le France et viva la
jazz!». JP
À une heure que d’aucuns, parmi les amateurs
de jazz, qualifieraient de matinale, Ricky
Ford (ts) nous conviait, le 6
novembre, à un brunch au Dame Rose,
nouvelle appellation d’un lieu que la plupart d’entre-nous connaissaient sous
le nom de Petit Journal Montparnasse. En duo avec Dexter Goldberg (p), il nous
a interprété avec sa fougue habituelle un répertoire très vaste, avec des
versions complètement remaniées de classiques et de compositions personnelles.
On note tout particulièrement une relecture méconnaissable de «A Time for Love»
un hommage à Stan Getz déjà joué au Sunside (voir notre compte-rendu du
7/10/16) dans un arrangement très différent, et surtout un «The Sidewinder» de
Lee Morgan rutilant comme une pièce de chrome. En écoutant le très émouvant «Naïma» de John
Coltrane, on éprouve une sorte de malaise; le décalage entre la générosité de
Ricky Ford, qui propose quelque chose de nouveau chaque fois qu’il se produit
en public, et l’absence de contours du concept «Dame Rose», dont la décoration
façon Nouvelle Orléans était pourtant censée permettre une ouverture plus grand
public, fait songer à la polémique qu’avait ouverte Laurent Coq à propos du
relooking et de la programmation du Duc des Lombards. De fait, il y a pour l’heure un contraste
assez embarrassant entre la volonté affichée d’étrenner de nouveaux concepts,
et celle de continuer à accueillir des artistes confirmés qui ont travaillé
toute leur vie pour défendre les couleurs du jazz. Voilà donc, pour l’heure,
une enseigne qui vit sur sa légende, cherchant à renouveler son public par
l’intermédiaire d’aménagements cosmétiques. Ce sentiment ambivalent n’empêche
pas d’apprécier une prestation tout de même fort agréable du saxophoniste, qui
profitera de l’assistance clairsemée pour jouer sur un mode plus intimiste,
s’éloignant des micros pour échanger de façon très fluide avec son pianiste,
dont le talent et la parfaite dichotomie main gauche main droite ont animé
toutes les compositions proposées en cette happy hour d’un nouveau genre. JPA
Itamar
Borochov, trompettiste originaire de Jaffa vit à
Brooklyn depuis plusieurs années. De par son parcours personnel, il tente de
connecter les différentes traditions du jazz entre elles aux termes d’une
démarche empreinte d’une certaine sophistication, mélangeant aussi bien des
éléments issus du patrimoine musical africain que des influences arabes. Son
expérience d’arrangeur et de producteur, ses préoccupations spirituelles, ont
nourri tôt en lui la conviction que le bebop était intrinsèquement une sorte de
world music avant la lettre. Dans le cadre très intimiste et agréable du Studio de l’Ermitage, le musicien a pu
développer à loisir sa démarche, le 10
novembre, bien aidé par les éclairages et l’ambiance particulière du lieu,
qui lui ont permis de mettre en exergue des accents très hard bop, dans une
prestation live marquée au coin d’un certain œcuménisme. Ses deux albums Outset et Boomerang fournissent le plus clair des morceaux joués en cette
belle soirée, et l’élégance surannée avec laquelle il conduit sa formation
n’est pas sans évoquer le travail de Lee Morgan, à la spiritualité duquel il se
réfère d’ailleurs expressément. De façon évidente, la dette que Borochov avoue
à l’égard des grandes figures du jazz se transforme sur scène en quête de
dépassement personnel. Les longs traits qu’il tire de sa trompette zèbrent
l’espace de la scène, qui se métamorphose en espace onirique traversé par les
éclairs mélodiques des musiciens. Les triolets et sextolets utilisés comme
autant de boucles répétitives servent de piste de décollage à une musique
extrêmement dense sur le plan harmonique, combinant entre eux des accents
lyriques qui ne s’expriment jamais plus magistralement qu’au moment des solos
pris tour à tour par les membres du groupe. Avri Borochov a droit à un long
solo de contrebasse («Avri’s Tune»), à l’issue duquel il est salué par son
leader comme un véritable frère d’armes sur le plan musical (Michael King, p,
et Jay Sawyer, dm complétant le quartet). L’apport d’Aviv Bahar, invité de
marque ce soir, aux instruments à cordes et au chant, achève de transformer la
prestation du groupe en manifeste spirituel et en ode à l’harmonie entre les
peuples. Mention spéciale à «Ovadia», sans doute le point culminant d’un
superbe concert, dont les notes en
cascades font penser à autant de fractales illustrant la formule de Du Bouchet:
«Nous sommes ce qui a crié». JPA
Le 15
novembre, Kurt Elling (voc) se
produisait au New Morning pour un
tour de chant de saison, tiré de son dernier opus, The Beautiful Day, où il reprend des chansons de Noël, exercice on
ne peut plus classique dans le jazz (Armstrong, Ella, Ray Charles, Jimmy Smith
et beaucoup d’autres ont enregistré des albums sur le thème de Noël). Entouré
d’un excellent groupe (John Mclean, g, Gary Versace, key, Clark Sommers, b,
Kendrick Scott, dm), le chanteur a donné un show impeccable, d’un grand
professionnalisme, mais tenant davantage de la belle variété jazzy (à la
Sinatra) que du jazz à proprement parler. Une facilité qui a réjouit un public
venu nombreux mais peu exigent. JP
Sylvia
Howard (voc) était l’invitée du Cercle suédois le 16 novembre,
pour évoquer le répertoire de Duke Ellington en compagnie de Claude Carrière
(p) et de Peter Giron (b): un attelage pour le moins surprenant! Avec la
conviction et les accents blues qu’on lui connaît, la diva a mis en valeur
quelques-uns des grands titres du Duke:«Just Squeeze Me», «Duke’s Place» ou
encore «Satin Doll». Une interprétation habitée, qui bien qu’ayant bénéficié du
soutien vigoureux de Peter Giron, n’a été que distraitement suivie par
l’assistance, prisant avant tout ce rendez-vous musical pour sa dimension
mondaine. Exception faite de ceux qui avaient fait le déplacement à dessein,
comme le guitariste José Fallot ou le chorégraphe Larry Vickers. JP
Le 30
novembre, Pablo Campos (p, voc)
– qu’on entend régulièrement au Caveau de La Huchette – présentait pour la
première fois son trio (Viktor Nyberg, b, Philippe Maniez, dm) au Sunside. La parti pris de ces trois
jeunes musiciens n’est pas, comme tant d’autres, de nous abreuver de
compositions personnelles dont l’intérêt est rarement avéré et le lien avec le
jazz souvent lointain; au contraire, ils revisitent avec une fraîcheur certaine
le «Great American Songbook», serti d’arrangements bien écrits. «The Touch of
Your Lips» (Ray Noble, 1936), «Jeepers Cripers» (Johnny Mercer, Harry Warren, 1938),
«People Will Say We’re in Love» (Richard Rodgers, Oscar Hammerstein, 1943) ou
encore «That Old Black Magic» (Harold Harlen, Harry Warren, 1942) – qu’on peut
entendre dans le fameux The Nutty
Professor (Docteur Jerry et Mister
Love, en VF) de Jerry Lewis (1963) – se succèdent joliment esquissés par le
trio dont le leader interprète également les paroles au chant, d’une voix
claire. Chaque morceau est présenté au public avec un souci didactique qui
trahit l’amour sincère de Pablo Campos et de ses complices pour les belles
mélodies de Broadway dont le jazz a su faire des chefs-d’œuvre. JP
Textes: Jean-Pierre Alenda, Jérôme Partage Photos: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage © Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Bruxelles en novembre Flagey, Jazz Station, Bruxelles (Belgique),
C'est devant une salle
comble que le pianiste Ivan Paduart a fêté, le 4 novembre à Flagey, ses cinquante ans, dont
trente ans de carrière et autant d'albums enregistrés! Tout au long
de la soirée, il fut entouré d'une belle rythmique: Hans Van
Oosterhout (dm) et Philippe Aerts (b), revenu spécialement d’Inde
pour l'occasion. Le trio ouvre sur «Crush» et le pianiste, sûr de
lui, écrase les touches, percussif. Au fil des morceaux, l’approche
se développera de plus en plus souple et la structure des
compositions: de plus en plus riche harmoniquement. Dès le deuxième
thème, Ivan Paduart introduit les premiers invités: Bert Joris (tp)
et Quentin Dujardin (g). Avec «Délivrance», le trompettiste
anversois nous enveloppe de son timbre de velours. Avec «Zen»,
Quentin Dujardin affirme sa complicité avec le pianiste; son jeu de
la droite est essentiellement pratiqué pouce et doigts. Avec «Life
As It Is», Ivan appelle Toon Roos (ss), Raphaëlle Brochet (voc) et
Bert Joris. La musique s’envole, intense. Lorsqu’apparait Jan de
Haas (vib) sur «Far Ahead», on s’extasie. Le solo est superbe,
vigoureux, aisé, en place. Pour «Dreams Ago», qui est à la
conclusion de la première partie, Quentin Dujardin, Raphaëlle
Brochet et Jan de Haas magnifient cette œuvre en symphonie avec un
beau solo de contrebasse et un autre au piano. Merveilleusement
lyrique! On s’attendait à ce que
Philip Catherine (g) et Richard Galliano (acc), annoncés en affiche,
viennent tirer encore plus haut la musique d’Ivan Paduart. Pour
nous faire patienter après un entracte qui nous parut trop long, le
trio débuta en compagnie de Toon Roos (ts) et Olivier Collette (key)
(«Shivers Down My Back»). Puis vint Philip Catherine, souriant,
pour jouer «Between Us», une composition d’Ivan Paduart. Avec
«Waltz For Sonny» qui suivit, Philip, les yeux au ciel, rendit
hommage à Toots Thielemans avec des superbes envolées. Ivan lui
emboîta le pas, swinguant de même, endiablé! Pour «Bebe»
d’Hermeto Pascoal, Richard Galliano prit la place de Catherine à
l’avant-scène alors que Jan de Haas retrouvait ses quatre
mailloches. C’est Jan qui prit le premier solo, bien inspiré, avec
de belles harmonies. Avec «Illusion Sensorielle», l’une des plus
belles compositions d’Ivan nappée au keyboard par Olivier
Collette, l’accordéoniste du Midi salua celui qui l’accompagna
souvent dès 1992. On ne pouvait pas oublier la touche musette.
«Waltz For Nicky» de Richard Galliano nous fit virevolter, appuyé
en 4/4 par les tambours d’Hans Van Oosterhout. Le quatorzième
titre: «Eruption», est issu de l’album «Catharsis». Quentin
Dujardin, Olivier Collette et Raphaëlle Brochet rejoignirent le
trio pour cette dernière composition du programme. On apprécia plus
particulièrement le long solo de la chanteuse démontrant à l’envi
son encyclopédisme nouveau. Comme de bien entendu, tout ce beau
monde revint après les rappels enthousiastes et appuyés pour jouer
une dernière œuvre d’Ivan: une sorte de gospel-blues très
entrainant: «I Had A Ball». Quelle bonne idée d’avoir construit
ce programme en crescendo d’émotions avec les changements de
partenaires! C’était son anniversaire et nous fûmes à la fête.
Go far ahead, Ivan! En 2007, Toots Thielemans
accepta, pour la première fois, la proposition du Koninklijk
Conservatorium te Brussel (Conservatoire Royal de Bruxelles, section
flamande) d’utiliser son nom et sa renommée pour récompenser le
meilleur élève de l’année terminale (5 e Jazz). Cette
année, le jury n’est pas arrivé à départager deux étudiants.
Pour la première fois donc, le Toots Thielemans Jazz Award 2016,
nanti d’un chèque de 2500€, est allé conjointement au Brésilien
Fil Caporali (b) et au Luxembourgeois Pit Dahm (dm). Les chèques ont
été remis à la Jazz Station le 17 novembre à l’issue des deux
sets proposés par les lauréats.Au Brésil, Fil Caporali
possédait une solide formation classique. A Bruxelles, en 2014, il
est venu la compléter par une étude approfondie du jazz. Les
compositions du bassiste brésilien sont très marquées par son
éclectisme; les œuvres sont rigoureusement écrites avec une bonne
dose de mélancolie symphonique. Il les a présentées à la Jazz
Station à la tête d’un quartet de trois jeunes filles: Margaux
Vranken (p), Hélène Duret (cl, bcl) et Pauline Leblond (tp,
flh).Malheureusement, à l’exception de la pianiste, ses
accompagnatrices sont encore rudes de décoffrage; le bois et le
cuivre jouen t fort, sans
grandes nuances, mais aussi - et c’est plus grave - sans de bonnes
mises en place. Avec Pit Dahm en seconde
partie, on est surpris, étonnés, décontenancés par sa gymnastique
simiesque; l a tête oscille
et pivote, hallucinée; la frappe est esquissée ou assénée
laissant deviner une mélodie qu’il joue dans sa tête. Curieux
drummer! A la suite de cette intro
murmurée, quasi muette, le pianiste vient développer
de très jolies harmonies. Un regard au programme nous apprend qu’il
s’agit du pianiste hollandais Harmen Fraanje: un artiste
connu, apprécié et appréciable qui déroule de très jolies
progressions harmoniques. Il a le bon goût de les laisser résonner,
de les entrecouper de silences avant de les développer à la
tierce. Le seul élément positif que nous retiendrons de cet
évènement, c’est notre désir de retrouver bien vite Harmen
Fraanje en concert solo ou trio. Ca c’est de la musique! Ce fut un grand privilège
pour les amateurs bruxellois d’écouter, le 19 novembre à la Jazz Station, le trio de
Kari Ikonen (p). Pour ce concert unique en Belgique, l’auditoire
était moins bondé qu’à l’habitude. Les absents manquaient de
curiosité; ils ont eu tort! Le pianiste finlandais joue ses
compositions dont quelques-unes font l’objet de deux albums: Bright
et Beauteous Taleds and Offbeat Stories. La musique est
originale mais riche d’inspirations diverses: musique classique
européenne, swing et jazz scandinave éthéré, mâtinés d’épices
orientales et d’exubérances balkaniques. Dès le premier morceau
(«Septentrional») les rythmes et les harmonies fluctuent au sein
d’un même thème, parfaitement suivis par ses accompagnateurs et
compatriotes: Olli Rantala (b)et un Markku Ounaskari (dm) jouant
toutes les notes avec une stupéfiante légèreté. La musique est
dense, mais contrebasse et batterie collent si bien à la mélodie
que, malgré la richesse des arrangements, aucune ponctuation ne
sonne en-dehors. «Kouro» est d’inspiration lapone, «Pripiat»
veut nous parler de l’utilité d’un contrôle nucléaire,
«Beotamente» latinise… On apprécie le solo de basse en
harmoniques et à l’archet sur «Baboua», les changements de
rythmes sur «Lebotan», la quatrième partie de sa trilogie
«Helsinski Suite» et le feu d’artifice final avec «Armenian
Song» de Khatchatourian. C’est tellement parfait pour la mise en
place d’une musique sans cesse mouvante qu’on en arriverait à
croire que tout est écrit pour chaque instrument, pour tous les
solos. Et pourtant, lorsqu’on vit en direct cette musique
d’orfèvre, ces magnifiques arrangements, ces mélodies et ces
harmonies riches, on est transportés. Kari Ikonen est un créateur
qui compte et qu’il faudra suivre au fil d’une carrière qui ne
dépareillerait pas chez ECM! On n’avait pas encore osé
offrir le grand auditorium, en l'occurrence le Studio 1 de Flagey, à Shaïm Maistro (p), découvert aux côtés d'Avishai Cohen (b), et qui vole de ses propres ailes depuis six ans. C’était, je crois, ce 29 novembre, la première fois qu’il se
présentait en Belgique dans cette formation (un trio) soudée autour de sa
musique: une musique de climats
qui swingue et sautille à l’israélienne en s’aidant du
classique et du jazz! C’est original mais c’est une musique qui
séduit en-dehors de nos canons favoris. Ce soir-là, la plupart des
œuvres étaient issues du dernier album The Stone Skipper:
«Kunda Kuchka», et le très beau «The Message» qui fait usage de
passages enregistrés sur l’iPhone du batteur Ziv Ravitz; batteur
qui est aussi chantonneur sur un thème gospellisant qui
s’épanouit en quelques libertés. Des libertés contenues, Shaïm
Maistro en fait aussi usage en gratouillant les cordes ou en
saturant les sons de sa clavinette. Les thèmes sont construits sur
des harmonies simples suivies de variations circulaires. C’est un
procédé que nous connaissons bien mais qui n’innove pas depuis
Keith Jarrett et Brad Mehldau. Les thèmes sont parfois uniquement
joués à l’archet par le Jorge
Roeder (b). En définitive l’amateur de jazz est resté sur sa faim!
Texte: Jean-Marie Hacquier Photos: Pierre Hembise et Roger Vantilt © Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Blues Station de Tournon Tournon d'Agenais (47), 7 et 29 octobre 2016
Au départ, il y a une volonté
véhiculée par la passion, au cœur du Lot et Garonne dans un presbytère qui se
donne des allures de club du «chitlin' circuit». Christian Boncour
est le chef d’orchestre de ce projet un peu fou de promouvoir le blues depuis
plusieurs années à Tournon D'Agenais sous le nom de «Blues Station».
La plupart de la scène contemporaine du blues s'y est déjà produite du Chicago
blues de Lurrie Bell, Linsey Alexander, Nick Moss, Harmonica Shah, Gerry Hundt,
John Primer,Tail Dragger, Eddie Shaw, Dave Specter à la west coast de Mitch
Woods, Duke Robillard, R.J. Misho, Gene Taylor, Rod Piazza, Sugar Ray Norcia
sans oublier le Texas avec Shawn Pittman, Anson Funderburgh et la soul de
Darrell Nullisch ou Tad Robinson.
Une programmation proche de
l'excellence qui s’est encore vérifiée le 7
octobre avec une soirée autour de la formation de Chicago, Mississippi Heat, conduite par Pierre
Lacocque (hca) et comprenant Inetta Visor (voc), Michael Dotson (elg), Brian
Quinn (elb) et Kenny Smith (dm). On notera la cohésion d'un groupe intemporel
qui propose un Chicago blues authentique depuis déjà plus d'un quart de siècle
autour de solistes et invités de hauts vols tels que Carl Weathersby, Billy Boy
Arnold, Lurrie Bell, John Primer, Billy Flynn ou Bob Stroger. Michael Dotson
(que l'on a souvent vu épauler Magic Slim), propose un jeu
direct, sans maniérisme, rappelant Jimmy Dawkins. Piliers du
fameux label Delmark, Mississippi Heat varie son répertoire entre
«Boogie» à la John Lee Hooker, shuffle propre au style du Michigan
et accents louisianais comme sur cette version de «Saint Louis
Blues». Le charisme du leader Pierre Lacocque (né en Israël qui a grandi
en Europe et réside à Chicago depuis 1969), donne à la formation une autre
dimension. Une musicalité jamais prise à défaut dans un jeu mélodique, il
explore toutes les ressources de son harmonica surtout en soliste dans un style
staccato. Ne nous trompons pas: la formation ne s'enferme pas dans un
Chicago blues traditionnel, mais le prolonge dans des thèmes aux accents du
Delta et de la Louisiane notamment par le répertoire original issu de leur
nouvel album Cab Driving Man
(Delmark). Le nombreux public de Tournon d'Agenais n'est pas prêt d'oublier une
telle soirée. Un régal!
Cultiver le paradoxe à une période
où le jazz et le blues sont devenus des musiques d'initiés; ne semble pas
être un problème pour «Blues Station» qui aura réussi ces
rencontres «Music Blues 2016». Cinq journées de stages, rencontres,
conférences et jam sessions autour de musiciens de blues confirmés européens et
américains. Autour de Michel Foizon (elg), Tonky de la Pena (elg), Nico Wayne
Toussaint (hca), Abdel 'B' Bop (b, elb), Guillaume Destarac (dm), Paul San
Martin (p) et Glady Amoros (voc) les nombreux stagiaires partagent et profitent
de l'apport également des têtes d'affiches américaines à Villeneuve sur Lot. Le
concert venant clôturer cette expérience unique, le 29 octobre, était prévu sur la scène de Tournon D'Agenais dans
l'ancien presbytère devenu l'un des lieux les plus prisés de la scène blues
hexagonale. Le nombreux public de tout âge ne
s'est d'ailleurs pas trompé pour cette soirée exceptionnelle, ouverte par un
premier set mené par les intervenants du stage, après une introduction mettant
en avant les stagiaires. Paul Saint Martin (pianiste basque de San Sebastian)
s'est ainsi illustré sur le classique «Down the Road a Piece» avec
de superbes passages en stride, avant de laisser la place à son compatriote Tonky
De La Pena (elg) sur «Big Boss Man» le thème de Jimmy Reed. Nico
Wayne Toussaint, dans un jeu d'harmonica puissant et expressif, dans la lignée
de son mentor James Cotton, répond au talentueux Michel Foizon dont le blues
lent laisse entrevoir une forte influence d'Eric Clapton jusque dans le vocal.
La présence de la Grana Louise (voc), figure locale de la scène de Chicago sur
«Little Red Rooster» a apporté une touche d'authenticité à ce set
avec sa voix puissante au registre évoquant Koko Taylor. L'attraction est
également venue de Sax Gordon Beadle, au ténor incandescent. Le natif de
Detroit, ayant passé sa jeunesse en Californie, dans la banlieue de San
Francisco, a découvert la musique dans une grange transformée en club (The Palms
Playhouse) où il écouta Etta James, John Lee Hooker, Robert Cray ou Phil Woods.
Il est aujourd'hui l'un des rares représentants d'un style Honkers, né dans les
années quarante, mêlant blues, jazz et rythm and blues, dont les précurseurs
ont pour noms Sil Austin, Curtis King, Hal Singer, Paul Bascomb, Sam The
ManTaylor; mais aussi des saxophonistes de jazz tels que Al Sears,
Jimmy Forrest, Ben Webster ou Eddie Chamblee. Ses collaborations de Jimmy
McGriff à Jay Mc Shann, en passant par Luther Guitar Johnson, ou Duke
Robillard font de lui une véritable
référence du genre. Son énorme vibrato doublé d'un sens du swing hors pair est
un régal tout comme son jeu de scène excentrique que n'aurait pas renié Sam
Butera. La superbe rythmique est amenée par l'impeccable Abdel 'B' Bop (b), spécialiste
du slap, et l'excellent Guillaume
Destarac (dm). Pour le second set, l'arrivée de Doug Deming (elg, voc) and
The Jewel Tones (Andrew
Goham, b, Sam Farmer, dm) a donné une autre dimension à la soirée avec une
impression de maîtrise tant sur le plan de la mise en place que de la
musicalité, aussi exemplaire qu’authentique. Véritable backing band auprès de Kim Wilson, Lazy Lester, A.C. Reed ou la
légendaire chanteuse de Détroit Alberta Adams, les Jewel Tones, bien
qu'originaires du Michigan orientent leur blues vers la west coast avec des
couleurs propres à T-Bone Walker, sans oublier le swing de Charlie Christian,
voire les débuts du rockabilly. La solide rythmique a assuré une assise
débordante de swing autour d'un répertoire de classiques de Lazy Lester et
autres standards du blues. Mais la véritable claque de la soirée, fut la
performance de Steve Guyger, sans aucun doute l'un des meilleurs harmonicistes
de Chicago qui depuis la fin des années soixante est une valeur sure de la
scène blues. L'illustre Jimmy Rogers ne s'est d'ailleurs pas trompé en
l'engageant de 1980 à 1994. Son jeu élégant, raffiné et concis évoque également
le phrasé Charlie Musselwhite. Un deuxième set de haute tenue porté par
l'équilibre trouvé par Doug Deming et ses deux invités, Steve Guyger et Sax
Gordon.
Texte et photos: David Bouzaclou © Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Ce que le djazz fait à ma djambe Théâtre Liberté, Toulon (83), 18 novembre 2016
Jacques Gamblin, acteur reconnu et
populaire (qu’on a vu dans des films de Claude Lelouch, Claude Chabrol,
Bertrand Tavernier, etc.), a monté, en collaboration avec Laurent de Wilde (p)
le spectacle Ce que le djazz fait à ma djambe, lequel lui donne la possibilité
d’être musicien sans jouer véritablement d’un instrument. De fait, il prouve
plusieurs fois qu’il est musicien, avec un solo de cuillers, à la batterie, et
en se frappant les joues et le crâne; la tête comme instrument de percussion.
Répartis sur toute la largeur de la grande scène, chacun
des musiciens, à tour de rôle, vient se placer dans un cône de lumière:
Alex Tassel (flh), Guillaume Naturel (ts), Bruno Schorp (b), Donald Kontomanou
(dm) et Laurent de Wilde, compositeur, arrangeur et directeur musical de la
pièce, Le sextet s’exprime dans un style plutôt hard bop, et c’est peu dire que
ses interventions sont un régal. DJ Alea ajoute quelques effets pour la mise en
scène, autrement il se sert de ses platines comme de percussions; il fait
ainsi une belle intervention en duo avec le batteur.
Gamblin est un fou de jazz. Il nous dit: «J’ai pu,
avec mon instrument à moi que sont les mots, écrire une histoire d’accords et
de rendez-vous, pour vous dire ce que la musique me fait, nous fait en général
et ce que le jazz en particulier fait à ma djambe et ce que ma djambe me fait,
puis par résonance, à ma hanche, à mes tripes et ainsi de suite en passant par
le cœur jusqu’à la tête et non l’inverse». Pari magistralement gagné. Pour
les mots, il a puisé dans des textes de Herbie Hancock, Laurent de Wilde, Mezz
Mezzrow, Langston Hughes, et a écrit ses propres textes qu’il dit en parler
rythmé, en slam, ou tout simplement sur le ton de la narration ordinaire avec
une diction parfaite, jouant des hésitations, buttant sur les mots, les
enfilant à toute vitesse, dans un flux incessant, à la manière d’un solo de
jazzman. Avec aisance, il occupe la scène.
Le spectacle se déroule en plusieurs actes, pourrait-on
dire. Après l'intro par le sextet, Gamblin vient nous raconter, avec un humour
décapant, ses tribulations et ses échecs pour apprendre à jouer d’un
instrument, allant jusqu’à tenir la contrebasse comme une guitare. Acte
suivant, c’est la recherche de la femme: rencontres, invitations ratées, espoirs,
tout y passe. A noter deux scènes d’extases. Quand, dans son cône de lumière,
Gamblin danse au ralenti, comme suspendu dans l’espace, allant jusqu’à planer
parallèlement au-dessus du sol, seulement soutenu sur ses mains; un grand
moment de beauté pure, du temps suspendu. Puis quand debout sur une chaise, là
encore au ralenti, il s’envole tel un grand oiseau.
Entre chaque scène dans laquelle Gamblin évolue,
l’orchestre ponctue par une intervention solo. Racines new-orleans, blues, bop,
funk, hard bop, tout y est, pour un jazz qui fait bouger la jambe, car qui n’a
pas remué au moins son pied à la vibration du jazz. Assis face au public,
Gamblin va agiter sa jambe droite, de la cuisse à la pointe des pieds, sur un
tempo rapide de l’orchestre, puis la gauche au même rythme, allant ensuite
jusqu’à les faire sautiller en contretemps. Mais les jambes s’emparent de lui
et le voilà qui se lève sur ses deux jambes frénétiques pour parcourir toute la
scène en tournoyant sur lui-même, noyé dans la musique. Du délire! Prouesses
physique, linguistique, musicale, en une osmose parfaite des sept
protagonistes, qui reflètent un plaisir palpable d’être là et de jouer
ensemble. Un vrai spectacle jazz, concocté et joué par des gens qui savent ce
que c’est, et qui en sont passionnés. Le tout devant une salle archi-comble.
Texte et photos: Serge Baudot © Jazz Hot n°677, automne 2016
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JazzEñe Valencia (Espagne), 29-30 septembre et 1er octobre 2016
JazzEñe est une manifestation
organisée par la Sgae (équivalent espagnol de la Sacem) pour
promouvoir les artistes qu’elle gère, essentiellement espagnols
mais aussi latino-américains parmi lesquels beaucoup de Cubains. Une
sélection est faite et les jazzmen retenus sont présentés à
Valence à une bonne douzaine de directeurs de festivals européens
(dont les français de l’Ajmi, Festivals des 5 Continents, Nuits du
Sud) à travers une série de concerts. Nous avons assisté aux
prestations de Sinouj (qui nous a semblé hors du domaine du jazz),
de Marta Sánchez, jeune pianiste madrilène installée à New York.
Son quintet comptait dans ses rangs les Cubains Román Filiú (as) et
Ariel Bringuez (ts). Musique de grande qualité mais rigide et d’où,
à l’exception d’un thème, le swing était absent. On attendait
avec envie le saxophoniste valencien Perico Sambeat et son trio (dm
et g). Le projet Noesis Trio, un thème quasiment ininterrompu de
près d’une heure, avec beaucoup d’électronique et de longues
séquences à l’ewi, verse dans la musique improvisée. Lorsque
Perico abandonne le jeu au pied (moult pédales!) pour souffler dans
son alto on retrouve le grand saxophoniste au son magnifique, entendu
dans de nombreux concerts et plus de vingt disques depuis des
années. Pour clore la nuit, venus de La Havane, Ernán López
Nussa (p) avec Maikel González (tp), Jorge Reyes (b) et Enrique Plá
(dm) ont nettement fait monter la chaleur. Un répertoire éclectique
débutant avec une rumba que Ernán, a écrite il y a une bonne
vingtaine d’années et se poursuivant avec des extraits de
Sacrilegio, des compositions d’auteurs classiques y sont revisitées
et jazzifiés à souhait. Le pianiste offre aussi des thèmes inédits
puisés dans un projet où se mêlent musique cubaine et rythmes de
New Orleans cherchant à retrouver le va et vient entre les deux
musiques au début de l’ère du jazz. Une mention spéciale au
jeune Maikel et à sa trompette. Très beau concert que le public
local qui n’a pas pu écouter le pianiste in vivo depuis une
vingtaine d’années a dû apprécier. D’autres formations
intéressantes étaient programmées les deux jours suivants parmi
lesquelles celles de Ramón Díaz, Joan Monné, deux catalans; de
Luis Verde dont le quintet est formé de Cubains de Madrid… On
cherchera prochainement à écouter Ernesto Aurignac dont les yeux
sont tournés vers Parker et Ornette et à réécouter le saxophone
de Javier Vercher qui propose son Agricultural Wisdom Project! Il
restera à voir si les directeurs invités programmeront ces jazzmen…
pour voir s’il s’agissait plus qu’un voyage d’agrément!
Texte et photo: Patrick Dalmace © Jazz Hot n°677, automne 2016
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Paris en clubs Octobre 2016
A l’initiative de l’association
Spirit of Jazz, Ricky Ford (ts) offrait avec Ronnie
Lynn Patterson (p), Darryl Hall (b) et John Betsch (dm), le 7
octobre au Sunside, un concert de haut vol, interprété
dans un tout autre esprit que celui donné avec «African Connection»
lors du festival de Toucy (voir notre compte-rendu). Avant le set,
Ricky nous confiait que cette nouvelle formation qu’il qualifiera
de blues band à l’entame du concert, traduisait sa fascination
pour la façon dont cette musique conquit en son temps les grandes
métropoles d’Amérique du Nord. Ricky saisit en outre ainsi
l’opportunité de rejouer avec un pianiste, ce qu’il n’avait
guère fait ces dernières années. Répartis sur trois sets
distincts, beaucoup de titres interprétés ce soir sont des
compositions qui rendent directement hommage à de grands musiciens,
comme celles proposées sur son opus Green Note. Dès l’abord,
la sonorité ample du leader frappe les esprits. Alors qu’on
pourrait le rapprocher de Dexter Gordon en ce qui concerne le timbre,
sa puissance de jeu ainsi que quelques phrasés free très personnels
lui confèrent un tempérament aussi léonin que celui de Sonny
Rollins. Patterson joue, quant à lui, dans un style très fluide et
délié, chose assez étonnante quand on sait qu’il met les mains à
plat sur le clavier comme Thelonious Monk. Darryl Hall, de son côté,
est certainement l’un des contrebassistes actuels les plus
polyvalents. Sa sonorité ronde et ses glissandos acrobatiques font
le show, avec des accents virtuoses souvent assumés en binôme avec
Ford. « A Maidens’ Voyage» séduit immédiatement le public
présent par son énergie. Par deux fois, Ford demandera au groupe de
reprendre un morceau à son début, insatisfait du tempo, un
perfectionnisme qui ne l’empêchera pas le moment venu de
rechercher en toute simplicité le balai tombé à terre du batteur.
John Betsch joue au fond du temps, et son drumming gagne en pouvoir
de ponctuation ce qu’il sacrifie en drive. Ce faisant, il crée des
espaces vacants qu’il s’amuse à combler lui-même avec des
frappes puissantes et un effet retard assumé en correspondance
subtile avec la palette du pianiste. Patterson chantonne ses chorus
avec une justesse confondante et amène un classicisme de belle
facture à la cohésion hors pair du quartet. Un titre inspiré par
le célèbre speach de Martin Luther King ««How long not
long», un hommage façon film noir à Ran Blake sur «Love Lament»,
popularisé par Abbey Lincoln, et force est de se rendre compte que
le groupe rompt avec le passage de témoin successif que constitue
l’articulation des solos en combinant entre eux des passages
musicaux conçus sans l’intervention du saxophoniste, ce qui donne
à Ricky Ford le temps de récupérer de ses longs chorus échevelés.
Un moment dédié à la figure de George Russell et à ses années
d’école buissonnière, puis c’est au tour de Lester Young d’être
célébré comme le styliste incomparable qu’il était. Première
surprise: la Canadienne, Jacelyn Holmes (voc), monte sur scène, pour
un «Summertime» dans une veine presque pop. Seconde surprise (et
meilleure), Ursuline Kairson (voc), originaire de Chicago, teinte
«You Don’t Know What Love Is» d’une nuance gospel, avec un
vibrato prononcé et une intégrité qui lui gagnent l’estime
instantanée de toutes les personnes présentes. « A Time for Love»,
dédié à Stan Getz qui venait écouter le saxophoniste lorsqu’il
en avait l’occasion à New York, est un sommet de sensibilité, et
constitue par ailleurs l’acmé d’un concert sans faute de goût
qui restera dans les toutes les mémoires. Un premier rappel avec
«Reggae Ford Seven», composé pour son groupe African Connection,
puis «Miles Train» viennent clore une très belle performance de la
part d’un des plus authentiques et des plus généreux colosses du
saxophone contemporain, qui confiait à Jazz Hot en 2014
(n°668): «Un bon musicien veut aider les autres, l’art nait de
cet acte». JPA
Entrer
dans le flot des idées jaillissantes du trompettiste Roy
Hargrove
(tp, flh) n’est jamais chose aisée. Cette première date à Paris,
le 10
octobre,
avec son quintet, après l’annulation du concert de mars dernier ne
fait pas exception à la règle. On disait l’artiste diminué par
des problèmes de santé, incertain quant à la poursuite de sa
carrière, et une certaine froideur marque, en effet, les premières
évolutions du quintet hard bop acoustique sur la scène du New
Morning.
Les morceaux sont enchaînés sans temps mort, ni présentation des
titres, et on sent la démarche un peu hésitante en dépit du
formidable métier des musiciens. La part d’improvisation qui
préside à l’élaboration d’une musique aussi aboutie est tout
simplement trop grande pour que l’émotion puisse s’emparer
instantanément du public. Les breaks et autres ruptures de rythme
sont légion, ce qui permet à Quincy Phillips (dm) de briller de
mille feux (il utilise même une cymbale hélicoïdale). Des
notes charnues, travaillées avec les pédales de l’instrument,
s’échappent du piano de Sullivan Fortner qui enrichit la rythmique
du combo de trilles et de chromatismes. La contrebasse d’Ameen
Saleem enracine le son du quintet en lui conférant une force
d’inertie indispensable en regard des polyrythmies développées
par Quincy Phillips. Eu
égard à l’ambiance assez laid-back développée en premier lieu
par la formation, un certain nombre de spectateurs regrettent
visiblement les gigs plus animés donnés jadis par le trompettiste.
À contrario, plus le concert se déroule, et plus on a un aperçu de
ce que peut être une musique vivante aujourd’hui. Le groove est
d’ailleurs bel et bien présent, mais de façon plus subtile, moins
immédiatement perceptible. Les phrasés sophistiqués développés
par le leader, positionné comme en retrait par rapport à ses
compagnons de scène, suggèrent qu’il est ici plus chef
d’orchestre et directeur musical que performer. Justin Robinson
(as) occupe dès lors tout l’espace laissé vacant par son leader,
multipliant les interventions virtuoses, dans une perspective
élégante, non exempte d’un certain maniérisme. Au détour d’un
titre, Hargrove fait songer à Miles Davis tant par la sobriété de
ses interventions que par la façon dont il veille à mettre en
valeur chacun des musiciens au cours du gig. Ses possibilités
techniques sont entièrement mises au service de la musique, dans un
melting-pot au sein duquel se préparent toutes sortes de décoctions
savantes. Progressivement, on s’aperçoit que des harmonies
insulaires sont intégrées à la trame musicale (Cuba, Barbade). Par
ailleurs, l’optique un peu cérébrale privilégiée ce soir ne
cache pas ce que le groupe doit à la Motown et au label Stax
(spécialement lorsque Roy Hargrove s’empare du bugle et que les
cuivres jouent à l’unisson). Earth Wind and Fire est même appelé
à la rescousse au travers d’une citation bien sentie, tandis que
Jerry Roll Morton renait de ses cendres à l’occasion d’une
improvisation dans l’esprit de la Nouvelle Orléans. Il s’agit
moins, en l’espèce, d’invoquer les mânes du jazz en
réinterprétant de vieux classiques que de les intégrer à une
maïeutique personnelle au sein des structures en perpétuelle
évolution jouées par le quintet. Les citations humoristiques,
d’ailleurs, font mouche, comme celle du thème de «L’Inspecteur
Gadget» (!) lors du second set, mais ce qui marque les esprits,
c’est l’aspect de plus en plus fluide de la musique, le fait que
les musiciens deviennent de plus en plus inspirés, de plus en plus
écoutables, à mesure que le combo déroule tout son répertoire.
Scindé en deux parties d’une heure vingt environ, l’ensemble de
la prestation semble finalement imprégnée d’une énergie hors
norme et on est soudain frappé par une émotion intense qui fait du
jeune public présent un véritable acteur du spectacle. Lorsque
qu’Hargrove poussera la chansonnette sur un titre de Nat King Cole
(«My
Personal Possession»), la confrontation entre le timbre
de voix un peu fragile de l’artiste et la conviction d’ensemble
qui anime le groupe nous fera toucher du doigt l’essentiel du
message de l’artiste. Le concert se termine et l’on n’oubliera
pas le visage de ce jeune homme bouleversé, fixant durant de longs
instants la scène désertée par les musiciens. JPA
Le 12 octobre, Lucy Dixon
(voc) était au Sunset pour présenter un show mêlant swing
et tap dance. Entourée de Vincent Somonelli (g) et des frères
Gastine (David, g, et Sébastien, b), qui lui apportent un soutien
dans l’esprit Django, la Britannique a déroulé un répertoire de
standards et de chansons de Broadway pour beaucoup issus de son
dernier disque, Lulu’s Back in Town (voir notre chronique
dans Jazz Hot n°674): «Exacltly Like You», «Fascinating
Rhythms», «Night & Day»… Pourvu d’une jolie voix et d’un
look «vintage», Lucy prend des solos au rythme des claquettes et
ponctue ses interventions de quelques pointes humoristiques (comme
lorsqu’elle explique comment elle se sert de sacs en plastique pour
imiter le son de la charley…). Il s’agit d’un vrai petit
spectacle, bien fait, avec de jolis moments comme ce duo
contrebasse-voix très réussi sur «Bye Bye Blackbird». Un moment
de charme et de légèreté. JP
Le 12 octobre encore, Mandy
Gaines (voc) faisait son retour au Caveau de La Huchette,
en compagnie d’un excellent trio: Cédric Chauveau (p), Nicola
Sabato (b) et Germain Cornet (dm). C’est toujours un plaisir de
retrouver la chanteuse de Cincinnati qui est certainement l’une des
plus grandes voix qu’il soit donné d’entendre de nos jours. Une
voix claire, naturellement puissante – rien n’est forcé – et
une expression originale qui lui permet de s’approprier les
standards: voire sa version (géniale) de «All of Me». Le plaisir
était d’autant plus grand que la rythmique était à la hauteur et
très à l’écoute de leur leader: Sabato – qui suit Mandy dans
ses tournées françaises depuis plusieurs années – apporte un
soutien solide, en bon disciple de Ray Brown; Chauveau – pour la
première fois aux côtés de l’Américaine mais vieux complice du
contrebassiste – est rompu à l’accompagnement des chanteuses
(notamment Rachel Ratsizafy rencontrée au sein du Jazzpel d’Esaïe
Cid); Cornet – également une première – démontre de concerts
en concerts ses qualités – inventivité, attitude positive… –
et une vraie maturité musicale (à seulement 25 ans, il est promis à
un bel avenir). Bref, un concert absolument épatant! JP
Issue
d’une famille de chef d’orchestre et de chef de chœur,
Marie-Laure Célisse (voc, fl) s’oriente vers le jazz
après le conservatoire en flûte
classique et les chorales, pour créer un répertoire exclusif en
français, comportant vieilles chansons françaises et standards de
jazz auxquels elle ajoute ses propres paroles. En trio ou en quartet,
comme ce 12 octobre à la Péniche Le Marcounet, les
arrangements de ses «Frenchy's», César Pastre (p) et Brahim Haiouani (b), mettent en
valeur la sensibilité de la vocaliste qui, de «Flying to the Moon»
à «La Javanaise», en passant par «Route 66», déroule toute une
palette d’émotions dans une ambiance jam session résolument
assumée. Le groupe joue régulièrement à
l’Osmoz Café (Paris 14e),
ne manquez pas d’aller les écouter. PM
Laure Donnat
(voc) que l’on sait capable de toutes les interprétations dans des
domaines musicaux très divers, nous présentait, le 13 octobre
au Sunset son dernier album, Afro Blue, accompagnée de
son fidèle quartet: Sébastien Germain (p), Lilian Bencini (b) et
Fred Pasqua (dm). En blanc et noir, les grands standards ont
été arrangés avec goût par Bencini. De «Afro Blue», comme
susurré au micro, à un «Summertime» au scat déterminé, en
passant par le profond et chaleureux «‘Round Midnight», tout le
concert nous promène dans l’univers très personnel de la
chanteuse. Les musiciens ont aussi la part belle, que ce soit lors du
duo contrebasse/voix sur «Strange Fruits», ou pour l’intro de
«Caravan» avec un solo de Pasqua, ou encore celui de Germain sur
«Old Devil Moon» en mode salsa. Une belle surprise nous attendait
pour le final avec «Alfonsina y el mar», un pur délice, à
emporter pour embellir nos rêveries. PM
Marquis Hill (tp) était pour la première
fois à Paris avec son quintet. Bien qu’il compte déjà dans sa
discographie cinq albums en leader, pleins de compositions
originales, le trompettiste, marqué par Freddie Hubbard et Woody
Shaw, nous présentait, le 14 octobre au Duc des Lombards, son
dernier album The Way We Play. Il y reprend des titres connus et
moins connus des musiciens qu’il aime, «Moon Rays» (Silver),
«Minority» (Gryce), «Maiden Voyage» (Hancock), «Beep Purple»
(Jones), «Fly Little Bird Fly» (Byrd). Il interprétait aussi deux
nouvelles compositions, «Vella», «Return of the Student».
Accompagné de Christopher McBride (as), Justin Thomas (vib), Joshua
Ramos (b), Makaya McCraven (dm), le Blacktet donne à ces titres un
souffle contemporain et frais, sans nostalgie. Ils sont jeunes,
viennent de Chicago, vivent aujourd’hui pour la plupart à New
York. Ils jouent depuis longtemps, et ça s’entend, ça swingue
dur. MP
Biréli Lagrène
(g) nous avait donné rendez-vous au New Morning, le 14 octobre, avec son
trio: Hono Winterstein (à la pompe, dans un style très épuré et
William Brunard, b) et en invité, Adrien Moignard (g). Djangologie
oblige, le premier set est résolument acoustique, avec de belles
intros de Biréli, et permet l’expression des sonorités si
particulières propres aux guitares de cette tradition. Un blues en
mineur calme le jeu et le set se termine sur «Hungaria», interprété
presque en mode country. Au deuxième set, Biréli change pour une
guitare électrique, et tout s’accélère pour le plus grand
plaisir du public qui ponctue chaque démonstration, chaque chase
avec Adrien Moignard, de cris d’encouragement. Biréli aime ajouter
dans ses solos inventifs des citations, celle de Jimi Hendrix faisant
tout particulièrement sensation. Les chorus d’Adrien Moignard
trouvent une place de choix au milieu du tapis de guitares ainsi
déployé. Un rappel dédié à Django, et la salle est debout,
espérant encore longtemps une suite possible après que les lumières
se sont rallumées. PM
Le 19 octobre nous assistions à
l’un des deux nouveaux rendez-vous que proposent, chaque semaine,
Paddy Sherlock (tb, voc) et Ellen Birath (voc) –
l’autre étant le dimanche soir au Long Hop (Paris 5e,
en alternance) –, à savoir un trio évoquant le répertoire d’Ella
et Louis (celui des fameux albums de 1956 et 1957: Ella &
Louis, Ella & Louis Again), trio complété par César
Pastre (dans le rôle d’Oscar Peterson…). Au sous-sol du pub
Tennesse-Paris (Paris 6e), se tient une toute
petite scène autour de laquelle était massé un public déjà
acquis aux interprètes et qui ressemblait davantage à une réunion
entre amis. Le premier set fut effectivement consacré à la
recréation du mythique duo («Can’t We Be Friends?», «Isn’t a
Lovely Day?», «They Can’t Take That Away From Me») mais par le
filtre des personnalités de Paddy et Ellen. On est dans l’hommage,
jamais dans l’imitation (sauf clin d’œil humoristique). On fait
surtout vivre joyeusement une musique qui donne énormément de
bonheur et de plaisir. Les trois compères sont parfaits, tout en
complicité: Paddy toujours truculent; Ellen – qu’on entend plus
souvent sur un répertoire soul – s’impose comme une excellente
chanteuse de jazz, dont le timbre est très adapté à l’évocation
d’Ella; César, sérieux comme un pape, emballe le tout dans de
belles harmonies. Pour le deuxième set, la belle équipe s’est
quelque peu éloignée de son sujet de départ, ce qui a notamment
donné une jolie version de «Dansez sur moi» (Nougaro/Neal Hefti)
par Ellen Birath, laquelle a cédé sa place sur une autre version
française, celle de «Fever» par Marie-Laure Célisse (voc) qui
s’est employée à faire monter la température d’un Paddy
Sherlock en grande forme! Une bien chouette soirée! JP
Le
superbe trio de Christian
McBride
– un des rares dirigés par un contrebassiste – au New
Morning
le 21
octobre,
a visiblement beaucoup joué, improvisé et composé. Avec Christian
Sands (p) et Jerome Jennings (dm), McBride défend un jazz enraciné
et met ses capacités exceptionnelles en pizzicato
et en jeu à l’archet au service du swing le plus pur. On pourrait
caractériser ce son par sa puissance, mais son jeu est empreint au
moins à part égale de finesse et de soul. Au cours du premier set,
on s’aperçoit que ce degré de maîtrise de la musique est
indissociable d’une certaine interchangeabilité des rôles, et que
MacBride a dû capitaliser aussi bien autour de ses expériences en
tant que sideman que de leader ou d’arrangeur. Depuis la Julliard
School et sa collaboration avec Bobby Watson, il maintient un
engagement ferme contre le racisme et pour la défense de la musique
et de l’héritage afro-américain, évoquant notamment des figures
telles que Rosa Parks ou Malcolm X, au travers d’une spiritualité
issue du gospel et des chants religieux. Cette esthétique se
prolonge d’un certain sens de la fête et du partage, ce qui nous
vaut aujourd’hui un hommage spectaculaire à Sammy Davis Jr. sur
«Who Can I Turn To». Géant débonnaire, il insuffle à son jeu une
grande force qu’il combine avec d’infinies nuances de jeu.
Souvent bâties sur des turnarounds,
ses improvisations font intervenir des substitutions d’accords
complexes qui révèlent toute la subtilité musicale du trio.
Christian Sands excelle tout spécialement dans l’art de faire
rendre à chaque triolet toute sa saveur, ce qui permet à Mc Bride
d’occuper une position centrale dans le paysage sonore sans devoir
recourir à des effets de manche par trop appuyés, dans une
étonnante économie de moyens qui sous-tend le groove plus qu’elle
ne l’énonce. Les effets de slide
sont rares, mais très appuyés, ce qui accentue leur pouvoir
d’expression naturel en les opposant littéralement au pizzicato
idiomatique de l’artiste. Privilégiant les toms plutôt que les
cymbales, Jennings orne ses beats d’un travail particulier au
charleston, utilisé de manière passive à la pédale plutôt que
joué à la baguette. Un jeu de snare drum lancinant et
volontairement répétitif confère à son jeu un caractère très
roots, avec des accents nerveux dynamiques et puissants. Sans être
aussi spectaculaire que certains virtuoses extravertis de la
batterie, il brille tout particulièrement par un décompte
quasi-mathématique des temps qui lui permet d’assurer un
soubassement stable dans les situations les plus délicates, lors des
interventions tout en tension du pianiste et du bassiste. Les
variations virtuoses de Christian Sands au clavier sont caractérisées
par un usage instable de la tonique, une dominante passagère qui
donne des couleurs inédites à l’influx vital liant les trois
musiciens au cours de leurs explorations musicales. La solidité des
fondations assurées par le bassiste et le batteur fait que les notes
jouées par sa main droite semblent animées d’une vie qui leur est
propre. De ce point de vue, d’ailleurs, les motifs ostinato qu’il
affectionne ne sont pas sans évoquer le travail de Keith Jarrett
lors des Sun
Bear Concerts,
avec un art consommé de la périphrase qui achève de rendre le
discours du groupe tout à fait passionnant. La jovialité de Mc
Bride trouve par ailleurs l’occasion de s’exprimer lorsqu’il
évoque ce qu’il nomme le «Gai Paris», qu’il dit aimer
infiniment plus qu’il ne maîtrise notre langue. Avec un sens de
l’à-propos très personnel, il cite «Dark City Nights» de Milt
Jackson en guise d’illustration de ce paradoxe. Le swing consommé
du groupe n’empêche au reste nullement qu’un titre de Stevie
Wonder ne fournisse l’argument d’un cross over créatif tout à
fait emblématique des deux longs sets proposés ici. Un très beau
concert dont on gardera en mémoire l’aspect assez cérébral de la
seconde partie, sur des progressions harmoniques sophistiquées à la
tonalité plus sombre qui tiennent du crescendo, et que le combo
choisit finalement de trahir au travers d’une improbable
célébration conclusive du disco de la fin des années 70, pour le
plus grand plaisir des membres du public qui applaudirent debout les
derniers accords joués. JPA
Le 24 octobre, Spike Wilner jouait au
Duc des Lombards. Il se présente désormais sous les couleurs de son
club new-yorkais. Son groupe s’appelle tout naturellement le
SmallsLive Allstars. En France, en Italie ou en Chine, le pianiste ne
se fait pas que l’ambassadeur de ses deux hauts lieux du jazz à
New York, le Smalls et le Mezzrow, mais porte avec lui un état
d’esprit, une culture et un hommage à ce club dans lequel Tyler
Mitchell (b), Anthony Pinciotti (dm) et lui ont fait leurs armes dans
les années 1990. Une fois lancé, le set ressemble bien à la
personnalité de Wilner avec standards («Round Midnight»), chansons
de Broadway («Fine and Dandy» et composition originale
(«Hopscotch»). Seul manquait au set de ce passionné de ragtime un
titre de Scott Joplin. Ce soir-là, le pianiste invita sur scène
deux guitaristes, Jérôme Barde, puis Yves Brouqui pour un sublime
«Polka Dotsand Moonbeams ». Wilner est un pianiste ancré dans le
bebop, dans cette philosophie (voir Jazz Hot n°667) et, comme lui,
ses musiciens sont rompus à toutes les situations. Les voir et les
entendre est un enchantement. MP
Laurent
Courthaliac,
figure éminente du piano jazz parisien, a décidé de rendre hommage
à l’un de ses cinéastes favoris, Woody Allen, également musicien
et fanatique du jazz, qu’il intègre au montage final de ses films
comme un élément à part entière de son esthétique
cinématographique. Pour ce faire, le pianiste avait réuni au
Sunside,
le 28
octobre,
un octet totalement acquis à la cause (Dmitry
Baevsky as, Fabien Mary tp, Xavier Richardeau, bar, David Sauzay ts,
Bastien Ballaz tb, Géraud Portal b, Romain Sarron, dm),
dont le répertoire et les arrangements sont basés en majeure partie
sur l’œuvre de Gerschwin, que les musiciens affranchissent du jazz
symphonique pour lui donner des ornements bebop. De «He Loves and
She Loves» à «All My Life» (qui est également le titre de
l’album né ce projet), le phrasé du leader, comme placé en
suspension sur le fil conducteur offert par la contrebasse et la
batterie, frappe les sensibilités par son élégance surannée. En
écoutant ces accords fragmentés et ces silences égrenés en
contrepoint des phrasés legato des souffleurs, on se dit qu’il
existe une vraie vision parisienne du swing. Les morceaux, comme
remis au goût du jour dans des versions revitalisées, sont la
preuve flagrante du fait qu’il est possible de combiner la
puissance d’un big band et la cohésion d’une petite formation,
dans une optique très roots qui en privilégie l’authenticité.
Paradoxalement, c’est peut-être sur les ballades que la redoutable
efficacité du band s’avère la plus évidente. Les sonorités de
trompette bouchée, les notes cuivrées produites par des instruments
vintage, ajoutent à la texture ductile des sons produits par le
groupe, et il appert bien vite que la pulsation qui transporte
l’auditeur n’est pas générée par la seule section rythmique,
qui joue toujours un petit peu en arrière du temps, comme pour mieux
suggérer une tension qu’on croyait inhérente au stride de Harlem.
C’est peut-être là le véritable dessein de Laurent Courthaliac:
il a beau être un authentique spécialiste du genre, il n’en
défend pas moins au travers d’un tel tribute
un jazz enraciné, dont la naissance est antérieure aux folles
improvisations des boppers qui souhaitaient d’abord et avant tout
«jouer quelque chose qu’ils ne puissent pas jouer». À sa façon,
il transmue la volonté de dépassement personnel des boppers en
classicisme, au service d’une musique en tout point passionnante.
Le public retiendra de ce concert hors du temps un œcuménisme et
une sensation de vie jamais démentis durant les trois sets qui ont
jalonné les évolutions du groupe. JPA
Textes: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez Photos: Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez © Jazz Hot n°677, automne 2016
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Cécile McLorin-Salvant & Aaron Diehl Trio Théâtre municipal de Coutances, 21 octobre 2016
Evénement
d’automne, la jeune Diva du jazz, Cécile McLorin-Salvant était
l’invitée de Coutances, avec le très beau trio d’Aaron Diehl (p) –Paul
Sikivie (b), Lawrence Leathers (dm). Pour cette dernière date de la
tournée, la chanteuse et ses compagnons ont donné un beau récital, le
terme un peu désuet s’impose car il y eut une offrande de ce qu’il y a
de meilleur de l’Artiste en deux temps avec une première partie jazz par
le répertoire et une seconde chanson française, le tout naturellement
avec la manière jazz car c’est dans cette atmosphère que la chanson
française, faut-il le rappeler, a donné ce qu’elle a de plus beau, de
Charles Trenet à Georges Brassens.
Cette voix si
naturellement-culturellement virtuose et pourtant si expressive, si
imprégnée de la grande tradition, renouvelle totalement ce que peut être
le chant en jazz, comme l’avaient fait ses plus grandes devancières
(Bessie, Billie, Ella, Mahalia, Nina…), loin des surproductions
maniérées et schématiques actuelles. Tout est neuf, tout est complexe
sur le plan musical, mais tout reste si humain chez Cécile que le public
a été littéralement emporté dans ce beau voyage transatlantique (et
aussi très pédagogique, si on y réfléchit quant à la genèse de la
chanson française).
Après une ouverture sur un air de l’opéra de Kurt Weill Street Scene,
avec des paroles de Langston Hugues, qui reçut le prix Pultizer en
1929, il y eut, dans le premier temps en particulier, cette relecture si
extraordinaire des traditionnels («John Henry», un duo voix et
contrebasse jouant sur les harmoniques, comme d’une guitare acoustique),
du répertoire de Bessie Smith et de Billie Holiday («What a Little
Moonlight Can Do», 1935), Fitzgerald («I Get a Kick Out of You») par une
Cécile McLorin-Salvant toujours plus grande musicienne parmi des
musiciens de haut niveau avec un Aaron Diehl impérial de facilité et une
osmose délicate avec Paul Sikivie et Lawrence Leathers jouant de toutes
ses peaux avec délicatesse, y compris celle de ses mains.
Du
répertoire de Bessie Smith repris avec autant de profondeur que
d’intensité, comme pour un chant a capella sans micro qui laissa la
salle muette d’émotion, on passa vers une seconde partie en français,
avec «Personne ne m’aime», chanson pleine d’humour et de drame, dans la
veine de la chanson réaliste, puis une poétique «Route enchantée» de
Charles Trenet qui illustra un film de 1938 de Pierre Caron. On évoqua
ensuite Joséphine Baker (le profond texte de «Si j’étais blanche»,
magnifié par une interprétation subtile et toujours avec humour), pour
finir le tour de chant (autre terme ancien qui va comme un gant à ce
beau spectacle) très logiquement par une évocation somptueuse des Parapluies de Cherbourg
(nous sommes dans la Manche à quelques encablures de Cherbourg), avec
le bel air de «Sur le quai», une interprétation de rêve dont Michel
Legrand serait flatté.
Dans ce registre chanson
française, la perfection va jusqu’à la diction d’une chanteuse
parfaitement francophone qui arrive à phraser jazz avec la légèreté de
la Diva qu’elle est, une sorte de miracle linguistique et biographique.
Le choix, enfin, du répertoire, autant pour la partie américaine que
française, est d’une remarquable profondeur qui dénote la sensibilité de
Cécile et que confirme son accessibilité, très simple et très jazz, after hours pour un public sous le charme (rappels).
Ce
qui est aussi remarquable dans ces deux heures, c’est que l’art musical
de Cécile et du trio d’Aaron Diehl ne fait aucune concession, n’a
aucune complaisance ou faiblesse: chaque note compte, toujours jazz dans
l’esprit, toujours respectueux de la mise en valeur des textes par des
interprétations nuancées, recherchées. Aaron Diehl ne cesse par ses
contrepoints parfois étranges (jeu classique, arythmique, puis stride,
puis très jazz actuel, puis jazz de la grande histoire, commentaires
humoristiques, échanges variés avec un contrebassiste et un batteur tout
aussi inventifs…), Aaron, donc, construit avec son trio et Cécile de
belles œuvres, toujours subtiles, nuancées, accentuées.
Le
concert, qui présente toujours des pièces originales par rapport aux
enregistrements existants, aurait mérité d’être enregistré comme un
moment de perfection artistique. On le regrette pour ceux qui n’était
pas dans ce beau théâtre de Coutances, parfait en taille (à l’échelle du
jazz) et sur le plan acoustique pour l'écoute du jazz.
Yves Sportis Photos Sandra Miley
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Paris en clubs Septembre 2016
Programmé le 1er
septembre au Petit Journal
Saint-Michel, en quartet avec Irving Acao (ts), Bruno Rousselet (b) et
Julie Saury (dm), Gérard Naulet (p)
évolue comme un poisson dans l’eau au sein d’un environnement convivial et
particulièrement propice à la communion entre public et orchestre. Le caractère
contagieux des rythmes afro-cubains lui donne la possibilité de remonter le
temps et les mélodies populaires lui servent de pistes de décollage pour des
improvisations débridées et qui entretiennent des rapports étroits avec la
danse. Le style cubain traditionnel est ordinairement assorti de percussions,
mais aujourd’hui c’est Julie Saury qui assume toutes les responsabilités en la
matière. C’est peu dire que d’affirmer qu’elle s’en sort impeccablement, glissant
comme par mégarde quelques roulements prolixes sous le tapis de notes égrenées
par les instruments harmoniques et mélodiques. Bien sûr, il y a un aspect
répétitif assumé derrière ce genre de prestation, mais la batteuse y ajoute la
vie nécessaire par un jeu de cymbales particulièrement dynamique et puissant.
Lors du second set, le quartet s’est adjoint les services amicaux de Tony Russo
(tp), qui a ponctué de quelques interventions mémorables le classique « Well
You Needn’t ». L’optique très roots du concert permet de s’apercevoir que ce
style musical s’est progressivement délesté d’une partie de son ornementation
initiale pour sortir de sa logique insulaire. Pour rester dans la bonne humeur
du moment, la partition de « Don’t Blame Me » donne lieu à un échange
humoristique entre Bruno Rousselet, un habitué du Caveau de la Huchette, et le
trompettiste. L’assise rythmique impeccable fournie par la contrebasse permet
au jeune Irving Acao de prendre son essor lors de longs chorus inspirés. Gérard
Naulet nous dira à l’issue du concert tout le bien qu’il pense de sa jeune
recrue, dont la passion transpire lors d’interventions en solo qui trouveront
un prolongement insolite, lorsqu’il continuera seul ses explorations au piano
après que le groupe a quitté la scène. JPA
Le 21 septembre, Scott Hamilton (ts) était de retour au Caveau de La Huchette, entouré de Dany Doriz (vib), Philippe Duchemin
(p), Patricia Lebeugle (b) et Didier Dorise. Au sommet de son art, le ténor
américain, porté par son évidente complicité avec le vibraphoniste, a développé
des phrases d’une grande beauté et une expression d’une remarquable intensité.
On retiendra notamment une fort jolie introduction d’Hamilton sur
«Cherokee», de même que des échanges très réussis avec Doriz sur
«Topsy» et sur «Place du Tertre» de Biréli Lagrène. Le
soutien de Duchemin, toujours excellent, achevant ce bel ouvrage. JP
Harold Mabern (p)
était de passage au Duc des Lombards
le 22 septembre, en trio avec Fabien
Marcoz (b) et Joe Farnsworth (dm). Tout en s’exprimant dans un jazz des plus
enracinés, Mabern – avec une pointe de malice – a donné une véritable leçon de
musique, multipliant les citations les plus variées (du «French
Cancan» d’Offenbach – prélude à un boogie-woogie déchaîné – à
«Eleanor Rigby» des Beatles –, objet d’un long développement à la
suite du «Daahoud» de Clifford Brown). Le maître concluant
invariablement ses démonstrations d’une sentence définitive: «There’s two sort of music: good
music, bad music… and silly music!». Respirant au contraire
l’intelligence, la musique de Mabern puise aux sources du blues
(«Georgia») pour mieux s’approprier les répertoires situés à
l’autre bout du spectre de la musique populaire américaine
(«Fantasy» d’Earth Wind and Fire). La finesse de Farnsworth et la
subtilitéde Marcoz sublimant le jeu de Mabern. Quelle soirée! JP
Le 23 septembre, China Moses (voc) se produisait au Jazz Club Etoile, entourée de Luigi
Grasso (as, dir), Joe Armon Jones (p), Luke Wynter (b, g) et Marijus Aleksa
(dm), pour présenter son nouveau disque, Whatever, un hommage aux grandes figures du jazz, du blues et de la soul qui s'inscrit dans la lignée de deux albums précédents. La chanteuse, débute son show par «Dinah’s
Blues» tiré de l’album This One’s For
Dinah (2009, composé avec Raphaël Lemonnier, p, et dédié à Dinah
Washington). «Jammin at Home» permet de présenter les musiciens et
d’enchainer sur un premier titre du nouvel opus, «Disconnected», un groove
introduit avec brio par Marijus Aleksa comme dans «Watch Out», mais cette
fois secondé par Joe Armon Jones, swing d’un soir embrumé par les vapeurs de
l'alcool, et «Whatever » - écrit en pensant aux mots inutiles en amour –, que
Joe Armon Jone orne d'un solo de piano tout en finesse. Chaque titre est
l’occasion pour China de nous raconter une histoire, prenant à part le public,
demandant sa participation active au spectacle. Puis elle prend ses idiophones
pour accompagner « Breaking Point » et Luigi Grasso son alto pour une
improvisation jubilatoire. Suit une reprise d’une des rares compositions de
Janis Joplin «Move Over» et «Blame Jerry» où China Moses voit dans chaque
instrument la traduction de l’humeur, de la voix, du souffle d’un homme le
soir. A travers « Lobby Call », China Moses
nous invite à participer à une comédie musicale imaginaire et elle
invite tout le club à chanter avec elle sur «Running» pour un moment de
partage et d’émotion, avant de remercier ses fans lors du rappel: «Niccotine». PM
Le 24 septembre, Philippe
Soirat présentait son premier album en leader au Sunset-Sunside. Il est intitulé You
Know I Care, reprenant le titre de Duke Pearson, que lui a fait découvrir
Alain Jean-Marie. Et comme ce titre correspond bien à ce batteur, rompu à
toutes les situations, qui a joué aux côtés des plus grands, disponible aux
plus jeunes, en tournée ces derniers temps avec Samy Thiébault, Michèle
Hendricks, en passant par un gig avec Jason Marsalis et Toshiko Akiyoshi l’été
dernier. Bien sûr, on espérait plus de
compositions originales (il n’y en a qu’une de lui, «Dear Jean»)
mais son choix de reprises - «Refuge» (Andrew Hill),
«Valse Triste» (Shorter), «Woody’n You» (Gillespie), «Ugly Beauty» (Monk), «Ezz-Thetic»
(George Russell) - annonce la couleur : le jazz de Philippe Soirat est aussi
exigeant qu’il est imbibé de culture. A l’image des trois excellents musiciens
qui l’accompagnent, David Prez(ts), Yoni Zelnik(b) et
Vincent Bourgeyx(p). Le feu, l’enthousiasme, la plénitude. On ne demande
qu’à les revoir. MP
Le 24 septembre toujours,
Thomas Dutronc (g, voc) célébrait
l'esprit de Django Reinhardt au Cirque
d’Hiver dans le cadre du 40e Festival d’Automne d’Ile-de-France,
avec ses invités: Aurore Voiqué (vln), Pierre Blanchard (vln), Jérome
Ciosi (g), David Chiron (b), Ninine Garcia (g), Rocky Gresset (g), Michel
Portal (bcl, acc) et Pierre Boscheron (DJ). «Are You in the Mood» suivi de «Billet doux» met le public à la mesure de cette soirée. Hommage encore avec «
Nuage » sur fond de craquements de vinyle arrangés par Pierre Boscheron avec
une remarquable intro de Rocky Gresset. Thomas enchaîne avec son propre
répertoire: «Je m’fous de tout» et avec l’entrée acclamée d’Aurore
Voilqué («Il pleut dans ma maison») qui se termine en battle entre les deux
violons. Le public est enchanté puis déchainé sur «J’aime plus Paris». Michel
Portal nous offre un prologue tout en
douceur de «Manoir de mes rêves». Retour à Django et de l’ensemble des musiciens
sur scène pour évoquer Aragon sur le poème «Est-ce ainsi que les hommes vivent». «Sweet Geogia Brown» permet de rassembler le public distrait par
l’entracte, afin d’apprécier la reprise de «Vech a no drom» de Ninine Garcia
accompagné par les effets electros du DJ. Après une séquence rock (Django est
loin), toute la troupe se retrouve sur scène pour le final de la Foire Dutronc,
comme il aime à le dire, avec le thème
des «Triplettes de Belleville». Belle soirée en famille et entre amis dans le
fabuleux décor du Cirque d’Hiver. PM
Dave Liebman
célébrait, le 28 septembre au New Morning, la musique d’Elvin Jones,
accompagné d’Adam Niewood (ts), Adam Nussbaum (batterie), Gene Perla (dm). Du groupe historique, formé au début des années 1970,
seuls restent le saxophoniste et le bassiste. Pour un tel concert, le club
n’était pas plein à craquer, et c’est bien dommage. Entre reprises («My
Ship», «Fancy Free» de Donald Byrd) et compositions
originales de Liebman («New Breed»), le
batteur était bien à l’honneur («Keiko’s
Birthday March», «Three Cards Molly»). Au ténor et au
soprano, le jeu du saxophoniste est intense et sans concession, complété par
Niewood, impeccable, Perla et Nussbaum formant un duo époustouflant
d’intensité. Cette musique, enregistrée il y a une quarantaine d’années, n’a
pas pris une ride. Ce quartet ne sonne comme aucun autre groupe. Pas de
nostalgie ici. MP
Textes: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez Photos: Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez © Jazz Hot n°677, automne 2016
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Marseille 29 septembre et 1er octobre 2016
Pour
cet unique concert en France le 29 septembre, Joyce Moreno (g, voc), avait choisi Marseille. En
fait l’association Le Cri du Port, avait toujours souhaité la recevoir, car à
travers ses trente-six saisons de concerts intitulé «Jazz Marseille», son
programme a été ouvert aux artistes du Brésil qui empruntent des voies proches
du jazz: Egberto Gismonti, Hermeto Pascaol, Baden Powell… Joyce Moreno, à
l’allure de jeune femme, signe une carrière de près de 50 ans. Si elle a
démarré novice aux côtés de Vinicius de Moraes, elle a construit sa propre
œuvre avec à ce jour de quarante-deux albums et des collaborations originales.
Parmi ses albums on notera l’étonnant Sem
Voce, enregistré en duo avec le guitariste Toninho Horta, en une nuit de
«saudade» pour pleurer la disparition d’Antonio Carlos Jobim. Du Carnegie Hall
aux salles japonaises, sa voix s’est imposée comme une des plus authentiques du
Brésil. Pour le plaisir, on peut citer un de ses premiers albums avec Nelson Angelo
(1972) ou le tout récent Poesia avec
Kenny Werner (2015). En 2009, elle rajoute à son prénom, le nom, Moreno, celui
de son mari Tutti (dm) et compagnon de route.
Son
dernier album Cool (Far Out
Recording), enregistré avec son groupe actuel (Tutti Moreno, Helio Alves, p,
Rodolfo Stroeter, b), le même depuis des années, est consacré pour la première
fois de sa carrière à des standards de jazz, dont elle ne jouera ce soir qu’un
seul titre, «Love for Sale». Pour ce concert, elle nous a interprété une
sélection de ses titres emblématiques mais aussi quelques hommages à ses
compositeurs préférés – dont Jobim – et un merveilleux titre oublié « Canto
de Iansã » que Baden Powell composa lors de son fameux séjour avec
Vinicius de Moraes à Salvador de Bahia, séjour arrosé qui donna naissance aux
sublimes «Afro Sambas». Tous les musiciens sont parfaits, le jeu aérien,
notamment sur les cymbales de Tutti et son utilisation des balais sur plusieurs
titres font de lui un batteur des plus fins. Helio Alves, petit personnage très
discret, signa plusieurs solos inventifs. Peu connu ici, il a été notamment le
pianiste de Joe Henderson et partage sa carrière entre New York et le Brésil.
Un «brinde d’honor» à tout ce groupe et un amical salut à Rodolfo Stroeter, ici
à la guitare basse acoustique, ultra présent sur la scène de São Paulo mais
aussi comme producteur de Gilberto Gil, qui revenait jouer à Marseille après 25
ans d’absence. C’était avec le groupe Pau Brasil, groupe qui tourne toujours et
défend un jazz «made in Brasil». Cette étape Marseillaise, après une tournée au
Japon, marquait le départ de concerts en Europe de l’Est et du Nord. La fin de
l’année verra le retour du groupe dans un studio, en Uruguay, pour un nouvel
album. Le temps ne fait rien à l’affaire quand on a du talent on peut le
conserver toute sa carrière. Après un concert enthousiaste dans une salle
surchauffée (dans tous les sens du terme) le public venu nombreux fit une
ovation à Joyce digne des grandes stars dont elle fait indéniablement parti.
Le 1er octobre, à l'Alhambra CinéMarseille en première
partie, avant la projection du film A
Musica, segundo Antonio Carlos Jobim, Philippe Baden Powell (p, voc) jouait
pour la première fois à Marseille. Dans une salle comble, il assumait la lourde
tâche, devant un grand nombre de spécialistes, de perpétuer la mémoire
familiale, presque triple ce soir-là : celle évidente de son père, de
Jobim et de toute la bossa-nova. Son jeu de piano très élégant et sobre à la
fois nous révèle, dès ses premières compositions, un pianiste baigné de
l’univers du jazz qu’il a découvert en écoutant un disque d’Eddy Louiss. Très
jeune, il a dû choisir un instrument car tout le monde dans sa famille, depuis
son grand-père Lilo (premier chef noir à diriger un orchestre au Brésil), est
musicien. Malicieusement, il dit avoir pu opter pour le piano avec plus de chance
que son frère, Marcel, à qui son père imposa la guitare. Il se produit en
public dès l’âge de 13 ans et au fil de sa carrière développe son propre style
pleinement révélé lors de ce concert. Il alterne compositions personnelles et
hommages à ses pairs. Les thèmes sont à chaque fois subtilement introduits, le
pianiste empruntant ensuite sa propre voie dans une technique et une invention
sans faille. Pour lui, le fondamental de la musique moderne du Brésil, vient du
saxophoniste et compositeur Pixinguinha, né en 1897 qui jouea en 1921 en France
(Le premier groupe brésilien avec des Noirs et
des métisses à jouer hors du Brésil)1. Sa version de «Carinhoso», le plus grand succès du maître,
si souvent interprétée à toutes les sauces, redevient sous ses doigts un hymne
à l’amour viscéral et tendre, comme la chaude caresse du souffle de Xango, dieu
du feu et des tonnerres du candomblé brésilien. Pour saluer son père, il
choisit l’une de ses plus belles compositions extraite des Afro Sambas,
«Berimbão» et en livrera toutes les incantations africaines. Il ne pouvait pas ne
pas citer Jobim et ce sera «Ligea», thème moins connu que ses nombreux succès
et à l’opposé le célébrissime «Aguas de Marco». Après son père, que le Cri du
Port avait accueilli par trois fois, ainsi que son frère Marcel, Philippe Baden
Powell triomphait allégrement de l’audience venue comme dans une cérémonie commémorative.
Comme pour Joyce, le public le salua longtemps et fortement. Peut-être que
Marseille est la corne africaine qui pousse vers le Brésil.
Ces deux
concerts étaient présentés dans le cadre de Musica Popular Brasil, qui entre
autres proposa deux films sur Antonio Carlos Jobim, A casa do Tom, Mundo,
monde, Mondo réalisé par son épouse, Ana Jobim, et A Musica segundo
Antonio Carlos Jobim réalisé par Nelson Perreira dos Santos et Dora
Jobim (petite fille), des expositions de pochettes rares de la MPB, une
conférence et une rencontre avec le musicien Walter Negao.
1. Bonjour Samba – Une discographie idéale de
musique brésilienne (http://la-musique-bresilienne.fr) Texte: Michel Antonelli Photos: Florence Ducommun © Jazz Hot n°677, automne 2016
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Paris en clubs Juillet-Août 2016
Le 9 juillet, l’Atelier Charonne mettait fin à huit ans de jazz. En ce lieu se sont
en effet produits David Reinhardt, Samson Schmitt,
Tchavolo Schmitt, Angelo Debarre, Costel Nitescu, les frères Ferré, Norig et
bien d’autres… Pour ce dernier concert, les patrons, Romain et Céline
avaient invité de nombreux amis. C’est Samy Daussat (g) qui a animé la petite
scène en compagnie de Frangy Delporte (g), Francois
C. Delacoudre (b) et Christophe Daumas (dm). Après deux classiques de Django, une calme reprise du «Jardin
d'hiver» d’Henri Salvador et un «Belleville» endiablé, Samy a
invité, dès ce premier set, les musiciens venus en nombre à faire le bœuf:
tout d’abord, la délicate Renée Garlène (voc).
Rodolphe Raffali (g) est ensuite venu accompagner à
la façon manouche les chanteuses LIiouba
puis Marina, fille et femme de Moreno Winterstein qui c’est déjà produit ici en
2013. La salle, remplie d’habitués fut particulièrement réactive. La poète Vanina de Franco et Sahel Daussat, le fils, ont rejoint à
leur tour la formation, ramenée à un trio. Après une pause tout aussi animée, les
frères Ferré (g) ont pris leur tour, Elios cédant ensuite la place à Christophe
Astolfi pour un duo de guitares des plus attachants. La soirée s’est
terminée avec Christophe Daumas (voc), soutenu par Frangy Delporte (g). Romain
et Céline quittant Paris pour la Normandie, peut-être y donneront ils naissance
à un festival…? PM
Le 12 juillet, Pharoah Sanders était de retour au New Morning, plein à craquer. Il était en très grande forme (on se
souvient du dernier concert, chaotique, donné en 2013, où il avait peu joué, se
plaignant d’un problème de retour, et avait quitté la scène de façon brutale). Brillamment
accompagné de son vieux complice William Henderson (p), on le retrouvait ici avec sa formation européenne,
composée de l’ultra solide Oli Hayhurst (b) et de l’épatant Gene
Calderazzo (dm). Après une introduction envoûtante
du ténor, qui montre qu’à 75 ans, il n’a rien perdu de puissance musicale et de
son très gros son, il poursuit avec «Greetings to Idris»,
«Say It Over Again», «The Creator Has A Masterplan» et
«High Life». Au second set, passent «The Greatest Love of
All», «Jitu», le bouleversant
«Naima»,«Giant Steps» et une variation de « The
Creator Has a Masterplan». Tout au long du concert, il enfonce sa tête
dans son saxophone, chante des incantations, esquisse des pas de danse.
Emotion, mélodie, richesse de jeu étaient au rendez-vous de cette soirée exceptionnelle. MP
Malgré un contexte difficile, il y
avait du monde pour voir jouer Toshiko Akiyoshi
le 15 juillet au Sunside. Elle était ici accompagnée de
Gilles Naturel (b) et Philippe Soirat (dm). La pianiste ne s’étant plus produite
à Paris depuis des années, elle se dévoilait plus que jamais touchante, par son
histoire qu’elle raconte au public(son arrivée aux Etats-Unis en 1956),
aussi par les titres qu’elle interprète, tels l’émouvant «Tempus
Fugit» – de son ami et mentor Bud Powell –, et le bouleversant
«Remembering Bud», qu’elle a composé pour lui, ainsi que son jeu
très sûr, très rapide, marqué par Bud, et infusé de la fragilité d’une grande
dame du jazz de 87 ans. Tout au long de la soirée, elle joue des standards
(«It Could Happen To You», aussi du Gershwin), une composition
originale, son emblématique «The Village» en solo. Bien que directive
avec ses sidemen, elle donne toute sa place à Naturel et à Soirat, qui
l’accompagnent avec émotion et solidité. L’accord est total. MP
Les Yellowjackets (Bob
Mintzer, ts, Russell Ferrante, p, Dane Alberson, b, William Kennedy, dm) passaient au Petit Journal Montparnasse le 21
juillet, et c’est peu dire que d’affirmer qu’il s’agissait d’un véritable
évènement. Les influences rythm and blues du groupe, combinées à des sonorités plus synthétiques générées par
l’«Electronic Wind Instrument» de Bob Mintzer, permettent
aussi bien d’évoquer l’héritage de grands musiciens de l’ère classique que des
épisodes plus erratiques, caractéristiques des expériences menées autour du
free jazz et de la fusion. La première référence qui vient à l’esprit, lorsque
le concert débute, est celle de Wayne Shorter et Weather Report. Le fait
d’assortir sonorités de piano classiques avec les possibilités offertes par les
claviers électroniques y est bien sûr pour beaucoup. La combinaison des sons de
clavinet et de l’EWI de Mintzer ajoute encore un peu de crédibilité à cet
apparentement, bien que le groupe ne touche pour ainsi dire jamais aux
rendements échevelés et anarchiques dont se sont fendus tant de formations
rongées par les excès lysergiques. Il y a un esprit très smooth jazz ainsi
qu’une ambiance typiquement west coast dans le son des Yellow Jackets. « Spirit
of the West » tiré de l’album Club
Nocturne, dont les arrangements étaient conçus à l’origine pour donner la
parole aux chanteurs, augure bien d’un set frappé à tous égards d’une certaine
modération, dans le fond comme sur la forme. Un passage par l’album Politics ne fera que confirmer cette
primo-impression, mettant en valeur le formidable interplay dont les musiciens savent faire montre. De lents
développements atonaux, interprétés dans une optique très progressive,
jalonnent le set des Yellowjackets, avec une alternance de parties jouées à
l’unisson et de jeu hors phase. L’emploi de frisés et de double beats par le
batteur, couplés à un usage particulier de la charleston, parachève la
sensation d’avoir affaire à une musique empreinte d’intellection. Le piano
Yamaha de Russell Ferrante assure un équilibre sans faille à l’ensemble,
insufflant juste ce qu’il faut de sonorités acoustiques à un son qui, à la
base, est comme empreint de retenue et bridé intentionnellement. Le solo
basse-batterie du second set porte indéniablement cette marque de sobriété,
l’instrument à cordes se taisant brusquement lorsque Will Kennedy décide
d’accuser puissamment le tempo sous-jacent à la prestation du duo. Au passage,
on perçoit ce qui est sans doute le secret du son des Yellowjackets, cette
rigueur rythmique assumée brillamment par Russell Ferrante, avec un jeu très
polyvalent qui restitue aux touches noires et blanches le rôle majeur qu’elles
peuvent jouer en matière de métrique savante. Avec un public entièrement acquis
à sa cause, c’est non pas un mais deux rappels à la tonalité plus intimiste qui
nous attendent, les amateurs de jazz ne souhaitant pas que la fête se termine
aussi tôt. C’est finalement un Bob Mintzer presque timide qui nous annonce au
micro qu’il leur faut rompre là nos échanges, le groupe se devant de reprendre
un avion dans à peine cinq heures. Un bien beau concert de jazz contemporain. JPA
Pour ceux qui le savaient en y allant, David Sauzay (ts) donnait le 23 juillet, avec son sextet, le dernier concert du Petit Journal Montparnasse, lequel fêtait, il y a peu, ses 30 ans
d’existence. Pour ceux qui le découvrirent une fois sur place, ce fut un
choc. Après l’Atelier Charonne et le 45° Jazz-Club (place du Colonel Fabien) voilà encore
un club de jazz qui ferme cette année dans l’indifférence, et un lieu en moins
où les musiciens peuvent s’exprimer. On se dit et on se répète que le
jazz, c’est fragile, que tout ça ne tient qu'à un fil... Ce soir-là, il
n’y a pas grand-monde. Peu d’amateurs, à peu près aucun musicien dans la
salle. Sur ces compositions originales du ténor («Straight Forward»), ces
reprises de Dizzy Gillespie ou d’Eric Alexander (« Straight Up »),
Sauzay, Fabien Mary (tp), Michael
Joussein (tb), Alain Jean-Marie (p), Michel Rosciglione (b) et Mourad Benhammou (dm) donnent tout, et les accompagnent de solos
enflammés dans deux sets ultra solides. Ils font comme si de rien
n’était. Toujours au service de cette musique. C'est à ça qu'on
reconnait les grands musiciens. MP
Mike Stern venant d'être victime d'un
accident, il ne pouvait participer à la tournée européenne en cours, montée
avec Bill Evans. Le concert du 26 juillet au New Morning a donc été maintenu, mais avec un jeune guitariste américain
du nom de Bryan Baker. Ancien du
groupe de Miles Davis, tout comme Mike Stern, Bill Evans s’est doté pour ce
quartet d'une section rythmique composée de Darryl Jones (b) et Keith Carlock (dm). Animé d’une certaine
ferveur, le jazz fusion vigoureux qui nous était proposé ce soir était
catapulté par le jeune Bryan Baker dans la sphère du rock. Il faut dire que le
jeune homme a débuté sa carrière comme enfant prodige, à l'âge de 12 ans, et
qu’il donne parfois dans l’excès, ainsi qu’en témoignent ses plans
pyrotechniques à la guitare. Il revendique aussi bien les harmonies d'Ornette
Coleman que Jimi Hendrix ou l’influence de groupes de metal, et ça s’entend. Comment s’étonner, dans ces conditions,
qu’il donne une dimension par trop spectaculaire à un répertoire qu’il a dû, il
est vrai, apprendre au débotté et dans une certaine urgence. Soyons justes, il
ne dénature pas totalement l’esprit jazz-rock de la formation, particulièrement
sur les morceaux chantés, mais il change indéniablement la forme de certaines
interventions de Mike Stern, en leur conférant une dimension « shredder »
exempte du vocabulaire de son illustre ainé. Dans un quartet avec une si forte
concentration d’anciens du groupe de Miles Davis, on s’attend bien sûr à
écouter de la bonne fusion, et de ce point de vue, le public qui a répondu
présent suite à la démission de Mike Stern n’aura pas été déçu du voyage. La
Telecaster de Bryan Baker est une dynamo qui propulse dans une autre dimension
le répertoire du band dont Bill Evans apparaît, comme malgré lui, le leader. En
vue d’adouber le guitariste aux yeux du public, le saxophoniste multiplie les duets humoristiques avec lui, conférant
une allure presque free à des compositions aux arrangements à l’origine bien
plus sophistiqués. L’énergie du guitariste oblige Evans à des interprétations
débridées, avec une marge de sécurité réduite. Sur le plan harmonique, l’usage
de nombreux accords de quinte brouille encore un peu plus les cartes, mais parfois le groove y gagne quelque chose, sans que la section rythmique ait à en
rajouter outre mesure. Bassiste de scène des Rolling Stones, Darryl Jones sait
comment soutenir un rythme sans le phagocyter, et le parti pris sonore de ce soir
limite le sustain des instruments en
vue de préserver la cohésion du son. Les phrasés sont plus rapides, mais
peut-être aussi moins précis et surtout moins legato que ceux de Mike Stern. Le
solo de batterie, solaire et communicatif, nous amène au cœur de l’esthétique
de groupes west coast comme Steely Dan et Toto, et le chant de Bill Evans est
étonnamment orné de passages « scat que
n’auraient pas renié les Manhattan Transfert. Il faut dire que le leader, peu
avare de ses efforts pour assurer la réussite du spectacle, cumule à la fois
parties vocales, saxophone ténor et claviers (il jouera même quelques notes de
saxophone soprane). Si le concert se perd parfois dans les méandres de la
virtuosité gratuite, le rappel « Jean-Pierre» remet tout le monde d’accord et
conclut le deuxième set d’une joie communicative. Un tout de même bon moment,
qui aura au moins prouvé que le son, le style de Mike Stern sont uniques en
leur genre. JPA
Le 28 juillet, le New Morning affichait complet pour Roy Ayers (vib, voc). Celui qui brille par ses concerts survoltés était en toute petite forme. Est-ce l’effet d’un
décalage horaire dévastateur et/ou d’une tournée épuisante? Le
vibraphoniste a perdu sa verve ce soir-là, jouant peu de titres
(«Searchin’», «Running Away», «We Live in
Brooklyn Baby», «Sweet Tears»), même si ses sidemen – John Pressley (voc), Donald Nicks (b), Jamal Peoples (key),
Larry Peoples (dm) –, se démenaient pour tenir le cap du groove. Ayers s’est
fait voler la vedette par le jeune et impressionnant Jamal Peoples, débordant
d’énergie et aux nombreux solos. Il ne manquait que le leader charismatique
pour atteindre les sommets. MP
Benny Golson (ts) fait
progressivement son retour sur la scène. Il jouait le 10 août au Duc des Lombards.
Le maître du ténor n’a rien perdu de son élégance de jeu, de sa bienveillance à
l’égard de ses musiciens et de sa fidélité en amitié. Accompagné de
l’exceptionnel Antonio Farao (p), de l’ultra solide et musical Gilles Naturel
(n) et de Doug Sides (dm) au gros son, le gentleman du jazz compose chacun de
ses sets comme un recueil d’histoires et d’anecdotes, de portraits et
d’hommages à ses amis disparus. A la fin d’un set, il a donc joué peu de
titres, mais a su créer une telle intimité qu’en interprétant avec émotion
«Whisper Not», «I Remember Clifford», «What Is This
Thing Called Love» ou «Mr PC», le public bouleversé brûle de
reprendre cette conversation avec Benny Golson, lors de son prochain passage à
Paris. MP
Le 18 août, César Pastre
(p) se produisait, pour la première fois sous son nom, au Caveau de La Huchette, avec Enzo Mucci (b), Olivier Robin (dm) et,
en invité, Claude Tissendier (as). Si, face à ces musiciens d’expérience, le
leadership du jeune pianiste doit encore s’affirmer, celui-ci a démontré une
nouvelle fois ses qualités musicales, en particulier un swing très naturel. On
retiendra notamment sa très jolie introduction de «Tea for Two»,
pleine de subtilité. Tissendier, quant à
lui, à déployé sa belle sonorité, notamment sur «I’m Beginning to See the
Light» et «Cheek to Cheek». Un relais de génération prometteur. JP
Le 29 août, Julien Coriatt
(p) présentait son nouvel album, Jingle
Blues, à la Cave du 38 Riv’,
dont il assurait, avec son trio (Adam Over, b, et David Paycha, dm),
l’animation de la jam du lundi pour la dernière fois après plusieurs années de
bons offices. La jam en question fut donc reléguée au troisième set pour
permettre au trio de dérouler le répertoire du disque: de bonnes
compositions, notamment «Fear the Artist», très swing,
«Penelope’s Quilt», une jolie ballade, ou encore «Jingle
Blues», titre qui emprunte quelques mesures de «Epistrophy». JP
Textes: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez Photos: Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez © Jazz Hot n°677, automne 2016
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