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© Jazz Hot 2018
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Paris en clubs Décembre 2017
Le 2 décembre au Café Laurent,
Christian Brenner (p) accueillait Damon
Brown (cnt), en compagnie de Frédéric Delestré (dm) et de Bruno Schorp (b). «Ceora» de Lee Morgan permet
d’entrée, avec son feeling latin, de se rendre compte que le phrasé
impressionniste de Damon Brown se marie à merveille avec les standards
revisités par ce qui constitue l’une des principales formations d’un pianiste
cultivant la complicité et l’amitié au cœur même de son discours musical.
«Straight No Chaser» est une piste de décollage pour les improvisations des
solistes, avec une liberté de ton et des variations de tempo saisissantes. «On
Green Dolphin Street», avec son climat intimiste, augure du climat de
complicité esquissé par le groupe, tandis que «Have You Met Miss Jones» prend
ses distances vis-à-vis de Chet Baker en développant ses chorus au cœur même de
la mélodie, laissant les virevoltes autour du thème aux soins du seul Bruno
Schorp, qui brille ici d’une polyvalence confinant à un brio certain. «I Could
Write a Book», «If I Were a Bell» et «If You could See Me Now» confirment la
veine chorale de la prestation, avec une prédominance de classiques du
répertoire chanté choisis avec goût parmi les versions passées à la postérité
en tant que fleurons du genre. Enhardi par l’excellente réception des premiers
titres, Damon Brown se frotte à la griffe de Clifford Brown sur «Joy Spring»,
moment clé du set marqué d’une excellente performance de Frédéric Delestré, qui
apprivoise les parties de batterie de Max Roach de manière exemplaire au vu de
leur complexité (mention spéciale au jeu de cymbales sophistiqué développé pour
l’occasion). «In Your Own Sweet Way» témoigne quant à lui de la capacité qu’a Christian Brenner de frayer avec d’autres instruments polyphoniques tels
que la guitare, et qui pour mieux incarner cette correspondance délicate que la
complicité miraculeuse qu’entretenaient Wes Montgomery et Tommy Flanagan. Le
pianiste fait montre ici de toute sa science harmonique, faisant presque
entendre le jeu en octaves manquant d’un complice joueur de cordes imaginaire.
«Stella by Starlight» est aussi pleine de vie que la version d’Ella Fitzgerald,
quoi que jouée avec un arrangement qui en fait un morceau instrumental à part
entière, tandis qu’«All Blues» confirme le legs immense de la galaxie Miles Davis
aux quatre musiciens, présent de multiples manières dans les atmosphères créées
au sein de l’ancien siège du club Le
Tabou. JPA
Le 5 décembre, sur la péniche Le Marcounet,
Jean-Pierre Como (ep) renouait avec ses
racines en réjouissant le public présent des riches harmonies qui lui sont
propres, caractéristiques des années jazz fusion et de Weather Report en
particulier. Fondateur du groupe Sixun (avec Louis Winsberg et Paco Séry), le
pianiste n’a eu de cesse, depuis ses débuts, de valider la vision de Joe
Zawinul, qui voulait «jouer électriquement et sonner acoustiquement». Le claviériste fait honneur à cette esthétique en faisant usage d’un piano Rhodes qui ne change pas fondamentalement la donne,
mais confère tout de même une énergie supplémentaire aux compositions
interprétées par une formation de haute volée qui compte Christophe Panzani
(ts, ss), Bruno Schorp (b), et Rémi Vignolo (dm). Bruno Schorp est, quant à lui, un contrebassiste
polyvalent, capable de s’adapter à tous les registres. Après une entame de set dédiée aux racines italiennes de
Jean-Pierre Como, on s’aperçoit que le quartet évolue comme un poisson dans
l’eau au gré des multiples influences latines et méditerranéennes émaillant les
compositions du leader, faisant de cette succession de rythmes épicés une
véritable odyssée au pays des couleurs chatoyantes, et incluant même, ça et là,
un feeling caribéen et sud-américain du plus bel effet. Sans qu’elle prétende à un fil conducteur aussi précis,
on peut rapprocher cette appréhension de la musique jazz de l’acception plus
orientalisante du Ôm Project de
Christophe Wallemme, qui a lui aussi collaboré avec les deux compositeurs
principaux de Sixun. Le début du second set est un
moment de tension particulière qui voit le groupe étrenner le titre «Lucky Day»
en avant-première de la sortie du prochain album de Jean-Pierre Como, Infinite, prévue pour septembre 2018. «Bye Bye
Blackbird» prouve à ceux qui en douteraient encore que le pianiste peut renouer
quand il le veut de façon fluide et convaincante avec les standards, et
«Mandela Forever» est un moment émouvant entre tous, l’artiste souhaitant par
là-même célébrer l’anniversaire de la disparition d’une figure appartenant à
son panthéon personnel, façon comme une
autre de rappeler que le jazz authentique prend racine dans un universalisme
que Sixun traduisait à sa façon par un joyeux métissage. Un premier rappel sur
«Chorinho Amalfitano», de Dario Deidda, déjà joué lors du premier set et dont
la longue introduction se trouve reprise à l’instigation du claviériste, et le
groupe nous quitte sur «Alba» de Louis Winsberg, dont la tonalité acoustique de
toute beauté constitue le terme naturel d’une prestation empreinte de
sincérité, d’engagement et d’intégrité. JPA
Le 7 décembre au Sunset, le vibraphoniste Jean-Michel Davis fêtait la sortie de son nouvel album Vibraphone Jazz (Frémeaux & Associés).
Bien accompagné de Frédéric Loiseau (g), Raphael
Schwab (b), Julien Charlet (dm), il nous a concoctés un programme fin, léger,
sensible, à base de standards («The Man I Love», «Flamingo», «Stardust», «My
Romance»). Il les joue au vibraphone ou au marimba. Ça ne manque pas de classe.
Et la présence de l’excellent Francis Varis (acc), si rare sur la scène parisienne,
y est aussi pour quelque chose («Luba», «Rosetta», «Carioca»). Car c’est une
véritable voix musicale, un jeu, une culture, un esprit. Tout cela aurait
suffit à rendre cette soirée délicieuse. Mais qui dit Francis Varis, dit
Dominique Cravic. Et les voilà réunis sur scène. C’est le concert dans le
concert. Cordes et Lames ressuscité, avec Frédéric Loiseau entre les deux,
comme l’était autrefois Didier Roussin. Les retrouvailles ne durent que deux
thèmes. «Sweet Valse» et «Nina petite valse». Devant tant de beauté et de
mélancolie, on regarde, on écoute. MP
Comment rendre hommage au producteur Gérard Terronès (décédé le 16 mars 2017 à l’âge de 76 ans)? Lui qui a
servi le jazz, comme peu l’ont fait, depuis 1965 (date de création de son premier club, le Blues Jazz Museum, dans une cave le l’Ile
Saint-Louis), avec cet activisme, cet état d’esprit libertaire, cette
curiosité de tous les instants, cette discographie foisonnante? Ce n’était pas
simple. Il faut saluer l’énorme travail de préparation du tromboniste François
Lemonnier pour avoir organisé une sorte de grand marathon jazzistique à l’image
des goûts de l’homme au chapeau. Au programme: du free, du post-bop, de
l’improvisation libre. Du jazz dans ce qu’il a plus de vivant, de plus
éclectique, de plus cultivé, joué par les musiciens qui sont liés à Gérard et
Odile Terronès, à cette grande aventure musicale et humaine. Le dimanche 10
décembre au Sunset et au Sunside, plus de soixante-dix musiciens ont répondu à
l’appel (voir plus bas les formations qui se sont succédées).
Il y avait des absents. Dany Doriz, Michel
Portal, Alexandra Grimal, David Murray, etc. (On pense aussi à Hal Singer,
Joachim Kühn...) Certains étaient à l’étranger, d’autres avaient des problèmes
de santé, explique Lemonnier dans son mot d’introduction avant de retracer le
parcours de Terronès. Le discours est bref. La musique va parler de 17h15 à 1h
du matin, chaque formation jouant une quinzaine de minutes, puis 30-45 minutes
à partir de 20h30.
Du jazz, rien que du jazz. Et une kyrielle de
performances inoubliables. C’est une certaine histoire du jazz qui défile sur
les deux scènes. François Tusques (p), en solo. François Jeanneau (ss) et Alain
Jean-Marie (p), pour un «Lush Life» étourdissant. Jacques Coursil (tp), pour un
solo épastrouillant. Joëlle Léandre (b), véritable shaman. De l’intensité, des
voix créatives, de vraies sensibilités musicales, il n’y avait que ça. Cette
soirée méritait d’être enregistrée pour la mémoire comme pour le plaisir de
réécouter ces solos, ces thèmes, ces performances. Le bouleversant «St. James
Infirmary» joué par François Lemonnier (tb) et Raphaël Lemonnier (p). Le set du
magnifique sextet composé de Michel Edelin (fl), Sylvain Kassap (cl), Sophia
Domancich (p), Dominique Lemerle (b), Simon Goubert (dm), Françoise Franca
Cuomo (voc). Le solo éblouissant d'Alain Jean-Marie (p), accompagné de Gilles
Naturel (b), John Betsch (dm), et Sylvia Howard (voc) sur «Just In Time». Oui,
c’est toute une histoire du jazz qui a défilé sur les deux scènes du Sunset-Sunside
plein à craquer jusqu’à la fin. Une histoire qu’on peut retrouver chez Futura
et Marge (http://futuramarge.free.fr), car
bonne nouvelle: les disques des labels Futura, Marge, Blue Marge, Hôtel Marge,
Impro, Jazz Unité, ne sont pas tous encore épuisés! MP
Les formations qui se sont succédées au Sunside:
Sylvia Howard (voc), Raphaël Lemonnier (p),
Nicolas Marinot (eb), Irakli (tp), Eric Barret (ts), Julie Saury (dm)
Claudine François (p), Sylvain Kassap (cl),
Jef Sicard (as), Nicolas Morinot (eb), Alridge Hansberry (dm)
François Tusques (p) solo
François Lemonnier (tb) et Peeter Uuskyla (dm)
François Jeanneau (ss) et Alain Jean-Marie (p)
Manuel Villarroel (p), Gérard Marais (g), Noel
McGhie (dm)
Eric Barret (ts) et Simon Goubert (dm)
Jacques Coursil (tp)
François Lemonnier (tb) et Raphaël Lemonnier
(p)
Bobby Few (p), Harry Swift (b), John Betsch
(b), Awa Timbo (voc)
Michel Edelin (fl), Sylvain Kassap (cl),
Sophia Domancich (p), Dominique Lemerle (b), Simon Goubert (dm), Françoise
Franca Cuomo (voc)
Jobic Le Masson (p), Steve Potts (ts), Rasul
Siddik (tp), Gilles Naturel (b), John Betsch (dm)
Alain Jean-Marie (p), Gilles Naturel (b), John
Betsch (dm), Awa Timbo (voc), Sylvia Howard (voc)
Laurent de Wilde (p), Gilles Naturel (b),
Simon Goubert (dm)
Et au Sunset :
Daniel Beaussier (bcl, sax) et Manu Pékar (g)
Gérard Marais (g) et Christian Lété (dm)
Françoise Franca Cuomo (voc), Cyril Trochu (p)
Jef Sicard (as), Richard Bonnet (g), Claude
Barthélémy (b), Makoto Sato (dm)
Hélène Bass (vlc), Mirtha Pozzi (perc)
Joëlle Léandre (b)
François Lemonnier (tb) et Claude Barthélémy
(b)
Paul Wacrenier (p), Xavier Bornens (tp),
Arnaud Sacase (as), Mario Quaresimin (b), Benoist Raffin (dm), Steve Potts
(ts), François Lemonnier (tb)
Richard Bonnet (g), Claude Barthélémy (g,
b), Hasse Poulsen (g), Samuel Ber (dm), Caroline Faber (voc)
Alain Pinsolle (vib, acc) solo
Eugénie Kuffler (ts, fl, voc), Dominique
Collignon (as, fl), Claire Gillet (b)
Nelly Pouget (as) solo
Le 12 décembre
, au Studio de l’Ermitage, Joran Cariou (p) nous présente The Path Up, son tout premier album paru
chez Unit Records. Le Joran Cariou Trio est composé, en sus du leader et
compositeur, de Damien Varaillon (b) et Stéphane Adsuar (dm), avec en invité ce
soir Pierre Perchaud (g), qui est également présent sur l’album en tant que
directeur musical. En co-headlining, le musicien suisse Marc Perrenoud (p) nous régale des harmonies célestes tirées de
son récent album Hamra. Si
l’œcuménisme présent sur l’album est parfaitement traduit ce soir, ce qui
frappe le plus dans la prestation offerte est une poésie rémanente qui
constitue le véritable fil rouge reliant l’ensemble des acteurs qui se
succèdent sur scène. En quelques notes perchées, empreintes
d’une tenue remarquable, un parfum liquoreux, des accents vaporeux évoquant la
musique de George Gershwin et de Scott Joplin se dégagent en une formule qui
relève de la sonate, laissant résonner les cordes dans un brouillard ouaté et
poétique. L’entrée en scène de Joran Cariou ne rompt pas cet état de grâce, eu
égard à une introduction judicieuse au piano acoustique, avec une délicatesse
de toucher qui ne le cède en rien au style chantourné de son prédécesseur. «Way
Out» ouvre également l’album du pianiste et constitue l’entrée en matière
idéale d’un projet longuement muri pour rendre, selon ses propres termes, «le
monde un peu meilleur». «Catharsis» comporte un caractère polysémique qui
confine au rébus, comme les mots d’un oracle qu’on aurait plaisir à déchiffrer
au fil du temps. L’appréhension plus légère de « Spirit of Our Masters»,
censée représenter une méditation sur et autour des arts martiaux, suscite une
petite note humoristique en forme de clin d’œil, sûrement destinée à désamorcer
toute manifestation d’orgueil inappropriée à l’endroit et au moment. Au
passage, on remarque le jeu de percussions atypique de Stéphane Adsuar,
vraisemblablement rompu à d’autres styles de batterie que celui du straight
jazz. L’enchainement avec «A Hint of Casualness» est proprement bouleversant,
proposant au public présent une quasi-communication télépathique sur ce qui
nous relie les uns aux autres. «Ambivalence», «Mala Rueda», et «Voyage Onirique»
sont ensuite joués au côté de Pierre Perchaud à la guitare, ce qui ajoute une
note acidulée plus perçante à la musique
délicate du trio. Le six cordiste travaille ses notes et ses timbres à la
pédale de volume, rivalisant d’expressivité avec la contrebasse de Damien
Varaillon, impeccable de bout en bout, et insufflant une petite note d’énergie
convulsive à une musique par ailleurs soucieuse d’équilibre jusque dans ses
derniers développements. Concluant sur «La Fin justifie les moyens», le groupe
ne rate pas sa sortie, remerciant chaleureusement son public pour s’être
longuement prêté à l’exercice d’une communion onirique, d’un classicisme et
d’une modernité confondants. JPA
C’est en sortant de ce genre de
concert qu’on se demande bien pourquoi Ernest Dawkins n’est pas plus présent
sur les scènes françaises. L’alto est connu pour son tempérament free jazz, il
est un des piliers de l’AACM de Chicago. Il n’en reste pas moins à l’aise avec
les standards et le straight ahead qu’il joue avec émotion et puissance. Il
nous a ainsi montré l’étendue de sa palette musicale le 16 décembre au Square
(Paris 11e). Un lieu atypique, un espace géant de coworking en
rez-de-chaussée. Une association organisatrice de l’événement qui n’a rien à
voir avec le jazz, le domaine de prédilection de Quatorze (http://quatorze.cc)
étant plutôt l’architecture et la sensibilisation à une approche sociale de
cette discipline. Un public composé de curieux. Durant deux sets (45 minutes
chacun), Katy Roberts (p), Rasul Siddik (tp, perc), Dominique Lemerle (b) ont
tout donné pour accompagner le leader, avouons-le, un brin directif de prime
abord, avant de laisser à chacun de longs et beaux solos. Pour le répertoire,
c’est à l’image de Dawkins, cultivé et éclectique, de «Beatrice»
(Sam Rivers) à «Misty», en passant par
le magnifique «Sweet Love of Mine» (Woody Shaw) et
des improvisations libres. Et quelle
générosité! Le leader invite une jeune poétesse puis un jeune rappeur à se
joindre au quartet pour une performance. C’est que nos musiciens sont curieux
de tout, ouverts à tout, et bienveillants. Ils nous ont offerts de vrais
moments de partage et d’amitié. La soirée se termine avec «Paris Blues». Didier Haboyan (as) a rejoint la formation. C’est splendide. Tout le monde est
emballé. Que demander de plus? MP
C’est
une découverte. Lynn Adib est
Syrienne. Elle a étudié la médecine en France puis la musique au CRR. A 31 ans,
elle partage aujourd’hui son temps entre son travail à l’hôpital et son
activité de chanteuse. Côté jazz, elle a eu l’excellente idée de traduire les
grands standards dans sa langue. Durant un set, on a découvert ainsi le 23 décembre au Sunside «Softly As a Morning Sunrise», «Body
and Soul» ou encore «The Nearness of You» chanté en arabe. Il y a une grande
sincérité chez Adib, une véritable émotion, une élégance. On sent qu’elle s’est
appropriée ces chansons. «Waltz for Debbie», par exemple, elle le dédie à sa
fille. Cela devient «Walt for Sara». Elle nous chante aussi deux chants
traditionnels syriens, alterne des duos avec les instrumentistes. Alain Jean-Marie (p), Philippe Aerts (b) et Eric
Barret (ts), trois musiciens d’exception. MP
Textes: Jean-Pierre Alenda et Mathieu Perez Photos : Patrick Martineau et Mathieu Perez © Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Detroit Drame historique de Kathryn Bigelow (143 min., USA, 2017) Sortie en France le 11 octobre 2017
Ce film réalisé par Kathryn Bigelow sur un scénario de Mark Boal, journaliste, a été sorti en mémoire des 50 ans des événement; il relate, dans une reconstitution factuelle clinique, plusieurs scènes survenues lors des émeutes de juillet 1967 à Détroit, tant dans des ambiances collectives (scènes de rues, des locaux de polices, concours pour la Motown, tribunaux) que de huis-clos, dont l’une des exactions s’est déroulée à l’Algiers Motel. Ce rappel historique de violence institutionnelle extrême permet une nouvelle fois de mettre en perspective les motifs (raciaux) avec les conséquences multifactorielles graves et durables sur une société, et de comprendre à quel point la trame dramatique d’une situation antérieure donnée ne se redresse jamais, car elle oblige les humains à se dépasser, ce qu’ils ne font que très rarement, surtout quand leurs avantages et privilèges en dépendent. A Detroit plus encore qu’ailleurs aux Etats-Unis, et y compris sous la récente présidence Obama, les difficultés des Afro-Américains, n’ont fait qu’empirer (augmentation des inégalités à la fin de son second mandat), allant jusqu’à la déclaration de faillite de la ville en juillet 2013: «Motor City» a perdu son industries, ses emplois, 60% de sa population, 90% de sa superficie habitable, la moitié des 40% restants de ses habitants étant sans emploi, ils sont à la rue, les collections d’art sont en péril, les retraites publiques, les prestations de sécurités, sanitaires et sociales ont été drastiquement réduites, mettant des personnes âgées à la porte des maisons de retraites, parfois à la rue aussi. Le bilan aujourd’hui: les finances municipales seraient assainies au prix de cette saignée, l’automobile a fait place à la mode du moment, l’agriculture bio, surtout quand le prix de la main d’œuvre reprend le chemin des champs de coton. Ce qui fait que certains manipulateurs pensent que Kathryn Bigelow et Mark Boal n’étaient pas «légitimes» pour faire un tel film, est que rappeler les périodes ouvertement honteuses de l’histoire d’un Etat envers ses citoyens, empêche les esprits de s’endormir dans un révisionnisme déculpabilisant. On pourrait croire que la musique, la Motown, ne concerne que les oreilles et le plaisir, c'est pourtant bien plus compliqué...
Jazz Hot © Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Paris en clubs Novembre 2017
Spike
Wilner, c’est un
pianiste, un patron de club, et une marque: le Smalls, un club new-yorkais qui
cartonne (avec un billet d’entrée abordable), une programmation passionnante
qui donne sa chance aux jeunes (trois concerts par soir), un état d’esprit 100%
jazz, le souci de conserver cette mémoire en enregistrant chacun des sets
depuis 2007 (disponibles sur la plateforme Smallslive.com). Le Smalls, c’est un
terreau fertile qui a donné des centaines de musiciens et un lieu où des
anciens de retour à New York, comme Johnny O’Neal, ou moins présents sur la
scène new-yorkaise peuvent s’exprimer. Lorsque Spike Wilner est à l’étranger,
en Europe ou en Chine, comme à Paris le 4
novembre au Duc des Lombards,
c’est pour défendre cette culture du jazz avec son SmallsLIVE All Stars,
composé de musiciens qui, comme lui, ont fait ses armes au Smalls dans les
années 1990: l’épatant Ryan Kisor (tp), l’éclatant Joel Frahm (ts), l’efficace Tyler
Mitchell (b), le brillant Anthony Pinciotti (dm). Un quintet rompu à toutes les
situations. Une soirée pleine de swing et d’enthousiasme. Pour le répertoire,
le pianiste pioche dans ses compositions, nous joue son emblématique «Hopscotch»
comme le magnifique «East Village Enamorata» ou encore «It’s the Talk of the
Town» un de ces thèmes des années 1930 qu’il nous interprète en solo. Du beau
jazz. Spike Wilner peut prêcher la bonne parole du jazz dans ses newsletters,
lors de tournées ou des master-classes qu’il donne au Prins Claus
Conservatorium, à Groningen (Pays-Bas), il en a le talent, comme pianiste et
entrepreneur. Dommage que, ce soir-là, les patrons de club parisiens ne soient
pas venus jeter un œil et une oreille. MP
En pleine tournée, Dee Dee Bridgewater faisait escale en
France début novembre pour jouer son nouvel album Memphis... Yes, I’m Ready (Okeh). Elle nous l’a dit (voir son interview
dans ce Jazz Hot n°682), ce disque participe
à sa recherche de racines. La démarche est très personnelle. Dix ans après son
voyage au Mali, elle est revenue à Memphis, dans le Tennessee, où elle est née
et a vécu ses trois premières années. C'est un retour aux sources, plein
de chansons qu’elle écoutait, adolescente, à Flint, dans le Michigan sur la
radio WDIA (la première station dédiée à la musique afro-américaine, ouverte en
1947 à Memphis). Et c’est une Dee Dee en pleine forme que
nous avons retrouvé le mardi 7 novembre
à La Cigale, puissante, sensible,
émotive, généreuse, pleine de grâce. Elle présente chaque titre en français,
plaisante avec le public, raconte des histoires. A Paris, Dee Dee est chez
elle. Et elle est venue bien entourée: Farindell «Dell» Smith (p, kb, org),
Barry Campbell (eb), Charlton Johnson (g), Carlos Sargent (dm), Curtis Pulliam
(tp), Bryant Lockhart (ts), et les excellentes Monet Owens et Shontelle Norman
(voc). Deux sets d’une heure chacun (le premier était le plus réussi, notamment
avec le titre «Yes, I’m Ready» (Barbara Mason), qui a balayé tout le reste.) Un
show bien rodé, bluesy à souhait. Mais avouons-le: la réception du public
parisien était assez froide, surtout lors du premier set. Il espérait peut-être
du jazz? Et des clins d’œil à Billie et Ella? Plutôt qu’à Gladys Knight & the Pips («Giving Up»),
Ann Peebles («I Can’t Stand the Rain») et aux Staple Singers («Why»)? Les spectateurs
ont chaleureusement accueilli les tubes de Otis
Redding («Try A Little Tenderness»), Big Mama
Thornton («Hound Dog»), B.B. King («The Thrill Is
Gone»), etc. Le blues et la soul, le patrimoine musical de Soulsville, Dee Dee Bridgewater
les célèbre, elle les fête avec son jeu si naturel, sa voix capable de mille
nuances. Le magnifique «B-A-B-Y» (Carla Thomas) conclut
la soirée, avec, en rappel, un inattendu «Purple Rain». Belle soirée, malgré
un public lent au démarrage. Rien à voir avec le concert donné
au Théâtre Simone-Signoret, le vendredi
10 novembre à Conflans-Sainte-Honorine
(78). Dès son arrivée, dès les premiers titres joués, la chanteuse tient les spectateurs.
Elle attaque avec «Going Down Slow» (Bobby Blue Bland), enchaîne avec «I Can’t
Get Next To You» (Al Green), puis «Giving Up» et «Yes, I’m Ready» (Barbara
Mason), etc. Cette fois, le courant passe. Entre la chaleur des spectateurs et
la générosité de Dee Dee Bridgewater et son Memphis Soulphony, cette musique soul qui touche tant la chanteuse, on la
sent vraiment. A Conflans, c’est le blues assuré! MP
Le 11
novembre 2017 à la Bellevilloise,
le duo fondateur de MAM, Viviane Arnoux (acc, voc) et François Michaud (vln), fête ses 25 ans
de carrière au long d’une soirée jalonnée de multiples performances et apports
de leurs invités d’un soir et de toujours.
Cette tournée anniversaire, destinée notamment à promouvoir la sortie de
leur anthologie, 25 ans, et du DVD Jazz in My Musette, alterne plusieurs
dates parisiennes avec des salles de province, ainsi que plusieurs concerts en
Corse. Le concert de ce soir célèbre toutes les périodes de la formation, avec
les personnes qui ont épaulé les deux leaders tout au long de leur parcours.
Bien sûr, l’aspect composite et métissé de la musique proposée par MAM est
encore accru par l’évocation simultanée des différentes formules du groupe, et
nous n’avons pas là affaire à du jazz dans la plus pure acception du terme.
L’appellation de swing musette, tirée d’une de leurs précédentes œuvres,
correspond peu ou prou à une définition possible de leur musique, malgré la
variété des territoires explorés, accrue encore par le caractère hétérodoxe de
la personnalité des musiciens, chanteurs et danseurs qui se succèdent sur scène. Après une introduction en duo, justement
intitulée «Simply Two», Alain Grange (cello)
rejoint la scène pour un festival de cordes et de rythmes sur «Major Dom
Tom» avec Sylvain Pignot (dm),
soit un quartet qui n’avait plus joué ensemble depuis 2004, et qu’on retrouvera
en plusieurs occasions pendant le concert. C’est peut-être avec François
Parisi (acc) que MAM exprime le mieux sa parenté avec l’esprit et
les valeurs du jazz, en tout cas de manière particulièrement convaincante.
Instrumentiste chevronné, il irrigue les
lignes mélodiques de François Michaud de sa verve à la fois aride
et généreuse sur «Folk in My Musette», bien que ce soit
peut-être sur «Alcantara» que l’alchimie propre à MAM opère le
mieux, prouvant par l’exemple sur une composition de l’accordéoniste sicilien
les capacités d’adaptation du trio, quelque soit l’idiome de musique populaire
abordé. Cela devient évident avec la présentation du «tube» de François Parisi, «Annie
Zette», tandis que. «Flammes» fournit l’occasion
de présenter la fille de Viviane Arnoux, Pénélope, comédienne
et chanteuse, dont les vocalises semblent flotter sur la musique du groupe, avec
une sensibilité qui confine presque à la vulnérabilité (l’émotion
semble d’ailleurs avoir eu son mot à dire en la circonstance). De par
l’inclusion de plusieurs formes d’expression artistique, de la poésie
psalmodiée évoquant le slam d’aujourd’hui, aux relents de théâtre nô apportés
par le chanteur danseur japonais Sam (avec qui MAM a
réalisé un album en 1998), on sent que la représentation tend vers une forme
d’art total, à peine démentie par l’humilité non feinte et la bonne humeur manifestée par les
protagonistes de la soirée. Viviane Arnoux se
trompe avec malice dans ses annonces de titres, mais n’oublie bien sûr pas de
remercier le public qui applaudit le climax expérimental de leur musique. Il
s’agit en réalité davantage d’un esprit world music (le groupe célèbre aussi
ses voyages et sa découverte du monde ce soir) que d’orgueil créatif à
proprement parler, ainsi qu’en témoigne la participation remarquée de la
danseuse Bérangère
Altiéri-Leca sur «Rock Rage».
Dans cette acception, les vocalises de Viviane Arnoux font immanquablement
penser au jazz vocal des Manhattan Transfer, avec un côté européen qui les
rapproche de ce que fait Stella Vander dans Magma. D’un point de vue
strictement violonistique, il est sans doute possible de rapprocher les lignes
mélodiques de François Michaud du travail effectué par Didier Lockwood et
Jean-Luc Ponty à partir des années 70 (phrasés pizzicato, usage spectaculaire
de l’archet envisagé comme un instrument à part entière). Il y a d’ailleurs un
petit côté atlantiste chez le
violoniste, sans doute né de ses liens privilégiés avec le Québec et le Canada.
Le
second set, plus moderne dans l’esprit, introduit Paul Vignes (kb, human beat
box) qui apporte un
souffle electro hip hop sur «Time 4 Grooves», ainsi qu’un «French Gambettes» que
n’aurait sans doute pas renié Gene Kelly. Même si la participation de Michèle
Arnoux au chant (mère de l’accordéoniste) semble constituer un retour dans le
temps par sa reprise de Fréhel «La Môme Catch-Catch» (ponctuée de vivats des spectateurs), cette saudade
immanente sert admirablement le propos du groupe lorsque la guitare Selmer de François
Hégron (g)
s’immisce dans le mix, matérialisant le lien unissant cette musique à l’esprit
sinon la lettre des œuvres de Stéphane Grappelli et Django Reinhardt. Le
concert se termine sur une reprise presque gospel de «Child in Time», de Deep
Purple, classique du rock interprété de façon chorale sur scène par l’ensemble
des participants à la soirée anniversaire, et
traversé d’un solo de guitare électrique fiévreux comme celui de Ritchie
Blackmore en 1970. Une ode à l’harmonie entre les peuples d’une puissance
évocatrice certaine en ces temps troublés par le manque de cohésion sociétale.
JPA
Vous souvenez-vous de l’interview de
Connie Crothers parue dans Jazz Hot
n°677? La pianiste nous racontait notamment qu’un soir, elle jouait avec son
vieux complice Lenny Popkin au Blue Note un premier lundi de la nouvelle année.
Le club était plein. Les amateurs présents ce soir-là ne semblaient pas savoir
qui étaient les musiciens sur scène ni vraiment ce qu’ils jouaient: «Durant le premier titre, on sentait le
public un peu mal à l’aise. Au deuxième, ça se réchauffait. Au troisième, on
les tenait! On le sentait. J’ai fait quelque chose que je n’avais jamais fait
là-bas. J’ai dit aux autres membres du groupe qu’on allait faire une longue
séquence free en trois parties, et qu’on appellerait ça une suite. (Rires) J’ai
donc annoncé au public qu’on allait jouer une suite pour fêter la nouvelle
année. Ça a cassé la baraque! Les gens applaudissaient, riaient, s’amusaient!
Ils ont adoré!» C’est exactement ce qui s’est passé le vendredi 17 novembre au Sunset lors du concert inoubliable du ténor Lenny Popkin avec son trio, composé de Gilles Naturel (b) et Carol
Tristano (dm). Là aussi, le club était plein. Un bon nombre de spectateurs
semblaient découvrir le ténor pour la première fois. Les chanceux assis aux
premiers rangs entendaient les rares paroles du leader, qui parlait sans micro,
presque en chuchotant. Et c’est parti une soirée pleine de standards et
d’improvisations vertigineuses. Nous voilà bercés trois sets durant par le son
feutré du ténor qui tire des graves une infinie beauté et une puissance de tous
les instants. Le tandem Popkin-Tristano est fusionnel, on le sait. Leur musique
est d’autant plus intense. Et avec le magnifique contrebassiste, le trio
atteint des sommets. Ces trois musiciens se connaissent bien, jouent ensemble
depuis longtemps, s’apprécient, sont soudés. Ils donnent tout. Cela s’entend.
Puis, Popkin et Tristano se lancent dans une longue improvisation, de celles
qui s’envolent dans les airs. Un dialogue sans concession, poétique, superbe.
Le feeling de cette musique, les spectateurs l’ont bien senti. Ils
applaudissent à tout rompre. En sortant, on y repense encore, à cette musique,
à ce feeling, on réécoute Time Set,
le dernier album du trio. Quel son! MP
Impossible de rester insensible au gros
son du saxophoniste Lew Tabackin au
ténor («Tanuki’s Night Out»), encore moins à la beauté des (rares) thèmes joués
à la flûte («Desert Lady»). Ce samedi 18
novembre au Sunside, le leader
était entouré de l’excellent contrebassiste belge Philippe Aerts (il vient de
jeter l’ancre à Paris), qui l’accompagne depuis des années lors de ses tournées
européennes, et de l’impeccable Mourad Benhammou (dm), qui affiche six ans de
collaboration au compteur. Ce trio magnifique a offert aux amateurs venus
nombreux (le club était plein à craquer) trois sets pleins d’intensité et de
virtuosité artistique. Il suffisait de voir l’air enchanté du flûtiste
classique et chef d’orchestre Patrick Gallois. Et lui, il connaît la musique. MP
Il est des lieux en dehors du temps et
des modes. Des salles en dehors du circuit des clubs parisiens et de ce qu’on
nomme les «must see» du moment. Des
endroits spacieux, bien sonorisés, qui ne souffrent pas de la promiscuité
forcée occasionnée par la saturation d’un réseau de salles consacrées. Ainsi en
va-t-il de la Maison Pour Tous Gérard Philipe à Villejuif (94) en cette soirée
du 23
novembre, où Luigi Grasso
(as, ss) va présenter The Greenwich
Session, formation née d’une inflation naturelle du Luigi Grasso quartet,
partie intégrante de la saison 2017-2018 de Jazz en Ville. Le nonet, composé de Thomas Gomez (as), Balthazar
Naturel (ts,engh), Armand Dubois (flh), Emilien Véret (bcl), Malo Mazurié (tp),
Yves Brouqui (g), Fabien Marcoz (b) et Stéphane Chandelier (dm), se révèle
souverain sur un répertoire composé essentiellement de matériel original conçu,
développé et orchestré par le leader. Adoubé par Wynton Marsalis en personne,
qui salua en lui l’un des tout meilleurs jeunes saxophonistes de sa génération,
Luigi Grasso brille par une polyvalence qui lui permet d’aborder la scène en
chef d’orchestre plutôt qu’en simple instrumentiste, un esprit et une ambition
présents depuis toujours chez le jeune musicien, et qui trouve en quelque sorte
une consécration dans la constitution de ce qui ne représente pas à ses yeux un
authentique big band, mais plutôt une petite formation telle qu’on l’envisage
en musique classique. Son oreille absolue lui fait clairement distinguer ce que
l’oreille du profane ne perçoit qu’à grand peine, comme le registre de la
clarinette basse et celui du basson (formidable Emilien Véret). Les titres
s’enchainent avec le plus grand naturel, ce soir, devant un parterre d’amateurs
de jazz médusés par une telle maîtrise des timbres et de l’image sonore, bien
mis en valeur par l’équipe présente à la console. On sent que cette projection
précise du son est tout à fait conforme à la vision initiale qu’avait Luigi
Grasso de ce projet, et les différentes couleurs apportées aux compositions
introduisent à une sorte de musique du monde, qu’il convient de distinguer de
ce que d’aucuns nomment la world music en ce qu’elle célèbre les différentes
cultures traversées dans toute leur singularité, plus qu’elle ne propose une
vision unifiée de la culture planétaire. Le mambo cubain de «Mariposas Mambo»
voisine ainsi avec les harmonies turques de «Taksim Olagamustu», après que le
feeling d’outre-Rhin du premier morceau interprété a surpris une partie du
public présent, qui n’attendait certainement pas un référentiel musical et une
grille de lecture aussi riches.
Après une outro de fin de premier set,
tirée du répertoire de Thelonious Monk, la pause permet de constater que le
public présent perçoit des effluves de New Orleans parmi les influences
présentes dans les morceaux interprétés par les musiciens. Le saxophoniste
n’oublie pas de célébrer son expérience parisienne au travers de sa composition
«The Three Red Trees» qui représente un hommage très personnel aux trois arbres
rouges présents devant la fenêtre de son appartement, alors qu’il résidait à la
Cité Universitaire. Il introduit également la figure de China Moses qui lui a
offert le poste de directeur musical au sein de sa formation, et lui exprime sa
gratitude au travers de la mélodie de «Champagne Is to Blame», transfigurée par
l’expérience de la scène et une version instrumentale de haute volée. Le moment
le plus émouvant du concert est sans aucun doute l’interprétation de «Turbo
Shot», conçu par le frère de Luigi, Pasquale Grasso, avec un arrangement du
saxophoniste auquel il semble accorder la plus grande importance, tant le
morceau comporte des accents fraternels et chaleureux. Le concert se termine
sur «Epistrophy» de Monk, que le compositeur préfère sans doute ici pour des
raisons esthétiques à un «Round Midnight» qui reposerait essentiellement sur
l’inspiration et le feeling du moment. Car c’est peut-être là le véritable
secret de Luigi Grasso, dont la formation propose en rappel l’immense «Fontainebleau»
de Tadd Dameron, une ballade dont il nous dit qu’elle est peut-être la plus
belle jamais composée, et qui comporte des sections bien identifiables, avec
des breaks judicieux et structurants qui ne compromettent en rien sa fluidité.
Il est sans doute permis de voir là le dessein ultime des blues lents
qu’affectionne l’artiste, sorte de théorie de la forme qui vaut confirmation de
la vision musicale inhérente aux compositeurs qui l’agréent. Un bien beau
concert, en forme de carte postale personnalisée envoyée des quatre coins du monde.
JPA
Talib Kibwe
connaît bien Paris. Le saxophoniste et flutiste américain y a vécu de 1982 à
1989. C’est pendant son séjour en France qu’il a rejoint la formation de Randy
Weston (qui vivait alors à Annecy). C’est aussi grâce à son premier disque en
leader, Egyptian Oasis (sorti en
1986), enregistré avec Bobby Few (p), Louis Petrucciani (b) et Sangoma Everett
(dm), qu’il a eu l’opportunité de tourner trois fois à travers l’Afrique. Son
dernier album, Amour, est un retour
en arrière sur ses années parisiennes. Un album sous forme d’hommage, plein de
saveurs, exprimé dans un jazz contemporain, exigeant, ancré dans une histoire,
et sans nostalgie. Deux standards en tout («Infant Eyes» et «La Petite Fleur»),
le reste de l’album se compose de thèmes originaux composés pour l’occasion
(«Parisian Memoir») ou de thèmes réarrangés, composés dans les années 1980.
Bref, un répertoire très riche qu’il est venu partager le samedi 25 novembre dans un Sunside plein à craquer, avec anecdotes
racontées en français, une bonne dose d’humour, de clins d’œil, de pensées
envers une génération de musiciens qu’il a côtoyés («Abdoulaye», il l’a dédié
au batteur et fondateur du groupe sénégalais Xalam, Abdoulaye «Prosper» Niang
décédé en 1988, avec lequel il a joué et tourné en Afrique; «ElvinElpus»,
à Elvin Jones). Cette générosité, ses sidemen n’en manquaient pas: l’étincelant
Olivier Hutman (p), l’ultrasolide Nicola Sabato (b) et le vieux complice John
Betsch (dm), dont la rencontre avec Kibwe remonte à la fin des années 1970
lorsqu’ils accompagnaient Abdullah Ibrahim. C’est même avec le pianiste sud-africain
que le saxophoniste joua pour la première fois à Paris. En 1977, aux Bouffes du
Nord, avec John Betsch... Une soirée pleine de réminiscences d’un Paris gorgé
de jazz, qui l’était encore un peu plus en 1985, lors du tournage du film Autour de minuit de Bertrand Tavernier.
Face à un public qui en redemande, resté toujours aussi nombreux jusqu’à la fin
du troisième set, quel meilleur finale que «Round Midnight»? MP
On a beau voir et revoir le pianiste Harold Mabern et le ténor Eric Alexander à chacun de leur passage
à Paris, on ne se remet jamais tout à fait de leurs performances, tant elles
donnent le tournis. Ce sens du swing, du blues, ce naturel, ce jeu
immédiatement reconnaissable où tout est supérieur, l’expression d’une
tradition du jazz, d’une façon personnelle de la prolonger avec sa sensibilité,
ses racines musicales, c’est tout cela Harold Mabern et Eric Alexander. Un état
d’esprit, un enthousiasme, une générosité, une rigueur, une exigence. Et tout
cela ne manquait pas le mardi 28
novembre au Duc des Lombards.
Pour cette tournée européenne, ils étaient accompagnés de l’épatant Daryll Hall
(b) et de l’impeccable Bernd Reiter (dm). Si la veille, ils se sont fait dépouiller
du côté de la gare de l’Est, qu’ils n’ont plus un rond, comme ils l’expriment
non sans humour dans «How Insensitive» et «Everything Happens To Me», c’est
comme si ce n’était plus qu’un mauvais rêve. Ils piochent dans le répertoire de
Monk («Blue Monk»), dans les deux derniers albums de Mabern («The Iron Man»;
«Bobby, Benny, Jimye, Lee, Blu»), se lancent dans «I Get A Kick Out Of You»,
réarrangé par Mabern et rendu méconnaissable. La classe! Les programmateurs de
festivals de jazz qui brillent par leur absence en clubs seraient bien inspirés
de venir écouter ce beau jazz. Pourquoi se braquer? MP
Textes: Jean-Pierre Alenda et Mathieu Perez Photos : Patrick Martineau et Mathieu Perez © Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Autumn in Brussels Septembre-novembre 2017
Jazz Station
Le 8
septembre, une rupture de canalisation d’eau à la chaussée de Louvain a
provoqué une grande coulée de boue qui s’écoula en aval avec, pour conséquence un affouillement de huit mètres de profondeur juste en face de la Jazz Station.
Tous les riverains avaient été priés d’évacuer car on craignait un effondrement
du tunnel situé en dessous des immeubles. Les voies du chemin de fer ont été
dégagées tandis que les vérifications concernant la stabilité de l’immeuble ont
été effectuées in extremis pour permettre la tenue du concert d’ouverture de la
saison 2017-2018.
Alors
qu’il fallait encore attendre la fin des travaux pour rouvrir la circulation
sur cette artère, nous avons vaillamment longé les tranchées pour participer à
la première soirée du 29 septembre: une
rencontre entre l’Israélien Shaï Maestro (p), le Grec Petros Klampanis
(b) et
un quatuor à cordes berlinois. La surprise nous trouva dubitatifs dès le premier
morceau: un long solo de contrebasse travaillé au loop: percussions sur le corps de l’instrument, superposition de
trois lignes rythmiques, d’une ligne de basse dominante, un chorus en accords,
une ligne mélodique, un jeu post-chevalet et, bien évidemment, quelques
dissonances! Le deuxième thème, «Minor Dispute», introduisit fort heureusement
le pianiste israélien et le quatuor (deux violons, un alto, un violoncelle). Le
troisième débuta par des questions/réponses entre le bassiste loopé et les cordes, suivi de très beaux
échanges entre le contrebassiste et le pianiste. Le swing teinté d’orientalisme
est séduisant. Avec «Little Blue Song» qui évoque les paysages enchanteurs de
son île natale, Petros Klampanis nous livre une suite écrite, avec des
changements de tempos qui envoient les cordes dans les bottes de paille. Seul,
Gregor Fuhrmann (cello) parvint à négocier tous les virages sans sortie de
route. «Tough Decision», plus simple, avec des murmures chantés, précède
«Individual Colors»: un extrait de «Chroma»qui a le bonheur de mettre en
valeur la fougue, l’inspiration et le grand talent de Shaï Maestro. Suivent: «Hariklaki»,
un duo de piano et de basse, puis «Autumn Leaves», un solo de contrebasse
doublé d’un chant en recordings de loops.
En final, «Monkey Business», une œuvre d’inspiration pakistanaise. Au long du
concert, nous avons eu droit à un jeu de contrastes et d’oppositions entre les
jazzmen et les cordes, entre des solos de piano qui swingue, des chipotages de
basse et des backings de strings pas
toujours en place. Il y a de bonnes idées dans l’écriture du contrebassiste de
Zakynthos, mais on aurait aimé dans son chef un peu plus de retenue, moins
d’artifices (revoicings). Sans Shaï
Maerstro, enjoué, lumineux, nous aurions sans doute beaucoup moins apprécié la
soirée.
Le 28 octobre, à l’invitation du Goethe
Institut, la Communauté germanophone de Bruxelles défilait en rangs serrés à
l’entrée de la Jazz Station. Au programme, une délicieuse chanteuse, Natalia Mateo, accompagnée par un
quartet comptant dans ses rangs: Simon Grote (p), Dany Ahmad (g), Christopher
Bolte (b) et Fabian Ristau (dm). Natalia Mateo, polonaise de naissance (1983) a
transité par l’Autriche avant de se fixer à Berlin. Elle chante en polonais, en
anglais et en allemand d’une voix claire mais fluette s’aidant avec parcimonie
de la reverb’ et du loop. Tous les morceaux –originaux– usent
de structures simples; les accompagnateurs servent la chanteuse avec
délicatesse privilégiant des backings répétitifs. En fin de compte:
de très beaux climats qui pourraient sans doute plaire à Manfred Eicher!
Sam Gerstmans (b), qu’on
apprécie régulièrement comme sideman relevait, le 10 novembre, le défi d’une carte blanche, sa toute première. Il
nous avouera plus tard qu’il était paniqué à l’idée d’imposer ses choix comme
leader. Qui l’eut cru? En trio, avec Tom Callens (ts, cl) et Victor Da Costa
(g), il nous a éblouis de sa maestria: justesse, puissance, swing, inventivité
des solos, bon goût des arrangements. «Childs Play», co-écrit avec Tom Callens,
puis«Dance For Dad» en lead-clarinette; «Black Diamond», une composition
de Roland Kirk joliment arrangée; ensuite, «Evening Fall in Melancholy», un
original de Tom Callens qui nous fait apprécier la rondeur du son et le léger
vibrato qu’il pratique au ténor. Pour le cinquième morceau, Sam Gerstmans invitait
une chanteuse totalement inconnue à les rejoindre sur «My Man». Bouche bée, on
découvre Delphine Gardin: un timbre de contre-alto, net et bien assuré. Elle
vient de la pop mais le bassiste promet de la faire travailler son jazz; on
l’écoutera encore en seconde partie sur «Little Girl» de Nat King Cole. Pour
sûr, il faudra la suivre à l’avenir! Le
premier set se termine avec «S.O.S» de Wes Montgomery. Le thème est joué à l’unisson puis les solos se succèdent:
ténor, guitare, contrebasse, stop
choruses, break, bière, entracte. La seconde partie débute avec «Ephemerides»,
une composition de Guy Cabay, déclinée au début des années 1980 par Steve
Houben & Strings. Le trio s’est joliment réapproprié le thème avec un long
solo de ténor sur basse continuée. Avec «Revers», écrit par Victor Da Costa,
Tom Callens s’illustre à la clarinette, précédant un solo superbe de Sam
Gerstmans. Un bel original de Tom Callens précède «Versus», une démarcation de
«All Blues» écrite par Sam Gerstmans. Suivent «Little Girl» avec Delphine
Gardon puis «Ramble On» et le concert se termine sur «Autumn Leaves» avec un solo
magnifique de contrebasse et un tonnerre d’applaudissements… largement mérité.
Lundis d’Hortense à la Jazz Station
Avec le répertoire de son nouvel opus, The
Stolen Book (Bonsaï Music), Chrystel
Wautier (voc) nous revient fortifiée, le 15 novembre, par ses succès hexagonaux(au Sunset, entre autres).
Pour l’accompagner, un quartet de haut vol parfaitement conduit par Cédric
Raymond (p) et Lorenzo Di Maio (g). Jacques Pili (b) et Jérôme Klein (dm)
assurent avec légèreté la pulsation rythmique. On a trop rarement l’occasion de
voir et d’écouter Cédric Raymond derrière
l’ivoire; contrebassiste efficace, inventif, sûr de son tempo, il a révélé ce
soir: un joli doigté au piano («Be Town») et un goût parfait aux claviers
pour enrober les mélodies. «Into The Dance», «No, We Can», «Conversation»
précèdent un bel arrangement du tube de Souchon-Voulzy: «Le Soleil donne».
«My Old Man», extrait du film Love Song
From Apache, et «Let’s Fall» clôturent le premier set. Chrystel
Wauthier est une musicienne complète; elle écrit la musique et les paroles de
la plupart des morceaux. Au fil des ans,
elle a pris de l’assurance; la voix est bien en place et les accompagnateurs
servent la dame de manière magistrale; elle affirme aussi sa différence
en évitant de scatter pourdonner priorité à l’harmonisation des chansons et
la répartition des solos. Tout est bien structuré. Le swing est léger,
l’agressivité proscrite. En deuxième partie, elle affirme la diversité de ses
influences. Belge de La Louvière, elle est fille de pasteur et ukrainienne par
ses grands-parents; une culture qu’elle a découverte à l’occasion d’un concert
à Kiev pour les 25 ans de l’indépendance de cet ancien satellite soviétique.«Stolen
Book» et «Far Away» témoignent de cette ambivalence. Suivent des morceaux où le
gospel et le blues s’immiscent. Jacques Pili prend un beau solo à la
guitare-basse sur «Far Away», Lorenzo Di Maio sur sa composition «Black
Rainbow», Cedric Raymond… partout! «Happy Song» et «Before a Song» viennent
clore un concert de très belle facture
avec une organisation parfaite. Pas de longs solos, mais rien que du bon!
Olivier Collette (p), s’était fait oublier pendant son séjour à Dubaï de 2004 à 2008.
Rentré en Belgique, il crée Heptone en 2013: un club de jazz situé à Ittre,
dans le Brabant wallon. L’année suivante, il se rappelle à nous avec son troisième
album, 7 Views of a Secret, avec
Raphaëlle Brochet (voc), Philippe Aerts (b) et Renato Martin (perc).
Compositeur mâtiné de musique classique et de jazz, il séduit par l’attention
particulière qu’il voue à la mélodie, ce qui le rend séduisant pour un public
très large. Le 22 novembre, il était
l’invité des Lundis d’Hortense pour un concert «Gare au Jazz». Entouré du
redoutable Sam Gerstmans (b) et du mélodieux Matthias De Waele (dm), il a livré
une musique en dentelles avec ses compositions: «Missing», «Conception»; un titre
d’inspiration brésilienne: «Mittle Beyond»; un blues original: «Azur»; un
renvoi à Charles Loos, l’aristo du piano: «Danse pachyderme»; «I
Don’t Care»: un thème rockisant que renierait pas Herbie Hancock (avec un beau
solo de contrebasse; une démarcation de «Cherokee» très (trop) sage:
«Waltz for Charlie»; «Twistin’ Minor Blues»; une composition plus complexe:
«The B Train» avec un doublement du tempo à la basse. Mais il y eut aussi de très belles relectures de l’Impromptu en Sol b-M de Schubert, un
concerto d’Amadeus Mozart et un Nocturne
de Chopin. Vous l’aurez compris c’est un peu le jazz du salon des ambassadeurs
qu’il nous fut donné d’apprécier! Ce fut un beau concert pour l’écriture des
compositions et pour la qualité des arrangements; un concert fin, mélodieux, léger mais sans surprises!
Texte: Jean-Marie Hacquier Photos: Pierre Hembise © Jazz Hot n°681, automne 2017
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Paris en clubs Octobre 2017
Le 19 octobre, Dan Vernhettes programmait
dans le cadre de Jazz en Ville, à la
Maison pour tous Gérard-Philippe de Villejuif, Julien Brunetaud, auteur, compositeur, pianiste et chanteur.
Accompagné ce soir Sylvain Fetis (ts), Bruno Rousselet (b) et Alex Viudes (dm),
il donne la tonalité blues groovy dès les premiers titres. Le répertoire est
tiré de son dernier album, Playground,
avec «Down in the New Orleans», de «When I Grow»,«Mardi Gras in New
Orleans». «Monty’s Boogie» est si vivement accompagné par le battement des
mains du public que Julien en lâche son clavier pour marquer le mesure avec lui
avant de présenter «Mes idéaux» son unique blues en français. Et le premier set
de s’achever sur «When the Saints Go Marchin’ in». En deuxième partie de
concert, le pianiste continue de développer sa musique entre blues, boogie et
soul («I Wanna Ride», «Catalonian Night»), lequel se conclut sur un «Aladin
Boogie» endiablé. Un garçon à suivre et une programmation qui devrait encourage
les amateurs parisiens à franchir le périf’. PM
Le 22 octobre, le trio de Jobic Le Masson (p), Peter Giron (b), John
Betsch (dm), est une nouvelle fois invité par Steve Potts (as, ss) aux Ateliers du Chaudron, dans une salle où
le saxophoniste assume des fonctions de directeur d’enseignement musical, ce
dernier bénéficie d’un fort ancrage social. Nous avons déjà eu l’occasion de
commenter les mérites de cette formation dans le précédent numéro de Jazz Hot. Si nous y revenons aujourd’hui,
c’est parce qu’il est important de dire que c’est grâce à des musiciens de ce
calibre et de cette qualité que le jazz d’aujourd’hui
peut conserver ses valeurs et ses vertus formatrices. Le concert lui-même est
basé, pour l’essentiel, sur les magnifiques titres qui composent
«Song», dernier album sorti du combo. Mais conformément à l’esprit
explorateur du jazz, ces morceaux sont ici délivrés dans des versions alternatives,
assorties de changements de clé déroutants et de moult improvisations ludiques
et spectaculaires, à telle enseigne qu’on est tenté de se pincer pour se
convaincre qu’on assiste bien à un set donné dans une salle à dimension
humaine, sachant que pareil spectacle pourrait aisément être donné en un lieu
aux dimensions moins modestes. L’emprunt au précédent album du trio Hill très languide, constitue une sorte
d’intermède acoustique avant qu’une intervention saisissante de Steve Potts ne
nous régale d’un long solo introspectif et convulsif, cherchant l’inspiration
courbé sur l’instrument, projetant subitement son timbre en redressant le buste
comme s’il venait de découvrir la pierre philosophale. On songe alors à Ornette
Coleman tant le son plein et chargé d’harmoniques que le soufflant arrache de
son instrument est bouleversant, l’ensemble du groupe témoignant toujours de
ses qualités hors pair. En jazz, l’enfer n’est pas pavé de bonnes intentions et
voilà des gens de cœur qui savent aussi ce que gros œuvre veut dire. They make it really happen. Qu’ils en
soient ici remerciés. JPA
Le 25 octobre, au Café de la Danse, le Vintage
Orchestra poursuivait, dans la foulée de son album récemment sorti, Smack Dab in the Middle (voir notre
chronique dans Jazz Hot n°680), sa
relecture des arrangements et des compositions de Thad Jones. Sans doute parmi
les plus belles enluminures de l’histoire du jazz. Promoteur enthousiaste de
cette musique, Dominique Mandin (ts, ss) dirige cet excellent big band avec
l’énergie que l’on sait nécessaire pour faire vivre ce type d’entreprise
musicale. La qualité de l’ensemble est bien évidemment due à celle des
solistes, dont nous connaissons bien les carrières individuelles: David
Sauzay (ts), Thomas Savy (ts), Olivier Zanot (as), Jerry Edwards (tb), Fabien
Mary (tp), Florent Gac (p), Yoni Zelnik (b), Andrea Michelutti (dm), entre
autres. S’y ajoutaient deux vocalistes de premier plan, tout d’abord, la grande
Denise King (Jazz Hot n°675), au sommet de son art, et l’Américain Ken Norris (qui vit à Hambourg), une
belle découverte. Chacun
des deux sets qu’a comptés cette soirée, a vu le Vintage Orchestra débuter par
trois titres instrumentaux, l’occasion d’apprécier les solos de David Sauzay ou
de Fabien Mary sur «The Groove Merchant», «Second Race» et «All My Yesterdays»
en ouverture du concert. On se délecte sans réserve de ce jazz
extraordinairement élaboré, aux harmonies rutilantes et au swing étincelant. Un
écrin de choix pour accueillir la voix de Denise King qui d’emblée impose sa
présence sur «Yes Sir, That’s My Baby». Ken Norris se situe lui dans un
registre de crooner, qui est également celui de Walter Ricci, le chanteur
«titulaire» qu’il remplaçait ce soir. Si l’expression de Ken Norris est moins
profonde que celle de Denise, celui-ci n’en a pas moins tenu son rôle avec
brio, en particulier sur «Evil Man Blues». Le tout servi avec une prestance qui
n’a pas laissé insensible le public féminin (des admiratrices étaient
apparemment venues pour lui…). La seconde partie fut du même tonneau que la
première: des beaux instrumentaux (un «All of Me» très original et
«Fingers» qui fit la part belle à la section de saxophones) et des prestations
vocales très enlevées qui se conclurent par un duo savoureux entre les deux
chanteurs sur «How Sweet It Is». JP
Le 26 octobre, le quartet composé de Jérôme Sabbagh (ts), avec Greg Tuohey
(g), Joe Martin (b) et Kush Abadey (dm), monte sur la scène de la Péniche Anako (amarrée sur le bassin de
La Vilette) pour deux sets empreints d’une formidable musicalité. Le
saxophoniste et le guitariste se connaissent depuis plus de vingt ans, époque à
laquelle ils se rencontrent à New York et fondent le collectif Flipside, avec
Matt Penman et Darren Beckett. Sur des
compositions originales de Sabbagh et Tuohey, le quartet évolue avec une
souplesse remarquable, lui permettant d’affirmer une vision moderne du jazz
dénuée de cette nostalgie empesée qui
limite parfois l’audace et la créativité des musiciens. Le combo attaque son gig
avec «Vintage», déjà documenté sur le net dans une version Live at Smalls. On sait Tuohey rompu à d’autres idiomes, délaissant
temporairement le jazz pour collaborer avec le chanteur Joe Pug. Le six
cordiste semble avoir retiré de cette expérience une certaine science de la
dissonance cognitive, au service de phrasés hors phase du plus bel effet. Altérant
sporadiquement le son de son ampli vintage au moyen d’une pédale, les intervalles
choisis, particulièrement en ce qui concerne les octaves, ne sont pas sans
évoquer les explorations soniques de la galaxie Miles Davis, bien qu’il les
tempère considérablement en chantant littéralement chaque note jouée, comme le
ferait un guitariste de soul music. De son côté, Jérôme Sabbagh brille par un
timbre magnifique, bien mis en valeur par des compositions personnelles serties
de motifs rythmiques mémorables, sur lesquels ses interventions solo forment
autant de modèles du genre, avec des références discrètes à ses influences
majeures. L’enchainement «Chaos Reigns», «Vicious», et «You Are on My Mind»,
proprement renversant, donne le la d’une communication satisfaisante avec le
public, après un round d’observation très dépouillé, mais c’est sans doute le
titre «Ghostly», sur la setlist, qui caractérise le mieux ce soir l’atmosphère
hantée du concert, les deux leaders touchant parfois à un état de grâce poétique
qui touche au cœur les auditeurs. Le travail du son, auquel le saxophoniste
accorde une importance capitale, lui permet ce jeu tout de fluidité et de
charme, évitant avec tact et délicatesse tout excès narcissique, et se rapprochant
davantage des esthètes de l’instrument que des colosses qui médusent par leur
puissance instrumentale. Les deux leaders sont superbement épaulés par la
contrebasse de Joe Martin, sideman très apprécié de la scène new-yorkaise, qui a
développé son art consommé au contact de jazzmen comme Mark Turner et Chris
Potter, tandis que la frappe sèche et solide de Kush Abadey contraste joliment
avec la délicatesse de son jeu de balais. Si la formation n’a pas encore
enregistré en studio, elle brille déjà par une cohésion exemplaire qui confère
un caractère émotionnel affirmé aux évolutions du quartet. La complicité des
musiciens fait d’autant plus plaisir à voir et à entendre que Jérôme Sabbagh incarne
à présent, dans sa pleine maturité artistique, le bien-fondé d’un jazz de
tradition promouvant l’héritage des grands noms aussi bien au sein de compositions
inédites que par l’intermédiaire de reprises inspirées. Cette démarche intègre permet
d’évoquer avec crédibilité les mesures atypiques de «Serenity», ou de proposer
en rappel le classique «Old Folks», qui rend un bel hommage aux figures
tutélaires, sans préjudice des versions antérieures fondant la légitimité de
l’esprit immémorial du jazz. Une soirée mémorable, qui continue de produire ses
effets positifs longtemps après que la dernière note a été jouée. JPA
Les 27 et 28 octobre, le Spirit
of Life Ensemble était de passage au Caveau
de La Huchette. Le leader historique du groupe (fondé en 1975), David-Daoud
Williams (perc), le directeur musical, Rob Henke (tp), Chip Shelton (as, fl),
Tony Godson (perc) et Dwight West (voc) avaient fait le déplacement depuis
Jersey City, tandis que le collectif trouvait sur place le renfort de Katy
Roberts (p), Dominique Lemerle (b) et Philippe Combelle (dm). C’est un Caveau
plein (particulièrement le samedi 28) et enthousiaste qui a accueilli les
musiciens. Après deux titres instrumentaux «de chauffe» (dont un «All the
Things You Are» avec de beaux arrangements latins), Dwight West a entamé un
tonique «All of Me» qui, le deuxième soir, a d’emblée enflammé l’assistance!
Suivi par un «Afro Blue», tout en finesse, le Spirit a donné à entendre un beau
«My Funny Valentine» marqué par l’intervention profonde de Rob Henke et les
élégantes harmonies de Katy Roberts. Soit deux soirées épatantes, menées par un
orchestre complice et dynamique qui produit un jazz aussi enraciné que
populaire. JP
Textes et photos: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage © Jazz Hot n°681, automne 2017
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Paris en clubs Septembre 2017
Le 19
septembre, le trio de Vincent
Bourgeyx (p) –Matt Penman (b) et Obed Calvaire (dm)– accueillait en
invité David Prez (ts) et proposait au
public du Duc des Lombards une
musique à la fois élaborée et chatoyante, empreinte d’un charme et d’une distinction
qui constituent déjà une signature sur l’album Short Trip. Le pianiste présente la particularité d’avoir travaillé
avec Al Grey, expérience qui lui a conféré un sens du swing hors pair, mis au
service d’une démarche plus aventureuse qu’il n’y paraît à première vue, où les
accents post bop parfumant son jazz se trouvent comme rehaussés en bénéficiant
d’une relecture très moderne. «Sunny» ouvre les débats d’une
manière saisissante, avant qu’«Abbey», un hommage à Abbey Lincoln,
en sus de bouleverser le public, ne lui rappelle, au travers de l’évocation de
la grande artiste américaine, combien l’histoire du jazz demeure indissociable
d’une lutte sans répit contre toutes les discriminations. Le saxophone de David
Prez brille par un rubato qui rappelle certains phrasés de Lester Young, et le
parti pris de fluidité qui anime les échanges entre les musiciens laisse toute
liberté de penser au surnom malicieux donné à l’illustre saxophoniste par
Billie Holiday. «Cross Fingers» et le «Tune Up» de
Miles Davis confirment le sentiment de sophistication érudite qui se dégage des
orchestrations privilégiées par la formation. Obed Calvaire manifeste une polyvalence
et une virtuosité déjà mises en exergue au sein du SF Jazz Collective, où
officie également Matt Penman, un contrebassiste présentant la particularité de
solliciter les registres bas médium et aigu de son instrument, ce qui parachève
une esthétique d’ensemble ou chaque musicien évolue en solo sans jamais rompre
tout à fait avec son rôle rythmique fondamental, au service d’une cohésion
exemplaire. Sara Lazarus, chanteuse présente sur l’album, n’accompagne pas le
groupe ce soir, mais la dimension vocale de la musique interprétée n’échappe à
personne, tant la plupart des thèmes suivent une ligne mélodique très claire, teintée
par le caractère chaleureux des couleurs musicales égrenées par les musiciens
sur scène. Sous la main droite du leader, particulièrement agile et inspirée, naissent
des harmonies subtiles, des citations de grands standards, comme inspirées par
la faconde de McCoy Tyner, dans un hard bop tardif tout à fait approprié à
l’occasion et au lieu où se déroule la rencontre entre le musicien et les
mélomanes. Le groupe nous quitte sur un entrelacs de lignes voluptueuses tiré
du «Round Midnight» de Thelonious Monk, assorti d’un arrangement
qui n’aurait pas déparé sur le Impressions
de John Coltrane, et le clavier se fait soudain d’une discrétion
spectaculaire, suggérant les notes en une magnifique esquisse poétique, sans
jamais leur donner de résonance excessive, comme si Vincent Bourgeyx s’inspirait
en musique de la théorie de la déconstruction, développant pour ce faire un
propos musical digne des qualités introspectives de Sonny Rollins. Un concert
dans la plus pure tradition d’une école du jazz français située au point de
confluence entre universalisme américain et renaissance européenne, avec une liberté
affichée qui unit artistes et spectateurs dans une même catharsis fédératrice.
Texte: Jean-Pierre Alenda Photo: Patrick Martineau © Jazz Hot n°681, automne 2017
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Paris en clubs Juillet-Août 2017
Michel Pastre (ts) est un
habitué du Caveau de La Huchette et
chaque prestation qu’il nous offre est toujours très soignée. C’était encore le
cas ce 6 juillet. Rappelons que
Michel est un passionné de Lester Young. De temps en temps, il s’amuse à
incliner son saxo à la manière de ce grand musicien. Rappelons ici qu’il est
également le chef, depuis plusieurs années, d’un Big Band qui joue la musique
de Count Basie. Ce soir, les spectateurs et les danseurs sont nombreux et la
piste de dance est pleine de jeunes et moins jeunes. Tous ces danseurs se
dépensent joyeusement et créent une ambiance très sympathique. Le quartet de
Michel comprend un brillant pianiste César Pastre (p) qui n’est autre que le
fils de Michel et qui s’affirme de plus en plus. Cédric Caillaud (b) et
Stéphane Roger (dm) viennent apporter leurs compétences et leur bonne humeur à
ce groupe bien constitué pour jouer au Caveau de la Huchette. Au cours de sa
carrière, Michel a joué avec plein de musiciens au Caveau et ailleurs, et il a
eu de fortes interactions avec eux. Aujourd’hui, il est un professionnel
brillant, reconnu par tous et il a un répertoire riche. Au Caveau, son swing
entraînant, fait lever les danseurs qui ne laissent pas leur place sur la piste
de dance. Ce soir, le quartet de Michel nous fera apprécier, entre autres, les
morceaux suivants: «Leapin’on Lenox», «Star Fells on Alabama», «Soul Burnin’», «The
Godfather» de Nino Rota, «Tickle Toe», «Stolen Sweets» ou encore «Jumping
with Cesar», une composition du leader. GH
Le
22 juillet, le trio de Romain Pilon (g) invitait Walter Smith III (ts) sur la scène du Sunside dans le cadre du traditionnel
«American Jazz Festiv’Halles» organisé par le club de Stéphane Portet. Avec la
stabilité et le caractère presque pneumatique permis par la section rythmique sans
défaut de Matyas Szandai (b) et Fred Pasqua (dm), ils ont donné un concert
formidable, tout de finesse et de musicalité. Romain Pilon est un guitariste
qui ne fait jamais dans la démonstration gratuite. En tant que leader, il met
ses connaissances harmoniques étendues au service de la musique, proposant un
discours musical très élaboré dont les notes précieuses voient leur pouvoir
d’évocation encore renforcé par la parcimonie et le goût avec lequel elles sont
égrenées sur sa guitare custom. Ses lignes semblent jaillir littéralement des
gammes et de la grille d’accords employées, avant un retour au jeu en positions
si naturel qu’il laisse pantois une bonne partie du public. Ce modèle
d’inspiration trouve son équivalent dans la figure du funambule Philippe Petit,
auquel le groupe dédie «Man on a Wire»,
un titre au rythme instable et sautillant, tout à fait dans le ton du gig
proposé par le quartet. «Cycles» et un morceau sans titre calment un peu le
jeu, avant que «Seventh Hour», tiré de The
Magic Eye, l’album le plus récent gravé
par la formation, ne propulse au premier plan le jeu très volubile de Walter
Smith III, entendu il y a peu sur un album de Laurent Coq dédié au personnage
de La Fayette. L’enchaînement «Quiet» et «Serenity» met en exergue la grande
maitrise digitale de Romain Pilon, qui enchaîne les neuvièmes et les treizièmes,
tout en produisant des accents très émouvants au moyen d’attaques de cordes nuancées
et de résonances savamment modulées. Un titre dédié à Joe Henderson, un autre à
Wes Montgomery, en guise de révérence vis-à-vis des grands anciens, et le
concert se termine sur un chorus endiablé de Walter Smith, qui incendie littéralement
«Limbo», célébrant de toute sa vigueur (le saxophoniste, comme possédé,
accompagne avec le corps ses soli) la légende vivante qu’est Wayne Shorter. Un
très beau concert, dont les harmonies célestes résonnent longtemps après que
les dernières notes ont retenti dans la salle, et la preuve qu’il est encore
aujourd’hui des musiciens de jazz qui gardent
les oreilles ouvertes en vue de dégager des voies nouvelles sans rien sacrifier
au culte du paraître. JPA
Le
9 août, la grande Mandy Gaines (voc) était au Caveau de La Huchette, entourée de sa
rythmique française, les excellents Cédric Chauveau (p), Nicola Sabato (b) et
Mourad Benhamou (dm). La venue de la chanteuse de Cincinnati, qui devait se
produire à Marciac le lendemain, n’est pas passée inaperçu: ce soir, comme la
veille, le Caveau était plein au point que le public est venu progressivement
s’assoir sur la piste de danse, devenue impraticable pour les adeptes du
be-bop. La Huchette semble donc (et c’est tant mieux) toujours bénéficier de
l’effet La La Land, particulièrement
visible en période d’affluence touristique. Quelles que soient les raisons qui
ont amené ce public nombreux et enthousiaste, ce dernier en eu pour son compte,
bénéficiant de la présence d’une artiste à l’expression authentiquement jazz.
De «Exactly Like You» à «The Lady Is a
Tramp», Mandy Gaines a interprété les standards avec un swing naturel qui remet
les pendules du jazz à l’heure (ce qui est réconfortant en cette période festivalière
où le jazz n’est souvent plus qu’un prétexte). Un régal partagé avec les
musiciens trop heureux d’accompagner une jazzwoman de cet acabit et donnant, du
même coup, le meilleur. JP
On
commence de plus en plus à entendre parler de Marvin Parks, installé à Paris depuis quatre ans. Le chanteur, qui
a choisi comme principal lieu d’expression le métro parisien, s’en sert
également pour attirer le public à ses concerts (en plus d’être très actif sur
les réseaux sociaux). Le fait est que cela fonctionne, car l’ami Marvin faisait
le 18 août salle comble à la Cave du 38 Riv’. Il était en cela fort
bien accompagné de son inséparable et précieux complice, Julien Coriatt (qui
est également depuis quelques temps le pianiste attitré de Denise King), d’Adam
Over (b) et, en invité spécial, de Lawrence Leathers (qui tient les baguettes
habituellement pour Cécile McLorin-Salvant). Un trio impeccable, donc, pour
appuyer l’interprète présentant ce qui n’est pas seulement un concert, mais un
spectacle: Marvin Parks: American Jazz Singer. Baigné depuis l’enfance
dans la musique populaire américaine et les chansons de Broadway (qui sont le
premier creuset des standards du jazz), le natif de Baltimore (dont les amours
musicales vont de Nat King Cole à Barbara Streisand) enchaîne les titres les
plus courus du répertoire avec simplicité et naturel («Old Devil Moon», «On a
Clear Day», «I Fall in Love too Easily»…) et un certain lyrisme dans
l’expression issu du chant gospel. Chaque morceau est ponctué par une anecdote
racontée avec humour –Marvin se moquant même de sa propre adoration pour les
divas du jazz en effectuant le second set avec un boa autour du cou– et
dessinant au fil de la soirée le portrait d’une personnalité atypique, comme
seul le jazz peut en produire. JP
Le 30 août,
Big Daddy Wilson (voc, perc) a pris
la scène du Duc des Lombards pour un
concert tout de décontraction et de convivialité, dans le cadre de sa tournée
de promotion de l’album Neckbone Stew. Avec Cesare Nolli (g, voc), Paolo
Legramandi (eb) et Nik Taccori (dm, voc), le bluesman a littéralement inondé le
club parisien de musicalité joyeuse et composite. Le leader présente la
particularité d’avoir connu le blues en Europe, bien qu’originaire du sud des
USA, où il était exposé à une culture gospel et country. Implanté en Allemagne,
qu’il a connue au moment de son service militaire et où il a rencontré sa
femme, il pratique un blues ouvert sur le monde, croisé avec de multiples
courants musicaux contemporains, comme le reggae jamaïcain. Après une entrée en
matière très laid-back, presque acoustique, le groupe étonne en reprenant «Nobody’s
Fault but Mine», popularisé par Led Zeppelin en Europe mais originellement
interprété par Blind Willie Johnson. Cette sorte de retour aux sources du
gospel blues est une trouvaille géniale du chanteur qui célèbre ses racines de
la plus belle des manières en entame de concert. Le guitariste a un son travaillé
au phasing et au flanger, avec pas mal de reverb
qui l’oblige à bien détacher chaque note quitte à ralentir ses licks (sauf au moment des chorus). «Time
to Move», sur lequel l’artiste nous rappelle que le temps n’est pas notre ami,
n’inquiète personne tant l’atmosphère quasi rasta développée par la formation
rallie tous les suffrages quel que soit le message véhiculé par les paroles de
la chanson. La guitare électrique à corps plein taille au cœur même du titre un
solo déchirant, tandis que la jolie basse à éclisses de Paolo Legramandi
apporte la souplesse nécessaire à une rythmique très élastique. «Cross Creek
Road» est scandé par un public déjà conquis qui ne se fait pas prier pour
frapper dans ses mains, tandis que l’atmosphère poisseuse du bayou est comme
ressuscitée par un bottleneck du plus
bel effet, superbe partie de guitare de Cesare Nolli. Enhardi par l’accueil
chaleureux qui lui est réservé, Daddy Wilson nous présente «Seven Years» en
nous disant que cette chanson évoque sa relation aux douze mesures du blues,
alors que «Neckbone Stew» incarne plutôt le côté funk et soul qui parcourt
l’ensemble de son œuvre depuis son tout premier album. «She Loves Me» est dédié
à son épouse, qui lui inspira ses premiers textes, et les harmonies vocales
proposées par les quatre musiciens sur ce morceau ne sont pas sans évoquer la
musique des Isley Brothers, avec un pont aérien jeté entre gospel et soul.
«Baby Don’t Like» ajoute les cocottes funky à ce déjà fort bel ensemble, conclu
par une magnifique coda a cappella sur laquelle Daddy Wilson s’avère vraiment un
lead vocalist exceptionnel. «Country
Boy» achève comme un symbole de reconstituer le parcours musical du bluesman,
après lequel un medley final vient conclure un set qui semble vraiment trop
court, sur lequel chaque musicien va tour à tour prendre le micro pour entonner
des classiques comme «Stand By Me» ou «Sittin’ on the Dock of the Bay», ce qui
place franchement cette fin de concert sous le haut patronage de Sam Cooke et
Otis Redding, et dans une atmosphère soul qui s’arrête délibérément avant le
psychédélisme de Sly and The Family Stones et de la West Coat. Une soirée
musicale chaleureusement applaudie, particulièrement festive et porteuse de
valeurs fédératrices. JPA
Textes: Jean-Pierre Alenda, Georges Herpe, Jérôme Partage Photos: Jean-Pierre Alenda et Jérôme Partage © Jazz Hot n°680, été 2017
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241e anniversaire de l'Indépendance des Etats-Unis Ambassade des Etats-Unis (Paris 8e), 29 juin 2017
Le 29
juin, à l’occasion du centenaire de la Grande Guerre et du 241e
anniversaire de l’Indépendance des Etats-Unis d’Amérique, l'Ambassade des USA à Paris invitait un jazz band tout à fait
exceptionnel pour rendre hommage aux musiciens du 369e régiment d’Infanterie du
lieutenant James Reese Europe, qui débarquait sur les côtes bretonnes il y a
bientôt cent ans.
Ainsi, The
Original Paris James Reese Europe Commemorative Orchestra réunissait, sous
la direction de Ricky Ford (ts): Mark Simms (tb), Sulaiman Hakim (as) Rasul
Siddik (tp), Bobby Few (p), Harry Swift (b) et Chris Enderson (dm), habillés en
costume d’époque ! Ils ont d’abord joué dans la cour d’accueil les
derniers morceaux enregistrés par James Reese Europe: «Jada», «Mirandy», «Jazz
Baby», «Russian Rag» et «Down Home Rag», avant que de reprendre «The Star
Spangleg Banner» dans une relecture soigneusement harmonisée par Ricky Ford.
Deux autres morceaux dont les arrangements ont été revus «Castel House Rag» et
«Half and Half» furent également proposés au public, avant que le groupe ne
rejoigne la grande scène du jardin où un des ensembles de l’Armée de l’Air des
Etats-Unis, The Wings of Dixie, venait de finir d’interpréter «L’Américana».
L’orchestre de "vétérans" du jazz repris ensuite «La Marseillaise» et «My
Choc Late Soldier Sammy Boy», toujours réarrangés par le ténor qui nous
confiait, après le concert, éprouver une immense reconnaissance
envers James Reese Europe et la fierté d’avoir joué sa musique.
Une évocation tout à fait mémorable, qui est
également un hommage à tous les musiciens américains venus s’installer à Paris
depuis la fin de la Première Guerre mondiale et qui ont transmis leur art aux
jeunes musiciens et amateurs français, échange fécond dont Jazz Hot est issu.
Texte et photo: Patrick Martineau © Jazz Hot n°680, été 2017
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Paris en clubs Juin 2017
Il est des rencontres entre un lieu, un artiste, une atmosphère
particulière, une rencontre telle que celle proposée en cette soirée du 1er juin au Caveau de La Huchette par Marie-Laure Célisse (voc, fl) et ses
Frenchy’s: César Pastre (p), Brahim Haiouani (b) et Lucio Tomasi (dm). Le
groupe nous présentait son premier album, Dansez
sur Moi, dans un esprit qui mêle adaptations de standards jazz avec des
chansons du patrimoine français, le tout interprété dans un esprit swing
particulièrement savoureux. En un lieu qui a très peu changé depuis
l’après-guerre, la complicité et la fraîcheur des protagonistes nous ramènent
tout naturellement à l’atmosphère des années cinquante et soixante. Le sens du
glamour de Marie-Laure Célisse, qui joue un rôle de chef d’orchestre empreint
d’une certaine malice (Brahim Haiouani, très pince-sans-rire lors de la
présentation des musiciens, lui attribuera même des compétences en matière de
santé mentale au sein de la formation), s’exprime ici dans une veine très
chorégraphique, et chacun de sentir la sincérité qui anime les musiciens sur un
répertoire qui est sans nul doute le reflet de passions musicales de toujours.
L’alchimie entre le piano de César Pastre et le joli falsetto de Marie-Laure
Célisse est enrichie et étoffée par l’expérience de Brahim Haiouani, qui assure
une pulsation rythmique sans faille avec le soutien de Lucio Tomasi, dont les
qualités s’avèrent essentielles sur scène comme sur disque, au cœur d’un projet
prouvant par l’exemple qu’une certaine humilité peut rimer avec la plus grande
des musicalités. La place prépondérante occupée par l’amitié et les échanges
avec le public, dans les concerts proposés par la formation, ressuscite un jazz
solidement ancré dans une époque que d’aucuns jugeraient révolue, n’était sa
beauté intemporelle qui lui confère paradoxalement une contemporanéité
certaine. Ce jazz-là trouve sa véritable raison d’être sur la scène, dans un
espace où son équilibre et sa dynamique se déploient sans contraintes. Le
disque des Frenchy’s exprime au reste très bien ce rapport implicite au live,
et les nombreux gigs donnés en tous lieux où le partage trouve droit de cité se
ressentent distinctement au travers de la vaste gamme des émotions proposées.
Cette expérience nous permet d’assister à une représentation riche de nuances,
avec des accents tantôt juvéniles, tantôt aguerris. Il y a un côté cabaret chez
la chanteuse, une élégance toute féminine qui ne se laisse jamais corrompre par
la morosité ambiante. Ce sens de la fête tissé de pure générosité, permet de
colorer avec tendresse les standards revisités, comme s’il s’agissait en
l’espèce de promouvoir une certaine idée du bonheur et de la vie. Avec une
telle vision du monde et de la musique, tout ce dont le combo s’empare
s’imprègne presque magiquement de swing, et nous rappelle que le jazz est aussi
et d’abord une musique de danse (les nombreux danseurs présents dans la salle
peuvent en témoigner). La communication avec le public, exemplaire, sert un
sens du plaisir et de la bonne humeur qui insuffle classe et élégance aux
parties instrumentales comme aux parties chantées, tandis que l’adaptation de
standards de la chanson française, dont les arrangements sont réalisés avec un
goût très sûr, permet à la chanteuse de s’approprier des classiques comme «C’est Mon Homme», «La Javanaise » et « Je ne
veux pas travailler». L’ambiance très jam session dans laquelle se déroulent
les trois sets autorise également des emprunts judicieux au répertoire
anglo-saxon, avec notamment de belles interprétations de «You Make Me Feel», «The
Lady Is a Tramp» et le morceau de bravoure qu’est «Route 66» pour les
Frenchy’s. Une bien belle soirée en forme de célébration d’un art de vivre et
d’être ensemble qui fait chaud au cœur et à l’âme. JPA
Paddy Sherlock, le fantasque tromboniste vocal a investi la
belle scène du Jazz Club Etoile, le 3 juin, pour une soirée complètement
débridée, comme il a l'habitude d'en proposer à son public. A ses cotés, les
fidèles Philippe Radin (dm) et Jean-Philippe Naeder (perc), accompagnés de
Philippe Dourneau (ts), Billy Collins (g), Stan Noubard Pacha (g) et Laurent
Griffon (b). Ce soir, il n’y aura que des compositions inédites, dont quelques-unes
n'ont encore jamais été jouées en public, et qui feront partie intégrante du
nouvel album à venir, comme «Babe our Love Is Here», «Going Down Dancing», «You're
too Good», «Take Me» ou encore «Girl From U.H.». Le club est complet et le
public, tout au long des trois sets, reste subjugué par la présence sur scène
(et parfois dans la salle) de Paddy qui se joue des difficultés techniques pour
trouver tour à tour des inflexions jazz, rock’n’roll et rhythm’n’blues au
hasard de ses pérégrinations musicales. Le plaisir de ses fans, toujours
nombreux ce soir, est contagieux et le temps passe à une vitesse prodigieuse
pour nous amener au terme d'un concert endiablé et mémorable. PM
Après huit années de silence, le Vintage
Orchestra revient revenait, le 8
juin, sur la scène du Studio de
l’Ermitage pour présenter son nouvel album, Smack Dab in the Middle (voir notre chronique), toujours sous
l’influence du compositeur Thad Jones. Sous la direction de Dominique Mandin
(ts), le big band retrouve les musiciens à l'origine de son identité sonore, et
qui sont tous devenus depuis des solistes ayant développé leur propre carrière. Aux saxophones, on retrouve
Olivier Zanot, Thomas Savy, David Sauzay et Jean-François Devèze; aux
trompettes: Erick Poirier, Lorenz Rainer, Fabien Mary et Julien Ecrepont; aux
trombones: Michaël Ballue, Bastien Ballaz, Jerry Edwards, et Martin Berlugue.
La rythmique étant assurée par Florent Gac (p), Yoni Zelnik (b) et Andrea Michelutti (dm). Après deux titres
instrumentaux, «The Farewell» et «61'st and Rich It», qui nous offrent les
premiers chorus à l'unisson proposés par le groupe des soufflants, Walter
Ricci, jeune chanteur napolitain, aperçu dernièrement aux cotés de Stefano Di
Battista et Mickaël Bublè, rejoint le big band pour «The Second Race».
Suivront des morceaux comme «Get Out of
My Life», «It Don't Mean a Thing» et «Hallelujah I Love Her so» qui clôtureront
ce premier set. La deuxième partie s’ouvre avec l’instrumental «Quiet Lady»
et «Fingers» à l'issue duquel Denise
King arrive sur scène, très applaudie, pour chanter magnifiquement «A That's Freedom».
Après «Yes Sir That's My Babe» et «I Left My Heart in San Francisco» nos
chanteurs reviennent pour un duo sur «Bye bye Blackbird» qui enflamme
littéralement le public. Un dernier instrumental «Making Woopee» et c’est la
fin d'une soirée où l’on a retrouvé avec plaisir un répertoire et un très bon
orchestre. PM
Le 13 juin, Pierre Christophe (p) présentait au
public du Duc des Lombards son tout
nouvel opus: Live! Tribute to
Erroll Garner (voir notre chronique), enregistré en compagnie du complice
de toujours, Raphaël Dever (b), ainsi que de Stan Laferrière (dm, qui a
délaissé son piano pour l’occasion) et Laurent Bataille (cga). A l’image du
disque, Pierre Christophe, pianiste à la fois talentueux et inspiré par la
tradition, a rendu au maître un hommage de la meilleure facture, y ajoutant une
dimension didactique en prenant le soin d’introduire chaque morceau. Les titres
présentés étaient soit des compositions d’Erroll Garner («Dreamy», ballade
enchanteresse aux accents tchaïkovskiensou «My Lonely Heart», un original
très peu joué et enregistré une seule fois en 1956) soit des standards (un «Tea
for Two» aux arrangements étonnants, donnant l’occasion à Laurent Bataille de
s’exprimer longuement, un«When Your Lover Has Gone» pris à contre-emploi
sur un ton joyeux, ou encore «Humoresque» de Dvorak, brillamment jazzifié). En
un set, Pierre Christophe et ses musiciens ont ainsi redonné vie à l’univers
élégant et singulier d’Erroll Garner, tout en exposant leurs qualités
personnelles. Tout simplement magnifique. JP
Le 14 juin, Lorenzo Di Maio (g) présentait au Duc des Lombards son dernier album, Black Rainbow (Igloo Records), premier
projet en tant que leader et pour lequel il a composé tous les titres, bien
entouré, par Jean Paul Estiévart (tp), Cédric Raymond (b), Antoine Pierre (dm)
et Léo Montana (p) qui remplaçait ce soir Nicola Andrioli. Ce concert unique en
France a ainsi donné l’occasion au public parisien de découvrir cette jeune
garde du jazz de Belgique. «Détachement» ouvre le set, suivi d’une ballade, «Black
Rainbow», où Cédric Raymond procure un soutien de fond, tandis que sur «Lonesome
Traveler» Léo Montana livre un remarquable solo. Passant du groove au blues,
Lorenzo Di Maio nous entraîne, avec parfois une touche de mélancolie, jusqu’au
final avec « Black Dog ». PM
Dans son interview parue à l’hiver 2015-2016 ( Jazz Hot n°674), Esaie Cid
nous avait fait part de ses projets: le quintet de François Laudet, autour de la musique de Gene Krupa
(dont il a assuré les arrangements) et un premier disque sous son nom, en
quartet. Ces deux projets ont été menés à bien et vous pouvez les retrouver
dans nos chroniques de disques. Le 28
juin, justement, l’altiste barcelonais fêtait la sortie de son CD, Maybe Next Year, au Sunset, entouré de sa fine équipe: Gilles Réa (g), Samuel Hubert
(b) et Mourad Benhammou (dm). Les trois sets ont permis de revenir sur ce bel
hommage à Art Pepper, paru chez Swing Alley, l’un des labels du compatriote
catalan Jordi Pujol. La plupart des titres présents sur l’album on en effet été
joués, dans un esprit similaire à celui de l’enregistrement, dont «Music
Forever» qui a donné l’occasion à Mourad Benhammou de nous livrer un bon solo,
ou «Nothing Ever Changes My Love for You» sur lequel le batteur a troqué ses
baguettes pour des pinceaux, étalant de jolies couleurs. Avec «How Long Has This Been Going On»,
magnifique ballade, Esaie Cid s’est exprimé avec toute la poésie et le
raffinement qui le caractérisent, introduisant les titres avec un humour
quelque peu surréaliste (sans doute l’influence de Buñuel…). Mais le leader
sait passer d’une atmosphère douce à un swing mordant, comme sur «Pea Eye»,
blues réjouissant qui a ouvert le deuxième set. Toujours dans une veine très
animée, l’orchestre a donné «Mambo de la Pinta», tandis qu’il revenait ensuite
à un registre intimiste, avec le très beau morceau éponyme du disque, «Maybe
Next Year», et un sublime «Lush Life» pris à la manière de Clifford Jordan, sur
lesquels on a également apprécié la finesse de Gilles Réa et de Samuel Hubert.
La soirée s’est conclue par bref troisième set, ouvert aux amis musiciens
présents dans la salle: Jean-Philippe Bordier (g) ainsi que Hugo Lippi (g),
lequel a partagé un blues avec Sophie Druais (b) et Corinne Sahraoui (voc). Un
concert sans faute de goût qu’on pourrait résumer par cette maxime d’Honoré de
Balzac (écrivain cher à notre ami saxophoniste): «Le beau, c’est le vrai bien habillé». JP
Textes: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage Photos: Patrick Martineau et Jérôme Partage © Jazz Hot n°680, été 2017
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Musiques en stock La Seyne-sur-Mer (83), 20 juin - 1er juillet 2017
La
Seyne-sur-Mer consacrait une exposition, intitulée «Musiques en stock», à Jean-Philippe Pichon –photographe à l’agence
Dalle et ancien de Jazz Hot– répartie dans les trois médiathèques de la ville:
Paul Caminade, Andrée Chédid et Le Clos Saint-Louis dans laquelle avait lieu le
vernissage en musique avec le pianiste Gilles Gravière, le 20 juin. Après une
brève présentation de la part du directeur de la médiathèque, Thierry Kriegel, l'artiste s'est prêté volontiers aux questions du public, répondant avec force détails.
Jean-Philippe
Pichon a photographié des musiciens de jazz, de blues, et d’autres musiques,
ainsi que des stars du showbiz et bien des sujets encore, provenant d’univers divers à
travers le monde. Il en a rapporté une moisson essentiellement en noir et blanc
et en argentique. Les trois médiathèques lui ont offert leurs murs de sorte
qu’on peut admirer un large éventail de son travail, essentiellement jazz. Pour les
«photos jazz» on reconnaît tout de suite la patte Pichon par des
fonds d’un noir intense, profond, d’où jaillit la lumière d’un visage, de
mains, d’un instrument. Pas de détails annexes, pas de fioritures, rien que les
notes essentielles, comme disait Miles. C’est à chaque image l’expression d’un
visage, l’incongruité d’une situation, la pose du corps, le brillant d’un
instrument, le détail parlant, qui capte le regard. L’artiste est révélé dans
un moment sublimé, une effraction de quelques centièmes de seconde, et pourtant
il est là, figé et vivant à la fois, crevant l’écran de la photographie.
Texte et photo: Serge Baudot © Jazz Hot n°680, été 2017
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Jazz au Fort Napoléon La Seyne-sur-Mer (83), 10 juin 2017
En cette douce soirée du 10 juin,
l’association Art Bop donnait son concert de fin de saison «Jazz
sous les étoiles» avec un duo de luxe: Alain Jean-Marie (p) et
Sylvain Beuf (ts). Art Bop, menée de main de maître mais avec
souplesse et bonhommie, par Michel Legat et sa femme, est une
association qui œuvre pour le jazz depuis pas loin de trois
décennies. Il leur faut un sacré courage et une belle abnégation
pour continuer à produire des concerts pointus dans la situation
locale actuelle (on sait que, faute d’aide, l’inoubliable
festival de Robert Bonaccorsi a dû s’arrêter après plus de 30
ans de soirées extraordinaires où l’on a vu défiler des
musiciens de la légende du jazz, et surtout ceux qu’on voyait
rarement ailleurs, tels Georges Cables, Harold Mabern, Cyrus
Chestnut, Cedar Walton, et tant d’autres). Ce couple fou de jazz
réussissait à produire trois concerts par mois, de septembre à
juin, permettant aux jazzmen français, principalement ceux du Grand
Sud, de s’exprimer devant un public d’amateurs. Maintenant ils
arrivent encore, malgré d’immenses difficultés, à organiser un
concert par mois, et ce grâce à un carnet d’adresses d’amis,
une petite subvention de la ville de la Seyne-sur-Mer, et quelques
modestes et méritant donateurs. Néanmoins l’aventure continue et le
jazz existe toujours au Fort Napoléon. Sans oublier l’association
des Workshops de Gérard Maurin qui investit également ce lieu
mythique tout au long de l’année. Alors quelle émotion de se
retrouver sur les gradins de la cour du Fort, à l’acoustique
exemplaire, face à la grande scène, avec les étoiles au dessus de
la tête. Tant de magnifiques souvenirs...
Alain Jean-Marie et Sylvain Beuf, les
officiants de cette soirée, n’ont pas choisi la facilité, car
jouer Monk en duo tient un peu de la gageure. Partie gagnée haut la
main. Alain Jean-Marie s’empare de Monk et le fait sien. Le danger
était de tomber dans le plagiat ou l’imitation. Écueils évités.
Le pianiste livre son Monk, enrichissant encore la palette harmonique
monkienne, jouant le plus souvent en accords, ou en discours, des
deux mains, dans un jeu orchestral qui laisse entendre une rythmique
complète, un orchestre, derrière ou plutôt avec le sax; Alain-Jean
Marie est également d’une inspiration mélodique captivante dans
les solos. On sait que les parties de sax de Monk sont extrêmement
complexes, Steve Lacy en parlait, avec démonstration sur son
soprano. Sylvain Beuf s’en tire à merveille, aussi bien au soprano
qu’au ténor. Rien ne l’arrête, il rentre dedans, mort dans la
musique, ça sort et ça swingue, il ira même jusqu’à scatter au
rappel sur «Reflections» tant il est pris par son défoulement en
une sorte de transe monkienne. Et ce foisonnement duettiste respecte
l’esprit monkien, sa rigueur, sa clarté, sa profondeur, et bien
sûr son swing. On a entendu des thèmes célèbres comme par exemple
«Light Blue», «Bye-Ya», «Reflections», «Ba-Lu Bolivar»,
«Eronel», «Played Twice», «Misterioso», «Trinkle Tinkle»,
«Pannonica», et quelques autres moins connus. On ne saurait en
détacher aucun. Quel que soit le thème, le duo fréquentait
toujours les sommets, avec encore plus d’impétuosité dans le
deuxième set. C’était leur troisième concert, c’est dire que
le duo a trouvé sa vitesse de croisière. Tous ces musiciens qui
tournent autour d’Art Bop partage une amitié, ou du moins une
camaraderie, qui les fait se serrer les coudes, comme on dit. C’est
ainsi que Sylvain Beuf remercia le trompettiste José Caparros de
leur avoir ouvert les portes du Fort Napoléon, ce lieu unique si
cher au cœur des amateurs de jazz.
Texte et photos: Serge Baudot © Jazz Hot n°680, été 2017
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A Great Day in Paris Cinéma Le St André des Arts (Paris 6e), 17 mai 2017
Le
17 mai, Michka Saäl nous conviait à la première du film A
Great Day in Paris
au cinéma Le St André des Arts à Paris. Cet événement s’inscrit
dans le cadre des découvertes de St André, sélection authentique
s’il en est, tant A
Great Day in Paris
est surtout une histoire d’amitié. Tout à commencé en 2008, pour
les 50 ans de la fameuse photo «A
Great Day in Harlem» d’Art Kane, donnant à Ricky Ford l’idée
de reproduire l’évènement à Paris avec des musiciens de Jazz qui
vivent en France. Après presque un an de gestation, une photo a
enfin été prise à Montmartre, scène immortalisée par le
photographe Philip Lévy-Stab. La
cinéaste d’origine tunisienne Michka Saäl, formée en histoire de
l’art et en sociologie à Paris et en Cinéma à Montréal,
passionnée par les liens qui unissent les êtres, a ainsi décidé
de réaliser un court-métrage sur l’exil des musiciens de jazz. Ce
documentaire, sur la réunion de plus de soixante-dix jazzwomen et
jazzmen vivant en France, est entrecoupé d'entretiens avec des
musiciens comme John
Betsch, Sangoma Everett, Bobby Few, Ricky Ford, Kirk Lightsey, Steve
Potts, et quelques autres, réalisés le plus souvent à domicile,
favorisant ainsi les anecdotes et l’humour. A cela s'ajoute des
prises de vues de Montmartre, lieu de retrouvailles pour cette petite
communauté d'artistes; la dernière séquence étant, bien sûr, le
moment de la prise de vue sur les marches.
Ce
17 mai, au
cinéma St André des Arts, Sangoma
Everett, Bobby Few, et Ricky Ford avaient fait le déplacement, ainsi
que Curtis
Young, historien du jazz,
et quelques amis et fidèles tels que Trevor,
Alfie. Le public, très réactif, a ponctué la projection de ses
exclamations et de ses rires.
Michka
Saäl, visiblement très émue, a pris la parole à la fin de la
projection pour rappeler la genèse et les étapes de construction du
film, après quoi elle fut très applaudie. Bobby et à Ricky sont
intervenus pour témoigner à leur tour et ont tenu à remercier
Michka pour sa persévérance.
Pour
ma part, je suis intervenu au nom de Jazz Hot pour rappeler qu’en
2016, pour célébrer «l’International Jazz Day», la chanteuse
Denise King et le danseur chorégraphe Brian Scott Bagley avaient
aussi organisé une photo sur l’esplanade du Trocadéro (voir Jazz
Hot
n°675).
Texte et photo: Patrick Martineau © Jazz Hot n°680, été 2017
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Paris en clubs Mai 2017
En
cette soirée du 3 mai, marquée par
la tenue du traditionnel débat télévisé de l’entre-deux tours de l’élection
présidentielle, Christophe Wallemme (b,
elb) et son sextet investissent la scène du Studio de L’Ermitage pour nous présenter l’album intitulé Ôm Project, un enregistrement longuement
muri, avec l’ambition manifeste de proposer une mosaïque de sons et
d’influences, pour la plupart nés dans les années 70, sans qu’il s’agisse
toutefois d’une fusion, stricto sensu, entre rock et jazz comme celle proposée
par les groupes de l’époque. Cofondateur du trio Prysm en 1994, avec Benjamin
Henocq (dm) et Pierre de Bethmann (p), un combo connu pour composer autour de
mesures asymétriques, Christophe Wallemme est épaulé ce soir par Manu Codjia
(g), Diederik Wissels (p, kb), Adriano Tenorio (perc), Pierre-Alain Tocanier
(dm), Émile Parisien (ts, ss), et Leila Martial (voc). Il préfère dire que la
musique de ce projet est du rock jazz plutôt que du jazz rock, mais le concert
en lui-même témoigne de ce que cette musique vaut mieux que n’importe quelle
tentative de catégorisation. Ainsi, l’aspect métissé des sons proposés traduit
une fascination certaine pour les voyages, avec des harmonies empruntées à la
musique indienne et orientale. «Back to My Om» et «Rock My
Home», dont le bassiste nous dira avec humour qu’ils contiennent des
assonances fortuites, possèdent une identité sonore dont les bases furent
posées par In a Silent Way et Bitches Brew, les deux albums
de Miles Davis. Du jazz électrique, donc, mais avec des tonalités
intimistes et des silences bien peu usités à la grande époque du jazz fusion,
plus encline aux exploits instrumentaux et aux prestations étourdissantes.
Christophe Wallemme utilise d’ailleurs une basse fretless propice aux
glissandos et à un jeu expressif, en slide comme en slap. À l’avenant, les
percussions d’Adriano Tenorio sont tantôt jouées à mains nues, tantôt avec des
baguettes, et ce parti pris expressif et sensuel est particulièrement émouvant
sur «Kaya», où les musiciens font montre d’un sens du collectif
conforme à la vision du leader. «Ma Kali» met en évidence l’aspect
spirituel de l’œuvre, en même temps qu’il révèle la dévotion inspirée par la
déesse hindoue de la préservation, de la transformation et de la destruction.
Sur ce morceau, les mauvais génies censément dissipés par l’évocation de Kali
s’incarnent essentiellement en la personne de Manu Codjia, qui prend un solo de
guitare électrique mémorable durant plusieurs minutes, portant l’attention du
public à son plus haut degré d’intensité pendant ce qui s’apparente à un
hommage plus ou moins inconscient à Allan Holdsworth, quoi que les figures en
sweeping évoquent plutôt le style pyrotechnique de Frank Gambale, le guitariste
du Chick Corea Elektric Band. «Le Temps Présent» comporte de
multiples nuances réverbérées, sorte de voyage ouaté au pays des couleurs, avec
des volutes en spirale qui se dissipent dans l’atmosphère à la façon de
fumerolles polychromes (une véritable machine fumigène est à l’œuvre sur
scène). «Un Rêve de Cochin» comprend une longue introduction à la
basse électrique, avec effet phasing et boucles électroniques. Sur ce titre
inspiré d’un voyage éclair de quelques jours en Inde, on est plus proche de ce
que proposait Jaco Pastorius sur «Continuum», tandis que
«Charly» introduit des atmosphères plus percussives, tel que
popularisées, entre autres, par Stanley Clarke. Christophe Wallemme remerciera
chaleureusement le public d’avoir partagé ce moment avec le groupe alors que,
dit-il, «il y avait tant de choses intéressantes à voir à la télé ce
soir», et le set se termine dans une atmosphère de communion entre les
musiciens et le public sans doute assez proche de ce que l’artiste avait en
tête en enregistrant son album. JPA
Le
5 mai
au Duc des Lombards,
c’est en quartet qu’on retrouvait Tom
Harrell. Le trompettiste, en
très grande forme, était accompagné
de Danny Grissett (p),
Ugonna Okegwo (b)
et Adam Cruz (dm). Et c’est avec ce
groupe très soudé, ces musiciens ultra solides, avec qui il joue
ensemble depuis dix ans, qu’il a donné un set plein d’énergie
où tout est supérieur. Tom Harrell ne cesse de composer, on le
sait, et d’étoffer un répertoire de compositions originales et
une discographie déjà très riches. Ce soir-là, il a puisé dans
ses trois de ses derniers albums. Le set se composait de quatre
thèmes du leader («Sunday», «Delta on the Nile», «Otra») et de
deux standards («There Will Never Be Another You», «The Song Is
You»). Si, en raison de sa subtilité et de sa complexité, la
musique de Tom Harrell contraint parfois les musiciens à se pencher
sur leurs partitions, ce soir-là, cette musique déborde de swing.
Les mélodies sont superbes. Tout est original. Vers la fin de la
soirée, le trompettiste nous interprète «Vibrer» (qui paraîtra
sur Moving Picture, son prochain album dont la sortie est prévue en
septembre) en duo avec Danny Grissett, au jeu aussi élégant
qu’original. Un de plus beaux moments de cette soirée,
exceptionnelle. MP Quand le batteur
Joris Dudli vient jouer à Paris, c’est toujours en bonne
compagnie. On se souvient de concerts inoubliables avec Sonny
Fortune, en quintet, ou avec Vincent Herring, Eric Alexander et
Harold Mabern, en quintet, ou encore avec Curtis Fuller. C’était
en février 2013. Le tromboniste historique était alors accompagné
de Josh
Bruneau (tp), Ralph Reichert (ts), Rob Bargad (p), Milan Nikolic (b)
et Joris Dudli. Voir Curtis Fuller à Paris après des années
d’absence était poignant. Quatre ans plus tard, c’est au Duc
des Lombards
que le batteur célébrait le 19
mai
le 60e
anniversaire de l’album Blue
Train
de John Coltrane avec son Blue
Train
Sextet,
cette fois sans Curtis Fuller, ralenti, à 82 ans, par des problèmes
de santé. Du coup, c’est l’excellent Steve Davis (tb) qui le remplace. Le musicien new-yorkais, très rare à Paris, jouait en compagnie de Milan Nikolic (b), Ralph Reichert (ts), Oliver Kent (p), Jim Rotondi (tp) et Joris Dudli. Ce sextet incarne cet état d’esprit
du hard bop, ancré dans la tradition. Loin de toute nostalgie, il en
est la descendance directe. Les six musiciens, au jeu personnel et au
swing du tonnerre, attaquent avec «Easy» et
«Spirit Waltz», deux compositions de Davis. Bien sûr, tout cela
est brillant et inspiré, les musiciens sont soudés. C’est le
dernier soir de dix jours de tournée à travers l’Europe. Ils
jouent au maximum. Mais plus encore, la complicité de Davis, Rotondi
et Dudli remonte au début des années 1990 lorsqu’ils se
retrouvaient pour jouer au Augie’s, devenu depuis le Smoke, à
Harlem (lire l’interview de Joris Dudli dans Jazz
Hot
n°670: c’est là qu’est né One For All, le sextet cofondé par
Steve Davis, Jim Rotondi, Eric Alexander, John Webber, David
Hazeltine et Joe Farnsworth). Et Dudli, Reichert, Nikolic
tournent ensemble depuis des années. Cette
complicité-là, cette confiance-là s’entend. La
soirée se poursuit avec «Déjà vu» du pianiste autrichien Oliver
Kent, dont c’est le premier passage à Paris. Lui aussi a fait un
détour par New York au début des années 1990, après avoir fait
ses armes avec Art Farmer et Idris Muhammad à Vienne avant de s’y
installer à nouveau en 1995. Tout au long de la soirée, Reichert et
Nikolic donnent tout. Rotondi alterne entre bugle et trompette, et
c’est dans un solo magnifique, sensible, bouleversant, qu’il
revisite «My Romance», rejoint par Kent. Le
sextet reprend avec «Ruth», une composition du trompettiste dédié
à sa mère, et conclut la soirée avec «Blue
Train, dont l’arrangement très enlevé est signé Joris Dudli,
tout comme cette tournée. On attend son retour avec
impatience! MP
Le 23 mai, Fred Hersch (p), John Herbert (b), Eric Mc
Pherson (dm), investissaient la scène du Sunside pour promouvoir leur
album live Sunday Night at the Vanguard.
Le trio n’en est pas à son coup d’essai puisqu’ils avaient déjà
enregistré en ce même lieu mythique le fameux Alive at the Village Vanguard qui, en 2012, marquait la résurrection de l’artiste au sortir d’un coma lié à sa
séropositivité. Un malaise de John
Herbert au début du concert, sans qu’on sache vraiment s’il était dû au trac ou
non, aurait pu mal augurer d’une prestation empreinte tout d’abord d’une
tension très perceptible. Mais le talent des musiciens, l’habitude des joutes
musicales de haut niveau dans un partenariat qui pousse au dépassement
personnel plutôt qu’à la démonstration technique, fait rapidement des échanges
proposés au public attentif un spectacle de haut vol. Fred Hersch, déjà connu
pour un répertoire extrêmement vaste, approfondit encore sa recherche d’absolu
musical, puisant son inspiration aussi bien dans le répertoire de la musique
brésilienne (Antonio Carlos Jobim) que dans la pop (Joni Mitchell, Beatles) ou
le jazz traditionnel (Thelonious Monk, Benny Golson). Le résultat est bouleversant, à la fois
exercice d’érudition virtuose (l’artiste change ses arrangements et ses
résolutions d’accords d’une performance à l’autre) et partage d’émotions hors
pair, basé sur un parti pris d’universalité unique en son genre. «Serpentine», tiré de l’album
live permet de goûter le jeu de batterie tout en finesse de Eric Mc Pherson,
dont la maitrise aux balais est à nulle autre semblable, alliant délicatesse et
puissance au service d’une intensité dont le trio ne se départit jamais. Les
structures circulaires jouées par le groupe ondulent dans l’espace comme autant
de motifs libertaires. Fred Hersch ajoute çà et là des tensions internes à la
trame des mélodies en introduisant des chromatismes et des silences inattendus
au sein de ses phrases, laissant l’auditeur mentaliser seul la mélodie, comme
si elle se déployait alors dans un espace non limité par nos capacités de
représentation. «Let’s Cool One» de Monk est assurément, de ce
point de vue, le moment marquant du premier set, proposant subtilités
rythmiques abouties et mini-breaks qui désossent le thème, révélant des
richesses sous-jacentes qui donnent envie d’aller réécouter l’original dès la
sortie du concert. Puis le pianiste nous informe que le second set sera
constitué d’une performance en solo, l’indisposition de John Herbert s’étant
malheureusement confirmée entretemps. Chacun retient son souffle alors, tant
l’exercice est certes bien connu de Fred Hersch, mais certainement pas prévu au
moment de l’annonce officielle des dates effectuées par le combo dans la
capitale. «Both sides now», de la chanteuse Joni Mitchell (qui
toucha au jazz avec l’album Court and Spark), exprime le goût du
pianiste pour les morceaux chantés (que les jazzmen nomment judicieusement
«songs» qu’il s’agisse d’instrumentaux ou de chansons). «For
No One» des Beatles n’est pas la composition la plus célèbre des Fab
Four, mais prend un sens tout particulier quand on sait que le pianiste ne peut
interpréter des titres dont il n’aime pas les paroles ( Jazz Hot n°679). «After You’re Gone» fait revivre les
fantômes de Bessie Smith et de Louis Armstrong. À cet instant, des masses
d’énergie flottante semblent s’épanouir dans la salle,
donnant un sens plus pur aux notes de musique égrenées, et le public se sent en
osmose avec l’artiste dont la solitude sur scène paraît curieusement renforcée,
au titre d’une prestation d’ensemble qui relève proprement de la poésie. Fred
Hersch nous quitte sur un ultime rappel mariant le piano rag de Scott Joplin à
la délicatesse des arpèges de Bill Evans. Il sort de scène le visage dévasté
par l’effort de concentration fourni, et les notes de piano continuent de
résonner dans nos têtes, à l’instar des mots de Tomas Tranströmer: «Chaque homme est une porte
entrouverte donnant sur une salle commune». JPA
Le
25 mai au Sunset, le groupe Aerophone
composé de Yoann Loustalot (tp, flh),
Blaise Chevallier (b), Fred Pasqua (dm), et Glenn Ferris (tb) venait nous
présenter son nouvel album Atrabile. A
l’origine un trio fondé par Yoann Loustalot et le contrebassiste Blaise
Chevallier, les expérimentations sonores et philosophiques du groupe reposent
initialement sur l’absence de soutien d’un instrument harmonique, privilégiant
un certain dénudement propitiatoire à un retour aux sources de la musique. Déjà
leur troisième disque, paru chez Bruit Chic, Atrabile est aussi une première œuvre en quartet, avec l’adjonction
de Glenn Ferris au trio de base. Le premier titre qui nous est proposé est
«Improvisation», le justement nommé, et qui place d’emblée le set
sous le signe des explorations dont le combo s’est fait une spécialité. Les
schèmes déployés traduisent le goût de la formation pour les structures
ouvertes, avec une appétence non dissimulée pour le principe des poupées
gigognes, tel qu’on peut l’appliquer en musique selon une logique de fractales.
Le flirt avec le free jazz est constant, et le swing est aussi présent sous
forme de tempos très rapides, qui mettent en exergue le talent de Blaise
Chevallier. La trompette virtuose de Yoann Loustalot se taille rapidement la
part du lion, avec le contrepoint presque oulipien offert par le trombone de
Glenn Ferris, complètement intégré au groupe, loin de la mode des guest stars
parfois préjudiciable à la cohésion musicale. Le jeu de batterie de Frédéric
Pasqua est émaillé de nombreuses frappes sur le l’anneau de sa caisse claire,
générant un son métallique et inharmonique dont il orne certains backbeats, proposant de fait une
souplesse, une plasticité assez rares chez un drummer aussi accompli
techniquement. «Moustal» semble un morceau fétiche de la formation,
tant les musiciens y montrent l’étendue de leur sensibilité, mais
«Sornette» constitue véritablement un pic d’inspiration pour le
groupe, composé lors d’une tournée à l’annonce du décès d’Ornette Coleman, et
donnant libre cours au dodécaphonisme en forme de crescendo qui constitue une
sorte de trademark chez Aerophone.
«Ancient Empire», dont le trompettiste nous dit ironiquement qu’elle n’a jamais été jouée en public, introduit des
nuances sombres dans un set par ailleurs traversé par une joie de vivre et de
jouer évidents. Un humour et une légèreté compatibles avec une certaine
profondeur, tel semble le leitmotiv du concert. «Spontaneous Suite»
porte le sceau de l’immédiateté, composé rapidement et interprété en fonction
de l’inspiration du moment. Si la tonalité est ici résolument acoustique, les
territoires défrichés ne sont pas sans évoquer certaines œuvres de fusion
progressive, avec des changements d’accord incroyablement dynamiques. L’art du
contretemps, au niveau rythmique, se conjugue de fait avec le contrepoint
harmonique, lorsque les échanges entre trompette et trombone se font plus
denses et plus intenses. Le caractère protéiforme du groupe lui permet ainsi de
flirter avec la musique contemporaine au hasard de pérégrinations musicales
déterritorialisées. «Atrabile» renoue avec une certaine mélancolie,
plus proche de la saudade brésilienne que du desassossego portugais, tandis que
«Spongious» semble basé sur la gamme tempérée de la musique
sérielle. Finalement, le coup de cœur du public va certainement à
«Pousse-Pousse», confirmant l‘appétence de la formation pour les
breaks fulgurants, et constituant un climax qui emporte l’adhésion pleine et
entière des personnes présentes sur scène comme dans la salle. Une bien belle
performance de la part d’un collectif qui tient toutes ses promesses, sans jamais
céder à la facilité. JPA
l
y a des concerts dont la musique reste avec vous et ne vous quitte
pas pendant trois jours. Vous ne regrettez qu’une chose: qu’elle
n’ait pas été enregistrée ce soir-là pour retenir un peu de son
intensité et de la beauté des mélodies. Le concert de Antonio
Faraò du 26
mai au Sunset
fait partie de ces concerts. Le pianiste italien, que l’on a
entendu en avril avec Benny Golson, jouait en trio avec Thomas
Bramerie (b) et Jean-Pierre Arnaud (dm). Les trois musiciens se
connaissent, très bien même. Durant trois sets, de 45 minutes
chacun, tout est très intense, très collectif, si bien que,
composition originale après composition originale du leader
(«Something», «Seven Steps to Heaven», «Domi», «Positive
Life», «Syrian Children», «Theme for Bond», «Black Inside»),
s’acheminant vers des relectures très contemporaines de «Giant
Steps», «Maiden Voyage», «Round Midnight» et «Oleo», on peine
à croire que ces trois musiciens d’exception n’aient pas joué
ensemble depuis plus de vingt ans, tant ils sont soudés et le
déroulé de la soirée, naturel. Ce plaisir qu’ils ont eu à jouer
ensemble, qui a nourri une atmosphère jazz pétrie de virtuosité
artistique, ils nous l’ont transmis avec générosité, et on s’en
souviendra longtemps. MP
Qu’on se le
dise, Stéphane Roger est gentiment
agité de la cafetière! Le batteur, que l’on peut entendre tous les
dimanche soir au Caveau de La Huchette avec son Megawing, avait, le 29 mai à L’Européen, libéré son délirant alter ego: le chanteur Robeurt Féneck! Devant un public fourni où se retrouvèrent
beaucoup de musiciens et d’amis, Stéphane Roger, à la tête d’une formation de dix pièces, le
Mad in Swing Big Band, a donné un spectacle au ton parodique, faussement maladroit
car, au contraire solidement écrit et musicalement excellent. Le leader, débute
ainsi seul en scène par un long solo de batterie qu’on devine être la très
reconnaissable intro de «Sing Sing Sing». Entrent ensuite la
section de soufflants –François Biensan (tp, responsable des arrangements
acrobatiques des improbables reprises composant la set-list), Pierre Gicquéro
(tb), Pierre-Louis Cas (as, cl), Philippe Chagne (ts, fl)– ainsi que Nicolas
Peslier (g), César Pastre (ep) et Patricia Lebeugle (b). Ce premier morceau
instrumental installe le décor de la soirée: celui d’un vrai big band,
avec une pêche terrible. Stéphane Roger abandonne alors les baguettes à Roger
Ménière (ancien de chez Maxim Saury), renforcé par Jean-Philippe Naeder (perc),
et endosse les habits bariolés de Robeurt Féneck: veste à queue de pie,
bermuda et canne de dandy. Les
reprises fantaisistes s’enchaînent: certaines sont des tubes de variétés
(très bien) jazzifiés («Born to be Alive» pris en mode bossa ou
«Alexandrie, Alexandra» transformé en un très drôle et
swinguant «Les Ayant droits»), d’autres sont des standards
détournés («It’s a Good Day» devenu «Une Belle journée» ou
«Makin' Whoopee» changé en «Makin' Poopee», pour la
touche pipi-caca…). Bref, on s’amuse beaucoup
de cette rencontre du calembour et du jazz –on est dans l’esprit Boris
Vian; de même qu’on se régale des interventions des solistes, tous
magnifiques. Robeurt Fénecka a ainsi embarqué sans difficulté la salle dans
ses joyeuses facéties, dont l’ultime consista à effectuer le rappel habillé en
femme! C’est pourtant très ému que Stéphane Roger quitta un public ravi
et des musiciens heureux, car faire vivre sur scène un tel projet reste, quoi
qu’il en soit, un moment de grâce. JP
Le Dany Doriz Swing Band était programmé
au Caveau de La Huchette le 30 mai. Mais son leader ayant été
retenu, il n’a pu assurer la direction de l’orchestre. Mais il fallait
davantage pour désarçonner les musiciens, rôdés au répertoire et au jeu
collectif, et qui ont assuré le spectacle avec bonne humeur et dynamisme!
Encore une bonne soirée de swing pour les danseurs! Pascal Thouvenin
(ts), grand maître des arrangements était secondé par son collègue ténor, Boris
Blanchet, qui s’est dépensé sans compter. Il est impressionnant à voir!
La rythmique était excellemment assurée par Philippe Petit (org) et Didier
Dorise (dm). Au menu de cette agréable soirée – qui a permis de constater que
l’engouement créé par le fim La La Land
ne se dément pas – étaient inscrits les morceaux suivants:
«Amen», «Slipped Disc», «Moanin’» (que Duffy
Jackson chanta au Caveau il y a quelques années), «Place du Tertre»
de Biréli Lagrène ou encore le fétiche «Hamp’s Boogie». La
Huchette, c’est toujours chouette… GH
Textes: Jean-Pierre Alenda, Georges Herpe, Jérôme Partage, Mathieu Perez Photos: Georges Herpe, Patrick Martineau, Didier Pallagès by courtesy © Jazz Hot n°680, été 2017
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Espace Julien / Le Cri du Port Marseille (13), 10 mai 2017
Le
10 mai, l'Espace Julien proposait deux concerts avec le soutien du
Cri du Port. En première partie, Les
Quatre Vents, tout jeune groupe né en octobre 2016, est composé de
zélés serviteurs du jazz très actifs depuis plusieurs années sur
la scène sudiste et nationale, à savoir Perrine
Mansuy (ep), Christophe Leloil (tp), Pierre Fenichel (b) et Fred
Pasqua (dm). Pour leur troisième
concert en public, le mistral a été gagnant, délaissant le piano
acoustique pour un clavier électrique, le groupe a fait le bon choix
pour cette soirée placée sous le signe des puissances telluriques.
Il fallait assurer en lever de rideau de John Patitucci et dans un
bref set le succès a été immédiat. Si nous n'avions pas doute sur
la qualité individuelle de chacun des musiciens, vu leurs parcours
et leur expérience, la question portait sur la réussite de leur
nouvelle alchimie. Cette réserve fut immédiatement balayée,
envolée dès le premier titre scintillant et claquant qui propulsa
le quartet dans une fusion bouillonnante et salutaire. Une musique
réjouissante qui prouve que le jazz européen peut être festif, de
qualité et sans concession. Les plus anciens pourront établir un
parallèle avec les groupes de Randy Brecker ou avec la première
formule de Return to Forever de Chick Corea, chanteuse en moins. Le
groupe sonne funky par moment et la rythmique magistrale assure un
tempo qui permet les plus belles envolées à chacun des solistes. Un
groupe terriblement équilibré avec quatre mousquetaires portant un
vrai projet commun qui vise un swing électrique. Tel quatre boules
de cuir qui virevoltent sur le ring, le match se déroule en grande
vitesse et le final arrive trop tôt. Les titres sont signés par
Perrine Mansuy («La Baie singes», «La Nuit») qui a déjà produit
plusieurs albums personnels, Christophe Leloil («Must Seen», «Deval
in Time») qui lui aussi dirige son quintet et un final, «Libeccio»,
de Pierre Fenichel. Titre symbolique pour clore cette première
partie qui mariait un esprit de chaleur, de force, de liberté qui
souffle sur la côte méditerranéenne. Si tous les titres et les
solos furent très applaudis, le batteur Fred Pasqua reçu une
véritable ovation pour un final hyper vitaminé. Il faut espérer
qu’au-delà des scènes de jazz qui seront sans aucun doute
sensibles à ce groupe détonnant les scènes dites de musiques
actuelles comprennent que ces musiciens peuvent déclencher l’émeute
dans les rangs de leur public.
Quand
John Patitucci (eb) ne tourne pas avec Wayne Shorter ou l’Elektric
Band de Chick Corea, il a le loisir de tourner avec ses propres
projets, dont l’excellent Electric Guitar Quartet, avec un dernier
album, Brooklyn,
paru fin 2015. Seulement deux dates en France pour cet European
Tour (la
seconde à Nice) qui présentait les titres de Brooklyn
en hommage à son quartier natal. Si John Patitucci a souvent joué à
Marseille avec Wayne Shorter, lors de différentes éditions du
Festival Marseille Jazz des Cinq Continents, il fallait remonter en
1994 pour son premier et unique concert en leader dans cette ville et
c’était justement à l’Espace Julien, concert organisé par le
Cri du Port. C’est avec une certaine émotion et humour (vu sa
photo et sa coupe de cheveu de l’époque) qu’il redécouvrait
dans sa loge le programme datant de cette époque de jeunesse. Steve
Cardenas (g) s’était produit aussi dans cette salle en 2015 au
sein du groupe de Steve Swallow, et pour conclure les retrouvailles,
Adam Rogers (g), pas vraiment reconnu en France avait aussi joué
pour le Cri du Port avec Scott Colley et en leader. Cet historique
fait, on ne peut oublier leur quatrième compère, le batteur
exceptionnel, Nate Smith (dm) qui remplace Brian Blade présent sur
Brooklyn. Après
un bref changement de plateau, le rideau rouge s’ouvre et le
tonnerre annonce la tempête. Le groupe va livrer durant 75 minutes
une musique de fête, jouissance entre la fusion et le blues intense
où les deux guitaristes dans un équilibre de funambule nous
ravissent. John Patitucci est certes le leader mais il n’assène
pas de longs solos démonstratifs de sa technique; le groupe joue sa
musique et tous sont à son service. Il présente avec humour deux
titres successifs de Thelonious Monk, «Four in One» et «Trinkle
Tinkle», compositeur peu joué par les guitaristes, à part
l’Electric Be Bop Band de feu Paul Motian. Il enchaîne avec «Band
of Brothers», assez symbolique de cette réunion, suivi d’un blues
d’enfer dédié à B.B. King qu’il a accompagné dans sa
jeunesse, puis il propose une ballade en hommage à son épouse,
«Valentina». Le répertoire met en valeur à tour de rôle chaque
soliste qui développe son univers, sa sonorité, pour un
résultat collectif de haut niveau. Même si certains thèmes
nécessitent un œil sur la partition, car ils sont joués sur scène
pour la seconde fois, on a face à nous un groupe authentique.
A saluer, la performance de Nate Smith qui joue d’habitude avec
Chris Potter ou Randy Brecker aussi puissant que délicat sur le
final joué aux balais.
Texte: Philippe Berre Photos: Francis Raissac by courtesy of Le Cri du Port © Jazz Hot n°680, été 2017
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Jazz Portraits Aux Petits Joueurs (Paris 19e), du 1er au 30 avril 2017
Durant tout le mois d'avril, «notre»
Patrick Martineau exposait, dans le bistrot Aux Petits Joueurs, ses
photos dont beaucoup sont connues des lecteurs de Jazz Hot.
Des portraits de musiciens noir et blanc, comme Patrick les
affectionne, et qu'on pouvait ainsi admirer au-delà de l'écran dans
un endroit qui s'y prêtait parfaitement, soit le sympathique club de
la rue de Mouzaïa où le patron, Olivier David, leur avait réservé
un accueil des plus amicaux. Tout ceci s'effectuant bien
naturellement sous le patronage de Jazz Hot.
Le 5 avril, le vernissage s'est tenu à
l'occasion d'un de ces mercredis où la scène des Petits Joueurs est
tenue par Daniel John Martin (vln, voc). Beaucoup d'amis et de
professionnels se sont ainsi retrouvés autour de l'artiste (et de
quelques verres): les photographes Anna Solé, Bruno Charavet,
Bernard Bérenguer, la monteuse de cinéma Nancy Wahl et, pour le
monde du jazz, Manu Le Prince, Marie-Laure Célisse et Mv Guilmont,
des musiciens César Pastre, Alexandre Arnaud, Arsène Charry,
Frédéric Poujouly, Karo Gorille, Pascal Vautrot et Sylvie Lefebvre
du Corbeil-Essonnes Jazz Festival.
L’exposition a permis aux visiteurs
d’admirer de magnifiques clichés pris sur le mode ombres et
lumières caractéristique du photographe, avec notamment des images
de Denis King, Cécile McLorin Salvant, Ricky Ford, China Moses,
Mighty Mo Rodgers ou Rhoda Scott. Nourrie de ses riches expériences
personnelles, cette promenade musicale dans tous les lieux où le
jazz se donne en spectacle révèle moments d’inspiration,
d’abandon, et/ou de concentration des musiciens, avec une
importance égale apportée à la forme et au contenu. En un lieu où
le jazz de Django est régulièrement à l’honneur, et qui
accueille aussi bien le blues et les musiques du monde, l’intérêt
pour les autres, le goût des rencontres, l’instant privilégié de
la convivialité qui réunissent les amateurs révèlent toute la
beauté des portraits exposés, ajoutant un supplément d’âme à
des prises de vue qui magnifient le travail des artistes et l’énergie
qu’ils transmettent au public. Un moment de partage comme ceux que
prise Patrick Martineau.
Texte: Jean-Pierre Alenda Photos: Patrick Martineau et Nancy Wahl © Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Paris en clubs Avril 2017
Le
5
avril,
dans un Duc
des Lombards
bondé, Benny
Golson
(ts), était accompagné des excellents Antonio Faraò
(p), Gilles Naturel (b) et Doug Sides (dm). Le jeune homme de 88 ans
cultive un rôle de passeur, racontant la musique autant qu’il la
joue, avec la fragilité, l’intensité et le swing permanent d’un
maestro. Ainsi, entre deux thèmes, il retrace l’histoire du jazz
telle qu’il l’a vécue à Philadelphie, à la fin des années
40, en côtoyant John Coltrane, les frères Heath, le pianiste Red
Garland ou le batteur Philly Joe Jones. Chaque morceau proposé est
l'occasion d'une longue évocation comme sur sa composition en
hommage à Clifford Brown «I Remember Clifford» avec qui il
partagea la scène au début des années 50. Au-delà du superbe
ténor au large vibrato avec un phrasé toujours aussi sinueux, moins
modal que dans les années 80, on retiendra le compositeur prolifique
avec son bluesy «Blues March», «Whisper not», ou une belle
version de «Killer Joe» au swing irrésistible. Antonio Faraò
se veut un excellent sideman au service du leader en délaissant
l'ombre de Bill Evans pour un jeu plus dynamique et post bop. La
rythmique impeccable amenée par Gilles Naturel, à la belle sonorité
boisée et ronde, tandis que les baguettes du puissant Doug Sides
assurent un tremplin idéal au soliste sous les yeux du pianiste de
Detroit Kirk Lightsey venu saluer son vieil ami Benny Golson qu'il
accompagna à de nombreuses reprises. DB
& MP
Le 11
avril, toujours au Duc
des Lombards, c'est une ancienne
gloire du style west coast qui s'illustrait à l'aube de son 81e
printemps: Don Menza.
Bien que New-yorkais, ce spécialiste des pupitres s'est illustré
avec son ténor chez Maynard Ferguson, Buddy Rich, Louis Bellson,
Woody Herman et Stan Kenton après un intermède européen en
Allemagne. Son travail tant pour la télévision et les studios est
considérable mais c'est sa participation au projet de Supersax qui
donnera à sa carrière un nouvel élan au-delà des petites
formations auquel il a participé auprès de Frank Rosolino (tb),
Conte Candoli (tp) ou Shelly Manne (dm). Pour son rendez-vous
parisien, il s'était entouré d'un excellent trio franco-autrichien
amené par le Bordelais Vincent Bourgeyx (p), Fabien Marcos (b) et
Bernd Reiter (dm). Dès le premier thème «I Remember You» on reste
subjugué par le jeu droit et direct de Don Menza avec un énorme
vibrato dans la lignée d'un Zoot Sims avec de longues phrases
sinueuses. Une belle version de «My One and Only Love» permet au
leader d'évoquer son travail avec d'illustres chanteurs tels que
Sarah Vaughan, Carmen McRae ou Tony Bennett avant d'annoncer la venue
de son invité la chanteuse suisse Nicole Herzog. Avec sa voix
fluette au charme désuet évoquant parfois Billie Holliday, elle
revisite avec brio «Mood indigo». On retiendra également le final
calypso sur un thème de film où Don Menza évoqua Sonny Rollins
dans son approche de l'instrument comme un clin d'œil à son
héritage stylistique. DB
Le 13 avril
2017, le Jazz
Club Etoile accueille the Amazing
Keystone Septet, issu du
Keystone Big Band, qui a revisité
avec succès des classiques tels que Pierre
et le Loup de Serguei Prokofiev,
et Le Carnaval des Animaux, de
Camille Saint-Saëns. Tout commence par une interprétation énergique
de «Jet Song», tiré de West Side Story. Cette œuvre fait l’objet
d’une relecture jazz que n’aurait pas reniée Leonard Bernstein,
et Bastien Ballaz (tb) déploie déjà sur ce titre toute la
virtuosité dont il est capable. Avec lui, le saxophoniste Jon
Bouteiller (ts), le pianiste Fred Nardin (p), et le trompettiste
David Enhco (tp), forment le noyau dur de la formation, mais ce soir,
c’est Malo Mazurié (tp), un fan de Bix Beiderbecke, grand
connaisseur du jazz de New Orleans, qui le remplace sur scène.
Épaulés par Jean-Philippe Scali (as, bar), Florent Nisse (b) et
Romain Sarron (dm), ils vont livrer une prestation toute de finesse
et de générosité. «The Gentleman Is a Dope», popularisé par Jo
Stafford, est une première occasion de relever le phrasé et la
diction impeccable de la jeune chanteuse Célia Kameni (voc), dont
le jeu de scène habité apporte énormément à la performance du
jour. Les interactions entre la basse de Florent Nisse et la voix
réminiscente des plus grandes divas du jazz, font merveille sur
«Come Sunday» de Duke Ellington, avec un vibrato exceptionnel calé
sur les circonvolutions rythmiques de la batterie de Romain Sarron.
Les compositions de West Side Story font vraiment figure de fil rouge
pour le septet, qui joue le prologue de la comédie musicale en
entame de son second set, comme pour mieux célébrer les noces
virtuelles de la danse et du jazz, tel qu’esquissées en une sorte
de chorégraphie imaginaire très palpable sur scène, quoi que
seulement suggérée par le groupe. «Something is coming» puis
«Sometimes I’m happy», sur lesquels la trompette de Malo Mazurié,
se détache, relèvent d’ailleurs, d’un music-hall de la plus
belle facture, et la reprise de «Everyone Wants to Be a Cat»,
célébrissime comptine du film Les
Aristochats, constitue, en quelque
sorte, la divine surprise de la soirée, avec une performance une
nouvelle fois impeccable de Célia Kameni, rehaussée par la palette
harmonique hors pair de Jon Bouteiller; un musicien qui a l’art de
se mouvoir avec décontraction au sein des différents changements de
clé et de tempo qu’il suscite et appelle , évacuant comme en se
jouant toute monotonie d’un spectacle combinant autant de saveurs
musicales que de fragrances mélodiques. «East of the Sun, West of
the Moon», de Brooks Bowman, et «Blues in the Night» évoquent des
paysages oniriques empreints d’une élégance suave, et achèvent
de transporter le public en un monde meilleur, avec leurs
efflorescences lunaires, évocation presque mystique du monde de la
nuit. Fred Nardin, récent lauréat du prix Django Reinhardt,
éclabousse au passage de son talent plusieurs chorus mémorables,
avant qu’une reprise de «The Gentkeman is a Dope» en guise de
rappel itératif n’établisse définitivement l’empreinte d’un
combo qui sonne comme un big band. Un bien beau concert, avec une
esthétique très élaborée, issue d’un mariage réussi entre
tradition et modernité. JPA
China Moses
(voc) était au New Morning,
le 28 avril,
pour nous nous présenter le répertoire de son nouvel album
Nightintales
(MPS). Entourée de Luigi Grasso (as), Mike Gorman (p), Luke
Wynter (elb) et Marijus Aleksa (dm), la diva a proposé un show entre
jazz, soul et funk, empli d’énergie. Auteur de ses chansons, elle
découvre son univers au fur et à mesure des morceaux, aborde des
thèmes de société, comme sur «Disconnect» sur la présence
invasive des réseaux sociaux dont elle est pourtant une adepte.
L’arrivée de Josiah
Woodson (tp) sera l’occasion d’un excellent moment avec «Watch
Out» et un duo épatant avec Luigi Grasso. Un concert mené avec
maîtrise par une chanteuse talentueuse et charismatique et dont le
caractère transversal, au sein des musiques afro-américaines, plait
au plus grand nombre. JP
En cette soirée
pluvieuse du 30 avril,
le Frank Catalano Quartet
investissait la scène du Sunset
pour un concert chaleureux, qui a considérablement augmenté la
température du lieu à mesure que les titres allaient s’enchaîner.
Patrick Villanueva (p), Jean Bardy (b), et Manu Dalmace (dm)
secondent très efficacement le leader, qui donne en compagnie de ses
«french guys» un concert extraordinaire de polyvalence, dont
l’esprit œcuménique est en lui-même une prise de position
artistique. Franck Catalano (ts) a joué très jeune avec Von
Freeman, et se trouve très attaché, en tant que pilier du club
Green Mill, à ce que l’on nomme «l’école de Chicago» du
saxophone (Jazz Hot
n°674). Entre deux sets, il nous dira sa passion pour la vigueur des
«chases» initiées par des musiciens qu’il considère comme ses
maîtres, tels Johnny Griffin, dont les tempos allègres lui donnent
envie de travailler son timbre jusqu’à acquérir cette sonorité
blues et brillante, envisagée comme un élément à part entière de
son identité musicale. L’articulation du set s’effectue autour
de Bye Bye, Black Bird,
son récent album enregistré avec le batteur Jimmy Chamberlin,
musicien qui a participé à l’aventure d’un groupe de rock
alternatif célèbre, les Smashing Pumpkins. Fidèle à cette optique
protéiforme, le saxophoniste joue ce soir avec Manu Dalmace, dont le
jeu éclectique est empreint d’influences composites, allant du
rock au jazz, en passant par le funk et le blues. «Bye Bye Black
Bird», titre comportant cocottes funky et breaks de batterie, donne
une idée de l’étendue du répertoire du groupe, tandis que les
effluves de la période Mighty Burner
(surnom de Charles Earland, l’un des mentors de Catalano) mettent
en évidence des sonorités caractéristiques du soul jazz, mâtinées
de quelques touches fusion. On songe aussi à Benny Golson sur
Killer Joe,
et bien sûr au groupe Weather Report, s’agissant de la cohésion
d’ensemble et du fighting spirit. L’aspect à la fois très
classique et finement métissé de la formation de Patrick Villanueva
(il dissémine de nombreux motifs latino-américains au sein de ses
parties solo), associé au caractère très bop et stylé de Jean
Bardy, confèrent pourtant à la prestation un caractère très
enraciné. «Sugar» avec ses accents colorés et son rythme
soutenu, exprime une admiration immense envers Dexter Gordon, tandis
que «Stella by Starlight» célèbre à sa façon Stan Getz, dont le
timbre chaleureux hante visiblement les explorations du saxophoniste,
même s’il dit mettre au même niveau toutes les expériences
vécues en tant qu’artiste, que ce soit comme side man ou comme
musicien de session, aux côtés de Tony Bennett («Fly Me to the
Moon»), de Santana, ou de Miles Davis. Dans les second et troisième
sets, c’est toutefois l’influence des Brecker Brothers qui
s’avère vraiment la plus évidente, avec ses cascades de cuivres,
ses rythmes binaires ondoyants et funky, et ses rythmiques syncopées.
Et l’on se souvient de ce live mémorable gravé en compagnie de
Randy Brecker, avec un son qui fait penser à Grover Washington Jr
pour les passages jazz funk, une esthétique dont David Sanborn a
d’ailleurs garanti l’intégrité en gravant deux parties de
saxophone alto sur les titres de Bye
Bye Black Bird. Les solos énergiques
pris tour à tour par les musiciens traduisent l’importance de la
dynamique dans une musique faite pour le live, littéralement
irrésistible lorsque l’humour se mêle aux évolutions musicales
du quartet. Le thème du film Retour
vers le Futur, cher au cœur de
Catalano, est d’ailleurs interprété magistralement, tandis que
«Lazy Bird» porte la satisfaction du public à son comble, en
rappelant le jazz plus exigeant des grands ainés, qui savaient
conjuguer des valeurs d’entertainment
avec ce qu’ils ressentaient comme un devoir de fraternité
musicale. Un concert très généreux, animé par une vigueur
tonifiante et contagieuse. JPA
Textes: Jean-Pierre Alenda, David Bouzaclou Jérôme Partage, Mathieu Perez Photos: David Bouzaclou et Patrick Martineau © Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Billie Holiday. Sunny Side A La Folie Théâtre (Paris 11e), du 10 mars au 27 mai 2017
La comédienne Naïsiwon
El Aniou a écrit, mis en scène et joue cette pièce inspirée de la
vie de Billie Holiday. Durant 1h15, elle évoque, à travers la voix
de Lady Day, seule dans une chambre, des épisodes tristes ou heureux
de son parcours, le jazz, les hommes, la drogue, les conflits avec la
police et la justice, ou encore son alter ego chéri, Lester Young.
Naïsiwon El Aniou interprète avec finesse la fragilité bravache de
Billie. En outre, elle met en résonance les terribles épreuves de
la diva blues avec son œuvre, récitant les textes de ses chansons
(en rappelant qu'elle en était l'auteur) avant de diffuser
l'extrait d'un enregistrement original. Par ailleurs, Naïsiwon El
Aniou ajoute une dimension dansée à sa Billie Holiday, une façon
se s’approprier le personnage auquel elle rend un hommage dont on
peut apprécier la justesse ainsi que la dimension didactique.
Ce spectacle sera de nouveau à l'affiche d'A La Folie Théâtre du 8 septembre au 2 décembre 2017.
Texte: Jérôme Partage Photo: Denis Rion, by courtesy of Cie Le Malika © Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Paris en clubs Mars 2017
«Jazzola»
était l’intitulé du concert du 2 mars
au Jazz-Club Etoile. C’est aussi le
nom de l’album enregistré en 2002 par Dany
Doriz (vib) avec le grand Marcel
Azzola (acc). Les deux musiciens étaient ainsi entourés, ce soir-là, par Nicolas
Peslier (g), Philippe Duchemin (p), Patricia Lebeugle (b) et Didier Dorise
(dm). Après un morceau d’introduction par le quintet, Marcel Azzola entre en
scène et raconte déjà une première anecdote, à propos de Biréli Lagrène, avant
de commencer à jouer. Il en distillera avec humour tout au long de la soirée. Il
débute ainsi avec «Place du Tertre» de Biréli, justement, suivi de «Double
scotch», une de ses compositions ponctuée d’un remarquable solo de Nicolas
Peslier. Changement de registre avec «Taking a Chance on Love» de Vernon Duke
et «Rockin’ in Rhythm» de Duke Ellington, dans une version adaptée spécialement
pour l’accordéon, avec une prestation endiablée de Philippe Duchemin. Le
premier set se conclut sur «Nuage» que Marcel introduit seul, avant de
recueillir les réponses du piano et de la guitare sur le thème. L’accordéoniste
redit son regret de ne jamais avoir accompagné Django, même s’il a eu l’occasion
de jouer avec Babik et David, ainsi qu’avec les frères Ferré.
Par
une «Pich'nette» le second set est lancé et Marcel Azzola entame, seul sur
scène, son medley favori: un hommage émouvant à Jacques Brel, qui suscite chez
son fidèle public des «chauffe Marcel» éclatants de sincérité. «Take Bach», une
composition de Philippe Duchemin, est entamée pour le retour du quintet, qui
clôt ce second volet. Il est minuit passé, la salle se vide un peu mais
beaucoup d’amateurs vont rester pour applaudir les classiques: «Indifférence»,
la fameuse valse de Tony Murena, ou «Sweet Georgia Brown» et «Cherokee». On
espère voir encore longtemps ce conteur de maintenant 90 printemps particulièrement
mis en valeur par la formation de Dany Doriz et les harmonies colorées de ce
dernier. PM
Le 3 mars, à Autour de Midi, Esaie Cid
(as) avait invité Estelle Perrault
(voc) à se joindre à son trio (Gilles Réa, g, Duylihn Nguyen, b). Celle-ci est
une nouvelle venue sur la scène jazz parisienne où elle se produit depuis deux
ans seulement, en particulier pour des jam-sessions. C’est au cours de l’une
d’elle a été repérée par l’altiste. La multiplication des chanteuses –qu’on écoute parfois plus avec les yeux–
peut agacer l’amateur de jazz. Mais l’ami Esaie a un goût sûr et nous a permis
de faire une jolie découverte: la jeune Estelle a une belle diction et le sens
du swing. Lors de cette session très spontanée le groupe a enchaîné «Mean to
Me», «One Note Samba», «Honey Suckle Rose» ou encore un «The Nearness of You»
qu’Estelle Perrault a su rendre avec émotion. Le trio a quant à lui produit un
jeu d’une grande finesse (interventions ciselées de Gilles Réa), à l’image de
son leader qui allie une élégance de la sensibilité à une profondeur assez
exotique compte-tenu de l’époque. JP
Il
faut avoir vu Rhoda Scott au moins
une fois dans sa vie. La façon dont elle joue de l’orgue Hammond, entourée de
ses Cabines Leslie, est un spectacle en lui-même, et elle ne faillit pas à sa
réputation en cette soirée du 16 mars
au New Morning. A la voir ainsi
manœuvrer son B3 légendaire, en un ballet sophistiqué des mains et des pieds
nus sur les commandes, on se dit qu’elle est sans doute une des rares
claviéristes à pouvoir jouer de façon aussi convaincante ses parties de basse,
en parallèle des lignes mélodiques chaleureuses et puissantes qu’elle développe
sans effort apparent. Elle joue en compagnie, comme elle le dit dans un
français volontiers approximatif et humoristique, du «gratin» du jazz féminin
français, et quelle belle idée que ce «all stars» entièrement dévolu à la cause
féminine, le Lady Quartet avec Sophie
Alour (ts), Lisa Cat-Berro (as) et Julie Saury (dm). Cet auguste aréopage nous
est proposé à l’occasion de la sortie du disque We Free Queens. Ce soir, Lisa Cat Berro, l’une des figures
emblématiques du quartet, est absente. C’est donc à Géraldine Laurent qu’échoit
le redoutable honneur de jouer les parties de saxophone alto de Lisa, et son
talent naturel, qui éclate désormais de maturité, lui permet de s’en sortir
avec un brio certain, à telle enseigne que sa prestation constitue même l’un des
highlights de l’événement. Le mélange
des timbres avec le sax ténor de Sophie Alour est d’ailleurs l’un des atouts
maîtres du quartet, et ce d’autant plus qu’il se combine souvent au cours du
set avec les parties de trompette de Julien Alour, véritable joker masculin de
l’équipe, qui transmue le combo en quintet le temps de quelques interventions
bien senties (sans oublier Stéphane Belmondo qui vient lui aussi faire une
apparition savoureuse en guest star pour un solo de bugle).
Renforçant le
caractère événementiel de ce happening (le concert est sold out), d’autres invités additionnels viennent enrichir de leurs
contributions les performances du groupe: Anne Paceo (dm) et Stéphane Belmondo
(flh). La première propose sur le remuant «I Wanna Move» un drumming
judicieusement décalé par rapport à celui de Julie Saury, tandis que «What I’d
Say», l’hymne rythm and blues de Ray Charles, donne le sentiment que Rhoda
Scott transforme en or tout ce qu’elle interprète, véritable machine à swing
dont le talent hors normes met en évidence le lien existant entre toutes les
musiques issues de la matrice afro-américaine. Cet œcuménisme procure à Julie
Saury un plaisir évident, qui l’amène à esquisser vocalement les lyrics des titres
chantés dans leur version originale. Sur «Que reste-t-il de nos amours», de
Charles Trenet, Sophie Alour se taille la part du lion, illustrant les liens
profonds qu’entretient Rhoda Scott avec la culture française. Géraldine Laurent
brille de mille feux sur «Rhoda’s Delight», tandis que «Valse à Charlotte»
permet de se souvenir que Rhoda Scott est aussi à l’origine de quelques
standards du jazz. «Joke» est de nouveau l’occasion pour Sophie Alour de
monopoliser l’attention, et c’est elle qui aura sans nul doute marqué cette
soirée, avec une fougue, une générosité, et une sonorité raffermie. La reprise
de «Bad», le tube de Michaël Jackson, reste l’un des moments mémorables du
concert. La passion de Julie Saury sur ce titre fait plaisir à voir, qu’elle
conclut d’un spectaculaire «Who’s Bad» a capella emblématique du King of Pop. Cependant
le Lady Quartet n’oublie pas les amateurs de jazz, au sens strict, en
proposant, deux compositions de Wayne Shorter: «One by One» des Jazz Messengers
(sur lequel, Julien Alour vient nous régaler de ses sonorités brillantes) et
«Adam’s Apple» tiré de l’album éponyme avec Herbie Hancock. Des reprises interprétées
dans un climat d’émulation qu’a symbolisé pleinement, par sa hardiesse, «We
Free Queens». JPA
Sur
la scène du Baiser Salé, le 17 mars, Tricia Evy (voc) rendait un joli hommage à Louis Armstrong, en
compagnie de la pianiste finlandaise Riitta Paakki (née en 1971), laquelle se
produit, dans son pays d’origine, avec son propre trio ou au sein d’autres
formations. Avec de belles inflexions swing, la chanteuse s’est livrée à une
évocation en bonne et due forme: «Love Is Here to Stay», «Basin Street Blues»…
Très à son aise dans ce registre, elle a quelque fois poussé l’hommage jusqu’à
l’imitation («Cheek to Cheek»), mais avec finesse et humour. La personnalité enjouée
de Tricia collant assez bien à l’esprit du trompettiste et offrant un contraste
certain avec le jeu –certes tout à fait jazz– mais très délicat de Riitta
Paakki. Invité, Franck Nicolas est venu faire raisonner sa trompette sur
quelques morceaux (dont un «When You’re Smiling» pris en mode
bossa) mais avec une expression plutôt cool
que hot. On serait curieux d’entendre
de nouveau Tricia sur ce répertoire mais avec des interprètes qui en sont plus proches dans l'esthétique. JP
Le 18 mars, le Sunset était plein à craquer pour Lenny Popkin (ts) et son trio, composé de Gilles Naturel (b) et
Carol Tristano (dm). En raison d’une programmation un peu maladroite, le trio
ne put jouer qu’une petite heure (le set qui débutait à 20h était suivi du Thomas
Savy Trio à 21h30), mais ce n’en fut pas moins un set passionnant. Car chacun
de ces trois musiciens sont au diapason du jazz le plus sincère, le plus
exigeant, et d’une recherche de tous les instants. Chez Lenny Popkin, des
thèmes comme «After You're Gone», «Stardust», «These Foolish Things», «There
Will Never Be Another You», «Out of Nowhere», «Star Eyes» sont autant de rampes
de lancement vers des improvisations sensibles, fines, poétiques, à la beauté
sans cesse renouvelée. Chacun de ces instants est une petite œuvre d’art. Après
un tel concert, on attend avec impatience de revoir ce magnifique trio qu’on
voit et entend trop bien peu à Paris. MP
Jolie
découverte le 21 mars à la Cave du 38 Riv’: à 25 ans à peine, Leila Duclos (g, voc) interprète avec fraîcheur
le répertoire de Django Reinhardt. Le duo avec son père, Cyril (g) –qui arbore
encore un air de gamin– est visiblement fusionnel (on se doute bien comment l’amour
de Django s’est transmis de père en fille): les deux musiciens composent et
écrivent ensemble. Car leur évocation du grand guitariste passe aussi par la
chanson (jazzy), comme «Jacqueline» et «Interaction». A ce duo intimiste et
complice –enveloppé par la voix veloutée de Leila–, se sont agrégés Satoru Kita
(ss) et Serge Marne (perc) qui apportent respectivement une touche free et
world à l’univers jazz & chansons de Leila et Cyril Duclos. En résulte une interprétation
délicate et colorée de standards («Caravan», «Belleville», «Les Yeux noirs»…) et
de compositions originales, comme «La Braise» qui raconte l’incendie de la
roulotte de Django. JP
Voilà
un an et demi que le trompettiste Wallace
Roney n’était venu à Paris. Le 23
mars, le Sunside affichait
complet pour le leader. Soutenu par les excellents Ben Solomon (ts), Oscar L.
Williams, Jr. (p), Curtis Lundy (b) et Eric Allen (dm), le leader nous a
électrisés durant deux sets, piochant dans son répertoire habituel: une
composition personnelle, «Metropolis», deux thèmes de Lenny White («L’s Bop»,
«Wolfbane»), un de Tony Williams («Elegy»), un de Wayne Shorter («Plaza Real»).
Avec son intensité, cette atmosphère à la Miles Davis, qu’il sait créer comme
personne, ce swing, cette profondeur, Wallace Roney et son quintet nous ont
fait passer une soirée inoubliable! MP
Le 23 mars, toujours, Mighty Mo Rodgers (elp, voc) était au Jazz-Club Etoile pour notre plus grand plaisir. Entouré de bons
musiciens italiens (Luca Giordano, g, Walter Monini, b, Alessandro Svampa, dm),
le bluesman-philosophe a porté la bonne parole du blues à la façon d’un preacher:
«The blues sets you free!». Chaque concert de Mighty Mo Rodgers est une
création à part entière: il improvise, selon son inspiration du jour, des
paroles pleines d’esprit et d’humour sur quelques accords, comme cette chanson
où il raconte la visite de musées parisiens qui s’achève sur un dialogue avec
«Le Penseur» de Rodin. Avec un art certain de la mise en scène (Maurice Rodgers
joue le personnage de Mighty Mo Rodgers), il déroule des histoires en apparence
très simples, mais pleine de profondeur («I Got a Call From the Devil»).
Embrassant tout le spectre de la musique afro-américaine, il a rendu hommage à
la soul music avec «Sweet Soul Music», entre deux aphorismes: « Only three
things are true: dearth, taxes and blues!». Après quelques embardées du côté du
reggae, au deuxième set, Mighty Mo Rodgers a livré un dernier set rock’n’roll,
enchaînant les standards: «Johnny B. Goode» (du regretté Chuck Berry),
«Lucille» (Little Richard), «Blueberry Hill» (Fats Domino) ou encore «The Dock
of the Bay» (Otis Redding). Mighty Mo Rodgers, est à lui tout seul un
syncrétisme de l’Afro-Amérique. Un artiste précieux (et un amour d’homme)
porteur d’un discours et de valeurs d’un autre temps, dont il faut savourer la
présence. JP
Le 24 mars, le guitariste Yves Brouqui présentait au Sunset son nouvel album, How Little We Know, son cinquième en
leader, son premier en trio. Et quelle réussite! Enregistré avec Joe Strasser
(dm) et Kenji Rabson (b), c’est Yoni Zelnik qui jouait de la contrebasse ce
soir-là. Que le trio joue «How Little We Know», «These Are Soulful Days»,
«Between You And Me», «This Time the Dream's on Me», chacun de ces thèmes sont
des moments de grâce. Chez Yves Brouqui, tout semble naturel, avec cette
sincérité, cette élégance, dans la descendance d’un René Thomas, cette
musicalité. Du grand art! MP
Le 26 mars, aux Ateliers du Chaudron, le trio de Jobic Le Masson (p), est invité par Steve Potts (as et ss) en un lieu de prédilection pour le
saxophoniste, qui fait partie de l’équipe artistique de la compagnie éponyme fondée par Tanith
Noble. Avec Peter Giron (b) et John Betsch (dm), ils nous présentent l’album Song et manifestent pour l’occasion une
cohésion que seules de nombreuses heures de jam sessions sont en mesure
d’expliquer. D’emblée, le talent de Jobic Le Masson brille au grand jour,
restituant à l’instrument le rôle indispensable qu’il joue au sein de toute
section rythmique jazz authentique, et tire parti de l’intégralité du spectre
harmonique du piano, emplissant le lieu d’une sorte de réverbération naturelle
à mesure que les différentes nuances de son jeu produisent leurs effets
cathartiques sur les auditeurs. Si le pianiste propose quelques morceaux de
bravoure comme «Cervione», avec ses motifs itératifs répétés sur plus de dix
minutes, il n’oublie pas de laisser à ses compagnons des espaces de liberté,
comme «Double Dutch Treat», de John Betsch, où l’expérience commune du batteur
et du saxophoniste au sein de l’orchestre de Steve Lacy se fait très
agréablement sentir, dans une optique très free qui voit l’édifice rythmique
parfois reposer sur le seul Peter Giron, capable de faire swinguer un riff avec
la rigueur d’un métronome, même quand ses partenaires tentent une figure de
style inédite à la faveur d’un break. Le batteur produit constamment des
structures et des soubassements ouverts
sur l’instant et le monde extérieur, caractérisés par un jeu de charleston
prolixe et un usage très personnel des cymbales, assorties de quelques timbales
et objets bizarroïdes ramassés au sol le
temps d’une frappe. Les sourires sur les visages en disent long sur la qualité
d’une prestation démontrant par l’exemple le bénéfice d’une formation durable,
avec des musiciens qui prennent le temps de bien se connaître, permettant des
prises de risque maximales lors de certains passages clés de la partition. Le
fonctionnement du groupe est alors presque incroyable, tant il permet de
possibilités d’improvisation avec, toujours, un retour au thème d’origine
naturel et virtuose. Le combo se comporte alors tel un chat qui retombe
toujours sur ses pattes, même dans les situations les plus compromises. C’est
sans doute sur «Tangle», que l’esprit général de Song, l’album qui fournit la matière première du set, s’exprime le
mieux, marqué par une intervention tout en finesse d’un invité de marque,
Thomas Savy (bcl), que Steve Potts initie à l’esprit du jour par une formule de
son cru: «C’est en ré mineur au début, et puis ensuite, tu verras (rires)».
Au-delà du sourire, Steve Potts dévoile sur ce titre une discipline, une
sobriété, une économie de moyens qu’on oublie trop souvent d’associer au free
jazz, emportant l’adhésion pleine et entière du public même lors de quelques
stridences en jeu out. Un grand moment de musique et de partage, en une journée
ensoleillée marquée d’un changement d’heure semestriel qui pouvait faire
craindre le pire aux organisateurs, alors que l’assistance fournie témoignait,
au contraire, d’une communauté d’intérêts corroborée par la diversité des
personnes présentes dans la salle. Une prestation mémorable interprétée par des
musiciens qui, parce qu’ils sont avant tout des amis, jouent
une musique inspirée et qui atteste de la valeur artistique
d’interactions basées sur l’échange et les affinités électives. JPA
Le 30 mars au Jazz-Club Etoile, le label Black
and Blue fêtaît ses 50 ans et c’est à une véritable célébration du jazz et
du blues que nous étions conviés, en présence d’un des membres fondateurs du
label et d’invités de marque, tels Rhoda Scott et Dany Doriz. Pour magnifier
l’événement, rien moins que trois groupes emblématiques réunis sous la bannière
«Black and Blue All Stars», un titre qui reflète assez mal le talent et
l’humilité des musiciens présents pour la circonstance. En premier lieu, le Philippe Duchemin (p) en trio, avec
Christophe Le Van (b) et Philippe Le Van (dm). Dès l’enchaînement «Fly With Me»
/ «Take Bach», on sent qu’on a ici affaire au jazz de la meilleure tradition,
avec des arrangements inspirés des plus grands trios de l’histoire du jazz. Le
second titre suggère que J.S. Bach est le compositeur préféré des jazzmen, son
art du contrepoint fait sans doute écho aux accords arpégés des artisans du
swing. «Hymn» est un premier moment d’émotion, avec des aspects intimistes et
introspectifs tout droit issus de l’époque romantique. «Cantabile» est un
hommage splendide au regretté Michel Petrucciani. Le style de Philippe Duchemin
intègre toutes sortes d’influences, allant du jazz le plus traditionnel à la
chanson à texte française en passant par la musique classique. Poursuivant dans
une veine émotionnelle qui lui réussit, le trio nous délivre une très belle
version de «Hymn to Freedom» d’Oscar Peterson. Présenté comme un maître à penser, le grand pianiste
figure ici dans sa veine la plus délicate, avec un lyrisme empreint d’une
grande sensibilité. C’est au tour de Chick Corea d’être à l’honneur avec d’une
de ses compositions les plus célèbres «Armando’s Rumba», tiré de l’album My Spanish Heart. La version proposée ce
soir, Black & Blue oblige, conserve les propriétés du jazz acoustique et confère
à la mélodie de ce classique un éclat tout particulier. Le set se conclut sur «Qu’est-ce
qu’on attend pour être heureux» de Ray Ventura, et la cohésion manifestée par
les frères Le Van tout au long de la performance force une nouvelle fois l’admiration,
évoquant certaines gloses sur la connexion jamais rompue entre jumeaux. De ce
point de vue, il n’est sans doute pas innocent de relever qu’ils n’ont
quasiment pas besoin d’échanger un regard pour effectuer un travail rythmique
dense et de bon goût.
Vient
ensuite le sextet de François Biensan
(tp). En fait, il s’agit plutôt d’un septet puisque Patrick Bacqueville (voc,
tb) s’est joint au groupe composé de Michel Pastre (ts), Fred Nardin (p), Stan
Noubard Pacha (g), Jean-Pierre Rebillard (b) et François Laudet (dm). La
formation dispose d’un registre et d’un répertoire impressionnants, aux confins
du jazz et du blues. Les licks de guitare de Stan Noubard Pacha sont carrément
blues, même une fois passés au prisme d’un amour de toujours pour le jazz. Mais
cet amour de toujours lui permet tout de même de plaquer efficacement ses
accords sur des rythmiques ternaires. Avec ce groupe, ce sont les cuivres qui
sont à la fête, et la formation ne manque pas d’allure lorsque les trois
souffleurs s’avisent de faire front sur scène, concentrant toute l’attention
sur leurs personnes. On commence d’ailleurs avec une évocation des «Hot Lips»
de Lester Young, avant que de faire escale sur un «Jeep’s Blues» de la plus
belle facture, en hommage à Duke Ellington et Johnny Hodges. Le ton est donné;
c’est effectivement le middle jazz et le swing qui sont à l’honneur ce soir, et
le septet ne va pas manquer à ses obligations en organisant tout son set autour
des grands compositeurs et musiciens qui popularisèrent ce répertoire. Patrick
Bacqueville et François Biensan n’hésitent pas à ajouter des sourdines pour
voiler leur son et en accentuer la patine, suggérant le caractère immémorial d’un
hommage sincère et appuyé. «Just Squeeze Me» du Duke est certes un des grands
moments de la soirée, qui voit le tromboniste faire montre d’une versatilité
qui se verra confirmer lorsqu’il donnera de la voix sur «Every Day I have the
Blues», véritable manifeste établissant la connexion entre Count Basie et Memphis
Slim. Sur ce titre, Michel Pastre, dont
le timbre est éclatant de maturité, et Fred Nardin se transcendent,
matérialisant le lien évident entre la matrice du blues et les premières formes
de jazz, sur une rythmique toute de groove traversée de quelques fulgurances
guitaristiques qui mettent tout le monde d’accord et suscitent même quelques
danses spontanées au sein du public.
Après
une telle prestation, on aurait pu s’attendre à une baisse de tension, mais
c’est bien mal connaître les Jazz Workers de Mourad Benhammou (dm). Ce soir ce n’est pas Pierre Christophe au
piano mais Guillaume Naud. Avec Fabien Mary (tp) et David Sauzay (ts, ss), et
Fabien Marcoz (b), ils forment une solide et prolifique formation dont les
œuvres discographiques ont trouvé chez Black and Blue un écrin idéal. Ils
entament leur set avec un thème de John
Williams, qui a parfois touché à l’univers du jazz. A plusieurs reprises, le
groupe revient à la culture cinématographique en parallèle de sa passion pour
les musiciens de l’âge d’or du jazz, allant jusqu’à faire l’éloge du film Le Roi et moi, une œuvre de Walter Lang
de 1956 avec Yul Brynner et Deborah Kerr, auquel le quintet emprunte un thème
musical. Ce motif de quelques notes admirables de Richard Rodgers fournit
l’occasion d’admirer les multiples talents de David Sauzay, qui alterne parties
de saxophone et flûtes aux côtés de Fabien Mary avec le plus grand naturel,
conférant un brio réjouissant aux parties de cuivre qui donnent des fourmis
dans les jambes à pas mal de monde en cette soirée anniversaire. Cet amour de
la musique fait des deux souffleurs les compagnons idéals pour le grand
passionné qu’est Mourad Benhamou. Le leader possède un jeu expressionniste et
spectaculaire dont l’énergie ne se dément pas durant la totalité du set. Alors
que la soirée a pris un certain retard en raison des nombreux changements
nécessités par la succession des musiciens sur scène, les Jazz Workers tinrent
à assurer le spectacle et à donner un véritable concert à part entière,
poussant leurs évolutions musicales bien au-delà du terme de la plupart de
soirées jazz. Une bien belle prestation, sans doute la plus dynamique de la
soirée, à laquelle Guillaume Naud a apporté des teintes exotiques et classiques
qu’Alain Jean-Marie n’aurait sûrement pas désavouées. Happy birthday Black
& Blue! JPA
Le 31 mars à l’Espace Krajcberg (15e arrdt.), Manassés De Sousa (g), guitariste issu du nord-est du Brésil, se
produit en duo devant un public conquis par ce mélange très personnel de choro
et de jazz. Approché un temps par Gil Evans, il décline l’offre pour ne pas
déménager aux Etats-Unis, mais collabore, lors d’un séjour à Paris, avec
quelques artistes hexagonaux, comme George Moustaki, Claude Nougaro ou Bernard
Lavilliers. Spécialiste de la douze cordes électro-acoustique, il n’en utilise
pas moins des instruments à six, huit ou dix cordes, des guitares portugaises
et un cavaquinho qu’il fut un des premiers à introduire en France (devenu le
ukulélé à la suite de son importation à Hawaï). Le point de convergence
entre le choro et le jazz est cette propension à improviser autour d’un thème,
imprimant de multiples variations à la mélodie de base du morceau. Le musicien
qui a joué et enregistré aux côtés de Nanà Vasconcelos et Paco de Lucia, joue
ce soir avec Ney Veras (perc,g) dont le talent de percussionniste ne l’empêche
nullement de faire équipe avec Manassès sur des instruments à cordes. L’emploi
de gammes brisées et d’accords fragmentés n’est pas sans évoquer celui des blue
notes au sein du blues et du jazz, avec un certain nombre de phrases étouffées,
qui renforcent l’aspect rythmique des partitions de guitare. L’utilisation
d’une douze cordes permet d’amplifier le champ de résonances de la guitare,
faisant retentir de magnifiques harmoniques artificielles et naturelles dans la
salle. Les bons moments sont légion. «A Terceira Ponte» et «Retirante» portent
la marque d’une grande fraicheur, avec des atmosphères presque folk qui
flirtent avec une modernité certaine, non démentie par son attachement de
toujours à sa terre natale. «Passeio De Onibus», «Caminho Das Indias», attirent
particulièrement l’attention, empreints d’une émotion sincère qui prépare le
terrain pour l’acmé du set sûrement constituée par «Doce De Coco», dont le côté
choral emplit l’espace de polyphonies célestes, à mesure que Manassés poursuit
ses pérégrinations musicales sur un mode inspiré. L’artiste n’oublie pas de
citer Chico Buarque, dont les œuvres servirent, en leur temps, une contestation
du pouvoir détenu par les militaires dans son pays. Un moment à la fois
intimiste et universel, en compagnie d’un superbe musicien, par ailleurs
empreint d’une humilité et d’une humanité manifestes, qui démontrent par
l’exemple que l’enracinement culturel n’est pas incompatible avec le fait de
toucher de nombreux publics. JPA
Textes: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez Photos: Patrick Martineau et Jérôme Partage © Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Hommage au Jazz de Clama Mairie du 17e arrondissement (Paris), du 1er février au 31 mars 2017
Pierre Clamagirand (1934-2015), dit
Clama, a eu deux grands amours dans sa vie: la peinture et le jazz. Son
œuvre picturale a donc évidemment été fortement marquée par ses élans musicaux.
Et c’est cette dimension de son travail que son fils, le comédien Sylvain
Clama, a souhaité mettre en lumière, réunissant des toiles reliées par le fil
de la note bleue mais dont certaines ont été dispersées au sein de diverses
collections privées. Restait un lieu à trouver pour accueillir cette
rétrospective: ce fut naturellement la mairie du 17e
arrondissement de Paris, dont l’édile, Brigitte Kuster, est une amie de la
famille. On ne reviendra pas ici sur le parcours de Clama (le lecteur peut se
reporter à notre rubrique nécrologique). On rappellera simplement le long
compagnonnage du peintre avec Jazz Hot
(la revue était sa cadette d’un an), à qui il offrit deux belles couvertures
(numéros 540 et 591), d’ailleurs exposées. Plusieurs dizaines d’œuvres étaient
ainsi visibles dans le hall de la mairie (quelques-unes à l’étage), dont les
murs blancs et froids (c’est la seule mairie d’arrondissement parisienne
«moderne», construite en 1970-72) offraient par contraste un bel
écrin pour les couleurs swingantes de Clama. On retient tout particulièrement
de la visite le magnifique triptyque où se déploie un big band.
Le 1er février, le vernissage
vit se presser un public nombreux. Les «officiels» de
l’arrondissement, bien sûr, la famille, les amis de Clama, les gens du quartier
et même deux fameux acteurs: Jean-Claude Dreyfus, venu en voisin, et
Pierre Richard –lui-même amateur de jazz–, dont le fils, le saxophoniste
Olivier Defaÿs (qui se produira quelques soirs plus tard), est un ami d’enfance
de Sylvain Clama; le fils du peintre improvisa d’ailleurs avec allant une
visite guidée à travers les pièces montrées. Quatre concerts devaient donc
ponctuer la durée de l’exposition qui fut inaugurée par le duo Rocky Gresset
(g) / Gilles Barikosky (ts). Le second
concert programmé (le 13 février) réunissait quant à lui Janie-Noële Héliès
(p), Jean-Claude Bénéteau (b) et Philippe Combelle (dm).
La présence d’Olivier Defays (as, ts),
le 17 février, tenait au lien amical et ancien qui le lie à Sylvain Clama. Le
fils du peintre partageant des souvenirs avec le fils du comédien (Pierre
Richard) depuis l’enfance. Et c’est avec son quartet «Men in Bop» –codirigé par son alter ego Philippe Chagne (ts) et complété de Philippe Petit
(org) et Yves Nahon (dm)– qu’il a honoré l’invitation. Voilà un groupe
réjouissant! Ça groove autant que ça rigole, ça swingue avec les
standards aussi bien qu’avec (les excellentes) compositions du groupe
(«Emile Saint-Saëns» de Philippe Petit, «Mérou’s Bounce»
de Defays ou une jolie ballade de Chagne: «I Remember Frank West»).
S’inscrivant dans l’esprit du duo Eddie David / Johnny Griffin («Save
Your Love From Me»), les ténors dialoguent avec une volubilité bop,
soutenus par une rythmique qui ne cherche pas à en faire trop et a livré une
fort subtile introduction de «Caravan» en fin de concert. Au reste,
la joyeuse entente qui transpire de ce collectif est communicative. Et si
l’humour potache dans le jazz –pratiqué par les «revivalistes»
comme par les créatifs institutionnalisés– n’est pas toujours du meilleur goût
(et la musique non plus), on rit de bon cœur avec ces quatre-là jamais en
retard d’une anecdote ou d’une gentille moquerie.
La dernière soirée musicale, le 2 mars,
fut assurée par le cœur gospel Stella Matutina. Abordant un large répertoire,
allant de spirituals historiques jusqu’à des compositions contemporaines, cette
sympathique prestation, assurée par des amateurs, a pris une toute autre
dimension lors des interventions en soliste d’Henry Bastien d’Elie (basse) qui
a donné chair à cette belle évocation. De quoi faire monter jusqu’au Ciel les
notes à la mémoire de l’ami Clama.
Texte: Jérôme Partage Photos: Patrick Martineau et Jérôme Partage © Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Jazz à Rio Rio de Janeiro (Brésil)
A
l’occasion d’un concert dirigé par la jeune musicienne Mariana
Zwarg (fl, ss) nous faisons un rapide point sur la situation
désastreuse de la diffusion du jazz à Rio de Janeiro. En effet, il
s'y est raréfié, se résumant à de ponctuels concerts de vedettes
américaines présentés dans des centres culturels financés par les
institutions (Etat de Rio, Ville de Rio) où par la mécénat privé
(obligatoire pour les grandes entreprises), en particulier le réseau
des SESC (Service Social du Commerce), alimenté par une taxe
destinée à l’action culturelle et sociale, très actif dans les
grandes villes du sud du Brésil: Curitiba, Florianopolis, Porto
Alegre et surtout São Paulo.
Ceci
alors que Rio a une longue histoire avec le jazz: rappelons-nous la
grande époque où les jazzmen venaient enregistrer des albums de
bossa nova au contact des rythmiques et autres solistes cariocas qui
maîtrisait cet art à la perfection. Ainsi Herbie Mann ou Cannonbal
Adderley (entre autres) ont côtoyé dans les studios des maîtres
tels Baden Powell, Paulo Moura, Airto Moreira; de même, une
génération de jazzmen brésiliens a créé une forme musicale
mariant les styles brésiliens (samba, choro, baião, forro) au jazz
le plus moderne. Plusieurs de ces musiciens se sont installés
ensuite aux Etats-Unis: Luis Bonfa, Dom Um Romao, Hermeto
Pascoal…plus tard Eliane Elias. Le
Festival Jazz in Rio a brillé de ses éclats quelques années mais
rien ne l’a remplacé. Quant aux clubs qui ont animé la scène
brésilienne pendant des décennies, ils appartiennent désormais à
l'histoire. Ainsi le Beco
das Garrafas, dans
les années 50 à 60, a accueilli, entre autres, Sergio Mendes,
Raul de Souza, Baden Powell, le Quarteto Novo (Airto Moreira, Hermeto
Pascoal, Heraldo do Monte, Theo de Barros), Elis Regina, Sylvia
Telles... Mistura Fina, durant ses vingt-cinq ans d’existence a
présenté une programmation haut de gamme et a même reçu Chet
Baker, Pat Metheny, et Wayne Shorter. Quant au disquaire Modern Sound
(1966-2010), situé à Copacabana, en plus de proposer un immense
choix de disques, programmait un concert tous les soirs (il était
doté d'une scène) à l'heure de l'apéro. Du célébrissime Ed
Motta, à la clôture avec la jeune chanteuse Julianna Caymmi en
passant par les accompagnateurs des novateurs Egberto Gismonti,
Milton Nascimento, tels Toninho Horta (g), Mauro Senise (ss)…les
habitués, un public un peu âgé mais aussi des jeunes curieux
(l’entrée était gratuite) ont pu assister à des centaines de
concerts. Aujourd’hui
les jeunes musiciens sont dans l’obligation d’organiser leur
propre concert dans des lieux inédits, souvent sous forme de
prévente par internet et selon l’adhésion du public assurent le
concert où l’annulent faute de recette. Le petit lieu culturel de
Lapa (quartier chaud de Rio), TribOz- Centro Cultural
Brasil-Australia, ainsi que The Maze à Catete proposent aussi
quelques concerts payés à la recette et le très cher Rio Scenarium
diffuse parfois du jazz (Big band de la Radio Danoise, Carlos Malta).
On peut rajouter quelques concerts le dimanche matin dans l’immense
Théâtre Municipal de Rio de Janeiro, dont le prix l’entrée est
très bas (Leo Gandelman) pour boucler ce tour du jazz à Rio.
Nous
avons pu assister, le 11 mars, au concert de Mariana
Zwarg e A Musica Universal d’Hermeto Pascoal e Itiberê Zwarg
(Mariana
Zwarg, fl, ss, arr, comp, Aline Falcão, cl, Ricardo Sà Reston, elb,
Pierre Chastel, dm, voc, Sami Kontola, perc, dm, Mette Hadja Hansen,
voc, avec en invités Ajurinã Zwarg, ss, Itiberê Zwarg, melodica,
cl, et Maria Clara Valle, cello). Cette
soirée, organisée par les musiciens, a été possible grâce à
l’accueil de la famille Mol qui a mis son immense villa à la
disposition des musiciens. Située dans le quartier de Recreio dos
Bandeitrantes (50 km du centre de Rio), la mobilisation était
nécessaire et tout le public présent a contribué par un
financement participatif à la réussite de l'opération. Selon
Hermeto Pascoal, la «musica universal» est une musique sans
pré-concept qui englobe tous les styles, valorise les éléments de
la musique populaire brésilienne et en même temps outrepasse les
barrières entre la musique érudite et populaire créant ainsi un
pont entre toutes les musiques régionales du monde entier, reflétant
ainsi son caractère universel. Ce projet a démarré en 2016, à
l’occasion des 80 ans d’Hermeto Pascoal qui marque aussi les quarante
années de collaboration musicale entre le maître et Itiberê Zwarg
son bassiste et ami. Mariana Zwarg a été invité à Barcelone pour
assurer la direction musicale et signer les arrangements d’un
programme de concerts donné aussi à Berlin et Copenhague. Ce
concert de Rio fêtait les retrouvailles d’une partie des musiciens
qui compte un Français, une Danoise, un Finlandais et des
Brésiliens. Dans
une atmosphère chaude et une humidité à couper au couteau, et
après un churrasco bien arrosé, les musiciens nous entraînent dans
leur sillage. Dès
le premier titre «Capivara»,
signé
par
Hermeto, Mariana Zwarg assure l’introduction à la flûte et passe
avec autant de talent au soprano; elle dirige d’un coup d’œil et
veille avec autorité mais bienveillance à la bonne exécution de
ses arrangements. La Danoise Mette Hadja Hansen utilise sa voix comme
un instrument sans parole et apporte une vivacité à l’ensemble
des compositions. Elle ne parle pas le portugais mais ne commet
aucune faute de prononciation car il s’agit là de vocalises très
équilibrés qui savent s’envoler et improviser à l’égal des
solos des autres musiciens. Dès le second titre, «São
Jorge»,
Aline Falcão, venue spécialement de Salvador da Bahia (à 1600 km),
prouve qu’elle n’a pas fait le déplacement pour rien: toute la
soirée son sourire et son assurance, tant dans l’accompagnement
que dans les solos, sont aux bons endroits et au bons moments. Les
sonorités de ses claviers rappellent ceux du pianiste de Carlos
Santana, Richard Kermode. Immédiatement enchaîné, «Vivo
Edu Lobo» (qui
sera présent sur le nouveau double album d’Hermeto), rend hommage
au chanteur et compositeur éponyme qui a marqué de son originalité
l’époque post bossa nova. Chaque thème est très arrangé et ne
laisse pas de place à l’erreur ouvrant néanmoins à chacun
l’espace de s’exprimer en soliste. Sur ce titre Mariana sera
rejointe, après un long solo par la voix de Mette dans un dialogue
endiablé. Sur «Solena»,
Mariana invite son père, Itiberê Zwarg au mélodica, et Maria Clara
Valle, dont c’est l’anniversaire, à les rejoindre pour nous
offrir une lente et belle ballade. Cette chaleur des retrouvailles,
sera suivie par un nouveau thème marqué par un long solo de
violoncelle, totalement fluide et acéré, parfois très free,
laissant ensuite la place à des solos du Français Pierre Chastel et
de Ricardo Sà Reston qui assure en permanence le pivot du groupe,
pour un final de flûte dialoguant avec cordes. Les titres, soit
d’Hermeto soit en son hommage («Campo»
signé
par Mariana), complètent le programme et la flûtiste aime rappeler
que ses premiers pas et son apprentissage se sont faits sous la
double tutelle d’Hermeto (qui est aussi son parrain) et de son
père. Tous deux l’ont vraiment accompagné, lui prodiguant
conseils et critiques salutaires. Les interventions d’Itiberê,
invité spécial, passent du mélodica au clavier où a l’impromptu,
il improvise une dédicace musicale à Maria Clara Valle pour son
anniversaire et pour son implication dans la mise en place de la
soirée. Le groupe terminera la soirée par un onzième titre,
rappelant la richesse du répertoire, le percussionniste finlandais,
Sami Kontola, plutôt discret remplacera à la batterie (d’ailleurs
la sienne fabriquée dans son pays) Pierre Chastel, qui lui scatera
ou plutôt défiera son amie Mette Hadja Hansen dans un combat vocal
où l’hilarité laissa la place à une parodie de colère. Une
belle soirée musicale qui sort des sentiers battus et qui nous
l’espérons pourra ouvrir à ce jeune groupe une carrière
internationale.
Textes et photos: Michel Antonelli © Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Bruxelles en février Jazz Station, Bruxelles (Belgique)
Les concerts du samedi à la
Jazz Station connaissent un succès grandissant d’année en
année. On pourrait en imputer la cause à l’originalité du
timing: de 18h à 20h30, laissant aux aficionados la faculté de se
restaurer ensuite et ailleurs ou celle de poursuivre les
réjouissances plus tard, dans l’un ou l’autre club de la
capitale (Music Village ou Sounds, par exemple). Le 4 février
-exception à la règle- le public n’excédait pas la cinquantaine
pour venir découvrir l’improbable: la rencontre entre le pianiste
Fabian Fiorini (compositeur du morceau imposé au Concours
Reine Elisabeth de piano) et le violoniste Yves Teicher
(exubérant musicien le plus souvent écouté en formule gipsy).
Alors que Fabian Fiorini est coutumier d’envolées
audacieuses d’une grande liberté harmonique (cf. avec Aka Moon),
on connait moins, à Bruxelles, les ouvertures du violoniste
liégeois. Honnis soient donc les jazzfans à tiroirs qui restèrent
au coin de l’âtre, le «zizi-coin-coin» (pastis liégeois) à la
main! Or donc, alors qu’on attendait l’affrontement de ces deux
mondes extravagants-extravertis, on eut droit à des convergences
totalement inattendues entre un Paganini de l’électrochoc et un
dodécaphoniste virtuose. Au premier set, Yves Teicher se présenta
seul pour évoquer ses fondements tziganes et grappelliens
auxquels il ajoute un bon nombre de provocations percutées, criées,
grincées, et des harmoniques. On ne fut pas trop surpris
lorsqu’entre deux débordements crin-crins, le soliste laissa choir
l’instrument pour se muer, vocalement, en poète de l’absurde,
vitupérant et lançant l’anathème aux jazzmen qui structurent et
pontifient oubliant trop souvent la folie créative, celle de Louis
Armstrong, de Dizzy Gillespie ou de John Coltrane. Tel un autre Boris
Vian, cet Arthur Rimbaud du jazz liégeois termina sa demie heure
solo sur «Nuages»… Un nuage d’orages! Lui succédant, avant
l’interruption, Fabian Fiorini (p), seul, survola tous les climats,
tous les genres: mélancoliques, nostalgiques, tendres puis rageurs.
Divinement inspiré, léger ou appuyé, percussif, prolixe, volubile,
il improvise et développe des phrases riches, mêlant sa science
musicale et contemporaine dans un jazz pluriel où transpirent
syncopes, pompe, gospels. Dans ses variations, on surprend les
harmonies de «All The Things You Are»; de «Roun’ Midnight» et
… du «Plat Pays» de Brel. Au deuxième set, plus qu’une
convergence, ce fut un dialogue qui s’installa entre le violoniste
et le pianiste, entre folie et créativité, l’un ouvrant la voie à
l’autre ou le relançant. Après «Autumn’ Leaves» et un
original de Stéphane Grappelli, ils terminèrent par Schubert et sa
«Truite», digressée «Autour de Minuit». Un régal de fraîcheur!
Les Jazz Tours des Lundis
d’Hortense faisaient étape le 22 février à la Jazz
Station. Au programme: le Mimi Verderame Quartet. Batteur,
guitariste, compositeur et leader de big band, le Sérésien avait
préféré faire cette tournée à la batterie, accompagné par
Victor da Costa (g) et Ewout Pierreux (p) qui remplaçait Nicola
Andrioli (p) pour trois dates. Dario Deidda (elb) était venu
spécialement d’Italie pour effectuer les sept concerts en
compagnie de son ami Mimi. Je ne connaissais pas ce virtuose
transalpin de la guitare-basse mais je compris très vite l’ampleur
de mon ignorance en constatant la présence dans la salle de deux de
ses éminents confrères belges: Benoît Vanderstraeten (elb) et
François Garni (elb). Ils ne furent certainement pas déçus puisque
l’artiste peut se comparer à l’un pour sa virtuosité, à
l’autre: pour la puissance de son swing. Avec une grande diversité
rythmique et harmonique, le répertoire choisi par le chef compte des
morceaux de bravoure comme «Invitation», «Calypso», «You Step
Off a Dream» et «Giant Steps», mais aussi: «Massa» de Nicola
Andrioli, «Olivera» de Victor Da Costa et «Paysages Insolites» de
Carlos Jobim. Le quartet est très soudé avec une disposition
généreusement rebop sur des arrangements méticuleux du
leader. D’entrée, on aurait pu croire qu’il s’agissait de
variations sur des séquences écrites, mais les solistes s’affichent
très vite, réjouissants à souhait. Pas de longs solos ennuyeux;
Ewout Pierreux (p), enjoué, surprend par l’intensité de son
swing; Mimi Verderame fait chanter drums et cymbales, mélodieux et
léger; Dario Deidda (eb) étonne par la sonorité de son instrument
et l’intensité mitraillette de ses chorus sur «Invitation»
et «Giant Steps». Un peu en retrait, Victor Da Costa (g) se
rappelle à nous par un beau solo sur «Silver Serenade», les jolies
harmonies de «Olivera» - son original- et une belle envolée qui
suit à une entrée approximative sur le tube de Coltrane. Avec «For
Nothing», de sa plume, Mimi Verderame (dm) enchante par la structure
de son lead et un solo inventif et chantant. La mise en place
est impeccable de bout en bout; la musique coule, légère et riche
jusqu’au rappel: une composition de Mimi Verderame dans une belle
structure en 5/4.
Le 25 févier, LAB Trio
était invité à fêter ses dix années d’existence à la Jazz
Station. Je me souviens avoir assisté à l’un des premiers
concerts du jeune trio flamand dans une très belle salle qui
prolongeait la Mercedes House à la place du Sablon. Les voitures ont
déménagé et, malheureusement, je pense qu’il n’y a pas eu
d’autres concerts de jazz dans ce bel auditorium. Je n’avais pas
été convaincu de l’avenir de cette formation, malgré la
découverte éblouissante du jeune batteur: Lander Gyselinck (20 ans
à cette époque). Aujourd’hui, il faut avouer que je me suis
grandement trompésur leur devenir ! Bram De Looze (p) s’est
affirmé, malgré une attaque fluette et une immense empreinte
Sonates de Bach, comme un pianiste de jazz protéiforme et
inventif; Lander Gyselinck (dm) a, dans ce trio, mis une sourdine sur
ses débordements percussifs pour nuancer ses propos à l’aide
d’une loque sur la caisse claire. Mais c’est Anneleen Boehlee
(b) qui m’a scotché à ma chaise. La jeune femme a grandi,
assurant aujourd’hui une pince puissante. C’est elle qui dirige,
autoritaire. Son jeu est rigoureusement juste en bas du manche comme
en harmoniques; ses solos sont parfaits. Le répertoire de LAB Trio
(Lander/Anneleen/Bam) est peut-être trop classique dans le
sens romantique du terme; on pourrait, à l’aide d’un néologisme,
dire qu’il est bachisant -mais Jean-Sebastien
n’improvisait-il pas? Au travers des arrangements convenus, appris
par cœur, les musiciens aboutissent sur de belles envolées, plus
libres, plus contrastées. Ce jazz-là vaut bien une cantate, sans
doute!
Texte: Jean-Marie Hacquier Photos: Pierre Hembise © Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Blues Station de Tournon Tournon d'Agenais (47), 18 février 2017
Pour cette 110e édition,
c'est l'un des plus talentueux harmonicistes américain de sa
génération qui est venu fouler la scène qui porte bien son nom:
«Here is the blues». R.J. Misho est devenu au fil du temps un des
piliers de la scène californienne bien qu'originaire de la région
de Minnéapolis, lui dont l'apprentissage se fit auprès des gloires
du Mississippi telles que Lazy Bill Lucas, Baby Doo Caston ou Big
Guitar Red. Un esprit de transmission à l'ancienne qui l'amènera à
partager la scène du légendaire Big Walter Horton et de Percy
Strother avec son groupe Blues Deluxe avant d'accompagner les
pointures de passages tels Pinetop Perkins ou Little Smothers.
Aujourd'hui à 57 ans et une discographie sans faiblesses, il est
venue présenter le répertoire de son nouvel album «Everything I
Need» un modèle du genre west coast avec une pointe de Chicago
blues. D'emblée, la cohésion de la rythmique amenée par Abdell Bop
Bouyousfi (b) et Pascal Mucci (dm) installe un écrin aux solistes
que sont Nico Duportal (gt) et le leader R.J. Misho. Un véritable
exercice de style mettant en valeur la virtuosité de l'harmoniciste
tant au chromatique qu'au diatonique. «She's My Babe» aurait pu
sortir tout droit du catalogue Chess du répertoire de Little Walter,
sur tempo médium lent où les inflexions vocales de R.J. Misho
évoquent la nonchalance d'un Jimmy Vaughan. Derrière la guitare de
Nico Duportal fait des merveilles tant en single note à la T. Bone
Walker où en tenant la note à la Albert Collins dialoguant en
permanence avec le leader. R.J. Misho est valeur sure du blues qui à
travers ses prestations continue de creuser le sillon de ses amis
disparus que sont Lynwood Slim et Lee McBee.
Textes et photo: David Bouzaclou © Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Miles Ahead Biographie de Don Cheadle (100 min., USA, 2015) Sortie en France le 17 juillet 2016 et le 24 janvier 2017 (VOD)
L'idée
d’un film sur la vie de Miles Davis est apparue de manière détournée à Don
Cheadle en 2006, lorsque le trompettiste a fait son entrée au «Rock
and Roll Hall of Fame». Soutenu par le neveu du jazzman, le projet de
l'acteur (qui est également un "fan") a manqué de s’interrompre à
plusieurs reprises, faute d’argent. Cheadle est cependant parvenu à réunir les
fonds nécessaires en 2014, grâce au financement participatif, faisant de ce «biopic»
un film complètement indépendant, bénéficiant également de l’appui et de la notoriété de l’acteur
britannique Ewan McGregor. Distribué aux Etats-Unis par Sony, propriétaire d’un
grand nombre des albums de Miles, à travers sa filiale, Columbia Records, le
film a connu une promotion discrète. Il a été présenté en clôture du festival
du film de New York, en octobre 2015, avant de sortir, le 1er avril
2016, dans seulement quatre cinémas américains! En France, le film est
arrivé dans l’été 2016, de façon tout aussi furtive, si ce n’est l’avant-première
organisée à Marseille par le festival Jazz des Cinq Continents. Il est depuis
janvier dernier visible en «vidéo à la demande» (VOD). Plutôt
qu’un récit de carrière, Miles Ahead
évoque les démons du trompettiste pris dans une course-poursuite, à la
recherche d’un enregistrement volé, et épaulé dans sa quête par un journaliste
du magazine Rolling Stone, (Dave Braven alias Ewan McGregor). L’action se situe pendant la période de retrait
de Miles, à la fin des années soixante-dix, entrecoupée de flash-backs. On
notera à ce titre les similitudes avec Born
to Be Blue sur Chet Baker. Les deux films choisissant d’aborder (sans doute pour son intensité dramatique) des moments d’extrême vulnérabilité du
héros-musicien, d’éloignement de la scène et du public ainsi que l’emprise de
la drogue. Ces thèmes – notamment l’addiction – étaient également présents (et
pour cause) dans d’autres biopics jazz comme Bird (Clint Eastwood, 1988) ou Ray
(Taylor Hackford, 2004). Mais ces long-métrages relataient la vie de leur sujet
sur le long-court.
Malgré toute la bonne
volonté de Don Cheadle pour incarner le jazzman, restituant ses mimiques, sa
voix, ses postures et utilisant même une de ses trompettes, l’histoire peine à
décoller et à faire oublier les inexactitudes. Supervisée au départ par Herbie
Hancock, la direction musicale du film a été finalement assurée par Robert Glasper
et c’est l’élément le plus réussi de cette œuvre! Il faut, par ailleurs,
rappeler qu’en 2016, à l’occasion du 90e anniversaire de Miles, le
pianiste a également publié Everything’s
Beautiful (Columbia-Legacy), un
album aux accents jazz, hip hop
et soul sur lequel il mêle habilement des enregistrements originaux du trompettiste
à des samples inédits, comme des instructions données par Miles en studio
après de faux départs.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Born to Be Blue Biographie de Robert Budreau (97 min. Royaume-Uni, Canada, USA, 2015) Sortie en France le 11 janvier 2017
Ce «biopic»,
agrémenté d’éléments de fiction, consacré à Chet Baker, relate la période où l’existence
du musicien bascule après ce tristement célèbre épisode de 1966 où le
trompettiste est passé à tabac dans un parking. Agression qui lui laisse la
mâchoire fracassée, le privant de la capacité de jouer de son instrument. Le
film raconte comment sa petite amie, Jane, parvient à lui faire traverser cette
épreuve et remonter sur scène. Dans l’atmosphère
glauque d’un Los Angeles à la James Ellroy, l’ange déchu, ancienne belle
gueule, cherche à fuir les démons qui le hanteront toute sa vie. Le climat
musical est bien restitué et la photographie, qui alterne couleur et noir et
blanc, nous fait penser à des pochettes d’albums de l’époque. Ethan Hawke, dans
le rôle de Chet, félin déglingué par la drogue, livre une prestation au fil du
rasoir et se prête parfaitement à revêtir les oripeaux de l’ex-vedette du jazz
weast coast dont le succès reposa davantage sur l’image que sur la qualité du
jeu. Le défi est ainsi porté sur la scène du Birdland où il doit s’exécuter
devant ses pairs, en l’occurrence Dizzy Gillespie et un Miles Davis assez
impitoyable.
Ce film est à voir en parallèle avec Let’s Get Lost (1988) de
Bruce Weber, formidable documentaire où Chet Baker se livre à cœur ouvert, ôtant tout élan nostalgique vis-à-vis de son personnage. Le titre Born to Be Blue est tiré d’une
composition du trompettiste qui a été aussi enregistrée par Grant Green et
Freddie Hubbard.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Paris en clubs Février 2017
Le 1er février, Jeff Tain Watts, compagnon de route de Branford et Wynton
Marsalis faisait escale au Duc des Lombards. Le batteur présente la
particularité d’avoir un background très riche, combinant études de percussions
classiques, expériences de télévision, de cinéma et surtout de jazz, qui l’ont
vu participer notamment au Love Supreme Live de Branford, ce superbe hommage à
l’œuvre de John Coltrane, et au Live at Blues Alley de Wynton. Il joue ici en trio
avec Paul Bollenback (g), dont les accords en quarte et le jeu modal célèbrent
à leur manière l’héritage de musiciens comme McCoy Turner, et Orlando Le Fleming (b), dont la formation
académique et l’esprit d’ouverture lui permettent d’assurer avec aisance les
soubassements d’une musique truffée de breaks et de ruptures de tempo. Écouter
Jeff Tain Watts, c’est prendre conscience d’un lien ténu mais bien réel reliant
l’intelligence d’Elvin Jones au caractère explosif de Tony Williams. Moins
ancré que ses illustres prédécesseurs dans une pratique rythmique qu’ils auront
contribué à inventer, le leader propose là une prestation plus tendue qu’elle
n’en a l’air, dans une perspective cinématique qui contraste avec l’apparent
relâchement du trio. Jeff Tain Watts mobilise toutes ses ressources
chromatiques pour intégrer des éléments extérieurs au jazz à une rythmique par
ailleurs rigoureuse et empreinte de motilité.
Sans jamais perdre complètement le sens du swing et du groove puisé chez
Art Blakey et Max Roach, il s’illustre spectaculairement par une puissance de
feu sans doute un peu excessive pour la scène aux dimensions humaines du Duc
Des Lombards, avec un marquage des tempos nettement plus appuyé que celui des
batteurs de bop. On retrouve un kit de batterie de taille assez modeste, si
l’on excepte les splendides cymbales turques ajourées qui font partie
intégrante du jeu spectaculaire du leader. Bollenback fait sonner ses accords
diminués sans difficulté apparente, bien aidé par l’usage d’une guitare à corps
plein, une pédale de volume prévenant les larsens intempestifs, ainsi que par
une maîtrise tonale remarquable, qui le fait tutoyer par instants, lors de
judicieuses citations, les plus grands guitaristes de l’histoire du jazz. Il ne
dédaigne pas, pour autant, de se servir d’effets comme le delay ou la reverb
dont il habille ses traits les plus laid-back. Le blues et les blue notes font
bien évidemment partie du vocabulaire du groupe, nommément requis lors de
l’interprétation des chorus ornant les parties centrales des titres à rallonge
interprétés dans ce set. Jeff Watts utilise des maillets et des balais pour
étoffer son son de batterie, et l’aspect exagérément percussif de ses frappes
en cet espace intimiste est alors heureusement compensé par un sens des nuances
et des accents aussi inattendu que rafraichissant. Le batteur ne donne la
pleine mesure de l’indépendance de ses quatre membres qu’au cours de solos
placés au cœur même des morceaux, comme en rupture avec la structure d’ensemble
de la composition («Vodville»). Il donne alors dans une polyrythmie
spectaculaire, mais ce parti pris prive, peut-être, ses exhibitions techniques
d’un supplément d’âme qu’il a, à l’évidence, la capacité de leur incorporer.
Les prises de parole sont rares, concentrées au début et à la fin du set, avec
un hommage à George Benson et à Mexico City, ainsi qu’un morceau dédié à la
fureur de vivre adolescente. Le trio quitte la scène, à l’issue d’un ultime
rappel, sous les applaudissements nourris d’un public conquis par le fait qu’une
partie des évolutions musicales entendues en cette soirée semble avoir relevé de l’improvisation la
plus pure, d’où, sans doute, une tension très palpable perçue distinctement
durant une partie du concert. JPA
Organisées par le Château Mercier, en Suisse, les
rencontres Orient-Occident regroupent des conférences, des films, des pièces de
théâtre et des concerts. Le jeune Mahmoud Chouki (g, voc) en est le directeur
artistique et invite chaque année, le temps d’une semaine, cinq musiciens
venant des bords de la Méditerranée, pour préparer un concert unique. En
2016, les musiciens originaires de
Grèce, du Maroc, de France, de Turquie, et de Suisse décidaient de prolonger
l’aventure, créant un groupe «Orient-Occident» enregistrant un
album où chacun illustre sa propre culture (voir notre chronique dans Jazz Hot
n°678). Réunis au Café de
la Danse, le 2 février, autour de Mahmoud Chouki, Eleftheria Daoultzi (kanun),
Aurore Voilqué (vln, voc), Ahmet Misirli (perc), Stéphane Chapuis (acc) et
Samuel Pont (b) nous ont entraîné sur des thèmes traditionnels: arménien
avec «Tamzara» et «Dzachkats Baleni», macédonien avec
«Jovano», Bulgare avec l’enlevé «Gnakini Horo» et une
belle intro au violon, ou encore gharnati avec «Kom Tara». Le
concert nous a également offert aussi de magnifiques duos (bandonéon/violon sur
«Tamzara»). Après l’admirable «Kom Tara», avec Mahmoud
Chouki et Stéphane Chapuis, ont suivi d’autres belles compositions:
«Arrows» (Chouki) spécialement dédiée à Aurore, visiblement très
émue, «A deux doigts de te dire oui», de la violoniste ou encore la
remarquable balade «Yona Ma Tehegi» de la chanteuse israélienne
Etti Ankri. Le concert s’est achevé sur «Mechul», composition du
percussionniste, qui finit sur un chant qui a entrainé tout le public debout
avec lui. Une soirée unique délivrant un message de paix plus que jamais
d’actualité. PM
Le 6 février, Frederic Borey (ts) nous avait conviés sur
la péniche Le Marcounet pour un «tour de chauffe» comme on dit en
Formule 1. En effet, le quartet «Lucky Dog» qu’il co-dirige avec
Yoann Loustalot (tp) se préparait à enregistrer – le lendemain et le
surlendemain – un album live au Jacques Pelzer Jazz Club de Liège. Un disque
qui paraîtra chez Fresh Sound New Talent. L’heureux producteur, Jordi Pujol,
avait d’ailleurs fait le déplacement de Barcelone pour applaudir ses
«poulains». Complété des excellents Yoni Zelnik (b) et Fred Pasqua
(dm), Lucky Dog nous a ainsi présenté le répertoire qu’il s’apprêtait à graver
Outre-Quiévrain. Des compositions réussies, comme «C’est tout», du
trompettiste, ou «Old and You», du saxophoniste, un titre empli
d’énergie. La musique du quartet est dense et parfois âpre. Mais elle séduit
par son relief. La puissance suave de Frederic Borey, la belle expressivité de
Yoann Loustalot, la finesse du soutien de Yoni Zelnik, l’onirisme rugueux de
Fred Pasqua se répondent, constituant l’équilibre d’une formation qui sonne. JP
Après huit ans d’absence, le James Taylor Quartet faisait
son retour à Paris le 10 février, au Jazz Club Etoile. Le fameux groupe d’acid
jazz anglais n’a rien perdu de son groove. Le maître de l’orgue Hammond, James
Taylor, était accompagné d’Andrew McKinney (eb), Pat Illingworth (dm) et du
jeune Ralph Wyld (vib). Ils nous offerts deux sets très généreux, très funky.
Dès la première note, on reconnaît la patte du leader et le style de ce groupe
emblématique qui pioche dans son énorme répertoire (le JTQ fête ses 30 ans
cette année), «Picking Up Where We Left Off», «Never In My Wildest Dreams»,
«The Template», «Theme From Starsky & Hutch». Autant de thèmes qui
rappellent les héros du JTQ, Lalo Shifrin et John Barry. Le vibraphone remplace
l’habituelle guitare électrique et permet une relecture sensuelle, un son qui
fait penser à Roy Ayers (avec lequel James Taylor a enregistré plusieurs fois),
surtout pour «Joe’s Diversions». Il y a aussi des thèmes jazz, avec «Root down»
(Jimmy Smith), «Jungle Strut» (Gene Ammons), «Muffin Round» (Jack McDuff).
Espérons qu’il ne faudra pas attendre 2025 pour les revoir! MP
Le 12 février, le Sunside était plein à craquer. Les
amateurs étaient en effet venus nombreux pour souffler les 80 bougies de Louis
Hayes (il les aura le 31 mai prochain). Pour cette tournée anniversaire, le
batteur historique s’est entouré de musiciens d’exception: Jeremy Pelt
(tp), Danny Grissett (p), Dezron Douglas (b). Ce soir-là, le répertoire faisait
honneur aux trompettistes: avec deux thèmes de Freddie Hubbard, «Happy
Times» et «The Thing We Did Last Summer», un de Donald Byrd, «French
Spice». Il y avait aussi «Is That So?» du pianiste Duke Pearson. Le leader et
ses accompagnateurs nous ont offerts une musique, jouée avec une telle
virtuosité, des mélodies interprétées dans un registre contemporain, ancré dans
le swing, avec une telle beauté et une telle émotion que l’enregistrement
s’imposait pour garder une trace de cette soirée inoubliable. Le public
n’oubliera pas ce très grand moment de jazz! MP
Le 14 février, Bobby Few (p) avait convié, à La Java, un
parterre d’amis du jazz à l’avant- première d’un film à son sujet, Musical
Hurricane de Nicolas Barachin. Un projet qui a fait l’objet d’un financement
participatif, sur la base du constat qu’aucun documentaire n’avait jusqu’alors
été consacré à cette belle figure du jazz, dotée d’une personnalité très
attachante. Nous eûmes l’occasion de nous entretenir avec le réalisateur juste
avant la projection, qui nous expliqua que la levée de fonds avait permis de
réunir l’équivalent de 7000€, somme nécessaire au financement du montage et de
l’étalonnage, mais sans toutefois autoriser une rémunération du travail
nécessité par le film. Barachin n’oublie d’ailleurs pas de mentionner cet
aspect désintéressé des passionnés de jazz, qui est bien souvent le lot des
musiciens eux-mêmes, évoquant tout spécialement la générosité de jazzmen comme
Bobby Few en la matière. Outre le plaisir de découvrir ou redécouvrir les
différentes étapes de la carrière du pianiste (apprentissage de la musique dès
l’âge de 7 ans à Cleveland, amitié avec Albert Ayler, séjours à New York, en
Europe et à Paris), on est agréablement surpris du fait que le musicien mette
en parallèle son arrivée dans la capitale française au moment où, selon ses
propres dires, une révolution avait lieu à Paris, et son expérience avec Steve
Lacy, qu’il crédite de la naissance d’un goût jamais démenti pour le free jazz.
Ce dernier avait d’ailleurs débuté par le dixieland et le jazz traditionnel, et
on sent que Bobby n’aime rien tant que ce grand écart entre le jazz hot et les
formes les plus aventureuses de la musique afro-américaine. Le réalisateur du
film insiste sur le contraste entre la gentillesse un peu surannée de Bobby
Few, et sa défense de l’idée que, désormais, le monde a sans doute à nouveau
besoin d’une révolution («les choses sont un petit peu trop tranquilles
en ce moment»). Bobby Few ne précise d’ailleurs pas si cette révolution
qu’il appelle de ses vœux est une révolution sociétale ou seulement musicale,
mais cet oubli volontaire traduit mieux que tout autre sa malice coutumière. Le
sous-titre de «Musical Hurricane» s’explique par le fait que Bobby
y décrit son effet «ouragan» (déjà approché dans Jazz Hot n°677
pour évoquer une performance en solo), qui lui permet de faire jaillir d’un
chaos de formes apparent des mélodies, citations et autres fragments de
compositions célèbres. Avec une ironie somme toute mordante, il ajoute que
cette idée lui est venue du fait qu’il n’a sans doute jamais joué les mélodies
et les accords de manière fidèle, leur préférant l’inspiration du moment et la
grâce de l’instant, en bon libertaire passionné de nature qu’il est. La projection fut suivie d'un concert improvisé du
pianiste, en trio avec Harry Swift (b) et Ichiro Onoe (dm), assisté de quelques
musiciens venus spécialement soutenir Bobby pour un titre d’inspiration très
free (Rasul Siddik, tp, François Lemonnier, tb, Jacques de Lignieres, ts,
Chance Evans,ts) et nous n’oublierons pas l’émotion vive et sincère du pianiste
à l’issue de la projection du film, acclamé et applaudi comme il se devait par
l’ensemble des personnes présentes dans la salle. JPA
Il y a-t-il un leader qui ait plus de classe que Johnny
O’Neal (p)? Au Duc des Lombards, le 15 février, deux mois après son
dernier passage, il nous présentait son nouveau trio,composé de Ben
Rubens (b) et Itay Morchi (dm). Le contrebassiste vient du New Jersey. Il a
étudié à la Manhattan School of Music à New York, joue avec le leader depuis le
mois d’août dernier. Le batteur est israélien. Il s’est installé à New York en
2013, a fait partie des groupes de Tuomo Uusitalo (p), Andrew Forman (g),
Hillel Salem (tp). Il accompagne le pianiste depuis décembre. Rubens et Morchi
ont 25 ans chacun et viennent en Europe pour la première fois. Johnny O’Neal
pourrait s’entourer des plus grands musiciens, retrouver d’anciens camarades, tels
Lonnie Plaxico, Peter Washington, Lewis Nash, avec qui il a joué et enregistré
dans les années 1980 et 1990, ou faire appel à de jeunes lions rompus à toutes
les situations. Mais jouer avec les musiciens les plus jeunes est la seule
façon de leur transmettre cette musique (voir son interview dans ce numéro). Et
durant toute la soirée, les accompagnateurs sont hyper attentifs. Johnny
O’Neal joue au feeling. Il choisit les thèmes au fil du set, toujours
sensible à l’attention du public. Il attaque par «Between the Devil and the
Deep Blue Sea», suivi d’une de ses spécialités: la relecture de thèmes de
la Motown ou des tubes soul, pop des années 1970-1980. Il poursuit avec «The First Time on a Ferris
Wheel» (chanté par Smokey Robinson et Syreeta) qu’il chante, puis «Just The Way
You Are» (Billy Joel) suivi de «Betcha By Golly Wow» des Stylistics. Réputé
pour les milliers titres de son répertoire, il joue peu ses propres
compositions. Ce soir-là, il nous offre «CJLS», les initiales des musiciens de
son trio précédent, Charles Goold (dm) et Luke Sellick (b). Si tout est
supérieur chez Johnny O’Neal, si tout est virtuosité, si tout est swing, il
n’est jamais aussi à l’aise que dans le blues. Et c’est ce qu’il nous chante de
sa voix, douce et chaude, vite éraillée, touchante. Il invite sur scène le
pianiste Franck Amsallem avant de prendre le micro pour «The More I See You» et
«All The Way». Les deux pianistes se connaissent bien, sont complices. La
soirée finit en beauté avec «Mornin’», en hommage à Al Jarreau, décédé le 12
février. Johnny O’Neal est en résidence dans six clubs new-yorkais. Et si la
septième était à Paris? MP
Le 15 février, toujours, Didier Conchon (g) était de
retour à Paris, à la péniche Le Marcounet
après une longue période passée dans le sud de la France (trop calme à
son goût, confie-t-il) et un rapide séjour aux Etats-Unis. En formation réduite
ce soir avec Alain Jean-Marie (p, avec lequel il a conçu un album en 2006), et
Nicola Sabato (b, avec qui il a souvent joué), pour quelques reprises. Ambiance
tranquille dans la cale de la péniche autour de «Jingles»,
«Four on Six» (Wes Montgomery), «East of the Sun»
(Brooks Bowman) ou encore «It Could Happen to You» (Jimmy Van
Heusen/Johnny Burke), titre immortalisé par Chet Baker. De retour à Paris,
Didier Conchon est là pour jouer, jouer et jouer. On attend les prochains
rendez-vous avec impatience. PMC’est, sans aucun doute, l’un des plus beaux événements
de l’hiver: la reformation exceptionnelle des Primitifs du Futur. Et
exceptionnelle également fut cette soirée du 16 février au Studio de
l’Ermitage. Ces derniers temps, ils se font rares. Certains ont pu les voir (en
sextet) au Duc des Lombards en 2012, ou en 2014 aux Nuits de Nacre, à Tulle, et
au Bluegrassfestival, à Rotterdam. Du coup, les retrouvailles n’en étaient que
plus chaleureuses (une tournée est en préparation au Canada et aux Etats-Unis). Autour du guitariste-chanteur-compositeur-arrangeur
Dominique Cravic, ils étaient huit sur scène : Claire Elzière (voc), Daniel
Huck (voc, as), Bertrand Auger (ts, ss, cl), Daniel Colin (acc), Jean-Michel
Davis (vib, dm), Jean-Philippe Viret (b), Mathilde Febrer (vln), Fay Lovsky
(voc, uku, thrm, scie musicale). Sans oublier les invités! Ils étaient
nombreux pour nous offrir un concert plein de grâce, de beauté, d’humour,
d’émotion. «World Musette», «Tribal Musette», les titres de leurs disques (aux
pochettes splendides de Robert Crumb) annoncent la couleur: du musette,
du swing, de la chanson française, de la fantaisie, de la nostalgie, des
parfums exotiques, et des histoires. Cet orchestre remarquable nous raconte
avant tout de belles histoires. Dans la «Java viennoise», Claire Elzière nous
chante les aventures de la fille de Freud, qui a le béguin pour un certain
Louis le Gambilleur. Puis, direction Cuba avec «Kid Chocolat», le
champion du monde de boxe poids plumes dans les années 1930, et puis «Chanson
pour Louise Brooks». Avant de repartir pour la Chine avec la «Valse
chinoise», et le quartier de Barbès avec «La Femme panthère et l’homme
sandwich», Daniel Huck et Fay Lovsky nous offrent un blues plein d’humour. Du
scat à la chanson française, de l’ukulélé à la scie musicale et au thérémine,
du 18 e arrondissement de Paris à l’autre bout du monde, l’imagerie ne pourrait
être plus poétique. Chez les Primitifs du Futur, tout est poétique, tout est original,
tout est subtil. Dans la seconde partie de la soirée, place aux chansons à
textes ciselées. En ouverture, la valse hawaïenne «J’écoute la guitare»,
chantée en 1932 par Jean Lumière, suivie de la superbe chanson «Ton manteau
gris» (Cravic, Paringaux). Histoires d’amitié aussi. Les invités se
succèdent, chacun avec un instrument qui ajoute une saveur supplémentaire à
l’orchestre, et une étrangeté aussi. Voilà les guitaristes Hervé Legeay et Max
Robin pour «La bicyclette» en hommage au grand Pierre Barouh, qui s’est
éteint le 28 décembre 2016. Evocation aussi du génial Allain Leprest, avec
«Marabout Tabou», dont Dominique Cravic et Claire Elzière défendent le
répertoire (et lui ont consacré le disque Claire Elzière chante Allain Leprest,
Saravah, 2014, un vrai bijou). La Japonaise Mieko Miyazaki, vêtue d’une tenue
traditionnelle, monte sur scène. Elle installe son koto, une sorte de longue
cithare posée à plat, et nous joue un blues! L’effet est épastrouillant.
Et ce n’est pas fini! Voilà les musiciens algériens Mohamed El Yazid
Baazi (oud) - grand défenseur de la musique chaâbi - et Khireddine Medjoubi
(darbouka). L’orchestre nous joue alors une «Valse orientale» et «C'est la
Goutte d’Or qui fait déborder la valse». Un plaisir! Le dernier thème de
cette magnifique soirée est peut-être l’un des plus nostalgiques des Primitifs
du Futur (d’autant plus qu’il est dédié à Dédé Roussin): le «Dernier musette» avec, en ouverture, Daniel Colin à
l’accordéon puis Michel Esbelin à la cabrette, la cornemuse auvergnate. En
rappel, «Passez la monnaie» (la version française de «We're in the Money»,
chantée dans le film Gold Diggers of 1933 de Mervyn LeRoy). Un signe envoyé par
le pince-sans-rire Dominique Cravic aux programmateurs de clubs et de
festivals qui seraient bien inspirés de donner à cet orchestre la place
qu’il mérite? MPUn duo de haut vol nous était proposé au Duc
des Lombards, le 18 février: Martin Taylor et Ulf Wakenius, deux
guitaristes qu’une grande complicité unit audiblement. Sideman de Stéphane
Grappelli durant plus de dix ans, l’Anglais Martin Taylor est passé maître dans
l’art du finger picking, capable de faire sonner sa guitare comme un petit
orchestre en jouant simultanément les rythmiques et les lignes mélodiques. Le
Suédois Ulf Wakenius, pour sa part, fut un des derniers compagnons de route
d’Oscar Peterson, aidant le grand pianiste à pallier la faiblesse de son bras
gauche conçue à la suite d’un accident vasculaire cérébral qui l’a privé d’une
partie de ses capacités motrices. Développant chacun un sens rythmique hors pair
au cours de ces expériences formatrices, les deux musiciens se découvrent dès
l’origine une complicité profonde, acquise au fil de collaborations
fructueuses. Cette tournée s’intitule «Legacy», et ce mot va
prendre tout son sens puisque le set débute par un hommage à Barney Kessel, que
Martin Taylor seconda en compagnie de Charlie Byrd (superbe version de
«Blues for a Playboy»). Les guitaristes enchainent avec «Two
for the Road» dont l’album éponyme fut enregistré en binôme avec Alan
Barnes. Déjà, les parties solos inspirées de Wakenius combinées avec la science
des arrangements et l’intelligence rythmique de Taylor font merveille,
transportant un public médusé par l’aisance confondante dont font montre les
deux six-cordistes. Sans nous laisser reprendre notre souffle, ils entament
«Last Train to Hauteville», tiré du «Spirit of Django»
de Martin Taylor, et dont Stéphane Grappelli suggéra le nom en disant à son
guitariste qu’il avait su, sur cet enregistrement, capter l’esprit même du
génie de la guitare manouche. On imagine combien ce compliment dut émouvoir
l’Anglais, tant il met de soin et d’application à célébrer cette musique depuis
lors. On n’oublie d’ailleurs pas qu’on est en France puisque les deux hommes
évoquent«l’Hymne à l’Amour», d’Edith Piaf, un titre
interprété dans l’esprit de Django. Dans cette optique très roots, ils nous
proposent aussi «Lullaby for Birdland», de George Shearing,
véritable tour de force qui donne à entendre en filigranes le chant d’illustres
divas de l’histoire du jazz. En associant cet héritage à un sens de l’ouverture
très «world», Wakenius et Taylor effectuent fréquemment des
citations à caractère humoristique, tirées de la culture musicale populaire et
qui égayent un concert à la fois festif et musicalement très abouti. L’Amérique
est ainsi traitée au travers de la musique d’Ennio Morricone («Once Upon a Time
in America»), tandis que Martin Taylor nous parle d’une collaboration avortée
avec Stevie Wonder, et des conditions bien plus rémunératrices dans lesquelles
des musiciens comme les Rolling Stones effectuent leurs tournées. Autour des
variations en solo proposées par les deux duettistes, leur collaboration sur
«Oscar’s Blues», en hommage à Oscar Peterson, prend un relief tout
particulier, sans doute l’acmé d’un concert chaleureux et complice. Cet état
d’esprit se manifeste encore par un clin d’œil en direction de deux fans de
Youn Sun Nah, que Wakenius épaule depuis 2009, constitué par l’esquisse de
l’hymne coréen Aegukga, et la fin du concert approche avec «Down at
Cocomo’s» de Martin Taylor, une composition destinée à conjurer le manque
de soleil ressenti durant ses années d’enfance, de facture très caribéenne avec
capodastre, toucher pizzicato en palm mute, et tapping. Un moment magique par
essence. JPALe 21 février, il y avait de l’excellent jazz de part et
d’autre de la Seine: Rive Droite, au Sunset, Jean-Philippe O’Neill (dm)
avait réuni l’équipe avec laquelle il a enregistré son album Willie’O (voir
notre chronique dans Jazz Hot n°675): Ronald Baker (tp, flh, voc),
Philippe Petit (p) et Peter Giron (b). Le quartet du batteur a pour principale
qualité de s’exprimer, dans un idiome bop, sur un répertoire de compositions
qui plus est très réussies. Une caractéristique qu’il partage avec quelques
autres formations du même tonneau, notamment celles auxquelles appartiennent
ses membres, comme le Ronald Baker Quintet ou le groupe Men in Bop avec
Philippe Petit. L’occasion de souligner le talent de compositeur de ce dernier,
particulièrement prolifique, qu’on retrouve ici au piano plutôt qu’à l’orgue.
Pour autant, les thèmes apportés par O’Neill, Giron et Baker ne sont pas moins
bons (très réussi «Latina» du trompettiste). Un standard, tout de
même, «It Ain’t Necessarily So» permet à Ronald Baker de livrer un
solo pétillant. L’ensemble, enrobé de la finesse de Peter Giron et porté par le
groove du leader, est plus que plaisant. Rive Gauche, au Caveau de La Huchette, Olivier Defaÿs
(ts, as) et Philippe Chagne (ts) étaient en quartet avec François Laudet (dm)
et Guillaume Naud (org) qui remplaçait ce soir-là Philippe Petit (lequel n’avait
pas – contrairement à certains candidats à l’élection présidentielle – envoyé
son hologramme pour être présent en deux endroits). Arborant un gros son de
ténor, les deux saxophonistes on fait sonner leur quartet comme un big band. La
puissance de François Laudet, en soutien, n’y est pas étrangère («Tickle
Toe» de Basie). Voilà un groupe qui envoie du bois! Au deuxième
set, deux batteurs sont venus faire le bœuf: Stéphane Roger (qu’on
retrouve avec Philippe Chagne dans le groupe Tenor Battle), au drumming très
swing, puis Robert Ménière (autre complice de Chagne, au sein de Take 3), un
colosse à l’attaque explosive, qui a donné un solo spectaculaire. Le tout pour
le plus grand plaisir du public du Caveau -
fort nombreux pour un mardi soir – et notamment des curieux (repérables
à leur mine incrédule et ravie) attirés par l’engouement que le film La La Land
a créé autour du club (qui a vu sa fréquentation croître de 30%). Pourvu que ça
dure! JP
Aux Petits Joueurs, Daniel John Martin (vln, voc) nous
avait concocté, le 22 février, un joli plateau pour sa carte blanche
hebdomadaire du mercredi: Adrien Moignard (g) avec Benji Winterstein (g)
et Jérémie Arranger (b). Qu’il est réjouissant de constater que la tradition
Django se porte bien, vivifiée par le renouvellement des générations, nous
offrant encore en 2017 le plaisir d’être spectateur d’une expression artistique
enracinée dans la pratique communautaire et ouverte sur l’universalité. A 32 ans, Adrien Moignard est une des personnalités de la scène Django ayant émergé ces dernières années (il figure d'ailleurs au casting du biopic sur le divin guitariste à sortir au mois d'avril). Autodidacte, son jeu reste marqué par ses premières influences blues. Ces inflexions imprègnent en effet son interprétation du répertoire, nimbée d'une douce poésie. Une approche particulièrement réussie sur «Les Feuilles mortes» ou sur l'incontournable «Nuages». Daniel John Martin et son violon grappellien lui répondent avec une gaité au fond mélancolique, jouant des émotions contradictoires. C'est tout simplement beau et vrai. JPPour célébrer la sortie de l’album For Maxim. A Jazz Love
Story, dédié à son père ( voir notre chronique dans ce numéro), Julie Saury (dm)
avait pris, au Sunside, le 24 février, la tête d’un sextet tout entier dévolu à
ce projet d’hommage très personnel, soit: Aurelie Tropez (cl), Frédéric
Couderc (ts), Shannon Barnett (tb), Philippe Milanta (p) et Bruno Rousselet
(b). Les bases posées dès l’entame du concert sont très swing, avec les
premiers frisés de la batterie et ce sens du drive si caractéristique, mais on
note presque simultanément une volonté d’appropriation personnelle des
classiques interprétés. Les échanges de solos se font dans un esprit très bop,
tandis que les tempos et les orchestrations constituent le plus souvent de
véritables relectures de morceaux choisis pour leur ductilité, et nous
n’assistons pas ce soir à un revival traditionnaliste du jazz de New Orleans.
«Sweet Georgia Brown», «Moppin and Boppin» font ainsi
montre d’une certaine liberté au niveau des tempos, tandis que
«Avalon» est dotée d’un son
moderne et brillant, quoi qu’évoquant des ambiances nées à l’époque du ragtime
et du Harlem stride. «Indiana» témoigne d’une facture plus
classique, avec les traits rythmiques inspirés de Philippe Milanta, et le
groove puissant de Bruno Rousselet. «Basin Street Blues» et
«Crazy Rhythm» permettent d’apprécier l’authentique virtuosité
d’Aurélie Tropez qui brode à plaisir autour des thèmes dans un
esprit très dixieland. Frédéric Couderc brille lui par une grande polyvalence,
illustrée par un aspect multi-instrumentiste qui le voit utiliser un certain
nombre d’instruments à vent pas toujours identifiables, dont quelques sifflets
lui permettant de ponctuer avec humour les propos de son leader.
«The Song Is You» puis «Together» mettent en
valeur le talent de Shannon Barnett, aussi à l’aise dans le contrepoint
rythmique au trombone qu’en prenant le micro sur des classiques chantés, où son
timbre de voix irréprochable conquiert les amateurs les plus exigeants. Au
passage, ces titres confirment un point de convergence entre Maxim et sa fille
qui semble cristallisé autour du patrimoine vocal américain, d’où, sans doute,
un traitement très choral sur certaines pistes de l’album For Maxim. «Do
You know What It Means to Miss New Orleans» et «Dinah» sont
d’ailleurs des morceaux, seulement présents sur l’édition vinyle de l’album.
Julie Saury a en effet profité des fonds mobilisés par l’intermédiaire de la
campagne de financement participatif pour constituer une sorte de double album,
avec un track listing différent sur le CD et sur l’acétate. «Petite
Fleur» est l’un des grands moments du concert, avec un tempo lent et des
solos qui relèvent d’une déconstruction savante permise par Patrice Caratini,
l’auteur de l’arrangement préservant l’intégrité du chef d’œuvre. «St
Louis Blues» respecte la structure duelle de l’enregistrement studio,
précédé d’un solo de batterie tout en finesse et presque tribal par son
caractère percussif dénué d’ornementation (avec notamment un usage très
parcimonieux des cymbales et une hi-hat actionnée uniquement à la pédale, qu’on
retrouve sur la plupart des rythmes enlevés joués par la percussionniste).
«Les Roses de Picardie» est présenté comme l’un des titres favoris
du père de l’artiste, et à nouveau on sent la volonté de donner une relecture
moderne d’un classique lyrique. Le medley final, interprété en trio, vient
rappeler que le blues fait partie intégrante de l’héritage de Julie Saury, avec
des citations érudites qui achèvent de constituer ce qui restera comme un bel
hommage rendu à la musique de Sydney Bechet, Louis Armstrong et Fats Waller.
JPA
Textes et photos: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez Photo du concert de Julie Saury © Zancovision, by courtesy © Jazz Hot n°679, printemps 2017
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