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© Jazz Hot 2018


Paris en clubs
Décembre 2017

Le 2 décembre au Café Laurent, Christian Brenner (p) accueillait Damon Brown (cnt), en compagnie de Frédéric Delestré (dm) et de Bruno Schorp (b). «Ceora» de Lee Morgan permet d’entrée, avec son feeling latin, de se rendre compte que le phrasé impressionniste de Damon Brown se marie à merveille avec les standards revisités par ce qui constitue l’une des principales formations d’un pianiste cultivant la complicité et l’amitié au cœur même de son discours musical. «Straight No Chaser» est une piste de décollage pour les improvisations des solistes, avec une liberté de ton et des variations de tempo saisissantes. «On Green Dolphin Street», avec son climat intimiste, augure du climat de complicité esquissé par le groupe, tandis que «Have You Met Miss Jones» prend ses distances vis-à-vis de Chet Baker en développant ses chorus au cœur même de la mélodie, laissant les virevoltes autour du thème aux soins du seul Bruno Schorp, qui brille ici d’une polyvalence confinant à un brio certain. «I Could Write a Book», «If I Were a Bell» et «If You could See Me Now» confirment la veine chorale de la prestation, avec une prédominance de classiques du répertoire chanté choisis avec goût parmi les versions passées à la postérité en tant que fleurons du genre. Enhardi par l’excellente réception des premiers titres, Damon Brown se frotte à la griffe de Clifford Brown sur «Joy Spring», moment clé du set marqué d’une excellente performance de Frédéric Delestré, qui apprivoise les parties de batterie de Max Roach de manière exemplaire au vu de leur complexité (mention spéciale au jeu de cymbales sophistiqué développé pour l’occasion). «In Your Own Sweet Way» témoigne quant à lui de la capacité qu’a Christian Brenner de frayer avec d’autres instruments polyphoniques tels que la guitare, et qui pour mieux incarner cette correspondance délicate que la complicité miraculeuse qu’entretenaient Wes Montgomery et Tommy Flanagan. Le pianiste fait montre ici de toute sa science harmonique, faisant presque entendre le jeu en octaves manquant d’un complice joueur de cordes imaginaire. «Stella by Starlight» est aussi pleine de vie que la version d’Ella Fitzgerald, quoi que jouée avec un arrangement qui en fait un morceau instrumental à part entière, tandis qu’«All Blues» confirme le legs immense de la galaxie Miles Davis aux quatre musiciens, présent de multiples manières dans les atmosphères créées au sein de l’ancien siège du club Le Tabou. JPA

Frédéric Delestré, Bruno Schorp, Christian Brenner, Damon Brown © Patrick Martineau

Le 5 décembre, sur la péniche Le Marcounet, Jean-Pierre Como (ep) renouait avec ses racines en réjouissant le public présent des riches harmonies qui lui sont propres, caractéristiques des années jazz fusion et de Weather Report en particulier. Fondateur du groupe Sixun (avec Louis Winsberg et Paco Séry), le pianiste n’a eu de cesse, depuis ses débuts, de valider la vision de Joe Zawinul, qui voulait «jouer électriquement et sonner acoustiquement». Le claviériste fait honneur à cette esthétique en faisant usage d’un piano Rhodes qui ne change pas fondamentalement la donne, mais confère tout de même une énergie supplémentaire aux compositions interprétées par une formation de haute volée qui compte Christophe Panzani (ts, ss), Bruno Schorp (b), et Rémi Vignolo (dm). Bruno Schorp est, quant à lui, un contrebassiste polyvalent, capable de s’adapter à tous les registres. Après une entame de set dédiée aux racines italiennes de Jean-Pierre Como, on s’aperçoit que le quartet évolue comme un poisson dans l’eau au gré des multiples influences latines et méditerranéennes émaillant les compositions du leader, faisant de cette succession de rythmes épicés une véritable odyssée au pays des couleurs chatoyantes, et incluant même, ça et là, un feeling caribéen et sud-américain du plus bel effet. Sans qu’elle prétende à un fil conducteur aussi précis, on peut rapprocher cette appréhension de la musique jazz de l’acception plus orientalisante du Ôm Project de Christophe Wallemme, qui a lui aussi collaboré avec les deux compositeurs principaux de Sixun. Le début du second set est un moment de tension particulière qui voit le groupe étrenner le titre «Lucky Day» en avant-première de la sortie du prochain album de Jean-Pierre Como, Infinite, prévue pour septembre 2018. «Bye Bye Blackbird» prouve à ceux qui en douteraient encore que le pianiste peut renouer quand il le veut de façon fluide et convaincante avec les standards, et «Mandela Forever» est un moment émouvant entre tous, l’artiste souhaitant par là-même célébrer l’anniversaire de la disparition d’une figure appartenant à son  panthéon personnel, façon comme une autre de rappeler que le jazz authentique prend racine dans un universalisme que Sixun traduisait à sa façon par un joyeux métissage. Un premier rappel sur «Chorinho Amalfitano», de Dario Deidda, déjà joué lors du premier set et dont la longue introduction se trouve reprise à l’instigation du claviériste, et le groupe nous quitte sur «Alba» de Louis Winsberg, dont la tonalité acoustique de toute beauté constitue le terme naturel d’une prestation empreinte de sincérité, d’engagement et d’intégrité. JPA

Jean-Pierre Como Quartet © Patrick Martineau

Le 7 décembre au Sunset, le vibraphoniste Jean-Michel Davis fêtait la sortie de son nouvel album Vibraphone Jazz (Frémeaux & Associés). Bien accompagné de Frédéric Loiseau (g), Raphael Schwab (b), Julien Charlet (dm), il nous a concoctés un programme fin, léger, sensible, à base de standards («The Man I Love», «Flamingo», «Stardust», «My Romance»). Il les joue au vibraphone ou au marimba. Ça ne manque pas de classe. Et la présence de l’excellent Francis Varis (acc), si rare sur la scène parisienne, y est aussi pour quelque chose («Luba», «Rosetta», «Carioca»). Car c’est une véritable voix musicale, un jeu, une culture, un esprit. Tout cela aurait suffit à rendre cette soirée délicieuse. Mais qui dit Francis Varis, dit Dominique Cravic. Et les voilà réunis sur scène. C’est le concert dans le concert. Cordes et Lames ressuscité, avec Frédéric Loiseau entre les deux, comme l’était autrefois Didier Roussin. Les retrouvailles ne durent que deux thèmes. «Sweet Valse» et «Nina petite valse». Devant tant de beauté et de mélancolie, on regarde, on écoute. MP

François Lemonnier © Mathieu Perez

Comment rendre hommage au producteur Gérard Terronès (décédé le 16 mars 2017 à l’âge de 76 ans)? Lui qui a servi le jazz, comme peu l’ont fait, depuis 1965 (date de création de son premier club, le Blues Jazz Museum, dans une cave le l’Ile Saint-Louis), avec cet activisme, cet état d’esprit libertaire, cette curiosité de tous les instants, cette discographie foisonnante? Ce n’était pas simple. Il faut saluer l’énorme travail de préparation du tromboniste François Lemonnier pour avoir organisé une sorte de grand marathon jazzistique à l’image des goûts de l’homme au chapeau. Au programme: du free, du post-bop, de l’improvisation libre. Du jazz dans ce qu’il a plus de vivant, de plus éclectique, de plus cultivé, joué par les musiciens qui sont liés à Gérard et Odile Terronès, à cette grande aventure musicale et humaine. Le dimanche 10 décembre au Sunset et au Sunside, plus de soixante-dix musiciens ont répondu à l’appel (voir plus bas les formations qui se sont succédées).
Il y avait des absents. Dany Doriz, Michel Portal, Alexandra Grimal, David Murray, etc. (On pense aussi à Hal Singer, Joachim Kühn...) Certains étaient à l’étranger, d’autres avaient des problèmes de santé, explique Lemonnier dans son mot d’introduction avant de retracer le parcours de Terronès. Le discours est bref. La musique va parler de 17h15 à 1h du matin, chaque formation jouant une quinzaine de minutes, puis 30-45 minutes à partir de 20h30.

Michel Edelin, Sylvain Kassap, Dominique Lemerle © Mathieu Perez

Du jazz, rien que du jazz. Et une kyrielle de performances inoubliables. C’est une certaine histoire du jazz qui défile sur les deux scènes. François Tusques (p), en solo. François Jeanneau (ss) et Alain Jean-Marie (p), pour un «Lush Life» étourdissant. Jacques Coursil (tp), pour un solo épastrouillant. Joëlle Léandre (b), véritable shaman. De l’intensité, des voix créatives, de vraies sensibilités musicales, il n’y avait que ça. Cette soirée méritait d’être enregistrée pour la mémoire comme pour le plaisir de réécouter ces solos, ces thèmes, ces performances. Le bouleversant «St. James Infirmary» joué par François Lemonnier (tb) et Raphaël Lemonnier (p). Le set du magnifique sextet composé de Michel Edelin (fl), Sylvain Kassap (cl), Sophia Domancich (p), Dominique Lemerle (b), Simon Goubert (dm), Françoise Franca Cuomo (voc). Le solo éblouissant d'Alain Jean-Marie (p), accompagné de Gilles Naturel (b), John Betsch (dm), et Sylvia Howard (voc) sur «Just In Time». Oui, c’est toute une histoire du jazz qui a défilé sur les deux scènes du Sunset-Sunside plein à craquer jusqu’à la fin. Une histoire qu’on peut retrouver chez Futura et Marge
(http://futuramarge.free.fr), car bonne nouvelle: les disques des labels Futura, Marge, Blue Marge, Hôtel Marge, Impro, Jazz Unité, ne sont pas tous encore épuisés! MP

Jacques Coursil © Mathieu Perez   Bobby Few et Sylvia Howard © Mathieu Perez

Steve Potts et Gilles Naturel © Mathieu PerezLes formations qui se sont succédées au Sunside:
Sylvia Howard (voc), Raphaël Lemonnier (p), Nicolas Marinot (eb), Irakli (tp), Eric Barret (ts), Julie Saury (dm)
Claudine François (p), Sylvain Kassap (cl), Jef Sicard (as), Nicolas Morinot (eb), Alridge Hansberry (dm)
François Tusques (p) solo
François Lemonnier (tb) et Peeter Uuskyla (dm)
François Jeanneau (ss) et Alain Jean-Marie (p)
Manuel Villarroel (p), Gérard Marais (g), Noel McGhie (dm)
Eric Barret (ts) et Simon Goubert (dm)

Jacques Coursil (tp)
François Lemonnier (tb) et Raphaël Lemonnier (p)
Bobby Few (p), Harry Swift (b), John Betsch (b), Awa Timbo (voc)
Michel Edelin (fl), Sylvain Kassap (cl), Sophia Domancich (p), Dominique Lemerle (b), Simon Goubert (dm), Françoise Franca Cuomo (voc)
Jobic Le Masson (p), Steve Potts (ts), Rasul Siddik (tp), Gilles Naturel (b), John Betsch (dm)
Alain Jean-Marie (p), Gilles Naturel (b), John Betsch (dm), Awa Timbo (voc), Sylvia Howard (voc)
Laurent de Wilde (p), Gilles Naturel (b), Simon Goubert (dm)

Joëlle Léandre © Mathieu Perez

Et au Sunset :

Daniel Beaussier (bcl, sax) et Manu Pékar (g)
Gérard Marais (g) et Christian Lété (dm)
Françoise Franca Cuomo (voc), Cyril Trochu (p)
Jef Sicard (as), Richard Bonnet (g), Claude Barthélémy (b), Makoto Sato (dm)
Hélène Bass (vlc), Mirtha Pozzi (perc)
Joëlle Léandre (b)
François Lemonnier (tb) et Claude Barthélémy (b)
Paul Wacrenier (p), Xavier Bornens (tp), Arnaud Sacase (as), Mario Quaresimin (b), Benoist Raffin (dm), Steve Potts (ts), François Lemonnier (tb)
Richard Bonnet (g), Claude Barthélémy (g, b), Hasse Poulsen (g), Samuel Ber (dm), Caroline Faber (voc)
Alain Pinsolle (vib, acc) solo
Eugénie Kuffler (ts, fl, voc), Dominique Collignon (as, fl), Claire Gillet (b)
Nelly Pouget (as) solo


Odile Terronès © Mathieu Perez   Jean-Louis Chautemps et François Tusques © Mathieu Perez

Le 12 décembre , au Studio de l’Ermitage, Joran Cariou (p) nous présente The Path Up, son tout premier album paru chez Unit Records. Le Joran Cariou Trio est composé, en sus du leader et compositeur, de Damien Varaillon (b) et Stéphane Adsuar (dm), avec en invité ce soir Pierre Perchaud (g), qui est également présent sur l’album en tant que directeur musical. En co-headlining, le musicien suisse Marc Perrenoud (p) nous régale des harmonies célestes tirées de son récent album Hamra. Si l’œcuménisme présent sur l’album est parfaitement traduit ce soir, ce qui frappe le plus dans la prestation offerte est une poésie rémanente qui constitue le véritable fil rouge reliant l’ensemble des acteurs qui se succèdent sur scène. En quelques notes perchées, empreintes d’une tenue remarquable, un parfum liquoreux, des accents vaporeux évoquant la musique de George Gershwin et de Scott Joplin se dégagent en une formule qui relève de la sonate, laissant résonner les cordes dans un brouillard ouaté et poétique.
L’entrée en scène de Joran Cariou ne rompt pas cet état de grâce, eu égard à une introduction judicieuse au piano acoustique, avec une délicatesse de toucher qui ne le cède en rien au style chantourné de son prédécesseur. «Way Out» ouvre également l’album du pianiste et constitue l’entrée en matière idéale d’un projet longuement muri pour rendre, selon ses propres termes, «le monde un peu meilleur». «Catharsis» comporte un caractère polysémique qui confine au rébus, comme les mots d’un oracle qu’on aurait plaisir à déchiffrer au fil du temps. L’appréhension plus légère de « Spirit of Our Masters», censée représenter une méditation sur et autour des arts martiaux, suscite une petite note humoristique en forme de clin d’œil, sûrement destinée à désamorcer toute manifestation d’orgueil inappropriée à l’endroit et au moment. Au passage, on remarque le jeu de percussions atypique de Stéphane Adsuar, vraisemblablement rompu à d’autres styles de batterie que celui du straight jazz. L’enchainement avec «A Hint of Casualness» est proprement bouleversant, proposant au public présent une quasi-communication télépathique sur ce qui nous relie les uns aux autres. «Ambivalence», «Mala Rueda», et «Voyage Onirique» sont ensuite joués au côté de Pierre Perchaud à la guitare, ce qui ajoute une note  acidulée plus perçante à la musique délicate du trio. Le six cordiste travaille ses notes et ses timbres à la pédale de volume, rivalisant d’expressivité avec la contrebasse de Damien Varaillon, impeccable de bout en bout, et insufflant une petite note d’énergie convulsive à une musique par ailleurs soucieuse d’équilibre jusque dans ses derniers développements. Concluant sur «La Fin justifie les moyens», le groupe ne rate pas sa sortie, remerciant chaleureusement son public pour s’être longuement prêté à l’exercice d’une communion onirique, d’un classicisme et d’une modernité confondants. JPA

Joran Cariou Quartet © Patrick Martineau

C’est en sortant de ce genre de concert qu’on se demande bien pourquoi Ernest Dawkins n’est pas plus présent sur les scènes françaises. L’alto est connu pour son tempérament free jazz, il est un des piliers de l’AACM de Chicago. Il n’en reste pas moins à l’aise avec les standards et le straight ahead qu’il joue avec émotion et puissance. Il nous a ainsi montré l’étendue de sa palette musicale le 16 décembre au Square (Paris 11e). Un lieu atypique, un espace géant de coworking en rez-de-chaussée. Une association organisatrice de l’événement qui n’a rien à voir avec le jazz, le domaine de prédilection de Quatorze (http://quatorze.cc) étant plutôt l’architecture et la sensibilisation à une approche sociale de cette discipline. Un public composé de curieux. Durant deux sets (45 minutes chacun), Katy Roberts (p), Rasul Siddik (tp, perc), Dominique Lemerle (b) ont tout donné pour accompagner le leader, avouons-le, un brin directif de prime abord, avant de laisser à chacun de longs et beaux solos. Pour le répertoire, c’est à l’image de Dawkins, cultivé et éclectique, de «Beatrice» (Sam Rivers) à «Misty», en passant par le magnifique «Sweet Love of Mine» (Woody Shaw) et des improvisations libres. Et quelle générosité! Le leader invite une jeune poétesse puis un jeune rappeur à se joindre au quartet pour une performance. C’est que nos musiciens sont curieux de tout, ouverts à tout, et bienveillants. Ils nous ont offerts de vrais moments de partage et d’amitié. La soirée se termine avec «Paris Blues». Didier Haboyan (as) a rejoint la formation. C’est splendide. Tout le monde est emballé. Que demander de plus? MP

Ernest Dawkins © Mathieu Perez

C’est une découverte. Lynn Adib est Syrienne. Elle a étudié la médecine en France puis la musique au CRR. A 31 ans, elle partage aujourd’hui son temps entre son travail à l’hôpital et son activité de chanteuse. Côté jazz, elle a eu l’excellente idée de traduire les grands standards dans sa langue. Durant un set, on a découvert ainsi le 23 décembre au Sunside «Softly As a Morning Sunrise», «Body and Soul» ou encore «The Nearness of You» chanté en arabe. Il y a une grande sincérité chez Adib, une véritable émotion, une élégance. On sent qu’elle s’est appropriée ces chansons. «Waltz for Debbie», par exemple, elle le dédie à sa fille. Cela devient «Walt for Sara». Elle nous chante aussi deux chants traditionnels syriens, alterne des duos avec les instrumentistes. Alain Jean-Marie (p), Philippe Aerts (b) et Eric Barret (ts), trois musiciens d’exception. MP

Textes: Jean-Pierre Alenda et Mathieu Perez
Photos : Patrick Martineau et Mathieu Perez
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018


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Detroit
Drame historique de Kathryn Bigelow (143 min., USA, 2017)
Sortie en France le 11 octobre 2017

Ce film réalisé par Kathryn Bigelow sur un scénario de Mark Boal, journaliste, a été sorti en mémoire des 50 ans des événement; il  relate, dans une reconstitution factuelle clinique, plusieurs scènes survenues lors des émeutes de juillet 1967 à Détroit, tant dans des ambiances collectives (scènes de rues, des locaux de polices, concours pour la Motown, tribunaux) que de huis-clos, dont l’une des exactions s’est déroulée à l’Algiers Motel. Ce rappel historique de violence institutionnelle extrême permet une nouvelle fois de mettre en perspective les motifs (raciaux) avec les conséquences multifactorielles graves et durables sur une société, et de comprendre à quel point la trame dramatique d’une situation antérieure donnée ne se redresse jamais, car elle oblige les humains à se dépasser, ce qu’ils ne font que très rarement, surtout quand leurs avantages et privilèges en dépendent. A Detroit plus encore qu’ailleurs aux Etats-Unis, et y compris sous la récente présidence Obama, les difficultés des Afro-Américains, n’ont fait qu’empirer (augmentation des inégalités à la fin de son second mandat), allant jusqu’à la déclaration de  faillite de la ville en juillet 2013: «Motor City» a perdu son industries, ses emplois, 60% de sa population, 90% de sa superficie habitable, la moitié des 40% restants de ses habitants étant sans emploi, ils sont à la rue, les collections d’art sont en péril, les retraites publiques, les prestations de sécurités, sanitaires et sociales ont été drastiquement réduites, mettant des personnes âgées à la porte des maisons de retraites, parfois à la rue aussi. Le bilan  aujourd’hui: les finances municipales seraient assainies au prix de cette saignée, l’automobile a fait place à la mode du moment, l’agriculture bio, surtout quand le prix de la main d’œuvre reprend le chemin des champs de coton. Ce qui fait que certains manipulateurs pensent que Kathryn Bigelow et Mark Boal n’étaient pas «légitimes» pour faire un tel film, est que rappeler les périodes ouvertement honteuses de l’histoire d’un Etat envers ses citoyens, empêche les esprits de s’endormir dans un révisionnisme déculpabilisant. On pourrait croire que la musique, la Motown, ne concerne que les oreilles et le plaisir, c'est pourtant bien plus compliqué...

Jazz Hot
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018


Paris en clubs
Novembre 2017

Spike Wilner, c’est un pianiste, un patron de club, et une marque: le Smalls, un club new-yorkais qui cartonne (avec un billet d’entrée abordable), une programmation passionnante qui donne sa chance aux jeunes (trois concerts par soir), un état d’esprit 100% jazz, le souci de conserver cette mémoire en enregistrant chacun des sets depuis 2007 (disponibles sur la plateforme Smallslive.com). Le Smalls, c’est un terreau fertile qui a donné des centaines de musiciens et un lieu où des anciens de retour à New York, comme Johnny O’Neal, ou moins présents sur la scène new-yorkaise peuvent s’exprimer. Lorsque Spike Wilner est à l’étranger, en Europe ou en Chine, comme à Paris le 4 novembre au Duc des Lombards, c’est pour défendre cette culture du jazz avec son SmallsLIVE All Stars, composé de musiciens qui, comme lui, ont fait ses armes au Smalls dans les années 1990: l’épatant Ryan Kisor (tp), l’éclatant Joel Frahm (ts), l’efficace Tyler Mitchell (b), le brillant Anthony Pinciotti (dm). Un quintet rompu à toutes les situations. Une soirée pleine de swing et d’enthousiasme. Pour le répertoire, le pianiste pioche dans ses compositions, nous joue son emblématique «Hopscotch» comme le magnifique «East Village Enamorata» ou encore «It’s the Talk of the Town» un de ces thèmes des années 1930 qu’il nous interprète en solo. Du beau jazz. Spike Wilner peut prêcher la bonne parole du jazz dans ses newsletters, lors de tournées ou des master-classes qu’il donne au Prins Claus Conservatorium, à Groningen (Pays-Bas), il en a le talent, comme pianiste et entrepreneur. Dommage que, ce soir-là, les patrons de club parisiens ne soient pas venus jeter un œil et une oreille. MP

Dee Dee Bridgewater au Théâtre Simone-Signoret (Conflans-Ste-Honorine) © Mathieu Perez

En pleine tournée, Dee Dee Bridgewater faisait escale en France début novembre pour jouer son nouvel album Memphis... Yes, I’m Ready (Okeh). Elle nous l’a dit (voir son interview dans ce Jazz Hot n°682), ce disque participe à sa recherche de racines. La démarche est très personnelle. Dix ans après son voyage au Mali, elle est revenue à Memphis, dans le Tennessee, où elle est née et a vécu ses trois premières années. C'est un retour aux sources, plein de chansons qu’elle écoutait, adolescente, à Flint, dans le Michigan sur la radio WDIA (la première station dédiée à la musique afro-américaine, ouverte en 1947 à Memphis).
Et c’est une Dee Dee en pleine forme que nous avons retrouvé le mardi 7 novembre à La Cigale, puissante, sensible, émotive, généreuse, pleine de grâce. Elle présente chaque titre en français, plaisante avec le public, raconte des histoires. A Paris, Dee Dee est chez elle. Et elle est venue bien entourée: Farindell «Dell» Smith (p, kb, org), Barry Campbell (eb), Charlton Johnson (g), Carlos Sargent (dm), Curtis Pulliam (tp), Bryant Lockhart (ts), et les excellentes Monet Owens et Shontelle Norman (voc). Deux sets d’une heure chacun (le premier était le plus réussi, notamment avec le titre «Yes, I’m Ready» (Barbara Mason), qui a balayé tout le reste.) Un show bien rodé, bluesy à souhait. Mais avouons-le: la réception du public parisien était assez froide, surtout lors du premier set. Il espérait peut-être du jazz? Et des clins d’œil à Billie et Ella? Plutôt qu’à Gladys Knight & the Pips («Giving Up»), Ann Peebles («I Can’t Stand the Rain») et aux Staple Singers («Why»)? Les spectateurs ont chaleureusement accueilli les tubes de Otis Redding («Try A Little Tenderness»), Big Mama Thornton («Hound Dog»), B.B. King («The Thrill Is Gone»), etc. Le blues et la soul, le patrimoine musical de Soulsville, Dee Dee Bridgewater les célèbre, elle les fête avec son jeu si naturel, sa voix capable de mille nuances. Le magnifique «B-A-B-Y» (Carla Thomas) conclut la soirée, avec, en rappel, un inattendu «Purple Rain». Belle soirée, malgré un public lent au démarrage.
Rien à voir avec le concert donné au Théâtre Simone-Signoret, le vendredi 10 novembre à Conflans-Sainte-Honorine (78). Dès son arrivée, dès les premiers titres joués, la chanteuse tient les spectateurs. Elle attaque avec «Going Down Slow» (Bobby Blue Bland), enchaîne avec «I Can’t Get Next To You» (Al Green), puis «Giving Up» et «Yes, I’m Ready» (Barbara Mason), etc. Cette fois, le courant passe. Entre la chaleur des spectateurs et la générosité de Dee Dee Bridgewater et son Memphis Soulphony, cette musique soul qui touche tant la chanteuse, on la sent vraiment. A Conflans, c’est le blues assuré! MP

François Michaud et Viviane Arnoux © Patrick Martineau

Le 11 novembre 2017 à la Bellevilloise, le duo fondateur de MAM, Viviane Arnoux (acc, voc) et François Michaud (vln), fête ses 25 ans de carrière au long d’une soirée jalonnée de multiples performances et apports de leurs invités d’un soir et de toujours. Cette tournée anniversaire, destinée notamment à promouvoir la sortie de leur anthologie, 25 ans, et du DVD Jazz in My Musette, alterne plusieurs dates parisiennes avec des salles de province, ainsi que plusieurs concerts en Corse. Le concert de ce soir célèbre toutes les périodes de la formation, avec les personnes qui ont épaulé les deux leaders tout au long de leur parcours. Bien sûr, l’aspect composite et métissé de la musique proposée par MAM est encore accru par l’évocation simultanée des différentes formules du groupe, et nous n’avons pas là affaire à du jazz dans la plus pure acception du terme. L’appellation de swing musette, tirée d’une de leurs précédentes œuvres, correspond peu ou prou à une définition possible de leur musique, malgré la variété des territoires explorés, accrue encore par le caractère hétérodoxe de la personnalité des musiciens, chanteurs et danseurs qui se succèdent sur scène. Après une introduction en duo, justement intitulée «Simply Two», Alain Grange (cello) rejoint la scène pour un festival de cordes et de rythmes sur «Major Dom Tom» avec Sylvain Pignot (dm), soit un quartet qui n’avait plus joué ensemble depuis 2004, et qu’on retrouvera en plusieurs occasions pendant le concert. C’est peut-être avec François Parisi (acc) que MAM exprime le mieux sa parenté avec l’esprit et les valeurs du jazz, en tout cas de manière particulièrement convaincante. Instrumentiste chevronné, il irrigue les lignes mélodiques de François Michaud de sa verve à la fois aride et généreuse sur «Folk in My Musette», bien que ce soit peut-être sur «Alcantara» que l’alchimie propre à MAM opère le mieux, prouvant par l’exemple sur une composition de l’accordéoniste sicilien les capacités d’adaptation du trio, quelque soit l’idiome de musique populaire abordé. Cela devient évident avec la présentation du «tube» de François Parisi, «Annie Zette», tandis que. «Flammes» fournit l’occasion de présenter la fille de Viviane Arnoux, Pénélope, comédienne et chanteuse, dont les vocalises semblent flotter sur la musique du groupe, avec une sensibilité qui confine presque à la vulnérabilité (l’émotion semble d’ailleurs avoir eu son mot à dire en la circonstance). De par l’inclusion de plusieurs formes d’expression artistique, de la poésie psalmodiée évoquant le slam d’aujourd’hui, aux relents de théâtre nô apportés par le chanteur danseur japonais Sam (avec qui MAM a réalisé un album en 1998), on sent que la représentation tend vers une forme d’art total, à peine démentie par l’humilité non feinte et la bonne humeur manifestée par les protagonistes de la soirée. Viviane Arnoux se trompe avec malice dans ses annonces de titres, mais n’oublie bien sûr pas de remercier le public qui applaudit le climax expérimental de leur musique. Il s’agit en réalité davantage d’un esprit world music (le groupe célèbre aussi ses voyages et sa découverte du monde ce soir) que d’orgueil créatif à proprement parler, ainsi qu’en témoigne la participation remarquée de la danseuse Bérangère Altiéri-Leca sur «Rock Rage». Dans cette acception, les vocalises de Viviane Arnoux font immanquablement penser au jazz vocal des Manhattan Transfer, avec un côté européen qui les rapproche de ce que fait Stella Vander dans Magma. D’un point de vue strictement violonistique, il est sans doute possible de rapprocher les lignes mélodiques de François Michaud du travail effectué par Didier Lockwood et Jean-Luc Ponty à partir des années 70 (phrasés pizzicato, usage spectaculaire de l’archet envisagé comme un instrument à part entière). Il y a d’ailleurs un petit côté atlantiste chez le violoniste, sans doute né de ses liens privilégiés avec le Québec et le Canada.

MAM & guests © Patrick Martineau

Le second set, plus moderne dans l’esprit, introduit Paul Vignes (kb, human beat box) qui apporte un souffle electro hip hop sur «Time 4 Grooves», ainsi qu’un «French Gambettes» que n’aurait sans doute pas renié Gene Kelly. Même si la participation de Michèle Arnoux au chant (mère de l’accordéoniste) semble constituer un retour dans le temps par sa reprise de Fréhel «La Môme Catch-Catch» (ponctuée de vivats des spectateurs), cette saudade immanente sert admirablement le propos du groupe lorsque la guitare Selmer de François Hégron (g) s’immisce dans le mix, matérialisant le lien unissant cette musique à l’esprit sinon la lettre des œuvres de Stéphane Grappelli et Django Reinhardt. Le concert se termine sur une reprise presque gospel de «Child in Time», de Deep Purple, classique du rock interprété de façon chorale sur scène par l’ensemble des participants à la soirée anniversaire, et traversé d’un solo de guitare électrique fiévreux comme celui de Ritchie Blackmore en 1970. Une ode à l’harmonie entre les peuples d’une puissance évocatrice certaine en ces temps troublés par le manque de cohésion sociétale. JPA

Lenny Popkin © Mathieu Perez

Vous souvenez-vous de l’interview de Connie Crothers parue dans Jazz Hot n°677? La pianiste nous racontait notamment qu’un soir, elle jouait avec son vieux complice Lenny Popkin au Blue Note un premier lundi de la nouvelle année. Le club était plein. Les amateurs présents ce soir-là ne semblaient pas savoir qui étaient les musiciens sur scène ni vraiment ce qu’ils jouaient: «Durant le premier titre, on sentait le public un peu mal à l’aise. Au deuxième, ça se réchauffait. Au troisième, on les tenait! On le sentait. J’ai fait quelque chose que je n’avais jamais fait là-bas. J’ai dit aux autres membres du groupe qu’on allait faire une longue séquence free en trois parties, et qu’on appellerait ça une suite. (Rires) J’ai donc annoncé au public qu’on allait jouer une suite pour fêter la nouvelle année. Ça a cassé la baraque! Les gens applaudissaient, riaient, s’amusaient! Ils ont adoré!» C’est exactement ce qui s’est passé le vendredi 17 novembre au Sunset lors du concert inoubliable du ténor Lenny Popkin avec son trio, composé de Gilles Naturel (b) et Carol Tristano (dm). Là aussi, le club était plein. Un bon nombre de spectateurs semblaient découvrir le ténor pour la première fois. Les chanceux assis aux premiers rangs entendaient les rares paroles du leader, qui parlait sans micro, presque en chuchotant. Et c’est parti une soirée pleine de standards et d’improvisations vertigineuses. Nous voilà bercés trois sets durant par le son feutré du ténor qui tire des graves une infinie beauté et une puissance de tous les instants. Le tandem Popkin-Tristano est fusionnel, on le sait. Leur musique est d’autant plus intense. Et avec le magnifique contrebassiste, le trio atteint des sommets. Ces trois musiciens se connaissent bien, jouent ensemble depuis longtemps, s’apprécient, sont soudés. Ils donnent tout. Cela s’entend. Puis, Popkin et Tristano se lancent dans une longue improvisation, de celles qui s’envolent dans les airs. Un dialogue sans concession, poétique, superbe. Le feeling de cette musique, les spectateurs l’ont bien senti. Ils applaudissent à tout rompre. En sortant, on y repense encore, à cette musique, à ce feeling, on réécoute Time Set, le dernier album du trio. Quel son! MP

Lew Tabackin © Mathieu Perez

Impossible de rester insensible au gros son du saxophoniste Lew Tabackin au ténor («Tanuki’s Night Out»), encore moins à la beauté des (rares) thèmes joués à la flûte («Desert Lady»). Ce samedi 18 novembre au Sunside, le leader était entouré de l’excellent contrebassiste belge Philippe Aerts (il vient de jeter l’ancre à Paris), qui l’accompagne depuis des années lors de ses tournées européennes, et de l’impeccable Mourad Benhammou (dm), qui affiche six ans de collaboration au compteur. Ce trio magnifique a offert aux amateurs venus nombreux (le club était plein à craquer) trois sets pleins d’intensité et de virtuosité artistique. Il suffisait de voir l’air enchanté du flûtiste classique et chef d’orchestre Patrick Gallois. Et lui, il connaît la musique. MP

Il est des lieux en dehors du temps et des modes. Des salles en dehors du circuit des clubs parisiens et de ce qu’on nomme les «must see» du moment. Des endroits spacieux, bien sonorisés, qui ne souffrent pas de la promiscuité forcée occasionnée par la saturation d’un réseau de salles consacrées. Ainsi en va-t-il de la Maison Pour Tous Gérard Philipe à Villejuif (94) en cette soirée du 23 novembre, où Luigi Grasso (as, ss) va présenter The Greenwich Session, formation née d’une inflation naturelle du Luigi Grasso quartet, partie intégrante de la saison 2017-2018 de Jazz en Ville. Le nonet, composé de Thomas Gomez (as), Balthazar Naturel (ts,engh), Armand Dubois (flh), Emilien Véret (bcl), Malo Mazurié (tp), Yves Brouqui (g), Fabien Marcoz (b) et Stéphane Chandelier (dm), se révèle souverain sur un répertoire composé essentiellement de matériel original conçu, développé et orchestré par le leader. Adoubé par Wynton Marsalis en personne, qui salua en lui l’un des tout meilleurs jeunes saxophonistes de sa génération, Luigi Grasso brille par une polyvalence qui lui permet d’aborder la scène en chef d’orchestre plutôt qu’en simple instrumentiste, un esprit et une ambition présents depuis toujours chez le jeune musicien, et qui trouve en quelque sorte une consécration dans la constitution de ce qui ne représente pas à ses yeux un authentique big band, mais plutôt une petite formation telle qu’on l’envisage en musique classique. Son oreille absolue lui fait clairement distinguer ce que l’oreille du profane ne perçoit qu’à grand peine, comme le registre de la clarinette basse et celui du basson (formidable Emilien Véret). Les titres s’enchainent avec le plus grand naturel, ce soir, devant un parterre d’amateurs de jazz médusés par une telle maîtrise des timbres et de l’image sonore, bien mis en valeur par l’équipe présente à la console. On sent que cette projection précise du son est tout à fait conforme à la vision initiale qu’avait Luigi Grasso de ce projet, et les différentes couleurs apportées aux compositions introduisent à une sorte de musique du monde, qu’il convient de distinguer de ce que d’aucuns nomment la world music en ce qu’elle célèbre les différentes cultures traversées dans toute leur singularité, plus qu’elle ne propose une vision unifiée de la culture planétaire. Le mambo cubain de «Mariposas Mambo» voisine ainsi avec les harmonies turques de «Taksim Olagamustu», après que le feeling d’outre-Rhin du premier morceau interprété a surpris une partie du public présent, qui n’attendait certainement pas un référentiel musical et une grille de lecture aussi riches.

Luigi Grasso & The Greenwich Session © Patrick Martineau

Après une outro de fin de premier set, tirée du répertoire de Thelonious Monk, la pause permet de constater que le public présent perçoit des effluves de New Orleans parmi les influences présentes dans les morceaux interprétés par les musiciens. Le saxophoniste n’oublie pas de célébrer son expérience parisienne au travers de sa composition «The Three Red Trees» qui représente un hommage très personnel aux trois arbres rouges présents devant la fenêtre de son appartement, alors qu’il résidait à la Cité Universitaire. Il introduit également la figure de China Moses qui lui a offert le poste de directeur musical au sein de sa formation, et lui exprime sa gratitude au travers de la mélodie de «Champagne Is to Blame», transfigurée par l’expérience de la scène et une version instrumentale de haute volée. Le moment le plus émouvant du concert est sans aucun doute l’interprétation de «Turbo Shot», conçu par le frère de Luigi, Pasquale Grasso, avec un arrangement du saxophoniste auquel il semble accorder la plus grande importance, tant le morceau comporte des accents fraternels et chaleureux. Le concert se termine sur «Epistrophy» de Monk, que le compositeur préfère sans doute ici pour des raisons esthétiques à un «Round Midnight» qui reposerait essentiellement sur l’inspiration et le feeling du moment. Car c’est peut-être là le véritable secret de Luigi Grasso, dont la formation propose en rappel l’immense «Fontainebleau» de Tadd Dameron, une ballade dont il nous dit qu’elle est peut-être la plus belle jamais composée, et qui comporte des sections bien identifiables, avec des breaks judicieux et structurants qui ne compromettent en rien sa fluidité. Il est sans doute permis de voir là le dessein ultime des blues lents qu’affectionne l’artiste, sorte de théorie de la forme qui vaut confirmation de la vision musicale inhérente aux compositeurs qui l’agréent. Un bien beau concert, en forme de carte postale personnalisée envoyée des quatre coins du monde. JPA

Talib Kibwe © Mathieu Perez

Talib Kibwe
connaît bien Paris. Le saxophoniste et flutiste américain y a vécu de 1982 à 1989. C’est pendant son séjour en France qu’il a rejoint la formation de Randy Weston (qui vivait alors à Annecy). C’est aussi grâce à son premier disque en leader, Egyptian Oasis (sorti en 1986), enregistré avec Bobby Few (p), Louis Petrucciani (b) et Sangoma Everett (dm), qu’il a eu l’opportunité de tourner trois fois à travers l’Afrique. Son dernier album, Amour, est un retour en arrière sur ses années parisiennes. Un album sous forme d’hommage, plein de saveurs, exprimé dans un jazz contemporain, exigeant, ancré dans une histoire, et sans nostalgie. Deux standards en tout («Infant Eyes» et «La Petite Fleur»), le reste de l’album se compose de thèmes originaux composés pour l’occasion («Parisian Memoir») ou de thèmes réarrangés, composés dans les années 1980. Bref, un répertoire très riche qu’il est venu partager le samedi 25 novembre dans un Sunside plein à craquer, avec anecdotes racontées en français, une bonne dose d’humour, de clins d’œil, de pensées envers une génération de musiciens qu’il a côtoyés («Abdoulaye», il l’a dédié au batteur et fondateur du groupe sénégalais Xalam, Abdoulaye «Prosper» Niang décédé en 1988, avec lequel il a joué et tourné en Afrique; «ElvinElpus», à Elvin Jones). Cette générosité, ses sidemen n’en manquaient pas: l’étincelant Olivier Hutman (p), l’ultrasolide Nicola Sabato (b) et le vieux complice John Betsch (dm), dont la rencontre avec Kibwe remonte à la fin des années 1970 lorsqu’ils accompagnaient Abdullah Ibrahim. C’est même avec le pianiste sud-africain que le saxophoniste joua pour la première fois à Paris. En 1977, aux Bouffes du Nord, avec John Betsch... Une soirée pleine de réminiscences d’un Paris gorgé de jazz, qui l’était encore un peu plus en 1985, lors du tournage du film Autour de minuit de Bertrand Tavernier. Face à un public qui en redemande, resté toujours aussi nombreux jusqu’à la fin du troisième set, quel meilleur finale que «Round Midnight»? MP

On a beau voir et revoir le pianiste Harold Mabern et le ténor Eric Alexander à chacun de leur passage à Paris, on ne se remet jamais tout à fait de leurs performances, tant elles donnent le tournis. Ce sens du swing, du blues, ce naturel, ce jeu immédiatement reconnaissable où tout est supérieur, l’expression d’une tradition du jazz, d’une façon personnelle de la prolonger avec sa sensibilité, ses racines musicales, c’est tout cela Harold Mabern et Eric Alexander. Un état d’esprit, un enthousiasme, une générosité, une rigueur, une exigence. Et tout cela ne manquait pas le mardi 28 novembre au Duc des Lombards. Pour cette tournée européenne, ils étaient accompagnés de l’épatant Daryll Hall (b) et de l’impeccable Bernd Reiter (dm). Si la veille, ils se sont fait dépouiller du côté de la gare de l’Est, qu’ils n’ont plus un rond, comme ils l’expriment non sans humour dans «How Insensitive» et «Everything Happens To Me», c’est comme si ce n’était plus qu’un mauvais rêve. Ils piochent dans le répertoire de Monk («Blue Monk»), dans les deux derniers albums de Mabern («The Iron Man»; «Bobby, Benny, Jimye, Lee, Blu»), se lancent dans «I Get A Kick Out Of You», réarrangé par Mabern et rendu méconnaissable. La classe! Les programmateurs de festivals de jazz qui brillent par leur absence en clubs seraient bien inspirés de venir écouter ce beau jazz. Pourquoi se braquer? MP

Textes: Jean-Pierre Alenda et Mathieu Perez
Photos : Patrick Martineau et Mathieu Perez
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018


La Jazz Station © Pierre Hembise

Autumn in Brussels
Septembre-novembre 2017

Jazz Station

Le 8 septembre, une rupture de canalisation d’eau à la chaussée de Louvain a provoqué une grande coulée de boue qui s’écoula en aval avec, pour conséquence un affouillement de huit mètres de profondeur juste en face de la Jazz Station. Tous les riverains avaient été priés d’évacuer car on craignait un effondrement du tunnel situé en dessous des immeubles. Les voies du chemin de fer ont été dégagées tandis que les vérifications concernant la stabilité de l’immeuble ont été effectuées in extremis pour permettre la tenue du concert d’ouverture de la saison 2017-2018.

Shaï Maestro et Petros Klampanis © Pierre Hembise

Alors qu’il fallait encore attendre la fin des travaux pour rouvrir la circulation sur cette artère, nous avons vaillamment longé les tranchées pour participer à la première soirée du 29 septembre: une rencontre entre l’Israélien Shaï Maestro (p), le Grec Petros Klampanis (b) et un quatuor à cordes berlinois. La surprise nous trouva dubitatifs dès le premier morceau: un long solo de contrebasse travaillé au loop: percussions sur le corps de l’instrument, superposition de trois lignes rythmiques, d’une ligne de basse dominante, un chorus en accords, une ligne mélodique, un jeu post-chevalet et, bien évidemment, quelques dissonances! Le deuxième thème, «Minor Dispute», introduisit fort heureusement le pianiste israélien et le quatuor (deux violons, un alto, un violoncelle). Le troisième débuta par des questions/réponses entre le bassiste loopé et les cordes, suivi de très beaux échanges entre le contrebassiste et le pianiste. Le swing teinté d’orientalisme est séduisant. Avec «Little Blue Song» qui évoque les paysages enchanteurs de son île natale, Petros Klampanis nous livre une suite écrite, avec des changements de tempos qui envoient les cordes dans les bottes de paille. Seul, Gregor Fuhrmann (cello) parvint à négocier tous les virages sans sortie de route. «Tough Decision», plus simple, avec des murmures chantés, précède «Individual Colors»: un extrait de «Chroma»qui a le bonheur de mettre en valeur la fougue, l’inspiration et le grand talent de Shaï Maestro. Suivent: «Hariklaki», un duo de piano et de basse, puis «Autumn Leaves», un solo de contrebasse doublé d’un chant en recordings de loops. En final, «Monkey Business», une œuvre d’inspiration pakistanaise. Au long du concert, nous avons eu droit à un jeu de contrastes et d’oppositions entre les jazzmen et les cordes, entre des solos de piano qui swingue, des chipotages de basse et des backings de strings pas toujours en place. Il y a de bonnes idées dans l’écriture du contrebassiste de Zakynthos, mais on aurait aimé dans son chef un peu plus de retenue, moins d’artifices (revoicings). Sans Shaï Maerstro, enjoué, lumineux, nous aurions sans doute beaucoup moins apprécié la soirée.


Le 28 octobre, à l’invitation du Goethe Institut, la Communauté germanophone de Bruxelles défilait en rangs serrés à l’entrée de la Jazz Station. Au programme, une délicieuse chanteuse, Natalia Mateo, accompagnée par un quartet comptant dans ses rangs: Simon Grote (p), Dany Ahmad (g), Christopher Bolte (b) et Fabian Ristau (dm). Natalia Mateo, polonaise de naissance (1983) a transité par l’Autriche avant de se fixer à Berlin. Elle chante en polonais, en anglais et en allemand d’une voix claire mais fluette s’aidant avec parcimonie de la reverb’ et du loop. Tous les morceaux –originaux– usent de structures simples; les accompagnateurs servent la chanteuse avec délicatesse privilégiant des backings répétitifs. En fin de compte: de très beaux climats qui pourraient sans doute plaire à Manfred Eicher!

Sam Gerstmans et Delphine Gardin © Pierre Hembise

Sam Gerstmans (b), qu’on apprécie régulièrement comme sideman relevait, le 10 novembre, le défi d’une carte blanche, sa toute première. Il nous avouera plus tard qu’il était paniqué à l’idée d’imposer ses choix comme leader. Qui l’eut cru? En trio, avec Tom Callens (ts, cl) et Victor Da Costa (g), il nous a éblouis de sa maestria: justesse, puissance, swing, inventivité des solos, bon goût des arrangements. «Childs Play», co-écrit avec Tom Callens, puis«Dance For Dad» en lead-clarinette; «Black Diamond», une composition de Roland Kirk joliment arrangée; ensuite, «Evening Fall in Melancholy», un original de Tom Callens qui nous fait apprécier la rondeur du son et le léger vibrato qu’il pratique au ténor. Pour le cinquième morceau, Sam Gerstmans invitait une chanteuse totalement inconnue à les rejoindre sur «My Man». Bouche bée, on découvre Delphine Gardin: un timbre de contre-alto, net et bien assuré. Elle vient de la pop mais le bassiste promet de la faire travailler son jazz; on l’écoutera encore en seconde partie sur «Little Girl» de Nat King Cole. Pour sûr, il faudra la suivre à l’avenir! Le premier set se termine avec «S.O.S» de Wes Montgomery. Le thème est joué à l’unisson puis les solos se succèdent: ténor, guitare, contrebasse, stop choruses, break, bière, entracte. La seconde partie débute avec «Ephemerides», une composition de Guy Cabay, déclinée au début des années 1980 par Steve Houben & Strings. Le trio s’est joliment réapproprié le thème avec un long solo de ténor sur basse continuée. Avec «Revers», écrit par Victor Da Costa, Tom Callens s’illustre à la clarinette, précédant un solo superbe de Sam Gerstmans. Un bel original de Tom Callens précède «Versus», une démarcation de «All Blues» écrite par Sam Gerstmans. Suivent «Little Girl» avec Delphine Gardon puis «Ramble On» et le concert se termine sur «Autumn Leaves» avec un solo magnifique de contrebasse et un tonnerre d’applaudissements… largement mérité.

Chrystel Wautier © Pierre Hembise

Lundis d’Hortense à la Jazz Station


Avec le répertoire de son nouvel opus, The Stolen Book (Bonsaï Music), Chrystel Wautier (voc) nous revient fortifiée, le 15 novembre, par ses succès hexagonaux(au Sunset, entre autres). Pour l’accompagner, un quartet de haut vol parfaitement conduit par Cédric Raymond (p) et Lorenzo Di Maio (g). Jacques Pili (b) et Jérôme Klein (dm) assurent avec légèreté la pulsation rythmique. On a trop rarement l’occasion de voir et d’écouter Cédric Raymond derrière l’ivoire; contrebassiste efficace, inventif, sûr de son tempo, il a révélé ce soir: un joli doigté au piano («Be Town») et un goût parfait aux claviers pour enrober les mélodies. «Into The Dance», «No, We Can», «Conversation» précèdent un bel arrangement du tube de Souchon-Voulzy: «Le Soleil donne». «My Old Man», extrait du film Love Song From Apache, et «Let’s Fall» clôturent le premier set. Chrystel Wauthier est une musicienne complète; elle écrit la musique et les paroles de la plupart des morceaux. Au fil des ans, elle a pris de l’assurance; la voix est bien en place et les accompagnateurs servent la dame de manière magistrale; elle affirme aussi sa différence en évitant de scatter pourdonner priorité à l’harmonisation des chansons et la répartition des solos. Tout est bien structuré. Le swing est léger, l’agressivité proscrite. En deuxième partie, elle affirme la diversité de ses influences. Belge de La Louvière, elle est fille de pasteur et ukrainienne par ses grands-parents; une culture qu’elle a découverte à l’occasion d’un concert à Kiev pour les 25 ans de l’indépendance de cet ancien satellite soviétique.«Stolen Book» et «Far Away» témoignent de cette ambivalence. Suivent des morceaux où le gospel et le blues s’immiscent. Jacques Pili prend un beau solo à la guitare-basse sur «Far Away», Lorenzo Di Maio sur sa composition «Black Rainbow», Cedric Raymond… partout! «Happy Song» et «Before a Song» viennent clore un concert de très belle facture avec une organisation parfaite. Pas de longs solos, mais rien que du bon!

Olivier Collette © Pierre Hembise

Olivier Collette (p), s’était fait oublier pendant son séjour à Dubaï de 2004 à 2008. Rentré en Belgique, il crée Heptone en 2013: un club de jazz situé à Ittre, dans le Brabant wallon. L’année suivante, il se rappelle à nous avec son troisième album, 7 Views of a Secret, avec Raphaëlle Brochet (voc), Philippe Aerts (b) et Renato Martin (perc). Compositeur mâtiné de musique classique et de jazz, il séduit par l’attention particulière qu’il voue à la mélodie, ce qui le rend séduisant pour un public très large. Le 22 novembre, il était l’invité des Lundis d’Hortense pour un concert «Gare au Jazz». Entouré du redoutable Sam Gerstmans (b) et du mélodieux Matthias De Waele (dm), il a livré une musique en dentelles avec ses compositions: «Missing», «Conception»; un titre d’inspiration brésilienne: «Mittle Beyond»; un blues original: «Azur»; un renvoi à Charles Loos, l’aristo du piano: «Danse pachyderme»; «I Don’t Care»: un thème rockisant que renierait pas Herbie Hancock (avec un beau solo de contrebasse; une démarcation de «Cherokee» très (trop) sage: «Waltz for Charlie»; «Twistin’ Minor Blues»; une composition plus complexe: «The B Train» avec un doublement du tempo à la basse. Mais il y eut aussi de très belles relectures de l’Impromptu en Sol b-M de Schubert, un concerto d’Amadeus Mozart et un Nocturne de Chopin. Vous l’aurez compris c’est un peu le jazz du salon des ambassadeurs qu’il nous fut donné d’apprécier! Ce fut un beau concert pour l’écriture des compositions et pour la qualité des arrangements; un concert fin, mélodieux, léger mais sans surprises!

Texte: Jean-Marie Hacquier
 Photos: Pierre Hembise
© Jazz Hot n°681, automne 2017


Paris en clubs
Octobre 2017

Le 19 octobre, Dan Vernhettes programmait dans le cadre de Jazz en Ville, à la Maison pour tous Gérard-Philippe de Villejuif, Julien Brunetaud, auteur, compositeur, pianiste et chanteur. Accompagné ce soir Sylvain Fetis (ts), Bruno Rousselet (b) et Alex Viudes (dm), il donne la tonalité blues groovy dès les premiers titres. Le répertoire est tiré de son dernier album, Playground, avec «Down in the New Orleans», de «When I Grow»,«Mardi Gras in New Orleans». «Monty’s Boogie» est si vivement accompagné par le battement des mains du public que Julien en lâche son clavier pour marquer le mesure avec lui avant de présenter «Mes idéaux» son unique blues en français. Et le premier set de s’achever sur «When the Saints Go Marchin’ in». En deuxième partie de concert, le pianiste continue de développer sa musique entre blues, boogie et soul («I Wanna Ride», «Catalonian Night»), lequel se conclut sur un «Aladin Boogie» endiablé. Un garçon à suivre et une programmation qui devrait encourage les amateurs parisiens à franchir le périf’. PM

Julien Brunetaud Quartet © Patrick Martineau

Le 22 octobre, le trio de Jobic Le Masson (p), Peter Giron (b), John Betsch (dm), est une nouvelle fois invité par Steve Potts (as, ss) aux Ateliers du Chaudron, dans une salle où le saxophoniste assume des fonctions de directeur d’enseignement musical, ce dernier bénéficie d’un fort ancrage social. Nous avons déjà eu l’occasion de commenter les mérites de cette formation dans le précédent numéro de Jazz Hot. Si nous y revenons aujourd’hui, c’est parce qu’il est important de dire que c’est grâce à des musiciens de ce calibre et de cette qualité que le jazz d’aujourd’hui peut conserver ses valeurs et ses vertus formatrices. Le concert lui-même est basé, pour l’essentiel, sur les magnifiques titres qui composent «Song», dernier album sorti du combo. Mais conformément à l’esprit explorateur du jazz, ces morceaux sont ici délivrés dans des versions alternatives, assorties de changements de clé déroutants et de moult improvisations ludiques et spectaculaires, à telle enseigne qu’on est tenté de se pincer pour se convaincre qu’on assiste bien à un set donné dans une salle à dimension humaine, sachant que pareil spectacle pourrait aisément être donné en un lieu aux dimensions moins modestes. L’emprunt au précédent album du trio Hill très languide, constitue une sorte d’intermède acoustique avant qu’une intervention saisissante de Steve Potts ne nous régale d’un long solo introspectif et convulsif, cherchant l’inspiration courbé sur l’instrument, projetant subitement son timbre en redressant le buste comme s’il venait de découvrir la pierre philosophale. On songe alors à Ornette Coleman tant le son plein et chargé d’harmoniques que le soufflant arrache de son instrument est bouleversant, l’ensemble du groupe témoignant toujours de ses qualités hors pair. En jazz, l’enfer n’est pas pavé de bonnes intentions et voilà des gens de cœur qui savent aussi ce que gros œuvre veut dire. They make it really happen. Qu’ils en soient ici remerciés. JPA

Steve Potts et Jobic Le Masson Trio © Patrick Martineau

Le 25 octobre, au Café de la Danse, le Vintage Orchestra poursuivait, dans la foulée de son album récemment sorti, Smack Dab in the Middle (voir notre chronique dans Jazz Hot n°680), sa relecture des arrangements et des compositions de Thad Jones. Sans doute parmi les plus belles enluminures de l’histoire du jazz. Promoteur enthousiaste de cette musique, Dominique Mandin (ts, ss) dirige cet excellent big band avec l’énergie que l’on sait nécessaire pour faire vivre ce type d’entreprise musicale. La qualité de l’ensemble est bien évidemment due à celle des solistes, dont nous connaissons bien les carrières individuelles: David Sauzay (ts), Thomas Savy (ts), Olivier Zanot (as), Jerry Edwards (tb), Fabien Mary (tp), Florent Gac (p), Yoni Zelnik (b), Andrea Michelutti (dm), entre autres. S’y ajoutaient deux vocalistes de premier plan, tout d’abord, la grande Denise King (Jazz Hot n°675), au sommet de son art, et l’Américain Ken Norris (qui vit à Hambourg), une belle découverte.
Chacun des deux sets qu’a comptés cette soirée, a vu le Vintage Orchestra débuter par trois titres instrumentaux, l’occasion d’apprécier les solos de David Sauzay ou de Fabien Mary sur «The Groove Merchant», «Second Race» et «All My Yesterdays» en ouverture du concert. On se délecte sans réserve de ce jazz extraordinairement élaboré, aux harmonies rutilantes et au swing étincelant. Un écrin de choix pour accueillir la voix de Denise King qui d’emblée impose sa présence sur «Yes Sir, That’s My Baby». Ken Norris se situe lui dans un registre de crooner, qui est également celui de Walter Ricci, le chanteur «titulaire» qu’il remplaçait ce soir. Si l’expression de Ken Norris est moins profonde que celle de Denise, celui-ci n’en a pas moins tenu son rôle avec brio, en particulier sur «Evil Man Blues». Le tout servi avec une prestance qui n’a pas laissé insensible le public féminin (des admiratrices étaient apparemment venues pour lui…). La seconde partie fut du même tonneau que la première: des beaux instrumentaux (un «All of Me» très original et «Fingers» qui fit la part belle à la section de saxophones) et des prestations vocales très enlevées qui se conclurent par un duo savoureux entre les deux chanteurs sur «How Sweet It Is». JP

Denise King et le Vintage Orchestra © Jérôme Partage  Ken Norris © Jérôme Partage

Le 26 octobre, le quartet composé de Jérôme Sabbagh (ts), avec Greg Tuohey (g), Joe Martin (b) et Kush Abadey (dm), monte sur la scène de la Péniche Anako (amarrée sur le bassin de La Vilette) pour deux sets empreints d’une formidable musicalité. Le saxophoniste et le guitariste se connaissent depuis plus de vingt ans, époque à laquelle ils se rencontrent à New York et fondent le collectif Flipside, avec Matt Penman et Darren Beckett. Sur des compositions originales de Sabbagh et Tuohey, le quartet évolue avec une souplesse remarquable, lui permettant d’affirmer une vision moderne du jazz dénuée de cette nostalgie empesée qui limite parfois l’audace et la créativité des musiciens. Le combo attaque son gig avec «Vintage», déjà documenté sur le net dans une version Live at Smalls. On sait Tuohey rompu à d’autres idiomes, délaissant temporairement le jazz pour collaborer avec le chanteur Joe Pug. Le six cordiste semble avoir retiré de cette expérience une certaine science de la dissonance cognitive, au service de phrasés hors phase du plus bel effet. Altérant sporadiquement le son de son ampli vintage au moyen d’une pédale, les intervalles choisis, particulièrement en ce qui concerne les octaves, ne sont pas sans évoquer les explorations soniques de la galaxie Miles Davis, bien qu’il les tempère considérablement en chantant littéralement chaque note jouée, comme le ferait un guitariste de soul music. De son côté, Jérôme Sabbagh brille par un timbre magnifique, bien mis en valeur par des compositions personnelles serties de motifs rythmiques mémorables, sur lesquels ses interventions solo forment autant de modèles du genre, avec des références discrètes à ses influences majeures. L’enchainement «Chaos Reigns», «Vicious», et «You Are on My Mind», proprement renversant, donne le la d’une communication satisfaisante avec le public, après un round d’observation très dépouillé, mais c’est sans doute le titre «Ghostly», sur la setlist, qui caractérise le mieux ce soir l’atmosphère hantée du concert, les deux leaders touchant parfois à un état de grâce poétique qui touche au cœur les auditeurs. Le travail du son, auquel le saxophoniste accorde une importance capitale, lui permet ce jeu tout de fluidité et de charme, évitant avec tact et délicatesse tout excès narcissique, et se rapprochant davantage des esthètes de l’instrument que des colosses qui médusent par leur puissance instrumentale. Les deux leaders sont superbement épaulés par la contrebasse de Joe Martin, sideman très apprécié de la scène new-yorkaise, qui a développé son art consommé au contact de jazzmen Jérôme Sabbagh Trio © Jean-Pierre Alendacomme Mark Turner et Chris Potter, tandis que la frappe sèche et solide de Kush Abadey contraste joliment avec la délicatesse de son jeu de balais. Si la formation n’a pas encore enregistré en studio, elle brille déjà par une cohésion exemplaire qui confère un caractère émotionnel affirmé aux évolutions du quartet. La complicité des musiciens fait d’autant plus plaisir à voir et à entendre que Jérôme Sabbagh incarne à présent, dans sa pleine maturité artistique, le bien-fondé d’un jazz de tradition promouvant l’héritage des grands noms aussi bien au sein de compositions inédites que par l’intermédiaire de reprises inspirées. Cette démarche intègre permet d’évoquer avec crédibilité les mesures atypiques de «Serenity», ou de proposer en rappel le classique «Old Folks», qui rend un bel hommage aux figures tutélaires, sans préjudice des versions antérieures fondant la légitimité de l’esprit immémorial du jazz. Une soirée mémorable, qui continue de produire ses effets positifs longtemps après que la dernière note a été jouée. JPA

Spirit of Life Ensemble © Jérôme Partage

Les 27 et 28 octobre, le Spirit of Life Ensemble était de passage au Caveau de La Huchette. Le leader historique du groupe (fondé en 1975), David-Daoud Williams (perc), le directeur musical, Rob Henke (tp), Chip Shelton (as, fl), Tony Godson (perc) et Dwight West (voc) avaient fait le déplacement depuis Jersey City, tandis que le collectif trouvait sur place le renfort de Katy Roberts (p), Dominique Lemerle (b) et Philippe Combelle (dm). C’est un Caveau plein (particulièrement le samedi 28) et enthousiaste qui a accueilli les musiciens. Après deux titres instrumentaux «de chauffe» (dont un «All the Things You Are» avec de beaux arrangements latins), Dwight West a entamé un tonique «All of Me» qui, le deuxième soir, a d’emblée enflammé l’assistance! Suivi par un «Afro Blue», tout en finesse, le Spirit a donné à entendre un beau «My Funny Valentine» marqué par l’intervention profonde de Rob Henke et les élégantes harmonies de Katy Roberts. Soit deux soirées épatantes, menées par un orchestre complice et dynamique qui produit un jazz aussi enraciné que populaire. JP

Textes et photos: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage
© Jazz Hot n°681, automne 2017


Vincent Bourgeyx © Patrick Martineau

Paris en clubs
Septembre 2017

Le 19 septembre, le trio de Vincent Bourgeyx (p) –Matt Penman (b) et Obed Calvaire (dm)– accueillait en invité David Prez (ts) et proposait au public du Duc des Lombards une musique à la fois élaborée et chatoyante, empreinte d’un charme et d’une distinction qui constituent déjà une signature sur l’album Short Trip. Le pianiste présente la particularité d’avoir travaillé avec Al Grey, expérience qui lui a conféré un sens du swing hors pair, mis au service d’une démarche plus aventureuse qu’il n’y paraît à première vue, où les accents post bop parfumant son jazz se trouvent comme rehaussés en bénéficiant d’une relecture très moderne. «Sunny» ouvre les débats d’une manière saisissante, avant qu’«Abbey», un hommage à Abbey Lincoln, en sus de bouleverser le public, ne lui rappelle, au travers de l’évocation de la grande artiste américaine, combien l’histoire du jazz demeure indissociable d’une lutte sans répit contre toutes les discriminations. Le saxophone de David Prez brille par un rubato qui rappelle certains phrasés de Lester Young, et le parti pris de fluidité qui anime les échanges entre les musiciens laisse toute liberté de penser au surnom malicieux donné à l’illustre saxophoniste par Billie Holiday. «Cross Fingers» et le «Tune Up» de Miles Davis confirment le sentiment de sophistication érudite qui se dégage des orchestrations privilégiées par la formation. Obed Calvaire manifeste une polyvalence et une virtuosité déjà mises en exergue au sein du SF Jazz Collective, où officie également Matt Penman, un contrebassiste présentant la particularité de solliciter les registres bas médium et aigu de son instrument, ce qui parachève une esthétique d’ensemble ou chaque musicien évolue en solo sans jamais rompre tout à fait avec son rôle rythmique fondamental, au service d’une cohésion exemplaire. Sara Lazarus, chanteuse présente sur l’album, n’accompagne pas le groupe ce soir, mais la dimension vocale de la musique interprétée n’échappe à personne, tant la plupart des thèmes suivent une ligne mélodique très claire, teintée par le caractère chaleureux des couleurs musicales égrenées par les musiciens sur scène. Sous la main droite du leader, particulièrement agile et inspirée, naissent des harmonies subtiles, des citations de grands standards, comme inspirées par la faconde de McCoy Tyner, dans un hard bop tardif tout à fait approprié à l’occasion et au lieu où se déroule la rencontre entre le musicien et les mélomanes. Le groupe nous quitte sur un entrelacs de lignes voluptueuses tiré du «Round Midnight» de Thelonious Monk, assorti d’un arrangement qui n’aurait pas déparé sur le Impressions de John Coltrane, et le clavier se fait soudain d’une discrétion spectaculaire, suggérant les notes en une magnifique esquisse poétique, sans jamais leur donner de résonance excessive, comme si Vincent Bourgeyx s’inspirait en musique de la théorie de la déconstruction, développant pour ce faire un propos musical digne des qualités introspectives de Sonny Rollins. Un concert dans la plus pure tradition d’une école du jazz français située au point de confluence entre universalisme américain et renaissance européenne, avec une liberté affichée qui unit artistes et spectateurs dans une même catharsis fédératrice.

Texte: Jean-Pierre Alenda
Photo: Patrick Martineau
© Jazz Hot n°681, automne 2017


Michel et César Pastre, Cédric Caillaud, Stéphane Roger © Jérôme Partage



Paris en clubs
Juillet-Août 2017

Michel Pastre (ts) est un habitué du Caveau de La Huchette et chaque prestation qu’il nous offre est toujours très soignée. C’était encore le cas ce 6 juillet. Rappelons que Michel est un passionné de Lester Young. De temps en temps, il s’amuse à incliner son saxo à la manière de ce grand musicien. Rappelons ici qu’il est également le chef, depuis plusieurs années, d’un Big Band qui joue la musique de Count Basie. Ce soir, les spectateurs et les danseurs sont nombreux et la piste de dance est pleine de jeunes et moins jeunes. Tous ces danseurs se dépensent joyeusement et créent une ambiance très sympathique. Le quartet de Michel comprend un brillant pianiste César Pastre (p) qui n’est autre que le fils de Michel et qui s’affirme de plus en plus. Cédric Caillaud (b) et Stéphane Roger (dm) viennent apporter leurs compétences et leur bonne humeur à ce groupe bien constitué pour jouer au Caveau de la Huchette. Au cours de sa carrière, Michel a joué avec plein de musiciens au Caveau et ailleurs, et il a eu de fortes interactions avec eux. Aujourd’hui, il est un professionnel brillant, reconnu par tous et il a un répertoire riche. Au Caveau, son swing entraînant, fait lever les danseurs qui ne laissent pas leur place sur la piste de dance. Ce soir, le quartet de Michel nous fera apprécier, entre autres, les morceaux suivants: «Leapin’on Lenox», «Star Fells on Alabama», «Soul Burnin’», «The Godfather» de Nino Rota, «Tickle Toe», «Stolen Sweets» ou encore «Jumping with Cesar», une composition du leader. GH

Romain Pilon et Walter Smith III © Jean-Pierre Alenda

Le 22 juillet, le trio de Romain Pilon (g) invitait Walter Smith III (ts) sur la scène du Sunside dans le cadre du traditionnel «American Jazz Festiv’Halles» organisé par le club de Stéphane Portet. Avec la stabilité et le caractère presque pneumatique permis par la section rythmique sans défaut de Matyas Szandai (b) et Fred Pasqua (dm), ils ont donné un concert formidable, tout de finesse et de musicalité. Romain Pilon est un guitariste qui ne fait jamais dans la démonstration gratuite. En tant que leader, il met ses connaissances harmoniques étendues au service de la musique, proposant un discours musical très élaboré dont les notes précieuses voient leur pouvoir d’évocation encore renforcé par la parcimonie et le goût avec lequel elles sont égrenées sur sa guitare custom. Ses lignes semblent jaillir littéralement des gammes et de la grille d’accords employées, avant un retour au jeu en positions si naturel qu’il laisse pantois une bonne partie du public. Ce modèle d’inspiration trouve son équivalent dans la figure du funambule Philippe Petit, auquel le groupe dédie «Man on a Wire», un titre au rythme instable et sautillant, tout à fait dans le ton du gig proposé par le quartet. «Cycles» et un morceau sans titre calment un peu le jeu, avant que «Seventh Hour», tiré de The Magic Eye, l’album le plus récent gravé par la formation, ne propulse au premier plan le jeu très volubile de Walter Smith III, entendu il y a peu sur un album de Laurent Coq dédié au personnage de La Fayette. L’enchaînement «Quiet» et «Serenity» met en exergue la grande maitrise digitale de Romain Pilon, qui enchaîne les neuvièmes et les treizièmes, tout en produisant des accents très émouvants au moyen d’attaques de cordes nuancées et de résonances savamment modulées. Un titre dédié à Joe Henderson, un autre à Wes Montgomery, en guise de révérence vis-à-vis des grands anciens, et le concert se termine sur un chorus endiablé de Walter Smith, qui incendie littéralement «Limbo», célébrant de toute sa vigueur (le saxophoniste, comme possédé, accompagne avec le corps ses soli) la légende vivante qu’est Wayne Shorter. Un très beau concert, dont les harmonies célestes résonnent longtemps après que les dernières notes ont retenti dans la salle, et la preuve qu’il est encore aujourd’hui des musiciens de jazz qui gardent les oreilles ouvertes en vue de dégager des voies nouvelles sans rien sacrifier au culte du paraître. JPA

Le 9 août, la grande Mandy Gaines (voc) était au Caveau de La Huchette, entourée de sa rythmique française, les excellents Cédric Chauveau (p), Nicola Sabato (b) et Mourad Benhamou (dm). La venue de la chanteuse de Cincinnati, qui devait se produire à Marciac le lendemain, n’est pas passée inaperçu: ce soir, comme la veille, le Caveau était plein au point que le public est venu progressivement s’assoir sur la piste de danse, devenue impraticable pour les adeptes du be-bop. La Huchette semble donc (et c’est tant mieux) toujours bénéficier de l’effet La La Land, particulièrement visible en période d’affluence touristique. Quelles que soient les raisons qui ont amené ce public nombreux et enthousiaste, ce dernier en eu pour son compte, bénéficiant de la présence d’une artiste à l’expression Marvin Parks © Jérôme Partageauthentiquement jazz. De «Exactly Like You» à «The Lady Is a Tramp», Mandy Gaines a interprété les standards avec un swing naturel qui remet les pendules du jazz à l’heure (ce qui est réconfortant en cette période festivalière où le jazz n’est souvent plus qu’un prétexte). Un régal partagé avec les musiciens trop heureux d’accompagner une jazzwoman de cet acabit et donnant, du même coup, le meilleur. JP

On commence de plus en plus à entendre parler de Marvin Parks, installé à Paris depuis quatre ans. Le chanteur, qui a choisi comme principal lieu d’expression le métro parisien, s’en sert également pour attirer le public à ses concerts (en plus d’être très actif sur les réseaux sociaux). Le fait est que cela fonctionne, car l’ami Marvin faisait le 18 août salle comble à la Cave du 38 Riv’. Il était en cela fort bien accompagné de son inséparable et précieux complice, Julien Coriatt (qui est également depuis quelques temps le pianiste attitré de Denise King), d’Adam Over (b) et, en invité spécial, de Lawrence Leathers (qui tient les baguettes habituellement pour Cécile McLorin-Salvant). Un trio impeccable, donc, pour appuyer l’interprète présentant ce qui n’est pas seulement un concert, mais un spectacle: Marvin Parks: American Jazz Singer. Baigné depuis l’enfance dans la musique populaire américaine et les chansons de Broadway (qui sont le premier creuset des standards du jazz), le natif de Baltimore (dont les amours musicales vont de Nat King Cole à Barbara Streisand) enchaîne les titres les plus courus du répertoire avec simplicité et naturel («Old Devil Moon», «On a Clear Day», «I Fall in Love too Easily»…) et un certain lyrisme dans l’expression issu du chant gospel. Chaque morceau est ponctué par une anecdote racontée avec humour –Marvin se moquant même de sa propre adoration pour les divas du jazz en effectuant le second set avec un boa autour du cou– et dessinant au fil de la soirée le portrait d’une personnalité atypique, comme seul le jazz peut en produire. JP

Big Daddy Wilson © Jean-Pierre Alenda

Le 30 août, Big Daddy Wilson (voc, perc) a pris la scène du Duc des Lombards pour un concert tout de décontraction et de convivialité, dans le cadre de sa tournée de promotion de l’album Neckbone Stew. Avec Cesare Nolli (g, voc), Paolo Legramandi (eb) et Nik Taccori (dm, voc), le bluesman a littéralement inondé le club parisien de musicalité joyeuse et composite. Le leader présente la particularité d’avoir connu le blues en Europe, bien qu’originaire du sud des USA, où il était exposé à une culture gospel et country. Implanté en Allemagne, qu’il a connue au moment de son service militaire et où il a rencontré sa femme, il pratique un blues ouvert sur le monde, croisé avec de multiples courants musicaux contemporains, comme le reggae jamaïcain. Après une entrée en matière très laid-back, presque acoustique, le groupe étonne en reprenant «Nobody’s Fault but Mine», popularisé par Led Zeppelin en Europe mais originellement interprété par Blind Willie Johnson. Cette sorte de retour aux sources du gospel blues est une trouvaille géniale du chanteur qui célèbre ses racines de la plus belle des manières en entame de concert. Le guitariste a un son travaillé au phasing et au flanger, avec pas mal de reverb qui l’oblige à bien détacher chaque note quitte à ralentir ses licks (sauf au moment des chorus). «Time to Move», sur lequel l’artiste nous rappelle que le temps n’est pas notre ami, n’inquiète personne tant l’atmosphère quasi rasta développée par la formation rallie tous les suffrages quel que soit le message véhiculé par les paroles de la chanson. La guitare électrique à corps plein taille au cœur même du titre un solo déchirant, tandis que la jolie basse à éclisses de Paolo Legramandi apporte la souplesse nécessaire à une rythmique très élastique. «Cross Creek Road» est scandé par un public déjà conquis qui ne se fait pas prier pour frapper dans ses mains, tandis que l’atmosphère poisseuse du bayou est comme ressuscitée par un bottleneck du plus bel effet, superbe partie de guitare de Cesare Nolli. Enhardi par l’accueil chaleureux qui lui est réservé, Daddy Wilson nous présente «Seven Years» en nous disant que cette chanson évoque sa relation aux douze mesures du blues, alors que «Neckbone Stew» incarne plutôt le côté funk et soul qui parcourt l’ensemble de son œuvre depuis son tout premier album. «She Loves Me» est dédié à son épouse, qui lui inspira ses premiers textes, et les harmonies vocales proposées par les quatre musiciens sur ce morceau ne sont pas sans évoquer la musique des Isley Brothers, avec un pont aérien jeté entre gospel et soul. «Baby Don’t Like» ajoute les cocottes funky à ce déjà fort bel ensemble, conclu par une magnifique coda a cappella sur laquelle Daddy Wilson s’avère vraiment un lead vocalist exceptionnel. «Country Boy» achève comme un symbole de reconstituer le parcours musical du bluesman, après lequel un medley final vient conclure un set qui semble vraiment trop court, sur lequel chaque musicien va tour à tour prendre le micro pour entonner des classiques comme «Stand By Me» ou «Sittin’ on the Dock of the Bay», ce qui place franchement cette fin de concert sous le haut patronage de Sam Cooke et Otis Redding, et dans une atmosphère soul qui s’arrête délibérément avant le psychédélisme de Sly and The Family Stones et de la West Coat. Une soirée musicale chaleureusement applaudie, particulièrement festive et porteuse de valeurs fédératrices. JPA

Textes: Jean-Pierre Alenda, Georges Herpe, Jérôme Partage
Photos: Jean-Pierre Alenda et Jérôme Partage
© Jazz Hot n°680, été 2017


241e anniversaire de l'Indépendance des Etats-Unis
Ambassade des Etats-Unis (Paris 8e), 29 juin 2017

Le 29 juin, à l’occasion du centenaire de la Grande Guerre et du 241e anniversaire de l’Indépendance des Etats-Unis d’Amérique, l'Ambassade des USA à Paris invitait un jazz band tout à fait exceptionnel pour rendre hommage aux musiciens du 369e régiment d’Infanterie du lieutenant James Reese Europe, qui débarquait sur les côtes bretonnes il y a bientôt cent ans.

The Original Paris James Reese Europe Commemorative Orchestra © Patrick Martineau

Ainsi, The Original Paris James Reese Europe Commemorative Orchestra réunissait, sous la direction de Ricky Ford (ts): Mark Simms (tb), Sulaiman Hakim (as) Rasul Siddik (tp), Bobby Few (p), Harry Swift (b) et Chris Enderson (dm), habillés en costume d’époque ! Ils ont d’abord joué dans la cour d’accueil les derniers morceaux enregistrés par James Reese Europe: «Jada», «Mirandy», «Jazz Baby», «Russian Rag» et «Down Home Rag», avant que de reprendre «The Star Spangleg Banner» dans une relecture soigneusement harmonisée par Ricky Ford. Deux autres morceaux dont les arrangements ont été revus «Castel House Rag» et «Half and Half» furent également proposés au public, avant que le groupe ne rejoigne la grande scène du jardin où un des ensembles de l’Armée de l’Air des Etats-Unis, The Wings of Dixie, venait de finir d’interpréter «L’Américana». L’orchestre de "vétérans" du jazz repris ensuite «La Marseillaise» et «My Choc Late Soldier Sammy Boy», toujours réarrangés par le ténor qui nous confiait, après le concert, éprouver une immense reconnaissance envers James Reese Europe et la fierté d’avoir joué sa musique.

Une évocation tout à fait mémorable, qui est également un hommage à tous les musiciens américains venus s’installer à Paris depuis la fin de la Première Guerre mondiale et qui ont transmis leur art aux jeunes musiciens et amateurs français, échange fécond dont Jazz Hot est issu.

Texte et photo: Patrick Martineau
© Jazz Hot n°680, été 2017


Marie-Laure Célisse & The Frenchy’s © Patrick Martineau

Paris en clubs
Juin 2017

Il est des rencontres entre un lieu, un artiste, une atmosphère particulière, une rencontre telle que celle proposée en cette soirée du 1er juin au Caveau de La Huchette par Marie-Laure Célisse (voc, fl) et ses Frenchy’s: César Pastre (p), Brahim Haiouani (b) et Lucio Tomasi (dm). Le groupe nous présentait son premier album, Dansez sur Moi, dans un esprit qui mêle adaptations de standards jazz avec des chansons du patrimoine français, le tout interprété dans un esprit swing particulièrement savoureux. En un lieu qui a très peu changé depuis l’après-guerre, la complicité et la fraîcheur des protagonistes nous ramènent tout naturellement à l’atmosphère des années cinquante et soixante. Le sens du glamour de Marie-Laure Célisse, qui joue un rôle de chef d’orchestre empreint d’une certaine malice (Brahim Haiouani, très pince-sans-rire lors de la présentation des musiciens, lui attribuera même des compétences en matière de santé mentale au sein de la formation), s’exprime ici dans une veine très chorégraphique, et chacun de sentir la sincérité qui anime les musiciens sur un répertoire qui est sans nul doute le reflet de passions musicales de toujours. L’alchimie entre le piano de César Pastre et le joli falsetto de Marie-Laure Célisse est enrichie et étoffée par l’expérience de Brahim Haiouani, qui assure une pulsation rythmique sans faille avec le soutien de Lucio Tomasi, dont les qualités s’avèrent essentielles sur scène comme sur disque, au cœur d’un projet prouvant par l’exemple qu’une certaine humilité peut rimer avec la plus grande des musicalités. La place prépondérante occupée par l’amitié et les échanges avec le public, dans les concerts proposés par la formation, ressuscite un jazz solidement ancré dans une époque que d’aucuns jugeraient révolue, n’était sa beauté intemporelle qui lui confère paradoxalement une contemporanéité certaine. Ce jazz-là trouve sa véritable raison d’être sur la scène, dans un espace où son équilibre et sa dynamique se déploient sans contraintes. Le disque des Frenchy’s exprime au reste très bien ce rapport implicite au live, et les nombreux gigs donnés en tous lieux où le partage trouve droit de cité se ressentent distinctement au travers de la vaste gamme des émotions proposées. Cette expérience nous permet d’assister à une représentation riche de nuances, avec des accents tantôt juvéniles, tantôt aguerris. Il y a un côté cabaret chez la chanteuse, une élégance toute féminine qui ne se laisse jamais corrompre par la morosité ambiante. Ce sens de la fête tissé de pure générosité, permet de colorer avec tendresse les standards revisités, comme s’il s’agissait en l’espèce de promouvoir une certaine idée du bonheur et de la vie. Avec une telle vision du monde et de la musique, tout ce dont le combo s’empare s’imprègne presque magiquement de swing, et nous rappelle que le jazz est aussi et d’abord une musique de danse (les nombreux danseurs présents dans la salle peuvent en témoigner). La communication avec le public, exemplaire, sert un sens du plaisir et de la bonne humeur qui insuffle classe et élégance aux parties instrumentales comme aux parties chantées, tandis que l’adaptation de standards de la chanson française, dont les arrangements sont réalisés avec un goût très sûr, permet à la chanteuse de s’approprier des classiques comme «C’est Mon Homme», «La Javanaise » et « Je ne veux pas travailler». L’ambiance très jam session dans laquelle se déroulent les trois sets autorise également des emprunts judicieux au répertoire anglo-saxon, avec notamment de belles interprétations de «You Make Me Feel», «The Lady Is a Tramp» et le morceau de bravoure qu’est «Route 66» pour les Frenchy’s. Une bien belle soirée en forme de célébration d’un art de vivre et d’être ensemble qui fait chaud au cœur et à l’âme. JPA

Paddy Sherlock & co. © Patrick Martineau

Paddy Sherlock, le fantasque tromboniste vocal a investi la belle scène du Jazz Club Etoile, le 3 juin, pour une soirée complètement débridée, comme il a l'habitude d'en proposer à son public. A ses cotés, les fidèles Philippe Radin (dm) et Jean-Philippe Naeder (perc), accompagnés de Philippe Dourneau (ts), Billy Collins (g), Stan Noubard Pacha (g) et Laurent Griffon (b). Ce soir, il n’y aura que des compositions inédites, dont quelques-unes n'ont encore jamais été jouées en public, et qui feront partie intégrante du nouvel album à venir, comme «Babe our Love Is Here», «Going Down Dancing», «You're too Good», «Take Me» ou encore «Girl From U.H.». Le club est complet et le public, tout au long des trois sets, reste subjugué par la présence sur scène (et parfois dans la salle) de Paddy qui se joue des difficultés techniques pour trouver tour à tour des inflexions jazz, rock’n’roll et rhythm’n’blues au hasard de ses pérégrinations musicales. Le plaisir de ses fans, toujours nombreux ce soir, est contagieux et le temps passe à une vitesse prodigieuse pour nous amener au terme d'un concert endiablé et mémorable. PM

Le Vintage Orchestra avec Denise King et Walter Ricci © Patrick Martineau

Après huit années de silence, le Vintage Orchestra revient revenait, le 8 juin, sur la scène du Studio de l’Ermitage pour présenter son nouvel album, Smack Dab in the Middle (voir notre chronique), toujours sous l’influence du compositeur Thad Jones. Sous la direction de Dominique Mandin (ts), le big band retrouve les musiciens à l'origine de son identité sonore, et qui sont tous devenus depuis des solistes ayant développé leur propre carrière. Aux saxophones, on retrouve Olivier Zanot, Thomas Savy, David Sauzay et Jean-François Devèze; aux trompettes: Erick Poirier, Lorenz Rainer, Fabien Mary et Julien Ecrepont; aux trombones: Michaël Ballue, Bastien Ballaz, Jerry Edwards, et Martin Berlugue. La rythmique étant assurée par Florent Gac (p), Yoni Zelnik (b) et Andrea Michelutti (dm). Après deux titres instrumentaux, «The Farewell» et «61'st and Rich It», qui nous offrent les premiers chorus à l'unisson proposés par le groupe des soufflants, Walter Ricci, jeune chanteur napolitain, aperçu dernièrement aux cotés de Stefano Di Battista et Mickaël Bublè, rejoint le big band pour «The Second Race». Suivront des morceaux comme «Get Out of My Life», «It Don't Mean a Thing» et «Hallelujah I Love Her so» qui clôtureront ce premier set. La deuxième partie s’ouvre avec l’instrumental «Quiet Lady» et «Fingers» à l'issue duquel Denise King arrive sur scène, très applaudie, pour chanter magnifiquement «A That's Freedom». Après «Yes Sir That's My Babe» et «I Left My Heart in San Francisco» nos chanteurs reviennent pour un duo sur «Bye bye Blackbird» qui enflamme littéralement le public. Un dernier instrumental «Making Woopee» et c’est la fin d'une soirée où l’on a retrouvé avec plaisir un répertoire et un très bon orchestre. PM

Pierre Christophe © Jérôme Partage

Le 13 juin, Pierre Christophe (p) présentait au public du Duc des Lombards son tout nouvel opus: Live! Tribute to Erroll Garner (voir notre chronique), enregistré en compagnie du complice de toujours, Raphaël Dever (b), ainsi que de Stan Laferrière (dm, qui a délaissé son piano pour l’occasion) et Laurent Bataille (cga). A l’image du disque, Pierre Christophe, pianiste à la fois talentueux et inspiré par la tradition, a rendu au maître un hommage de la meilleure facture, y ajoutant une dimension didactique en prenant le soin d’introduire chaque morceau. Les titres présentés étaient soit des compositions d’Erroll Garner («Dreamy», ballade enchanteresse aux accents tchaïkovskiensou «My Lonely Heart», un original très peu joué et enregistré une seule fois en 1956) soit des standards (un «Tea for Two» aux arrangements étonnants, donnant l’occasion à Laurent Bataille de s’exprimer longuement, un«When Your Lover Has Gone» pris à contre-emploi sur un ton joyeux, ou encore «Humoresque» de Dvorak, brillamment jazzifié). En un set, Pierre Christophe et ses musiciens ont ainsi redonné vie à l’univers élégant et singulier d’Erroll Garner, tout en exposant leurs qualités personnelles. Tout simplement magnifique. JP

Lorenzo Di Maio Quintet © Patrick Martineau

Le 14 juin, Lorenzo Di Maio (g) présentait au Duc des Lombards son dernier album, Black Rainbow (Igloo Records), premier projet en tant que leader et pour lequel il a composé tous les titres, bien entouré, par Jean Paul Estiévart (tp), Cédric Raymond (b), Antoine Pierre (dm) et Léo Montana (p) qui remplaçait ce soir Nicola Andrioli. Ce concert unique en France a ainsi donné l’occasion au public parisien de découvrir cette jeune garde du jazz de Belgique. «Détachement» ouvre le set, suivi d’une ballade, «Black Rainbow», où Cédric Raymond procure un soutien de fond, tandis que sur «Lonesome Traveler» Léo Montana livre un remarquable solo. Passant du groove au blues, Lorenzo Di Maio nous entraîne, avec parfois une touche de mélancolie, jusqu’au final avec « Black Dog ». PM

Esaie Cid © Patrick Martineau


Dans son interview parue à l’hiver 2015-2016 (Jazz Hot n°674), Esaie Cid nous avait fait part de ses projets: le quintet de François Laudet, autour de la musique de Gene Krupa (dont il a assuré les arrangements) et un premier disque sous son nom, en quartet. Ces deux projets ont été menés à bien et vous pouvez les retrouver dans nos chroniques de disques. Le 28 juin, justement, l’altiste barcelonais fêtait la sortie de son CD, Maybe Next Year, au Sunset, entouré de sa fine équipe: Gilles Réa (g), Samuel Hubert (b) et Mourad Benhammou (dm). Les trois sets ont permis de revenir sur ce bel hommage à Art Pepper, paru chez Swing Alley, l’un des labels du compatriote catalan Jordi Pujol. La plupart des titres présents sur l’album on en effet été joués, dans un esprit similaire à celui de l’enregistrement, dont «Music Forever» qui a donné l’occasion à Mourad Benhammou de nous livrer un bon solo, ou «Nothing Ever Changes My Love for You» sur lequel le batteur a troqué ses baguettes pour des pinceaux, étalant de jolies couleurs. Avec «How Long Has This Been Going On», magnifique ballade, Esaie Cid s’est exprimé avec toute la poésie et le raffinement qui le caractérisent, introduisant les titres avec un humour quelque peu surréaliste (sans doute l’influence de Buñuel…). Mais le leader sait passer d’une atmosphère douce à un swing mordant, comme sur «Pea Eye», blues réjouissant qui a ouvert le deuxième set. Toujours dans une veine très animée, l’orchestre a donné «Mambo de la Pinta», tandis qu’il revenait ensuite à un registre intimiste, avec le très beau morceau éponyme du disque, «Maybe Next Year», et un sublime «Lush Life» pris à la manière de Clifford Jordan, sur lesquels on a également apprécié la finesse de Gilles Réa et de Samuel Hubert. La soirée s’est conclue par bref troisième set, ouvert aux amis musiciens présents dans la salle: Jean-Philippe Bordier (g) ainsi que Hugo Lippi (g), lequel a partagé un blues avec Sophie Druais (b) et Corinne Sahraoui (voc). Un concert sans faute de goût qu’on pourrait résumer par cette maxime d’Honoré de Balzac (écrivain cher à notre ami saxophoniste): «Le beau, c’est le vrai bien habillé». JP

Textes: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage
Photos: Patrick Martineau et Jérôme Partage
© Jazz Hot n°680, été 2017


Jean-Philippe Pichon © Serge Baudot

Musiques en stock
La Seyne-sur-Mer (83), 20 juin - 1er juillet 2017

La Seyne-sur-Mer consacrait une exposition, intitulée «Musiques en stock», à Jean-Philippe Pichon –photographe à l’agence Dalle et ancien de Jazz Hot– répartie dans les trois médiathèques de la ville: Paul Caminade, Andrée Chédid et Le Clos Saint-Louis dans laquelle avait lieu le vernissage en musique avec le pianiste Gilles Gravière, le 20 juin. Après une brève présentation de la part du directeur de la médiathèque, Thierry Kriegel, l'artiste s'est prêté volontiers aux questions du public, répondant avec force détails.

Jean-Philippe Pichon a photographié des musiciens de jazz, de blues, et d’autres musiques, ainsi que des stars du showbiz et bien des sujets encore, provenant d’univers divers à travers le monde. Il en a rapporté une moisson essentiellement en noir et blanc et en argentique. Les trois médiathèques lui ont offert leurs murs de sorte qu’on peut admirer un large éventail de son travail, essentiellement jazz. Pour les «photos jazz» on reconnaît tout de suite la patte Pichon par des fonds d’un noir intense, profond, d’où jaillit la lumière d’un visage, de mains, d’un instrument. Pas de détails annexes, pas de fioritures, rien que les notes essentielles, comme disait Miles. C’est à chaque image l’expression d’un visage, l’incongruité d’une situation, la pose du corps, le brillant d’un instrument, le détail parlant, qui capte le regard. L’artiste est révélé dans un moment sublimé, une effraction de quelques centièmes de seconde, et pourtant il est là, figé et vivant à la fois, crevant l’écran de la photographie.

Texte et photo: Serge Baudot
© Jazz Hot n°680, été 2017


Alain Jean-Marie et Sylvain Beuf © Serge Baudot

Jazz au Fort Napoléon
La Seyne-sur-Mer (83), 10 juin 2017

En cette douce soirée du 10 juin, l’association Art Bop donnait son concert de fin de saison «Jazz sous les étoiles» avec un duo de luxe: Alain Jean-Marie (p) et Sylvain Beuf (ts). Art Bop, menée de main de maître mais avec souplesse et bonhommie, par Michel Legat et sa femme, est une association qui œuvre pour le jazz depuis pas loin de trois décennies. Il leur faut un sacré courage et une belle abnégation pour continuer à produire des concerts pointus dans la situation locale actuelle (on sait que, faute d’aide, l’inoubliable festival de Robert Bonaccorsi a dû s’arrêter après plus de 30 ans de soirées extraordinaires où l’on a vu défiler des musiciens de la légende du jazz, et surtout ceux qu’on voyait rarement ailleurs, tels Georges Cables, Harold Mabern, Cyrus Chestnut, Cedar Walton, et tant d’autres). Ce couple fou de jazz réussissait à produire trois concerts par mois, de septembre à juin, permettant aux jazzmen français, principalement ceux du Grand Sud, de s’exprimer devant un public d’amateurs. Maintenant ils arrivent encore, malgré d’immenses difficultés, à organiser un concert par mois, et ce grâce à un carnet d’adresses d’amis, une petite subvention de la ville de la Seyne-sur-Mer, et quelques modestes et méritant donateurs. Néanmoins l’aventure continue et le jazz existe toujours au Fort Napoléon. Sans oublier l’association des Workshops de Gérard Maurin qui investit également ce lieu mythique tout au long de l’année. Alors quelle émotion de se retrouver sur les gradins de la cour du Fort, à l’acoustique exemplaire, face à la grande scène, avec les étoiles au dessus de la tête. Tant de magnifiques souvenirs...

Sylvain Beuf © Serge Baudot

Alain Jean-Marie et Sylvain Beuf, les officiants de cette soirée, n’ont pas choisi la facilité, car jouer Monk en duo tient un peu de la gageure. Partie gagnée haut la main. Alain Jean-Marie s’empare de Monk et le fait sien. Le danger était de tomber dans le plagiat ou l’imitation. Écueils évités. Le pianiste livre son Monk, enrichissant encore la palette harmonique monkienne, jouant le plus souvent en accords, ou en discours, des deux mains, dans un jeu orchestral qui laisse entendre une rythmique complète, un orchestre, derrière ou plutôt avec le sax; Alain-Jean Marie est également d’une inspiration mélodique captivante dans les solos. On sait que les parties de sax de Monk sont extrêmement complexes, Steve Lacy en parlait, avec démonstration sur son soprano. Sylvain Beuf s’en tire à merveille, aussi bien au soprano qu’au ténor. Rien ne l’arrête, il rentre dedans, mort dans la musique, ça sort et ça swingue, il ira même jusqu’à scatter au rappel sur «Reflections» tant il est pris par son défoulement en une sorte de transe monkienne. Et ce foisonnement duettiste respecte l’esprit monkien, sa rigueur, sa clarté, sa profondeur, et bien sûr son swing. On a entendu des thèmes célèbres comme par exemple «Light Blue», «Bye-Ya», «Reflections», «Ba-Lu Bolivar», «Eronel», «Played Twice», «Misterioso», «Trinkle Tinkle», «Pannonica», et quelques autres moins connus. On ne saurait en détacher aucun. Quel que soit le thème, le duo fréquentait toujours les sommets, avec encore plus d’impétuosité dans le deuxième set. C’était leur troisième concert, c’est dire que le duo a trouvé sa vitesse de croisière. Tous ces musiciens qui tournent autour d’Art Bop partage une amitié, ou du moins une camaraderie, qui les fait se serrer les coudes, comme on dit. C’est ainsi que Sylvain Beuf remercia le trompettiste José Caparros de leur avoir ouvert les portes du Fort Napoléon, ce lieu unique si cher au cœur des amateurs de jazz.

Texte et photos: Serge Baudot
© Jazz Hot n°680, été 2017


A Great Day in Paris
Cinéma Le St André des Arts (Paris 6e), 17 mai 2017

Le 17 mai, Michka Saäl nous conviait à la première du film A Great Day in Paris au cinéma Le St André des Arts à Paris. Cet événement s’inscrit dans le cadre des découvertes de St André, sélection authentique s’il en est, tant A Great Day in Paris est surtout une histoire d’amitié. Tout à commencé en 2008, pour les 50 ans de la fameuse photo «A Great Day in Harlem» d’Art Kane, donnant à Ricky Ford l’idée de reproduire l’évènement à Paris avec des musiciens de Jazz qui vivent en France. Après presque un an de gestation, une photo a enfin été prise à Montmartre, scène immortalisée par le photographe Philip Lévy-Stab. La cinéaste d’origine tunisienne Michka Saäl, formée en histoire de l’art et en sociologie à Paris et en Cinéma à Montréal, passionnée par les liens qui unissent les êtres, a ainsi décidé de réaliser un court-métrage sur l’exil des musiciens de jazz. Ce documentaire, sur la réunion de plus de soixante-dix jazzwomen et jazzmen vivant en France, est entrecoupé d'entretiens avec des musiciens comme John Betsch, Sangoma Everett, Bobby Few, Ricky Ford, Kirk Lightsey, Steve Potts, et quelques autres, réalisés le plus souvent à domicile, favorisant ainsi les anecdotes et l’humour. A cela s'ajoute des prises de vues de Montmartre, lieu de retrouvailles pour cette petite communauté d'artistes; la dernière séquence étant, bien sûr, le moment de la prise de vue sur les marches.

© Patrick Martineau

Ce 17 mai, au cinéma St André des Arts, Sangoma Everett, Bobby Few, et Ricky Ford avaient fait le déplacement, ainsi que Curtis Young, historien du jazz, et quelques amis et fidèles tels que Trevor, Alfie. Le public, très réactif, a ponctué la projection de ses exclamations et de ses rires. Michka Saäl, visiblement très émue, a pris la parole à la fin de la projection pour rappeler la genèse et les étapes de construction du film, après quoi elle fut très applaudie. Bobby et à Ricky sont intervenus pour témoigner à leur tour et ont tenu à remercier Michka pour sa persévérance.

Pour ma part, je suis intervenu au nom de Jazz Hot pour rappeler qu’en 2016, pour célébrer «l’International Jazz Day», la chanteuse Denise King et le danseur chorégraphe Brian Scott Bagley avaient aussi organisé une photo sur l’esplanade du Trocadéro (voir Jazz Hot n°675).

Texte et photo: Patrick Martineau
© Jazz Hot n°680, été 2017


Christophe Wallemme Sextet © Patrick Martineau

Paris en clubs
Mai 2017

En cette soirée du 3 mai, marquée par la tenue du traditionnel débat télévisé de l’entre-deux tours de l’élection présidentielle, Christophe Wallemme (b, elb) et son sextet investissent la scène du Studio de L’Ermitage pour nous présenter l’album intitulé Ôm Project, un enregistrement longuement muri, avec l’ambition manifeste de proposer une mosaïque de sons et d’influences, pour la plupart nés dans les années 70, sans qu’il s’agisse toutefois d’une fusion, stricto sensu, entre rock et jazz comme celle proposée par les groupes de l’époque. Cofondateur du trio Prysm en 1994, avec Benjamin Henocq (dm) et Pierre de Bethmann (p), un combo connu pour composer autour de mesures asymétriques, Christophe Wallemme est épaulé ce soir par Manu Codjia (g), Diederik Wissels (p, kb), Adriano Tenorio (perc), Pierre-Alain Tocanier (dm), Émile Parisien (ts, ss), et Leila Martial (voc). Il préfère dire que la musique de ce projet est du rock jazz plutôt que du jazz rock, mais le concert en lui-même témoigne de ce que cette musique vaut mieux que n’importe quelle tentative de catégorisation. Ainsi, l’aspect métissé des sons proposés traduit une fascination certaine pour les voyages, avec des harmonies empruntées à la musique indienne et orientale. «Back to My Om» et «Rock My Home», dont le bassiste nous dira avec humour qu’ils contiennent des assonances fortuites, possèdent une identité sonore dont les bases furent posées par In a Silent Way et Bitches Brew, les deux albums de Miles Davis. Du jazz électrique, donc, mais avec des tonalités intimistes et des silences bien peu usités à la grande époque du jazz fusion, plus encline aux exploits instrumentaux et aux prestations étourdissantes. Christophe Wallemme utilise d’ailleurs une basse fretless propice aux glissandos et à un jeu expressif, en slide comme en slap. À l’avenant, les percussions d’Adriano Tenorio sont tantôt jouées à mains nues, tantôt avec des baguettes, et ce parti pris expressif et sensuel est particulièrement émouvant sur «Kaya», où les musiciens font montre d’un sens du collectif conforme à la vision du leader. «Ma Kali» met en évidence l’aspect spirituel de l’œuvre, en même temps qu’il révèle la dévotion inspirée par la déesse hindoue de la préservation, de la transformation et de la destruction. Sur ce morceau, les mauvais génies censément dissipés par l’évocation de Kali s’incarnent essentiellement en la personne de Manu Codjia, qui prend un solo de guitare électrique mémorable durant plusieurs minutes, portant l’attention du public à son plus haut degré d’intensité pendant ce qui s’apparente à un hommage plus ou moins inconscient à Allan Holdsworth, quoi que les figures en sweeping évoquent plutôt le style pyrotechnique de Frank Gambale, le guitariste du Chick Corea Elektric Band. «Le Temps Présent» comporte de multiples nuances réverbérées, sorte de voyage ouaté au pays des couleurs, avec des volutes en spirale qui se dissipent dans l’atmosphère à la façon de fumerolles polychromes (une véritable machine fumigène est à l’œuvre sur scène). «Un Rêve de Cochin» comprend une longue introduction à la basse électrique, avec effet phasing et boucles électroniques. Sur ce titre inspiré d’un voyage éclair de quelques jours en Inde, on est plus proche de ce que proposait Jaco Pastorius sur «Continuum», tandis que «Charly» introduit des atmosphères plus percussives, tel que popularisées, entre autres, par Stanley Clarke. Christophe Wallemme remerciera chaleureusement le public d’avoir partagé ce moment avec le groupe alors que, dit-il, «il y avait tant de choses intéressantes à voir à la télé ce soir», et le set se termine dans une atmosphère de communion entre les musiciens et le public sans doute assez proche de ce que l’artiste avait en tête en enregistrant son album. JPA

Le 5 mai au Duc des Lombards, c’est en quartet qu’on retrouvait Tom Harrell. Le trompettiste, en très grande forme, était accompagné de Danny Grissett (p), Ugonna Okegwo (b) et Adam Cruz (dm). Et c’est avec ce groupe très soudé, ces musiciens ultra solides, avec qui il joue ensemble depuis dix ans, qu’il a donné un set plein d’énergie où tout est supérieur. Tom Harrell ne cesse de composer, on le sait, et d’étoffer un répertoire de compositions originales et une discographie déjà très riches. Ce soir-là, il a puisé dans ses trois de ses derniers albums. Le set se composait de quatre thèmes du leader («Sunday», «Delta on the Nile», «Otra») et de deux standards («There Will Never Be Another You», «The Song Is You»). Si, en raison de sa subtilité et de sa complexité, la musique de Tom Harrell contraint parfois les musiciens à se pencher sur leurs partitions, ce soir-là, cette musique déborde de swing. Les mélodies sont superbes. Tout est original. Vers la fin de la soirée, le trompettiste nous interprète «Vibrer» (qui paraîtra sur Moving Picture, son prochain album dont la sortie est prévue en septembre) en duo avec Danny Grissett, au jeu aussi élégant qu’original. Un de plus beaux moments de cette soirée, exceptionnelle. MP

Quand le batteur Joris Dudli vient jouer à Paris, c’est toujours en bonne compagnie. On se souvient de concerts inoubliables avec Sonny Fortune, en quintet, ou avec Vincent Herring, Eric Alexander et Harold Mabern, en quintet, ou encore avec Curtis Fuller. C’était en février 2013. Le tromboniste historique était alors accompagné de Josh Bruneau (tp), Ralph Reichert (ts), Rob Bargad (p), Milan Nikolic (b) et Joris Dudli. Voir Curtis Fuller à Paris après des années d’absence était poignant. Quatre ans plus tard, c’est au Duc des Lombards que le batteur célébrait le 19 mai le 60e anniversaire de l’album Blue Train de John Coltrane avec son Blue Train Sextet, cette fois sans Curtis Fuller, ralenti, à 82 ans, par des problèmes de santé. Du coup, c’est l’excellent Steve Davis (tb) qui le remplace. Le musicien new-yorkais, très rare à Paris, jouait en compagnie de Milan Nikolic (b), Ralph Reichert (ts), Oliver Kent (p), Jim Rotondi (tp) et Joris Dudli. Ce sextet incarne cet état d’esprit du hard bop, ancré dans la tradition. Loin de toute nostalgie, il en est la descendance directe. Les six musiciens, au jeu personnel et au swing du tonnerre, attaquent avec «Easy» et «Spirit Waltz», deux compositions de Davis. Bien sûr, tout cela est brillant et inspiré, les musiciens sont soudés. C’est le dernier soir de dix jours de tournée à travers l’Europe. Ils jouent au maximum. Mais plus encore, la complicité de Davis, Rotondi et Dudli remonte au début des années 1990 lorsqu’ils se retrouvaient pour jouer au Augie’s, devenu depuis le Smoke, à Harlem (lire l’interview de Joris Dudli dans Jazz Hot n°670: c’est là qu’est né One For All, le sextet cofondé par Steve Davis, Jim Rotondi, Eric Alexander, John Webber, David Hazeltine et Joe Farnsworth). Et Dudli, Reichert, Nikolic tournent ensemble depuis des années. Cette complicité-là, cette confiance-là s’entend. La soirée se poursuit avec «Déjà vu» du pianiste autrichien Oliver Kent, dont c’est le premier passage à Paris. Lui aussi a fait un détour par New York au début des années 1990, après avoir fait ses armes avec Art Farmer et Idris Muhammad à Vienne avant de s’y installer à nouveau en 1995. Tout au long de la soirée, Reichert et Nikolic donnent tout. Rotondi alterne entre bugle et trompette, et c’est dans un solo magnifique, sensible, bouleversant, qu’il revisite «My Romance», rejoint par Kent. Le sextet reprend avec «Ruth», une composition du trompettiste dédié à sa mère, et conclut la soirée avec «Blue Train, dont l’arrangement très enlevé est signé Joris Dudli, tout comme cette tournée. On attend son retour avec impatience! MP

Fred Hersch © Patrick Martineau

Le 23 mai, Fred Hersch (p), John Herbert (b), Eric Mc Pherson (dm), investissaient la scène du Sunside pour promouvoir leur album live Sunday Night at the Vanguard. Le trio n’en est pas à son coup d’essai puisqu’ils avaient déjà enregistré en ce même lieu mythique le fameux Alive at the Village Vanguard qui, en 2012, marquait la résurrection de l’artiste au sortir d’un coma lié à sa séropositivité. Un malaise de John Herbert au début du concert, sans qu’on sache vraiment s’il était dû au trac ou non, aurait pu mal augurer d’une prestation empreinte tout d’abord d’une tension très perceptible. Mais le talent des musiciens, l’habitude des joutes musicales de haut niveau dans un partenariat qui pousse au dépassement personnel plutôt qu’à la démonstration technique, fait rapidement des échanges proposés au public attentif un spectacle de haut vol. Fred Hersch, déjà connu pour un répertoire extrêmement vaste, approfondit encore sa recherche d’absolu musical, puisant son inspiration aussi bien dans le répertoire de la musique brésilienne (Antonio Carlos Jobim) que dans la pop (Joni Mitchell, Beatles) ou le jazz traditionnel (Thelonious Monk, Benny Golson). Le résultat est bouleversant, à la fois exercice d’érudition virtuose (l’artiste change ses arrangements et ses résolutions d’accords d’une performance à l’autre) et partage d’émotions hors pair, basé sur un parti pris d’universalité unique en son genre. «Serpentine», tiré de l’album live permet de goûter le jeu de batterie tout en finesse de Eric Mc Pherson, dont la maitrise aux balais est à nulle autre semblable, alliant délicatesse et puissance au service d’une intensité dont le trio ne se départit jamais. Les structures circulaires jouées par le groupe ondulent dans l’espace comme autant de motifs libertaires. Fred Hersch ajoute çà et là des tensions internes à la trame des mélodies en introduisant des chromatismes et des silences inattendus au sein de ses phrases, laissant l’auditeur mentaliser seul la mélodie, comme si elle se déployait alors dans un espace non limité par nos capacités de représentation. «Let’s Cool One» de Monk est assurément, de ce point de vue, le moment marquant du premier set, proposant subtilités rythmiques abouties et mini-breaks qui désossent le thème, révélant des richesses sous-jacentes qui donnent envie d’aller réécouter l’original dès la sortie du concert. Puis le pianiste nous informe que le second set sera constitué d’une performance en solo, l’indisposition de John Herbert s’étant malheureusement confirmée entretemps. Chacun retient son souffle alors, tant l’exercice est certes bien connu de Fred Hersch, mais certainement pas prévu au moment de l’annonce officielle des dates effectuées par le combo dans la capitale. «Both sides now», de la chanteuse Joni Mitchell (qui toucha au jazz avec l’album Court and Spark), exprime le goût du pianiste pour les morceaux chantés (que les jazzmen nomment judicieusement «songs» qu’il s’agisse d’instrumentaux ou de chansons). «For No One» des Beatles n’est pas la composition la plus célèbre des Fab Four, mais prend un sens tout particulier quand on sait que le pianiste ne peut interpréter des titres dont il n’aime pas les paroles (Jazz Hot n°679). «After You’re Gone» fait revivre les fantômes de Bessie Smith et de Louis Armstrong. À cet instant, des masses d’énergie flottante semblent s’épanouir dans la salle, donnant un sens plus pur aux notes de musique égrenées, et le public se sent en osmose avec l’artiste dont la solitude sur scène paraît curieusement renforcée, au titre d’une prestation d’ensemble qui relève proprement de la poésie. Fred Hersch nous quitte sur un ultime rappel mariant le piano rag de Scott Joplin à la délicatesse des arpèges de Bill Evans. Il sort de scène le visage dévasté par l’effort de concentration fourni, et les notes de piano continuent de résonner dans nos têtes, à l’instar des mots de Tomas Tranströmer: «Chaque homme est une porte entrouverte donnant sur une salle commune». JPA

Glenn Ferris et Yoann Loustalot © Patrick Martineau

Le 25 mai au Sunset, le groupe Aerophone composé de Yoann Loustalot (tp, flh), Blaise Chevallier (b), Fred Pasqua (dm), et Glenn Ferris (tb) venait nous présenter son nouvel album Atrabile. A l’origine un trio fondé par Yoann Loustalot et le contrebassiste Blaise Chevallier, les expérimentations sonores et philosophiques du groupe reposent initialement sur l’absence de soutien d’un instrument harmonique, privilégiant un certain dénudement propitiatoire à un retour aux sources de la musique. Déjà leur troisième disque, paru chez Bruit Chic, Atrabile est aussi une première œuvre en quartet, avec l’adjonction de Glenn Ferris au trio de base. Le premier titre qui nous est proposé est «Improvisation», le justement nommé, et qui place d’emblée le set sous le signe des explorations dont le combo s’est fait une spécialité. Les schèmes déployés traduisent le goût de la formation pour les structures ouvertes, avec une appétence non dissimulée pour le principe des poupées gigognes, tel qu’on peut l’appliquer en musique selon une logique de fractales. Le flirt avec le free jazz est constant, et le swing est aussi présent sous forme de tempos très rapides, qui mettent en exergue le talent de Blaise Chevallier. La trompette virtuose de Yoann Loustalot se taille rapidement la part du lion, avec le contrepoint presque oulipien offert par le trombone de Glenn Ferris, complètement intégré au groupe, loin de la mode des guest stars parfois préjudiciable à la cohésion musicale. Le jeu de batterie de Frédéric Pasqua est émaillé de nombreuses frappes sur le l’anneau de sa caisse claire, générant un son métallique et inharmonique dont il orne certains backbeats, proposant de fait une souplesse, une plasticité assez rares chez un drummer aussi accompli techniquement. «Moustal» semble un morceau fétiche de la formation, tant les musiciens y montrent l’étendue de leur sensibilité, mais «Sornette» constitue véritablement un pic d’inspiration pour le groupe, composé lors d’une tournée à l’annonce du décès d’Ornette Coleman, et donnant libre cours au dodécaphonisme en forme de crescendo qui constitue une sorte de trademark chez Aerophone. «Ancient Empire», dont le trompettiste nous dit ironiquement qu’elle n’a jamais été jouée en public, introduit des nuances sombres dans un set par ailleurs traversé par une joie de vivre et de jouer évidents. Un humour et une légèreté compatibles avec une certaine profondeur, tel semble le leitmotiv du concert. «Spontaneous Suite» porte le sceau de l’immédiateté, composé rapidement et interprété en fonction de l’inspiration du moment. Si la tonalité est ici résolument acoustique, les territoires défrichés ne sont pas sans évoquer certaines œuvres de fusion progressive, avec des changements d’accord incroyablement dynamiques. L’art du contretemps, au niveau rythmique, se conjugue de fait avec le contrepoint harmonique, lorsque les échanges entre trompette et trombone se font plus denses et plus intenses. Le caractère protéiforme du groupe lui permet ainsi de flirter avec la musique contemporaine au hasard de pérégrinations musicales déterritorialisées. «Atrabile» renoue avec une certaine mélancolie, plus proche de la saudade brésilienne que du desassossego portugais, tandis que «Spongious» semble basé sur la gamme tempérée de la musique sérielle. Finalement, le coup de cœur du public va certainement à «Pousse-Pousse», confirmant l‘appétence de la formation pour les breaks fulgurants, et constituant un climax qui emporte l’adhésion pleine et entière des personnes présentes sur scène comme dans la salle. Une bien belle performance de la part d’un collectif qui tient toutes ses promesses, sans jamais céder à la facilité. JPA

l y a des concerts dont la musique reste avec vous et ne vous quitte pas pendant trois jours. Vous ne regrettez qu’une chose: qu’elle n’ait pas été enregistrée ce soir-là pour retenir un peu de son intensité et de la beauté des mélodies. Le concert de Antonio Faraò du 26 mai au Sunset fait partie de ces concerts. Le pianiste italien, que l’on a entendu en avril avec Benny Golson, jouait en trio avec Thomas Bramerie (b) et Jean-Pierre Arnaud (dm). Les trois musiciens se connaissent, très bien même. Durant trois sets, de 45 minutes chacun, tout est très intense, très collectif, si bien que, composition originale après composition originale du leader («Something», «Seven Steps to Heaven», «Domi», «Positive Life», «Syrian Children», «Theme for Bond», «Black Inside»), s’acheminant vers des relectures très contemporaines de «Giant Steps», «Maiden Voyage», «Round Midnight» et «Oleo», on peine à croire que ces trois musiciens d’exception n’aient pas joué ensemble depuis plus de vingt ans, tant ils sont soudés et le déroulé de la soirée, naturel. Ce plaisir qu’ils ont eu à jouer ensemble, qui a nourri une atmosphère jazz pétrie de virtuosité artistique, ils nous l’ont transmis avec générosité, et on s’en souviendra longtemps. MP

Robeurt Féneck & Mad in Swing Big Band © Didier Pallagès by courtesy

Qu’on se le dise, Stéphane Roger est gentiment agité de la cafetière! Le batteur, que l’on peut entendre tous les dimanche soir au Caveau de La Huchette avec son Megawing, avait, le 29 mai à L’Européen, libéré son délirant alter ego: le chanteur Robeurt Féneck! Devant un public fourni où se retrouvèrent beaucoup de musiciens et d’amis, Stéphane Roger, à la tête d’une formation de dix pièces, le Mad in Swing Big Band, a donné un spectacle au ton parodique, faussement maladroit car, au contraire solidement écrit et musicalement excellent. Le leader, débute ainsi seul en scène par un long solo de batterie qu’on devine être la très reconnaissable intro de «Sing Sing Sing». Entrent ensuite la section de soufflants –François Biensan (tp, responsable des arrangements acrobatiques des improbables reprises composant la set-list), Pierre Gicquéro (tb), Pierre-Louis Cas (as, cl), Philippe Chagne (ts, fl)– ainsi que Nicolas Peslier (g), César Pastre (ep) et Patricia Lebeugle (b). Ce premier morceau instrumental installe le décor de la soirée: celui d’un vrai big band, avec une pêche terrible. Stéphane Roger abandonne alors les baguettes à Roger Ménière (ancien de chez Maxim Saury), renforcé par Jean-Philippe Naeder (perc), et endosse les habits bariolés de Robeurt Féneck: veste à queue de pie, bermuda et canne de dandy. Les reprises fantaisistes s’enchaînent: certaines sont des tubes de variétés (très bien) jazzifiés («Born to be Alive» pris en mode bossa ou «Alexandrie, Alexandra» transformé en un très drôle et swinguant «Les Ayant droits»), d’autres sont des standards détournés («It’s a Good Day» devenu «Une Belle journée» ou «Makin' Whoopee» changé en «Makin' Poopee», pour la touche pipi-caca…). Bref, on s’amuse beaucoup de cette rencontre du calembour et du jazz –on est dans l’esprit Boris Vian; de même qu’on se régale des interventions des solistes, tous magnifiques. Robeurt Fénecka a ainsi embarqué sans difficulté la salle dans ses joyeuses facéties, dont l’ultime consista à effectuer le rappel habillé en femme! C’est pourtant très ému que Stéphane Roger quitta un public ravi et des musiciens heureux, car faire vivre sur scène un tel projet reste, quoi qu’il en soit, un moment de grâce. JP

Le Dany Doriz Swing Band (sans Dany Doriz) © Georges Herpe

Le Dany Doriz Swing Band était programmé au Caveau de La Huchette le 30 mai. Mais son leader ayant été retenu, il n’a pu assurer la direction de l’orchestre. Mais il fallait davantage pour désarçonner les musiciens, rôdés au répertoire et au jeu collectif, et qui ont assuré le spectacle avec bonne humeur et dynamisme! Encore une bonne soirée de swing pour les danseurs! Pascal Thouvenin (ts), grand maître des arrangements était secondé par son collègue ténor, Boris Blanchet, qui s’est dépensé sans compter. Il est impressionnant à voir! La rythmique était excellemment assurée par Philippe Petit (org) et Didier Dorise (dm). Au menu de cette agréable soirée – qui a permis de constater que l’engouement créé par le fim La La Land ne se dément pas – étaient inscrits les morceaux suivants: «Amen», «Slipped Disc», «Moanin’» (que Duffy Jackson chanta au Caveau il y a quelques années), «Place du Tertre» de Biréli Lagrène ou encore le fétiche «Hamp’s Boogie». La Huchette, c’est toujours chouette… GH

Textes: Jean-Pierre Alenda, Georges Herpe, Jérôme Partage, Mathieu Perez
P
hotos:
Georges Herpe, Patrick Martineau
, Didier Pallagès by courtesy
© Jazz Hot n°680, été 2017


Les Quatre Vents © Francis Raissac

Espace Julien / Le Cri du Port
Marseille (13), 10 mai 2017

Le 10 mai, l'Espace Julien proposait deux concerts avec le soutien du Cri du Port. En première partie, Les Quatre Vents, tout jeune groupe né en octobre 2016, est composé de zélés serviteurs du jazz très actifs depuis plusieurs années sur la scène sudiste et nationale, à savoir Perrine Mansuy (ep), Christophe Leloil (tp), Pierre Fenichel (b) et Fred Pasqua (dm). Pour leur troisième concert en public, le mistral a été gagnant, délaissant le piano acoustique pour un clavier électrique, le groupe a fait le bon choix pour cette soirée placée sous le signe des puissances telluriques. Il fallait assurer en lever de rideau de John Patitucci et dans un bref set le succès a été immédiat. Si nous n'avions pas doute sur la qualité individuelle de chacun des musiciens, vu leurs parcours et leur expérience, la question portait sur la réussite de leur nouvelle alchimie. Cette réserve fut immédiatement balayée, envolée dès le premier titre scintillant et claquant qui propulsa le quartet dans une fusion bouillonnante et salutaire. Une musique réjouissante qui prouve que le jazz européen peut être festif, de qualité et sans concession. Les plus anciens pourront établir un parallèle avec les groupes de Randy Brecker ou avec la première formule de Return to Forever de Chick Corea, chanteuse en moins. Le groupe sonne funky par moment et la rythmique magistrale assure un tempo qui permet les plus belles envolées à chacun des solistes. Un groupe terriblement équilibré avec quatre mousquetaires portant un vrai projet commun qui vise un swing électrique. Tel quatre boules de cuir qui virevoltent sur le ring, le match se déroule en grande vitesse et le final arrive trop tôt. Les titres sont signés par Perrine Mansuy («La Baie singes», «La Nuit») qui a déjà produit plusieurs albums personnels, Christophe Leloil («Must Seen», «Deval in Time») qui lui aussi dirige son quintet et un final, «Libeccio», de Pierre Fenichel. Titre symbolique pour clore cette première partie qui mariait un esprit de chaleur, de force, de liberté qui souffle sur la côte méditerranéenne. Si tous les titres et les solos furent très applaudis, le batteur Fred Pasqua reçu une véritable ovation pour un final hyper vitaminé. Il faut espérer qu’au-delà des scènes de jazz qui seront sans aucun doute sensibles à ce groupe détonnant les scènes dites de musiques actuelles comprennent que ces musiciens peuvent déclencher l’émeute dans les rangs de leur public.

John Patitucci © Francis Raissac

Quand John Patitucci (eb) ne tourne pas avec Wayne Shorter ou l’Elektric Band de Chick Corea, il a le loisir de tourner avec ses propres projets, dont l’excellent Electric Guitar Quartet, avec un dernier album,
Brooklyn, paru fin 2015. Seulement deux dates en France pour cet European Tour (la seconde à Nice) qui présentait les titres de Brooklyn en hommage à son quartier natal. Si John Patitucci a souvent joué à Marseille avec Wayne Shorter, lors de différentes éditions du Festival Marseille Jazz des Cinq Continents, il fallait remonter en 1994 pour son premier et unique concert en leader dans cette ville et c’était justement à l’Espace Julien, concert organisé par le Cri du Port. C’est avec une certaine émotion et humour (vu sa photo et sa coupe de cheveu de l’époque) qu’il redécouvrait dans sa loge le programme datant de cette époque de jeunesse. Steve Cardenas (g) s’était produit aussi dans cette salle en 2015 au sein du groupe de Steve Swallow, et pour conclure les retrouvailles, Adam Rogers (g), pas vraiment reconnu en France avait aussi joué pour le Cri du Port avec Scott Colley et en leader. Cet historique fait, on ne peut oublier leur quatrième compère, le batteur exceptionnel, Nate Smith (dm) qui remplace Brian Blade présent sur Brooklyn. Après un bref changement de plateau, le rideau rouge s’ouvre et le tonnerre annonce la tempête. Le groupe va livrer durant 75 minutes une musique de fête, jouissance entre la fusion et le blues intense où les deux guitaristes dans un équilibre de funambule nous ravissent. John Patitucci est certes le leader mais il n’assène pas de longs solos démonstratifs de sa technique; le groupe joue sa musique et tous sont à son service. Il présente avec humour deux titres successifs de Thelonious Monk, «Four in One» et «Trinkle Tinkle», compositeur peu joué par les guitaristes, à part l’Electric Be Bop Band de feu Paul Motian. Il enchaîne avec «Band of Brothers», assez symbolique de cette réunion, suivi d’un blues d’enfer dédié à B.B. King qu’il a accompagné dans sa jeunesse, puis il propose une ballade en hommage à son épouse, «Valentina». Le répertoire met en valeur à tour de rôle chaque soliste qui développe son univers, sa sonorité, pour un résultat collectif de haut niveau. Même si certains thèmes nécessitent un œil sur la partition, car ils sont joués sur scène pour la seconde fois, on a face à nous un groupe authentique. A saluer, la performance de Nate Smith qui joue d’habitude avec Chris Potter ou Randy Brecker aussi puissant que délicat sur le final joué aux balais.

Texte: Philippe Berre
Photos: Francis Raissac
by courtesy of Le Cri du Port
© Jazz Hot n°680, été 2017


© Patrick Martineau



Jazz Portraits
Aux Petits Joueurs (Paris 19e), du 1er au 30 avril 2017

Durant tout le mois d'avril, «notre» Patrick Martineau exposait, dans le bistrot Aux Petits Joueurs, ses photos dont beaucoup sont connues des lecteurs de Jazz Hot. Des portraits de musiciens noir et blanc, comme Patrick les affectionne, et qu'on pouvait ainsi admirer au-delà de l'écran dans un endroit qui s'y prêtait parfaitement, soit le sympathique club de la rue de Mouzaïa où le patron, Olivier David, leur avait réservé un accueil des plus amicaux. Tout ceci s'effectuant bien naturellement sous le patronage de Jazz Hot.

Le 5 avril, le vernissage s'est tenu à l'occasion d'un de ces mercredis où la scène des Petits Joueurs est tenue par Daniel John Martin (vln, voc). Beaucoup d'amis et de professionnels se sont ainsi retrouvés autour de l'artiste (et de quelques verres): les photographes Anna Solé, Bruno Charavet, Bernard Bérenguer, la monteuse de cinéma Nancy Wahl et, pour le monde du jazz, Manu Le Prince, Marie-Laure Célisse et Mv Guilmont, des musiciens César Pastre, Alexandre Arnaud, Arsène Charry, Frédéric Poujouly, Karo Gorille, Pascal Vautrot et Sylvie Lefebvre du Corbeil-Essonnes Jazz Festival.

Jean-Pierre Alenda se cache parmi les invités. Indice: il a un verre à la main. © Patrick Martineau    Patrick Martineau toujours en très bonne compagnie © Nancy Wahl, by courtesy

L’exposition a permis aux visiteurs d’admirer de magnifiques clichés pris sur le mode ombres et lumières caractéristique du photographe, avec notamment des images de Denis King, Cécile McLorin Salvant, Ricky Ford, China Moses, Mighty Mo Rodgers ou Rhoda Scott. Nourrie de ses riches expériences personnelles, cette promenade musicale dans tous les lieux où le jazz se donne en spectacle révèle moments d’inspiration, d’abandon, et/ou de concentration des musiciens, avec une importance égale apportée à la forme et au contenu. En un lieu où le jazz de Django est régulièrement à l’honneur, et qui accueille aussi bien le blues et les musiques du monde, l’intérêt pour les autres, le goût des rencontres, l’instant privilégié de la convivialité qui réunissent les amateurs révèlent toute la beauté des portraits exposés, ajoutant un supplément d’âme à des prises de vue qui magnifient le travail des artistes et l’énergie qu’ils transmettent au public. Un moment de partage comme ceux que prise Patrick Martineau.

Texte: Jean-Pierre Alenda
P
hotos:
Patrick Martineau et Nancy Wahl

© Jazz Hot n°679, printemps 2017


Paris en clubs
Avril 2017

Le 5 avril, dans un Duc des Lombards bondé, Benny Golson (ts), était accompagné des excellents Antonio Faraò (p), Gilles Naturel (b) et Doug Sides (dm). Le jeune homme de 88 ans cultive un rôle de passeur, racontant la musique autant qu’il la joue, avec la fragilité, l’intensité et le swing permanent d’un maestro. Ainsi, entre deux thèmes, il retrace l’histoire du jazz telle qu’il l’a vécue à Philadelphie, à la fin des années 40, en côtoyant John Coltrane, les frères Heath, le pianiste Red Garland ou le batteur Philly Joe Jones. Chaque morceau proposé est l'occasion d'une longue évocation comme sur sa composition en hommage à Clifford Brown «I Remember Clifford» avec qui il partagea la scène au début des années 50. Au-delà du superbe ténor au large vibrato avec un phrasé toujours aussi sinueux, moins modal que dans les années 80, on retiendra le compositeur prolifique avec son bluesy «Blues March», «Whisper not», ou une belle version de «Killer Joe» au swing irrésistible. Antonio Faraò se veut un excellent sideman au service du leader en délaissant l'ombre de Bill Evans pour un jeu plus dynamique et post bop. La rythmique impeccable amenée par Gilles Naturel, à la belle sonorité boisée et ronde, tandis que les baguettes du puissant Doug Sides assurent un tremplin idéal au soliste sous les yeux du pianiste de Detroit Kirk Lightsey venu saluer son vieil ami Benny Golson qu'il accompagna à de nombreuses reprises. DB & MP

Don Menza et Nicole Herzog © David Bouzaclou


Le 11 avril, toujours au Duc des Lombards, c'est une ancienne gloire du style west coast qui s'illustrait à l'aube de son 81e printemps: Don Menza. Bien que New-yorkais, ce spécialiste des pupitres s'est illustré avec son ténor chez Maynard Ferguson, Buddy Rich, Louis Bellson, Woody Herman et Stan Kenton après un intermède européen en Allemagne. Son travail tant pour la télévision et les studios est considérable mais c'est sa participation au projet de Supersax qui donnera à sa carrière un nouvel élan au-delà des petites formations auquel il a participé auprès de Frank Rosolino (tb), Conte Candoli (tp) ou Shelly Manne (dm). Pour son rendez-vous parisien, il s'était entouré d'un excellent trio franco-autrichien amené par le Bordelais Vincent Bourgeyx (p), Fabien Marcos (b) et Bernd Reiter (dm). Dès le premier thème «I Remember You» on reste subjugué par le jeu droit et direct de Don Menza avec un énorme vibrato dans la lignée d'un Zoot Sims avec de longues phrases sinueuses. Une belle version de «My One and Only Love» permet au leader d'évoquer son travail avec d'illustres chanteurs tels que Sarah Vaughan, Carmen McRae ou Tony Bennett avant d'annoncer la venue de son invité la chanteuse suisse Nicole Herzog. Avec sa voix fluette au charme désuet évoquant parfois Billie Holliday, elle revisite avec brio «Mood indigo». On retiendra également le final calypso sur un thème de film où Don Menza évoqua Sonny Rollins dans son approche de l'instrument comme un clin d'œil à son héritage stylistique. DB

The Amazing Keystone Septet © Patrick Martineau

Le 13 avril 2017, le Jazz Club Etoile accueille the Amazing Keystone Septet, issu du Keystone Big Band, qui a revisité avec succès des classiques tels que Pierre et le Loup de Serguei Prokofiev, et Le Carnaval des Animaux, de Camille Saint-Saëns. Tout commence par une interprétation énergique de «Jet Song», tiré de West Side Story. Cette œuvre fait l’objet d’une relecture jazz que n’aurait pas reniée Leonard Bernstein, et Bastien Ballaz (tb) déploie déjà sur ce titre toute la virtuosité dont il est capable. Avec lui, le saxophoniste Jon Bouteiller (ts), le pianiste Fred Nardin (p), et le trompettiste David Enhco (tp), forment le noyau dur de la formation, mais ce soir, c’est Malo Mazurié (tp), un fan de Bix Beiderbecke, grand connaisseur du jazz de New Orleans, qui le remplace sur scène. Épaulés par Jean-Philippe Scali (as, bar), Florent Nisse (b) et Romain Sarron (dm), ils vont livrer une prestation toute de finesse et de générosité. «The Gentleman Is a Dope», popularisé par Jo Stafford, est une première occasion de relever le phrasé et la diction impeccable de la jeune chanteuse Célia Kameni (voc), dont le jeu de scène habité apporte énormément à la performance du jour. Les interactions entre la basse de Florent Nisse et la voix réminiscente des plus grandes divas du jazz, font merveille sur «Come Sunday» de Duke Ellington, avec un vibrato exceptionnel calé sur les circonvolutions rythmiques de la batterie de Romain Sarron. Les compositions de West Side Story font vraiment figure de fil rouge pour le septet, qui joue le prologue de la comédie musicale en entame de son second set, comme pour mieux célébrer les noces virtuelles de la danse et du jazz, tel qu’esquissées en une sorte de chorégraphie imaginaire très palpable sur scène, quoi que seulement suggérée par le groupe. «Something is coming» puis «Sometimes I’m happy», sur lesquels la trompette de Malo Mazurié, se détache, relèvent d’ailleurs, d’un music-hall de la plus belle facture, et la reprise de «Everyone Wants to Be a Cat», célébrissime comptine du film Les Aristochats, constitue, en quelque sorte, la divine surprise de la soirée, avec une performance une nouvelle fois impeccable de Célia Kameni, rehaussée par la palette harmonique hors pair de Jon Bouteiller; un musicien qui a l’art de se mouvoir avec décontraction au sein des différents changements de clé et de tempo qu’il suscite et appelle , évacuant comme en China Moses © Patrick Martineause jouant toute monotonie d’un spectacle combinant autant de saveurs musicales que de fragrances mélodiques. «East of the Sun, West of the Moon», de Brooks Bowman, et «Blues in the Night» évoquent des paysages oniriques empreints d’une élégance suave, et achèvent de transporter le public en un monde meilleur, avec leurs efflorescences lunaires, évocation presque mystique du monde de la nuit. Fred Nardin, récent lauréat du prix Django Reinhardt, éclabousse au passage de son talent plusieurs chorus mémorables, avant qu’une reprise de «The Gentkeman is a Dope» en guise de rappel itératif n’établisse définitivement l’empreinte d’un combo qui sonne comme un big band. Un bien beau concert, avec une esthétique très élaborée, issue d’un mariage réussi entre tradition et modernité. JPA

China Moses (voc) était au New Morning, le 28 avril, pour nous nous présenter le répertoire de son nouvel album Nightintales (MPS). Entourée de Luigi Grasso (as), Mike Gorman (p), Luke Wynter (elb) et Marijus Aleksa (dm), la diva a proposé un show entre jazz, soul et funk, empli d’énergie. Auteur de ses chansons, elle découvre son univers au fur et à mesure des morceaux, aborde des thèmes de société, comme sur «Disconnect» sur la présence invasive des réseaux sociaux dont elle est pourtant une adepte. L’arrivée de Josiah Woodson (tp) sera l’occasion d’un excellent moment avec «Watch Out» et un duo épatant avec Luigi Grasso. Un concert mené avec maîtrise par une chanteuse talentueuse et charismatique et dont le caractère transversal, au sein des musiques afro-américaines, plait au plus grand nombre. JP




Frank Catalano Quartet © Patrick Martineau

En cette soirée pluvieuse du 30 avril, le Frank Catalano Quartet investissait la scène du Sunset pour un concert chaleureux, qui a considérablement augmenté la température du lieu à mesure que les titres allaient s’enchaîner. Patrick Villanueva (p), Jean Bardy (b), et Manu Dalmace (dm) secondent très efficacement le leader, qui donne en compagnie de ses «french guys» un concert extraordinaire de polyvalence, dont l’esprit œcuménique est en lui-même une prise de position artistique. Franck Catalano (ts) a joué très jeune avec Von Freeman, et se trouve très attaché, en tant que pilier du club Green Mill, à ce que l’on nomme «l’école de Chicago» du saxophone (Jazz Hot n°674). Entre deux sets, il nous dira sa passion pour la vigueur des «chases» initiées par des musiciens qu’il considère comme ses maîtres, tels Johnny Griffin, dont les tempos allègres lui donnent envie de travailler son timbre jusqu’à acquérir cette sonorité blues et brillante, envisagée comme un élément à part entière de son identité musicale. L’articulation du set s’effectue autour de Bye Bye, Black Bird, son récent album enregistré avec le batteur Jimmy Chamberlin, musicien qui a participé à l’aventure d’un groupe de rock alternatif célèbre, les Smashing Pumpkins. Fidèle à cette optique protéiforme, le saxophoniste joue ce soir avec Manu Dalmace, dont le jeu éclectique est empreint d’influences composites, allant du rock au jazz, en passant par le funk et le blues. «Bye Bye Black Bird», titre comportant cocottes funky et breaks de batterie, donne une idée de l’étendue du répertoire du groupe, tandis que les effluves de la période Mighty Burner (surnom de Charles Earland, l’un des mentors de Catalano) mettent en évidence des sonorités caractéristiques du soul jazz, mâtinées de quelques touches fusion. On songe aussi à Benny Golson sur Killer Joe, et bien sûr au groupe Weather Report, s’agissant de la cohésion d’ensemble et du fighting spirit. L’aspect à la fois très classique et finement métissé de la formation de Patrick Villanueva (il dissémine de nombreux motifs latino-américains au sein de ses parties solo), associé au caractère très bop et stylé de Jean Bardy, confèrent pourtant à la prestation un caractère très enraciné. «Sugar» avec ses accents colorés et son rythme soutenu, exprime une admiration immense envers Dexter Gordon, tandis que «Stella by Starlight» célèbre à sa façon Stan Getz, dont le timbre chaleureux hante visiblement les explorations du saxophoniste, même s’il dit mettre au même niveau toutes les expériences vécues en tant qu’artiste, que ce soit comme side man ou comme musicien de session, aux côtés de Tony Bennett («Fly Me to the Moon»), de Santana, ou de Miles Davis. Dans les second et troisième sets, c’est toutefois l’influence des Brecker Brothers qui s’avère vraiment la plus évidente, avec ses cascades de cuivres, ses rythmes binaires ondoyants et funky, et ses rythmiques syncopées. Et l’on se souvient de ce live mémorable gravé en compagnie de Randy Brecker, avec un son qui fait penser à Grover Washington Jr pour les passages jazz funk, une esthétique dont David Sanborn a d’ailleurs garanti l’intégrité en gravant deux parties de saxophone alto sur les titres de Bye Bye Black Bird. Les solos énergiques pris tour à tour par les musiciens traduisent l’importance de la dynamique dans une musique faite pour le live, littéralement irrésistible lorsque l’humour se mêle aux évolutions musicales du quartet. Le thème du film Retour vers le Futur, cher au cœur de Catalano, est d’ailleurs interprété magistralement, tandis que «Lazy Bird» porte la satisfaction du public à son comble, en rappelant le jazz plus exigeant des grands ainés, qui savaient conjuguer des valeurs d’entertainment avec ce qu’ils ressentaient comme un devoir de fraternité musicale. Un concert très généreux, animé par une vigueur tonifiante et contagieuse. JPA

Textes: Jean-Pierre Alenda, David Bouzaclou Jérôme Partage, Mathieu Perez
P
hotos:
David Bouzaclou et Patrick Martineau

© Jazz Hot n°679, printemps 2017


Naïsiwon El Aniou © Denis Rion, by courtesy

Billie Holiday. Sunny Side
A La Folie Théâtre (Paris 11e),
du 10 mars au 27 mai 2017

La comédienne Naïsiwon El Aniou a écrit, mis en scène et joue cette pièce inspirée de la vie de Billie Holiday. Durant 1h15, elle évoque, à travers la voix de Lady Day, seule dans une chambre, des épisodes tristes ou heureux de son parcours, le jazz, les hommes, la drogue, les conflits avec la police et la justice, ou encore son alter ego chéri, Lester Young. Naïsiwon El Aniou interprète avec finesse la fragilité bravache de Billie. En outre, elle met en résonance les terribles épreuves de la diva blues avec son œuvre, récitant les textes de ses chansons (en rappelant qu'elle en était l'auteur) avant de diffuser l'extrait d'un enregistrement original. Par ailleurs, Naïsiwon El Aniou ajoute une dimension dansée à sa Billie Holiday, une façon se s’approprier le personnage auquel elle rend un hommage dont on peut apprécier la justesse ainsi que la dimension didactique.
Ce spectacle sera de nouveau à l'affiche d'A La Folie Théâtre du 8 septembre au 2 décembre 2017.

Texte: Jérôme Partage
P
hoto:
Denis Rion, by courtesy of Cie Le Malika

© Jazz Hot n°679, printemps 2017


Paris en clubs
Mars 2017

«Jazzola» était l’intitulé du concert du 2 mars au Jazz-Club Etoile. C’est aussi le nom de l’album enregistré en 2002 par Dany Doriz (vib) avec le grand Marcel Azzola (acc). Les deux musiciens étaient ainsi entourés, ce soir-là, par Nicolas Peslier (g), Philippe Duchemin (p), Patricia Lebeugle (b) et Didier Dorise (dm). Après un morceau d’introduction par le quintet, Marcel Azzola entre en scène et raconte déjà une première anecdote, à propos de Biréli Lagrène, avant de commencer à jouer. Il en distillera avec humour tout au long de la soirée. Il débute ainsi avec «Place du Tertre» de Biréli, justement, suivi de «Double scotch», une de ses compositions ponctuée d’un remarquable solo de Nicolas Peslier. Changement de registre avec «Taking a Chance on Love» de Vernon Duke et «Rockin’ in Rhythm» de Duke Ellington, dans une version adaptée spécialement pour l’accordéon, avec une prestation endiablée de Philippe Duchemin. Le premier set se conclut sur «Nuage» que Marcel introduit seul, avant de recueillir les réponses du piano et de la guitare sur le thème. L’accordéoniste redit son regret de ne jamais avoir accompagné Django, même s’il a eu l’occasion de jouer avec Babik et David, ainsi qu’avec les frères Ferré.

Marcel Azzola & Dany Doriz Quintet © Patrick Martineau

Par une «Pich'nette» le second set est lancé et Marcel Azzola entame, seul sur scène, son medley favori: un hommage émouvant à Jacques Brel, qui suscite chez son fidèle public des «chauffe Marcel» éclatants de sincérité. «Take Bach», une composition de Philippe Duchemin, est entamée pour le retour du quintet, qui clôt ce second volet. Il est minuit passé, la salle se vide un peu mais beaucoup d’amateurs vont rester pour applaudir les classiques: «Indifférence», la fameuse valse de Tony Murena, ou «Sweet Georgia Brown» et «Cherokee». On espère voir encore longtemps ce conteur de maintenant 90 printemps particulièrement mis en valeur par la formation de Dany Doriz et les harmonies colorées de ce dernier. PM

Esaie Cid, Estelle Perrault, Duylihn Nguyen © Jérôme Partage



Le 3 mars, à Autour de Midi, Esaie Cid (as) avait invité Estelle Perrault (voc) à se joindre à son trio (Gilles Réa, g, Duylihn Nguyen, b). Celle-ci est une nouvelle venue sur la scène jazz parisienne où elle se produit depuis deux ans seulement, en particulier pour des jam-sessions. C’est au cours de l’une d’elle a été repérée par l’altiste. La multiplication des chanteuses –qu’on écoute parfois plus avec les yeux– peut agacer l’amateur de jazz. Mais l’ami Esaie a un goût sûr et nous a permis de faire une jolie découverte: la jeune Estelle a une belle diction et le sens du swing. Lors de cette session très spontanée le groupe a enchaîné «Mean to Me», «One Note Samba», «Honey Suckle Rose» ou encore un «The Nearness of You» qu’Estelle Perrault a su rendre avec émotion. Le trio a quant à lui produit un jeu d’une grande finesse (interventions ciselées de Gilles Réa), à l’image de son leader qui allie une élégance de la sensibilité à une profondeur assez exotique compte-tenu de l’époque. JP

Sophie Alour et Rhoda Scott © Patrick Martineau

Il faut avoir vu Rhoda Scott au moins une fois dans sa vie. La façon dont elle joue de l’orgue Hammond, entourée de ses Cabines Leslie, est un spectacle en lui-même, et elle ne faillit pas à sa réputation en cette soirée du 16 mars au New Morning. A la voir ainsi manœuvrer son B3 légendaire, en un ballet sophistiqué des mains et des pieds nus sur les commandes, on se dit qu’elle est sans doute une des rares claviéristes à pouvoir jouer de façon aussi convaincante ses parties de basse, en parallèle des lignes mélodiques chaleureuses et puissantes qu’elle développe sans effort apparent. Elle joue en compagnie, comme elle le dit dans un français volontiers approximatif et humoristique, du «gratin» du jazz féminin français, et quelle belle idée que ce «all stars» entièrement dévolu à la cause féminine, le Lady Quartet avec Sophie Alour (ts), Lisa Cat-Berro (as) et Julie Saury (dm). Cet auguste aréopage nous est proposé à l’occasion de la sortie du disque We Free Queens. Ce soir, Lisa Cat Berro, l’une des figures emblématiques du quartet, est absente. C’est donc à Géraldine Laurent qu’échoit le redoutable honneur de jouer les parties de saxophone alto de Lisa, et son talent naturel, qui éclate désormais de maturité, lui permet de s’en sortir avec un brio certain, à telle enseigne que sa prestation constitue même l’un des highlights de l’événement. Le mélange des timbres avec le sax ténor de Sophie Alour est d’ailleurs l’un des atouts maîtres du quartet, et ce d’autant plus qu’il se combine souvent au cours du set avec les parties de trompette de Julien Alour, véritable joker masculin de l’équipe, qui transmue le combo en quintet le temps de quelques interventions bien senties (sans oublier Stéphane Belmondo qui vient lui aussi faire une apparition savoureuse en guest star pour un solo de bugle).
Julien Alour, Gérardline Laurent, Sophie Alour, Anne Paceo, Rhoda Scott © Patrick Martineau

Renforçant le caractère événementiel de ce happening (le concert est sold out), d’autres invités additionnels viennent enrichir de leurs contributions les performances du groupe: Anne Paceo (dm) et Stéphane Belmondo (flh). La première propose sur le remuant «I Wanna Move» un drumming judicieusement décalé par rapport à celui de Julie Saury, tandis que «What I’d Say», l’hymne rythm and blues de Ray Charles, donne le sentiment que Rhoda Scott transforme en or tout ce qu’elle interprète, véritable machine à swing dont le talent hors normes met en évidence le lien existant entre toutes les musiques issues de la matrice afro-américaine. Cet œcuménisme procure à Julie Saury un plaisir évident, qui l’amène à esquisser vocalement les lyrics des titres chantés dans leur version originale. Sur «Que reste-t-il de nos amours», de Charles Trenet, Sophie Alour se taille la part du lion, illustrant les liens profonds qu’entretient Rhoda Scott avec la culture française. Géraldine Laurent brille de mille feux sur «Rhoda’s Delight», tandis que «Valse à Charlotte» permet de se souvenir que Rhoda Scott est aussi à l’origine de quelques standards du jazz. «Joke» est de nouveau l’occasion pour Sophie Alour de monopoliser l’attention, et c’est elle qui aura sans nul doute marqué cette soirée, avec une fougue, une générosité, et une sonorité raffermie. La reprise de «Bad», le tube de Michaël Jackson, reste l’un des moments mémorables du concert. La passion de Julie Saury sur ce titre fait plaisir à voir, qu’elle conclut d’un spectaculaire «Who’s Bad» a capella emblématique du King of Pop. Cependant le Lady Quartet n’oublie pas les amateurs de jazz, au sens strict, en proposant, deux compositions de Wayne Shorter: «One by One» des Jazz Messengers (sur lequel, Julien Alour vient nous régaler de ses sonorités brillantes) et «Adam’s Apple» tiré de l’album éponyme avec Herbie Hancock. Des reprises interprétées dans un climat d’émulation qu’a symbolisé pleinement, par sa hardiesse, «We Free Queens». JPA

Tricia Evy et Riitta Paakki © Jérôme Partage

Sur la scène du Baiser Salé, le 17 mars, Tricia Evy (voc) rendait un joli hommage à Louis Armstrong, en compagnie de la pianiste finlandaise Riitta Paakki (née en 1971), laquelle se produit, dans son pays d’origine, avec son propre trio ou au sein d’autres formations. Avec de belles inflexions swing, la chanteuse s’est livrée à une évocation en bonne et due forme: «Love Is Here to Stay», «Basin Street Blues»… Très à son aise dans ce registre, elle a quelque fois poussé l’hommage jusqu’à l’imitation («Cheek to Cheek»), mais avec finesse et humour. La personnalité enjouée de Tricia collant assez bien à l’esprit du trompettiste et offrant un contraste certain avec le jeu –certes tout à fait jazz– mais très délicat de Riitta Paakki. Invité, Franck Nicolas est venu faire raisonner sa trompette sur quelques morceaux (dont un «When You’re Smiling» pris en mode bossa) mais avec une expression plutôt cool que hot. On serait curieux d’entendre de nouveau Tricia sur ce répertoire mais avec des interprètes qui en sont plus proches dans l'esthétique. JP

Le 18 mars, le Sunset était plein à craquer pour Lenny Popkin (ts) et son trio, composé de Gilles Naturel (b) et Carol Tristano (dm). En raison d’une programmation un peu maladroite, le trio ne put jouer qu’une petite heure (le set qui débutait à 20h était suivi du Thomas Savy Trio à 21h30), mais ce n’en fut pas moins un set passionnant. Car chacun de ces trois musiciens sont au diapason du jazz le plus sincère, le plus exigeant, et d’une recherche de tous les instants. Chez Lenny Popkin, des thèmes comme «After You're Gone», «Stardust», «These Foolish Things», «There Will Never Be Another You», «Out of Nowhere», «Star Eyes» sont autant de rampes de lancement vers des improvisations sensibles, fines, poétiques, à la beauté sans cesse renouvelée. Chacun de ces instants est une petite œuvre d’art. Après un tel concert, on attend avec impatience de revoir ce magnifique trio qu’on voit et entend trop bien peu à Paris. MP

Cyril & Leila Duclos © Jérôme Partage

Jolie découverte le 21 mars à la Cave du 38 Riv’: à 25 ans à peine, Leila Duclos (g, voc) interprète avec fraîcheur le répertoire de Django Reinhardt. Le duo avec son père, Cyril (g) –qui arbore encore un air de gamin– est visiblement fusionnel (on se doute bien comment l’amour de Django s’est transmis de père en fille): les deux musiciens composent et écrivent ensemble. Car leur évocation du grand guitariste passe aussi par la chanson (jazzy), comme «Jacqueline» et «Interaction». A ce duo intimiste et complice –enveloppé par la voix veloutée de Leila–, se sont agrégés Satoru Kita (ss) et Serge Marne (perc) qui apportent respectivement une touche free et world à l’univers jazz & chansons de Leila et Cyril Duclos. En résulte une interprétation délicate et colorée de standards («Caravan», «Belleville», «Les Yeux noirs»…) et de compositions originales, comme «La Braise» qui raconte l’incendie de la roulotte de Django. JP

Voilà un an et demi que le trompettiste Wallace Roney n’était venu à Paris. Le 23 mars, le Sunside affichait complet pour le leader. Soutenu par les excellents Ben Solomon (ts), Oscar L. Williams, Jr. (p), Curtis Lundy (b) et Eric Allen (dm), le leader nous a électrisés durant deux sets, piochant dans son répertoire habituel: une composition personnelle, «Metropolis», deux thèmes de Lenny White («L’s Bop», «Wolfbane»), un de Tony Williams («Elegy»), un de Wayne Shorter («Plaza Real»). Avec son intensité, cette atmosphère à la Miles Davis, qu’il sait créer comme personne, ce swing, cette profondeur, Wallace Roney et son quintet nous ont fait passer une soirée inoubliable! MP

Mighty Mo Rodgers © Patrick Martineau

Le 23 mars, toujours, Mighty Mo Rodgers (elp, voc) était au Jazz-Club Etoile pour notre plus grand plaisir. Entouré de bons musiciens italiens (Luca Giordano, g, Walter Monini, b, Alessandro Svampa, dm), le bluesman-philosophe a porté la bonne parole du blues à la façon d’un preacher: «The blues sets you free!». Chaque concert de Mighty Mo Rodgers est une création à part entière: il improvise, selon son inspiration du jour, des paroles pleines d’esprit et d’humour sur quelques accords, comme cette chanson où il raconte la visite de musées parisiens qui s’achève sur un dialogue avec «Le Penseur» de Rodin. Avec un art certain de la mise en scène (Maurice Rodgers joue le personnage de Mighty Mo Rodgers), il déroule des histoires en apparence très simples, mais pleine de profondeur («I Got a Call From the Devil»). Embrassant tout le spectre de la musique afro-américaine, il a rendu hommage à la soul music avec «Sweet Soul Music», entre deux aphorismes: « Only three things are true: dearth, taxes and blues!». Après quelques embardées du côté du reggae, au deuxième set, Mighty Mo Rodgers a livré un dernier set rock’n’roll, enchaînant les standards: «Johnny B. Goode» (du regretté Chuck Berry), «Lucille» (Little Richard), «Blueberry Hill» (Fats Domino) ou encore «The Dock of the Bay» (Otis Redding). Mighty Mo Rodgers, est à lui tout seul un syncrétisme de l’Afro-Amérique. Un artiste précieux (et un amour d’homme) porteur d’un discours et de valeurs d’un autre temps, dont il faut savourer la présence. JP

Le 24 mars, le guitariste Yves Brouqui présentait au Sunset son nouvel album, How Little We Know, son cinquième en leader, son premier en trio. Et quelle réussite! Enregistré avec Joe Strasser (dm) et Kenji Rabson (b), c’est Yoni Zelnik qui jouait de la contrebasse ce soir-là. Que le trio joue «How Little We Know», «These Are Soulful Days», «Between You And Me», «This Time the Dream's on Me», chacun de ces thèmes sont des moments de grâce. Chez Yves Brouqui, tout semble naturel, avec cette sincérité, cette élégance, dans la descendance d’un René Thomas, cette musicalité. Du grand art! MP

Jobic Le Masson Trio & Steve Potts © Patrick Martineau

Le 26 mars, aux Ateliers du Chaudron, le trio de Jobic Le Masson (p), est invité par Steve Potts (as et ss) en un lieu de prédilection pour le saxophoniste, qui fait partie de l’équipe artistique de la compagnie éponyme fondée par Tanith Noble. Avec Peter Giron (b) et John Betsch (dm), ils nous présentent l’album Song et manifestent pour l’occasion une cohésion que seules de nombreuses heures de jam sessions sont en mesure d’expliquer. D’emblée, le talent de Jobic Le Masson brille au grand jour, restituant à l’instrument le rôle indispensable qu’il joue au sein de toute section rythmique jazz authentique, et tire parti de l’intégralité du spectre harmonique du piano, emplissant le lieu d’une sorte de réverbération naturelle à mesure que les différentes nuances de son jeu produisent leurs effets cathartiques sur les auditeurs. Si le pianiste propose quelques morceaux de bravoure comme «Cervione», avec ses motifs itératifs répétés sur plus de dix minutes, il n’oublie pas de laisser à ses compagnons des espaces de liberté, comme «Double Dutch Treat», de John Betsch, où l’expérience commune du batteur et du saxophoniste au sein de l’orchestre de Steve Lacy se fait très agréablement sentir, dans une optique très free qui voit l’édifice rythmique parfois reposer sur le seul Peter Giron, capable de faire swinguer un riff avec la rigueur d’un métronome, même quand ses partenaires tentent une figure de style inédite à la faveur d’un break. Le batteur produit constamment des structures et des soubassements ouverts sur l’instant et le monde extérieur, caractérisés par un jeu de charleston prolixe et un usage très personnel des cymbales, assorties de quelques timbales et objets bizarroïdes ramassés au sol le temps d’une frappe. Les sourires sur les visages en disent long sur la qualité d’une prestation démontrant par l’exemple le bénéfice d’une formation durable, avec des musiciens qui prennent le temps de bien se connaître, permettant des prises de risque maximales lors de certains passages clés de la partition. Le fonctionnement du groupe est alors presque incroyable, tant il permet de possibilités d’improvisation avec, toujours, un retour au thème d’origine naturel et virtuose. Le combo se comporte alors tel un chat qui retombe toujours sur ses pattes, même dans les situations les plus compromises. C’est sans doute sur «Tangle», que l’esprit général de Song, l’album qui fournit la matière première du set, s’exprime le mieux, marqué par une intervention tout en finesse d’un invité de marque, Thomas Savy (bcl), que Steve Potts initie à l’esprit du jour par une formule de son cru: «C’est en ré mineur au début, et puis ensuite, tu verras (rires)». Au-delà du sourire, Steve Potts dévoile sur ce titre une discipline, une sobriété, une économie de moyens qu’on oublie trop souvent d’associer au free jazz, emportant l’adhésion pleine et entière du public même lors de quelques stridences en jeu out. Un grand moment de musique et de partage, en une journée ensoleillée marquée d’un changement d’heure semestriel qui pouvait faire craindre le pire aux organisateurs, alors que l’assistance fournie témoignait, au contraire, d’une communauté d’intérêts corroborée par la diversité des personnes présentes dans la salle. Une prestation mémorable interprétée par des musiciens qui, parce qu’ils sont avant tout des amis, jouent une musique inspirée et qui atteste de la valeur artistique d’interactions basées sur l’échange et les affinités électives. JPA

Philippe Duchemin Trio © Patrick Martineau

Le 30 mars au Jazz-Club Etoile, le label Black and Blue fêtaît ses 50 ans et c’est à une véritable célébration du jazz et du blues que nous étions conviés, en présence d’un des membres fondateurs du label et d’invités de marque, tels Rhoda Scott et Dany Doriz. Pour magnifier l’événement, rien moins que trois groupes emblématiques réunis sous la bannière «Black and Blue All Stars», un titre qui reflète assez mal le talent et l’humilité des musiciens présents pour la circonstance. En premier lieu, le Philippe Duchemin (p) en trio, avec Christophe Le Van (b) et Philippe Le Van (dm). Dès l’enchaînement «Fly With Me» / «Take Bach», on sent qu’on a ici affaire au jazz de la meilleure tradition, avec des arrangements inspirés des plus grands trios de l’histoire du jazz. Le second titre suggère que J.S. Bach est le compositeur préféré des jazzmen, son art du contrepoint fait sans doute écho aux accords arpégés des artisans du swing. «Hymn» est un premier moment d’émotion, avec des aspects intimistes et introspectifs tout droit issus de l’époque romantique. «Cantabile» est un hommage splendide au regretté Michel Petrucciani. Le style de Philippe Duchemin intègre toutes sortes d’influences, allant du jazz le plus traditionnel à la chanson à texte française en passant par la musique classique. Poursuivant dans une veine émotionnelle qui lui réussit, le trio nous délivre une très belle version de «Hymn to Freedom» d’Oscar Peterson. Présenté comme un maître à penser, le grand pianiste figure ici dans sa veine la plus délicate, avec un lyrisme empreint d’une grande sensibilité. C’est au tour de Chick Corea d’être à l’honneur avec d’une de ses compositions les plus célèbres «Armando’s Rumba», tiré de l’album My Spanish Heart. La version proposée ce soir, Black & Blue oblige, conserve les propriétés du jazz acoustique et confère à la mélodie de ce classique un éclat tout particulier. Le set se conclut sur «Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux» de Ray Ventura, et la cohésion manifestée par les frères Le Van tout au long de la performance force une nouvelle fois l’admiration, évoquant certaines gloses sur la connexion jamais rompue entre jumeaux. De ce point de vue, il n’est sans doute pas innocent de relever qu’ils n’ont quasiment pas besoin d’échanger un regard pour effectuer un travail rythmique dense et de bon goût.
François Biensan Sextet © Patrick Martineau

Vient ensuite le sextet de François Biensan (tp). En fait, il s’agit plutôt d’un septet puisque Patrick Bacqueville (voc, tb) s’est joint au groupe composé de Michel Pastre (ts), Fred Nardin (p), Stan Noubard Pacha (g), Jean-Pierre Rebillard (b) et François Laudet (dm). La formation dispose d’un registre et d’un répertoire impressionnants, aux confins du jazz et du blues. Les licks de guitare de Stan Noubard Pacha sont carrément blues, même une fois passés au prisme d’un amour de toujours pour le jazz. Mais cet amour de toujours lui permet tout de même de plaquer efficacement ses accords sur des rythmiques ternaires. Avec ce groupe, ce sont les cuivres qui sont à la fête, et la formation ne manque pas d’allure lorsque les trois souffleurs s’avisent de faire front sur scène, concentrant toute l’attention sur leurs personnes. On commence d’ailleurs avec une évocation des «Hot Lips» de Lester Young, avant que de faire escale sur un «Jeep’s Blues» de la plus belle facture, en hommage à Duke Ellington et Johnny Hodges. Le ton est donné; c’est effectivement le middle jazz et le swing qui sont à l’honneur ce soir, et le septet ne va pas manquer à ses obligations en organisant tout son set autour des grands compositeurs et musiciens qui popularisèrent ce répertoire. Patrick Bacqueville et François Biensan n’hésitent pas à ajouter des sourdines pour voiler leur son et en accentuer la patine, suggérant le caractère immémorial d’un hommage sincère et appuyé. «Just Squeeze Me» du Duke est certes un des grands moments de la soirée, qui voit le tromboniste faire montre d’une versatilité qui se verra confirmer lorsqu’il donnera de la voix sur «Every Day I have the Blues», véritable manifeste établissant la connexion entre Count Basie et Memphis Slim. Sur ce titre, Michel Pastre, dont le timbre est éclatant de maturité, et Fred Nardin se transcendent, matérialisant le lien évident entre la matrice du blues et les premières formes de jazz, sur une rythmique toute de groove traversée de quelques fulgurances guitaristiques qui mettent tout le monde d’accord et suscitent même quelques danses spontanées au sein du public.
Mourad Benhammou & The Jazz Workers © Patrick Martineau

Après une telle prestation, on aurait pu s’attendre à une baisse de tension, mais c’est bien mal connaître les Jazz Workers de Mourad Benhammou (dm). Ce soir ce n’est pas Pierre Christophe au piano mais Guillaume Naud. Avec Fabien Mary (tp) et David Sauzay (ts, ss), et Fabien Marcoz (b), ils forment une solide et prolifique formation dont les œuvres discographiques ont trouvé chez Black and Blue un écrin idéal. Ils entament leur set avec un thème de John Williams, qui a parfois touché à l’univers du jazz. A plusieurs reprises, le groupe revient à la culture cinématographique en parallèle de sa passion pour les musiciens de l’âge d’or du jazz, allant jusqu’à faire l’éloge du film Le Roi et moi, une œuvre de Walter Lang de 1956 avec Yul Brynner et Deborah Kerr, auquel le quintet emprunte un thème musical. Ce motif de quelques notes admirables de Richard Rodgers fournit l’occasion d’admirer les multiples talents de David Sauzay, qui alterne parties de saxophone et flûtes aux côtés de Fabien Mary avec le plus grand naturel, conférant un brio réjouissant aux parties de cuivre qui donnent des fourmis dans les jambes à pas mal de monde en cette soirée anniversaire. Cet amour de la musique fait des deux souffleurs les compagnons idéals pour le grand passionné qu’est Mourad Benhamou. Le leader possède un jeu expressionniste et spectaculaire dont l’énergie ne se dément pas durant la totalité du set. Alors que la soirée a pris un certain retard en raison des nombreux changements nécessités par la succession des musiciens sur scène, les Jazz Workers tinrent à assurer le spectacle et à donner un véritable concert à part entière, poussant leurs évolutions musicales bien au-delà du terme de la plupart de soirées jazz. Une bien belle prestation, sans doute la plus dynamique de la soirée, à laquelle Guillaume Naud a apporté des teintes exotiques et classiques qu’Alain Jean-Marie n’aurait sûrement pas désavouées. Happy birthday Black & Blue! JPA

Ney Veras et Manassés De Sousa © Patrick Martineau

Le 31 mars à l’Espace Krajcberg (15e arrdt.), Manassés De Sousa (g), guitariste issu du nord-est du Brésil, se produit en duo devant un public conquis par ce mélange très personnel de choro et de jazz. Approché un temps par Gil Evans, il décline l’offre pour ne pas déménager aux Etats-Unis, mais collabore, lors d’un séjour à Paris, avec quelques artistes hexagonaux, comme George Moustaki, Claude Nougaro ou Bernard Lavilliers. Spécialiste de la douze cordes électro-acoustique, il n’en utilise pas moins des instruments à six, huit ou dix cordes, des guitares portugaises et un cavaquinho qu’il fut un des premiers à introduire en France (devenu le ukulélé à la suite de son importation à Hawaï). Le point de convergence entre le choro et le jazz est cette propension à improviser autour d’un thème, imprimant de multiples variations à la mélodie de base du morceau. Le musicien qui a joué et enregistré aux côtés de Nanà Vasconcelos et Paco de Lucia, joue ce soir avec Ney Veras (perc,g) dont le talent de percussionniste ne l’empêche nullement de faire équipe avec Manassès sur des instruments à cordes. L’emploi de gammes brisées et d’accords fragmentés n’est pas sans évoquer celui des blue notes au sein du blues et du jazz, avec un certain nombre de phrases étouffées, qui renforcent l’aspect rythmique des partitions de guitare. L’utilisation d’une douze cordes permet d’amplifier le champ de résonances de la guitare, faisant retentir de magnifiques harmoniques artificielles et naturelles dans la salle. Les bons moments sont légion. «A Terceira Ponte» et «Retirante» portent la marque d’une grande fraicheur, avec des atmosphères presque folk qui flirtent avec une modernité certaine, non démentie par son attachement de toujours à sa terre natale. «Passeio De Onibus», «Caminho Das Indias», attirent particulièrement l’attention, empreints d’une émotion sincère qui prépare le terrain pour l’acmé du set sûrement constituée par «Doce De Coco», dont le côté choral emplit l’espace de polyphonies célestes, à mesure que Manassés poursuit ses pérégrinations musicales sur un mode inspiré. L’artiste n’oublie pas de citer Chico Buarque, dont les œuvres servirent, en leur temps, une contestation du pouvoir détenu par les militaires dans son pays. Un moment à la fois intimiste et universel, en compagnie d’un superbe musicien, par ailleurs empreint d’une humilité et d’une humanité manifestes, qui démontrent par l’exemple que l’enracinement culturel n’est pas incompatible avec le fait de toucher de nombreux publics. JPA

Textes: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez
P
hotos:
Patrick Martineau et Jérôme Partage

© Jazz Hot n°679, printemps 2017


      © Patrick Martineau

Hommage au Jazz de Clama
Mairie du 17e arrondissement (Paris), du 1er février au 31 mars 2017


Sylvain Clama © Patrick Martineau

Pierre Clamagirand (1934-2015), dit Clama, a eu deux grands amours dans sa vie: la peinture et le jazz. Son œuvre picturale a donc évidemment été fortement marquée par ses élans musicaux. Et c’est cette dimension de son travail que son fils, le comédien Sylvain Clama, a souhaité mettre en lumière, réunissant des toiles reliées par le fil de la note bleue mais dont certaines ont été dispersées au sein de diverses collections privées. Restait un lieu à trouver pour accueillir cette rétrospective: ce fut naturellement la mairie du 17e arrondissement de Paris, dont l’édile, Brigitte Kuster, est une amie de la famille. On ne reviendra pas ici sur le parcours de Clama (le lecteur peut se reporter à notre rubrique nécrologique). On rappellera simplement le long compagnonnage du peintre avec Jazz Hot (la revue était sa cadette d’un an), à qui il offrit deux belles couvertures (numéros 540 et 591), d’ailleurs exposées. Plusieurs dizaines d’œuvres étaient ainsi visibles dans le hall de la mairie (quelques-unes à l’étage), dont les murs blancs et froids (c’est la seule mairie d’arrondissement parisienne «moderne», construite en 1970-72) offraient par contraste un bel écrin pour les couleurs swingantes de Clama. On retient tout particulièrement de la visite le magnifique triptyque où se déploie un big band.

Gilles Barikoskyet Rocky Gresset © Patrick Martineau

Janie-Noële Héliès, Jean-Claude Bénéteau, Philippe Combelle© Patrick Martineau

Le 1er février, le vernissage vit se presser un public nombreux. Les «officiels» de l’arrondissement, bien sûr, la famille, les amis de Clama, les gens du quartier et même deux fameux acteurs: Jean-Claude Dreyfus, venu en voisin, et Pierre Richard –lui-même amateur de jazz–, dont le fils, le saxophoniste Olivier Defaÿs (qui se produira quelques soirs plus tard), est un ami d’enfance de Sylvain Clama; le fils du peintre improvisa d’ailleurs avec allant une visite guidée à travers les pièces montrées. Quatre concerts devaient donc ponctuer la durée de l’exposition qui fut inaugurée par le duo Rocky Gresset (g) / Gilles Barikosky (ts).  Le second concert programmé (le 13 février) réunissait quant à lui Janie-Noële Héliès (p), Jean-Claude Bénéteau (b) et Philippe Combelle (dm).


Men in Bop © Patrick Martineau

La présence d’Olivier Defays (as, ts), le 17 février, tenait au lien amical et ancien qui le lie à Sylvain Clama. Le fils du peintre partageant des souvenirs avec le fils du comédien (Pierre Richard) depuis l’enfance. Et c’est avec son quartet «Men in Bop» –codirigé par son alter ego Philippe Chagne (ts) et complété de Philippe Petit (org) et Yves Nahon (dm)– qu’il a honoré l’invitation. Voilà un groupe réjouissant! Ça groove autant que ça rigole, ça swingue avec les standards aussi bien qu’avec (les excellentes) compositions du groupe («Emile Saint-Saëns» de Philippe Petit, «Mérou’s Bounce» de Defays ou une jolie ballade de Chagne: «I Remember Frank West»). S’inscrivant dans l’esprit du duo Eddie David / Johnny Griffin («Save Your Love From Me»), les ténors dialoguent avec une volubilité bop, soutenus par une rythmique qui ne cherche pas à en faire trop et a livré une fort subtile introduction de «Caravan» en fin de concert. Au reste, la joyeuse entente qui transpire de ce collectif est communicative. Et si l’humour potache dans le jazz –pratiqué par les «revivalistes» comme par les créatifs institutionnalisés– n’est pas toujours du meilleur goût (et la musique non plus), on rit de bon cœur avec ces quatre-là jamais en retard d’une anecdote ou d’une gentille moquerie.


Henry Bastien d’Elie & Stella Matutina © Jérôme Partage




La dernière soirée musicale, le 2 mars, fut assurée par le cœur gospel Stella Matutina. Abordant un large répertoire, allant de spirituals historiques jusqu’à des compositions contemporaines, cette sympathique prestation, assurée par des amateurs, a pris une toute autre dimension lors des interventions en soliste d’Henry Bastien d’Elie (basse) qui a donné chair à cette belle évocation. De quoi faire monter jusqu’au Ciel les notes à la mémoire de l’ami Clama.

Texte: Jérôme Partage
Photos: Patrick Martineau et Jérôme Partage

© Jazz Hot n°679, printemps 2017


Mariana Zwarg © Michel Antonelli

Jazz à Rio
Rio de Janeiro (Brésil)

A l’occasion d’un concert dirigé par la jeune musicienne Mariana Zwarg (fl, ss) nous faisons un rapide point sur la situation désastreuse de la diffusion du jazz à Rio de Janeiro. En effet, il s'y est raréfié, se résumant à de ponctuels concerts de vedettes américaines présentés dans des centres culturels financés par les institutions (Etat de Rio, Ville de Rio) où par la mécénat privé (obligatoire pour les grandes entreprises), en particulier le réseau des SESC (Service Social du Commerce), alimenté par une taxe destinée à l’action culturelle et sociale, très actif dans les grandes villes du sud du Brésil: Curitiba, Florianopolis, Porto Alegre et surtout São Paulo.

Ceci alors que Rio a une longue histoire avec le jazz: rappelons-nous la grande époque où les jazzmen venaient enregistrer des albums de bossa nova au contact des rythmiques et autres solistes cariocas qui maîtrisait cet art à la perfection. Ainsi Herbie Mann ou Cannonbal Adderley (entre autres) ont côtoyé dans les studios des maîtres tels Baden Powell, Paulo Moura, Airto Moreira; de même, une génération de jazzmen brésiliens a créé une forme musicale mariant les styles brésiliens (samba, choro, baião, forro) au jazz le plus moderne. Plusieurs de ces musiciens se sont installés ensuite aux Etats-Unis: Luis Bonfa, Dom Um Romao, Hermeto Pascoal…plus tard Eliane Elias.
Le Festival Jazz in Rio a brillé de ses éclats quelques années mais rien ne l’a remplacé. Quant aux clubs qui ont animé la scène brésilienne pendant des décennies, ils appartiennent désormais à l'histoire. Ainsi le
Beco das Garrafas, dans les années 50 à 60, a accueilli, entre autres, Sergio Mendes, Raul de Souza, Baden Powell, le Quarteto Novo (Airto Moreira, Hermeto Pascoal, Heraldo do Monte, Theo de Barros), Elis Regina, Sylvia Telles... Mistura Fina, durant ses vingt-cinq ans d’existence a présenté une programmation haut de gamme et a même reçu Chet Baker, Pat Metheny, et Wayne Shorter. Quant au disquaire Modern Sound (1966-2010), situé à Copacabana, en plus de proposer un immense choix de disques, programmait un concert tous les soirs (il était doté d'une scène) à l'heure de l'apéro. Du célébrissime Ed Motta, à la clôture avec la jeune chanteuse Julianna Caymmi en passant par les accompagnateurs des novateurs Egberto Gismonti, Milton Nascimento, tels Toninho Horta (g), Mauro Senise (ss)…les habitués, un public un peu âgé mais aussi des jeunes curieux (l’entrée était gratuite) ont pu assister à des centaines de concerts.
Aujourd’hui les jeunes musiciens sont dans l’obligation d’organiser leur propre concert dans des lieux inédits, souvent sous forme de prévente par internet et selon l’adhésion du public assurent le concert où l’annulent faute de recette. Le petit lieu culturel de Lapa (quartier chaud de Rio), TribOz- Centro Cultural Brasil-Australia, ainsi que The Maze à Catete proposent aussi quelques concerts payés à la recette et le très cher Rio Scenarium diffuse parfois du jazz (Big band de la Radio Danoise, Carlos Malta). On peut rajouter quelques concerts le dimanche matin dans l’immense Théâtre Municipal de Rio de Janeiro, dont le prix l’entrée est très bas (Leo Gandelman) pour boucler ce tour du jazz à Rio.


Mariana Zwarg e A Musica Universal d’Hermeto Pascoal e Itiberê Zwarg © Michel Antonelli

Nous avons pu assister, le 11 mars, au concert de
Mariana Zwarg e A Musica Universal d’Hermeto Pascoal e Itiberê Zwarg (Mariana Zwarg, fl, ss, arr, comp, Aline Falcão, cl, Ricardo Sà Reston, elb, Pierre Chastel, dm, voc, Sami Kontola, perc, dm, Mette Hadja Hansen, voc, avec en invités Ajurinã Zwarg, ss, Itiberê Zwarg, melodica, cl, et Maria Clara Valle, cello).

Cette soirée, organisée par les musiciens, a été possible grâce à l’accueil de la famille Mol qui a mis son immense villa à la disposition des musiciens. Située dans le quartier de Recreio dos Bandeitrantes (50 km du centre de Rio), la mobilisation était nécessaire et tout le public présent a contribué par un financement participatif à la réussite de l'opération.

Selon Hermeto Pascoal, la «musica universal» est une musique sans pré-concept qui englobe tous les styles, valorise les éléments de la musique populaire brésilienne et en même temps outrepasse les barrières entre la musique érudite et populaire créant ainsi un pont entre toutes les musiques régionales du monde entier, reflétant ainsi son caractère universel. Ce projet a démarré en 2016, à l’occasion des 80 ans d’Hermeto Pascoal qui marque aussi les quarante années de collaboration musicale entre le maître et Itiberê Zwarg son bassiste et ami. Mariana Zwarg a été invité à Barcelone pour assurer la direction musicale et signer les arrangements d’un programme de concerts donné aussi à Berlin et Copenhague. Ce concert de Rio fêtait les retrouvailles d’une partie des musiciens qui compte un Français, une Danoise, un Finlandais et des Brésiliens.

Dans une atmosphère chaude et une humidité à couper au couteau, et après un churrasco bien arrosé, les musiciens nous entraînent dans leur sillage.
Dès le premier titre «Capivara», signé par Hermeto, Mariana Zwarg assure l’introduction à la flûte et passe avec autant de talent au soprano; elle dirige d’un coup d’œil et veille avec autorité mais bienveillance à la bonne exécution de ses arrangements. La Danoise Mette Hadja Hansen utilise sa voix comme un instrument sans parole et apporte une vivacité à l’ensemble des compositions. Elle ne parle pas le portugais mais ne commet aucune faute de prononciation car il s’agit là de vocalises très équilibrés qui savent s’envoler et improviser à l’égal des solos des autres musiciens. Dès le second titre, «São Jorge», Aline Falcão, venue spécialement de Salvador da Bahia (à 1600 km), prouve qu’elle n’a pas fait le déplacement pour rien: toute la soirée son sourire et son assurance, tant dans l’accompagnement que dans les solos, sont aux bons endroits et au bons moments. Les sonorités de ses claviers rappellent ceux du pianiste de Carlos Santana, Richard Kermode. Immédiatement enchaîné, «Vivo Edu Lobo» (qui sera présent sur le nouveau double album d’Hermeto), rend hommage au chanteur et compositeur éponyme qui a marqué de son originalité l’époque post bossa nova. Chaque thème est très arrangé et ne laisse pas de place à l’erreur ouvrant néanmoins à chacun l’espace de s’exprimer en soliste. Sur ce titre Mariana sera rejointe, après un long solo par la voix de Mette dans un dialogue endiablé. Sur «Solena», Mariana invite son père, Itiberê Zwarg au mélodica, et Maria Clara Valle, dont c’est l’anniversaire, à les rejoindre pour nous offrir une lente et belle ballade. Cette chaleur des retrouvailles, sera suivie par un nouveau thème marqué par un long solo de violoncelle, totalement fluide et acéré, parfois très free, laissant ensuite la place à des solos du Français Pierre Chastel et de Ricardo Sà Reston qui assure en permanence le pivot du groupe, pour un final de flûte dialoguant avec cordes. Les titres, soit d’Hermeto soit en son hommage («Campo» signé par Mariana), complètent le programme et la flûtiste aime rappeler que ses premiers pas et son apprentissage se sont faits sous la double tutelle d’Hermeto (qui est aussi son parrain) et de sonItiberê Zwarg © Michel Antonelli père. Tous deux l’ont vraiment accompagné, lui prodiguant conseils et critiques salutaires. Les interventions d’Itiberê, invité spécial, passent du mélodica au clavier où a l’impromptu, il improvise
une dédicace musicale à Maria Clara Valle pour son anniversaire et pour son implication dans la mise en place de la soirée. Le groupe terminera la soirée par un onzième titre, rappelant la richesse du répertoire, le percussionniste finlandais, Sami Kontola, plutôt discret remplacera à la batterie (d’ailleurs la sienne fabriquée dans son pays) Pierre Chastel, qui lui scatera ou plutôt défiera son amie Mette Hadja Hansen dans un combat vocal où l’hilarité laissa la place à une parodie de colère.
Une belle soirée musicale qui sort des sentiers battus et qui nous l’espérons pourra ouvrir à ce jeune groupe une carrière internationale
.

Textes et photos: Michel Antonelli
© Jazz Hot n°679, printemps 2017


Bruxelles en février
Jazz Station, Bruxelles (Belgique)

Les concerts du samedi à la Jazz Station connaissent un succès grandissant d’année en année. On pourrait en imputer la cause à l’originalité du timing: de 18h à 20h30, laissant aux aficionados la faculté de se restaurer ensuite et ailleurs ou celle de poursuivre les réjouissances plus tard, dans l’un ou l’autre club de la capitale (Music Village ou Sounds, par exemple). Le 4 février -exception à la règle- le public n’excédait pas la cinquantaine pour venir découvrir l’improbable: la rencontre entre le pianiste Fabian Fiorini (compositeur du morceau imposé au Concours Reine Elisabeth de piano) et le violoniste Yves Teicher (exubérant musicien le plus souvent écouté en formule gipsy). Alors que Fabian Fiorini est coutumier d’envolées audacieuses d’une grande liberté harmonique (cf. avec Aka Moon), on connait moins, à Bruxelles, les ouvertures du violoniste liégeois. Honnis soient donc les jazzfans à tiroirs qui restèrent au coin de l’âtre, le «zizi-coin-coin» (pastis liégeois) à la main! Or donc, alors qu’on attendait l’affrontement de ces deux mondes extravagants-extravertis, on eut droit à des convergences totalement inattendues entre un Paganini de l’électrochoc et un dodécaphoniste virtuose. Au premier set, Yves Teicher se présenta seul pour évoquer ses fondements tziganes et grappelliens auxquels il ajoute un bon nombre de provocations percutées, criées, grincées, et des harmoniques. On ne fut pas trop surpris lorsqu’entre deux débordements crin-crins, le soliste laissa choir l’instrument pour se muer, vocalement, en poète de l’absurde, vitupérant et lançant l’anathème aux jazzmen qui structurent et pontifient oubliant trop souvent la folie créative, celle de Louis Armstrong, de Dizzy Gillespie ou de John Coltrane. Tel un autre Boris Vian, cet Arthur Rimbaud du jazz liégeois termina sa demie heure solo sur «Nuages»… Un nuage d’orages! Lui succédant, avant l’interruption, Fabian Fiorini (p), seul, survola tous les climats, tous les genres: mélancoliques, nostalgiques, tendres puis rageurs. Divinement inspiré, léger ou appuyé, percussif, prolixe, volubile, il improvise et développe des phrases riches, mêlant sa science musicale et contemporaine dans un jazz pluriel où transpirent syncopes, pompe, gospels. Dans ses variations, on surprend les harmonies de «All The Things You Are»; de «Roun’ Midnight» et … du «Plat Pays» de Brel. Au deuxième set, plus qu’une convergence, ce fut un dialogue qui s’installa entre le violoniste et le pianiste, entre folie et créativité, l’un ouvrant la voie à l’autre ou le relançant. Après «Autumn’ Leaves» et un original de Stéphane Grappelli, ils terminèrent par Schubert et sa «Truite», digressée «Autour de Minuit». Un régal de fraîcheur!

Mimi Verderame © Pierre Hembise

Les Jazz Tours des Lundis d’Hortense faisaient étape le 22 février à la Jazz Station. Au programme: le Mimi Verderame Quartet. Batteur, guitariste, compositeur et leader de big band, le Sérésien avait préféré faire cette tournée à la batterie, accompagné par Victor da Costa (g) et Ewout Pierreux (p) qui remplaçait Nicola Andrioli (p) pour trois dates. Dario Deidda (elb) était venu spécialement d’Italie pour effectuer les sept concerts en compagnie de son ami Mimi. Je ne connaissais pas ce virtuose transalpin de la guitare-basse mais je compris très vite l’ampleur de mon ignorance en constatant la présence dans la salle de deux de ses éminents confrères belges: Benoît Vanderstraeten (elb) et François Garni (elb). Ils ne furent certainement pas déçus puisque l’artiste peut se comparer à l’un pour sa virtuosité, à l’autre: pour la puissance de son swing. Avec une grande diversité rythmique et harmonique, le répertoire choisi par le chef compte des morceaux de bravoure comme «Invitation», «Calypso», «You Step Off a Dream» et «Giant Steps», mais aussi: «Massa» de Nicola Andrioli, «Olivera» de Victor Da Costa et «Paysages Insolites» de Carlos Jobim. Le quartet est très soudé avec une disposition généreusement rebop sur des arrangements méticuleux du leader. D’entrée, on aurait pu croire qu’il s’agissait de variations sur des séquences écrites, mais les solistes s’affichent très vite, réjouissants à souhait. Pas de longs solos ennuyeux; Ewout Pierreux (p), enjoué, surprend par l’intensité de son swing; Mimi Verderame fait chanter drums et cymbales, mélodieux et léger; Dario Deidda (eb) étonne par la sonorité de son instrument et l’intensité mitraillette de ses chorus sur «Invitation» et «Giant Steps». Un peu en retrait, Victor Da Costa (g) se rappelle à nous par un beau solo sur «Silver Serenade», les jolies harmonies de «Olivera» - son original- et une belle envolée qui suit à une entrée approximative sur le tube de Coltrane. Avec «For Nothing», de sa plume, Mimi Verderame (dm) enchante par la structure de son lead et un solo inventif et chantant. La mise en place est impeccable de bout en bout; la musique coule, légère et riche jusqu’au rappel: une composition de Mimi Verderame dans une belle structure en 5/4.

Bram De Looze © Pierre Hembise

Le 25 févier, LAB Trio était invité à fêter ses dix années d’existence à la Jazz Station. Je me souviens avoir assisté à l’un des premiers concerts du jeune trio flamand dans une très belle salle qui prolongeait la Mercedes House à la place du Sablon. Les voitures ont déménagé et, malheureusement, je pense qu’il n’y a pas eu d’autres concerts de jazz dans ce bel auditorium. Je n’avais pas été convaincu de l’avenir de cette formation, malgré la découverte éblouissante du jeune batteur: Lander Gyselinck (20 ans à cette époque). Aujourd’hui, il faut avouer que je me suis grandement trompésur leur devenir ! Bram De Looze (p) s’est affirmé, malgré une attaque fluette et une immense empreinte Sonates de Bach, comme un pianiste de jazz protéiforme et inventif; Lander Gyselinck (dm) a, dans ce trio, mis une sourdine sur ses débordements percussifs pour nuancer ses propos à l’aide d’une loque sur la caisse claire. Mais c’est Anneleen Boehlee (b) qui m’a scotché à ma chaise. La jeune femme a grandi, assurant aujourd’hui une pince puissante. C’est elle qui dirige, autoritaire. Son jeu est rigoureusement juste en bas du manche comme en harmoniques; ses solos sont parfaits. Le répertoire de LAB Trio (Lander/Anneleen/Bam) est peut-être trop classique dans le sens romantique du terme; on pourrait, à l’aide d’un néologisme, dire qu’il est bachisant -mais Jean-Sebastien n’improvisait-il pas? Au travers des arrangements convenus, appris par cœur, les musiciens aboutissent sur de belles envolées, plus libres, plus contrastées. Ce jazz-là vaut bien une cantate, sans doute!

Texte: Jean-Marie Hacquier
Photos: Pierre Hembise

© Jazz Hot n°679, printemps 2017


© David Bouzaclou

Blues Station de Tournon
Tournon d'Agenais (47), 18 février 2017

Pour cette 110e édition, c'est l'un des plus talentueux harmonicistes américain de sa génération qui est venu fouler la scène qui porte bien son nom: «Here is the blues». R.J. Misho est devenu au fil du temps un des piliers de la scène californienne bien qu'originaire de la région de Minnéapolis, lui dont l'apprentissage se fit auprès des gloires du Mississippi telles que Lazy Bill Lucas, Baby Doo Caston ou Big Guitar Red. Un esprit de transmission à l'ancienne qui l'amènera à partager la scène du légendaire Big Walter Horton et de Percy Strother avec son groupe Blues Deluxe avant d'accompagner les pointures de passages tels Pinetop Perkins ou Little Smothers. Aujourd'hui à 57 ans et une discographie sans faiblesses, il est venue présenter le répertoire de son nouvel album «Everything I Need» un modèle du genre west coast avec une pointe de Chicago blues. D'emblée, la cohésion de la rythmique amenée par Abdell Bop Bouyousfi (b) et Pascal Mucci (dm) installe un écrin aux solistes que sont Nico Duportal (gt) et le leader R.J. Misho. Un véritable exercice de style mettant en valeur la virtuosité de l'harmoniciste tant au chromatique qu'au diatonique. «She's My Babe» aurait pu sortir tout droit du catalogue Chess du répertoire de Little Walter, sur tempo médium lent où les inflexions vocales de R.J. Misho évoquent la nonchalance d'un Jimmy Vaughan. Derrière la guitare de Nico Duportal fait des merveilles tant en single note à la T. Bone Walker où en tenant la note à la Albert Collins dialoguant en permanence avec le leader. R.J. Misho est valeur sure du blues qui à travers ses prestations continue de creuser le sillon de ses amis disparus que sont Lynwood Slim et Lee McBee.

Textes et photo: David Bouzaclou
© Jazz Hot n°679, printemps 2017


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Miles Ahead
Biographie de Don Cheadle (100 min., USA, 2015)
Sortie en France le 17 juillet 2016 et le 24 janvier 2017 (VOD)

L'idée d’un film sur la vie de Miles Davis est apparue de manière détournée à Don Cheadle en 2006, lorsque le trompettiste a fait son entrée au «Rock and Roll Hall of Fame». Soutenu par le neveu du jazzman, le projet de l'acteur (qui est également un "fan") a manqué de s’interrompre à plusieurs reprises, faute d’argent. Cheadle est cependant parvenu à réunir les fonds nécessaires en 2014, grâce au financement participatif, faisant de ce «biopic» un film complètement indépendant, bénéficiant également de l’appui et de la notoriété de l’acteur britannique Ewan McGregor. Distribué aux Etats-Unis par Sony, propriétaire d’un grand nombre des albums de Miles, à travers sa filiale, Columbia Records, le film a connu une promotion discrète. Il a été présenté en clôture du festival du film de New York, en octobre 2015, avant de sortir, le 1er avril 2016, dans seulement quatre cinémas américains! En France, le film est arrivé dans l’été 2016, de façon tout aussi furtive, si ce n’est l’avant-première organisée à Marseille par le festival Jazz des Cinq Continents. Il est depuis janvier dernier visible en «vidéo à la demande» (VOD).
Plutôt qu’un récit de carrière, Miles Ahead évoque les démons du trompettiste pris dans une course-poursuite, à la recherche d’un enregistrement volé, et épaulé dans sa quête par un journaliste du magazine Rolling Stone, (Dave Braven alias Ewan McGregor). L’action se situe pendant la période de retrait de Miles, à la fin des années soixante-dix, entrecoupée de flash-backs. On notera à ce titre les similitudes avec Born to Be Blue sur Chet Baker. Les deux films choisissant d’aborder (sans doute pour son intensité dramatique) des moments d’extrême vulnérabilité du héros-musicien, d’éloignement de la scène et du public ainsi que l’emprise de la drogue. Ces thèmes – notamment l’addiction – étaient également présents (et pour cause) dans d’autres biopics jazz comme Bird (Clint Eastwood, 1988) ou Ray (Taylor Hackford, 2004). Mais ces long-métrages relataient la vie de leur sujet sur le long-court.
Malgré toute la bonne volonté de Don Cheadle pour incarner le jazzman, restituant ses mimiques, sa voix, ses postures et utilisant même une de ses trompettes, l’histoire peine à décoller et à faire oublier les inexactitudes. Supervisée au départ par Herbie Hancock, la direction musicale du film a été finalement assurée par Robert Glasper et c’est l’élément le plus réussi de cette œuvre! Il faut, par ailleurs, rappeler qu’en 2016, à l’occasion du 90e anniversaire de Miles, le pianiste a également publié Everything’s Beautiful (Columbia-Legacy), un album aux accents jazz, hip hop et soul sur lequel il mêle habilement des enregistrements originaux du trompettiste à des samples inédits, comme des instructions données par Miles en studio après de faux départs.

Michel Antonelli
© Jazz Hot n°679, printemps 2017


IMDB

Born to Be Blue
Biographie de Robert Budreau (97 min. Royaume-Uni, Canada, USA, 2015)
Sortie en France le 11 janvier 2017

Ce «biopic», agrémenté d’éléments de fiction, consacré à Chet Baker, relate la période où l’existence du musicien bascule après ce tristement célèbre épisode de 1966 où le trompettiste est passé à tabac dans un parking. Agression qui lui laisse la mâchoire fracassée, le privant de la capacité de jouer de son instrument. Le film raconte comment sa petite amie, Jane, parvient à lui faire traverser cette épreuve et remonter sur scène.
Dans l’atmosphère glauque d’un Los Angeles à la James Ellroy, l’ange déchu, ancienne belle gueule, cherche à fuir les démons qui le hanteront toute sa vie. Le climat musical est bien restitué et la photographie, qui alterne couleur et noir et blanc, nous fait penser à des pochettes d’albums de l’époque. Ethan Hawke, dans le rôle de Chet, félin déglingué par la drogue, livre une prestation au fil du rasoir et se prête parfaitement à revêtir les oripeaux de l’ex-vedette du jazz weast coast dont le succès reposa davantage sur l’image que sur la qualité du jeu. Le défi est ainsi porté sur la scène du Birdland où il doit s’exécuter devant ses pairs, en l’occurrence Dizzy Gillespie et un Miles Davis assez impitoyable.
Ce film est à voir en parallèle avec Let’s Get Lost (1988) de Bruce Weber, formidable documentaire où Chet Baker se livre à cœur ouvert, ôtant tout élan nostalgique vis-à-vis de son personnage. Le titre Born to Be Blue est tiré d’une composition du trompettiste qui a été aussi enregistrée par Grant Green et Freddie Hubbard.

Michel Antonelli
© Jazz Hot n°679, printemps 2017


Jeff Tain Watts Trio © Jean-Pierre Alenda

Paris en clubs
Février 2017

Le 1er février, Jeff Tain Watts, compagnon de route de Branford et Wynton Marsalis faisait escale au Duc des Lombards. Le batteur présente la particularité d’avoir un background très riche, combinant études de percussions classiques, expériences de télévision, de cinéma et surtout de jazz, qui l’ont vu participer notamment au Love Supreme Live de Branford, ce superbe hommage à l’œuvre de John Coltrane, et au Live at Blues Alley de Wynton. Il joue ici en trio avec Paul Bollenback (g), dont les accords en quarte et le jeu modal célèbrent à leur manière l’héritage de musiciens comme McCoy Turner, et Orlando Le Fleming (b), dont la formation académique et l’esprit d’ouverture lui permettent d’assurer avec aisance les soubassements d’une musique truffée de breaks et de ruptures de tempo. Écouter Jeff Tain Watts, c’est prendre conscience d’un lien ténu mais bien réel reliant l’intelligence d’Elvin Jones au caractère explosif de Tony Williams. Moins ancré que ses illustres prédécesseurs dans une pratique rythmique qu’ils auront contribué à inventer, le leader propose là une prestation plus tendue qu’elle n’en a l’air, dans une perspective cinématique qui contraste avec l’apparent relâchement du trio. Jeff Tain Watts mobilise toutes ses ressources chromatiques pour intégrer des éléments extérieurs au jazz à une rythmique par ailleurs rigoureuse et empreinte de motilité. Sans jamais perdre complètement le sens du swing et du groove puisé chez Art Blakey et Max Roach, il s’illustre spectaculairement par une puissance de feu sans doute un peu excessive pour la scène aux dimensions humaines du Duc Des Lombards, avec un marquage des tempos nettement plus appuyé que celui des batteurs de bop. On retrouve un kit de batterie de taille assez modeste, si l’on excepte les splendides cymbales turques ajourées qui font partie intégrante du jeu spectaculaire du leader. Bollenback fait sonner ses accords diminués sans difficulté apparente, bien aidé par l’usage d’une guitare à corps plein, une pédale de volume prévenant les larsens intempestifs, ainsi que par une maîtrise tonale remarquable, qui le fait tutoyer par instants, lors de judicieuses citations, les plus grands guitaristes de l’histoire du jazz. Il ne dédaigne pas, pour autant, de se servir d’effets comme le delay ou la reverb dont il habille ses traits les plus laid-back. Le blues et les blue notes font bien évidemment partie du vocabulaire du groupe, nommément requis lors de l’interprétation des chorus ornant les parties centrales des titres à rallonge interprétés dans ce set. Jeff Watts utilise des maillets et des balais pour étoffer son son de batterie, et l’aspect exagérément percussif de ses frappes en cet espace intimiste est alors heureusement compensé par un sens des nuances et des accents aussi inattendu que rafraichissant. Le batteur ne donne la pleine mesure de l’indépendance de ses quatre membres qu’au cours de solos placés au cœur même des morceaux, comme en rupture avec la structure d’ensemble de la composition («Vodville»). Il donne alors dans une polyrythmie spectaculaire, mais ce parti pris prive, peut-être, ses exhibitions techniques d’un supplément d’âme qu’il a, à l’évidence, la capacité de leur incorporer. Les prises de parole sont rares, concentrées au début et à la fin du set, avec un hommage à George Benson et à Mexico City, ainsi qu’un morceau dédié à la fureur de vivre adolescente. Le trio quitte la scène, à l’issue d’un ultime rappel, sous les applaudissements nourris d’un public conquis par le fait qu’une partie des évolutions musicales entendues en cette soirée semble avoir relevé de l’improvisation la plus pure, d’où, sans doute, une tension très palpable perçue distinctement durant une partie du concert. JPA

Orient-Occident © Patrick Martineau

Organisées par le Château Mercier, en Suisse, les rencontres Orient-Occident regroupent des conférences, des films, des pièces de théâtre et des concerts. Le jeune Mahmoud Chouki (g, voc) en est le directeur artistique et invite chaque année, le temps d’une semaine, cinq musiciens venant des bords de la Méditerranée, pour préparer un concert unique. En 2016, les musiciens originaires de Grèce, du Maroc, de France, de Turquie, et de Suisse décidaient de prolonger l’aventure, créant un groupe «Orient-Occident» enregistrant un album où chacun illustre sa propre culture (voir notre chronique dans Jazz Hot n°678). Réunis au Café de la Danse, le 2 février, autour de Mahmoud Chouki, Eleftheria Daoultzi (kanun), Aurore Voilqué (vln, voc), Ahmet Misirli (perc), Stéphane Chapuis (acc) et Samuel Pont (b) nous ont entraîné sur des thèmes traditionnels: arménien avec «Tamzara» et «Dzachkats Baleni», macédonien avec «Jovano», Bulgare avec l’enlevé «Gnakini Horo» et une belle intro au violon, ou encore gharnati avec «Kom Tara». Le concert nous a également offert aussi de magnifiques duos (bandonéon/violon sur «Tamzara»). Après l’admirable «Kom Tara», avec Mahmoud Chouki et Stéphane Chapuis, ont suivi d’autres belles compositions: «Arrows» (Chouki) spécialement dédiée à Aurore, visiblement très émue, «A deux doigts de te dire oui», de la violoniste ou encore la remarquable balade «Yona Ma Tehegi» de la chanteuse israélienne Etti Ankri. Le concert s’est achevé sur «Mechul», composition du percussionniste, qui finit sur un chant qui a entrainé tout le public debout avec lui. Une soirée unique délivrant un message de paix plus que jamais d’actualité. PM

Lucky Dog © Patrick Martineau

Le 6 février, Frederic Borey (ts) nous avait conviés sur la péniche Le Marcounet pour un «tour de chauffe» comme on dit en Formule 1. En effet, le quartet «Lucky Dog» qu’il co-dirige avec Yoann Loustalot (tp) se préparait à enregistrer – le lendemain et le surlendemain – un album live au Jacques Pelzer Jazz Club de Liège. Un disque qui paraîtra chez Fresh Sound New Talent. L’heureux producteur, Jordi Pujol, avait d’ailleurs fait le déplacement de Barcelone pour applaudir ses «poulains». Complété des excellents Yoni Zelnik (b) et Fred Pasqua (dm), Lucky Dog nous a ainsi présenté le répertoire qu’il s’apprêtait à graver Outre-Quiévrain. Des compositions réussies, comme «C’est tout», du trompettiste, ou «Old and You», du saxophoniste, un titre empli d’énergie. La musique du quartet est dense et parfois âpre. Mais elle séduit par son relief. La puissance suave de Frederic Borey, la belle expressivité de Yoann Loustalot, la finesse du soutien de Yoni Zelnik, l’onirisme rugueux de Fred Pasqua se répondent, constituant l’équilibre d’une formation qui sonne. JP


James Taylor © Mathieu Perez

Après huit ans d’absence, le James Taylor Quartet faisait son retour à Paris le 10 février, au Jazz Club Etoile. Le fameux groupe d’acid jazz anglais n’a rien perdu de son groove. Le maître de l’orgue Hammond, James Taylor, était accompagné d’Andrew McKinney (eb), Pat Illingworth (dm) et du jeune Ralph Wyld (vib). Ils nous offerts deux sets très généreux, très funky. Dès la première note, on reconnaît la patte du leader et le style de ce groupe emblématique qui pioche dans son énorme répertoire (le JTQ fête ses 30 ans cette année), «Picking Up Where We Left Off», «Never In My Wildest Dreams», «The Template», «Theme From Starsky & Hutch». Autant de thèmes qui rappellent les héros du JTQ, Lalo Shifrin et John Barry. Le vibraphone remplace l’habituelle guitare électrique et permet une relecture sensuelle, un son qui fait penser à Roy Ayers (avec lequel James Taylor a enregistré plusieurs fois), surtout pour «Joe’s Diversions». Il y a aussi des thèmes jazz, avec «Root down» (Jimmy Smith), «Jungle Strut» (Gene Ammons), «Muffin Round» (Jack McDuff). Espérons qu’il ne faudra pas attendre 2025 pour les revoir! MP

Le 12 février, le Sunside était plein à craquer. Les amateurs étaient en effet venus nombreux pour souffler les 80 bougies de Louis Hayes (il les aura le 31 mai prochain). Pour cette tournée anniversaire, le batteur historique s’est entouré de musiciens d’exception: Jeremy Pelt (tp), Danny Grissett (p), Dezron Douglas (b). Ce soir-là, le répertoire faisait honneur aux trompettistes: avec deux thèmes de Freddie Hubbard, «Happy Times» et «The Thing We Did Last Summer», un de Donald Byrd, «French Spice». Il y avait aussi «Is That So?» du pianiste Duke Pearson. Le leader et ses accompagnateurs nous ont offerts une musique, jouée avec une telle virtuosité, des mélodies interprétées dans un registre contemporain, ancré dans le swing, avec une telle beauté et une telle émotion que l’enregistrement s’imposait pour garder une trace de cette soirée inoubliable. Le public n’oubliera pas ce très grand moment de jazz! MP

Bobby Few © Patrick Martineau

Le 14 février, Bobby Few (p) avait convié, à La Java, un parterre d’amis du jazz à l’avant- première d’un film à son sujet, Musical Hurricane de Nicolas Barachin. Un projet qui a fait l’objet d’un financement participatif, sur la base du constat qu’aucun documentaire n’avait jusqu’alors été consacré à cette belle figure du jazz, dotée d’une personnalité très attachante. Nous eûmes l’occasion de nous entretenir avec le réalisateur juste avant la projection, qui nous expliqua que la levée de fonds avait permis de réunir l’équivalent de 7000€, somme nécessaire au financement du montage et de l’étalonnage, mais sans toutefois autoriser une rémunération du travail nécessité par le film. Barachin n’oublie d’ailleurs pas de mentionner cet aspect désintéressé des passionnés de jazz, qui est bien souvent le lot des musiciens eux-mêmes, évoquant tout spécialement la générosité de jazzmen comme Bobby Few en la matière. Outre le plaisir de découvrir ou redécouvrir les différentes étapes de la carrière du pianiste (apprentissage de la musique dès l’âge de 7 ans à Cleveland, amitié avec Albert Ayler, séjours à New York, en Europe et à Paris), on est agréablement surpris du fait que le musicien mette en parallèle son arrivée dans la capitale française au moment où, selon ses propres dires, une révolution avait lieu à Paris, et son expérience avec Steve Lacy, qu’il crédite de la naissance d’un goût jamais démenti pour le free jazz. Ce dernier avait d’ailleurs débuté par le dixieland et le jazz traditionnel, et on sent que Bobby n’aime rien tant que ce grand écart entre le jazz hot et les formes les plus aventureuses de la musique afro-américaine. Le réalisateur du film insiste sur le contraste entre la gentillesse un peu surannée de Bobby Few, et sa défense de l’idée que, désormais, le monde a sans doute à nouveau besoin d’une révolution («les choses sont un petit peu trop tranquilles en ce moment»). Bobby Few ne précise d’ailleurs pas si cette révolution qu’il appelle de ses vœux est une révolution sociétale ou seulement musicale, mais cet oubli volontaire traduit mieux que tout autre sa malice coutumière. Le sous-titre de «Musical Hurricane» s’explique par le fait que Bobby y décrit son effet «ouragan» (déjà approché dans Jazz Hot n°677 pour évoquer une performance en solo), qui lui permet de faire jaillir d’un chaos de formes apparent des mélodies, citations et autres fragments de compositions célèbres. Avec une ironie somme toute mordante, il ajoute que cette idée lui est venue du fait qu’il n’a sans doute jamais joué les mélodies et les accords de manière fidèle, leur préférant l’inspiration du moment et la grâce de l’instant, en bon libertaire passionné de nature qu’il est.
La projection fut suivie d'un concert improvisé du pianiste, en trio avec Harry Swift (b) et Ichiro Onoe (dm), assisté de quelques musiciens venus spécialement soutenir Bobby pour un titre d’inspiration très free (Rasul Siddik, tp, François Lemonnier, tb, Jacques de Lignieres, ts, Chance Evans,ts) et nous n’oublierons pas l’émotion vive et sincère du pianiste à l’issue de la projection du film, acclamé et applaudi comme il se devait par l’ensemble des personnes présentes dans la salle. JPA

Johnny O'Neal © Mathieu Perez

Il y a-t-il un leader qui ait plus de classe que Johnny O’Neal (p)? Au Duc des Lombards, le 15 février, deux mois après son dernier passage, il nous présentait son nouveau trio,composé de Ben Rubens (b) et Itay Morchi (dm). Le contrebassiste vient du New Jersey. Il a étudié à la Manhattan School of Music à New York, joue avec le leader depuis le mois d’août dernier. Le batteur est israélien. Il s’est installé à New York en 2013, a fait partie des groupes de Tuomo Uusitalo (p), Andrew Forman (g), Hillel Salem (tp). Il accompagne le pianiste depuis décembre. Rubens et Morchi ont 25 ans chacun et viennent en Europe pour la première fois. Johnny O’Neal pourrait s’entourer des plus grands musiciens, retrouver d’anciens camarades, tels Lonnie Plaxico, Peter Washington, Lewis Nash, avec qui il a joué et enregistré dans les années 1980 et 1990, ou faire appel à de jeunes lions rompus à toutes les situations. Mais jouer avec les musiciens les plus jeunes est la seule façon de leur transmettre cette musique (voir son interview dans ce numéro). Et durant toute la soirée, les accompagnateurs sont hyper attentifs.
Johnny O’Neal joue au feeling. Il choisit les thèmes au fil du set, toujours sensible à l’attention du public. Il attaque par «Between the Devil and the Deep Blue Sea», suivi d’une de ses spécialités: la relecture de thèmes de la Motown ou des tubes soul, pop des années 1970-1980. Il poursuit avec «The First Time on a Ferris Wheel» (chanté par Smokey Robinson et Syreeta) qu’il chante, puis «Just The Way You Are» (Billy Joel) suivi de «Betcha By Golly Wow» des Stylistics. Réputé pour les milliers titres de son répertoire, il joue peu ses propres compositions. Ce soir-là, il nous offre «CJLS», les initiales des musiciens de son trio précédent, Charles Goold (dm) et Luke Sellick (b). Si tout est supérieur chez Johnny O’Neal, si tout est virtuosité, si tout est swing, il n’est jamais aussi à l’aise que dans le blues. Et c’est ce qu’il nous chante de sa voix, douce et chaude, vite éraillée, touchante. Il invite sur scène le pianiste Franck Amsallem avant de prendre le micro pour «The More I See You» et «All The Way». Les deux pianistes se connaissent bien, sont complices. La soirée finit en beauté avec «Mornin’», en hommage à Al Jarreau, décédé le 12 février. Johnny O’Neal est en résidence dans six clubs new-yorkais. Et si la septième était à Paris? MP

Alain Jean-Marie, Nicola Sabato, Didier Conchon© Patrick Martineau

Le 15 février, toujours, Didier Conchon (g) était de retour à Paris, à la péniche Le Marcounet après une longue période passée dans le sud de la France (trop calme à son goût, confie-t-il) et un rapide séjour aux Etats-Unis. En formation réduite ce soir avec Alain Jean-Marie (p, avec lequel il a conçu un album en 2006), et Nicola Sabato (b, avec qui il a souvent joué), pour quelques reprises. Ambiance tranquille dans la cale de la péniche autour de «Jingles», «Four on Six» (Wes Montgomery), «East of the Sun» (Brooks Bowman) ou encore «It Could Happen to You» (Jimmy Van Heusen/Johnny Burke), titre immortalisé par Chet Baker. De retour à Paris, Didier Conchon est là pour jouer, jouer et jouer. On attend les prochains rendez-vous avec impatience. PM

Les Primitifs du Futur © Mathieu Perez

C’est, sans aucun doute, l’un des plus beaux événements de l’hiver: la reformation exceptionnelle des Primitifs du Futur. Et exceptionnelle également fut cette soirée du 16 février au Studio de l’Ermitage. Ces derniers temps, ils se font rares. Certains ont pu les voir (en sextet) au Duc des Lombards en 2012, ou en 2014 aux Nuits de Nacre, à Tulle, et au Bluegrassfestival, à Rotterdam. Du coup, les retrouvailles n’en étaient que plus chaleureuses (une tournée est en préparation au Canada et aux Etats-Unis).
Autour du guitariste-chanteur-compositeur-arrangeur Dominique Cravic, ils étaient huit sur scène : Claire Elzière (voc), Daniel Huck (voc, as), Bertrand Auger (ts, ss, cl), Daniel Colin (acc), Jean-Michel Davis (vib, dm), Jean-Philippe Viret (b), Mathilde Febrer (vln), Fay Lovsky (voc, uku, thrm, scie musicale). Sans oublier les invités! Ils étaient nombreux pour nous offrir un concert plein de grâce, de beauté, d’humour, d’émotion.
«World Musette», «Tribal Musette», les titres de leurs disques (aux pochettes splendides de Robert Crumb) annoncent la couleur: du musette, du swing, de la chanson française, de la fantaisie, de la nostalgie, des parfums exotiques, et des histoires. Cet orchestre remarquable nous raconte avant tout de belles histoires. Dans la «Java viennoise», Claire Elzière nous chante les aventures de la fille de Freud, qui a le béguin pour un certain Louis le Gambilleur. Puis, direction Cuba avec «Kid Chocolat», le champion du monde de boxe poids plumes dans les années 1930, et puis «Chanson pour Louise Brooks». Avant de repartir pour la Chine avec la «Valse chinoise», et le quartier de Barbès avec «La Femme panthère et l’homme sandwich», Daniel Huck et Fay Lovsky nous offrent un blues plein d’humour. Du scat à la chanson française, de l’ukulélé à la scie musicale et au thérémine, du 18e arrondissement de Paris à l’autre bout du monde, l’imagerie ne pourrait être plus poétique. Chez les Primitifs du Futur, tout est poétique, tout est original, tout est subtil.
Dans la seconde partie de la soirée, place aux chansons à textes ciselées. En ouverture, la valse hawaïenne «J’écoute la guitare», chantée en 1932 par Jean Lumière, suivie de la superbe chanson «Ton manteau gris» (Cravic, Paringaux). Histoires d’amitié aussi. Les invités se succèdent, chacun avec un instrument qui ajoute une saveur supplémentaire à l’orchestre, et une étrangeté aussi. Voilà les guitaristes Hervé Legeay et Max Robin pour «La bicyclette» en hommage au grand Pierre Barouh, qui s’est éteint le 28 décembre 2016. Evocation aussi du génial Allain Leprest, avec «Marabout Tabou», dont Dominique Cravic et Claire Elzière défendent le répertoire (et lui ont consacré le disque Claire Elzière chante Allain Leprest, Saravah, 2014, un vrai bijou). La Japonaise Mieko Miyazaki, vêtue d’une tenue traditionnelle, monte sur scène. Elle installe son koto, une sorte de longue cithare posée à plat, et nous joue un blues! L’effet est épastrouillant. Et ce n’est pas fini! Voilà les musiciens algériens Mohamed El Yazid Baazi (oud) - grand défenseur de la musique chaâbi - et Khireddine Medjoubi (darbouka). L’orchestre nous joue alors une «Valse orientale» et «C'est la Goutte d’Or qui fait déborder la valse». Un plaisir! Le dernier thème de cette magnifique soirée est peut-être l’un des plus nostalgiques des Primitifs du Futur (d’autant plus qu’il est dédié à Dédé Roussin): le «Dernier musette» avec, en ouverture, Daniel Colin à l’accordéon puis Michel Esbelin à la cabrette, la cornemuse auvergnate. En rappel, «Passez la monnaie» (la version française de «We're in the Money», chantée dans le film Gold Diggers of 1933 de Mervyn LeRoy). Un signe envoyé par le pince-sans-rire Dominique Cravic aux programmateurs de clubs et de festivals qui seraient bien inspirés de donner à cet orchestre la place qu’il mérite? MP

Martin Taylor et Ulf Wakenius © Patrick Martineau

Un duo de haut vol nous était proposé au Duc des Lombards, le 18 février: Martin Taylor et Ulf Wakenius, deux guitaristes qu’une grande complicité unit audiblement. Sideman de Stéphane Grappelli durant plus de dix ans, l’Anglais Martin Taylor est passé maître dans l’art du finger picking, capable de faire sonner sa guitare comme un petit orchestre en jouant simultanément les rythmiques et les lignes mélodiques. Le Suédois Ulf Wakenius, pour sa part, fut un des derniers compagnons de route d’Oscar Peterson, aidant le grand pianiste à pallier la faiblesse de son bras gauche conçue à la suite d’un accident vasculaire cérébral qui l’a privé d’une partie de ses capacités motrices. Développant chacun un sens rythmique hors pair au cours de ces expériences formatrices, les deux musiciens se découvrent dès l’origine une complicité profonde, acquise au fil de collaborations fructueuses. Cette tournée s’intitule «Legacy», et ce mot va prendre tout son sens puisque le set débute par un hommage à Barney Kessel, que Martin Taylor seconda en compagnie de Charlie Byrd (superbe version de «Blues for a Playboy»). Les guitaristes enchainent avec «Two for the Road» dont l’album éponyme fut enregistré en binôme avec Alan Barnes. Déjà, les parties solos inspirées de Wakenius combinées avec la science des arrangements et l’intelligence rythmique de Taylor font merveille, transportant un public médusé par l’aisance confondante dont font montre les deux six-cordistes. Sans nous laisser reprendre notre souffle, ils entament «Last Train to Hauteville», tiré du «Spirit of Django» de Martin Taylor, et dont Stéphane Grappelli suggéra le nom en disant à son guitariste qu’il avait su, sur cet enregistrement, capter l’esprit même du génie de la guitare manouche. On imagine combien ce compliment dut émouvoir l’Anglais, tant il met de soin et d’application à célébrer cette musique depuis lors. On n’oublie d’ailleurs pas qu’on est en France puisque les deux hommes évoquent«l’Hymne à l’Amour», d’Edith Piaf, un titre interprété dans l’esprit de Django. Dans cette optique très roots, ils nous proposent aussi «Lullaby for Birdland», de George Shearing, véritable tour de force qui donne à entendre en filigranes le chant d’illustres divas de l’histoire du jazz. En associant cet héritage à un sens de l’ouverture très «world», Wakenius et Taylor effectuent fréquemment des citations à caractère humoristique, tirées de la culture musicale populaire et qui égayent un concert à la fois festif et musicalement très abouti. L’Amérique est ainsi traitée au travers de la musique d’Ennio Morricone («Once Upon a Time in America»), tandis que Martin Taylor nous parle d’une collaboration avortée avec Stevie Wonder, et des conditions bien plus rémunératrices dans lesquelles des musiciens comme les Rolling Stones effectuent leurs tournées. Autour des variations en solo proposées par les deux duettistes, leur collaboration sur «Oscar’s Blues», en hommage à Oscar Peterson, prend un relief tout particulier, sans doute l’acmé d’un concert chaleureux et complice. Cet état d’esprit se manifeste encore par un clin d’œil en direction de deux fans de Youn Sun Nah, que Wakenius épaule depuis 2009, constitué par l’esquisse de l’hymne coréen Aegukga, et la fin du concert approche avec «Down at Cocomo’s» de Martin Taylor, une composition destinée à conjurer le manque de soleil ressenti durant ses années d’enfance, de facture très caribéenne avec capodastre, toucher pizzicato en palm mute, et tapping. Un moment magique par essence. JPA

JP O'Neill Quartet © Jérôme Partage

Le 21 février, il y avait de l’excellent jazz de part et d’autre de la Seine: Rive Droite, au Sunset, Jean-Philippe O’Neill (dm) avait réuni l’équipe avec laquelle il a enregistré son album Willie’O (voir notre chronique dans Jazz Hot n°675): Ronald Baker (tp, flh, voc), Philippe Petit (p) et Peter Giron (b). Le quartet du batteur a pour principale qualité de s’exprimer, dans un idiome bop, sur un répertoire de compositions qui plus est très réussies. Une caractéristique qu’il partage avec quelques autres formations du même tonneau, notamment celles auxquelles appartiennent ses membres, comme le Ronald Baker Quintet ou le groupe Men in Bop avec Philippe Petit. L’occasion de souligner le talent de compositeur de ce dernier, particulièrement prolifique, qu’on retrouve ici au piano plutôt qu’à l’orgue. Pour autant, les thèmes apportés par O’Neill, Giron et Baker ne sont pas moins bons (très réussi «Latina» du trompettiste). Un standard, tout de même, «It Ain’t Necessarily So» permet à Ronald Baker de livrer un solo pétillant. L’ensemble, enrobé de la finesse de Peter Giron et porté par le groove du leader, est plus que plaisant.

Olivier Defaÿs, Philippe Chagne, Guillaume Naud, François Laudet © Jérôme Partage

Rive Gauche, au Caveau de La Huchette, Olivier Defaÿs (ts, as) et Philippe Chagne (ts) étaient en quartet avec François Laudet (dm) et Guillaume Naud (org) qui remplaçait ce soir-là Philippe Petit (lequel n’avait pas – contrairement à certains candidats à l’élection présidentielle – envoyé son hologramme pour être présent en deux endroits). Arborant un gros son de ténor, les deux saxophonistes on fait sonner leur quartet comme un big band. La puissance de François Laudet, en soutien, n’y est pas étrangère («Tickle Toe» de Basie). Voilà un groupe qui envoie du bois! Au deuxième set, deux batteurs sont venus faire le bœuf: Stéphane Roger (qu’on retrouve avec Philippe Chagne dans le groupe Tenor Battle), au drumming très swing, puis Robert Ménière (autre complice de Chagne, au sein de Take 3), un colosse à l’attaque explosive, qui a donné un solo spectaculaire. Le tout pour le plus grand plaisir du public du Caveau - fort nombreux pour un mardi soir – et notamment des curieux (repérables à leur mine incrédule et ravie) attirés par l’engouement que le film La La Land a créé autour du club (qui a vu sa fréquentation croître de 30%). Pourvu que ça dure! JP

Benji Winterstein, Jérémie Arranger et Adrien Moignard © Patrick Martineau


Aux Petits Joueurs
, Daniel John Martin (vln, voc) nous avait concocté, le 22 février, un joli plateau pour sa carte blanche hebdomadaire du mercredi: Adrien Moignard (g) avec Benji Winterstein (g) et Jérémie Arranger (b). Qu’il est réjouissant de constater que la tradition Django se porte bien, vivifiée par le renouvellement des générations, nous offrant encore en 2017 le plaisir d’être spectateur d’une expression artistique enracinée dans la pratique communautaire et ouverte sur l’universalité. A 32 ans, Adrien Moignard est une des personnalités de la scène Django ayant émergé ces dernières années (il figure d'ailleurs au casting du biopic sur le divin guitariste à sortir au mois d'avril). Autodidacte, son jeu reste marqué par ses premières influences blues. Ces inflexions imprègnent en effet son interprétation du répertoire, nimbée d'une douce poésie. Une approche particulièrement réussie sur «Les Feuilles mortes» ou sur l'incontournable «Nuages». Daniel John Martin et son violon grappellien lui répondent avec une gaité au fond mélancolique, jouant des émotions contradictoires. C'est tout simplement beau et vrai. JP



Julie Saury Sextet © Zancovision, by courtesy

Pour célébrer la sortie de l’album For Maxim. A Jazz Love Story, dédié à son père (voir notre chronique dans ce numéro), Julie Saury (dm) avait pris, au Sunside, le 24 février, la tête d’un sextet tout entier dévolu à ce projet d’hommage très personnel, soit: Aurelie Tropez (cl), Frédéric Couderc (ts), Shannon Barnett (tb), Philippe Milanta (p) et Bruno Rousselet (b). Les bases posées dès l’entame du concert sont très swing, avec les premiers frisés de la batterie et ce sens du drive si caractéristique, mais on note presque simultanément une volonté d’appropriation personnelle des classiques interprétés. Les échanges de solos se font dans un esprit très bop, tandis que les tempos et les orchestrations constituent le plus souvent de véritables relectures de morceaux choisis pour leur ductilité, et nous n’assistons pas ce soir à un revival traditionnaliste du jazz de New Orleans. «Sweet Georgia Brown», «Moppin and Boppin» font ainsi montre d’une certaine liberté au niveau des tempos, tandis que «Avalon» est dotée d’un son moderne et brillant, quoi qu’évoquant des ambiances nées à l’époque du ragtime et du Harlem stride. «Indiana» témoigne d’une facture plus classique, avec les traits rythmiques inspirés de Philippe Milanta, et le groove puissant de Bruno Rousselet. «Basin Street Blues» et «Crazy Rhythm» permettent d’apprécier l’authentique virtuosité d’Aurélie Tropez qui brode à plaisir autour des thèmes dans un esprit très dixieland. Frédéric Couderc brille lui par une grande polyvalence, illustrée par un aspect multi-instrumentiste qui le voit utiliser un certain nombre d’instruments à vent pas toujours identifiables, dont quelques sifflets lui permettant de ponctuer avec humour les propos de son leader. «The Song Is You» puis «Together» mettent en valeur le talent de Shannon Barnett, aussi à l’aise dans le contrepoint rythmique au trombone qu’en prenant le micro sur des classiques chantés, où son timbre de voix irréprochable conquiert les amateurs les plus exigeants. Au passage, ces titres confirment un point de convergence entre Maxim et sa fille qui semble cristallisé autour du patrimoine vocal américain, d’où, sans doute, un traitement très choral sur certaines pistes de l’album For Maxim. «Do You know What It Means to Miss New Orleans» et «Dinah» sont d’ailleurs des morceaux, seulement présents sur l’édition vinyle de l’album. Julie Saury a en effet profité des fonds mobilisés par l’intermédiaire de la campagne de financement participatif pour constituer une sorte de double album, avec un track listing différent sur le CD et sur l’acétate. «Petite Fleur» est l’un des grands moments du concert, avec un tempo lent et des solos qui relèvent d’une déconstruction savante permise par Patrice Caratini, l’auteur de l’arrangement préservant l’intégrité du chef d’œuvre. «St Louis Blues» respecte la structure duelle de l’enregistrement studio, précédé d’un solo de batterie tout en finesse et presque tribal par son caractère percussif dénué d’ornementation (avec notamment un usage très parcimonieux des cymbales et une hi-hat actionnée uniquement à la pédale, qu’on retrouve sur la plupart des rythmes enlevés joués par la percussionniste). «Les Roses de Picardie» est présenté comme l’un des titres favoris du père de l’artiste, et à nouveau on sent la volonté de donner une relecture moderne d’un classique lyrique. Le medley final, interprété en trio, vient rappeler que le blues fait partie intégrante de l’héritage de Julie Saury, avec des citations érudites qui achèvent de constituer ce qui restera comme un bel hommage rendu à la musique de Sydney Bechet, Louis Armstrong et Fats Waller. JPA

Textes et photos: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez
Photo du concert de Julie Saury © Zancovision, by courtesy
© Jazz Hot n°679, printemps 2017