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© Jazz Hot 2018
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Paris en clubs Mars-avril 2018
Le 17 mars, Brisa Roché était sur la scène du Jazz Café Montparnasse
pour un de ses retours ponctuels –mais toujours attendus– au jazz. Très bien entourée des Malo Mazurié
(tp), Philippe Milanta (p), Dominique Lemerle (b) et Philippe Soirat (dm), la
chanteuse a enchanté les standards avec le talent qu’on lui connaît:
«This Folish Things», «Love Me or Leave Me»,
«Scarlet Love», «Body and Soul», «You’ve
Changed», «This Can’t Be Love», «But not for
Me»…. L’interprétation singulière et habitée de Brisa transforme cet
exercice, parfois convenu, en une expérience très particulière et des titres
archi-connus –notamment ceux immortalisés par Billie Holiday dont l’ombre
plane sans cesse au-dessus de la scène, comme un objet d’évocation, non comme
un modèle– semblent avoir été écrits hier à l’intention de la jeune femme. Sa
présence captivante et encore sublimée par l’excellence de ses partenaires, que
ce soit dans le dialogue avec Malo Mazurié ou dans le soutien de la section
rythmique. Il faut dire que Brisa Roché choisit ses accompagnateurs avec autant
de goût que son répertoire. Entre le deuxième et le troisième set, un incident
a donné un cours inattendu à la soirée: une alarme, déclenchée
inopinément, a provoqué une panne de courant qui a contraint les musiciens à
terminer le concert de façon acoustique; une gageure pour une chanteuse
dans un lieu aussi vaste! S’étant rapproché de la scène à la demande de
Brisa, le public a pu profiter d’un troisième set intimiste qui mettait encore
davantage en valeur les qualités de chacun. Une soirée dont se souviendra le
Jazz Café Montparnasse! JP
C'est un concert inoubliable, historique, bouleversant. Le
22 mars, le Sunside était plein à craquer pour accueillir Lee Konitz (90 printemps!). Historique, le concert l’était à
plus d’un titre. Pour la musique qui était jouée et pour les musiciens qui
accompagnaient l’alto ce soir-là. Au piano, il y a Alain Jean-Marie, qui
n’avait pas joué avec Konitz depuis 1989 (c’était avec Art Farmer, Pierre
Michelot et Daniel Humair dans le cadre du festival Banlieues Bleues au Cinéma
Louis Daquin, au Blanc-Mesnil). Il y a aussi le tandem magnifique Jeremy
Stratton (b)-George Schuller (dm). Dans la salle, le ténor Lenny Popkin très
ému, dont on connaît les liens avec Konitz et Lennie Tristano. (cf. Jazz Hot n°668). D’ailleurs, avant
d’être invité à faire le bœuf, Popkin nous disait avoir découvert Lee
Konitz grâce au disque Lee Konitz With
Tristano, Marsh and Bauer (1949): « Things
were never the same for me after hearing these sides when I was about 16.»
Et se souvenait d’une des premières fois qu’il a vu l’alto en concert: en 1959
au Half Note, à New York, avec Tristano, Warne Marsh, Henry Grimes et Roy
Haynes... Rien que ça! Sur scène, le leader tire de son saxophone un son d’une
clarté vertigineuse, joue des solos qui vous serrent le cœur quand il ne scatte
pas. Entre des standards («How Deep Is the Ocean», «Body and Soul») et des
thèmes aussi fameux que «Subconscious-Lee» et «Kary’s Trance», c’est toute une
histoire du jazz qui défile. MP
Le 27 mars, au New Morning, Sophie Alour (ts, ss) fêtait la sortie de son album Time For Love, aux côtés de Stéphane
Belmondo (tp, flh), David El Malek (ts), Glenn Ferris (tb), André Ceccarelli
(dm), Alain Jean-Marie (p), Sylvain Romano (b) et du quintet classique Allegria,
composé de Anne-Cécile Cuniot (fl), Catherine Coquet (oboe), Cécile Hardouin
(basson), Gaëlle Burgelin (cl) et Camille Lebréquier (frh). Le collectif a
donné un concert à la fois chaleureux et brillant, en dépit de l’énorme travail
de cohésion et d’écriture des arrangements préalables à la tenue d’une
prestation d’ensemble exempte de tout reproche. Conçu à l’origine comme une
tentative de réappropriation de ballades et de standards où s’illustrèrent
certaines des plus grandes voix du jazz, l’album est également une sorte de
manifeste en forme de protestation contre la violence mortifère et la chaos
aveugle où nous plongent régulièrement les passions tristes d’un certain nombre
d’individus ayant perdu le sens de leur humanité. A cet égard, c’est un Glenn
Ferris inspiré qui nous restitue la poésie désolée de «Left Alone»,
que Mal Waldron avait propulsé dans l’hyper-espace par la magie de son génie
immanent, de même que le tromboniste confère à «I’m Old Fashioned»
de Jérôme Kern toute la grâce d’un classique intemporel. Mais Sophie Alour, dont le timbre mature et
imposant frappe les esprits à chaque intervention, pousse plus avant dans
l’intimisme en proposant un hommage vibrant à son grand-père «Nos
Cendres» (sur lequel brille Stéphane Belmondo), à sa grand-mère
(«Fanny») et à sa fille, dont la présence sur scène peu après que
les dernières notes de «Comptine» ont résonné dans la salle affiche
un sourire sur tous les visages présents. Il faut dire qu’Alain Jean-Marie nous
gratifie depuis lors de colliers de notes ésotériques tout en économie de
moyens dont il a le secret, et que seules, sans doute, son expérience et son
talent lui permettent d’envisager. Après nous avoir plongés dans l’ambiance
caractéristique des classiques de Claude Sautet au moyen des accents de «La
Chanson d’Hélène» de Philippe Sarde, les musiciens reviennent au jazz
avec «Summertime», prouvant par l’exemple la possibilité de lier
ces deux langages, tout comme «Que reste-t-il de nos amours» de Charles
Trenet montre les liens du jazz avec le répertoire de la chanson française. C’est
peut-être à la présence de Rhoda Scott dans la salle que nous dûmes cette
version endiablée de «This Is for Albert» de Wayne Shorter,
laquelle fut sans nul doute le sésame conduisant vers un final de haute volée, au
cours duquel André Ceccarelli, décomposa à plaisir les tempos, au point que
seuls David El Malek et Sylvain Romano semblaient y retrouver leurs petits, en authentiques
gardiens du groove de ce happening. Un magnifique concert, plein de fougue et
de verve malicieuse. JPA
Ce mercredi 28 mars,
au Sunside, Curtis Lundy a du retard.
Wallace Roney est déjà sur scène
avec Emilio Modeste (ts), Oscar Williams (p), Eric Allen (dm). Ils s’impatientent,
commencent à jouer. Le contrebassiste arrive en courant, jette son imperméable
dans un coin au bar, puis monte sur scène, enfourche sa contrebasse, joue comme
si de rien n’était. Et c’est parti pour un set ultra-puissant, qui en met plein
les oreilles. La rythmique est du tonnerre, les thèmes survoltés, le leader a
remplacé pour cette tournée européenne le ténor Ben Solomon par le jeune Emilio
Modeste (18 ans), qui assure. Parmi les plus beaux moments de la soirée, la
ballade «Christina» (Buster Williams), qui conclut le premier set en beauté. MP
Dans le monde du jazz, on connaît le Malien Cheick Tidiane Seck pour le rôle
essentiel qu’il a joué dans la production des disques de Hank Jones (Sarala) et Dee Dee Bridgewater (Red Earth)
en tant qu’arrangeur. Le pianiste et organiste marqué par le groove de Jimmy
Smith est tout aussi à l’aise avec les musiciens de jazz qu’avec les musiciens de
reggae et tous les autres. Il a été à la bonne école, faisant partie du Super
Rail Band dans les années 1970, puis des Ambassadeurs avec Salif Keita,
travaillant au fil des années avec Manu Dibango, Joe Zawinul, Randy Weston,
Fela Kuti, Youssou N’Dour, entre autres... Le 31 mars, il donnait un concert tout aussi métissé aux Deux Pièces Cuisine, au Blanc-Mesnil, organisé
avec la complicité de l’association CECB (Centre éducatif et culturel du
Bourget). Sur scène, Seck était accompagné des excellents Conti Bilong (le
batteur du Soul Makossa Gang de Manu Dibango), Mohamed Hafsi (b), Mamady
Diabate (g), Adama Bilorou (perc, balafon). Résultat: du groove, du groove, du
groove. De «Mâké» (enregistré avec Hank Jones) à un thème co-écrit avec Craig
Harris, de la musique mandingue très funky à du reggae grâce à des invités
surprise. Notamment le Jamaïcain Cedric Myton, fondateur et chanteur du groupe mythique
The Congos. Seck et Myton travaillent en ce moment à un album. On attend de les
revoir avec impatience! MP
Le 11 avril, au Studio de l’Ermitage, Louis Winsberg (g), Benoît Sourisse (ep) et André
Charlier (dm) présentaient Tales From
Michael, un album sincère et authentique, qui réussit le pari d’évoquer Michael
Brecker sans qu’aucun cuivre ne se mêle de la partie. L’organiste et le batteur
ont une passion commune pour le blues, qu’ils mettent à profit dans
l’élaboration des textures de l’édifice jazz funk caractéristique des
compositions de l’illustre saxophoniste, avec une emphase particulière portée
sur la collaboration avec le pianiste et compositeur Don Grolnick, à qui est
empruntée «Safari» de Steps Ahead. La fougue de Michael Brecker sur
«Peep» est reproduite de façon bluffante par les interactions entre
les trois musiciens, Benoit Sourisse excellant dans l’art de jouer
simultanément les lignes de basse et les mélodies. Le claviériste utilise
l’orgue Hammond avec un brio hors pair, laissant silences et espaces vacants créer
une tension plutôt qu’une attente au cœur même de la trame musicale. Louis
Winsberg compense l’absence de soufflant avec les notes produites par la talk
box qu’il utilise avec un rendu proche du vocoder. Ses chorus sont souvent
minimalistes, développant ses improvisations de manière très progressive,
l’énergie embrasant peu à peu la scène à mesure que l’osmose entre musiciens se
fait plus précise et plus communicative. Les tonalités apaisées de «The
Cost of Living» sont une seconde occasion de rappeler la prolixité de Don
Grolnick, et l’atmosphère très cool jazz du premier album solo de Michael
Brecker. «Oops» est un autre emprunt à l’univers jazz fusion de
Steps Ahead, tandis que «Talking to Myself» annonce le jazz rock
contemporain de Mike Stern et John Scofield. «Straphanging», nous
replonge dans l’univers des Brecker Brothers, propice à quelques breaks de
batterie virtuoses et inspirés, au demeurant très jazz dans l’esprit.
«Minsk» aborde le jazz de tradition, tel que le quartet du
saxophoniste le pratiquait avec talent et succès. «Never
Alone» représente l’incursion majeure de la soirée dans l’univers des
ballades, toujours particulièrement apprécié du public, et «Madame
Toulouse» perpétue un traditionalisme de bon aloi, tel que pratiqué par
tous les jazzmen dignes de ce nom à un moment où un autre de leur carrière. Une
belle soirée musicale dédiée avec conviction à l’un des musiciens les plus
attachants et les plus influents de sa génération. JPA Textes: Jean-Pierre Alenda, Jérôme Partage, Mathieu Perez Photos: Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez © Jazz Hot n°683, printemps 2018
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Paris en clubs Janvier-Février 2018
Le 13 janvier, le Hot Club de France
fêtait ses 85 ans au Jazz Club Etoile.
Pour cet anniversaire, il avait convié le big
band de Michel Pastre (ts) avec pour special
guest, un autre ténor, Nicolas Montier. Soit un beau cadeau d’anniversaire
que s’était offert le HCF, d’autant que cette formation compte beaucoup
d’excellents solistes: Esaie Cid (as, cl), Luigi Grasso (as), Patrick
Backville (tb, voc), Fabien Mary, Malo Mazurié (tp), Enzo Mucci (g), Pierre
Christophe (p), Raphaël Dever (b) ou encore François Laudet (dm). La fine fleur
des clubs parisiens en somme! Les duos Pastre-Montier se sont avérés
particulièrement savoureux («Tickle Toe», «Corner
Pocket» qui a aussi permis d’entendre Malo Mazurié). Car si l’ensemble
produit un swing rugissant, portant haut le répertoire de Count Basie (avec, en
plus, le souci pédagogique du leader d’introduire chaque morceau), on apprécie
aussi les individualités sur les solos (Pierre Christophe sur «Blues
Backstage», Patrick Backville –au chant– sur «After You’ve
Gone», François Laudet sur «Poor Butterfly»). Que du
bonheur! JP
Le 26 janvier, Sarah Lenka (voc) interprétait pour le public du Jazz Café Montparnasse les titres de
son album I Don’t Dress Fine, un
vibrant hommage à Bessie Smith. En compagnie de Laurent Guillet (g), Quentin
Ghoman (tp), Manuel Marchès (b) et de Fabien Mornet (g, bjo), elle a proposé
une vision très folk-blues du répertoire de cette grande figure de la musique
américaine, avec une emphase particulière portée sur les moments-clés de sa
carrière amoureuse. La chanteuse, qui nous avouera après le concert préférer
chanter ces morceaux en continu, comme un scénario, plutôt que de les organiser
autour de plusieurs sets distincts, joue brillamment d’un art consommé de la
scène pour interpeller, provoquer les personnes présentes, s’arrêtant de
chanter, interrompant le cours du gig au gré de l’intensité des réactions
recueillies. L’exercice d’approfondissement que propose Sarah Lenka relève
davantage d’une intuition propre à l’artiste qui consiste à intégrer la lutte
pour l’égalité homme-femme au combat contre la xénophobie et les
discriminations. On sait que Bessie Smith a été l’une des premières chanteuses
afro-américaines à bien gagner sa vie avec son art, bien que cela ne l’ait
aucunement empêchée d’être en butte au racisme et à la misogynie. Surmontant
les difficultés au moyen d’une force de caractère hors du commun, les textes de
ses chansons n’en expriment pas moins le regret d’avoir dû vivre et gérer de
tels antagonismes. De ce point de vue, si Sarah Lenka est très à l’aise avec
les tempos rapides de «Cake Walking Babies» et «Do Your
Duty» qui semblent tout droit issus du monde de Dorothy Parker, elle
devient proprement émouvante sur les rythmes mid-tempo ou lents de «Sing
Sing Prison Blues» et «After You’re Gone». En authentique front woman instinctive, Sarah Lenka ne
se dérobe pas à la mise à nu émotionnelle proposée par ces titres, suscitant
l’adhésion des fans de l’ancien Petit Journal Montparnasse, bien aidée en cela
par des musiciens irréprochables et brillants qui évoquent les orchestrations
dépouillées prisées par l’autre grande source d’inspiration de la chanteuse,
Billie Holiday. Un spectacle qui conjugue l’authenticité et la sincérité comme
le faisait Bessie Smith. JPA
Le 5 février, c’était la fête à Gérard Naulet (Jazz Hot n°681)! Le pianiste s’était en effet fait plaisir en
réunissant ses amis, sur scène et dans la salle du New Morning, plein comme un œuf. Après une première partie assurée
par le trio Ahmet Gülbay (p), Nicola Sabato (b), Germain Cornet (dm), le plus
cubain des retraités de l’administration fiscale (le nombre de musiciens qu’il
aide à remplir leurs déclarations est long comme le bras…) s’est mis en piste avec Orlando Maraca Valle
(fl), Orlando Poleo (dm), Irving Acao (ts), Felipe Cabrera, Felix Toca (b),
Philippe Slominski, Tony Russo (tp), Simon Ville-Renon (perc) et Carlos
Esposito (voc). Ce fut une belle fête en musique, éclatante et cuivrée. Une
célébration de l’amitié (Viaje a la
Amistad est le titre de l’album de Gérard) entre un musicien français épris
de jazz et de rythmes cubains et des musiciens cubains qui l’ont adopté comme
l’un des leurs. Un moment heureux qui s’est achevé sur un quatre mains au piano
avec Orlando Maraca Valle. Viva Cuba!
JP
Le 8
février, au Sunside, Yoann Loustalot (tp, flh), nous
présentait son nouveau projet, Old and
New Songs (Bruit Chic, label dont il est fondateur), une œuvre issue d’un
collectif de musiciens soudés. Avec François Chesnel (p), Frédéric Chiffoleau
(b), et Christophe Marguet (dm), le groupe nous invite à un véritable tour du
monde au travers de titres empruntés au répertoire traditionnel, au folklore de
pays si divers qu’on croirait presque toucher, çà et là, au registre de la
world music. Mais il s’agit bien davantage, en l’espèce, d’un état d’esprit et
d’un certain sens de l’ouverture au monde que de dilution dans un multivers
nourri de références cosmiques et de croyances globalisantes. Dans le répertoire
du groupe, «Une jeune Filette» et «File la Laine»
rappellent la rencontre sur les bancs de l’école du trompettiste et du bassiste
dans l’Ouest de la France, tandis que «Edo No Komoriuta» et
«Oshima Ankho Bushi» évoquent le Japon de Matsuo Basho. L’esprit de
la formation, comme de la prestation musicale offerte ce soir, est bien loin de
toute prétention intempestive, comme attesté par chacun des commentaires burlesques
qui présentent les morceaux joués au public du Sunset (et par l’interprétation de
la très originale introduction virtuose à la batterie de «Old and New Drums»).
Le Brésil de «Bachianas Brasileiras N°5 Aria» et «Villa Lobos»,
l’Italie de «La Romanella», sur laquelle brille le piano de
François Chesnel, témoignent chacun à leur niveau de cette entreprise de
réappropriation que constitue toute relecture fidèle, parce que sincère, de
mélodies appartenant au patrimoine musical mondial. Ici, la formation se permet
même de swinguer avec grâce, entre de multiples brisures de tempos altérant
avec talent la signature de compositions ayant traversé le cours du temps et
qui, ce faisant, bénéficient du surcroit de vitalité suscité par chacune des reviviscences
proposées en révélant leur œcuménisme. «Kristallen Den Fina», par
son atmosphère intimiste, porte l’émotion à son comble, et «La Belle s’en
va au Jardin des Amours» offre à Frédéric Chiffoleau l’occasion d’une des
digressions dont il est friand, accusant le grand écart entre tradition et
modernité matérialisé par le quartet
avec un tel sentiment d’évidence, qu’il évacue la complexité pourtant patente des
arrangements écrits collectivement. La maîtrise du timbre de Yoann Loustalot, de
facture très classique, les phrasés impressionnistes privilégiés par les
musiciens, et la cohésion d’ensemble de la prestation achèvent de propulser le
concert dans une dimension essentielle marquée par une intensité et une
cohérence incontestables. JPA
C’est un travail titanesque auquel Gilles Naturel s’est attelé il y a plus d’un an: partir du disque Porgy & Bess, enregistré en 1958 par
Ella Fitzgerald et Louis Armstrong avec l’orchestre de Russell Garcia, et
arranger la musique de George Gershwin pour dix musiciens, qu’on a retrouvés
sur la petite scène du Duc des Lombards
le 14 février. La touche
Naturel? cette fibre classique, ce sens du swing, cette sobriété, cette
rigueur, cette élégance, et le choix d’excellents musiciens. A commencer par Champian
Fulton (voc, p), qu’on ne présente plus, mais aussi Ronald Baker (tp),
Balthazar Naturel (cor anglais, ts), Stéphane Chandelier (dm), et les
classiques Jérémy Garbag (vlc), Philippe Chardon (vln), Martin Declercq
(tp), Felix Roth (cor), Armand Dubois (cor). Un set magnifique où tout est
soigné, précis, fin. Dommage que cet orchestre n’a été programmé qu’un seul
soir. Avec un peu de chance, il fera la tournée des festivals. Il le mérite. MP
Textes: Jean-Pierre Alenda, Jérôme Partage, Mathieu Perez Photos: Georges Herpe, Patrick Martineau et Jérôme Partage © Jazz Hot n°683, printemps 2018
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Blues Station Tournon d'Agenais (47), automne 2017
Le dernier
trimestre de l'année 2017 fut un des sommets de cette saison de blues dans la
petite commune de Tournon-d'Agenais autour de l'équipe du toujours passionné
Christian Boncour et de son association Blues Station. Un rendez-vous
incontournable depuis plus de 20 ans qui a vu défiler tout le gotha de la note
bleue. En ce 20 octobre, c'est la formation du chanteur et
harmoniciste Sugar Ray Norcia qui illumina la scène de l'ancien presbytère du
Périgord Agenais transformé en club du «Chitlin circuit». Dans une
ambiance surchauffée par un nombreux public d'amateur de blues et de chili con
carne, les Bluetones de Sugar Ray ont démontré qu'ils restent l'une des plus
authentiques formations de blues contemporain. Ils viennent de fêter leur 40e anniversaire
et représentaient déjà à l'époque la crème du «west coast blues»,
avec le formidable Ronnie Earl à la guitare. Ils croisèrent ainsi la route de
figures majeures du blues tels les légendaires Big Joe Turner ou les
incontournables de Chicago de Jimmy Rogers (g), Roosevelt Sykes (p) et Big
Walter Horton (hca). L'harmoniciste reste l'influence majeure de Sugar Ray
Norcia qui au-delà d'une totale maîtrise de l'instrument, excelle dans un jeu à
la sonorité ample et chaude avec un sens du swing toujours présent. Après une
longue parenthèse au début des années 90 au sein des fameux «Roomfull of
blues», il reforme ses Bluetones et cultive une carrière de sideman
auprès de Duke Robillard (g), Pinetop Perkins (p), Joe Louis Walker (g) avant
la consécration de l'album «Superharps» où il partage les chorus
avec Billy Branch, James Cotton et Charlie Musselwhite. La présence ce soir de
Little Charly Baty (g) apporte au-delà de l'école de T. Bone Walker propre à
l'idiome west coast, une touche jazz dans ses interventions. L'ancien membre
des fameux «Nightcats» de la baie de San Francisco est aujourd'hui
une pièce importante de la formation, ses chorus sur «Hoodo man»
aux notes tendues à la Buddy Guy doublé d'un jeu en single note font merveille
au sein des «Bluetones». Au détour d'un thème original sur les
harmonies de «Rock me Baby», le «chase» entre le
guitariste et l’harmoniciste fait merveille. On retiendra également une belle
version du titre de Lazy Lester «Blues stop Knockin'» entre Swanp
Blues et sonorité texanes, qui nous amène sur les rives de New Orleans. «Rain in
my heart» est une forme d'hommage à Fats Domino sous les doigts de
l'excellent Anthony Geraci au piano. Sur «Some Day Some Way» une
ancienne composition de Sugar Ray Norcia, il est assez surprenant de retrouver
l'ensemble de la formation initiale qui entourait Ronnie Earl (g) en 1985 sur
l'album Deep Blues avec comme seule innovation
la présence de Little Charly Baty (g). Ce dernier se voit offrir une parenthèse
jazz en trio pour une magnifique version électrique de «Minor Swing»
dans un jeu délié à l'attaque franche évoquant le toucher délicat de Kenny
Burrell. «Lester Leaps in» en mode jam session voit le trio inviter
le ténor de Gordon Sax Beadle, véritable showman dans la lignée des grands
saxophonistes de rythm and blues de King Curtis à Sam The Man Taylor. Son large
vibrato peut également rappeler l'école texane des Arnett Cobb, Buddy Tate
voire Illinois Jacquet. Originaire de Detroit cet ancien partenaire de Duke
Robillard a enregistré plus d'une centaine de sessions aussi bien en jazz avec
Jay McShann, Jimmy McGriff ou Herb Ellis et de nombreuses étoiles du blues dont
Champion Jack Dupree, Pinetop Perkins, Charles Brown, James Cotton, Junior
Wells, Sam Moore, Little Milton, Gatemouth Brown… La rythmique amenée par Neil
Gouvin (dm) et Mudcat Ward (b, eb) est un modèle du genre alliant swing et
musicalité au service du collectif. Sugar Ray Norcia est quant à lui aussi à
l'aise à l'harmonica diatonique que chromatique doublé d'un vocaliste hors pair
à l’expressivité exacerbée. Son final sur «Five Long Years» et
«Mean of World» reste un modèle du genre.
Le 1er décembre, c'est le traditionnel rendez-vous avec la fameuse tournée du Chicago Blues Festival.
Pour cette 48e édition,
on retrouve le guitariste Carl Weathersby originaire de Jackson bien qu'étant
chicagoan depuis sa plus tendre enfance. Aujourd'hui, à 64 ans, il est une
figure influente du Chicago Blues contemporain ayant comme disciples le
prometteur guitariste Corey Dennison ou son partenaire de tournée Rico
McFarland. Sa carrière solo a été tardive due à une longue période de sideman
au sein des formations d'Albert King son mentor et ami de son père, puis durant
une quinzaine d'années au sein des fameux «Sons of the blues» de
l'harmoniciste Billy Branch. Pour cette soirée d'exception, plus une seule
place disponible démontrant encore une fois que le public du blues est d'une
grande fidélité. Débutant sur un shuffle classique, la guitare du leader se
veut tranchante, véhiculant une cascade de notes tendues entre l'école du South
Side d'un Buddy Guy et la virtuosité d'Albert King. On notera la belle
complémentarité des deux guitaristes, Rico McFarland étant plus classique dans
son jeu sobre rappelant Jimmy Rogers
l'ancien partenaire de Muddy Waters. Il est l'autre attraction de la soirée de
par son expérience auprès de James Cotton puis Lucky Peterson, apportant une
touche plus traditionnelle. L'ensemble tourne à merveille surtout sur les
thèmes funky propulsés par la solide et puissante rythmique amenée par Timothy
Lee Waites (b) et Jeremiah Thomas (dm). Le répertoire se veut plus large à
l'image de cette version d'«Europa» de Carlos Santana. Cela est peu surprenant
surtout lorsqu'on sait l'attachement pour le blues du guitariste mexicain, lui
qui cotoya longuement Mike Bloomfield à ses débuts. La venue de Laretha
Weathersby (voc) la sœur de Carl, est également un moment fort du concert sur
des classiques comme «Let's the Good Time Roll», «Proud
Mary», «Kansas city» ou la superbe version toute en
expressivité du célèbre «Dr Feelgood» immortalisée par Aretha
Frankin. Ce début d'année 2018 reste tout autant active pour l'association ABC
dans le cadre de ses Blues Station à Tournon-d'Agenais avec déjà deux concerts
autour de l'hamonica de Nico Wayne Toussaint jouant le répertoire de James
Cotton et du Californien Mitch Kashmar ainsi que des masters class. Une affaire
à suivre!
Texte et photos: David Bouzaclou © Jazz Hot n°683, printemps 2018
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Paris en clubs Décembre 2017
Le 2 décembre au Café Laurent,
Christian Brenner (p) accueillait Damon
Brown (cnt), en compagnie de Frédéric Delestré (dm) et de Bruno Schorp (b). «Ceora» de Lee Morgan permet
d’entrée, avec son feeling latin, de se rendre compte que le phrasé
impressionniste de Damon Brown se marie à merveille avec les standards
revisités par ce qui constitue l’une des principales formations d’un pianiste
cultivant la complicité et l’amitié au cœur même de son discours musical.
«Straight No Chaser» est une piste de décollage pour les improvisations des
solistes, avec une liberté de ton et des variations de tempo saisissantes. «On
Green Dolphin Street», avec son climat intimiste, augure du climat de
complicité esquissé par le groupe, tandis que «Have You Met Miss Jones» prend
ses distances vis-à-vis de Chet Baker en développant ses chorus au cœur même de
la mélodie, laissant les virevoltes autour du thème aux soins du seul Bruno
Schorp, qui brille ici d’une polyvalence confinant à un brio certain. «I Could
Write a Book», «If I Were a Bell» et «If You could See Me Now» confirment la
veine chorale de la prestation, avec une prédominance de classiques du
répertoire chanté choisis avec goût parmi les versions passées à la postérité
en tant que fleurons du genre. Enhardi par l’excellente réception des premiers
titres, Damon Brown se frotte à la griffe de Clifford Brown sur «Joy Spring»,
moment clé du set marqué d’une excellente performance de Frédéric Delestré, qui
apprivoise les parties de batterie de Max Roach de manière exemplaire au vu de
leur complexité (mention spéciale au jeu de cymbales sophistiqué développé pour
l’occasion). «In Your Own Sweet Way» témoigne quant à lui de la capacité qu’a Christian Brenner de frayer avec d’autres instruments polyphoniques tels
que la guitare, et qui pour mieux incarner cette correspondance délicate que la
complicité miraculeuse qu’entretenaient Wes Montgomery et Tommy Flanagan. Le
pianiste fait montre ici de toute sa science harmonique, faisant presque
entendre le jeu en octaves manquant d’un complice joueur de cordes imaginaire.
«Stella by Starlight» est aussi pleine de vie que la version d’Ella Fitzgerald,
quoi que jouée avec un arrangement qui en fait un morceau instrumental à part
entière, tandis qu’«All Blues» confirme le legs immense de la galaxie Miles Davis
aux quatre musiciens, présent de multiples manières dans les atmosphères créées
au sein de l’ancien siège du club Le
Tabou. JPA
Le 5 décembre, sur la péniche Le Marcounet,
Jean-Pierre Como (ep) renouait avec ses
racines en réjouissant le public présent des riches harmonies qui lui sont
propres, caractéristiques des années jazz fusion et de Weather Report en
particulier. Fondateur du groupe Sixun (avec Louis Winsberg et Paco Séry), le
pianiste n’a eu de cesse, depuis ses débuts, de valider la vision de Joe
Zawinul, qui voulait «jouer électriquement et sonner acoustiquement». Le claviériste fait honneur à cette esthétique en faisant usage d’un piano Rhodes qui ne change pas fondamentalement la donne,
mais confère tout de même une énergie supplémentaire aux compositions
interprétées par une formation de haute volée qui compte Christophe Panzani
(ts, ss), Bruno Schorp (b), et Rémi Vignolo (dm). Bruno Schorp est, quant à lui, un contrebassiste
polyvalent, capable de s’adapter à tous les registres. Après une entame de set dédiée aux racines italiennes de
Jean-Pierre Como, on s’aperçoit que le quartet évolue comme un poisson dans
l’eau au gré des multiples influences latines et méditerranéennes émaillant les
compositions du leader, faisant de cette succession de rythmes épicés une
véritable odyssée au pays des couleurs chatoyantes, et incluant même, ça et là,
un feeling caribéen et sud-américain du plus bel effet. Sans qu’elle prétende à un fil conducteur aussi précis,
on peut rapprocher cette appréhension de la musique jazz de l’acception plus
orientalisante du Ôm Project de
Christophe Wallemme, qui a lui aussi collaboré avec les deux compositeurs
principaux de Sixun. Le début du second set est un
moment de tension particulière qui voit le groupe étrenner le titre «Lucky Day»
en avant-première de la sortie du prochain album de Jean-Pierre Como, Infinite, prévue pour septembre 2018. «Bye Bye
Blackbird» prouve à ceux qui en douteraient encore que le pianiste peut renouer
quand il le veut de façon fluide et convaincante avec les standards, et
«Mandela Forever» est un moment émouvant entre tous, l’artiste souhaitant par
là-même célébrer l’anniversaire de la disparition d’une figure appartenant à
son panthéon personnel, façon comme une
autre de rappeler que le jazz authentique prend racine dans un universalisme
que Sixun traduisait à sa façon par un joyeux métissage. Un premier rappel sur
«Chorinho Amalfitano», de Dario Deidda, déjà joué lors du premier set et dont
la longue introduction se trouve reprise à l’instigation du claviériste, et le
groupe nous quitte sur «Alba» de Louis Winsberg, dont la tonalité acoustique de
toute beauté constitue le terme naturel d’une prestation empreinte de
sincérité, d’engagement et d’intégrité. JPA
Le 7 décembre au Sunset, le vibraphoniste Jean-Michel Davis fêtait la sortie de son nouvel album Vibraphone Jazz (Frémeaux & Associés).
Bien accompagné de Frédéric Loiseau (g), Raphael
Schwab (b), Julien Charlet (dm), il nous a concoctés un programme fin, léger,
sensible, à base de standards («The Man I Love», «Flamingo», «Stardust», «My
Romance»). Il les joue au vibraphone ou au marimba. Ça ne manque pas de classe.
Et la présence de l’excellent Francis Varis (acc), si rare sur la scène parisienne,
y est aussi pour quelque chose («Luba», «Rosetta», «Carioca»). Car c’est une
véritable voix musicale, un jeu, une culture, un esprit. Tout cela aurait
suffit à rendre cette soirée délicieuse. Mais qui dit Francis Varis, dit
Dominique Cravic. Et les voilà réunis sur scène. C’est le concert dans le
concert. Cordes et Lames ressuscité, avec Frédéric Loiseau entre les deux,
comme l’était autrefois Didier Roussin. Les retrouvailles ne durent que deux
thèmes. «Sweet Valse» et «Nina petite valse». Devant tant de beauté et de
mélancolie, on regarde, on écoute. MP
Comment rendre hommage au producteur Gérard Terronès (décédé le 16 mars 2017 à l’âge de 76 ans)? Lui qui a
servi le jazz, comme peu l’ont fait, depuis 1965 (date de création de son premier club, le Blues Jazz Museum, dans une cave le l’Ile
Saint-Louis), avec cet activisme, cet état d’esprit libertaire, cette
curiosité de tous les instants, cette discographie foisonnante? Ce n’était pas
simple. Il faut saluer l’énorme travail de préparation du tromboniste François
Lemonnier pour avoir organisé une sorte de grand marathon jazzistique à l’image
des goûts de l’homme au chapeau. Au programme: du free, du post-bop, de
l’improvisation libre. Du jazz dans ce qu’il a plus de vivant, de plus
éclectique, de plus cultivé, joué par les musiciens qui sont liés à Gérard et
Odile Terronès, à cette grande aventure musicale et humaine. Le dimanche 10
décembre au Sunset et au Sunside, plus de soixante-dix musiciens ont répondu à
l’appel (voir plus bas les formations qui se sont succédées).
Il y avait des absents. Dany Doriz, Michel
Portal, Alexandra Grimal, David Murray, etc. (On pense aussi à Hal Singer,
Joachim Kühn...) Certains étaient à l’étranger, d’autres avaient des problèmes
de santé, explique Lemonnier dans son mot d’introduction avant de retracer le
parcours de Terronès. Le discours est bref. La musique va parler de 17h15 à 1h
du matin, chaque formation jouant une quinzaine de minutes, puis 30-45 minutes
à partir de 20h30.
Du jazz, rien que du jazz. Et une kyrielle de
performances inoubliables. C’est une certaine histoire du jazz qui défile sur
les deux scènes. François Tusques (p), en solo. François Jeanneau (ss) et Alain
Jean-Marie (p), pour un «Lush Life» étourdissant. Jacques Coursil (tp), pour un
solo épastrouillant. Joëlle Léandre (b), véritable shaman. De l’intensité, des
voix créatives, de vraies sensibilités musicales, il n’y avait que ça. Cette
soirée méritait d’être enregistrée pour la mémoire comme pour le plaisir de
réécouter ces solos, ces thèmes, ces performances. Le bouleversant «St. James
Infirmary» joué par François Lemonnier (tb) et Raphaël Lemonnier (p). Le set du
magnifique sextet composé de Michel Edelin (fl), Sylvain Kassap (cl), Sophia
Domancich (p), Dominique Lemerle (b), Simon Goubert (dm), Françoise Franca
Cuomo (voc). Le solo éblouissant d'Alain Jean-Marie (p), accompagné de Gilles
Naturel (b), John Betsch (dm), et Sylvia Howard (voc) sur «Just In Time». Oui,
c’est toute une histoire du jazz qui a défilé sur les deux scènes du Sunset-Sunside
plein à craquer jusqu’à la fin. Une histoire qu’on peut retrouver chez Futura
et Marge (http://futuramarge.free.fr), car
bonne nouvelle: les disques des labels Futura, Marge, Blue Marge, Hôtel Marge,
Impro, Jazz Unité, ne sont pas tous encore épuisés! MP
Les formations qui se sont succédées au Sunside:
Sylvia Howard (voc), Raphaël Lemonnier (p),
Nicolas Marinot (eb), Irakli (tp), Eric Barret (ts), Julie Saury (dm)
Claudine François (p), Sylvain Kassap (cl),
Jef Sicard (as), Nicolas Morinot (eb), Alridge Hansberry (dm)
François Tusques (p) solo
François Lemonnier (tb) et Peeter Uuskyla (dm)
François Jeanneau (ss) et Alain Jean-Marie (p)
Manuel Villarroel (p), Gérard Marais (g), Noel
McGhie (dm)
Eric Barret (ts) et Simon Goubert (dm)
Jacques Coursil (tp)
François Lemonnier (tb) et Raphaël Lemonnier
(p)
Bobby Few (p), Harry Swift (b), John Betsch
(b), Awa Timbo (voc)
Michel Edelin (fl), Sylvain Kassap (cl),
Sophia Domancich (p), Dominique Lemerle (b), Simon Goubert (dm), Françoise
Franca Cuomo (voc)
Jobic Le Masson (p), Steve Potts (ts), Rasul
Siddik (tp), Gilles Naturel (b), John Betsch (dm)
Alain Jean-Marie (p), Gilles Naturel (b), John
Betsch (dm), Awa Timbo (voc), Sylvia Howard (voc)
Laurent de Wilde (p), Gilles Naturel (b),
Simon Goubert (dm)
Et au Sunset :
Daniel Beaussier (bcl, sax) et Manu Pékar (g)
Gérard Marais (g) et Christian Lété (dm)
Françoise Franca Cuomo (voc), Cyril Trochu (p)
Jef Sicard (as), Richard Bonnet (g), Claude
Barthélémy (b), Makoto Sato (dm)
Hélène Bass (vlc), Mirtha Pozzi (perc)
Joëlle Léandre (b)
François Lemonnier (tb) et Claude Barthélémy
(b)
Paul Wacrenier (p), Xavier Bornens (tp),
Arnaud Sacase (as), Mario Quaresimin (b), Benoist Raffin (dm), Steve Potts
(ts), François Lemonnier (tb)
Richard Bonnet (g), Claude Barthélémy (g,
b), Hasse Poulsen (g), Samuel Ber (dm), Caroline Faber (voc)
Alain Pinsolle (vib, acc) solo
Eugénie Kuffler (ts, fl, voc), Dominique
Collignon (as, fl), Claire Gillet (b)
Nelly Pouget (as) solo
Le 12 décembre
, au Studio de l’Ermitage, Joran Cariou (p) nous présente The Path Up, son tout premier album paru
chez Unit Records. Le Joran Cariou Trio est composé, en sus du leader et
compositeur, de Damien Varaillon (b) et Stéphane Adsuar (dm), avec en invité ce
soir Pierre Perchaud (g), qui est également présent sur l’album en tant que
directeur musical. En co-headlining, le musicien suisse Marc Perrenoud (p) nous régale des harmonies célestes tirées de
son récent album Hamra. Si
l’œcuménisme présent sur l’album est parfaitement traduit ce soir, ce qui
frappe le plus dans la prestation offerte est une poésie rémanente qui
constitue le véritable fil rouge reliant l’ensemble des acteurs qui se
succèdent sur scène. En quelques notes perchées, empreintes
d’une tenue remarquable, un parfum liquoreux, des accents vaporeux évoquant la
musique de George Gershwin et de Scott Joplin se dégagent en une formule qui
relève de la sonate, laissant résonner les cordes dans un brouillard ouaté et
poétique. L’entrée en scène de Joran Cariou ne rompt pas cet état de grâce, eu
égard à une introduction judicieuse au piano acoustique, avec une délicatesse
de toucher qui ne le cède en rien au style chantourné de son prédécesseur. «Way
Out» ouvre également l’album du pianiste et constitue l’entrée en matière
idéale d’un projet longuement muri pour rendre, selon ses propres termes, «le
monde un peu meilleur». «Catharsis» comporte un caractère polysémique qui
confine au rébus, comme les mots d’un oracle qu’on aurait plaisir à déchiffrer
au fil du temps. L’appréhension plus légère de « Spirit of Our Masters»,
censée représenter une méditation sur et autour des arts martiaux, suscite une
petite note humoristique en forme de clin d’œil, sûrement destinée à désamorcer
toute manifestation d’orgueil inappropriée à l’endroit et au moment. Au
passage, on remarque le jeu de percussions atypique de Stéphane Adsuar,
vraisemblablement rompu à d’autres styles de batterie que celui du straight
jazz. L’enchainement avec «A Hint of Casualness» est proprement bouleversant,
proposant au public présent une quasi-communication télépathique sur ce qui
nous relie les uns aux autres. «Ambivalence», «Mala Rueda», et «Voyage Onirique»
sont ensuite joués au côté de Pierre Perchaud à la guitare, ce qui ajoute une
note acidulée plus perçante à la musique
délicate du trio. Le six cordiste travaille ses notes et ses timbres à la
pédale de volume, rivalisant d’expressivité avec la contrebasse de Damien
Varaillon, impeccable de bout en bout, et insufflant une petite note d’énergie
convulsive à une musique par ailleurs soucieuse d’équilibre jusque dans ses
derniers développements. Concluant sur «La Fin justifie les moyens», le groupe
ne rate pas sa sortie, remerciant chaleureusement son public pour s’être
longuement prêté à l’exercice d’une communion onirique, d’un classicisme et
d’une modernité confondants. JPA
C’est en sortant de ce genre de
concert qu’on se demande bien pourquoi Ernest Dawkins n’est pas plus présent
sur les scènes françaises. L’alto est connu pour son tempérament free jazz, il
est un des piliers de l’AACM de Chicago. Il n’en reste pas moins à l’aise avec
les standards et le straight ahead qu’il joue avec émotion et puissance. Il
nous a ainsi montré l’étendue de sa palette musicale le 16 décembre au Square
(Paris 11e). Un lieu atypique, un espace géant de coworking en
rez-de-chaussée. Une association organisatrice de l’événement qui n’a rien à
voir avec le jazz, le domaine de prédilection de Quatorze (http://quatorze.cc)
étant plutôt l’architecture et la sensibilisation à une approche sociale de
cette discipline. Un public composé de curieux. Durant deux sets (45 minutes
chacun), Katy Roberts (p), Rasul Siddik (tp, perc), Dominique Lemerle (b) ont
tout donné pour accompagner le leader, avouons-le, un brin directif de prime
abord, avant de laisser à chacun de longs et beaux solos. Pour le répertoire,
c’est à l’image de Dawkins, cultivé et éclectique, de «Beatrice»
(Sam Rivers) à «Misty», en passant par
le magnifique «Sweet Love of Mine» (Woody Shaw) et
des improvisations libres. Et quelle
générosité! Le leader invite une jeune poétesse puis un jeune rappeur à se
joindre au quartet pour une performance. C’est que nos musiciens sont curieux
de tout, ouverts à tout, et bienveillants. Ils nous ont offerts de vrais
moments de partage et d’amitié. La soirée se termine avec «Paris Blues». Didier Haboyan (as) a rejoint la formation. C’est splendide. Tout le monde est
emballé. Que demander de plus? MP
C’est
une découverte. Lynn Adib est
Syrienne. Elle a étudié la médecine en France puis la musique au CRR. A 31 ans,
elle partage aujourd’hui son temps entre son travail à l’hôpital et son
activité de chanteuse. Côté jazz, elle a eu l’excellente idée de traduire les
grands standards dans sa langue. Durant un set, on a découvert ainsi le 23 décembre au Sunside «Softly As a Morning Sunrise», «Body
and Soul» ou encore «The Nearness of You» chanté en arabe. Il y a une grande
sincérité chez Adib, une véritable émotion, une élégance. On sent qu’elle s’est
appropriée ces chansons. «Waltz for Debbie», par exemple, elle le dédie à sa
fille. Cela devient «Walt for Sara». Elle nous chante aussi deux chants
traditionnels syriens, alterne des duos avec les instrumentistes. Alain Jean-Marie (p), Philippe Aerts (b) et Eric
Barret (ts), trois musiciens d’exception. MP
Textes: Jean-Pierre Alenda et Mathieu Perez Photos : Patrick Martineau et Mathieu Perez © Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Detroit Drame historique de Kathryn Bigelow (143 min., USA, 2017) Sortie en France le 11 octobre 2017
Ce film réalisé par Kathryn Bigelow sur un scénario de Mark Boal, journaliste, a été sorti en mémoire des 50 ans des événement; il relate, dans une reconstitution factuelle clinique, plusieurs scènes survenues lors des émeutes de juillet 1967 à Détroit, tant dans des ambiances collectives (scènes de rues, des locaux de polices, concours pour la Motown, tribunaux) que de huis-clos, dont l’une des exactions s’est déroulée à l’Algiers Motel. Ce rappel historique de violence institutionnelle extrême permet une nouvelle fois de mettre en perspective les motifs (raciaux) avec les conséquences multifactorielles graves et durables sur une société, et de comprendre à quel point la trame dramatique d’une situation antérieure donnée ne se redresse jamais, car elle oblige les humains à se dépasser, ce qu’ils ne font que très rarement, surtout quand leurs avantages et privilèges en dépendent. A Detroit plus encore qu’ailleurs aux Etats-Unis, et y compris sous la récente présidence Obama, les difficultés des Afro-Américains, n’ont fait qu’empirer (augmentation des inégalités à la fin de son second mandat), allant jusqu’à la déclaration de faillite de la ville en juillet 2013: «Motor City» a perdu son industries, ses emplois, 60% de sa population, 90% de sa superficie habitable, la moitié des 40% restants de ses habitants étant sans emploi, ils sont à la rue, les collections d’art sont en péril, les retraites publiques, les prestations de sécurités, sanitaires et sociales ont été drastiquement réduites, mettant des personnes âgées à la porte des maisons de retraites, parfois à la rue aussi. Le bilan aujourd’hui: les finances municipales seraient assainies au prix de cette saignée, l’automobile a fait place à la mode du moment, l’agriculture bio, surtout quand le prix de la main d’œuvre reprend le chemin des champs de coton. Ce qui fait que certains manipulateurs pensent que Kathryn Bigelow et Mark Boal n’étaient pas «légitimes» pour faire un tel film, est que rappeler les périodes ouvertement honteuses de l’histoire d’un Etat envers ses citoyens, empêche les esprits de s’endormir dans un révisionnisme déculpabilisant. On pourrait croire que la musique, la Motown, ne concerne que les oreilles et le plaisir, c'est pourtant bien plus compliqué...
Jazz Hot © Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Paris en clubs Novembre 2017
Spike
Wilner, c’est un
pianiste, un patron de club, et une marque: le Smalls, un club new-yorkais qui
cartonne (avec un billet d’entrée abordable), une programmation passionnante
qui donne sa chance aux jeunes (trois concerts par soir), un état d’esprit 100%
jazz, le souci de conserver cette mémoire en enregistrant chacun des sets
depuis 2007 (disponibles sur la plateforme Smallslive.com). Le Smalls, c’est un
terreau fertile qui a donné des centaines de musiciens et un lieu où des
anciens de retour à New York, comme Johnny O’Neal, ou moins présents sur la
scène new-yorkaise peuvent s’exprimer. Lorsque Spike Wilner est à l’étranger,
en Europe ou en Chine, comme à Paris le 4
novembre au Duc des Lombards,
c’est pour défendre cette culture du jazz avec son SmallsLIVE All Stars,
composé de musiciens qui, comme lui, ont fait ses armes au Smalls dans les
années 1990: l’épatant Ryan Kisor (tp), l’éclatant Joel Frahm (ts), l’efficace Tyler
Mitchell (b), le brillant Anthony Pinciotti (dm). Un quintet rompu à toutes les
situations. Une soirée pleine de swing et d’enthousiasme. Pour le répertoire,
le pianiste pioche dans ses compositions, nous joue son emblématique «Hopscotch»
comme le magnifique «East Village Enamorata» ou encore «It’s the Talk of the
Town» un de ces thèmes des années 1930 qu’il nous interprète en solo. Du beau
jazz. Spike Wilner peut prêcher la bonne parole du jazz dans ses newsletters,
lors de tournées ou des master-classes qu’il donne au Prins Claus
Conservatorium, à Groningen (Pays-Bas), il en a le talent, comme pianiste et
entrepreneur. Dommage que, ce soir-là, les patrons de club parisiens ne soient
pas venus jeter un œil et une oreille. MP
En pleine tournée, Dee Dee Bridgewater faisait escale en
France début novembre pour jouer son nouvel album Memphis... Yes, I’m Ready (Okeh). Elle nous l’a dit (voir son interview
dans ce Jazz Hot n°682), ce disque participe
à sa recherche de racines. La démarche est très personnelle. Dix ans après son
voyage au Mali, elle est revenue à Memphis, dans le Tennessee, où elle est née
et a vécu ses trois premières années. C'est un retour aux sources, plein
de chansons qu’elle écoutait, adolescente, à Flint, dans le Michigan sur la
radio WDIA (la première station dédiée à la musique afro-américaine, ouverte en
1947 à Memphis). Et c’est une Dee Dee en pleine forme que
nous avons retrouvé le mardi 7 novembre
à La Cigale, puissante, sensible,
émotive, généreuse, pleine de grâce. Elle présente chaque titre en français,
plaisante avec le public, raconte des histoires. A Paris, Dee Dee est chez
elle. Et elle est venue bien entourée: Farindell «Dell» Smith (p, kb, org),
Barry Campbell (eb), Charlton Johnson (g), Carlos Sargent (dm), Curtis Pulliam
(tp), Bryant Lockhart (ts), et les excellentes Monet Owens et Shontelle Norman
(voc). Deux sets d’une heure chacun (le premier était le plus réussi, notamment
avec le titre «Yes, I’m Ready» (Barbara Mason), qui a balayé tout le reste.) Un
show bien rodé, bluesy à souhait. Mais avouons-le: la réception du public
parisien était assez froide, surtout lors du premier set. Il espérait peut-être
du jazz? Et des clins d’œil à Billie et Ella? Plutôt qu’à Gladys Knight & the Pips («Giving Up»),
Ann Peebles («I Can’t Stand the Rain») et aux Staple Singers («Why»)? Les spectateurs
ont chaleureusement accueilli les tubes de Otis
Redding («Try A Little Tenderness»), Big Mama
Thornton («Hound Dog»), B.B. King («The Thrill Is
Gone»), etc. Le blues et la soul, le patrimoine musical de Soulsville, Dee Dee Bridgewater
les célèbre, elle les fête avec son jeu si naturel, sa voix capable de mille
nuances. Le magnifique «B-A-B-Y» (Carla Thomas) conclut
la soirée, avec, en rappel, un inattendu «Purple Rain». Belle soirée, malgré
un public lent au démarrage. Rien à voir avec le concert donné
au Théâtre Simone-Signoret, le vendredi
10 novembre à Conflans-Sainte-Honorine
(78). Dès son arrivée, dès les premiers titres joués, la chanteuse tient les spectateurs.
Elle attaque avec «Going Down Slow» (Bobby Blue Bland), enchaîne avec «I Can’t
Get Next To You» (Al Green), puis «Giving Up» et «Yes, I’m Ready» (Barbara
Mason), etc. Cette fois, le courant passe. Entre la chaleur des spectateurs et
la générosité de Dee Dee Bridgewater et son Memphis Soulphony, cette musique soul qui touche tant la chanteuse, on la
sent vraiment. A Conflans, c’est le blues assuré! MP
Le 11
novembre 2017 à la Bellevilloise,
le duo fondateur de MAM, Viviane Arnoux (acc, voc) et François Michaud (vln), fête ses 25 ans
de carrière au long d’une soirée jalonnée de multiples performances et apports
de leurs invités d’un soir et de toujours.
Cette tournée anniversaire, destinée notamment à promouvoir la sortie de
leur anthologie, 25 ans, et du DVD Jazz in My Musette, alterne plusieurs
dates parisiennes avec des salles de province, ainsi que plusieurs concerts en
Corse. Le concert de ce soir célèbre toutes les périodes de la formation, avec
les personnes qui ont épaulé les deux leaders tout au long de leur parcours.
Bien sûr, l’aspect composite et métissé de la musique proposée par MAM est
encore accru par l’évocation simultanée des différentes formules du groupe, et
nous n’avons pas là affaire à du jazz dans la plus pure acception du terme.
L’appellation de swing musette, tirée d’une de leurs précédentes œuvres,
correspond peu ou prou à une définition possible de leur musique, malgré la
variété des territoires explorés, accrue encore par le caractère hétérodoxe de
la personnalité des musiciens, chanteurs et danseurs qui se succèdent sur scène. Après une introduction en duo, justement
intitulée «Simply Two», Alain Grange (cello)
rejoint la scène pour un festival de cordes et de rythmes sur «Major Dom
Tom» avec Sylvain Pignot (dm),
soit un quartet qui n’avait plus joué ensemble depuis 2004, et qu’on retrouvera
en plusieurs occasions pendant le concert. C’est peut-être avec François
Parisi (acc) que MAM exprime le mieux sa parenté avec l’esprit et
les valeurs du jazz, en tout cas de manière particulièrement convaincante.
Instrumentiste chevronné, il irrigue les
lignes mélodiques de François Michaud de sa verve à la fois aride
et généreuse sur «Folk in My Musette», bien que ce soit
peut-être sur «Alcantara» que l’alchimie propre à MAM opère le
mieux, prouvant par l’exemple sur une composition de l’accordéoniste sicilien
les capacités d’adaptation du trio, quelque soit l’idiome de musique populaire
abordé. Cela devient évident avec la présentation du «tube» de François Parisi, «Annie
Zette», tandis que. «Flammes» fournit l’occasion
de présenter la fille de Viviane Arnoux, Pénélope, comédienne
et chanteuse, dont les vocalises semblent flotter sur la musique du groupe, avec
une sensibilité qui confine presque à la vulnérabilité (l’émotion
semble d’ailleurs avoir eu son mot à dire en la circonstance). De par
l’inclusion de plusieurs formes d’expression artistique, de la poésie
psalmodiée évoquant le slam d’aujourd’hui, aux relents de théâtre nô apportés
par le chanteur danseur japonais Sam (avec qui MAM a
réalisé un album en 1998), on sent que la représentation tend vers une forme
d’art total, à peine démentie par l’humilité non feinte et la bonne humeur manifestée par les
protagonistes de la soirée. Viviane Arnoux se
trompe avec malice dans ses annonces de titres, mais n’oublie bien sûr pas de
remercier le public qui applaudit le climax expérimental de leur musique. Il
s’agit en réalité davantage d’un esprit world music (le groupe célèbre aussi
ses voyages et sa découverte du monde ce soir) que d’orgueil créatif à
proprement parler, ainsi qu’en témoigne la participation remarquée de la
danseuse Bérangère
Altiéri-Leca sur «Rock Rage».
Dans cette acception, les vocalises de Viviane Arnoux font immanquablement
penser au jazz vocal des Manhattan Transfer, avec un côté européen qui les
rapproche de ce que fait Stella Vander dans Magma. D’un point de vue
strictement violonistique, il est sans doute possible de rapprocher les lignes
mélodiques de François Michaud du travail effectué par Didier Lockwood et
Jean-Luc Ponty à partir des années 70 (phrasés pizzicato, usage spectaculaire
de l’archet envisagé comme un instrument à part entière). Il y a d’ailleurs un
petit côté atlantiste chez le
violoniste, sans doute né de ses liens privilégiés avec le Québec et le Canada.
Le
second set, plus moderne dans l’esprit, introduit Paul Vignes (kb, human beat
box) qui apporte un
souffle electro hip hop sur «Time 4 Grooves», ainsi qu’un «French Gambettes» que
n’aurait sans doute pas renié Gene Kelly. Même si la participation de Michèle
Arnoux au chant (mère de l’accordéoniste) semble constituer un retour dans le
temps par sa reprise de Fréhel «La Môme Catch-Catch» (ponctuée de vivats des spectateurs), cette saudade
immanente sert admirablement le propos du groupe lorsque la guitare Selmer de François
Hégron (g)
s’immisce dans le mix, matérialisant le lien unissant cette musique à l’esprit
sinon la lettre des œuvres de Stéphane Grappelli et Django Reinhardt. Le
concert se termine sur une reprise presque gospel de «Child in Time», de Deep
Purple, classique du rock interprété de façon chorale sur scène par l’ensemble
des participants à la soirée anniversaire, et
traversé d’un solo de guitare électrique fiévreux comme celui de Ritchie
Blackmore en 1970. Une ode à l’harmonie entre les peuples d’une puissance
évocatrice certaine en ces temps troublés par le manque de cohésion sociétale.
JPA
Vous souvenez-vous de l’interview de
Connie Crothers parue dans Jazz Hot
n°677? La pianiste nous racontait notamment qu’un soir, elle jouait avec son
vieux complice Lenny Popkin au Blue Note un premier lundi de la nouvelle année.
Le club était plein. Les amateurs présents ce soir-là ne semblaient pas savoir
qui étaient les musiciens sur scène ni vraiment ce qu’ils jouaient: «Durant le premier titre, on sentait le
public un peu mal à l’aise. Au deuxième, ça se réchauffait. Au troisième, on
les tenait! On le sentait. J’ai fait quelque chose que je n’avais jamais fait
là-bas. J’ai dit aux autres membres du groupe qu’on allait faire une longue
séquence free en trois parties, et qu’on appellerait ça une suite. (Rires) J’ai
donc annoncé au public qu’on allait jouer une suite pour fêter la nouvelle
année. Ça a cassé la baraque! Les gens applaudissaient, riaient, s’amusaient!
Ils ont adoré!» C’est exactement ce qui s’est passé le vendredi 17 novembre au Sunset lors du concert inoubliable du ténor Lenny Popkin avec son trio, composé de Gilles Naturel (b) et Carol
Tristano (dm). Là aussi, le club était plein. Un bon nombre de spectateurs
semblaient découvrir le ténor pour la première fois. Les chanceux assis aux
premiers rangs entendaient les rares paroles du leader, qui parlait sans micro,
presque en chuchotant. Et c’est parti une soirée pleine de standards et
d’improvisations vertigineuses. Nous voilà bercés trois sets durant par le son
feutré du ténor qui tire des graves une infinie beauté et une puissance de tous
les instants. Le tandem Popkin-Tristano est fusionnel, on le sait. Leur musique
est d’autant plus intense. Et avec le magnifique contrebassiste, le trio
atteint des sommets. Ces trois musiciens se connaissent bien, jouent ensemble
depuis longtemps, s’apprécient, sont soudés. Ils donnent tout. Cela s’entend.
Puis, Popkin et Tristano se lancent dans une longue improvisation, de celles
qui s’envolent dans les airs. Un dialogue sans concession, poétique, superbe.
Le feeling de cette musique, les spectateurs l’ont bien senti. Ils
applaudissent à tout rompre. En sortant, on y repense encore, à cette musique,
à ce feeling, on réécoute Time Set,
le dernier album du trio. Quel son! MP
Impossible de rester insensible au gros
son du saxophoniste Lew Tabackin au
ténor («Tanuki’s Night Out»), encore moins à la beauté des (rares) thèmes joués
à la flûte («Desert Lady»). Ce samedi 18
novembre au Sunside, le leader
était entouré de l’excellent contrebassiste belge Philippe Aerts (il vient de
jeter l’ancre à Paris), qui l’accompagne depuis des années lors de ses tournées
européennes, et de l’impeccable Mourad Benhammou (dm), qui affiche six ans de
collaboration au compteur. Ce trio magnifique a offert aux amateurs venus
nombreux (le club était plein à craquer) trois sets pleins d’intensité et de
virtuosité artistique. Il suffisait de voir l’air enchanté du flûtiste
classique et chef d’orchestre Patrick Gallois. Et lui, il connaît la musique. MP
Il est des lieux en dehors du temps et
des modes. Des salles en dehors du circuit des clubs parisiens et de ce qu’on
nomme les «must see» du moment. Des
endroits spacieux, bien sonorisés, qui ne souffrent pas de la promiscuité
forcée occasionnée par la saturation d’un réseau de salles consacrées. Ainsi en
va-t-il de la Maison Pour Tous Gérard Philipe à Villejuif (94) en cette soirée
du 23
novembre, où Luigi Grasso
(as, ss) va présenter The Greenwich
Session, formation née d’une inflation naturelle du Luigi Grasso quartet,
partie intégrante de la saison 2017-2018 de Jazz en Ville. Le nonet, composé de Thomas Gomez (as), Balthazar
Naturel (ts,engh), Armand Dubois (flh), Emilien Véret (bcl), Malo Mazurié (tp),
Yves Brouqui (g), Fabien Marcoz (b) et Stéphane Chandelier (dm), se révèle
souverain sur un répertoire composé essentiellement de matériel original conçu,
développé et orchestré par le leader. Adoubé par Wynton Marsalis en personne,
qui salua en lui l’un des tout meilleurs jeunes saxophonistes de sa génération,
Luigi Grasso brille par une polyvalence qui lui permet d’aborder la scène en
chef d’orchestre plutôt qu’en simple instrumentiste, un esprit et une ambition
présents depuis toujours chez le jeune musicien, et qui trouve en quelque sorte
une consécration dans la constitution de ce qui ne représente pas à ses yeux un
authentique big band, mais plutôt une petite formation telle qu’on l’envisage
en musique classique. Son oreille absolue lui fait clairement distinguer ce que
l’oreille du profane ne perçoit qu’à grand peine, comme le registre de la
clarinette basse et celui du basson (formidable Emilien Véret). Les titres
s’enchainent avec le plus grand naturel, ce soir, devant un parterre d’amateurs
de jazz médusés par une telle maîtrise des timbres et de l’image sonore, bien
mis en valeur par l’équipe présente à la console. On sent que cette projection
précise du son est tout à fait conforme à la vision initiale qu’avait Luigi
Grasso de ce projet, et les différentes couleurs apportées aux compositions
introduisent à une sorte de musique du monde, qu’il convient de distinguer de
ce que d’aucuns nomment la world music en ce qu’elle célèbre les différentes
cultures traversées dans toute leur singularité, plus qu’elle ne propose une
vision unifiée de la culture planétaire. Le mambo cubain de «Mariposas Mambo»
voisine ainsi avec les harmonies turques de «Taksim Olagamustu», après que le
feeling d’outre-Rhin du premier morceau interprété a surpris une partie du
public présent, qui n’attendait certainement pas un référentiel musical et une
grille de lecture aussi riches.
Après une outro de fin de premier set,
tirée du répertoire de Thelonious Monk, la pause permet de constater que le
public présent perçoit des effluves de New Orleans parmi les influences
présentes dans les morceaux interprétés par les musiciens. Le saxophoniste
n’oublie pas de célébrer son expérience parisienne au travers de sa composition
«The Three Red Trees» qui représente un hommage très personnel aux trois arbres
rouges présents devant la fenêtre de son appartement, alors qu’il résidait à la
Cité Universitaire. Il introduit également la figure de China Moses qui lui a
offert le poste de directeur musical au sein de sa formation, et lui exprime sa
gratitude au travers de la mélodie de «Champagne Is to Blame», transfigurée par
l’expérience de la scène et une version instrumentale de haute volée. Le moment
le plus émouvant du concert est sans aucun doute l’interprétation de «Turbo
Shot», conçu par le frère de Luigi, Pasquale Grasso, avec un arrangement du
saxophoniste auquel il semble accorder la plus grande importance, tant le
morceau comporte des accents fraternels et chaleureux. Le concert se termine
sur «Epistrophy» de Monk, que le compositeur préfère sans doute ici pour des
raisons esthétiques à un «Round Midnight» qui reposerait essentiellement sur
l’inspiration et le feeling du moment. Car c’est peut-être là le véritable
secret de Luigi Grasso, dont la formation propose en rappel l’immense «Fontainebleau»
de Tadd Dameron, une ballade dont il nous dit qu’elle est peut-être la plus
belle jamais composée, et qui comporte des sections bien identifiables, avec
des breaks judicieux et structurants qui ne compromettent en rien sa fluidité.
Il est sans doute permis de voir là le dessein ultime des blues lents
qu’affectionne l’artiste, sorte de théorie de la forme qui vaut confirmation de
la vision musicale inhérente aux compositeurs qui l’agréent. Un bien beau
concert, en forme de carte postale personnalisée envoyée des quatre coins du monde.
JPA
Talib Kibwe
connaît bien Paris. Le saxophoniste et flutiste américain y a vécu de 1982 à
1989. C’est pendant son séjour en France qu’il a rejoint la formation de Randy
Weston (qui vivait alors à Annecy). C’est aussi grâce à son premier disque en
leader, Egyptian Oasis (sorti en
1986), enregistré avec Bobby Few (p), Louis Petrucciani (b) et Sangoma Everett
(dm), qu’il a eu l’opportunité de tourner trois fois à travers l’Afrique. Son
dernier album, Amour, est un retour
en arrière sur ses années parisiennes. Un album sous forme d’hommage, plein de
saveurs, exprimé dans un jazz contemporain, exigeant, ancré dans une histoire,
et sans nostalgie. Deux standards en tout («Infant Eyes» et «La Petite Fleur»),
le reste de l’album se compose de thèmes originaux composés pour l’occasion
(«Parisian Memoir») ou de thèmes réarrangés, composés dans les années 1980.
Bref, un répertoire très riche qu’il est venu partager le samedi 25 novembre dans un Sunside plein à craquer, avec anecdotes
racontées en français, une bonne dose d’humour, de clins d’œil, de pensées
envers une génération de musiciens qu’il a côtoyés («Abdoulaye», il l’a dédié
au batteur et fondateur du groupe sénégalais Xalam, Abdoulaye «Prosper» Niang
décédé en 1988, avec lequel il a joué et tourné en Afrique; «ElvinElpus»,
à Elvin Jones). Cette générosité, ses sidemen n’en manquaient pas: l’étincelant
Olivier Hutman (p), l’ultrasolide Nicola Sabato (b) et le vieux complice John
Betsch (dm), dont la rencontre avec Kibwe remonte à la fin des années 1970
lorsqu’ils accompagnaient Abdullah Ibrahim. C’est même avec le pianiste sud-africain
que le saxophoniste joua pour la première fois à Paris. En 1977, aux Bouffes du
Nord, avec John Betsch... Une soirée pleine de réminiscences d’un Paris gorgé
de jazz, qui l’était encore un peu plus en 1985, lors du tournage du film Autour de minuit de Bertrand Tavernier.
Face à un public qui en redemande, resté toujours aussi nombreux jusqu’à la fin
du troisième set, quel meilleur finale que «Round Midnight»? MP
On a beau voir et revoir le pianiste Harold Mabern et le ténor Eric Alexander à chacun de leur passage
à Paris, on ne se remet jamais tout à fait de leurs performances, tant elles
donnent le tournis. Ce sens du swing, du blues, ce naturel, ce jeu
immédiatement reconnaissable où tout est supérieur, l’expression d’une
tradition du jazz, d’une façon personnelle de la prolonger avec sa sensibilité,
ses racines musicales, c’est tout cela Harold Mabern et Eric Alexander. Un état
d’esprit, un enthousiasme, une générosité, une rigueur, une exigence. Et tout
cela ne manquait pas le mardi 28
novembre au Duc des Lombards.
Pour cette tournée européenne, ils étaient accompagnés de l’épatant Daryll Hall
(b) et de l’impeccable Bernd Reiter (dm). Si la veille, ils se sont fait dépouiller
du côté de la gare de l’Est, qu’ils n’ont plus un rond, comme ils l’expriment
non sans humour dans «How Insensitive» et «Everything Happens To Me», c’est
comme si ce n’était plus qu’un mauvais rêve. Ils piochent dans le répertoire de
Monk («Blue Monk»), dans les deux derniers albums de Mabern («The Iron Man»;
«Bobby, Benny, Jimye, Lee, Blu»), se lancent dans «I Get A Kick Out Of You»,
réarrangé par Mabern et rendu méconnaissable. La classe! Les programmateurs de
festivals de jazz qui brillent par leur absence en clubs seraient bien inspirés
de venir écouter ce beau jazz. Pourquoi se braquer? MP
Textes: Jean-Pierre Alenda et Mathieu Perez Photos : Patrick Martineau et Mathieu Perez © Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Autumn in Brussels Septembre-novembre 2017
Jazz Station
Le 8
septembre, une rupture de canalisation d’eau à la chaussée de Louvain a
provoqué une grande coulée de boue qui s’écoula en aval avec, pour conséquence un affouillement de huit mètres de profondeur juste en face de la Jazz Station.
Tous les riverains avaient été priés d’évacuer car on craignait un effondrement
du tunnel situé en dessous des immeubles. Les voies du chemin de fer ont été
dégagées tandis que les vérifications concernant la stabilité de l’immeuble ont
été effectuées in extremis pour permettre la tenue du concert d’ouverture de la
saison 2017-2018.
Alors
qu’il fallait encore attendre la fin des travaux pour rouvrir la circulation
sur cette artère, nous avons vaillamment longé les tranchées pour participer à
la première soirée du 29 septembre: une
rencontre entre l’Israélien Shaï Maestro (p), le Grec Petros Klampanis
(b) et
un quatuor à cordes berlinois. La surprise nous trouva dubitatifs dès le premier
morceau: un long solo de contrebasse travaillé au loop: percussions sur le corps de l’instrument, superposition de
trois lignes rythmiques, d’une ligne de basse dominante, un chorus en accords,
une ligne mélodique, un jeu post-chevalet et, bien évidemment, quelques
dissonances! Le deuxième thème, «Minor Dispute», introduisit fort heureusement
le pianiste israélien et le quatuor (deux violons, un alto, un violoncelle). Le
troisième débuta par des questions/réponses entre le bassiste loopé et les cordes, suivi de très beaux
échanges entre le contrebassiste et le pianiste. Le swing teinté d’orientalisme
est séduisant. Avec «Little Blue Song» qui évoque les paysages enchanteurs de
son île natale, Petros Klampanis nous livre une suite écrite, avec des
changements de tempos qui envoient les cordes dans les bottes de paille. Seul,
Gregor Fuhrmann (cello) parvint à négocier tous les virages sans sortie de
route. «Tough Decision», plus simple, avec des murmures chantés, précède
«Individual Colors»: un extrait de «Chroma»qui a le bonheur de mettre en
valeur la fougue, l’inspiration et le grand talent de Shaï Maestro. Suivent: «Hariklaki»,
un duo de piano et de basse, puis «Autumn Leaves», un solo de contrebasse
doublé d’un chant en recordings de loops.
En final, «Monkey Business», une œuvre d’inspiration pakistanaise. Au long du
concert, nous avons eu droit à un jeu de contrastes et d’oppositions entre les
jazzmen et les cordes, entre des solos de piano qui swingue, des chipotages de
basse et des backings de strings pas
toujours en place. Il y a de bonnes idées dans l’écriture du contrebassiste de
Zakynthos, mais on aurait aimé dans son chef un peu plus de retenue, moins
d’artifices (revoicings). Sans Shaï
Maerstro, enjoué, lumineux, nous aurions sans doute beaucoup moins apprécié la
soirée.
Le 28 octobre, à l’invitation du Goethe
Institut, la Communauté germanophone de Bruxelles défilait en rangs serrés à
l’entrée de la Jazz Station. Au programme, une délicieuse chanteuse, Natalia Mateo, accompagnée par un
quartet comptant dans ses rangs: Simon Grote (p), Dany Ahmad (g), Christopher
Bolte (b) et Fabian Ristau (dm). Natalia Mateo, polonaise de naissance (1983) a
transité par l’Autriche avant de se fixer à Berlin. Elle chante en polonais, en
anglais et en allemand d’une voix claire mais fluette s’aidant avec parcimonie
de la reverb’ et du loop. Tous les morceaux –originaux– usent
de structures simples; les accompagnateurs servent la chanteuse avec
délicatesse privilégiant des backings répétitifs. En fin de compte:
de très beaux climats qui pourraient sans doute plaire à Manfred Eicher!
Sam Gerstmans (b), qu’on
apprécie régulièrement comme sideman relevait, le 10 novembre, le défi d’une carte blanche, sa toute première. Il
nous avouera plus tard qu’il était paniqué à l’idée d’imposer ses choix comme
leader. Qui l’eut cru? En trio, avec Tom Callens (ts, cl) et Victor Da Costa
(g), il nous a éblouis de sa maestria: justesse, puissance, swing, inventivité
des solos, bon goût des arrangements. «Childs Play», co-écrit avec Tom Callens,
puis«Dance For Dad» en lead-clarinette; «Black Diamond», une composition
de Roland Kirk joliment arrangée; ensuite, «Evening Fall in Melancholy», un
original de Tom Callens qui nous fait apprécier la rondeur du son et le léger
vibrato qu’il pratique au ténor. Pour le cinquième morceau, Sam Gerstmans invitait
une chanteuse totalement inconnue à les rejoindre sur «My Man». Bouche bée, on
découvre Delphine Gardin: un timbre de contre-alto, net et bien assuré. Elle
vient de la pop mais le bassiste promet de la faire travailler son jazz; on
l’écoutera encore en seconde partie sur «Little Girl» de Nat King Cole. Pour
sûr, il faudra la suivre à l’avenir! Le
premier set se termine avec «S.O.S» de Wes Montgomery. Le thème est joué à l’unisson puis les solos se succèdent:
ténor, guitare, contrebasse, stop
choruses, break, bière, entracte. La seconde partie débute avec «Ephemerides»,
une composition de Guy Cabay, déclinée au début des années 1980 par Steve
Houben & Strings. Le trio s’est joliment réapproprié le thème avec un long
solo de ténor sur basse continuée. Avec «Revers», écrit par Victor Da Costa,
Tom Callens s’illustre à la clarinette, précédant un solo superbe de Sam
Gerstmans. Un bel original de Tom Callens précède «Versus», une démarcation de
«All Blues» écrite par Sam Gerstmans. Suivent «Little Girl» avec Delphine
Gardon puis «Ramble On» et le concert se termine sur «Autumn Leaves» avec un solo
magnifique de contrebasse et un tonnerre d’applaudissements… largement mérité.
Lundis d’Hortense à la Jazz Station
Avec le répertoire de son nouvel opus, The
Stolen Book (Bonsaï Music), Chrystel
Wautier (voc) nous revient fortifiée, le 15 novembre, par ses succès hexagonaux(au Sunset, entre autres).
Pour l’accompagner, un quartet de haut vol parfaitement conduit par Cédric
Raymond (p) et Lorenzo Di Maio (g). Jacques Pili (b) et Jérôme Klein (dm)
assurent avec légèreté la pulsation rythmique. On a trop rarement l’occasion de
voir et d’écouter Cédric Raymond derrière
l’ivoire; contrebassiste efficace, inventif, sûr de son tempo, il a révélé ce
soir: un joli doigté au piano («Be Town») et un goût parfait aux claviers
pour enrober les mélodies. «Into The Dance», «No, We Can», «Conversation»
précèdent un bel arrangement du tube de Souchon-Voulzy: «Le Soleil donne».
«My Old Man», extrait du film Love Song
From Apache, et «Let’s Fall» clôturent le premier set. Chrystel
Wauthier est une musicienne complète; elle écrit la musique et les paroles de
la plupart des morceaux. Au fil des ans,
elle a pris de l’assurance; la voix est bien en place et les accompagnateurs
servent la dame de manière magistrale; elle affirme aussi sa différence
en évitant de scatter pourdonner priorité à l’harmonisation des chansons et
la répartition des solos. Tout est bien structuré. Le swing est léger,
l’agressivité proscrite. En deuxième partie, elle affirme la diversité de ses
influences. Belge de La Louvière, elle est fille de pasteur et ukrainienne par
ses grands-parents; une culture qu’elle a découverte à l’occasion d’un concert
à Kiev pour les 25 ans de l’indépendance de cet ancien satellite soviétique.«Stolen
Book» et «Far Away» témoignent de cette ambivalence. Suivent des morceaux où le
gospel et le blues s’immiscent. Jacques Pili prend un beau solo à la
guitare-basse sur «Far Away», Lorenzo Di Maio sur sa composition «Black
Rainbow», Cedric Raymond… partout! «Happy Song» et «Before a Song» viennent
clore un concert de très belle facture
avec une organisation parfaite. Pas de longs solos, mais rien que du bon!
Olivier Collette (p), s’était fait oublier pendant son séjour à Dubaï de 2004 à 2008.
Rentré en Belgique, il crée Heptone en 2013: un club de jazz situé à Ittre,
dans le Brabant wallon. L’année suivante, il se rappelle à nous avec son troisième
album, 7 Views of a Secret, avec
Raphaëlle Brochet (voc), Philippe Aerts (b) et Renato Martin (perc).
Compositeur mâtiné de musique classique et de jazz, il séduit par l’attention
particulière qu’il voue à la mélodie, ce qui le rend séduisant pour un public
très large. Le 22 novembre, il était
l’invité des Lundis d’Hortense pour un concert «Gare au Jazz». Entouré du
redoutable Sam Gerstmans (b) et du mélodieux Matthias De Waele (dm), il a livré
une musique en dentelles avec ses compositions: «Missing», «Conception»; un titre
d’inspiration brésilienne: «Mittle Beyond»; un blues original: «Azur»; un
renvoi à Charles Loos, l’aristo du piano: «Danse pachyderme»; «I
Don’t Care»: un thème rockisant que renierait pas Herbie Hancock (avec un beau
solo de contrebasse; une démarcation de «Cherokee» très (trop) sage:
«Waltz for Charlie»; «Twistin’ Minor Blues»; une composition plus complexe:
«The B Train» avec un doublement du tempo à la basse. Mais il y eut aussi de très belles relectures de l’Impromptu en Sol b-M de Schubert, un
concerto d’Amadeus Mozart et un Nocturne
de Chopin. Vous l’aurez compris c’est un peu le jazz du salon des ambassadeurs
qu’il nous fut donné d’apprécier! Ce fut un beau concert pour l’écriture des
compositions et pour la qualité des arrangements; un concert fin, mélodieux, léger mais sans surprises!
Texte: Jean-Marie Hacquier Photos: Pierre Hembise © Jazz Hot n°681, automne 2017
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Paris en clubs Octobre 2017
Le 19 octobre, Dan Vernhettes programmait
dans le cadre de Jazz en Ville, à la
Maison pour tous Gérard-Philippe de Villejuif, Julien Brunetaud, auteur, compositeur, pianiste et chanteur.
Accompagné ce soir Sylvain Fetis (ts), Bruno Rousselet (b) et Alex Viudes (dm),
il donne la tonalité blues groovy dès les premiers titres. Le répertoire est
tiré de son dernier album, Playground,
avec «Down in the New Orleans», de «When I Grow»,«Mardi Gras in New
Orleans». «Monty’s Boogie» est si vivement accompagné par le battement des
mains du public que Julien en lâche son clavier pour marquer le mesure avec lui
avant de présenter «Mes idéaux» son unique blues en français. Et le premier set
de s’achever sur «When the Saints Go Marchin’ in». En deuxième partie de
concert, le pianiste continue de développer sa musique entre blues, boogie et
soul («I Wanna Ride», «Catalonian Night»), lequel se conclut sur un «Aladin
Boogie» endiablé. Un garçon à suivre et une programmation qui devrait encourage
les amateurs parisiens à franchir le périf’. PM
Le 22 octobre, le trio de Jobic Le Masson (p), Peter Giron (b), John
Betsch (dm), est une nouvelle fois invité par Steve Potts (as, ss) aux Ateliers du Chaudron, dans une salle où
le saxophoniste assume des fonctions de directeur d’enseignement musical, ce
dernier bénéficie d’un fort ancrage social. Nous avons déjà eu l’occasion de
commenter les mérites de cette formation dans le précédent numéro de Jazz Hot. Si nous y revenons aujourd’hui,
c’est parce qu’il est important de dire que c’est grâce à des musiciens de ce
calibre et de cette qualité que le jazz d’aujourd’hui
peut conserver ses valeurs et ses vertus formatrices. Le concert lui-même est
basé, pour l’essentiel, sur les magnifiques titres qui composent
«Song», dernier album sorti du combo. Mais conformément à l’esprit
explorateur du jazz, ces morceaux sont ici délivrés dans des versions alternatives,
assorties de changements de clé déroutants et de moult improvisations ludiques
et spectaculaires, à telle enseigne qu’on est tenté de se pincer pour se
convaincre qu’on assiste bien à un set donné dans une salle à dimension
humaine, sachant que pareil spectacle pourrait aisément être donné en un lieu
aux dimensions moins modestes. L’emprunt au précédent album du trio Hill très languide, constitue une sorte
d’intermède acoustique avant qu’une intervention saisissante de Steve Potts ne
nous régale d’un long solo introspectif et convulsif, cherchant l’inspiration
courbé sur l’instrument, projetant subitement son timbre en redressant le buste
comme s’il venait de découvrir la pierre philosophale. On songe alors à Ornette
Coleman tant le son plein et chargé d’harmoniques que le soufflant arrache de
son instrument est bouleversant, l’ensemble du groupe témoignant toujours de
ses qualités hors pair. En jazz, l’enfer n’est pas pavé de bonnes intentions et
voilà des gens de cœur qui savent aussi ce que gros œuvre veut dire. They make it really happen. Qu’ils en
soient ici remerciés. JPA
Le 25 octobre, au Café de la Danse, le Vintage
Orchestra poursuivait, dans la foulée de son album récemment sorti, Smack Dab in the Middle (voir notre
chronique dans Jazz Hot n°680), sa
relecture des arrangements et des compositions de Thad Jones. Sans doute parmi
les plus belles enluminures de l’histoire du jazz. Promoteur enthousiaste de
cette musique, Dominique Mandin (ts, ss) dirige cet excellent big band avec
l’énergie que l’on sait nécessaire pour faire vivre ce type d’entreprise
musicale. La qualité de l’ensemble est bien évidemment due à celle des
solistes, dont nous connaissons bien les carrières individuelles: David
Sauzay (ts), Thomas Savy (ts), Olivier Zanot (as), Jerry Edwards (tb), Fabien
Mary (tp), Florent Gac (p), Yoni Zelnik (b), Andrea Michelutti (dm), entre
autres. S’y ajoutaient deux vocalistes de premier plan, tout d’abord, la grande
Denise King (Jazz Hot n°675), au sommet de son art, et l’Américain Ken Norris (qui vit à Hambourg), une
belle découverte. Chacun
des deux sets qu’a comptés cette soirée, a vu le Vintage Orchestra débuter par
trois titres instrumentaux, l’occasion d’apprécier les solos de David Sauzay ou
de Fabien Mary sur «The Groove Merchant», «Second Race» et «All My Yesterdays»
en ouverture du concert. On se délecte sans réserve de ce jazz
extraordinairement élaboré, aux harmonies rutilantes et au swing étincelant. Un
écrin de choix pour accueillir la voix de Denise King qui d’emblée impose sa
présence sur «Yes Sir, That’s My Baby». Ken Norris se situe lui dans un
registre de crooner, qui est également celui de Walter Ricci, le chanteur
«titulaire» qu’il remplaçait ce soir. Si l’expression de Ken Norris est moins
profonde que celle de Denise, celui-ci n’en a pas moins tenu son rôle avec
brio, en particulier sur «Evil Man Blues». Le tout servi avec une prestance qui
n’a pas laissé insensible le public féminin (des admiratrices étaient
apparemment venues pour lui…). La seconde partie fut du même tonneau que la
première: des beaux instrumentaux (un «All of Me» très original et
«Fingers» qui fit la part belle à la section de saxophones) et des prestations
vocales très enlevées qui se conclurent par un duo savoureux entre les deux
chanteurs sur «How Sweet It Is». JP
Le 26 octobre, le quartet composé de Jérôme Sabbagh (ts), avec Greg Tuohey
(g), Joe Martin (b) et Kush Abadey (dm), monte sur la scène de la Péniche Anako (amarrée sur le bassin de
La Vilette) pour deux sets empreints d’une formidable musicalité. Le
saxophoniste et le guitariste se connaissent depuis plus de vingt ans, époque à
laquelle ils se rencontrent à New York et fondent le collectif Flipside, avec
Matt Penman et Darren Beckett. Sur des
compositions originales de Sabbagh et Tuohey, le quartet évolue avec une
souplesse remarquable, lui permettant d’affirmer une vision moderne du jazz
dénuée de cette nostalgie empesée qui
limite parfois l’audace et la créativité des musiciens. Le combo attaque son gig
avec «Vintage», déjà documenté sur le net dans une version Live at Smalls. On sait Tuohey rompu à d’autres idiomes, délaissant
temporairement le jazz pour collaborer avec le chanteur Joe Pug. Le six
cordiste semble avoir retiré de cette expérience une certaine science de la
dissonance cognitive, au service de phrasés hors phase du plus bel effet. Altérant
sporadiquement le son de son ampli vintage au moyen d’une pédale, les intervalles
choisis, particulièrement en ce qui concerne les octaves, ne sont pas sans
évoquer les explorations soniques de la galaxie Miles Davis, bien qu’il les
tempère considérablement en chantant littéralement chaque note jouée, comme le
ferait un guitariste de soul music. De son côté, Jérôme Sabbagh brille par un
timbre magnifique, bien mis en valeur par des compositions personnelles serties
de motifs rythmiques mémorables, sur lesquels ses interventions solo forment
autant de modèles du genre, avec des références discrètes à ses influences
majeures. L’enchainement «Chaos Reigns», «Vicious», et «You Are on My Mind»,
proprement renversant, donne le la d’une communication satisfaisante avec le
public, après un round d’observation très dépouillé, mais c’est sans doute le
titre «Ghostly», sur la setlist, qui caractérise le mieux ce soir l’atmosphère
hantée du concert, les deux leaders touchant parfois à un état de grâce poétique
qui touche au cœur les auditeurs. Le travail du son, auquel le saxophoniste
accorde une importance capitale, lui permet ce jeu tout de fluidité et de
charme, évitant avec tact et délicatesse tout excès narcissique, et se rapprochant
davantage des esthètes de l’instrument que des colosses qui médusent par leur
puissance instrumentale. Les deux leaders sont superbement épaulés par la
contrebasse de Joe Martin, sideman très apprécié de la scène new-yorkaise, qui a
développé son art consommé au contact de jazzmen comme Mark Turner et Chris
Potter, tandis que la frappe sèche et solide de Kush Abadey contraste joliment
avec la délicatesse de son jeu de balais. Si la formation n’a pas encore
enregistré en studio, elle brille déjà par une cohésion exemplaire qui confère
un caractère émotionnel affirmé aux évolutions du quartet. La complicité des
musiciens fait d’autant plus plaisir à voir et à entendre que Jérôme Sabbagh incarne
à présent, dans sa pleine maturité artistique, le bien-fondé d’un jazz de
tradition promouvant l’héritage des grands noms aussi bien au sein de compositions
inédites que par l’intermédiaire de reprises inspirées. Cette démarche intègre permet
d’évoquer avec crédibilité les mesures atypiques de «Serenity», ou de proposer
en rappel le classique «Old Folks», qui rend un bel hommage aux figures
tutélaires, sans préjudice des versions antérieures fondant la légitimité de
l’esprit immémorial du jazz. Une soirée mémorable, qui continue de produire ses
effets positifs longtemps après que la dernière note a été jouée. JPA
Les 27 et 28 octobre, le Spirit
of Life Ensemble était de passage au Caveau
de La Huchette. Le leader historique du groupe (fondé en 1975), David-Daoud
Williams (perc), le directeur musical, Rob Henke (tp), Chip Shelton (as, fl),
Tony Godson (perc) et Dwight West (voc) avaient fait le déplacement depuis
Jersey City, tandis que le collectif trouvait sur place le renfort de Katy
Roberts (p), Dominique Lemerle (b) et Philippe Combelle (dm). C’est un Caveau
plein (particulièrement le samedi 28) et enthousiaste qui a accueilli les
musiciens. Après deux titres instrumentaux «de chauffe» (dont un «All the
Things You Are» avec de beaux arrangements latins), Dwight West a entamé un
tonique «All of Me» qui, le deuxième soir, a d’emblée enflammé l’assistance!
Suivi par un «Afro Blue», tout en finesse, le Spirit a donné à entendre un beau
«My Funny Valentine» marqué par l’intervention profonde de Rob Henke et les
élégantes harmonies de Katy Roberts. Soit deux soirées épatantes, menées par un
orchestre complice et dynamique qui produit un jazz aussi enraciné que
populaire. JP
Textes et photos: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage © Jazz Hot n°681, automne 2017
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Paris en clubs Septembre 2017
Le 19
septembre, le trio de Vincent
Bourgeyx (p) –Matt Penman (b) et Obed Calvaire (dm)– accueillait en
invité David Prez (ts) et proposait au
public du Duc des Lombards une
musique à la fois élaborée et chatoyante, empreinte d’un charme et d’une distinction
qui constituent déjà une signature sur l’album Short Trip. Le pianiste présente la particularité d’avoir travaillé
avec Al Grey, expérience qui lui a conféré un sens du swing hors pair, mis au
service d’une démarche plus aventureuse qu’il n’y paraît à première vue, où les
accents post bop parfumant son jazz se trouvent comme rehaussés en bénéficiant
d’une relecture très moderne. «Sunny» ouvre les débats d’une
manière saisissante, avant qu’«Abbey», un hommage à Abbey Lincoln,
en sus de bouleverser le public, ne lui rappelle, au travers de l’évocation de
la grande artiste américaine, combien l’histoire du jazz demeure indissociable
d’une lutte sans répit contre toutes les discriminations. Le saxophone de David
Prez brille par un rubato qui rappelle certains phrasés de Lester Young, et le
parti pris de fluidité qui anime les échanges entre les musiciens laisse toute
liberté de penser au surnom malicieux donné à l’illustre saxophoniste par
Billie Holiday. «Cross Fingers» et le «Tune Up» de
Miles Davis confirment le sentiment de sophistication érudite qui se dégage des
orchestrations privilégiées par la formation. Obed Calvaire manifeste une polyvalence
et une virtuosité déjà mises en exergue au sein du SF Jazz Collective, où
officie également Matt Penman, un contrebassiste présentant la particularité de
solliciter les registres bas médium et aigu de son instrument, ce qui parachève
une esthétique d’ensemble ou chaque musicien évolue en solo sans jamais rompre
tout à fait avec son rôle rythmique fondamental, au service d’une cohésion
exemplaire. Sara Lazarus, chanteuse présente sur l’album, n’accompagne pas le
groupe ce soir, mais la dimension vocale de la musique interprétée n’échappe à
personne, tant la plupart des thèmes suivent une ligne mélodique très claire, teintée
par le caractère chaleureux des couleurs musicales égrenées par les musiciens
sur scène. Sous la main droite du leader, particulièrement agile et inspirée, naissent
des harmonies subtiles, des citations de grands standards, comme inspirées par
la faconde de McCoy Tyner, dans un hard bop tardif tout à fait approprié à
l’occasion et au lieu où se déroule la rencontre entre le musicien et les
mélomanes. Le groupe nous quitte sur un entrelacs de lignes voluptueuses tiré
du «Round Midnight» de Thelonious Monk, assorti d’un arrangement
qui n’aurait pas déparé sur le Impressions
de John Coltrane, et le clavier se fait soudain d’une discrétion
spectaculaire, suggérant les notes en une magnifique esquisse poétique, sans
jamais leur donner de résonance excessive, comme si Vincent Bourgeyx s’inspirait
en musique de la théorie de la déconstruction, développant pour ce faire un
propos musical digne des qualités introspectives de Sonny Rollins. Un concert
dans la plus pure tradition d’une école du jazz français située au point de
confluence entre universalisme américain et renaissance européenne, avec une liberté
affichée qui unit artistes et spectateurs dans une même catharsis fédératrice.
Texte: Jean-Pierre Alenda Photo: Patrick Martineau © Jazz Hot n°681, automne 2017
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Paris en clubs Juillet-Août 2017
Michel Pastre (ts) est un
habitué du Caveau de La Huchette et
chaque prestation qu’il nous offre est toujours très soignée. C’était encore le
cas ce 6 juillet. Rappelons que
Michel est un passionné de Lester Young. De temps en temps, il s’amuse à
incliner son saxo à la manière de ce grand musicien. Rappelons ici qu’il est
également le chef, depuis plusieurs années, d’un Big Band qui joue la musique
de Count Basie. Ce soir, les spectateurs et les danseurs sont nombreux et la
piste de dance est pleine de jeunes et moins jeunes. Tous ces danseurs se
dépensent joyeusement et créent une ambiance très sympathique. Le quartet de
Michel comprend un brillant pianiste César Pastre (p) qui n’est autre que le
fils de Michel et qui s’affirme de plus en plus. Cédric Caillaud (b) et
Stéphane Roger (dm) viennent apporter leurs compétences et leur bonne humeur à
ce groupe bien constitué pour jouer au Caveau de la Huchette. Au cours de sa
carrière, Michel a joué avec plein de musiciens au Caveau et ailleurs, et il a
eu de fortes interactions avec eux. Aujourd’hui, il est un professionnel
brillant, reconnu par tous et il a un répertoire riche. Au Caveau, son swing
entraînant, fait lever les danseurs qui ne laissent pas leur place sur la piste
de dance. Ce soir, le quartet de Michel nous fera apprécier, entre autres, les
morceaux suivants: «Leapin’on Lenox», «Star Fells on Alabama», «Soul Burnin’», «The
Godfather» de Nino Rota, «Tickle Toe», «Stolen Sweets» ou encore «Jumping
with Cesar», une composition du leader. GH
Le
22 juillet, le trio de Romain Pilon (g) invitait Walter Smith III (ts) sur la scène du Sunside dans le cadre du traditionnel
«American Jazz Festiv’Halles» organisé par le club de Stéphane Portet. Avec la
stabilité et le caractère presque pneumatique permis par la section rythmique sans
défaut de Matyas Szandai (b) et Fred Pasqua (dm), ils ont donné un concert
formidable, tout de finesse et de musicalité. Romain Pilon est un guitariste
qui ne fait jamais dans la démonstration gratuite. En tant que leader, il met
ses connaissances harmoniques étendues au service de la musique, proposant un
discours musical très élaboré dont les notes précieuses voient leur pouvoir
d’évocation encore renforcé par la parcimonie et le goût avec lequel elles sont
égrenées sur sa guitare custom. Ses lignes semblent jaillir littéralement des
gammes et de la grille d’accords employées, avant un retour au jeu en positions
si naturel qu’il laisse pantois une bonne partie du public. Ce modèle
d’inspiration trouve son équivalent dans la figure du funambule Philippe Petit,
auquel le groupe dédie «Man on a Wire»,
un titre au rythme instable et sautillant, tout à fait dans le ton du gig
proposé par le quartet. «Cycles» et un morceau sans titre calment un peu le
jeu, avant que «Seventh Hour», tiré de The
Magic Eye, l’album le plus récent gravé
par la formation, ne propulse au premier plan le jeu très volubile de Walter
Smith III, entendu il y a peu sur un album de Laurent Coq dédié au personnage
de La Fayette. L’enchaînement «Quiet» et «Serenity» met en exergue la grande
maitrise digitale de Romain Pilon, qui enchaîne les neuvièmes et les treizièmes,
tout en produisant des accents très émouvants au moyen d’attaques de cordes nuancées
et de résonances savamment modulées. Un titre dédié à Joe Henderson, un autre à
Wes Montgomery, en guise de révérence vis-à-vis des grands anciens, et le
concert se termine sur un chorus endiablé de Walter Smith, qui incendie littéralement
«Limbo», célébrant de toute sa vigueur (le saxophoniste, comme possédé,
accompagne avec le corps ses soli) la légende vivante qu’est Wayne Shorter. Un
très beau concert, dont les harmonies célestes résonnent longtemps après que
les dernières notes ont retenti dans la salle, et la preuve qu’il est encore
aujourd’hui des musiciens de jazz qui gardent
les oreilles ouvertes en vue de dégager des voies nouvelles sans rien sacrifier
au culte du paraître. JPA
Le
9 août, la grande Mandy Gaines (voc) était au Caveau de La Huchette, entourée de sa
rythmique française, les excellents Cédric Chauveau (p), Nicola Sabato (b) et
Mourad Benhamou (dm). La venue de la chanteuse de Cincinnati, qui devait se
produire à Marciac le lendemain, n’est pas passée inaperçu: ce soir, comme la
veille, le Caveau était plein au point que le public est venu progressivement
s’assoir sur la piste de danse, devenue impraticable pour les adeptes du
be-bop. La Huchette semble donc (et c’est tant mieux) toujours bénéficier de
l’effet La La Land, particulièrement
visible en période d’affluence touristique. Quelles que soient les raisons qui
ont amené ce public nombreux et enthousiaste, ce dernier en eu pour son compte,
bénéficiant de la présence d’une artiste à l’expression authentiquement jazz.
De «Exactly Like You» à «The Lady Is a
Tramp», Mandy Gaines a interprété les standards avec un swing naturel qui remet
les pendules du jazz à l’heure (ce qui est réconfortant en cette période festivalière
où le jazz n’est souvent plus qu’un prétexte). Un régal partagé avec les
musiciens trop heureux d’accompagner une jazzwoman de cet acabit et donnant, du
même coup, le meilleur. JP
On
commence de plus en plus à entendre parler de Marvin Parks, installé à Paris depuis quatre ans. Le chanteur, qui
a choisi comme principal lieu d’expression le métro parisien, s’en sert
également pour attirer le public à ses concerts (en plus d’être très actif sur
les réseaux sociaux). Le fait est que cela fonctionne, car l’ami Marvin faisait
le 18 août salle comble à la Cave du 38 Riv’. Il était en cela fort
bien accompagné de son inséparable et précieux complice, Julien Coriatt (qui
est également depuis quelques temps le pianiste attitré de Denise King), d’Adam
Over (b) et, en invité spécial, de Lawrence Leathers (qui tient les baguettes
habituellement pour Cécile McLorin-Salvant). Un trio impeccable, donc, pour
appuyer l’interprète présentant ce qui n’est pas seulement un concert, mais un
spectacle: Marvin Parks: American Jazz Singer. Baigné depuis l’enfance
dans la musique populaire américaine et les chansons de Broadway (qui sont le
premier creuset des standards du jazz), le natif de Baltimore (dont les amours
musicales vont de Nat King Cole à Barbara Streisand) enchaîne les titres les
plus courus du répertoire avec simplicité et naturel («Old Devil Moon», «On a
Clear Day», «I Fall in Love too Easily»…) et un certain lyrisme dans
l’expression issu du chant gospel. Chaque morceau est ponctué par une anecdote
racontée avec humour –Marvin se moquant même de sa propre adoration pour les
divas du jazz en effectuant le second set avec un boa autour du cou– et
dessinant au fil de la soirée le portrait d’une personnalité atypique, comme
seul le jazz peut en produire. JP
Le 30 août,
Big Daddy Wilson (voc, perc) a pris
la scène du Duc des Lombards pour un
concert tout de décontraction et de convivialité, dans le cadre de sa tournée
de promotion de l’album Neckbone Stew. Avec Cesare Nolli (g, voc), Paolo
Legramandi (eb) et Nik Taccori (dm, voc), le bluesman a littéralement inondé le
club parisien de musicalité joyeuse et composite. Le leader présente la
particularité d’avoir connu le blues en Europe, bien qu’originaire du sud des
USA, où il était exposé à une culture gospel et country. Implanté en Allemagne,
qu’il a connue au moment de son service militaire et où il a rencontré sa
femme, il pratique un blues ouvert sur le monde, croisé avec de multiples
courants musicaux contemporains, comme le reggae jamaïcain. Après une entrée en
matière très laid-back, presque acoustique, le groupe étonne en reprenant «Nobody’s
Fault but Mine», popularisé par Led Zeppelin en Europe mais originellement
interprété par Blind Willie Johnson. Cette sorte de retour aux sources du
gospel blues est une trouvaille géniale du chanteur qui célèbre ses racines de
la plus belle des manières en entame de concert. Le guitariste a un son travaillé
au phasing et au flanger, avec pas mal de reverb
qui l’oblige à bien détacher chaque note quitte à ralentir ses licks (sauf au moment des chorus). «Time
to Move», sur lequel l’artiste nous rappelle que le temps n’est pas notre ami,
n’inquiète personne tant l’atmosphère quasi rasta développée par la formation
rallie tous les suffrages quel que soit le message véhiculé par les paroles de
la chanson. La guitare électrique à corps plein taille au cœur même du titre un
solo déchirant, tandis que la jolie basse à éclisses de Paolo Legramandi
apporte la souplesse nécessaire à une rythmique très élastique. «Cross Creek
Road» est scandé par un public déjà conquis qui ne se fait pas prier pour
frapper dans ses mains, tandis que l’atmosphère poisseuse du bayou est comme
ressuscitée par un bottleneck du plus
bel effet, superbe partie de guitare de Cesare Nolli. Enhardi par l’accueil
chaleureux qui lui est réservé, Daddy Wilson nous présente «Seven Years» en
nous disant que cette chanson évoque sa relation aux douze mesures du blues,
alors que «Neckbone Stew» incarne plutôt le côté funk et soul qui parcourt
l’ensemble de son œuvre depuis son tout premier album. «She Loves Me» est dédié
à son épouse, qui lui inspira ses premiers textes, et les harmonies vocales
proposées par les quatre musiciens sur ce morceau ne sont pas sans évoquer la
musique des Isley Brothers, avec un pont aérien jeté entre gospel et soul.
«Baby Don’t Like» ajoute les cocottes funky à ce déjà fort bel ensemble, conclu
par une magnifique coda a cappella sur laquelle Daddy Wilson s’avère vraiment un
lead vocalist exceptionnel. «Country
Boy» achève comme un symbole de reconstituer le parcours musical du bluesman,
après lequel un medley final vient conclure un set qui semble vraiment trop
court, sur lequel chaque musicien va tour à tour prendre le micro pour entonner
des classiques comme «Stand By Me» ou «Sittin’ on the Dock of the Bay», ce qui
place franchement cette fin de concert sous le haut patronage de Sam Cooke et
Otis Redding, et dans une atmosphère soul qui s’arrête délibérément avant le
psychédélisme de Sly and The Family Stones et de la West Coat. Une soirée
musicale chaleureusement applaudie, particulièrement festive et porteuse de
valeurs fédératrices. JPA
Textes: Jean-Pierre Alenda, Georges Herpe, Jérôme Partage Photos: Jean-Pierre Alenda et Jérôme Partage © Jazz Hot n°680, été 2017
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241e anniversaire de l'Indépendance des Etats-Unis Ambassade des Etats-Unis (Paris 8e), 29 juin 2017
Le 29
juin, à l’occasion du centenaire de la Grande Guerre et du 241e
anniversaire de l’Indépendance des Etats-Unis d’Amérique, l'Ambassade des USA à Paris invitait un jazz band tout à fait
exceptionnel pour rendre hommage aux musiciens du 369e régiment d’Infanterie du
lieutenant James Reese Europe, qui débarquait sur les côtes bretonnes il y a
bientôt cent ans.
Ainsi, The
Original Paris James Reese Europe Commemorative Orchestra réunissait, sous
la direction de Ricky Ford (ts): Mark Simms (tb), Sulaiman Hakim (as) Rasul
Siddik (tp), Bobby Few (p), Harry Swift (b) et Chris Enderson (dm), habillés en
costume d’époque ! Ils ont d’abord joué dans la cour d’accueil les
derniers morceaux enregistrés par James Reese Europe: «Jada», «Mirandy», «Jazz
Baby», «Russian Rag» et «Down Home Rag», avant que de reprendre «The Star
Spangleg Banner» dans une relecture soigneusement harmonisée par Ricky Ford.
Deux autres morceaux dont les arrangements ont été revus «Castel House Rag» et
«Half and Half» furent également proposés au public, avant que le groupe ne
rejoigne la grande scène du jardin où un des ensembles de l’Armée de l’Air des
Etats-Unis, The Wings of Dixie, venait de finir d’interpréter «L’Américana».
L’orchestre de "vétérans" du jazz repris ensuite «La Marseillaise» et «My
Choc Late Soldier Sammy Boy», toujours réarrangés par le ténor qui nous
confiait, après le concert, éprouver une immense reconnaissance
envers James Reese Europe et la fierté d’avoir joué sa musique.
Une évocation tout à fait mémorable, qui est
également un hommage à tous les musiciens américains venus s’installer à Paris
depuis la fin de la Première Guerre mondiale et qui ont transmis leur art aux
jeunes musiciens et amateurs français, échange fécond dont Jazz Hot est issu.
Texte et photo: Patrick Martineau © Jazz Hot n°680, été 2017
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Paris en clubs Juin 2017
Il est des rencontres entre un lieu, un artiste, une atmosphère
particulière, une rencontre telle que celle proposée en cette soirée du 1er juin au Caveau de La Huchette par Marie-Laure Célisse (voc, fl) et ses
Frenchy’s: César Pastre (p), Brahim Haiouani (b) et Lucio Tomasi (dm). Le
groupe nous présentait son premier album, Dansez
sur Moi, dans un esprit qui mêle adaptations de standards jazz avec des
chansons du patrimoine français, le tout interprété dans un esprit swing
particulièrement savoureux. En un lieu qui a très peu changé depuis
l’après-guerre, la complicité et la fraîcheur des protagonistes nous ramènent
tout naturellement à l’atmosphère des années cinquante et soixante. Le sens du
glamour de Marie-Laure Célisse, qui joue un rôle de chef d’orchestre empreint
d’une certaine malice (Brahim Haiouani, très pince-sans-rire lors de la
présentation des musiciens, lui attribuera même des compétences en matière de
santé mentale au sein de la formation), s’exprime ici dans une veine très
chorégraphique, et chacun de sentir la sincérité qui anime les musiciens sur un
répertoire qui est sans nul doute le reflet de passions musicales de toujours.
L’alchimie entre le piano de César Pastre et le joli falsetto de Marie-Laure
Célisse est enrichie et étoffée par l’expérience de Brahim Haiouani, qui assure
une pulsation rythmique sans faille avec le soutien de Lucio Tomasi, dont les
qualités s’avèrent essentielles sur scène comme sur disque, au cœur d’un projet
prouvant par l’exemple qu’une certaine humilité peut rimer avec la plus grande
des musicalités. La place prépondérante occupée par l’amitié et les échanges
avec le public, dans les concerts proposés par la formation, ressuscite un jazz
solidement ancré dans une époque que d’aucuns jugeraient révolue, n’était sa
beauté intemporelle qui lui confère paradoxalement une contemporanéité
certaine. Ce jazz-là trouve sa véritable raison d’être sur la scène, dans un
espace où son équilibre et sa dynamique se déploient sans contraintes. Le
disque des Frenchy’s exprime au reste très bien ce rapport implicite au live,
et les nombreux gigs donnés en tous lieux où le partage trouve droit de cité se
ressentent distinctement au travers de la vaste gamme des émotions proposées.
Cette expérience nous permet d’assister à une représentation riche de nuances,
avec des accents tantôt juvéniles, tantôt aguerris. Il y a un côté cabaret chez
la chanteuse, une élégance toute féminine qui ne se laisse jamais corrompre par
la morosité ambiante. Ce sens de la fête tissé de pure générosité, permet de
colorer avec tendresse les standards revisités, comme s’il s’agissait en
l’espèce de promouvoir une certaine idée du bonheur et de la vie. Avec une
telle vision du monde et de la musique, tout ce dont le combo s’empare
s’imprègne presque magiquement de swing, et nous rappelle que le jazz est aussi
et d’abord une musique de danse (les nombreux danseurs présents dans la salle
peuvent en témoigner). La communication avec le public, exemplaire, sert un
sens du plaisir et de la bonne humeur qui insuffle classe et élégance aux
parties instrumentales comme aux parties chantées, tandis que l’adaptation de
standards de la chanson française, dont les arrangements sont réalisés avec un
goût très sûr, permet à la chanteuse de s’approprier des classiques comme «C’est Mon Homme», «La Javanaise » et « Je ne
veux pas travailler». L’ambiance très jam session dans laquelle se déroulent
les trois sets autorise également des emprunts judicieux au répertoire
anglo-saxon, avec notamment de belles interprétations de «You Make Me Feel», «The
Lady Is a Tramp» et le morceau de bravoure qu’est «Route 66» pour les
Frenchy’s. Une bien belle soirée en forme de célébration d’un art de vivre et
d’être ensemble qui fait chaud au cœur et à l’âme. JPA
Paddy Sherlock, le fantasque tromboniste vocal a investi la
belle scène du Jazz Club Etoile, le 3 juin, pour une soirée complètement
débridée, comme il a l'habitude d'en proposer à son public. A ses cotés, les
fidèles Philippe Radin (dm) et Jean-Philippe Naeder (perc), accompagnés de
Philippe Dourneau (ts), Billy Collins (g), Stan Noubard Pacha (g) et Laurent
Griffon (b). Ce soir, il n’y aura que des compositions inédites, dont quelques-unes
n'ont encore jamais été jouées en public, et qui feront partie intégrante du
nouvel album à venir, comme «Babe our Love Is Here», «Going Down Dancing», «You're
too Good», «Take Me» ou encore «Girl From U.H.». Le club est complet et le
public, tout au long des trois sets, reste subjugué par la présence sur scène
(et parfois dans la salle) de Paddy qui se joue des difficultés techniques pour
trouver tour à tour des inflexions jazz, rock’n’roll et rhythm’n’blues au
hasard de ses pérégrinations musicales. Le plaisir de ses fans, toujours
nombreux ce soir, est contagieux et le temps passe à une vitesse prodigieuse
pour nous amener au terme d'un concert endiablé et mémorable. PM
Après huit années de silence, le Vintage
Orchestra revient revenait, le 8
juin, sur la scène du Studio de
l’Ermitage pour présenter son nouvel album, Smack Dab in the Middle (voir notre chronique), toujours sous
l’influence du compositeur Thad Jones. Sous la direction de Dominique Mandin
(ts), le big band retrouve les musiciens à l'origine de son identité sonore, et
qui sont tous devenus depuis des solistes ayant développé leur propre carrière. Aux saxophones, on retrouve
Olivier Zanot, Thomas Savy, David Sauzay et Jean-François Devèze; aux
trompettes: Erick Poirier, Lorenz Rainer, Fabien Mary et Julien Ecrepont; aux
trombones: Michaël Ballue, Bastien Ballaz, Jerry Edwards, et Martin Berlugue.
La rythmique étant assurée par Florent Gac (p), Yoni Zelnik (b) et Andrea Michelutti (dm). Après deux titres
instrumentaux, «The Farewell» et «61'st and Rich It», qui nous offrent les
premiers chorus à l'unisson proposés par le groupe des soufflants, Walter
Ricci, jeune chanteur napolitain, aperçu dernièrement aux cotés de Stefano Di
Battista et Mickaël Bublè, rejoint le big band pour «The Second Race».
Suivront des morceaux comme «Get Out of
My Life», «It Don't Mean a Thing» et «Hallelujah I Love Her so» qui clôtureront
ce premier set. La deuxième partie s’ouvre avec l’instrumental «Quiet Lady»
et «Fingers» à l'issue duquel Denise
King arrive sur scène, très applaudie, pour chanter magnifiquement «A That's Freedom».
Après «Yes Sir That's My Babe» et «I Left My Heart in San Francisco» nos
chanteurs reviennent pour un duo sur «Bye bye Blackbird» qui enflamme
littéralement le public. Un dernier instrumental «Making Woopee» et c’est la
fin d'une soirée où l’on a retrouvé avec plaisir un répertoire et un très bon
orchestre. PM
Le 13 juin, Pierre Christophe (p) présentait au
public du Duc des Lombards son tout
nouvel opus: Live! Tribute to
Erroll Garner (voir notre chronique), enregistré en compagnie du complice
de toujours, Raphaël Dever (b), ainsi que de Stan Laferrière (dm, qui a
délaissé son piano pour l’occasion) et Laurent Bataille (cga). A l’image du
disque, Pierre Christophe, pianiste à la fois talentueux et inspiré par la
tradition, a rendu au maître un hommage de la meilleure facture, y ajoutant une
dimension didactique en prenant le soin d’introduire chaque morceau. Les titres
présentés étaient soit des compositions d’Erroll Garner («Dreamy», ballade
enchanteresse aux accents tchaïkovskiensou «My Lonely Heart», un original
très peu joué et enregistré une seule fois en 1956) soit des standards (un «Tea
for Two» aux arrangements étonnants, donnant l’occasion à Laurent Bataille de
s’exprimer longuement, un«When Your Lover Has Gone» pris à contre-emploi
sur un ton joyeux, ou encore «Humoresque» de Dvorak, brillamment jazzifié). En
un set, Pierre Christophe et ses musiciens ont ainsi redonné vie à l’univers
élégant et singulier d’Erroll Garner, tout en exposant leurs qualités
personnelles. Tout simplement magnifique. JP
Le 14 juin, Lorenzo Di Maio (g) présentait au Duc des Lombards son dernier album, Black Rainbow (Igloo Records), premier
projet en tant que leader et pour lequel il a composé tous les titres, bien
entouré, par Jean Paul Estiévart (tp), Cédric Raymond (b), Antoine Pierre (dm)
et Léo Montana (p) qui remplaçait ce soir Nicola Andrioli. Ce concert unique en
France a ainsi donné l’occasion au public parisien de découvrir cette jeune
garde du jazz de Belgique. «Détachement» ouvre le set, suivi d’une ballade, «Black
Rainbow», où Cédric Raymond procure un soutien de fond, tandis que sur «Lonesome
Traveler» Léo Montana livre un remarquable solo. Passant du groove au blues,
Lorenzo Di Maio nous entraîne, avec parfois une touche de mélancolie, jusqu’au
final avec « Black Dog ». PM
Dans son interview parue à l’hiver 2015-2016 ( Jazz Hot n°674), Esaie Cid
nous avait fait part de ses projets: le quintet de François Laudet, autour de la musique de Gene Krupa
(dont il a assuré les arrangements) et un premier disque sous son nom, en
quartet. Ces deux projets ont été menés à bien et vous pouvez les retrouver
dans nos chroniques de disques. Le 28
juin, justement, l’altiste barcelonais fêtait la sortie de son CD, Maybe Next Year, au Sunset, entouré de sa fine équipe: Gilles Réa (g), Samuel Hubert
(b) et Mourad Benhammou (dm). Les trois sets ont permis de revenir sur ce bel
hommage à Art Pepper, paru chez Swing Alley, l’un des labels du compatriote
catalan Jordi Pujol. La plupart des titres présents sur l’album on en effet été
joués, dans un esprit similaire à celui de l’enregistrement, dont «Music
Forever» qui a donné l’occasion à Mourad Benhammou de nous livrer un bon solo,
ou «Nothing Ever Changes My Love for You» sur lequel le batteur a troqué ses
baguettes pour des pinceaux, étalant de jolies couleurs. Avec «How Long Has This Been Going On»,
magnifique ballade, Esaie Cid s’est exprimé avec toute la poésie et le
raffinement qui le caractérisent, introduisant les titres avec un humour
quelque peu surréaliste (sans doute l’influence de Buñuel…). Mais le leader
sait passer d’une atmosphère douce à un swing mordant, comme sur «Pea Eye»,
blues réjouissant qui a ouvert le deuxième set. Toujours dans une veine très
animée, l’orchestre a donné «Mambo de la Pinta», tandis qu’il revenait ensuite
à un registre intimiste, avec le très beau morceau éponyme du disque, «Maybe
Next Year», et un sublime «Lush Life» pris à la manière de Clifford Jordan, sur
lesquels on a également apprécié la finesse de Gilles Réa et de Samuel Hubert.
La soirée s’est conclue par bref troisième set, ouvert aux amis musiciens
présents dans la salle: Jean-Philippe Bordier (g) ainsi que Hugo Lippi (g),
lequel a partagé un blues avec Sophie Druais (b) et Corinne Sahraoui (voc). Un
concert sans faute de goût qu’on pourrait résumer par cette maxime d’Honoré de
Balzac (écrivain cher à notre ami saxophoniste): «Le beau, c’est le vrai bien habillé». JP
Textes: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage Photos: Patrick Martineau et Jérôme Partage © Jazz Hot n°680, été 2017
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Musiques en stock La Seyne-sur-Mer (83), 20 juin - 1er juillet 2017
La
Seyne-sur-Mer consacrait une exposition, intitulée «Musiques en stock», à Jean-Philippe Pichon –photographe à l’agence
Dalle et ancien de Jazz Hot– répartie dans les trois médiathèques de la ville:
Paul Caminade, Andrée Chédid et Le Clos Saint-Louis dans laquelle avait lieu le
vernissage en musique avec le pianiste Gilles Gravière, le 20 juin. Après une
brève présentation de la part du directeur de la médiathèque, Thierry Kriegel, l'artiste s'est prêté volontiers aux questions du public, répondant avec force détails.
Jean-Philippe
Pichon a photographié des musiciens de jazz, de blues, et d’autres musiques,
ainsi que des stars du showbiz et bien des sujets encore, provenant d’univers divers à
travers le monde. Il en a rapporté une moisson essentiellement en noir et blanc
et en argentique. Les trois médiathèques lui ont offert leurs murs de sorte
qu’on peut admirer un large éventail de son travail, essentiellement jazz. Pour les
«photos jazz» on reconnaît tout de suite la patte Pichon par des
fonds d’un noir intense, profond, d’où jaillit la lumière d’un visage, de
mains, d’un instrument. Pas de détails annexes, pas de fioritures, rien que les
notes essentielles, comme disait Miles. C’est à chaque image l’expression d’un
visage, l’incongruité d’une situation, la pose du corps, le brillant d’un
instrument, le détail parlant, qui capte le regard. L’artiste est révélé dans
un moment sublimé, une effraction de quelques centièmes de seconde, et pourtant
il est là, figé et vivant à la fois, crevant l’écran de la photographie.
Texte et photo: Serge Baudot © Jazz Hot n°680, été 2017
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Jazz au Fort Napoléon La Seyne-sur-Mer (83), 10 juin 2017
En cette douce soirée du 10 juin,
l’association Art Bop donnait son concert de fin de saison «Jazz
sous les étoiles» avec un duo de luxe: Alain Jean-Marie (p) et
Sylvain Beuf (ts). Art Bop, menée de main de maître mais avec
souplesse et bonhommie, par Michel Legat et sa femme, est une
association qui œuvre pour le jazz depuis pas loin de trois
décennies. Il leur faut un sacré courage et une belle abnégation
pour continuer à produire des concerts pointus dans la situation
locale actuelle (on sait que, faute d’aide, l’inoubliable
festival de Robert Bonaccorsi a dû s’arrêter après plus de 30
ans de soirées extraordinaires où l’on a vu défiler des
musiciens de la légende du jazz, et surtout ceux qu’on voyait
rarement ailleurs, tels Georges Cables, Harold Mabern, Cyrus
Chestnut, Cedar Walton, et tant d’autres). Ce couple fou de jazz
réussissait à produire trois concerts par mois, de septembre à
juin, permettant aux jazzmen français, principalement ceux du Grand
Sud, de s’exprimer devant un public d’amateurs. Maintenant ils
arrivent encore, malgré d’immenses difficultés, à organiser un
concert par mois, et ce grâce à un carnet d’adresses d’amis,
une petite subvention de la ville de la Seyne-sur-Mer, et quelques
modestes et méritant donateurs. Néanmoins l’aventure continue et le
jazz existe toujours au Fort Napoléon. Sans oublier l’association
des Workshops de Gérard Maurin qui investit également ce lieu
mythique tout au long de l’année. Alors quelle émotion de se
retrouver sur les gradins de la cour du Fort, à l’acoustique
exemplaire, face à la grande scène, avec les étoiles au dessus de
la tête. Tant de magnifiques souvenirs...
Alain Jean-Marie et Sylvain Beuf, les
officiants de cette soirée, n’ont pas choisi la facilité, car
jouer Monk en duo tient un peu de la gageure. Partie gagnée haut la
main. Alain Jean-Marie s’empare de Monk et le fait sien. Le danger
était de tomber dans le plagiat ou l’imitation. Écueils évités.
Le pianiste livre son Monk, enrichissant encore la palette harmonique
monkienne, jouant le plus souvent en accords, ou en discours, des
deux mains, dans un jeu orchestral qui laisse entendre une rythmique
complète, un orchestre, derrière ou plutôt avec le sax; Alain-Jean
Marie est également d’une inspiration mélodique captivante dans
les solos. On sait que les parties de sax de Monk sont extrêmement
complexes, Steve Lacy en parlait, avec démonstration sur son
soprano. Sylvain Beuf s’en tire à merveille, aussi bien au soprano
qu’au ténor. Rien ne l’arrête, il rentre dedans, mort dans la
musique, ça sort et ça swingue, il ira même jusqu’à scatter au
rappel sur «Reflections» tant il est pris par son défoulement en
une sorte de transe monkienne. Et ce foisonnement duettiste respecte
l’esprit monkien, sa rigueur, sa clarté, sa profondeur, et bien
sûr son swing. On a entendu des thèmes célèbres comme par exemple
«Light Blue», «Bye-Ya», «Reflections», «Ba-Lu Bolivar»,
«Eronel», «Played Twice», «Misterioso», «Trinkle Tinkle»,
«Pannonica», et quelques autres moins connus. On ne saurait en
détacher aucun. Quel que soit le thème, le duo fréquentait
toujours les sommets, avec encore plus d’impétuosité dans le
deuxième set. C’était leur troisième concert, c’est dire que
le duo a trouvé sa vitesse de croisière. Tous ces musiciens qui
tournent autour d’Art Bop partage une amitié, ou du moins une
camaraderie, qui les fait se serrer les coudes, comme on dit. C’est
ainsi que Sylvain Beuf remercia le trompettiste José Caparros de
leur avoir ouvert les portes du Fort Napoléon, ce lieu unique si
cher au cœur des amateurs de jazz.
Texte et photos: Serge Baudot © Jazz Hot n°680, été 2017
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A Great Day in Paris Cinéma Le St André des Arts (Paris 6e), 17 mai 2017
Le
17 mai, Michka Saäl nous conviait à la première du film A
Great Day in Paris
au cinéma Le St André des Arts à Paris. Cet événement s’inscrit
dans le cadre des découvertes de St André, sélection authentique
s’il en est, tant A
Great Day in Paris
est surtout une histoire d’amitié. Tout à commencé en 2008, pour
les 50 ans de la fameuse photo «A
Great Day in Harlem» d’Art Kane, donnant à Ricky Ford l’idée
de reproduire l’évènement à Paris avec des musiciens de Jazz qui
vivent en France. Après presque un an de gestation, une photo a
enfin été prise à Montmartre, scène immortalisée par le
photographe Philip Lévy-Stab. La
cinéaste d’origine tunisienne Michka Saäl, formée en histoire de
l’art et en sociologie à Paris et en Cinéma à Montréal,
passionnée par les liens qui unissent les êtres, a ainsi décidé
de réaliser un court-métrage sur l’exil des musiciens de jazz. Ce
documentaire, sur la réunion de plus de soixante-dix jazzwomen et
jazzmen vivant en France, est entrecoupé d'entretiens avec des
musiciens comme John
Betsch, Sangoma Everett, Bobby Few, Ricky Ford, Kirk Lightsey, Steve
Potts, et quelques autres, réalisés le plus souvent à domicile,
favorisant ainsi les anecdotes et l’humour. A cela s'ajoute des
prises de vues de Montmartre, lieu de retrouvailles pour cette petite
communauté d'artistes; la dernière séquence étant, bien sûr, le
moment de la prise de vue sur les marches.
Ce
17 mai, au
cinéma St André des Arts, Sangoma
Everett, Bobby Few, et Ricky Ford avaient fait le déplacement, ainsi
que Curtis
Young, historien du jazz,
et quelques amis et fidèles tels que Trevor,
Alfie. Le public, très réactif, a ponctué la projection de ses
exclamations et de ses rires.
Michka
Saäl, visiblement très émue, a pris la parole à la fin de la
projection pour rappeler la genèse et les étapes de construction du
film, après quoi elle fut très applaudie. Bobby et à Ricky sont
intervenus pour témoigner à leur tour et ont tenu à remercier
Michka pour sa persévérance.
Pour
ma part, je suis intervenu au nom de Jazz Hot pour rappeler qu’en
2016, pour célébrer «l’International Jazz Day», la chanteuse
Denise King et le danseur chorégraphe Brian Scott Bagley avaient
aussi organisé une photo sur l’esplanade du Trocadéro (voir Jazz
Hot
n°675).
Texte et photo: Patrick Martineau © Jazz Hot n°680, été 2017
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Paris en clubs Mai 2017
En
cette soirée du 3 mai, marquée par
la tenue du traditionnel débat télévisé de l’entre-deux tours de l’élection
présidentielle, Christophe Wallemme (b,
elb) et son sextet investissent la scène du Studio de L’Ermitage pour nous présenter l’album intitulé Ôm Project, un enregistrement longuement
muri, avec l’ambition manifeste de proposer une mosaïque de sons et
d’influences, pour la plupart nés dans les années 70, sans qu’il s’agisse
toutefois d’une fusion, stricto sensu, entre rock et jazz comme celle proposée
par les groupes de l’époque. Cofondateur du trio Prysm en 1994, avec Benjamin
Henocq (dm) et Pierre de Bethmann (p), un combo connu pour composer autour de
mesures asymétriques, Christophe Wallemme est épaulé ce soir par Manu Codjia
(g), Diederik Wissels (p, kb), Adriano Tenorio (perc), Pierre-Alain Tocanier
(dm), Émile Parisien (ts, ss), et Leila Martial (voc). Il préfère dire que la
musique de ce projet est du rock jazz plutôt que du jazz rock, mais le concert
en lui-même témoigne de ce que cette musique vaut mieux que n’importe quelle
tentative de catégorisation. Ainsi, l’aspect métissé des sons proposés traduit
une fascination certaine pour les voyages, avec des harmonies empruntées à la
musique indienne et orientale. «Back to My Om» et «Rock My
Home», dont le bassiste nous dira avec humour qu’ils contiennent des
assonances fortuites, possèdent une identité sonore dont les bases furent
posées par In a Silent Way et Bitches Brew, les deux albums
de Miles Davis. Du jazz électrique, donc, mais avec des tonalités
intimistes et des silences bien peu usités à la grande époque du jazz fusion,
plus encline aux exploits instrumentaux et aux prestations étourdissantes.
Christophe Wallemme utilise d’ailleurs une basse fretless propice aux
glissandos et à un jeu expressif, en slide comme en slap. À l’avenant, les
percussions d’Adriano Tenorio sont tantôt jouées à mains nues, tantôt avec des
baguettes, et ce parti pris expressif et sensuel est particulièrement émouvant
sur «Kaya», où les musiciens font montre d’un sens du collectif
conforme à la vision du leader. «Ma Kali» met en évidence l’aspect
spirituel de l’œuvre, en même temps qu’il révèle la dévotion inspirée par la
déesse hindoue de la préservation, de la transformation et de la destruction.
Sur ce morceau, les mauvais génies censément dissipés par l’évocation de Kali
s’incarnent essentiellement en la personne de Manu Codjia, qui prend un solo de
guitare électrique mémorable durant plusieurs minutes, portant l’attention du
public à son plus haut degré d’intensité pendant ce qui s’apparente à un
hommage plus ou moins inconscient à Allan Holdsworth, quoi que les figures en
sweeping évoquent plutôt le style pyrotechnique de Frank Gambale, le guitariste
du Chick Corea Elektric Band. «Le Temps Présent» comporte de
multiples nuances réverbérées, sorte de voyage ouaté au pays des couleurs, avec
des volutes en spirale qui se dissipent dans l’atmosphère à la façon de
fumerolles polychromes (une véritable machine fumigène est à l’œuvre sur
scène). «Un Rêve de Cochin» comprend une longue introduction à la
basse électrique, avec effet phasing et boucles électroniques. Sur ce titre
inspiré d’un voyage éclair de quelques jours en Inde, on est plus proche de ce
que proposait Jaco Pastorius sur «Continuum», tandis que
«Charly» introduit des atmosphères plus percussives, tel que
popularisées, entre autres, par Stanley Clarke. Christophe Wallemme remerciera
chaleureusement le public d’avoir partagé ce moment avec le groupe alors que,
dit-il, «il y avait tant de choses intéressantes à voir à la télé ce
soir», et le set se termine dans une atmosphère de communion entre les
musiciens et le public sans doute assez proche de ce que l’artiste avait en
tête en enregistrant son album. JPA
Le
5 mai
au Duc des Lombards,
c’est en quartet qu’on retrouvait Tom
Harrell. Le trompettiste, en
très grande forme, était accompagné
de Danny Grissett (p),
Ugonna Okegwo (b)
et Adam Cruz (dm). Et c’est avec ce
groupe très soudé, ces musiciens ultra solides, avec qui il joue
ensemble depuis dix ans, qu’il a donné un set plein d’énergie
où tout est supérieur. Tom Harrell ne cesse de composer, on le
sait, et d’étoffer un répertoire de compositions originales et
une discographie déjà très riches. Ce soir-là, il a puisé dans
ses trois de ses derniers albums. Le set se composait de quatre
thèmes du leader («Sunday», «Delta on the Nile», «Otra») et de
deux standards («There Will Never Be Another You», «The Song Is
You»). Si, en raison de sa subtilité et de sa complexité, la
musique de Tom Harrell contraint parfois les musiciens à se pencher
sur leurs partitions, ce soir-là, cette musique déborde de swing.
Les mélodies sont superbes. Tout est original. Vers la fin de la
soirée, le trompettiste nous interprète «Vibrer» (qui paraîtra
sur Moving Picture, son prochain album dont la sortie est prévue en
septembre) en duo avec Danny Grissett, au jeu aussi élégant
qu’original. Un de plus beaux moments de cette soirée,
exceptionnelle. MP Quand le batteur
Joris Dudli vient jouer à Paris, c’est toujours en bonne
compagnie. On se souvient de concerts inoubliables avec Sonny
Fortune, en quintet, ou avec Vincent Herring, Eric Alexander et
Harold Mabern, en quintet, ou encore avec Curtis Fuller. C’était
en février 2013. Le tromboniste historique était alors accompagné
de Josh
Bruneau (tp), Ralph Reichert (ts), Rob Bargad (p), Milan Nikolic (b)
et Joris Dudli. Voir Curtis Fuller à Paris après des années
d’absence était poignant. Quatre ans plus tard, c’est au Duc
des Lombards
que le batteur célébrait le 19
mai
le 60e
anniversaire de l’album Blue
Train
de John Coltrane avec son Blue
Train
Sextet,
cette fois sans Curtis Fuller, ralenti, à 82 ans, par des problèmes
de santé. Du coup, c’est l’excellent Steve Davis (tb) qui le remplace. Le musicien new-yorkais, très rare à Paris, jouait en compagnie de Milan Nikolic (b), Ralph Reichert (ts), Oliver Kent (p), Jim Rotondi (tp) et Joris Dudli. Ce sextet incarne cet état d’esprit
du hard bop, ancré dans la tradition. Loin de toute nostalgie, il en
est la descendance directe. Les six musiciens, au jeu personnel et au
swing du tonnerre, attaquent avec «Easy» et
«Spirit Waltz», deux compositions de Davis. Bien sûr, tout cela
est brillant et inspiré, les musiciens sont soudés. C’est le
dernier soir de dix jours de tournée à travers l’Europe. Ils
jouent au maximum. Mais plus encore, la complicité de Davis, Rotondi
et Dudli remonte au début des années 1990 lorsqu’ils se
retrouvaient pour jouer au Augie’s, devenu depuis le Smoke, à
Harlem (lire l’interview de Joris Dudli dans Jazz
Hot
n°670: c’est là qu’est né One For All, le sextet cofondé par
Steve Davis, Jim Rotondi, Eric Alexander, John Webber, David
Hazeltine et Joe Farnsworth). Et Dudli, Reichert, Nikolic
tournent ensemble depuis des années. Cette
complicité-là, cette confiance-là s’entend. La
soirée se poursuit avec «Déjà vu» du pianiste autrichien Oliver
Kent, dont c’est le premier passage à Paris. Lui aussi a fait un
détour par New York au début des années 1990, après avoir fait
ses armes avec Art Farmer et Idris Muhammad à Vienne avant de s’y
installer à nouveau en 1995. Tout au long de la soirée, Reichert et
Nikolic donnent tout. Rotondi alterne entre bugle et trompette, et
c’est dans un solo magnifique, sensible, bouleversant, qu’il
revisite «My Romance», rejoint par Kent. Le
sextet reprend avec «Ruth», une composition du trompettiste dédié
à sa mère, et conclut la soirée avec «Blue
Train, dont l’arrangement très enlevé est signé Joris Dudli,
tout comme cette tournée. On attend son retour avec
impatience! MP
Le 23 mai, Fred Hersch (p), John Herbert (b), Eric Mc
Pherson (dm), investissaient la scène du Sunside pour promouvoir leur
album live Sunday Night at the Vanguard.
Le trio n’en est pas à son coup d’essai puisqu’ils avaient déjà
enregistré en ce même lieu mythique le fameux Alive at the Village Vanguard qui, en 2012, marquait la résurrection de l’artiste au sortir d’un coma lié à sa
séropositivité. Un malaise de John
Herbert au début du concert, sans qu’on sache vraiment s’il était dû au trac ou
non, aurait pu mal augurer d’une prestation empreinte tout d’abord d’une
tension très perceptible. Mais le talent des musiciens, l’habitude des joutes
musicales de haut niveau dans un partenariat qui pousse au dépassement
personnel plutôt qu’à la démonstration technique, fait rapidement des échanges
proposés au public attentif un spectacle de haut vol. Fred Hersch, déjà connu
pour un répertoire extrêmement vaste, approfondit encore sa recherche d’absolu
musical, puisant son inspiration aussi bien dans le répertoire de la musique
brésilienne (Antonio Carlos Jobim) que dans la pop (Joni Mitchell, Beatles) ou
le jazz traditionnel (Thelonious Monk, Benny Golson). Le résultat est bouleversant, à la fois
exercice d’érudition virtuose (l’artiste change ses arrangements et ses
résolutions d’accords d’une performance à l’autre) et partage d’émotions hors
pair, basé sur un parti pris d’universalité unique en son genre. «Serpentine», tiré de l’album
live permet de goûter le jeu de batterie tout en finesse de Eric Mc Pherson,
dont la maitrise aux balais est à nulle autre semblable, alliant délicatesse et
puissance au service d’une intensité dont le trio ne se départit jamais. Les
structures circulaires jouées par le groupe ondulent dans l’espace comme autant
de motifs libertaires. Fred Hersch ajoute çà et là des tensions internes à la
trame des mélodies en introduisant des chromatismes et des silences inattendus
au sein de ses phrases, laissant l’auditeur mentaliser seul la mélodie, comme
si elle se déployait alors dans un espace non limité par nos capacités de
représentation. «Let’s Cool One» de Monk est assurément, de ce
point de vue, le moment marquant du premier set, proposant subtilités
rythmiques abouties et mini-breaks qui désossent le thème, révélant des
richesses sous-jacentes qui donnent envie d’aller réécouter l’original dès la
sortie du concert. Puis le pianiste nous informe que le second set sera
constitué d’une performance en solo, l’indisposition de John Herbert s’étant
malheureusement confirmée entretemps. Chacun retient son souffle alors, tant
l’exercice est certes bien connu de Fred Hersch, mais certainement pas prévu au
moment de l’annonce officielle des dates effectuées par le combo dans la
capitale. «Both sides now», de la chanteuse Joni Mitchell (qui
toucha au jazz avec l’album Court and Spark), exprime le goût du
pianiste pour les morceaux chantés (que les jazzmen nomment judicieusement
«songs» qu’il s’agisse d’instrumentaux ou de chansons). «For
No One» des Beatles n’est pas la composition la plus célèbre des Fab
Four, mais prend un sens tout particulier quand on sait que le pianiste ne peut
interpréter des titres dont il n’aime pas les paroles ( Jazz Hot n°679). «After You’re Gone» fait revivre les
fantômes de Bessie Smith et de Louis Armstrong. À cet instant, des masses
d’énergie flottante semblent s’épanouir dans la salle,
donnant un sens plus pur aux notes de musique égrenées, et le public se sent en
osmose avec l’artiste dont la solitude sur scène paraît curieusement renforcée,
au titre d’une prestation d’ensemble qui relève proprement de la poésie. Fred
Hersch nous quitte sur un ultime rappel mariant le piano rag de Scott Joplin à
la délicatesse des arpèges de Bill Evans. Il sort de scène le visage dévasté
par l’effort de concentration fourni, et les notes de piano continuent de
résonner dans nos têtes, à l’instar des mots de Tomas Tranströmer: «Chaque homme est une porte
entrouverte donnant sur une salle commune». JPA
Le
25 mai au Sunset, le groupe Aerophone
composé de Yoann Loustalot (tp, flh),
Blaise Chevallier (b), Fred Pasqua (dm), et Glenn Ferris (tb) venait nous
présenter son nouvel album Atrabile. A
l’origine un trio fondé par Yoann Loustalot et le contrebassiste Blaise
Chevallier, les expérimentations sonores et philosophiques du groupe reposent
initialement sur l’absence de soutien d’un instrument harmonique, privilégiant
un certain dénudement propitiatoire à un retour aux sources de la musique. Déjà
leur troisième disque, paru chez Bruit Chic, Atrabile est aussi une première œuvre en quartet, avec l’adjonction
de Glenn Ferris au trio de base. Le premier titre qui nous est proposé est
«Improvisation», le justement nommé, et qui place d’emblée le set
sous le signe des explorations dont le combo s’est fait une spécialité. Les
schèmes déployés traduisent le goût de la formation pour les structures
ouvertes, avec une appétence non dissimulée pour le principe des poupées
gigognes, tel qu’on peut l’appliquer en musique selon une logique de fractales.
Le flirt avec le free jazz est constant, et le swing est aussi présent sous
forme de tempos très rapides, qui mettent en exergue le talent de Blaise
Chevallier. La trompette virtuose de Yoann Loustalot se taille rapidement la
part du lion, avec le contrepoint presque oulipien offert par le trombone de
Glenn Ferris, complètement intégré au groupe, loin de la mode des guest stars
parfois préjudiciable à la cohésion musicale. Le jeu de batterie de Frédéric
Pasqua est émaillé de nombreuses frappes sur le l’anneau de sa caisse claire,
générant un son métallique et inharmonique dont il orne certains backbeats, proposant de fait une
souplesse, une plasticité assez rares chez un drummer aussi accompli
techniquement. «Moustal» semble un morceau fétiche de la formation,
tant les musiciens y montrent l’étendue de leur sensibilité, mais
«Sornette» constitue véritablement un pic d’inspiration pour le
groupe, composé lors d’une tournée à l’annonce du décès d’Ornette Coleman, et
donnant libre cours au dodécaphonisme en forme de crescendo qui constitue une
sorte de trademark chez Aerophone.
«Ancient Empire», dont le trompettiste nous dit ironiquement qu’elle n’a jamais été jouée en public, introduit des
nuances sombres dans un set par ailleurs traversé par une joie de vivre et de
jouer évidents. Un humour et une légèreté compatibles avec une certaine
profondeur, tel semble le leitmotiv du concert. «Spontaneous Suite»
porte le sceau de l’immédiateté, composé rapidement et interprété en fonction
de l’inspiration du moment. Si la tonalité est ici résolument acoustique, les
territoires défrichés ne sont pas sans évoquer certaines œuvres de fusion
progressive, avec des changements d’accord incroyablement dynamiques. L’art du
contretemps, au niveau rythmique, se conjugue de fait avec le contrepoint
harmonique, lorsque les échanges entre trompette et trombone se font plus
denses et plus intenses. Le caractère protéiforme du groupe lui permet ainsi de
flirter avec la musique contemporaine au hasard de pérégrinations musicales
déterritorialisées. «Atrabile» renoue avec une certaine mélancolie,
plus proche de la saudade brésilienne que du desassossego portugais, tandis que
«Spongious» semble basé sur la gamme tempérée de la musique
sérielle. Finalement, le coup de cœur du public va certainement à
«Pousse-Pousse», confirmant l‘appétence de la formation pour les
breaks fulgurants, et constituant un climax qui emporte l’adhésion pleine et
entière des personnes présentes sur scène comme dans la salle. Une bien belle
performance de la part d’un collectif qui tient toutes ses promesses, sans jamais
céder à la facilité. JPA
l
y a des concerts dont la musique reste avec vous et ne vous quitte
pas pendant trois jours. Vous ne regrettez qu’une chose: qu’elle
n’ait pas été enregistrée ce soir-là pour retenir un peu de son
intensité et de la beauté des mélodies. Le concert de Antonio
Faraò du 26
mai au Sunset
fait partie de ces concerts. Le pianiste italien, que l’on a
entendu en avril avec Benny Golson, jouait en trio avec Thomas
Bramerie (b) et Jean-Pierre Arnaud (dm). Les trois musiciens se
connaissent, très bien même. Durant trois sets, de 45 minutes
chacun, tout est très intense, très collectif, si bien que,
composition originale après composition originale du leader
(«Something», «Seven Steps to Heaven», «Domi», «Positive
Life», «Syrian Children», «Theme for Bond», «Black Inside»),
s’acheminant vers des relectures très contemporaines de «Giant
Steps», «Maiden Voyage», «Round Midnight» et «Oleo», on peine
à croire que ces trois musiciens d’exception n’aient pas joué
ensemble depuis plus de vingt ans, tant ils sont soudés et le
déroulé de la soirée, naturel. Ce plaisir qu’ils ont eu à jouer
ensemble, qui a nourri une atmosphère jazz pétrie de virtuosité
artistique, ils nous l’ont transmis avec générosité, et on s’en
souviendra longtemps. MP
Qu’on se le
dise, Stéphane Roger est gentiment
agité de la cafetière! Le batteur, que l’on peut entendre tous les
dimanche soir au Caveau de La Huchette avec son Megawing, avait, le 29 mai à L’Européen, libéré son délirant alter ego: le chanteur Robeurt Féneck! Devant un public fourni où se retrouvèrent
beaucoup de musiciens et d’amis, Stéphane Roger, à la tête d’une formation de dix pièces, le
Mad in Swing Big Band, a donné un spectacle au ton parodique, faussement maladroit
car, au contraire solidement écrit et musicalement excellent. Le leader, débute
ainsi seul en scène par un long solo de batterie qu’on devine être la très
reconnaissable intro de «Sing Sing Sing». Entrent ensuite la
section de soufflants –François Biensan (tp, responsable des arrangements
acrobatiques des improbables reprises composant la set-list), Pierre Gicquéro
(tb), Pierre-Louis Cas (as, cl), Philippe Chagne (ts, fl)– ainsi que Nicolas
Peslier (g), César Pastre (ep) et Patricia Lebeugle (b). Ce premier morceau
instrumental installe le décor de la soirée: celui d’un vrai big band,
avec une pêche terrible. Stéphane Roger abandonne alors les baguettes à Roger
Ménière (ancien de chez Maxim Saury), renforcé par Jean-Philippe Naeder (perc),
et endosse les habits bariolés de Robeurt Féneck: veste à queue de pie,
bermuda et canne de dandy. Les
reprises fantaisistes s’enchaînent: certaines sont des tubes de variétés
(très bien) jazzifiés («Born to be Alive» pris en mode bossa ou
«Alexandrie, Alexandra» transformé en un très drôle et
swinguant «Les Ayant droits»), d’autres sont des standards
détournés («It’s a Good Day» devenu «Une Belle journée» ou
«Makin' Whoopee» changé en «Makin' Poopee», pour la
touche pipi-caca…). Bref, on s’amuse beaucoup
de cette rencontre du calembour et du jazz –on est dans l’esprit Boris
Vian; de même qu’on se régale des interventions des solistes, tous
magnifiques. Robeurt Fénecka a ainsi embarqué sans difficulté la salle dans
ses joyeuses facéties, dont l’ultime consista à effectuer le rappel habillé en
femme! C’est pourtant très ému que Stéphane Roger quitta un public ravi
et des musiciens heureux, car faire vivre sur scène un tel projet reste, quoi
qu’il en soit, un moment de grâce. JP
Le Dany Doriz Swing Band était programmé
au Caveau de La Huchette le 30 mai. Mais son leader ayant été
retenu, il n’a pu assurer la direction de l’orchestre. Mais il fallait
davantage pour désarçonner les musiciens, rôdés au répertoire et au jeu
collectif, et qui ont assuré le spectacle avec bonne humeur et dynamisme!
Encore une bonne soirée de swing pour les danseurs! Pascal Thouvenin
(ts), grand maître des arrangements était secondé par son collègue ténor, Boris
Blanchet, qui s’est dépensé sans compter. Il est impressionnant à voir!
La rythmique était excellemment assurée par Philippe Petit (org) et Didier
Dorise (dm). Au menu de cette agréable soirée – qui a permis de constater que
l’engouement créé par le fim La La Land
ne se dément pas – étaient inscrits les morceaux suivants:
«Amen», «Slipped Disc», «Moanin’» (que Duffy
Jackson chanta au Caveau il y a quelques années), «Place du Tertre»
de Biréli Lagrène ou encore le fétiche «Hamp’s Boogie». La
Huchette, c’est toujours chouette… GH
Textes: Jean-Pierre Alenda, Georges Herpe, Jérôme Partage, Mathieu Perez Photos: Georges Herpe, Patrick Martineau, Didier Pallagès by courtesy © Jazz Hot n°680, été 2017
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Espace Julien / Le Cri du Port Marseille (13), 10 mai 2017
Le
10 mai, l'Espace Julien proposait deux concerts avec le soutien du
Cri du Port. En première partie, Les
Quatre Vents, tout jeune groupe né en octobre 2016, est composé de
zélés serviteurs du jazz très actifs depuis plusieurs années sur
la scène sudiste et nationale, à savoir Perrine
Mansuy (ep), Christophe Leloil (tp), Pierre Fenichel (b) et Fred
Pasqua (dm). Pour leur troisième
concert en public, le mistral a été gagnant, délaissant le piano
acoustique pour un clavier électrique, le groupe a fait le bon choix
pour cette soirée placée sous le signe des puissances telluriques.
Il fallait assurer en lever de rideau de John Patitucci et dans un
bref set le succès a été immédiat. Si nous n'avions pas doute sur
la qualité individuelle de chacun des musiciens, vu leurs parcours
et leur expérience, la question portait sur la réussite de leur
nouvelle alchimie. Cette réserve fut immédiatement balayée,
envolée dès le premier titre scintillant et claquant qui propulsa
le quartet dans une fusion bouillonnante et salutaire. Une musique
réjouissante qui prouve que le jazz européen peut être festif, de
qualité et sans concession. Les plus anciens pourront établir un
parallèle avec les groupes de Randy Brecker ou avec la première
formule de Return to Forever de Chick Corea, chanteuse en moins. Le
groupe sonne funky par moment et la rythmique magistrale assure un
tempo qui permet les plus belles envolées à chacun des solistes. Un
groupe terriblement équilibré avec quatre mousquetaires portant un
vrai projet commun qui vise un swing électrique. Tel quatre boules
de cuir qui virevoltent sur le ring, le match se déroule en grande
vitesse et le final arrive trop tôt. Les titres sont signés par
Perrine Mansuy («La Baie singes», «La Nuit») qui a déjà produit
plusieurs albums personnels, Christophe Leloil («Must Seen», «Deval
in Time») qui lui aussi dirige son quintet et un final, «Libeccio»,
de Pierre Fenichel. Titre symbolique pour clore cette première
partie qui mariait un esprit de chaleur, de force, de liberté qui
souffle sur la côte méditerranéenne. Si tous les titres et les
solos furent très applaudis, le batteur Fred Pasqua reçu une
véritable ovation pour un final hyper vitaminé. Il faut espérer
qu’au-delà des scènes de jazz qui seront sans aucun doute
sensibles à ce groupe détonnant les scènes dites de musiques
actuelles comprennent que ces musiciens peuvent déclencher l’émeute
dans les rangs de leur public.
Quand
John Patitucci (eb) ne tourne pas avec Wayne Shorter ou l’Elektric
Band de Chick Corea, il a le loisir de tourner avec ses propres
projets, dont l’excellent Electric Guitar Quartet, avec un dernier
album, Brooklyn,
paru fin 2015. Seulement deux dates en France pour cet European
Tour (la
seconde à Nice) qui présentait les titres de Brooklyn
en hommage à son quartier natal. Si John Patitucci a souvent joué à
Marseille avec Wayne Shorter, lors de différentes éditions du
Festival Marseille Jazz des Cinq Continents, il fallait remonter en
1994 pour son premier et unique concert en leader dans cette ville et
c’était justement à l’Espace Julien, concert organisé par le
Cri du Port. C’est avec une certaine émotion et humour (vu sa
photo et sa coupe de cheveu de l’époque) qu’il redécouvrait
dans sa loge le programme datant de cette époque de jeunesse. Steve
Cardenas (g) s’était produit aussi dans cette salle en 2015 au
sein du groupe de Steve Swallow, et pour conclure les retrouvailles,
Adam Rogers (g), pas vraiment reconnu en France avait aussi joué
pour le Cri du Port avec Scott Colley et en leader. Cet historique
fait, on ne peut oublier leur quatrième compère, le batteur
exceptionnel, Nate Smith (dm) qui remplace Brian Blade présent sur
Brooklyn. Après
un bref changement de plateau, le rideau rouge s’ouvre et le
tonnerre annonce la tempête. Le groupe va livrer durant 75 minutes
une musique de fête, jouissance entre la fusion et le blues intense
où les deux guitaristes dans un équilibre de funambule nous
ravissent. John Patitucci est certes le leader mais il n’assène
pas de longs solos démonstratifs de sa technique; le groupe joue sa
musique et tous sont à son service. Il présente avec humour deux
titres successifs de Thelonious Monk, «Four in One» et «Trinkle
Tinkle», compositeur peu joué par les guitaristes, à part
l’Electric Be Bop Band de feu Paul Motian. Il enchaîne avec «Band
of Brothers», assez symbolique de cette réunion, suivi d’un blues
d’enfer dédié à B.B. King qu’il a accompagné dans sa
jeunesse, puis il propose une ballade en hommage à son épouse,
«Valentina». Le répertoire met en valeur à tour de rôle chaque
soliste qui développe son univers, sa sonorité, pour un
résultat collectif de haut niveau. Même si certains thèmes
nécessitent un œil sur la partition, car ils sont joués sur scène
pour la seconde fois, on a face à nous un groupe authentique.
A saluer, la performance de Nate Smith qui joue d’habitude avec
Chris Potter ou Randy Brecker aussi puissant que délicat sur le
final joué aux balais.
Texte: Philippe Berre Photos: Francis Raissac by courtesy of Le Cri du Port © Jazz Hot n°680, été 2017
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