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Sur la route des festivals en 2018
Dans
cette rubrique «festivals», tout au long de
l'année 2018, vous pouvez accompagner nos correspondants lors de leurs déplacements sur
l'ensemble des festivals, où Jazz Hot est
présent. Les comptes rendus sont édités dans un ordre chronologique inversé (les plus récents
en tête). Certains des comptes rendus sont en version bilingue, quand
cela est possible; vous pouvez les repérer par la présence en tête de texte d'un drapeau
correspondant à la langue que vous choisissez en cliquant dessus.
Le jazz en live reste une expérience irremplaçable, autant pour vous que pour les artistes et les organisateurs…
Nous remercions l'ensemble des Festivals de jazz pour l'accueil de nos correspondants sachant que c'est la condition pour tous de conserver la mémoire d'une des scènes importantes du jazz. Les budgets étant de nos jours soumis aux contraintes de l'austérité, et parfois aux affres de l'ignorance sur ce qu'est le jazz, il importe que les acteurs du jazz conservent à l'esprit cet enjeu essentiel qu'est l'information pour la préservation du jazz. Pouvoir faire des photos et des commentaires, librement, pour la presse spécialisée, et en avoir les moyens par un accueil respectueux de la part des festivals et des autres scènes, est une des facettes de la liberté et de la richesse du jazz, et plus largement de la liberté de la presse et donc de la démocratie dont nous sentons le manque dans le quotidien…
Les comptes rendus des années précédentes restent disponibles dans notre boutique (accès libre pour la période de 2013 à nos jours des n°663 au numéro en cours).
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Au programme des Comptes Rendus
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2018 > |
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accéder directement au festival de votre choix, cliquez sur le nom des festivals en
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pour tout le site, nous vous rappelons qu'il vous faut survoler les
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Antibes/Juan-les-Pins, Alpes Maritimes
Jammin' Juan, 25 au 27 octobre 2018
Du 25 au 27 octobre 2018, s’est tenue à Juan-les-Pins, la 2e édition de Jammin’ Juan à
l’initiative de l’Office du Tourisme d’Antibes/Juan-les-Pins, également organisateur
du festival Jazz à Juan, et en partenariat avec la SACEM. Donnant lieu à 21 show-cases de 35 minutes, réservés à une centaine de
professionnels et à trois soirées de concerts publics au Palais des Congrès,
c’était aussi l’occasion pour les acteurs de la filière du jazz vivant présents, aux
initiatives souvent peu coordonnées, de se réunir et de réfléchir à la mise en
place d’une stratégie commune pour une exploitation plus judicieuse des
ressources artistiques en ce domaine.
Etaient présents des responsables de festivals (Avignon,
Vitrolles, Crest, Tréveneuc, Colmar, Chamonix, Barcelonnette, Orléans, Saint-Raphaël, Montrouge, Orléans, Megève,
Nîmes, Parc Floral de Paris, Ile de Ré, Sommaing-sur-Ecaillon, Pescara-Italie,
Rimouski-Québec), des directeurs de salles (Lunel, Marseille, Courbevoie,
Cannes, Vallauris, Vienne) et quelques agents d’artiste. Mais si c’est d’un art –le
jazz– dont il était question, ce sont des considérations d'abord marchandes et
comptables qui sont l'objet de ces rencontres. L’ensemble de professionnels présents tombant d’accord
sur la nécessité d’une synergie profitable à tous (musiciens, organisateurs de
concerts et auditeurs) à l’heure où les subventions diminuent. D’autres
réunions devraient suivre dans l’avenir, toujours aiguillonnées par l’équipe de Jammin’ Juan, pour approfondir cette réflexion.
Les concerts réservés aux invités professionnels, qui se
sont enchaînés chaque jour de 14h à 19h, à un rythme soutenu, ont mis en avant
des formations de jeunes musiciens (autour de la trentaine) possédant un
potentiel certain, bien que beaucoup manquent encore de maturité musicale. Impossible
de citer tous ces groupes, d’autant que certains évoluent dans des esthétiques
bien au-delà du jazz.
On retiendra, parmi ceux entendus le 25, le trio du pianiste Grégory Ott, admirateur de
Michel Petrucciani, dont il est un très prometteur émule, et SuPerDog, qui
reprend ambitieusement le répertoire de King Crimson (un des pionniers du jazz
rock progressif du début des années 1970) par le seul truchement d'une
trompette, d'un sax baryton, d'un
trombone et d'une batterie. Le lendemain, le chanteur Kevin Norwood, qui évoque Gregory Porter
(son mentor, semble-t-il), le pianiste Ben Rando (très influencé par Brad
Mehldau), et le quartet du batteur Michel Meis (section rythmique et trombone) qui pratique un
jazz post-bop de très bon aloi, se sont distingués. La quantité aurait pu engendrer quelque lassitude, mais le dernier
jour a offert encore quelques bonnes
surprises qui ont permis de renouveler l’intérêt de l’exercice. En premier
lieu, le quartet du guitariste belge Julien Marga, dont les compositions
délicates se poursuivent par des improvisations véhémentes et romantiques à la
fois. Puis, les Suédois du groupe Corpo où deux dames assurent le tempo (dm
& perc) et dont les thèmes joués au sax soprano ou à la flûte, issus du
folklore nordique, se muent vite en improvisations modales réjouissantes, sur
des rythmes afro-cubains. Le quartet québecois de la très énergique trompettiste Rachel Therrien, qui évolue
dans un style post-bop, très influencée aussi par Cuba et la personnalité de Haidée Santamaria.
Enfin, le quartet du saxo alto
Jean-Pierre Zanella, un autre Québecois de très grand talent. Ces trois
dernières formations présentent des projets nettement plus aboutis et professionnels que les autres ayant
été présentées durant ces trois après-midis.
Un mot enfin des concerts du soir, donnés par des musiciens
confirmés, et ouverts à tous les publics. Le 25, le trio de Philippe Villa (p), en partance
pour la Californie, assurait un set propre mais sans étincelles, suivi de l’orchestre
de Michel
Bernard (p) –lequel comptait
un invité de luxe en la personne de Pierre Boussaguet (b)– qui a malgré
tout peiné à
susciter l’intérêt avec des reprises des musiques de film de Lalo
Schifrin,
jouées un peu platement. On ne fut pas plus convaincu par la prestation
d’Armel
Dupas (p) et du rappeur Sly Johnson, le 27. Heureusement, le 26, le
chanteur
Hugh Coltman (qui s’est montré ouvert et disponible durant les trois
jours) a réjoui
l’assistance avec son projet «Who's Happy», enregistré à New
Orleans en compagnie de musiciens du cru, et qui évoque la
reconstruction de la ville, une création interprétée à Juan avec, entre
autres,Didier Havet (sousaphone), Jerry Edwards (tb), Frédéric Couderc (bs) et
Jérôme Etcheberry (tp), c'est-à-dire des musiciens confirmés de talent: une belle conclusion.
Daniel Chauvet
Photos: Remerciements à Jacques Lerognon, by courtesy
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Limoges, Haute-Vienne
Hot Vienne - Harlem à Limoges: 11 juin au 8 décembre 2018
C'est
par fidélité en
amitié, celle que j'ai voué à Bill et Lily Coleman, que j'ai participé à
ce colloque, sinon 100% jazz pour le moins grandement dédié au
genre. Ce colloque, évènement en lui-même, s'est inscrit dans une
aventure plus
large et qui, à l'heure du jazz business, n'a pas d'équivalent parce que
l'objectif n'est pas la rentabilité, même si c'est un faire-valoir, sous la forme d'une image culturelle, pour la
ville de Limoges. La manifestation se poursuit jusqu'au 8 décembre, il est donc encore temps de s’y rendre… (www.ville-limoges.fr)
Au départ, il y a un
homme qui a su se rendre incontournable à Limoges pour le plus grand bien du
jazz: Jean-Marie Masse (1921-2015), peintre puis batteur professionnel1, homme de radio et fondateur-président
du Hot Club de Limoges à partir de 19482.
Jean-Marie Masse a fait par acte notarié le legs de ses archives à la ville de
Limoges (plus de 20 000 pièces: disques, livres, magazines, photos, correspondances…).
Premier miracle: la ville de Limoges l'accepte et envisage «les meilleurs
moyens de la rendre accessible au public»! Le maire, Emile Roger Lambertie, est
amateur de jazz! L'essentiel des archives est conservé depuis 2016 dans les
magasins de la Bfm3 qui en a
assuré le référencement (travail énorme). C'est le maire qui a proposé un vaste
programme événementiel ouvert à tous, baptisé «Hot Vienne, Limoges se la joue
jazz» et décidé la date 2018, à juste raison (les 70 ans du Hot Club de
Limoges), et aussi par effet de mode, musicologiquement discutable («centenaire
de l'arrivée du jazz en Europe»4).
Il est bien sûr romantique de rêver devant la photo d'une harmonie (et non pas
une «fanfare») de soldats américains afro-américains, prise au Grand Séminaire
de Limoges en juillet 1918.
Dès le 4 juin 2018, ce
fut l'inauguration d'une place (square devant le grand théâtre) au nom de
Jean-Marie Masse. Mais la saison culturelle, «Hot Vienne», est lancée le 9 juin
à 18h à la Bfm. Une quantité d'événements faisant écho au legs de Jean-Marie
Masse, se prolonge jusqu'au 31 décembre 2018. Parmi les temps forts de la
saison, il y a du 11 juin au 8 décembre une double exposition Harlem à
Limoges à la Bfm Centre-ville et juste à côté, à la Galerie des Hospices5.
A
la Galerie des
Hospices, il s'agit d'une vaste documentation surtout photographique,
souvent
exposée par personnalités (Louis Armstrong qui n'est pas venu à Limoges,
Sidney Bechet, Duke Ellington, Lionel Hampton, etc.) avec des cabines
d'écoute (Don Byas, Albert Nicholas, etc.). Il
y a aussi un studio de radio reconstitué (émission en direct le samedi).
L'Exposition à la Bfm, d'accès gratuit, propose un cabine de projection du film Swing Time in Limousin de Dilip et Dominique Varmat qui a reçu le 2eprix au New York Jazz Film Festival (documents locaux inédits de Bill Coleman, Buck Clayton,
etc., et interview exubérante de Jean-Marie Masse)6. Mais c'est aussi des vitrines avec disques, affiches, photos
rares, livres (les deux fondateurs: Le Jazz Hot de Panassié et la Hot
Discography de Delaunay), Paulette et Jean-Marie Masse, Hugues Panassié et
sa famille, la séance Bechet-Mezzrow de 1938, Rex Stewart, le festival de Nice
1948 (avec le press-book d'Yves Montand, présent), etc. Monique Pauzat fut
avec son compagnon Jean-Michel Ponty, la scénariste de cette exposition. Masse
avait tourné des films 16 mm (muets) visibles ici et là: sortie d'hôtel à Nice
d'un Earl Hines dans toute sa splendeur, saynète tournée à Montauban avec un
encore jeune Hugues Panassié mimant un orchestre... Il ressort de tout cela un
enthousiasme inimaginable aujourd'hui. Ces pionniers étaient heureux.
Pendant le Colloque, le
soir du 22 octobre, l'Anachronic Jazz Band a donné un bon concert au Centre
Culturel Jean Moulin. Un public copieux. Deux remplaçants: Jérôme Etcheberry
(tp) à la place de Patrick Artero, et Félix Hunot (bj) au lieu de François
Fournet. Daniel Huck, présentateur, chanteur (scat mais pas que), sax alto dans
trois titres, toujours avec la même verve. Outre les deux chefs, Philippe
Baudoin (p) et Marc Richard (cl, as), la formation comprenait aussi Pierre
Guicquero (tb), Gérard Gervois (tu), André Villéger (cl, ss, ts), Jean-François
Bonnel (cl, ss, C melody sax) et Sylvain Glévarec (dm). Le principe est connu:
jouer les standards du «jazz moderne» à la manière du «jazz traditionnel». Il y
eut donc des reprises de l'AJB de la fin des années 1970 comme «Bernie's Tune»
et «Blue Monk» (superbe solo d'Etcheberry). Mais aussi de nouveaux arrangements
notamment signés Villéger et Bonnel. De beaux trios de clarinettes! Etcheberry
a amené beaucoup de drive.
Le Colloque en lui-même,
à l'auditorium Georges-Emmanuel Cancier de la Bfm, s'est accompagné de la
sortie d'un CD d'inédits enregistrés à Limoges, Harlem à Limoges7. Ainsi que d'un luxueux livre du
même titre8. Le contenu a été
défendu en live, dans un ordre différent, par les auteurs devenus
conférenciers à partir du 22 octobre à 14h30.
C'est
Anne Legrand,
commissaire de l'Exposition, qui a recruté les intervenants. Elle a
aussi
assuré l'intendance (accueil, gestion du temps, etc.). Philippe
Pauliat-Defaye,
adjoint au maire chargé de la culture, a ouvert les débats (après deux
exposés, il y avait, en principe, une discussion). Après l'introduction
de Julien
Bardier (Bfm) et d'Anne Legrand (BnF), les «spécialistes», d'âge et de
profils
variés, se sont succédés pendant trois jours sur des sujets le plus
souvent en
relation avec Jean-Marie Masse. L'ambiance n'est pas sans évoquer les
congrès
avec expositions qui se font dans les milieux scientifiques. Le jeune
Yaniv
Arroua9 a reconstitué le parcours
«de la préhistoire à l'apprivoisement du jazz à Limoges: 1903-1940». Une trace
de Cake-Walk en 1903 reste sans lendemain jusqu'en 1918 et la photo d'un «American
Military Band» qui défile sur le Champ-de-Foire de Limoges le 4 juillet 1918.
Il ressort qu'il s'agit ensuite de variétés jazzy et du rôle non négligeable
des visites de Ray Ventura. Yaniv nous signale le dentiste-trompettiste Roger
Blanc (1913-2007) qui fut le premier à présenter une émission hebdomadaire de
jazz pendant six mois en 1938 à Radio Limoges («quart d'heure du Hot Club du
Limousin»). Yaniv a trouvé des documents de presse pendant l'occupation qui
d'une part signale l'interdiction des dancings, et d'autre part que le «bon
jazz» est autorisé (ils ne figurent hélas pas dans le livre). Christophe Guillot10 nous a parlé de Jean Marcland,alias Marc Lanjean (1903-1964), né à Limoges, qui fut pianiste de Ray Ventura
puis compositeur recherché de musiques de film. Il a diffusé «Arsenic Blues» de
Lanjean (1959) avec Pierre Thibaud (tp), qui fut l'indicatif des Cinq
dernières minutes (feuilleton télévisé). Enfin Benoît Morin (né en 1981, à Limoges),
journaliste du Berry Républicain, nous a parlé de la radio à Limoges de
1926 à 2018.
Le lendemain, 23 octobre, en principe à 9h30, mais avec retard11, Michel Laplace a présenté avec
son expérience de trompettiste, les caractéristiques du style de Bill Coleman,
président d'honneur du Hot Club de Limoges. Il a choisi de compléter le texte du livre et a abordé: Bill Coleman, «témoin de son temps»12, «acteur de son temps» (audition comparée de Louis Armstrong,
Bill Coleman et Jabbo Smith en 1929), «la relation de Bill à la modernité»
(fustigeant le rôle négatif des critiques progressistes sur la carrière des
mainstreamers dès 1947; audition du trio de Mary-Lou Williams, 1944, et du
break et solo de Bill dans «Idaho», 1949), le rôle de Panassié (premier à faire
enregistrer Bill sous son nom) et de Delaunay (qui fait revenir Bill en France
fin 1948). Avec complicité, Alyn Shipton13 a évoqué Buck Clayton et diffusé«BC and BC» par Bill Coleman et Buck Clayton (1949). Il a terminé par un
enregistrement de son Buck Clayton Legacy Band (partitions de Buck) avec Menno
Daams (tp) qui continue de faire vivre l’œuvre de Buck Clayton. Bill et Buck
furent les deux trompettes préférés de Jean-Marie Masse.
Matinée consacrée aux
souffleurs, elle se poursuit par «Mon pote Don Byas» par Daniel Nevers que l'on
ne présente plus. On a notamment écouté Byas dans «Havard Blues» avec Count
Basie. Daniel Alogues, responsable du secteur musique et du fonds Panassié à la
médiathèque de Villefranche-de-Rouergue, a surtout fait état, avec passion,
dans son Guy Lafitte: le poète du
saxophone ténor, d'un échange de courriers entre Lafitte et Panassié (qui
ne sont pas dans le livre). Les deux hommes, qui s'aimaient beaucoup, ont eu une
brouille passagère à la suite d'un article de Guy Lafitte14. L'après-midi du 23, Bob O'Meally15 a présenté (en anglais), «l'esthétique des collages de Louis
Armstrong» (qui ne figure pas dans le livre). Yannick Séité16, par ailleurs pondérateur de la
journée, a parlé de Mezz Mezzrow à travers l'écrivain de La Rage de Vivre.
Le jeune Pierre Fargeton17 a
ensuite abordé sans parti pris et de façon factuelle, «Hugues Panassié ou la botte
des sept lieux». C'était le mieux à faire puisque nous avons pu constater,
parmi les présents sur scène et dans le public, que les deux blocs opposés,
lignée Hot Club et lignée progressiste, resteront sur leurs positions. Mais
comme Fargeton le perçoit, Hugues Panassié n'est pas conforme aux réductions
qu'ont fait de lui18. Deux
amateurs suisses, Klaus Naegeli et Konrad Korsunsky ont fait le portrait du
critique Johnny Simmen (1918-2004), ami de Jean-Marie Masse. Ils ont surtout
diffusé des pianistes (Willie Smith, Rossano Sportiello, Pete Johnson, Ram
Ramirez, Pat Flowers) ce qui est très pertinent car représentatif de la
sensibilité de Simmen pour cet instrument et pour lequel il dépassait ses
sensibilités de style allant jusqu'à y compris McCoy Tyner (album avec
Grappelli, 1990). Nous n'oublions pas le portrait fidèle que Claude-Alain
Christophe (né en 1934, Paris), actuel président du Hot Club de Limoges, a fait
de Jean-Marie Masse: «une vie vouée au jazz». C'est cet enthousiasme exubérant
de Masse qui nous vaut la place que tient le jazz (gospel, blues) encore
aujourd'hui, à Limoges.
Le lendemain, 24, Anne Legrand a délégué la pondération
à son ami Ludovic Florin19. Ce
fut d'abord, dès 9h30, Claude Carrière (ex-Jazz
Hot, ex-Radio France…), dans son
domaine préféré: Duke Ellington («Duke en France»). Son exposé nous permit
d'entendre l'orchestre du Duke dans un de ses sommets (1958) et
l'enregistrement de Turcaret20,
musique de Duke Ellington et Billy Strayhorn, que Duke a offerte à Jean Vilar, et
qui fut enregistrée tôt le matin par des requins de studio (Fred Gérard, tp1,
Roger Guérin, tp, Billy Byers, Nat Peck, André Paquinet, tb, Raymond Guiot,
fl). Toutes les partitions étaient écrites en ut (non transposées). Duke
parvint à faire sonner l'orchestre de façon toute ellingtonienne. Beau
document! Alexandre Litwak21 nous
a parlé de Garnet Clarke (pas de texte dans le livre) car depuis 2015, il s'est
attaché à retracer le parcours de ce pianiste devenu légendaire (cf. Jazz Hot Spécial 2003). Arrivé en 1935
en France, à 19 ans, il a impressionné par son jeu incisif influencé par celui
d'Earl Hines, avant d'être interné à l'hôpital Ste-Anne puis à celui de
Saint-Remy où il est décédé en 1938. Le comble c'est que Jacques Bureau (cf. Jazz Hot n°651) est
allé l'enregistrer lors de son internement. La seule photo existante de Garnet
Clarke laisse à penser sur son regard et faciès déprimé qu'il était déjà malade
en arrivant en France. Litwak a regroupé des documents, et il s'avère que
Clarke était atteint de syphilis et de désordres mentaux proches de la schizophrénie
(la neurosyphilis). Il avait en solo un jeu, à mon sens, brillant mais confus
(«I Got Rhythm», 1935; solos en asile). J'ai posé la question de la relation
entre l'apparente modernité d'un artiste et sa confusion mentale? Il faudrait,
me semble-t-il, explorer dans ce sens avec l'aide de psychiatres et une revue
de la littérature médicale sur ce sujet. Ludovic Florin a traité «Willie the
Lion Smith à Limoges en 1950. Le Lion dans un magasin de porcelaine». Il a cité
un texte d'Hugues Panassié (p.115 du livre) qui dévoile une stratégie: avec
Le Lion, il veut amener à la cause du jazz un public amateur de musique
classique22. D'où la présentation
d'un pianiste, seul en scène, dans le rôle de concertiste. Il me semble
entendre une théâtralité dans la version de la Polonaise Militaire de
Chopin par Le Lion (cf. CD) qui confirme que le pianiste a bien compris
l'objectif à atteindre. Noëlle Ribière23a parcouru pour nous l'ampleur de la carrière diversifiée de Claude Bolling.
L'après-midi, l'Américaine, Becca Pulliam24, a présenté, en anglais, Charlie Gabriel, actuel clarinettiste du Preservation
Hall Jazz Band. Gabriel était très apprécié de Jean-Marie Masse car, j'en ai
témoigné, il fut au 1er rang d'un concert donné aux arènes de Marciac en août
1996 par Red Richards, Doc Cheatham et lui-même, et dont je fus le présentateur.
Becca en avait projeté une photo non localisée et datée. Pas moins américaine,
Rashida Braggs25, nous a parlé, en
français, de Kenny Clarke. Pas de doute que Jean-Marie Masse aurait préféré Jo
Jones. Rashida, en relation avec Laurent Clarke, fils du batteur, s'est surtout
attachée à la personne. Pas un mot sur Dizzy Gillespie sans lequel Kenny
n'aurait pas été le novateur qu'il fut. Rashida nous décrit un batteur discret,
ce qui n'est pas sa caractéristique dans le Clarke-Boland Big Band dont elle
n'a pas parlé. Chris Dussuchaud et l'ex-bluesman Bobby Dirninger nous ont fait
une sorte d'animation, joyeuse, sur «ce blues que j'aime, il vient de là».
Enfin, Philippe Nasse26 a remporté
un sérieux succès avec ses connaissances et iconographies sur «Naissance de la
batterie en France» (qui n'est pas dans le livre).
Des sujets et des
intervenants variés, donc, qui sont parvenus à intéresser une audience de
qualité, comptant des experts (Charles Schaettel, Daniel Richard, etc.) mais peu
de jeunes, numériquement non négligeable pour un sujet «pointu»: le jazz dans
son aspect historique principalement à Limoges. Un événement compte-tenu de son
succès et de son ampleur mais aussi par sa démarche plus pédagogique que les
festivals à but lucratif. Après ce colloque qui a su séduire, «Hot Vienne»
continuera avec des concerts par Claude Tissendier (Swingin' Bolling, 5
novembre) et le Big Band de Michel Pastre (2 décembre). Y aura-t-il d'autres «Hot
Vienne»? En tout cas merci à Anne Legrand qui n'a pas ménagé ses forces pour
mener à bien cet ambitieux projet.
*
1. Jean-Marie Masse a
reçu les conseils de Jerry Mengo qui lui-même est allé prendre des cours auprès
de Gene Krupa à New York. Des éléments de la batterie de Masse étaient exposés.
2. Claude-Alain
Christophe: Jazz à Limoges. La saga du Hot Club et de Swing FM (2011,
L'Harmattan, ISBN: 978-2-296-56100-7).
3. La centaine de disques
à gravure directe (Pyral) est conservée au département de l'Audiovisuel de la
Bibliothèque Nationale de France (BnF). Des copies de sauvegarde y sont faites
ainsi que le stockage à 0°.
4. Il n'y a pas en
1917-19 de «black-bottom, charleston» comme on le lit p.6 de la
brochure Parcours Limoges. L'architecture au fil du jazz (Luc Fattaz,
édition Ville de Limoges, septembre 2018). Les intervenants du colloque sont
d'accord qu'il ne s'agit pas de jazz mais, au mieux, de «ragtime avec des
effets» (Yannick Séité). P.4 du dossier de presse, on a enfin ajouté à
Jim Europe, «l'arrivée de l'orchestre du batteur Louis Mitchell»! http://www.epistrophy.fr/comment-le-clef-club-started.html
5. Il y avait aussi Jazz
in Limoges 1918-1939 au Musée de la Résistance que nous n'avons pas vu.
6. Ce film en présence
des Varmat fut aussi projeté dans l'auditorium le 24 octobre en guise de
conclusion du Colloque.
7. Buck Clayton (1949),
Willie the Lion Smith (1950, dont Polonaise Militaire, opus 40, n°1 de
Chopin), Claude Bolling (vers 1951), Don Byas (1952), Bill Coleman (1952), Guy
Lafitte (1954), Mezz Mezzrow (1954), Lionel Hampton (1955, 1956) et Albert
Nicholas (1956). A la batterie, Jean-Marie Masse ne manque pas de swing («How
High The Moon» avec Hampton), d'efficacité («Crazy Rhythm»
avec Lafitte) et il sait utiliser les balais («The Gypsy» avec Don Byas).
8. Aux éditions Les
Ardents Editeurs (www.lesardentsediteurs.com) (juin 2018, ISBN: 978-2-917032-93-0). Le CD
& livre: 39 euros, à adresser à la Bfm, 2 place Aimé Césaire, 87000
Limoges (05 55 45 96 00).
9. Titulaire d'un master
portant sur L'histoire du jazz en Creuse et en Haute Vienne 1925-1994(prix Lémovice 2013).
10. Auteur d'Echoes of
Harlem qui traite de l'arrivée des musiques populaires noires américaines à
Limoges (1905-1955).
11. Je n'ai pas eu le
temps de diffuser une vidéo de Bill Coleman en duo avec Jean-Claude Pelletier:https://www.youtube.com/watch?v=mrWalvfgg28&feature=share
12. Signalant que la 1èreédition de l'autobiographie (éd. Canat), généralement utilisée, n'a pas
satisfait Bill et Lily Coleman à cause des coupures. La 2e édition,
traduite en français par Lily, aux éditions Mémoire d'Oc (2004, ISBN:
291389805-X) est la seule fidèle aux propos de Bill.
13. Contrebassiste,
collaborateur des New Grove Dictionary of Jazz et of Music, de
l'autobiographie de Buck Clayton, auteur d'une biographie de Dizzy Gillespie.
14. Revue Jazz, n°22,
spécial France, 3e année, rentrée 1960, page 24.
15. Sax alto, fondateur
du Center for Jazz Studies à la Columbia University.
16. Maître de conférences
en littérature française à l'Université Paris VII. Il a fréquenté le jazz à
Tours (Christian Vienot, Alain Wilsch, etc.) et écrit pour Jazz Magazine.
17. Maître de conférences
à l'Université Jean-Monnet à St-Etienne, auteur de André Hodeir: le jazz et
son double (2017, Symétrie).
18. J'ai rappelé à cette
occasion que le territoire de Panassié n'est pas fermé au post-1950 car il a
écrit avec enthousiasme sur Jimmy Smith, Wes Montgomery, Chuck Berry, King
Curtis et même, ce qui a étonné, sur James Brown (critique de disques in Bulletin
du HCF, n°160, septembre 1966, p.12-13).
19. Pianiste, maître de
conférences à l'Université Toulouse-Jean Jaurès, auteur de divers ouvrages dontCarla Bley. L'inattendu-e (2013, Naïves Livres). Il écrit dans Jazz
Magazine.
20. Turcaret,
comédie en cinq actes d'Alain-René Lesage (1668-1747), mise en scène par Jean
Vilar (1912-1971), présentée au Théâtre du Palais de Chaillot, le 31 décembre
1960 avec Georges Wilson (Turcaret), Mathilde Casadesus (Mme Turcaret),
Christiane Minnazolli (La Baronne), Dominique Paturel (Frantin), Rosie Varte
(Lisette), Denis Manuel (Le Marquis), Lucien Raimbourg (M. Rofle), etc. Musique
de Duke Ellington & Billy Strayhorn. https://fresques.ina.fr/en-scenes/fiche-media/Scenes00351/turcaret-d-alain-rene-lesage.html
21. Alexandre Litwak (né
en 1970, Paris), petit-cousin d'Anatole Litvak (1902-1974),
réalisateur-scénariste américain d'origine ukrainienne, est saxo-clarinette et
fondateur en 1999 de Gefilte Swing (klezmer-swing). Il s'occupe avec
Jean-Pierre Daubresse du Centre Européen des Musiques de Jazz, à
Chevilly-Larue, qui abrite les legs de collectionneurs. Félix Sportis qui a
écrit sur Garnet Clarke est son «coach» sur le sujet.
22. Hugues Panassié
misait aussi sur les disques d'Art Tatum déjà apprécié des virtuoses (Vladimir
Horowitz, Samson François, etc.) pour atteindre cet objectif.
23. Membre du Hot Club de
Limoges avec son mari, Jacques. Elle est photographe et auteur de Jazz dans
l'objectif (2011, du May-ETAI).
24. Master de piano jazz
de la Manhattan School of Music et productrice de JazzSet.
25. Maître de conférences
au William College.26. Batteur, commissaire
de la première exposition en Europe sur la batterie: Roll & Swing,
qui a donné existence sous ce titre à une plaquette richement illustrée
(co-auteurs Philippe Nasse et Marie-Claire Delavallée, juin 2017, ISBN:
978-2-9561060-0-5; 10 euros, www.mupop.fr)
Michel Laplace
Photos, avec nos remerciements: Philippe Nasse, by courtesy of Hot Vienne, X, Michel Laplace
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Toulouse, Haute-Garonne
Jazz sur son 31, 5 au 21 octobre 2018
Cette nouvelle édition de Jazz sur son 31 aura été la
démonstration d'une volonté politique de maintenir un événement culturel devenu
au fil du temps une véritable institution, malgré le contexte qui ne se prête
pas toujours au développement de projets artistiques. Le jazz dans tout cela
sert de vecteur d'image encore une fois afin d'assouvir ce besoin de culture
même s'il se retrouve noyé dans un bouillon de musiques du monde et actuelles
bien souvent aux antipodes de la richesse d'un jazz toujours aussi pluriel,
mais jamais assez pour les décideurs. On aurait pu retenir quelques concerts
supplémentaires pour cette édition de Jazz sur son 31 comme les deux combos
régionaux The Deep Sound de Thierry Ollé (org) et Soul Jazz Rebels de Christian
Tonton Salut (dm), dans l’esprit des formations boogaloo des années 60 avec
orgue Hammond. Le piano solo de Pierre de Bethmann, la rencontre entre Steeve
Laffont (g) et Costel Nitescu (vln) revisitant l'esprit de Django ou le Swing
Bones en hommage à François Guin (tb) donnant une couleur plus jazz à une
programmation relevant bien souvent de l'auberge espagnole. Au-delà des
rencontres et autres masters class, le festival s'est doté d'un nouveau lieu de
partage à l'année avec le «Pavillon république» qui remplace
désormais l'Automne Club.
Le
12 octobre, c’est sur la scène d'Odyssud à Blagnac, dans la banlieue
toulousaine, que nous donne rendez-vous l'Amazing Keystone Big Band, une
formation de dix-sept musiciens issue de la nouvelle génération de la scène
hexagonale tels le saxophoniste Jon Boutellier, Fred Nardin (p) ou Bastien Ballaz
(tb). Après avoir exploré Pierre et le
loup, Le Carnaval jazz des animaux,
l’œuvre de Django ou plus récemment celui d'Ella Fitzgerald, l'Amazing Keystone
Big Band s'attaque au fameux West Side
Story de Leonard Bernstein. Cette dernière a d'ailleurs déjà été magnifiée
avec brio par la sphère jazzique que ce soit par le trio d'Oscar Peterson ou
les superbes arrangements de Manny Albam avec ses prestigieux solistes dont Al
Cohn ou Bob Brookmeyer. Dans ce contexte, on reste dans l'esprit de l’œuvre
originale sous la houlette du maître de cérémonie Sébastien Denigues qui
installe une relation particulière en créant un lien entre l'orchestre et le
public, amenant chaque pièce et solistes sur scène dont le ténor au léger
vibrato de Jon Boutellier ou le jeu tout en puissance de Bastien Ballaz.
L'écriture prédomine laissant peu de place à l'improvisation avec un bel
équilibre de l'ensemble des sections et quelques beaux solos dont celui de
Thomas Enhco au bugle sur «Maria» dans un rythme de boléro avec de
nombreux changements de climat ou le chase entre le trompettiste arrangeur et
John Bouteiller sur «In America», voire un passage Coltranien entre
l'altiste et le batteur Romain Sarron. Les passages vocaux ont quelques
faiblesses lorgnant vers la variété de qualité lorsque Pablo Campos si atèle.
Le
17 octobre, le batteur du Lincoln Center, Ali Jackson résident toulousain
depuis quelques mois, faisait l’événement. Chez les Jackson, le jazz est une
véritable histoire de famille. Ali le père est contrebassiste et compagnon de
route de Wilbur Harden et de John Coltrane, connu pour son approche
singulière et l'utilisation des rythmes issus d'Afrique et du Moyen-Orient,
dont sa composition «Prayer to the East» en est l'illustration
ainsi que sa collaboration à la même époque avec Yusef Lateef. Le jeune Ali
Jackson a baigné dans cet univers musical, croisant son célèbre oncle Oliver
Jackson une des grandes figures de la batterie «middle jazz» ayant
enregistré et tourné avec une bonne partie de la sphère classique du jazz dont
Roy Eldridge, Earl Hines, Budd Johnson, Vic Dickenson, Earle Warren, Sir
Charles Thompson, Zoot Sims, Doc Cheatham. Une famille musicale issue de la
scène de Detroit connu pour sa richesse en musiciens et en stylistes de premier
plan, de Tommy Flanagan à Kenny Burrell en passant par Donald Byrd et Marcus
Belgrave. Ali Jackson prend une part de cet héritage pour le transmettre aussi
bien dans sa musique que dans ses relations avec le public ou les musiciens
lors de masters class. Cela se vérifie aussi sur scène avec le Lincoln Center
Jazz Orchestra, Wynton Marsalis ou ses propres formations à géométrie variable.
Pour son premier concert, il a choisi la formule du trio avec le pianiste Emmet
Cohen, lui aussi une figure incontournable de la scène new-yorkaise. Cet ancien
diplômé de la Manhattan School of New York est aujourd'hui un brillant
pédagogue au Lincoln Center pour qui la transmission est également au centre de
sa vie de musicien, notamment lorsqu'il produit la série d'albums Masters Legacy Serie avec son trio qui
invite Jimmy Cobb, Ron Carter, George Coleman ou Benny Golson. Ali Jackson a choisi la formule classique du trio «piano,
contrebasse et batterie» misant sur des fortes personnalités
contemporaines du jazz au service d'une certaine tradition. Le répertoire se
veut une rétrospective de l'ensemble des idiomes ayant façonné l'histoire du
jazz. Ainsi Duke Ellington et Ahmad Jamal sont revisités avec brio et
originalité dans les arrangements comme sur cette superbe version de
«Poinciana». Le pianiste véhicule un sens du swing doublé d'un jeu
dynamique sans fioritures mêlant sobriété et sophistication. Le leader est à
l'image de ses prestations au sein des formations de Wynton Marsalis avec un
penchant pour la tradition de la Nouvelle Orléans dans son approche de
l'instrument avec l'utilisation du tambourin un peu à l'image d'Herlin Riley
son aîné. Son travail sur la qualité de frappe se ressent sur les nuances qu'il
instaure dans son accompagnement. On sent une réelle interactivité au sein du
trio qui explore aussi bien un thème stride comme cette superbe version du
«Symphonic Rags» d'Earl Hines qu'il jouait avec Louis Armstrong,
qu’une composition originale boppisante sur les harmonies de «Sweet
Georgia Brown» en passant par Duke Ellington sur «Do Nothin' Till
You Hear From Me» et «It Don't Mean a Thing (If It Ain't Got That Swing)»
sans oublier Monk ou Erroll Garner pour cette capacité à swinguer en
permanence. La présence de Russell Hall (b) donne une forme d'équilibre au trio
avec une sonorité puissante et boisée doublée d'une grande musicalité mélodique
lors de ses interventions.
Le
lendemain sur la même scène, c'est le quintet de la chanteuse américaine
Michelle Hendricks qui se produit pour un double hommage à son père Jon
Hendricks et à Ella Fitzgerald. Elle reste une valeur sure du scat en
poursuivant sa filiation paternelle avec brio. Son talent d'improvisation et
d'arrangeuse de classiques du jazz, toujours au service du swing reste un
modèle du genre. Sur une introduction de contrebasse de Gilles Naturel évoquant
«Old Devil Moon», le quintet débute sur «I Got a Rhythm»
de Gershwin où la cohésion d'ensemble se fait ressentir avec un Philippe Soirat
toujours aussi précieux dans son accompagnement tout en finesse et légèreté, de
même qu’Arnaud Mattéi (p), au swing délicat, que l'on avait découvert auprès de
François Chassagnite et sur son superbe album Kamala. Michelle Hendriks s’apprête d’ailleurs à entrer en studio
avec son quintet pour un projet autour d’une thématique originale. Olivier
Temime affirme de plus en plus une personnalité singulière avec un beau vibrato
au ténor dans la lignée du Rollins des années 50. Le chant non dénué
d’expressivité et son sens de l'improvisation font de Michelle Hendricks une
instrumentiste à part entière comme sur cette version enlevée d’«How High
the Moon» qu’elle chante sur le disque avec Tommy Flanagan (p) et son
père. Elle échange de nombreuses fois avec le public se rappelant que c’est
lors d’une tournée avec son père Jon Hendricks qu’elle a pu rencontrer Ella
Fitzgerald qui a chanté en duo avec lui sur scène. Aujourd’hui, le duo est remplacé
par un dynamique chase avec le ténor d’Olivier Temime. L’un des sommets de la
soirée étant son duo avec Gilles Naturel (b) sur «Exactly Like You»
avec un swing aussi léger qu’un claquement de doigt. Le talent d’auteur de
Michelle Hendricks s’exprime sur «Don’t Give Your Soul Away»
évoquant les ravages de la drogue ou sur un blues «Mama She Told Me»
en fin de concert.
En
seconde partie, c’est le trio Yes amené par Ali Jackson qui va nous surprendre
d’emblée par sa variété des tempos, des harmonisations et des tonalités toujours
en mouvement. Il y a une forme de continuité et de cohérence par rapport à la
veille, dans cette exploration permanente de la formule du trio. Un
prolongement plus contemporain et modal où l’ombre de McCoy Tyner plane parfois.
Avec Yes on a affaire à un véritable collectif qui transcende la formule tout
en maintenant une exigence de tous les instants, tant sur l’expressivité que
sur la tradition et le swing. Ici, les origines diverses des trois personnalités
n’aboutissent pas à une world music sous forme de patchwork, mais servent
uniquement à renforcer une musicalité singulière au service du jazz. La longue
introduction au piano d’Aaron Goldberg amène une ballade bluesy en tempo médium
démontrant une virtuosité d'une grande musicalité.
L’aspect de
la transmission est également présent chez Aaron Goldberg, lui qui a fait
partie de cette génération élevée à la Berklee de Boston et qui a prolongé à la
Manhattan School de NewYork avant de faire ses premiers gigs auprès des anciens
tels que Freddie Hubbard ou Al Foster et de prendre son envol dans le quartet
de Joshua Redman. Yes démarre sur un blues «Mohamed Market»
inspiré par une virée nocturne en plein Paris, avant de poursuivre sur un bop
pris sur un tempo d’enfer, le fameux «Dr Jackle» de Miles Davis.
Tel Roy Haynes, la dimension de soliste est exacerbée par le jeu percussif et
mélodique d’Ali Jackson soutenu par la contrebasse d’Omer Avital pour un
dialogue permanent. Ce dernier possède le langage du jazz avec une sonorité
ample et profonde à la fois provenant de ses longues années d’apprentissage dès
son arrivée à New York en provenance de la scène israélienne, en collaborant
avec Roy Haynes, Jimmy Cobb, Walter Bishop Jr ou Nat Adderley. Il y a chez
Aaron Goldberg un goût pour le beau jeu issu de l’école de Detroit à l’image
d’un Kirk Lightsey comme sur «Tokyo Dream». Quelques jours
auparavant, ils enregistraient à Paris leur deuxième album qui devrait paraître
le printemps prochain. Le sommet du festival aura été la troisième soirée
toujours autour du batteur Ali Jackson avec son sextet «R-Evolution,
Dream Ballet», inspiré des discours de Martin Luther King sur la
condition humaine. Ce projet est l’aboutissement du travail de compositeur
d’Ali Jackson et de la chorégraphe Hope Boykin. La compagnie Alvin Ailey
American Dance Theatre donne le spectacle dans le monde entier mais c’est la
première fois que la musique est jouée en concerts dans cette formule. Un thème
modal introduit une belle intervention de Jeffery Miller à l’énorme vibrato
jouant dans l’esprit de son ancien professeur Wycliffe Gordon. Ce jeune
musicien issu de la Nouvelle Orléans a déjà un parcours impressionnant tant
auprès des formations de Wynton Marsalis que dans des projets plus personnels.
On retrouve notamment, la patte de Wynton dans l’écriture du leader, rappelant
le travail des couleurs et se soucie de swinguer tant au sein du septet que du
Lincoln Center big band.
La suite
englobe différents idiomes, portés par une nouvelle génération de musiciens
dont l’excellent Julian Lee au ténor au léger vibrato tantôt dexterien ou coltranien.
Ici l’écriture laisse la place aux solistes tel Emmett Cohen (p) alternant
passages rythmiques et phrases longues débordantes de notes sans effet de
remplissage. La présence de l’excellent Renaud Gensane (tp) qui s’insère avec
brio dans ce projet où il exprime une plénitude de son jeu parfois rappelant
Woody Shaw de par sa maîtrise globale. La dernière demi-heure sous forme de
rappel est en fait une superbe jam autour de standards tels «On the Sunny
Side of the Street», «Caravan» ou un thème boppisant. Un
régal, qui nous laisse espérer une prochaine édition plus ancrée dans le jazz.
David Bouzaclou
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Bruxelles, Belgique
Réouverture de la Jazz Station, 22 septembre 2018, et Saint-Jazz Festival, 28 et 29 septembre 2018
Après une année sabbatique,
le festival de la petite commune de Sain-Josse-ten-Noode reprend des couleurs.
Un renouveau qui a pris place à la Jazz Station et au Centre Culturel
Le Botanique.
Précédant de huit jours cet
événement, la Jazz Station avait ouvert sa nouvelle saison par le concert du
duo Tutu Puoane/Ewout Pierreux. Unis à la maison comme à la scène depuis une
quinzaine d’année, la chanteuse Sud-Africaine et son pianiste recueillent de
plus en plus de succès en Belgique, où ils habitent, et en Afrique du Sud, bien
sûr! Leur prestation au dernier festival de Marciac devrait leur ouvrir bien grandes les portes de
l’Hexagone. On attendait une salle comble, pour cette ouverture; on ne
fut pas déçu, ni par l’affluence ni par la qualité d’une voix qu’on a souvent
appréciée, en quartet ou en avant du Brussels Jazz Orchestra, dans un
répertoire jazz ou pop (hommage à Joni Mitchell), en anglais et en zoulou. En
duo, ce soir-là, la symbiose piano/voix fut parfaite. Le récital débute avec
«Us»: un original qui illustre d’emblée, avec force, un message d’amour.
Dès le second morceau (d’Abbey Lincoln), débuté en onomatopées, du grave à
l’aigu, on peut mesurer l’aisance rythmique de la chanteuse. Ewout Pierreux ne
se contente pas d’accompagner, il fait réellement corps avec le discours,
transformant le concert en un dialogue continué et profond. Suivent «Cape Town»
d’Abdullah Ibrahim au cours duquel Tutut Puoane scatte wa-wa mimant un solo de trombone, puis «My Shining Hours» en
guise de salut aux leçons prises avec Mark Murphy. Scat encore sur une belle
ligne de basse boogie et un joli 4/4.
En seconde partie, un morceau de Joni Mitchell; «How About You?» de
Gershwin et puis«Ten Songs» de Bert Joris au cours duquel Ewout Pierreux dévoile
un feeling blue profond. Et pour terminer
le concert: un thème sud-africain avec le public qui scande «hayez-hayez»,
puis «There’s No Choice, My Love Will Wait For You» et, en rappel:
«Harmony» avec un solo de la main gauche. Un régal!
A
l’affiche de la première journée du Saint-Jazz, le vendredi 28: deux
concerts. Le premier, celui de «Shifted», le nouveau quartet de Sal La Rocca
(b) dont on attend l’album en novembre. Le suivant: le quartet du
guitariste israélien de New-York: Yotam Silberstein. C’est
par le titre générique de l’album que le bassiste sérésien lance son concert avec
huit notes de basse en ostinato qui sont continuées par le ténor plaintif de
Jeroen Van Herzeele (ts), le drumming en échos de Lieven Venken et les réponses
de Pascal Mohy (p). Sur «Waiting» de Lieven Venken, plus calme, on apprécie le
souffle ample, vibré ou retenu du sax-ténor. Dès le troisième thème, débuté par
un solo de contrebasse, on retrouve la manière de Jeroen Van Herzeelequ’on
apprécie aussi avec le collectif Mäâk Spirit: post-coltranien, en marche
vers l’absolu, l’atonalité. On pense à «l’Amour
Suprême»! Le répertoire qui suit est constitué des compositions des
quatre musiciens. «Cache-Cash» du leader est exposé en unissons piano + ténor
puis Jeroen Van Herzeele miaule, triture la note puis crie; la ligne de
basse est essentielle; la révolte succède à la plainte; les syncopes
amènent le climat de tensions/détentes si chères à nos oreilles de bopper. La
ballade «Bicycle» de Pascal Mohy permet au pianiste de s’extraire d’une
présence qu’on pouvait trouver trop discrète jusque-là. Suit «Crescendo» en un
chant du sax sur une base rythmique vigoureuse jouée par Lieven Venken en
parfaite harmonie avec le bassiste; Pascal Mohy fournit les réponses en
forme de points-virgules. «Hagaww» (orthographe
non-garanti) précède «Syndrome» de Carla Bley avec, pour conclure, un stop
de contrebasse ouvrant sur un échange ténor-batterie et le solo de rigueur de
Lieven Venken: un drummer magnifique qui fait corps avec le discours et
qui attaque la cymbale cloutée en cercles latéraux: une manière trop
souvent absente chez les jeunes percussionnistes.
Les
amateurs du jazz et de la guitare attendaient beaucoup de Yotam Silberstein.
L’Israélien a conquis New York par son doigté véloce. Dernière étape d’une
tournée européenne avant d’aller séduire l’Asie: il était accompagné par
l’Argentin Vitor Gonçalves (p, acc), Noam Wiesenberg (b) et le batteur natif de
Tel-Aviv, Daniel Dor. Le répertoire du quartet est largement issu d’Amérique
Latine (Argentine et Brésil) à l’exception de «Matcha», une composition en
souvenir d’un voyage au Japon. Le leader débute à la vitesse des quadruples
croches; son jeu précipité nous apparaît d’abord un demi-coma en avance sur le temps, mais il
n’en est rien. Pour le deuxième thème, «Yafo», Yotam Silberstein (g) chante (murmure)
les notes qu’il égrène alors que Vitor Gonçalves double son piano/main droite
d’un accompagnement main gauche à l’accordéon; à la droite du
batteur: un baby-xylophone joue quelques notes discrètes. Le même procédé
est utilisé par le merveilleux pianiste sur la ballade «Night Work». «Half Five
Things», "flamen-causant"
se veut un hommage à Paco De Lucia; «The Wind of the Lake», une ballade
argentine, sonne à la mode de Pat Metheny avant un retour au Brésil avec «Rest
For People Samba» et «One Zero For Own». «Lulabye», en bis et solo de
contrebasse, conclut un concert éblouissant tant par le doigté dense et précis
du guitariste que par le jeu éminemment inspiré du pianiste. Les fidèles de la
Jazz Station étaient nombreux; les nouvelles têtes itou et tant
mieux!
La
deuxième soirée du festival Saint-Jazz, programmée par Dimitri Demannez, se
déroulait au Centre Culturel Le Botanique: attribut présidentiel de Jean
Demannez, Président-fondateur de la Jazz
Station et père du ci-devant programmateur. Comme il est de tradition dans cet
antre de la pop-culture, il sied de migrer vers des expressionsextra-jazz
mais néanmoins rythmées. C’est d’ailleurs par «Afro Beyond» que débuta le
premier concert. Le quintet Botafogo n’eut pas été inintéressant s’il n’avait
pas été sur-amplifié par la basse électrique du leader: Javier Breton. Ce
n’était vraiment pas utile de pousser les amplis à fond dans la petite salle de
la Rotonde déjà très sonore par sa structure.
L’omniprésence
de la basse électrique allait apparaître comme le dénominateur commun des
quatre concerts de la soirée. Manou Gallo (eb, g, voc) enchaîna dans la salle
de l’Orangerie avec un groupe afro-beat constitué de claviers, guitare,
batterie et basse et, pour les backings: un trompettiste et un
saxophoniste. On ne sait pas si le succès assuré pour la Franco-Africaine tient
de sa musique ou de sa vêture; elle avait attiré quelque 400 spectateurs
de 20 à 50 ans. Ozma: le troisième groupe de ce samedi soir, est dirigé
par Stéphane Scharlé (dm) et comprend: Tam De Villiers (g), Edouard
Séro-Guillaume (eb), Julien Soro (sax, kb) et Guillaume Nuss (tb). L’écriture
et les arrangements du quintet sont intéressantsmême si l’on doit parler
de conventions plutôt que d’improvisations. On flirte avec un jazz-rock revisité
mais créatif («Krefeld, mon amour», «Hyperlabs»). On a aimé la fulgurance du
tromboniste, adepte du style de Glenn Ferris, mais aussi le bel à-propos de
Julien Soro au sax et à la clavinette synthétisée. Reggie Washington (b, eb),
Bruxellois d’Amérique, était attendu par les quelques jazzfans qui restaient, curieux
d’entendre son Vintage New Acoustic Group qui compte en vedettes: Fabrice
Alleman (ts, ss) et Bobby Sparks (p, kb), ex-RH Factor, alors que David
Guilmore (g), invité, n’était sans doute pas essentiel à la dynamique d’un
groupe profondément ancré dans le groove et le new-swing. Le bassiste
américain, plus à l’aise à la basse électrique qu’à la contrebasse nous a
présenté un répertoire essentiellement jazz mais teinté de blues et de funk.
Fabrice Alleman nous enchanta de nouveau par sa créativité exceptionnelle au
ténor (c’est notre Sonny Rollins belge) et par une sonorité de soprano qui
rappelle Sidney Béchet mais qui serait revisitée par Steve Lacy. On a
particulièrement aimé les solos riches de Fabrice Alleman et fulgurants de
Bobby Sparks sur «Footprints» de Wayne Shorter.
L’étiquette usurpée de la seconde soirée du Saint-Jazz
ne peut nous faire oublier la qualité des musiciens qui s’y illustrèrent même
si l’absence d’ubiquité nous a fait manquer la réouverture du Sounds, rue de la
Tulipe, où se produisaient Eric Legnini (p), Jean-Paul Estiévenart (tp) et
Antoine Pierre (dm), entre-autres. Nous les espérons demain en concert à la
Jazz Station, ou l’an prochain lors d’un autre Saint-Jazz.
Jean-Marie Hacquier
Photos: Pierre Hembise et Roger Vantilt
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Cavalaire-sur-Mer, Var
Caval'Air Jazz Festival, 5 au 9 septembre 2018
9e édition pour ce festival de fin de saison sur la Côte
d’Azur et un changement important puisque cette année sa gestion était
entièrement confiée à une association.
L’accent a été donné cette fois sur piano que l’on retrouvait tant sur la scène
extérieure, bordée par les verticales des cocotiers et des mats de bateaux, que
sur la scène intérieure aménagée de belle façon dans le gymnase.
Jeudi 6 septembre à 17h, scène extérieure.
Leila Duclos (g, voc) se
présente en trio avec son père Cyril Duclos (g) et Frank Anastasio (b).
Cette jeune guitariste et chanteuse, élevée aux accords de Django Reinhardt ,
mêle interprétation de ses propres compositions («Petit oiseau», «Douce ambiance») et standards («How
High the Moon»)lesquels lui permettent de mettre en avant sa façon particulière d’alterner chant et scat dans un même morceau. Suivent une autre
composition «La Braise», sur le
thème de l’incendie de la caravane de Django, et une belle balade «All the Things
You Are» où Cyril nous offre un beau chorus. Encore un original, «Jacqueline»
au tempo très enlevé, en restant toujours
dans l’esprit manouche, puis «Nuages» de Django (les seuls ce soir dans
ce ciel azuréen) et «Caravan» que la chanteuse reprend tout en scat. Un «Espace temps» instrumental pour deux guitares et le contrebassiste
revient pour «Minor Swing» avec une belle intervention.
«Mes couleurs d'été» message musical approprié
au soleil se couchant sur la scène extérieure, avant une dernière composition «Interaction»
et pour finir «Les Yeux noirs»
où le public acclame debout le trio. Un concert tout en fraîcheur.
Jeudi 6 septembre à 21h, scène intérieure.
Un quintet d’exception
nous attend, celui de Michel Pastre (ts) entouré ce
soir par Jérôme Etcheberry (tp), Louis Mazetier (p), Raphael Dever
(b) et François Laudet (dm). Dès le premier set, les
talents individuels de chaque musicien se confondent dans «Esquire Bounce»,
«She's Funny That Way»
et «Victory Stride», un boogie de James P. Johnson particulièrement appréciée par Louis Mazetier. Deux
compositions «Don't Be Afraid Baby» de Michel Pastre et «Last Train
to Bayonne» de Jérôme Etcheberry avec un solo remarquable de François Laudet terminent ce set. Un hommage à Count Basie («I've
Got the World on a String») ouvre le second set suivi de«Between the Devil and
the Deep Blue Sea» et d’un medley de ballades «I Want a Little
Girl/Sophisticated Lady/Cocktails for Two», où les
chorus à la trompette alternent avec ceux au saxophone en transition avec le
pianiste. Le set se termine de nouveau avec Count Basie et «Swinging the Blues». Le rappel permet au Quintet de
jouer un nouveau morceau de James P. Johnson «You Can't Loose a Broken Heart» (titre souvent
repris par Louis Armstrong et Ella
Fitzgerald) devant un public enchanté de cette soirée swing.
Vendredi 7 septembre à 17h, scène extérieure.
Le
Trio Bergin’, en version quartet, nous invite à apprécier un
répertoire jazz autour de la chanson française, d’Aznavour à Nougaro, et des
chanteuses de jazz. La formation est composée de Stéphanie Astre (voc), Olivier
Richard (p), Julien Duthu (b) et Christophe Naudi(dm) qui réalise aussi
les arrangements. Le concert débute par un morceau très enlevé, «Cheek to Cheek» d’Irvin Berlin, suivi aussitôt
de «Gravy Waltz» qu’on connaît aussi par la version qu’en fit Claude
Nougaro: «Les Mains d'une femme dans la farine» et où Julien Duthu nous gratifie d’un admirable
chorus. «Sister Sadie » de Horace Silver nous ramène au
jazz, suivi «Devil May Care», avec belle
une introduction au piano d’Olivier Richard, et d’un autre de Horace Silver «Nica’s Dream » avec un solo de batterie efficace. «I
May Be Wrong» d’Henri Sullivan sur un texte poétique de Raymond Queneau,
permet un jeu de réponse entre contrebasse et batterie d’une belle finesse. Suit «Lover Man», ballade écrite pour Bille Holyday, puis Christophe Naudi sort son washboard pour accompagner Everybody Loves My Baby» de Fats Waller et «Someday
You’ll Be Sorry» de Louis
Armstrong. Les titres s’enchainent ainsi
jusqu'à «Route 66» qui clôt ce concert.
Samedi 8 septembre à 11h, scène extérieure.
«Les Préludes du jazz»
sont une relecture de Chopin par le trio de Piero Iannetti
(dm), avec Claudio Colada (p) et Jean Cortes (b), ce dernier
étant l’auteur des arrangements. En ouverture, la «Valse de l’adieu» commence au piano
solo, dans une approche classique, puis arrive la contrebasse, bien appuyée,
énergique, puis enfin la batterie et tout s’accélère: le jazz est bien
présent. Vont suivre «Etude révolutionnaire» et un extrait de «La
Grande valse brillante» où le piano et la contrebasse sont à l’unisson
sur le thème. C’est ensuite entre préludes, nocturnes et valses que le concert
se prolonge devant un public recueilli.
Samedi 8 septembre à 17h, scène extérieure.
Le French’ment Jazz Quartet présente un jazz très
swing? Il est composé de KristinMarion
(voc), Philippe Martel (p), Christophe Le Van (b), Philippe
Le Van (dm), ainsi que Fulvio Albano (ts), en
invité, lequel est également le directeur du festival de jazz de Turin. Le
concert s’ouvre avec «Lunette»,puis «Shelby in Tenesse» et «Swing Gome» une composition
de Christophe Le Van. C’est le moment pour un hommage à Marc Thomas avec
«Just in Time» qui sera suivi de «Nightingale
mambo»de Kristin Marion. Le temps de «Revoir Paris» de
Charles Trenet, de deux autres originaux de Christophe Le Van («Step en
goguette» et «Je voyage») et le concert s’achève avec
«Route 66».
Texte et photos: Patrick Martineau
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Eben-Emael, Belgique
Jazz au Broukay, 17 au 19 août 2018
Dans un appendice
wallon coincé entre la Flandre, le Limbourg hollandais et le Pays de Herve, une
promenade cycliste suit la berge du Geer. C’est là qu’une fois par an, entre
rivière et coteau, se déroule l’improbable festival Jazz au Broukay. La lande
de terre, est interdite aux voitures mais, chaque année, depuis vingt-deux ans,
deux mille aficionados s’y pressent au cours de trois journées éminemment
conviviales. Pour s’y rendre, il faut savoir marcher ou bien emprunter l’une
des deux camionnettes qui font la navette entre le parking et le site.
Le vendredi, la soirée s’ouvrait sur une vidéo concoctée par
Jean-Pol Schroeder, le directeur de la Maison du Jazz de Liège. Elle mixait
avec bonheur quelques scènes de la genèse des pianistes
belges de jazz, de Jean Omer à Michel Herr et de Jean Fanis à Nathalie Loriers.
Pour suivre, en concerts live: deux trios étaient au programme: celui de Martin
Salemi (p) et celui de Pascal Mohy (p). Révélation de la saison écoulée, le
trio de Martin Salemi constitue sans doute la plus belle découverte de la
saison écoulée avec ses concerts et la sortie d’un album de compositions
originales: Short Stories (Igloo 285). Ici, comme en tournées, le jeune
pianiste étonne et séduit par une écriture dense et délicate, un phrasé enjoué
(«Confidence»), une valse lente («Early Morning»), un thème profond et
introspectif («Si j’avais su»), un autre, illuminé, en hommage à Lennie Tristano
(«Lennies Pennies») ou un clin d’œil au boogaloo
d’Eric Legnini («Leaving»). La mise en place du trio est parfaite. Sur
«Regina», Toine Cnokaert (dm) swingue, léger, note pour note avec le discours
du pianiste. «Unsaid» est construit en répétitions/progressions. Pas de temps
morts dans les développements. Les œuvres sont bien charpentées; Fil Caporali, (le
nouveau bassiste, bonifie le trio originel par la justesse de son propos (solo
introductif de «Lennie’s Pennies»). Le travail est brillant; la symbiose
parfaite.
Suivant la jeunesse innovante vient l’assurance de la
génération précédente, celle des néo-boppers. Pascal Mohy (p), Sam Gerstmans
(b) et Dré Pallemaerts (dm) visitent les standards écrits par leurs ainés dans
les années 50 et 60: Thelonious Monk («Bolivar Blues»), Bill Evans, Jackie MacLean
(«Little Melody»), Duke Ellington («Day Dream», «Lush Life»). Solo de piano,
solo de basse, 4/4, solo de batterie; la construction est classique («I Could
Write a Book») et plaît à un public de connaisseurs qui retrouvent avec joie le
swing et la manière de dialoguer et de développer qui fait trop souvent défaut
en ces temps où créer rime avec compliqué. Pascal Mohy (p), transcendé
par les démons d’Eben-Ezer, était particulièrement inspiré. Inventif, il nous
emmène de surprise en surprise avec un tempo intense. Sam Gerstmans (b) est à
l’apogée de la gloire; le regard rivé aux murmures du pianiste, il colle
littéralement au discours; ses notes sont justes, en haut comme en bas du
manche sans un regard pour la position de ses doigts. Dré Pallemaerts (dm)
s’était fait rare en Wallonie; on l’a retrouvé sans rides avec l’usage de la
charleston et le poignet souple sur la caisse claire et les cymbales. N’est-il
pas le digne élève de Kenny Clarke? Un montage vidéo et deux bons concerts: il
n’en fallait pas plus pour retourner nous coucher, rassasiés en attente d’un
lendemain dont on sait déjà qu’il sera différent.
Traditionnellement, au Broukay, le dimanche rassemble des
amateurs, des musiciens manouches et quelques dizaines de Gens du Voyage qui
viennent applaudir leurs idoles, notamment un certain Mike Reinhardt (g) dont
un album avec Thierry Elliez (org) laissait espérer une fin en apothéose.
N’attendons plus longtemps pour vous dire que nos espérances se sont
transformées en une amère déception! Derrière l’arrière petit-neveu de Django,
Nini Winterstein (g) et Jean-Luc Miotti (dm) ne méritaient vraiment pas cette
démonstration de mièvreries avec des accents à la George Benson sur «All of
You», «Nuages» et «How High The Moon» ! Tout avait joliment commencé avec «My
Romance» et les double chorus que se partageaient Alexandre Tripodi (vln),
Renaud Dardenne (g), Victor Foulon (b) et Fapy Lafertin (g). «Vibra Show»,
«Facination Rhythm’», «Fishing Guyña
à Lisboa» de Renaud Dardenne, «Carnation», «Toronto» et deux compositions
d’inspiration portugaise de Fapy Lafertin, «Edge cq» de Django, «You’d be for
Life to Be at Home Too», «I Had My Moment» constituaient le répertoire choisi
par ce quartet impeccable dans l’organisation et la répartition des solos.
Alexandre Tripodi a pris pas mal d’assurance dans son costume de leader. Victor
Foulon a bien intégré une musique qui n’est pas sienne. J’avais souvent écouté
Renaud Dardenne en rythmicien derrière les Cavalière père et fils; je l’ai
découvert en soliste intéressant avec un jeu clair qui contraste avec la
sonorité plus matte de Fapy Lafertin. Le choix d’un répertoire moins couru et
une mise en place parfaite a capté notre attention. Seuls petits reproches: le
manque de modulations vibrées dans le chef des guitaristes et la
répartition/tournante trop systématique en deux chorus pour chacun et puis on
reprendre thème.
Un piano dans un trio gypsy: c’est chose rare et
pratiquement inusitée sauf si l’on s’appelle Johan Dupont (p) et qu’on évolue
avec swing et/ou maestria dans tous les domaines, qu’ils soient bleus ou
baroques, au piano acoustique, au Fender, aux synthés ou aux grandes orgues.
Associer ce phénomène encyclopédique et déchaîné à l’un des plus beaux sons de
la guitare manouche et à la virtuosité d’un disciple de Didier Lockwood, cela
pouvait sembler risqué. Et bien, ce fut extraordinaire, grandissime ! On a
noté: le vibrato de Samson Schmitt (g) et les tremolos de Joachim Iannello (vln)
sur une «Ballade Liégeoise» longuement et brillamment introduite par Johan
Dupont; l’attaque stride du pianiste sur «Rire avec Charlie»; l’inventivité de
Joachim Iannello accompagné par le pianiste en accords puissants à deux mains
sur «Pour Michel(le)»; une très belle valse écrite de concert par les trois
musiciens: «Anticodes»; des chants/contrechants violon/guitare, des
tension/détente en up-tempo puis solo de piano; les breaks sur «Manouche
Attitude»; les crescendos/decrescendos et le silence imposé au public avec le
très beau «Chopin in Spain»; la puissante main gauche de Johan Dupont sur
«Bertrand Swing»… Quel beau concert! Quels solistes époustouflants et puis
cette «Rhapsodie à six cordes» qui termine
nous laissant sans voix avec des larmes aux yeux.
Ce sont d’autres larmes, d’une autre sorte, qui
suivirent pour le concert de clôture avec Mike Reinhardt. «But Not for Me»
acheva de nous convaincre qu’il était grand temps de reprendre le sentier qui
nous ramène vers d’autres concerts… lumineux!
Jean-Marie Hacquier
Photos: Pierre Hembise
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Pertuis, Vaucluse
Festival de Big Bands, 6 au 11 août 2018
Rendez-vous
apprécié des amateurs de grandes formations, le Festival de Big Bands de
Pertuis est porté, depuis vingt ans, par son président, Léandre Grau, qui est
l’âme de ce rendez-vous, tout comme Gérard Badini, son parrain. Drôle et chaleureux,
Léandre, qui dirige le Conservatoire de Pertuis (dont les élèves participent à
tous les niveaux au festival, musicien, régie, placement…) propose, depuis une
dizaine d’années, deux concerts par soirée: le premier généralement
consacré à des formations restreintes, du trio au sextet, le second consacré à
des big bands, le tout sur deux scènes différentes. L’ambiance y est détendue, conviviale, de vrais connaisseurs côtoient
des néophytes, le tout accompagné par près de soixante bénévoles qui
contribuent à faire de ce moment une manifestation ancrée dans le tissu
musical, artistique et amical de la ville. Le prix modique des places –voire la
gratuité de certains concerts– permet une vraie fréquentation populaire des
lieux. Si l’on ajoute les concerts d’après-midi en ville et l’organisation de masters
class d’improvisation et d’ensemble jazz –avec cette année Julien Armani (flh),
Christophe Allemand (ts) et Nicolas Sanchez (tp)–, nous avons-là une
manifestation partie prenante d’un véritable travail artistique sur la ville.
Lundi
6 août 2018, 19h30. Tartôprunes
A
Pertuis, c’est Tartôprunes qui ouvre le festival, depuis au moins Mathusalem,
avec un thème vestimentaire et une façon de présenter la musique et les
musiciens différente chaque année et toujours orientée vers l’humour façon potache.
La formation, tendance déjantée, s’est constituée autour d’élèves du
Conservatoire de Pertuis: certains sont devenus professionnels, d’autres
partagent le plaisir de faire de la musique en groupe, mélangeant répertoire jazz
(Claude Bolling …), variétés, reggae et rock & roll, le tout joué avec un
enthousiasme et un humour communicatifs. Cette année, il s’agissait d’un
hommage à Frédéric Mistral (!), au Félibre et toutes ces sortes de choses, dont
on conviendra que la correspondance avec ce qui va se passer sur scène n’apparaît
pas évidente au premier abord… Mais Alex Chagvardieff (g) tente le coup de
l’hommage, avant de revenir aux valeurs sûres de Tartôprunes, sous les vivats
du public très nombreux et dans lequel sont nombres d’amis des musiciens.
Ludique, fraternel, musical, tel est le déroulement du set. On se souviendra de
la version de «Paroles, paroles» de Dalida présentée ce soir-là,
comme celle de «Chacun fait (c’qui lui plaît)» du groupe Chagrin
d’Amour… On notera quelques chorus pris par Romain Morello (tb) et par
Valentain Halain (tp) qui témoignent d’une belle créativité associé à une
technique impeccable.
Tartôprunes: Maeva Morello (tp), Valentin Halain (tp),
Romain Morello (tb) Philippe Ruffin, Clément Serre, Alex Chagvardieff
(g),Caroline Suche (p), Maxime Briard (dm,) Bastien Roblot (g, perc, voc)
Lundi
6 août 2018, 21h30. Big Band de Pertuis
On se presse sur les gradins
pour assister au concert des enfants du pays: l’orchestre composé
essentiellement d’amateurs de haut niveau est ici chez lui. La présentation de
Léandre Grau témoigne de par son humour, sa décontraction et son ambition
didactique du caractère très inséré dans le tissu de la ville du chef et des
musiciens. Cet orchestre a d’année en
année acquis une certaine assurance qui lui permet d’interpréter un répertoire
constamment renouvelé. Ainsi, pour la première
partie, après «Beauty and the Beast»d’Ashman et Menken, c’est
avec «Children of the Night» de Wayne Shorter que le concert
démarre vraiment, avec un chorus de Christophe Allemand (ts) dans lequel on
perçoit les influences de l’auteur du morceau, suivi par un retour à un
répertoire plus «classique» avec« I’ve
Got My Love to Keep Me Warm» (présenté en un anglais sommaire et
approximatif par Léandre, lequel fait dans cet exercice, véritable running gag,
la joie du public) et «Cheek to Cheek»tous deux d’Irvin
Berlin, thèmes chantés par Alice Martinez, qui permet une respiration subtile
entre les parties purement orchestrales et les parties vocales. On enchaîne subito presto avec «Afro
Blue» de John Coltrane, dans lequel, outre le travail très ramassé, très
cohérent de la rythmique, Mickael Baez(as), Valentin Halain (tp), Romain Morello (tb) et Julien Sanches (p)
prennent une série de chorus qui se situent bien dans l’urgence et l’engagement
induit par le thème. On revient ensuite vers des choses plus attendues avec«Orange Sherbert», écrit par Sammy Nestico pour l’orchestre
de Count Basie, avec un chorus tout en rondeur de Valentin Halain. C’est
ensuite vers la bossa nova que l’on se dirige avec «Chega de
saudade» de Carlos Jobim avec un chorus de Mickael Baez (as),pour terminer cette première partie sur «Lullaby of Broadway» de Harry
Warrenet Al Dubin,et «New Suit for Zoot» de Les Hooper avec encore un beau chorus de Michael Bez.
La
deuxième partie débute avec un thème de Michel Legrand «The Windmills of
Your Mind» et une intervention de Lionel Aymes (tp) suivi par «Count
Me In» du répertoire de Count Basie, avant le retour d’Alice Martinez
pour «All of Me», le standard absolu écrit par Gerald Marks et Seymour Simons.Un grand moment du concert, un
tonnerre d’applaudissement pour Alice Martinez. C’est
«A-Tisket, A-Tasket», adapté et popularisé par Ella
Fitzgerald qui constitue le rappel, avec Alice Martinez, devant un public ravi
et chaleureux. Tant dans le choix
du répertoire, alternant standards et pièces moins habituelles que dans la
prestation des musiciens, du chef et des solistes, le Big Band de Pertuis est
en train d’acquérir une maturité et une personnalité musicale qui sont tout à
fait réjouissantes pour le devenir de ce projet artistique.
Big
Band de Pertuis: Léandre Grau (lead),Christophe Allemand (ts), Clément
Baudier(ts), Laurence Allemand (ts), Yvan Combeau (as) , Michael Baez (as),
Jérémie Laurès (bar), Jean-Pierre Ingoglia(tb), Romain Morello (tb), Lonny Martin (tb), Bernard Jaubert (btb, tu),
Yves Martin (btb), Yves Douste (tp), Lionel Ayme (tp), Roger Arnald (tp),
Valentin Halin (tp) ,Jean Marie Pellenc (tp), Gérard Grelet (g), Julien Sanches
(p), Bruno Roumestan (eb), Stéphane Richard (dm), Alice Martinez (voc)
Mardi
7 août 2018, 19h30. Masco en Quartet
La
formation est née quelque part entre les collines de Provence et les monts du
Chiapas. C’est la chanson française qui sort de ses frontières, qui flirte avec
le jazz, qui tourne autour des musiques latines. Porté par la voix chaude
d’Anne-Sophie Cabrillat, le quartet déroule un répertoire composé par la
chanteuse et son complice, Martin Detours, compositeur et arrangeur subtil, qui
déroule l’Amérique latine, la peine des hommes et le réconfort apporté par la
musique (le récit sur la façon dont son grand-père s’est vu proposer
l’instrument dont «personne ne voulait», à savoir la contrebasse,
par l’adjudant en charge de la fanfare pendant la guerre de 14-18), la vie et
la mort.
Le
batteur accompagne délicatement le bassiste, le trompettiste prend des chorus
tout en finesse et le moment fort du concert est atteint sur
«Catrina» qui parle de la façon dont au Mexique on rend hommage aux
morts. Le dialogue entre le piano et la batterie est un pur moment de plaisir
tant les deux instrumentistes prennent plaisir à se répondre, toujours
subtilement et avec un vrai sens mélodique pour l’une et l’autre. La dernière chanson, «pour les femmes,
et à propos de l’homme idéal» est introduite par un chorus de batterie tout
entier sur une ligne claire, très déliée, qui introduit parfaitement le propos d’Anne-Sophie
Cabrillat.
Masco en Quartet: Anne-Sophie
Cabrillat (lead, p), Cyril Latour (tp), Martin Detours (b), Laurent Planel (dm)
Mardi
7 août 2018, 21h30. Marignane School Big Band
Créé
en 1999, à l’initiative de Guy Badino, le Marignane School Big Band est composé
de dix-huit musiciens et est dirigé par le pianiste, compositeur, arrangeur et
professeur de jazz, Yves Laplane. L’objectif de la formation, au-delà du
partage d’une passion, est de proposer un travail suivi entre musiciens
professionnels, amateurs de haut niveau et les meilleurs élèves des classes de
jazz du conservatoire de Marignane sous la direction d’un chef expérimenté. Le
répertoire est composé de thèmes variés allant de la période des grands
orchestres (Benny Goodman, Duke Ellington, Count Basie..) à celle des standards
(Cole Porter, Jérôme Kern…) et enfin à celle de compositeurs plus récents (Dizzy
Gillespie, Miles Davis, Joe Zawinul…). Le concert commence avec un thème de
Dizzy Gillespie «Birks Works», avec des chorus très rapide de Jean-François
Aussin (ts), Christian Cayol (tp) et Christian Sanchez (as). La chanteuse,
Sophie Tessier, arrive ensuite sur «Passionate Rythm» de Gershwin avant
de se distinguer avec «Chega de saudade» de Jobim, pour continuer
avec «Lush Life» de Billy Strayhorn. L’orchestre reprend, toujours
avec Sophie Tessier, le thème d’Irvin Berlin popularisé par Ella Fitzgerald
«I’ve Got My Love to Keep Me Warm» que le public connaît
parfaitement depuis la vieille. Le morceau suivant se présente comme un hommage
du big band à Vincent Séno, le batteur qui dirigea notamment le big band de
Marseille et qui s’illustra dans maintes aventures musicales innovantes dans
les années 70 et 80. Yves Laplane faisait partie de la dernière formation de ce
big band marseillais et l’orchestre répétait au Hot Brass d’Aix en Provence. Le
morceau choix est «Smoke Get Into Your Eyes» qui fut joué par le
big band de Vincent Séno le 6 juillet 19988 en hommage à Chet Baker, juste après sa mort, alors que ce dernier
devait faire un concert avec ce même big band. L’arrangement est signé de
Marcel Picabet avec un chorus émouvant de Romain Morello (tb). On passe à plus
léger ensuite avec «The Pink Panther» de Mancini qui donne
l’occasion à Christian Bon (eg) de servir un chorus remarquable, suivi par
Bernard Cesari (dm), lui-même suivi par Olivier Pinto (b). On revient à un
thème de Sammy Nestico «The Blues Machine», écrit pour le big band
de Count Basie, avant de terminer la première partie avec
«Gibraltar» de Freddy Hubbard, un morceau propre, comme le dit Yves
Laplane, à permettre aux musiciens de se
«détendre un peu» et c’est bien le cas avec les parties d’ensemble
de cuivres jouées comme si la vie en dépendait. Le public ne s’y trompe pas et
salue l’ensemble d’une ovation méritée.
La
deuxième partie reprend sur les chapeaux de cymbale avec «The
Chicken» de Pee
Wee Ellisoù Roland Beauvois (tb) et Achille Autin (tb) se distingue fortement. Après un thème
de Sammy Nestico, c’est avec un extrait de «Sweet Charity» de Bob
Fosse que le concert continue avant de passer à un morceau de Paul Rodgers «It
Would Be so Nice» pour terminer avecune évocation toute en malice et virtuosité de «007» alias
«Goldfinger» de James Barry. Le titre suivant, «Happy Faces» de Johnny
Stitt, arrangé par Quincy Jones, donne
l’occasion à Jean François Osmont (ts) de nous gratifier d’un chorus qui
enflammera le public. C’est
Duke Ellington qui fournit le support du premier rappel, avec «Don’t Get
Around Much Anymore» et Chick Corea celui du second, avec le très reconnu
«Spain» qui verra le public quitter à regret le lieu du concert.
Marignane
School Big Band: Yves Laplane (lead, p), Christian Sanchez (ts), Pascal
Casalta (as),Jean-François Osmont (ts), Vincent Strazzieri (ts), Mireille
Hermitant (bar) Jacques Long (tp), Jean-Pierre Prunaret (tp), Bruno
Bousquet(tp), Christian Caillol (tp), Laurent Dorne (tp) Christian Ballaz
(tb), Johannes Finkbeiner (tb), Rolland Beauvois (tb), Achille Autin
(tb), Christian Bon (eg), Olivier Pinto (b), Bernard Césari (dm), Sophie Tessier (voc)
Mercredi
8 août 2018, 19h30. Kid Dutch & Renaud Perrais Quartet
Kid
Dutch est né à Orlando mais c’est New Orleans qui le constitue comme musicien,
jazzman, bluesman, chef d’orchestre, chanteur, multi-instrumentiste (trompette,
trombone, tuba), voyageur du monde, conteur, historien du jazz et experts en
instruments à vent. Il est la mémoire de la musique de la ville et c’est avec
le quartet de Renaud Perrais (ts, cl, tp, piccolo tp) qu’il tourne en Europe en
ambassadeur éclairé de cette musique. Cela raconte La Nouvelle-Orleans, ses
bistrots, ses voleurs, ses enterrements, ses musiciens… Sur le premier morceau «Chokobo
Finger Head», il s’agit du Mardi Gras, Kid Dutch alterne trombone,
trompette et chant pour nous raconter la façon dont ce moment est propice à certains
excès. Le thème suivant, un standard deblues «Baby Won’t You
Please Come Home» donne l’occasion à Kid de nous gratifier d’un chorus
sur trompette bouchée, alternant avec le travail très à l’écoute de Renaud
Perrais à la clarinette. Le quartet est un vrai écrin pour Kid Dutch qui
s’essaie au français sur «C’est magnifique» avant de prendre un
chorus de trompette joué dans un chapeau en métal qui lui donne un son très
particulier. Il enchaîne avec une berceuse popularisée par Louis Amstrong
«When It’s Sleepy Time Downsouth», qu’il jouait à tous ses concerts.
Dans
cette prestation dénuée de tout relent passéiste, c’est à une musique vivante
que nous sommes conviés, référée historiquement, où Kid Dutch sur une rythmique
talentueuse (l’unique chorus de Thierry Lutz le batteur, tout en tambour et
roulements), nous parle en musique du lendemain douloureusement migraineux du
Mardi Gras, des fumeurs de marijuana «Willie the Whipper»
d’Amstrong, des enterrements à New Orleans, avec une suite jouée par les
marching bands, aller et retour «New Orleans Function», «Just
a Closer», «Free as a Bird» et «All in Rainbow»,
aussitôt suivi du «Dr Jazz» de King Oliver, «my hero»
nous dit Kid. Il continue le set avec «Shoes on Your Feet» une de
ses compositions où nous sommes gratifiés de quelques conseils pour ne pas se
faire arnaquer à La Nouvelle-Orléans pour terminer avec un morceau qu’il joue
depuis l’enfance «Kid Thomas Boogie Woogie», au titre éloquent pour
donner «Ice Cream» en rappel.
Kid Dutch& Renaud Perrais
Quartet: Kid Dutch (lead, voc, tp, tb, tu), Renaud Perrais (ts, cl, tp,
pictp), Eric Gilles (bjo ténor), Jean-Francois Merlin (b), Thierry Lutz (dm)
Mercredi
8 août 2018, 21h30. San Andreu Big Band
Le
San Andreu Big Band est composé de jeunes musiciens, entre 8 et 21 ans, issus
de l’école municipale de jazz de San Andreu, près de Barcelone. Il se produit
non seulement en Espagne mais aussi dans
d’importants festivals, dont celui de Marciac. Quelques-uns des jeunes
musiciens ont même des carrières professionnelles, notamment Eva Fernandez (ts,
voc), Magali Datzira (b, voc), Marc martin (p), Paula Barzal (voc, tb), Andrea
Motis (g, bjo), Rita Payes (voc, tb). Le travail de Joan Chamorro (lead, b) a
constitué l’orchestre autour d’une assise rythmique solide sur laquelle évoluent
musiciens et chanteur(e)s qui, tout en ayant chacun leur instrument de
prédilection, se risquent aussi sur d’autres instruments. Cela demande beaucoup
de travail à ces jeunes musiciens et, si
l’on peut déceler ici et là quelques approximations dans les voix et les
chorus, personne ne s’y trompe et l’enthousiasme et l’engagement des jeunes musiciens
provoquent une vraie émotion dans le public.
Le
concert commence avec «I Was Doing all Right» de Gershwin,
introduit à la guitare et par la voix d’Alba Armengou, suivi d’un thème de Duke
Ellington, «I Let a Song Go out of My Heart», chanté par Andrea Motiz,et dans lequel Alba est à la trompette. On continue avec des thèmes classiquement joué par de grands
orchestres, tel «Mood Indigo» d’Ellington chanté ici par Joanna Casanova,
ou «I Got Rythm» de Gershwin, thème sur lequel on assiste à un beau
duo vocal entre Eva Fernandez et Paula Berzal, conclu par les garçons qui
donnent aussi de la voix. Le big band alterne ce répertoire avec, notamment
dans la deuxième partie, des morceauxissus de la bossa nova, tels que «Aguas de Março» ou
«Por toda la minha vida» toutes deux de Carlos Jobim avec un très
joli chorus de piano de Marc Martin ou «Doralice» écrit par Stan
Getz et Joao Gilberto. Mention spéciale pour «My
Blue Heaven» de
Walter Donaldson,enregistré notamment par Doris Day et sur lequel l’ensemble des chanteuses
offre une prestation toute en swing et en délicatesse. C’est avec «Jump
for Joy» d’Ellington que se termine le concert avant le rappel ou plutôt
les rappels avec «What’s New» de Bob
Haggart et «I Like You Hear It»
de Ray Charles. Le dernier titre donne bien l’ambiance de la soirée. Oui nous
avons tous aimé l’entendre!
Vendredi 9 août 2018
Les
trombes d’eau qui s’abattent sur Pertuis ont contraint les organisateurs à
annuler les deux concerts de la soirée Salsa, Tin ‘Del Batey et Pablo y su
Charanga
Vendredi 10 août, 19h30. Olivier Pinto Septet
Olivier
Pinto a participé, à la contrebasse ou à la basse électrique, à plusieurs aventures
musicales dans la région provençale: notamment aux débuts du Big Band du
CNRS, puis au Big band de Marignane avec Yves Laplane (avec lequel il a joué
ici mardi) et, côté classique, à l’Orchestre symphonique d’Aix-Marseille dirigé
par Sébastien Boin, puis à l’Orchestre Philarmonique de Provence de Bernard
Amrani. Il a constitué son propre septet en 2017, dont il signe les arrangements.
C’est autour du hard bop que se développe la musique du Septet, avec notamment
des compositions de Joe Henderson, Hank Mobley, Kenny Dorham et Horace Silver.
Et
c’est d’ailleurs avec «This i Dig of You» d’Hank Mobley que
commence le concert avec les quatre soufflants qui prennent des chorus à tour
de rôle, de plus en plus courts, qui contribuent largement à faire monter la
tension, appuyé par le jeu très précis d’Olivier Pinto, parfaitement complété
par celui de Raphael Sontag (dm), très fin et délié sur les cymbales. Les solos
pris par Jean Charles Parisi (ts) se
révèlent particulièrement propices à faire ressentir au public l’urgence
contenue dans le morceau. Le deuxième titre, composé et arrangé par Oliver
Nelson,«Yearning»,est attaqué dans la même veine, avant
une composition d’Olivier Pinto, «Bleu», qui donne l’occasion
d’écouter un chorus de Lionel Danzi (p), qui remplace ce soir le pianiste
habituel du septet, coincé entre deux avions. «Waltz for Sony», de Toots Thielmans, offre un vrai travail sur
le thème et ses variations par les
quatre cuivres, tant ensemble que lors des différentes interventions. Un des
moments forts du concert. On continue avec «Lotus Blossom» de Kenny
Dohram avant que le septet ne se transforme en trio piano-contrebasse-batterie
pour trois morceaux, dont un de Duke Ellington, puis «Valeria» de
Jérôme Matheron (le pianiste habituel du septet), puis «Beatrice»
de Sam Rivers. Le Septet se retrouve sur «No me esqueca» de Joe
Henderson qui verra là encore un joli travail d’ensemble des cuivres. «My
One and Only Love» la ballade jouée dans la version d’Horace Silver
donnera l’occasion à Olivier Pinto d’un chorus de contrebasse sur une ligne
claire qui sera à juste titre très applaudi. C’est «My Groove Your Moove»
d’Hank Mobley, un des premiers arrangements d’Olivier Pinto qui sera joué en
rappel.
Olivier Pinto Septet: Olivier
Pinto (b), Achille Autain (tb), Arnaud Farsy (as), Jean Charles Parisi (ts),
Etienne Leterrier (tp), Lionel Danzig (p), Raphael Sontag (dm)
Vendredi 10 août, 21h30. Vintage Orchestra
Créé
en 2000 par le saxophoniste Dominique Mandel, le Vintage Orchestra se propose, d’explorer
la musique du compositeur et trompettiste Thad Jones, lequel, avant de créer
son orchestre en collaboration avec le batteur Mel Lewis, avait fait partie du
big band de Count Basie. Rappelons que Thad Jones était le frère d’Hank Jones
(p) et d’Elvin Jones (dm). Si ses compositions instrumentales ont fait le tour
du monde et ont été enregistrées par une foule d’interprètes, ses arrangements
pour une voix de soliste, datant de la période 1965-1968 n’ont jamais été
rejoués ni même édités sous forme de partitions. Il a donc fallu exhumer cette
musique par un travail minutieux de réécoute et de transcription, auquel se
sont consacrés Dominique Mandin, Stéphane Guillaume, François Biensan, Jon
Boutellier et Erick Poirier, non pour en donner une restitution strictement fidèle
à l’original mais plutôt pour permettre à un orchestre soudé par quinze ans de
pratique commune du répertoire de Thad Jones de se réapproprier ces œuvres.
Le
premier morceau du concert donne le ton. Sur «Groove Merchant», le
big band se structure autour du pianiste, situation que l’on retrouvera tout au
long du concert. Il y a beaucoup de chorus de piano dans le répertoire de Thad
Jones, chorus conduit avec la section rythmique où Mel Lewis tenait un grand
rôle. On perçoit là une grande machine, un ensemble extrêmement cohérent dans
lequel les solistes, ici Jerry Edwards (tb), Ludovic Alamac (p) et Yoni Zelnik
(b) peuvent s’exprimer en toute liberté.
On continue avec «Second Raise», un blues, puis «All of Me» sur lequel
intervient le chanteur Ken Norris, voix chaude d’un vrai professionnel rompu à l’exercice du big band (il était venu
à Pertuis en 2016 avec le big band de Lutz Krajenski) avec un vrai talent
d’entertainer. Le thème «Get out
My Life» et la ballade composée par Duke Ellington «Come
Sunday» offre l’opportunité d’admirer la cohésion de l’ensemble avec le
chanteur et la capacité du Vintage
Orchestra à s’insérer dans ce projet de revisitation du répertoire vocal de
Thad Jones, avec un chorus de Jean François Devéze au sax baryton puis David
Sauzay au sax ténor. La première partie se conclue sur «It Don’t Mean a Thing».
A
la reprise, c’est encore une fois Louis Amstrong qui est à l’honneur avec
«Suite for Pops», écrit pour l’enregistrement en hommage à Louie, où
Andréa Michelutti (dm), Dominique Mandin, Jerry Edwards et Michael Ballu (tb)
prennent une suite de solos qui permet encore une fois d’apprécier le travail
d’ensemble des cuivres. Puis c’est le morceau exutoire, notamment nécessaire
dans un big band, «Fingers» qui débute très fort par un chorus de
Jerry Edwards au trombone, suivi de
Michael Ballu avant une partie d’ensemble des trombones tout à fait exceptionnelle,
juste avant qu’Olivier Zano (ts) et Thomas Savy (as) arrivent sur le devant de
la scène et se lancent dans un duo, avec des phrases de plus en plus courtes,
faisant monter l’adrénaline, et la rythmique qui elle aussi fait monter la
tension… Les musiciens exultent et le
public aussi. Grand moment qui montre à la fois la qualité des solistes, de l’ensemble
et de son directeur musical, Dominique Mandin. Ken Norris revient avec une reprise
de Ray Charles «Hallelujah I Love Her so» que se clôt le concert avec
deux rappels, «How Sweet It Is», le bien nommé, et «Us» qui fit les belles nuits du
big band de Thad Jones et Mel Lewis.
Vintage Orchestra:
Dominique Mandin (lead, ts), Olivier Zanot (ts), Thomas Savy (as), David Sauzay
(as), Jean-François Devèze (bar), Erick Poirier (tp), Lorenz Rainer (tp), Fabien Mary (tp), Julien Ecrepont (tp) Michael Ballue (tb),
Bastien Ballaz (tb), Jerry Edwards (tb), Martin Berlugue (tb), Ludovic Alamac
(p), Yoni Zelnik (b), Andrea Michelutti (dm), Ken Norris (voc)
Samedi 11 août 19h30. Belmondo Family Sextet
Mediterranean Soundmarque les retrouvailles musicales des frères Lionel (tp) et Stéphane (ts)
Belmondo pour un hommage vibrant à –et avec leur père Yvan (bar)–, à la musique
qu’il aime et qu’il leur a transmise. Le répertoire de la formation est choisi
par Yvan et mis en forme par Lionel, qui nous fait partager leurs influences:
jazz moderne, hard bop de la Côte Est et arrangements soignés de la Côte Ouest
avec quelques incontournables. «Je voulais écrire un disque qui ressemble
à mon père. Que l’on perçoive ses influences mais aussi les nôtres, qui sont
venues se rajouter aux siennes. On peut y entendre notre histoire du jazz, à
travers des standards que j’ai arrangés spécialement pour mettre en évidence ce
qui nous lie. Mais surtout c’est un hommage à celui qui nous a donné l’envie de
faire de la musique, qui nous a transmis l’esprit qui nous anime aujourd’hui,
ce respect des anciens et ce goût du partage, qui sont au cœur de nos
projets» explique Lionel Belmondo. C’est après une présentation très
personnelle de Léandre Grau (qui est un proche de la famille) que le concert
débute avec une composition d’Arthur Schwartz «Alone Together»,
arrangée par Lionel sur une inspiration donnée par l’écoute d’un disque de Chet
Baker, avec Yvan qui prend le premier chorus, rapide et virtuose, suivi par
Henri Florens (p), moderne et déstructuré suivi par Lionel lyrique à souhait. Puis,
c’est «Tangerine» de Victor Schertzinger, suivi de «Flamingo» de Ted
Grouya –immortalisé par Duke Ellington et
Errol Garner– et dans lequel Lionel prend un chorus en piqué, penché sur le
batteur, hors du micro, suivi par Stéphane au cornet, lui-même soutenu par le
bassiste. Le public ravi chavire dans la
fin d’après-midi: il n’y a plus personne à la buvette, tout le monde se
rapproche de la scène et suit l’affaire de très prés. Vient ensuite une pièce
tirée de l’opéra «Thais» de Jules Massenet, dont Lionel aspire à ne
faire rien de moins qu’un nouveau standard. On poursuit avec «Grooving Higher»
écrit en référence au «Grooving High» de Dizzy Gillespie par Conte
Candoli, trompettiste important de la scène West Coast, puis c’est «Hi
Fly» de Randy Weston où l’on ressent encore une fois l’extrême liberté
qui règne dans le sextet. Henri Florens prend un chorus très
«monkien», introduisant quelques subtiles dissonances suivies par
Jero Portal à la contrebasse, très mélodique, pendant que les deux frères
continuent de s’approcher et de s’éloigner des micros, donnant un son très
particulier au sextet selon leur position et renforçant le caractère libre et
live du set. Il s’agit bien d’un hommage, un hommage à la musique vivante, dont
il convient, nous dit Lionel, «de faire profiter les gens vivants, pas
que les décédés».
Belmondo Family Sextet: Yvan Belmondo (bar),
Stéphane Belmondo (tp, cnt), Lionel Belmondo (ts), Henri Florens (p), Jero
Portal (b), Christian Tonton Salut (dm)
Samedi 11 août 19h30. BBC Big Band
Les
origines de ce big band remontent aux débuts de la BBC et à la création de l’original
«BBC Dance Orchestra» en 1928. L’âge d’or des années 30 a vu la
formation devenir une célébrité avant qu’elle ne soit rebaptisée «BBC
Showband», sous la direction notamment de Cyril Stapleton, et commence à
se produire avec différentes stars internationales comme Frank Sinatra ou Nat
King Cole. Dans les années 60, l’orchestre devient le «BBC Radio Big
Band», sous la direction de Barry Forgie, qui assurera la pérennité de
l’orchestre jusqu’à la fin de la décennie. Après la décision de la BBC en 1991 de
mettre fin à son big band et la forte réaction du public, un accord est trouvé
en 1994 pour assurer l’existence de la formation sous une forme indépendante de
la BBC, mais en conservant son nom et son identité. Des concerts avec invités prestigieux
(Ray Charles, Georges Benson, Tony Bennett, George Shearing, Manhattan
Tranfert, Lalo Schifrin…) ont contribué à maintenir la grande notoriété du big
band. Il est actuellement dirigé par Jiggs Whigham.
Le concert débute avec «Love for Sale» de Cole Porter et l’on
perçoit d’emblée que nous avons affaire à une splendide machine où le
contrebassiste, Jeremy Brown, très en avant, va être un maillon essentiel. Les
parties d’ensemble où chaque pupitre joue sa partition claquent dans la nuit
pertuisienne. On continue avec un thème de Benny Goodman avant «Sweet
Georgia Brown» de Maceo Pinkard et Ken Casey, qui fait partie depuis
longtemps du répertoire du big band. C’est sur ce morceau qu’intervient Anthony
Kerr (vib) qui produit un chorus virtuose qui enchante le public. On constatera
durant tout le concert la façon dont le vibraphoniste s’insère dans
l’orchestre, non seulement comme ponctuation mais clairement intégré à
l’ensemble, notamment au niveau des cuivres. La chanteuse Ray Martin arrive
ensuite sur une composition de Gershwin, aussitôt suivi par «That Old
Black Magic» où sa voix et son sens du swing s’intègre parfaitement avec
la prestation de haut vol de l’orchestre. Sur le thème suivant, encore de
Gershwin, Anthony Kerr prend un nouveau chorus qui montre toute l’étendue de
son talent. La première partie se termine sur un nouveau thème de Duke
Ellington, avec un duo de sax ténor très rapide suivi par une intervention très
remarquée de Jay Craig au sax baryton.
La
deuxième partie commence par un titre de Tommy Dorsey, suivi par un thème d’Artie Shaw «Begin
the Beguine» avec un splendide solo de clarinette donné par Martin
Williams. Sur le thème de Count Basie qui suit «Little Town», issu
de Atomic Basie, on apprécie la précision millimétrique des parties d’ensemble
succédant aux chorus. Suit Wild de Lionel Hampton à propos duquel Jiggs Whigham
nous dit que le caractère «wild» de l’orchestre d’Hampton (connu
pour être peu discipliné) est difficile à reproduire par des musiciens anglais…
Pour autant, Anthony Kerr, une nouvelle fois mis en avant, n’a eu aucune
difficulté à jouer «wild»! La chanteuse revient sur un thème
popularisé par Sarah Vaughan avant de reprendre «Cheek to Cheek»,
toujours d’Irvin Berlin et de finir par un thème blues de Count Basie
«Dancin’», où l’on perçoit bien que le solo furieusement
acrobatique de Gordon Campbell (tb) dure plus longtemps que prévu, empêchant le
pupitre de trompettes d’intervenir. Les trompettes interviendront douze mesures
plus tard! Jouissif!
BBC Big
Band: Jiggs Whigham (lead), Mike Lovatt (tp), Pat White (tp), Danny Marsden
(tp), Martin Shaw (tp), Gordon Campbell (tb), Andy Wood (tb), Ashley Horton
(tb), John Higginbotham (tb), Howard McGill (ts), Sammy Mayne (ts), Paul Booth
(as), Martin Williams (as), Jay Craig (bar), Tommy Emmerton (eg), Anthony Kerr
(vib), Robin Aspland (p), Jeremy Brown (b), Tom Gordon (dm), Ray Martin (voc)
Texte et photos: Christian Palen
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Pléneuf-Val-André, Côtes d'Armor
Jazz à l'Amirauté, 10 juillet au 28 août 2018
Toujours et encore
dans le très beau Parc de l’Amirauté, à deux pas de mer, dont on nous a dit
qu’il subirait bientôt de profondes transformations, avec en fond de scène la belle
bâtisse qui fait le charme d’un ensemble entourée de très beaux arbres
centenaires, se déroulait en cet été 2018 la 23e édition du festival
de jazz. Toujours gratuit et organisé par une équipe enthousiaste et
volontaire, ayant comme souci principal de proposer du jazz sans compromis tous
les mardis de juillet et d’août, cette édition a encore réuni cette année une
forte assistance (plus de 1000 personnes à chacune des soirées, et encore 700
personnes le 10 juillet malgré une demi-finale de coupe du monde de football). Ici, le service
d’ordre est discret, et tout se déroule dans une harmonie parfaite entre
scène et public pour faire de ce festival un moment de simple plaisir musical.
Comme d’ordinaire, Jazz
Hot était présent à l’une des soirées, le 14 août, mais des échos nous sont
parvenus pour nous dire qu’il y eut avant cette date d’excellents moments comme
le Just for Swing (10 juillet) des frères Bertrand, le duo Raphaël Lemonnier et
Angie Welles (17 juillet), le 3 for Swing de Jacques Schneck (24 juillet) et
les Oracles du Phono, un all stars made
in France avec
Daniel Huck, Stan Laferrière, Nicolas Montier, Jacques
Sallent, Christophe Davot, Benoît de Flamesnil, Nicolas Fourgeux (7
août). Le 14 août, nous avions rendez-vous avec une formation inédite
autour du trio de Philippe Duchemin (p), le parrain heureux de ce
festival, avec
ses complices Patricia Lebeugle (b) et Nicolas Peslier (g). Le pianiste
avait
invité les Sisters in Swing, «la brune et la blonde» telles qu’elles
furent
présentées avec humour et sans prétention en référence à la comédie
musicale Gentlemen Prefer Blondes (Les Hommes préfèrent les blondes)
d’Howard Hawks, la seule qu’il réalisa, avec Tina May dans le rôle de Marilyn
Monroe et Pauline Atlan dans celui de Jane Russell, un casting tout à fait
réussi où le caractère pétillant de Tina May faisait contrechant au feeling
plus retenu de Pauline Atlan. Pour être des amies de longue date, elles
n’avaient jamais croisé leur chant sur une scène, et c’était donc la première
d’une rencontre inédite. L’esprit fut swing, jazzy par moments
Le répertoire commença par «A
Little Girl From Little Rock» et se termina, avant le rappel, par «Bye
Bye Baby», deux thèmes de la comédie musicale évoquée plus haut, puis
fit de
nombreux détours par tous les états d’âme tour à tour explosifs,
sentimentaux,
intenses, ludiques, avec des évocations de Frank Sinatra («September in
the Rain», «Come Fly With Me», «Too Marvelous for
Word»), de Cole Porter («True Love»), de Billie Holiday
(«Good Morning Heartache»).
Après un intermède en trio, pour un beau «Daahoud»
de Clifford Brown ou chacun des instrumentistes brilla, le club des cinq
attaqua un medley des Beatles, dans un traitement jazzy de bon niveau, mais le
moment le moins captivant pour votre serviteur malgré l’évocation du
«Can’t Buy Me Love» d’Ella Fitzgerald. On passa ensuite à l’inévitable référence à Nat King Cole
(«Walkin' My Baby Back Home») avant de revenir à un registre plus
dynamique et jazz avec un «Take the 'A' Train» bien enlevé où les
deux chanteuses firent preuve de leur brio et de leur complicité.
Quand le concert sembla s’achever sur le retour à «Bye Bye Baby» et à Les Hommes préfèrent les blondes, Tina May annonça la «surprise du chef» à savoir la présence dans
l’assistance de son phénoménal compatriote Bruce Adams: le trompettiste
écossais était venu en voisin (il séjourne en Bretagne), et ne s’est pas fait
prier pour participer à un rappel qu’il dynamita avec sa fougue habituelle et
son talent d’instrumentiste hyper-expressif qui réunit les qualités de ses
maîtres Cat Anderson (pour les aigus), Cootie Williams (pour la wah-wah) et
Louis Armstrong dans la puissance et la clarté d’émission. Au programme de ce
nouveau concert si l’on peut dire: «Them There Eyes» et «It Don’t
Mean a Thing If It Ain’t Got That Swing», le swing dans tout son éclat, de
Billie Holiday et Ella Fitzgerald à Duke Ellington, en passant ce jour-là par Bruce Adams et une
excellente formation où le trio de Philippe Duchemin entoura avec énergie
(Patricia Lebeugle), fluidité à la Barney Kessel (Nicolas Peslier) et fulgurance
à la Oscar Peterson (Philippe Duchemin), deux chanteuses talentueuses, complices
en swing comme deux sœurs…
C’est la qualité de ce festival de ne pas mentir sur son
projet et sur ses affiches, et de proposer du jazz qui swingue. Le public fut
soulevé par ce point d’orgue inattendu, et ravi d’une soirée qui avait tenu au-delà
de ses promesses. Les cieux le furent sans soute aussi puisque quelques perles
de pluie vinrent saluer la dernière note sans refroidir nullement
l’enthousiasme du public. Il
restait encore deux soirées pour clôturer Jazz à
L’Amirauté en 2018 dans cette belle station balnéaire de la Côte
d'Emeraude (le 21 août avec Romane, Enzo Mucci, Claude Tissendier,
Gilles Chevaucherie, et le 28 août avec
le Harlem Rhythm Band). Gageons qu’elles ont été à la hauteur de l’ensemble de
l’édition. On espère que la prochaine édition pourra se dérouler dans un Parc
de l’Amirauté préservé dont l’esprit –une autre belle pinède– n’est pas pour
rien dans le succès de cette sympathique équipe et de ce bon festival de jazz.
Texte et photos: Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Ospedaletti, Italie
Jazz Sotto le Stelle, 8 au 10 août 2018
C'est
toujours un plaisir de retrouver, début août, l'auditorium communale d'Ospedaletti où se tenait la 15eédition du festival Jazz Sotto le Stelle organisé par l'équipe de notre ami et correspondant
Umberto Germinale, tant les conditions d'écoute et la proximité avec les
artistes y sont parfaites.
C'est le
projet Ottimo massimo d'Andrea
De Martini (ss, ts, comp, arr) qui ouvre le bal, le 8 août. Dans une veine
jazz-fusion et dans l'esprit des Brecker Brothers ou de Pat Metheny, selon les moments. Les très valeureux
musiciens de San Remo –Lorenzo Herrnhut (g), Francesco Bertone (b) et Enzo
Cioffi (dm)– étaient épaulés pour illustrer leurs répertoire par quelques
invités prestigieux, au rayonnement plus médiatisé: Gianpaolo Casati
(tp), Luigi Di Nunzio (as) et le fantastique Antonio Faraò (p), donnèrent à cette prestation un lustre post bebop supplémentaire, pour un concert de près de deux
heures, très applaudi.
Le lendemain,les Dream Weavers de Gavino Murgia (ss), Nguyên Lê (g, b, synth) et
Mino Cinelu (perc) doivent se réfugier dans la petite halle de l'ancienne gare
qui contient à grand peine les spectateurs que la pluie n'a pas découragés.
Adeptes, voire proches de Miles Davis ou Joe Zawinul (Mino Cinelu a joué dans
leurs formations), les trois musiciens s'aident de nombreuses machines dont le
maniement semble les accaparer davantage que leurs instruments conventionnels.
Ils improvisent une musique de climats, expérimentale, très électronique, étrange,
onirique, que certains trouveront envoûtante, quand d'autres regretteront le
caractère trop aléatoire du processus créatif...
Retour à
l'amphithéâtre le troisième et dernier soir, pour une musique plus aérée, avec le groupe réuni par Rosario Bonaccorso
(b, voc) qui comprend Fulvio Sigurt (tp, flh), Dino Rubino (p) et Alessandro
Partenesi (dm), et, comme special guest, le distingué Stefano Di Battista (ss).
Reprenant, avec les mêmes pianiste et batteur, le répertoire de A Beautiful Story, son dernier album, Rosario
Bonaccorso, qui aime doubler de la voix ses lignes de basse, présente ici de
très belles compositions, lyriques à souhait. Le trompettiste et le
saxophoniste se font un plaisir de les prolonger par des improvisations
brillantes, dynamiques, gorgées d'invention et de swing. Les spectateurs sont,
cette fois, unanimes: ils ont assisté à un superbe concert. Umberto Germinale,
très ému, a même eu droit, en second rappel, à un spécial «happy
birthday» à la manière réjouissante du Dirty Dozen Brass Band, enrichi de
très longs développements mélodiques, comme si les musiciens voulaient faire durer le plaisir encore et encore.
Daniel Chauvet
Photos: Giulio Cardone, by courtesy of Jazz Sotto le Stelle d'Ospedaletti
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône
Festival de Jazz d'Aix, 5 août 2018
C’est la première édition du Festival de
Jazz à Aix-en-Provence, organisé par l’association «Les
Harmonistes», fondée il y a à peine quelques mois, et qui ambitionne d’en
faire une manifestation estivale pérenne, accompagnée d’une programmation en
saison dans différents lieux à travers le Pays d’Aix, autour de «toutes
sortes de jazz». Le but étant aussi de promouvoir de jeunes talents,
notamment de la région, laquelle compte de nombreux musiciens peinant à
trouver des endroits où s’exprimer. En outre, l’association, présidée
par Alain Calas, est en lien avec d’autres organisations locales comme Jazz Folla ou
le festival Marseille Jazz des Cinq continents. Elle souhaite fonctionner sur fonds
propres, sans contraintes, sans subventions publiques donc, même si la mairie d’Aix-en-Provence
a mis le parc de la Torse à sa disposition pour cette soirée inaugurale, qui
restera la seule date de cette première édition 2018.
Dee Dee Bridgewater est ainsi la
première artiste invitée par le festival, accompagnée de l’orchestre Memphis
Soulphony (Coris
Polyum, tp, Brian Mafat, ts, Dale Smith,
kb, org, Clinton Johnson, g, Carlos Sergent, dm, Money Owens, Scarlet Jordan, voc), pour un concert tout entier dédié à la
musique qui constitua la bande son de son adolescence, la musique de
Memphis, qu’elle écoutait sur «son transistor», nous dit-elle, «avec une petite feuille d’aluminium pour améliorer la réception»,
sur la station de radio WDIA, qui a commencé à émettre à Memphis à la fin des
années 1940 et passait de la musique afro-américaine, et que Dee Dee écoutait en
cachette de ses parents. On conviendra qu’il s’agit là de choses profondément
ancrées et qui sont constitutives d’une personnalité musicale. Son dernier album, Memphis…Yes, I’m Ready (Okey/Sony), est consacré à ce
répertoire.
Elle attaque le concert, très en forme,
avec «Soul Finger» des Barkeys et d’emblée le ton est donné. Ce
sera soul et elle va, avec la musique et avec ses mots, nous parler de
l’endroit d’où elle vient, de ce qu’elle pense, de ce qu’elle sent. Puis, c’est
«Going Down Slow» de St. Louis Jimmy Oden, un blues dans lequel Clinton Johnson (g) prend un chorus sur très peu de
notes, avant de laisser la place à Dale Smith (kb, org), le directeur musical,
avant la reprise par Dee Dee, puissante, expressive, chaleureuse. Entre chaque
morceau, elle plaisante, en anglais puis en français puis de nouveau en
anglais, éventuellement avec un accent français outré avant de retraduire en
anglais pour les musiciens, distillant un humour de dame indigne, qui se permet
des allusions sexuelles appuyées avec ses jeunes musiciens, de les tripoter,
de les séduire comme elle séduit le public.
Suit «Giving up» le tube de Gladys
Knight & The Pips, qu’elle reprend splendidement, soutenue par les deux
choristes de haute-volée, Money Owens et Scarlet Jordan avec Carlos Sergent (dm)
qui tient parfaitement l’édifice. Grand moment avec «Why? Am I Treated so Bad» des Staple
Singers où elle évoque ce qui s’est passé à Little Rock
dans l’Arkansas en 1957, quand neuf élèves afro-américains, avec le soutien de
la NWACP, décidèrent d’aller dans un lycée réservé aux Blancs; épisode
dans lequel s’illustra le gouverneur Faubus, celui des «Fables» de
Charlie Mingus. Elle poursuit avec un hommage à Obama avant une version très
concernée du tube de Carla Thomas, «the Queen of Memphis soul»:
«B-A-B-Y», puis «Don’t Be Cruel» (d’Otis Blackwell et
Elvis Presley, titre qui constitua d’ailleurs la seule collaboration du King avec
un artiste afro-américain), dans lequel le duo avec Brian Mafat (ts) est un
grand moment du concert. Dee Dee saisit alors l’occasion pour nous parler du
son de Memphis, pas du tout arrangé pour plaire à tout le monde, contrairement
à celui de Tamla Motown nous dit-elle, mais constitué d’un mélange de soul,
rock, gospel, soit «un mélange très spécial pour des gens très spéciaux».
Autre grand moment et apprécié comme tel par le public, le long chorus de
trompette, très délié, mid-tempo, bluesy à souhait, pris par Coris Polyum sur
«The Sweeter He Is», une reprise du groupe The Soul Children,
constitué chez Stax par Isaac Hayes. La nuit aixoise en est illuminée. Dee Dee
enchaîne avec une intervention sur la situation faite aux femmes aux Etats-Unis
et dans le monde avant de saluer B. B. King avec «The Thrill Is
Gone».
En rappel, «Try
a Little Tenderness» d’Otis Redding, clôt la soirée, titre adressée comme
un viatique, par une chanteuse qui vient d’offrir l’image même de
l’authenticité.
Texte et photo: Christian Palen
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Ystad, Suède
Ystad Sweden Jazz Festival,
1er au 5 août 2018
Si
les festival d’Ystad demeure
sympathique par son esprit bon enfant et la simplicité de ses
fonctionnements
«à l’ancienne» (la presse et le public ont la plupart du temps
facilement accès aux artistes, il n’y a pas de restriction pour les
photographes et l’organisation est assurée par une équipe de bénévoles
souriants et dévoués) et s’il est encore possible d’y entendre quelques
excellents concerts de jazz, la tendance déjà observée l’année dernière
de
resserrement de la programmation (toujours assurée par le pianiste Jan
Lundgren) autour d’artistes scandinaves, dont le travail relève souvent
des musiques improvisées plus que du jazz se
confirme. Les têtes d’affiches américaines présentait cette année un
intérêt moindre, exception faite de la somptueuse performance de Monty
Alexander, invité d’honneur de cette édition 2018 et du concert de
Cécile McLorin
Salvant en ouverture.
Le 1er août, le festival a débuté en fin de matinée avec un
concert et une parade menés par la formation suédoise de jazz new
orleans
Second Line Jazz Band, tandis que le premier grand concert, avec le
quartet de
Cécile McLorin Salvant, se déroulait dans le complexe sportif de l’Ystad
Arena,
à 17h. Nous n’étions malheureusement pas encore arrivés à Ystad pour
couvrir ces
événements. La compagnie aérienne n'a pas tenu compte du jazz, une fois
de plus… Le festival a donc commencé pour nous à 20h, à l’Ystad
Arena, avec le show vocal de Manhattan Transfer. Le public était au
rendez-vous
pour écouter ce quartet historique, en activité depuis 1972 (une
première
version du groupe a existé de 1969 à 1971 avant de se dissoudre), qui
comprend
Alan Paul, Janis Siegel (présents depuis 1972), Cheryl Bentyne (arrivée
en
1979) et Trist Curless (qui a remplacé le fondateur, Tim Hauser, en
2014, après
son décès). Les quatre vocalistes sont accompagnés par un trio mené par
Yaron
Gershovsky (p), lui aussi de l’aventure depuis l’origine, qui comprend
également Gary Wicks (b) et Steve Haas (dm). Manhattan Transfer a ainsi
déroulé
ses titres les plus connus: «Route 66», «Joy
Sping» de Clifford Brown –tiré d’un de leur plus gros succès,
l’album Vocalese (Atlantic, 1985),
dont les paroles de chaque chanson avaient été écrites par Jon Hendrix– ainsi
que le fameux «Birdland» adapté de Weather Reaport. Si ce spectacle
façon «cabaret», parfaitement chorégraphié, a donné lieu à
quelques bons moments, comme le «solo de trompette» de Janis Siegel
sur «A Tisket a Tasket», en hommage à Ella Fitzgerald, on a fini
par trouver le temps long et ce n’est ni l’extrait de leur nouveau disque, The Junction (2018): «Sometimes I
Do» (de la pop) ou leur tube en rappel,
«Chanson d’amour» qui pouvaient redonner de
l’intérêt à un spectacle quelque peu aseptisé.
Le lendemain à 11h, dans la jolie cour de Per Helsas Gård, se
produisait Ellen Andersson (voc). Débutant le concert simplement en duo avec
son guitariste, Anton Forsberg, celle-ci a séduit par son joli timbre et
l’interprétation sans fioriture de «Lady Be Good» et «I’ll Be
Seeing You». Le reste du quartet (Hannes Jonsson, b, Sebastian Brydniak,
dm) l’a ensuite rejointe et le concert a en partie dérivé sur une
sorte de pop jazz La version de «Gloomy Sunday» permît de renouer avec la bonne impression du début. Le début de
soirée resta timide, avec le retour de Youn Sun Nah (voc) à Ystad
(à 19h, au théâtre): elle s’était en effet produite en duo avec Ulf Wakenius
(g) lors de la première édition du festival et était revenue l’année suivante.
Avec un quintet à la tonalité jazz-rock (Tomek Miernowski, eg, Frank Woeste, p,
ep, org, Brad Christopher Jones, b, Dan Rieser, dm), la Sud-Coréenne a fait son
habituelle démonstration technique, loin de l'esprit du jazz jazz.
Cette
timidité fut admirablement compensée par la somptueuse
leçon de swing qu’administra le grand Monty Alexander (à 23h, au
théâtre),
invité d’honneur de ce Ystad Sweden Jazz Festival 2018. Bien que le
pianiste
soit apparu les traits tirés et paraissait souffrir quelque peu de la
main
gauche, il se présenta au public souriant et décontracté. La fluidité de
son
jeu, relevé par des épices caribéens, nous régala du meilleur jazz avec
le
soutien des excellents Hassan Shakur (b) et Obed Calvaire (dm). Un
concert
parfait où le plaisir la beauté et le plaisir se loger dans chaque
morceau, du
blues à la reprise du célèbre «No Woman, No Cry». Depuis plusieurs
années, Monty Alexander alterne albums jazz et projets tournés vers le
reggae
et la musique jamaïcaine. Si ses aventures (assumées et revendiquées)
n’ont pas toujours convaincu (ces disques ont été chroniqués dans Jazz Hot), le pianiste a transformé ce
soir-là en une jolie ballade jazz le tube de son compatriote Bob Marley, sans
en expurger totalement le rythme reggae. S’adressant volontiers au public entre
deux morceaux, Monty rappela le coup de pouce que lui apporta Frank Sinatra en
1962, lequel le fit engager dans le club de son ami Jilly Rizzo, le Jilly’s, à
New York, dont il devint le pianiste attitré pendant quatre ans. En hommage, il
interpréta «In the Wee Small Hoursof the Morning» et «I’ve Got You Under My Skin». Et
Monty de poursuivre son récital de façon aérienne, glissant sur les belles
lignes de basse d’Hassan Shakur, et écoutant mourir les dernières notes d’un
morceau, les mains suspendu sur le clavier, s’apprêtant à prolonger le son du
bout du doigt et laissant finalement la musique s’éteindre doucement, comme
pour éviter une note de trop. C’est tout l’art de Monty Alexander: son
abord du piano n’a rien de démonstratif; il joue simplement d’une
expression claire et profonde, naturellement swing. On l’entendit enfin au
melodica sur le dernier morceau. En fin de concert, il prit de nouveau la
parole pour expliquer qu’il avait subi une attaque cinq jours plus tôt,
laquelle l’avait laissé temporairement paralysé de tout le côté gauche. On
comprit alors pourquoi cet éternel jeune homme semblait tout d’un coup accuser
davantage le poids des ans. Il n’en reste pas moins un musicien lumineux,
proclamant que ce malheureux épisode marquait un nouveau départ dans sa vie. Et
c’est celle qui la partage qu’il appela sur scène pour le rappel, son épouse et
manager, Caterina, qui interpréta une jolie chanson italienne.
Le 3 août,
pour le concert de 11h, le pianiste, chanteur, auteur,
compositeur et homme de télévision Jan Sigurd (p, voc) rendait hommage à
Monica
Zetterlund (une icône du jazz en Suède qui avait fait l’objet d’une
soirée
spéciale à l’Ystad Arena en 2017, voir notre compte-rendu), dont il
avait
composé les musiques de son ultime album, et à Mose Allison qu’il a
contribué à
populariser auprès du public suédois dans les années 1990. Il était pour
cela
accompagné d’un sextet et de trois invités: Anna-Lena Brundin (voc),
Tomas
Franck (ts) et le Français Sébastien Charlier (hca). La voix éraillée de
Jan
Sigurd donne du caractère à son interprétation des standards
(«Sway»…) et lui confère sur le blues (avec un de ses titres,
«Come Along to St. Louis») des faux-airs de Dr. John assez savoureux.
Ses autres compositions étaient décevantes, effet accentué par les
interventions lénifiantes de Lena Brundin –passée par les cabarets
berlinois
et le tango argentin– et d’autant plus regrettable que l’orchestre était
dans
son ensemble d'excellent niveau.
L’après-midi, à 15h, dans la charmante cour fleurie du Hos Morten Café,
on eut l’occasion de découvrir une formation autochtone intéressante avec
Trinity: Andreas Hellkvist (org), Karl Olandersson (tp) et Ali Djeridi
(dm). Ce trio, créé en 2005, vient de sortir son quatrième album, Nuages. Proposant une relecture groovy
et festive des standards, ainsi que quelques bons originaux, tout à fait dans
le ton («Philosophical Sanday Walk»), on a apprécié de l’entendre
sur «Honeysuckle Rose», «On the Sunny Side of the
Street» ou encore «Nuages» dans une excellente version. Cette prestation réjouissante
s’est achevée avec «The Preacher» d’Horace Silver, titre sur lequel
le trompettiste est descendu parmi le public, donnant à ce final des accents
venus de New Orleans.
A 21h, à Löderup, petite localité de 500 habitants à proximité d’Ystad,
s’est tenu, dans un charmant dancing des années 1900 encore «dans son
jus», le concert de Goran Kajfeš (tp, kb, Jazz Hot n°678), lequel présentait son dernier projet, Tropiques,
qui est un prolongement de
son Subtropic Arkestra, avec un effectif plus réduit: Alexander Zethson
(p, kb), Johan Berthling (eb) et Johan Holmegard (dm, perc). Musicien au
foisonnement éclectique, Goran Kajfeš s’exprime tantôt dans un jazz free
marqué
par le folk suédois (comme avec son quintet Oddjob), tantôt dans un
ailleurs
toujours très inventif et en l’espèce une musique de fusion dense mais
accessible, bien servie par des sonorités électroniques utilisées sans
abus.
Le 4 août, la journée a débuté, à 11h, avec le quartet de la chanteuse
britannique Trudy Kerr augmenté d’un invité, l’altiste finlandais Jukka Perko,
pour une évocation de Paul Desmond. Si le saxophoniste emblématique du Dave
Brubeck Quartet n’est pas le plus hotde l’histoire du jazz, il méritait mieux que cet hommage servi par des
instrumentistes consciencieux et une chanteuse peu inspirée. Outre l’inévitable
«Take Five» et quelques autres standards représentatifs de la
collaboration Desmond/Brubeck, on n’échappa pas à Simon
& Garfunkel, «Mrs Robinson», dont Paul Desmond avait enregistré
une version en 1970 (Bridge Over Troubled
Water, A&M Records).
Si
les concerts du matin ont été globalement décevants en cette édition
2018, on eut, à l’inverse, une deuxième bonne surprise au Hos Morten
Café, à
15h, avec les Allemands du Christian Bekmulin Quartett. Encore une
formation
avec orgue (Lutz Krajenski), menée par un jeune guitariste. Si le
batteur,
Nathan Ott, a sensiblement le même âge que le leader, le ténor Stefan
Abel,
tout comme Lutz Krajenski, est un musicien plus expérimenté. C’est donc à
un
dialogue entre deux générations auquel on assiste, autour d’une musique
inspirée par Wes Montgomery, le principal modèle de Christian Bekmulin.
Ce furent majoritairement des compositions originales qui furent
présentées, servies avec un groove
réjouissant. Un bon moment de jazz.
Les concerts à caractère historique ne sont jamais légion à Ystad, d’où l'idée de reléguer
la prestation (à 21h30) du clarinettiste et saxophoniste Sammy Rimington (as,
fl, voc, 1942), figure du revival New
Orleans en Angleterre, dans l’abbaye d’Ystad, bordé par
un petit jardin médiéval au milieu d'un parc charmant. Le Britannique –entouré
du Belge Philippe de Smet (tb), des Néerlandais Wouter Nouwens (bjo) et Emile
van Pelt (p) et de Gregory Boyd, natif de Milwaukee (Wisconsin) résident
danois de longue date– a su en tirer son parti en glissant quelques spirituals
au milieu des standards caractéristiques de Crescent City, notamment un medleyconsacré à Mahalia Jackson. L’ensemble de la prestation fut
agréable.
La dernière journée du festival, le 5 août, a démarré fort tôt: 5h20 du
matin! Il s’agissait de proposer aux courageux une expérience
inédite: assister au lever du soleil dans un cadre magnifique, le site de
mégalithes de Ales Stenar, un petit Stonehenge, à quelques kilomètres
d’Ystad, perché sur une falaise au bord de la mer. L’endroit est en soi magique
et y voir progressivement naître la lueur du jour, avec tous ses changements de
nuances, est un spectacle exceptionnel qui se suffit à lui-même. Cependant,
afin d’assurer une ambiance mystique, le festival avait donné carte blanche à Nils
Petter Molvaer (tp). Dans le froid et le vent de l’aube suédoise, le Norvégien,
assisté d’un ordinateur portable, s’est livré à une longue improvisation solo,
agrémentée d’effets électroniques.
Retour ensuite à Ystad, dans la cour de Per Helsas Gård pour le concert de 11h
(grande tasse de café obligatoire!) pour écouter la chanteuse britannique
Claire Martin accompagnée de son compatriote Jim Mullen (g) et d’une rythmique
scandinave (Magnus Hjorth, p, Thomas Ovesen, b, Kristian Leth, dm). Encore un
hommage à Wes Montgormey, disparu il y a tout juste cinquante ans. De
«Bumpin’ on Sunset» à «Goin' Out of My Head»
l’évocation a été à la hauteur.
A 17h, au théâtre, se produisait Lizz Wright en tournée promotionnelle
pour son dernier album paru chez Concord Jazz: Grace. Une nouvelle fois, la chanteuse a présenté des compositions
personnelles déployées dans un univers entre folk et soul, avec la touche
gospel caractéristique de cette artiste originaire de Georgie. Car Lizz Wright
a un talent vocal exceptionnel, une expression naturelle qui a mûri à
l’église. Aussi, on reste un peu perplexe devant la veine pop alors qu’elle sait interpréter les
standards du jazz de façon impériale! Mais c’est un choix assumé et
revendiqué par la jeune femme. On s’est tout de même consolé avec un de ses
morceaux originaux, dans l’esprit Ray Charles, «Singing in My Soul» qui rend véritablement grâce à ses qualités artistiques.
Enfin,
à 20h, le festival s’est achevé là où il avait débuté pour nous,
dans le complexe sportif de l’Ystad Arena. Le directeur artistique, Jan
Lundgren (p) s’y mettait en scène dans un show un peu foutraque avec la
complicité d’un autre éminent musicien suédois et directeur de festival
(Jazz
Baltica, Timmendorfer Strand, Allemagne), Nils Landgren (tb, voc). On se
souvient de leur duo, plaisant, l’année dernière, mais cet alternance de
tableaux musicaux représentant soit le jazz introspectif de Jan
Lundgren, soit
le funk débridé de Nils Landgren, chacun avec leur formation et invités
respectifs –auxquels on a rajouté un orchestre à cordes– a laissé
sceptique. Et ne parlons pas du
mélange des deux! D'un côté, Jan Lundgren, son trio (Matthias Svensson,
b, Zoltan Csörsz, dm) et ses invités (Paolo Fresu, tp, flh -qui
donnait la veille un concert au théâtre-, Wolfgang Haffner, dm, et
Jukka Perko, as); de l'autre, le Funk Unit de Nils Landgren. Si avec son
trio, ou en duo avec Paolo Fresu, le pianiste a permis quelques jolis
moments musicaux (parfois même jazz!), la situation est presque
devenue embarrassante lorsque le
tromboniste a invité sur un morceau, on ne peut plus funky, le sage
Paolo Fresu qui a fait au mieux pour se sortir de l’impasse. Le final
festif qui a réuni l'ensemble des protagonistes sur fond de cordes pas
très audibles, a ravi le public, heureux de danser sur du funk...
Un
mot des jam-sessions du 2, 3 et 4 août, sur la Marina, toujours menées
par le bon pianiste Sven Erik Lundeqvist et son trio (Simon Petersson,
b, et Olle Dernevik, dm). Le premier soir, il était en quartet avec un
jeune trompettiste qui a fait forte impression: Björn Ingelstam. Ces
afters sont restés agréables et demeurent une part importante de
l'esprit de convivialité qui anime le festival, bien qu'aucune des têtes
d'affiche du festival n'y ont participé. Les absents ont toujours tort.
Texte et photos: Jérôme Partage
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Langourla, Côtes d'Armor
Jazz in Langourla, 3 au 5 août 2018
Pour
sa 23e édition, le festival Jazz in Langourla au pays du Méné change
les têtes d’affiche mais conserve son état d’esprit porté par Marie-Hélène
Buron et Gildas Le Floch qui profitent du cadre particulier offert par le Théâtre
de Verdure, surplombé d’une couverture de vélum, et du caractère bucolique du
site, pour attirer un public fourni, avec un aspect très familial dans la
synergie des énergies bénévoles qui caractérisent l’organisation. Avec une première
série de concerts vers 19 heures, plus tournés vers la scène locale, et deux
sessions nocturnes à partir de 20 heures, cette édition a bénéficié d’une météo
clémente qui donne tout son sens à un festival de plein air, dans la pleine
acception du terme.
Vendredi 3 août, à 19 heures 30, le duo lauréat du
Tremplin Jazz in Langourla 2017, Robbe Gloaguen, investit la pelouse du site
pour un set plein de vie et d’énergie. Fabien Robbe au piano et Jérôme Gloaguen
à la batterie initient une synthèse à base de musique bretonne et de jazz aux
accents free. Ainsi une valse danoise voisine-t-elle avec des titres pur swing («Victorine»),
«L’Ennui» essai pour piano solo avec «La Beauceronne»,
une ode angélique de Malher avec un chant nocturne camerounais. De quoi faire
passer un premier bon moment aux festivaliers installés sur l’herbe autour de
la scène aménagée.
A 21 heures, Edouard Leys Trio régale de sa verve
classique, matinée de gospel et de blues, le public du festival. Un set émaillé
de divers incidents techniques, qui met à rude épreuve le sens de l’humour et
le talent d’entertainer du pianiste Edouard Leys, accompagné de Michel
Roschiglione (b), Stéphane Stanger (dm), et en guest star de la chanteuse Lys
Cogui. Avec un son résolument acoustique, des intermèdes constitués
d’échantillons de notes laissés à la convenance du public sur lesquels baser
ses improvisations, un classique comme «Sunny» de Bobby Hebb prend
tout son sens, et cet optimisme sera aussi celui du leader tout au long de la
soirée, en dépit ou à cause des incidents susmentionnés. Un premier blind test avec la chanteuse Lys Cogui,
qui interprète superbement la chanson titre du film «Skyfall», des
accents syncopés de biguine et de calypso propices à des figures de danse, un classique
de Wayne Shorter «El Toro», un
nouveau blind test avec Lys Cogui sur
la trame de «Wild Horses» des Rolling Stones (que le pianiste
oubliera d’ailleurs de communiquer au public), et le set tout de bonne humeur
et de musicalité s’achève en beauté contagieuse.
A 22h30, le clou de la soirée est, bien évidemment,
cet hommage à Didier Lockwood, dont la présence était fort attendue en cette
édition 2018 du festival de Langourla. La violoniste Fiona Monbet est l’héritière
spirituelle de celui dont l’ombre plane au-dessus de Théâtre de Verdure.
Francis Lockwood (p), Adrien Moignard (g) et Diego Imbert (b), profitant de la
nuit tombée, vont donner le concert le plus émotionnellement abouti du
festival, tout de recueillement, d’intimisme et de profondeur musicale. Une
entame de concert comme Didier Lockwood avait coutume de le faire, sur un titre
de Stéphane Grappelli (présenté comme son maître à penser par Fiona Monbet, suggérant
par là-même ce que Lockwood représentait pour elle), «Les
Valseuses». «I Got Rhythm» de George Gershwin permettent de
poser les bases d’une musique à la fois très enracinée et moderne. «Someday
My Prince Will Come», de par ses sonorités intemporelles, continue dans
la même veine, en instaurant une complicité naturelle avec l’ensemble des
personnes présentes, tandis que «The Kid», élégant et racé, incarne
son rapport à une certaine modernité. L’intensité de ce set, parfois bouleversant,
culmine au cours de l’improvisation solo de Francis Lockwood, qui profite de
son récent tribute à Jimi Hendrix pour lui dédier les arpèges de «Little
Wing», disséminés parmi les lignes mélodiques plus traditionnelles associées à la personne de son frère. «Nuages»
de Django Reinhardt poursuit cet hommage avec puissance et fougue. «Barbizon
Blues» prouve par l’exemple que la postérité devrait retenir les qualités
de compositeur de Didier Lockwood, avant que «Les Feuilles mortes»
de Jacques Prévert et Joseph Kosma ne finissent d’emporter l’adhésion en
émouvant les cœurs les moins enclins à s’épancher. L’absence de percussions,
l’intimisme revendiqué de la prestation, l’émotion à fleur de peau, tangible
durant tout le set, font de ce concert un véritable manifeste, avec une
esthétique proche du jazz de Django Reinhardt; un passage de témoin
inspiré et profond, dont la sincérité évidente constitue la qualité majeure. Le
legs du violoniste est ici honoré dans sa dimension la plus enracinée, celle de
la filiation avec le grand Stéphane. Un concert magnifique.
Samedi 4 août, à 19 heures, le groupe Jazz de Bazz –Paddy
Paumard (s), Jean-Yves Moka (g), Manuel Paumard (b), et Jean-Benoît Culot (dm)–, inaugure la soirée avec
ses standards qui couvrent toutes les périodes du jazz, du New Orleans au hard
bop. De «Body and Soul» à «Besame Mucho», la formation
réinvente à sa manière un répertoire de toujours, qui fut manifestement à
l’origine de la vocation de chacun des membres du groupe.
A 20h30, Dmitry Baevsky (as), en trio avec Clovis Nicolas (b) et Bernd Reiter (dm), entre en
scène pour ce qui restera comme l’un des grands moments du festival. Les
trois musiciens jouent un jazz new-yorkais plein de fougue et de verve, avec
une prédilection marquée pour la période moderne. Très technique, le concert
est marqué par une série d’explorations inspirées, fluides et surtout
musicalement contrastées, sans préjudice de fraicheur et de vivacité.A
partir d’un répertoire d’une grande diversité, du registre de la ballade à
celui du boléro, en passant par nombre de up
tempos, ce concert haut en couleurs restera comme une illustration de la
réussite du festival. Le saxophoniste a d’ailleurs enregistré avec Jimmy Cobb
et Cedar Walton. Il est surtout l’un des musiciens actuels qui ont le mieux
assimilé le vocabulaire du bop et ses divisions subséquentes. «Chant»
et ses accents gospel, «Delilah» pour la filiation avec Clifford
Brown, notamment, en témoignent de façon particulièrement éloquente, avec un
regain de musicalité constant entre deux breaks fulgurants. Une musique
fractale, qui séduit d’autant plus qu’elle joue de toutes les ambiances, de tous
les courants, sans jamais renoncer à une
quête de la beauté ultime.
A 22 heures, le Trio Aïrès nous propose un jazz très
influencé par la musique contemporaine. Si Edouard Ferlet (p) et Stéphane
Kerecki (b) sont bien présents, Airelle Besson, la trompettiste arrangeuse et
compositrice est absente ce soir Elle est remplacée au pied levé par Geoffroy
Tamisier qui s’en sort admirablement, avec un timbre très posé empreint d’une
certaine majesté. Basé sur l’album Aïrés,
qui mêle compositions de Ravel («Pavane pour une infante défunte»),
Fauré, et Tchaïkovski, sans parler des «Stances du Sabre» tout
droit issues de «La Danse du Sabre» de Khatchatourian, le groupe
ajoute quelques thèmes originaux («Infinité»,«Manarola»)
et une touche de baroque qui doit évidemment beaucoup à La Passion selon Saint-Jean de Bach. Bien que ce concert soit le
moins swing de tout ce que propose le festival, le lyrisme d’ensemble,
l’inspiration en constant renouveau et le goût de l’expérimentation, qui sous-tend
la plupart des créations proposées par le groupe (cordes frappées à l’intérieur
du piano, jouées à l’archet, étouffées, etc), remportent une très large
adhésion du public.
Dimanche 5 août, à 18 heures, les stagiaires de la
Master Class sont réunis autour de Dominique Carré (g) pour un set entièrement
consacré au jazz Django. Le tout jeune Matteo Leye se distingue
particulièrement dans cet aréopage composé uniquement de guitaristes. D’un
strict point de vue guitaristique, l’attaque de cordes de Dominique Carré,
parmi les plus puissantes du style, s’apparente par sa vigueur à celle des
grands musiciens de flamenco.
A 20h, David Enhco (tp) et Thomas Enhco (p) prennent
la scène pour donner une représentation dont la complicité et la communication
développées tout au long de leurs vingt-cinq ans d’entente et de partages
musicaux sont les principales qualités. Les deux frères s’adressent de
gentilles boutades durant leur set, Thomas opposant, par exemple, le manque
d’originalité du titre «Novembre» à la valeur de sa musique. David
lui rend la pareille en évoquant des anecdotes familiales à l’origine de
certaines des compositions jouées («Looking for the Moose»). Cette
musique, dans ses développements, n’est pas sans susciter de vives questions
esthétiques, car la formation classique des frères Enhco ne s’est nullement
diluée au contact du jazz et de l’école de leur beau-père Didier Lockwood.
Ainsi l’interprétation de standards, tels «I Fall In Love too Easily»,
«What’s New», ou «All The Things You Are» de Jerome
Kern, pleines de fioritures et d’ornementation, doit-elle beaucoup à ce
background familial complexe, avec des influences musicales multiples. Les
évolutions pianistiques de Thomas Enhco compliquent encore la donne, empreintes
d’une verve où se ressent l’influence des études de Debussy et Scriabine. David
Enhco métisse un peu les échanges, canalisant l’énergie de son frère en
conférant à sa trompette les propriétés d’une voix humaine. Sans doute, à cet
égard, la discipline acquise au sein de l’Amazing Keystone Band avec Jon
Bouteiller est-elle pour quelque chose dans cette dimension orchestrale du jeu
du trompettiste. Le grand moment du concert demeure cette belle version du classique
de Duke Ellington «In a Sentimental Mood», que le duo dédie fort à
propos à Michel Petrucciani, qui jouait ce titre avec Didier Lockwood. Après cet
intermède inspiré, «You’re Just a Ghost» de Thomas Enhco, clôt sur
une note pour le moins talentueuse cette évocation pudique et indéniablement populaire
des grandes musiciens de jazz et de classique qui inspirent le tandem. Enfin, à 21h30, le quartet de Marian Badoï (acc) ressuscite l’âme de la musique
tzigane avec Sébastien Giniaux (g), Olivier Lorang (b) et Mihaï Trestian au cymbalum,
sorte de cithare sur table. Un concert de clôture bien loin de la musique
festive qu’on associe trop souvent à l’esprit rom, et qui par sa gravité et sa
profondeur saisit littéralement le public présent. L’accordéoniste a une
culture musicale étendue, basée tout à la fois sur un contexte familial riche
en musique et en musiciens, et sur sa rencontre avec le jazz de Django
(«Clair de Lune») lors de son installation en France, qu’il
confronte à sa propre tradition en révélant leur profond socle commun. Des
traditionnels du folklore roumain sur le mode phrygien («Hora») aux
compositions personnelles comme «La Balade à Nantes», «Le
Tango du 17 Septembre», «Guitare Si Basse», cette célébration
d’un esprit typique au jazz manouche et aux gens du voyage («Les Gosses
De La Rue»), réhabilite à sa manière le concept d’une musique nomade, explicitant
les raisons pour lesquelles le peuple tzigane fut toujours rétif à rentrer dans
le rang de la sédentarité, plus enclin à défendre l’idée d’un art et d’une
musique libres, incompatibles par essence, tant avec les lieux clos qu’avec les
cénacles où s’élaborent les certitudes culturelles. Si chacun des musiciens se
montre impeccable dans sa partie, une mention spéciale revient à la
«Suite pour Cymbalum», sorte d’OVNI plein de vie du festival, lors
duquel Mihaï Trestian brille de mille feux en témoignant de toutes les
possibilités harmoniques de l’instrument. Un beau manifeste pour la liberté,
symbole d’une édition 2018 mémorable du festival de Langourla, l’équipe
technique expérimentée ajoutant des effets d’ambiance et de mise en scène sous
forme de jeux de lumières somptueux et d’une image sonore dénuée de défauts, tandis
que les musiciens se prêtent au jeu jusqu’au bout de la nuit en sacrifiant à la
tradition désormais bien établie des jam sessions au pub Le Narguilé after hours.
Jean-Pierre Alenda
Photos: Philippe Colliot by courtesy of Jazz in Langourla
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Gandia, Javea, Espagne
Festival Polisònic, 25 juillet au 18 août 2018
Festival Xàbia Jazz, 4 au 6 août 2018
Chaque été, la côte de la Marina Alta (sud de Valencia, nord
d’Alicante) renaît au jazz avec désormais trois moments forts: le vétéran
Festival Polisònic de Gandia qui présente toujours parmi ses concerts une ou
plusieurs scènes de bon jazz; le Xàbia Jazz qui commence lui aussi à prendre de
l’âge et le tout neuf Festival de Jazz de Dénia qui fait se produire des
musiciens de la province. Il faut ajouter que, depuis peu, le jazz sort du
cadre estival puisque Gandia propose en hiver chaque mois ses jeudis du jazz.
Laissons grandir un peu le Festival de Denia.
Festival Polisònic
Mais en fidèle habitué du Polisònic, il importait le 3 août d’écouter dans les
magnifiques jardins arborés de la Casa de Cultura, le saxophoniste de Chicago,
Frank Catalano (Jazz Hot n°674).
Frank a offert le jeu énergique avec lequel il a l’habitude de régaler le
public et qui a depuis longtemps assuré sa réputation. Dès les premières notes
de «Things Ain't What They Used to Be» le souffle est puissant, le son du ténor
envahit les jardins. Catalano apprécie le quartet traditionnel qui permet à tous
les partenaires d’être à l’écoute des uns des autres, ce qui favorise le
dialogue et la création in situ,
moment important pour le saxophoniste. Et c’est en quartet qu’il est sur la
scène du Polisònic. Autour de lui, figurent Jean Bardy (eb), Manu Dalmace (dm),
qui apporte un groove un peu rock à sa musique, et Valérie Benzaquine
(p) qui, sans autre répétition que le moment de la balance, s’est illustrée de
belle façon devant le Nord Stage avec des interventions appréciées du public.
Bardy était lui aussi passé au tout électrique et a dû s’employer à pallier
l’absence d’un ampli (aïe, les doigts!) mais a su gratifier le public de belles
interventions en soliste. Le batteur, toujours à l’écoute de Frank et de ses
partenaires, à l’aise sur les compositions du saxophoniste, solide dans
l’accompagnement, a envoyé de beaux soli
sur «Big Al’s Theme» et «Shakin» la composition de Catalano qui caracole en
tête du Billboard aux Etats-Unis, sur laquelle le ténor exprime aussi sa
vélocité héritée de ses maîtres chicagoans,
Von Freeman, Eddie Harris. «Bye Bye Blackbird» débute par une belle
introduction du saxophone. La puissance de Catalano éclate après chaque
intervention de ses partenaires. Suit un magnifique «At Last» qui permet
d’écouter le saxophoniste plus mélodique. Après avoir indiqué l’importance de
Coltrane dans sa conception du jazz Frank lance « Impressions », thème
difficile qui requiert une grosse attention de la part de ses partenaires pour
satisfaire leur leader. Personne attentive, il laisse une large place à ses
partenaires. Et Valérie Benzaquine, percutante, agressive sur les touches s’en
donne à cœur joie sur les standards tout particulièrement «Our Love Is Here to
Stay», «Night and Day» et son introduction, plus délicate, sur «Fly Me to the
Moon» est superbe. Manu se met aussi en évidence sur «Our Love Is Here to Stay»
et Jean sur «Shakin» et « Cold Duck Time » qui termine en beauté la soirée
offerte par le quartet de Frank Catalano. Environ cinq cents amateurs étaient
venus découvrir le saxophoniste et nul doute qu’ils repartent des jardins
pleinement satisfaits tout comme peut l’être Eudald González, directeur du
Polisònic pour avoir fait preuve d’une certaine audace.
Festival Xàbia
Jazz
Le 4 août, non loin de là, pour le premier jour du Festival Xàbia
Jazz, deux formations étaient programmées. Frank Catalano d’une part
et le guitariste valencien Ximo Tebar d’autre part. Peu sans doute parmi le bon le millier et demi de personnes qui s’étaient
données rendez-vous Plaza de la Constitución, étaient présentes la veille à
Gandia, mais comme le quartet du saxophoniste bénéficiait d’un beau piano à
queue et d’une contrebasse la prestation sonnait différemment. L’espace plus
ouvert laissait aussi se répandre davantage la musique, conduisant à une
ambiance différente. Frank Catalano, même s’il débute comme la veille avec
«Things Ain't What They Used to Be», n’a pas non plus repris tous les mêmes thèmes.
Energique, il a laissé éclater sa classe sur «Tuna Town». Suivent «At Last»,
«Bye, Bye Black Bird», «Shakin» le meilleur thème de la soirée, avec un
excellent solo de Manu qui récidive sur «Stella by Starlight». Jean Bardy, les
doigts moins en souffrance avec la contrebasse a pu exploiter totalement les
plages laissées par le saxophoniste et Valérie Benzaquine, trop contente de
troquer le Nord Stage pour le piano à queue a été applaudie par le public dans
ses belles interventions («At Last», «Big Al’theme»). Pas assez connue dans le
monde du jazz et des jazzophiles, elle mériterait sans aucun doute un peu plus
d’attention de la part des amateurs.
Ximo Tebar prenait la suite avec son quartet pour présenter son dernier
enregistrement Con Alma & United.
En tant que valencien, il a ici ses inconditionnels. Ses objectifs musicaux
restent inchangés, «méditerraniser» le jazz. Pour ce faire il reprend des
standards et les traite avec un son qui à l’exception de sonorités d’Afrique du
Nord ou du flamenco comme il le fait avec «Manha de Carnaval» est certes
personnel mais que l’oreille peine parfois à identifier. Mais ce n’est pas
toujours nécessaire car en réalité ce que veut faire Tebar c’est jouer le jazz
mais avec joie, esprit festif, luminosité, simplicité, créativité et une
absence de tension. Si la créativité peut être bien entendu compatible avec le
jazz, l’absence de tension peut représenter un défi lorsqu’on s’attaque à cette
musique en respectant ses racines. Tebar propose aussi une version de «Take
Five», un arrangement du Concierto de Aranjuez, «En Aranjuez con tu amor» et de
la composition de Gillespie «Con Alma». Le tout est présenté dans un show où
l’étincelante guitare électrique brille de tous ses feux, où les tenues de
scène brillent aussi et où le pianiste est enseveli sous un tas de claviers en
plus du piano. Tout cela n’enlève rien aux indéniables qualités de Ximo comme
guitariste. On relève aussi la présence dans la formation du magnifique batteur
nord-américain Nathaniel Townsley.
Le 5 août, c’est le grand big band de Bernard Van
Rossun, compositeur et saxophoniste alicantino-anglo-hollandais, qui est à
l’affiche. D’un côté, une section flamenca avec guitare, cajón, la voix et les palmas
de María Marín, la danseuse Karen Lugo et ses taconeos. De l’autre, l’orchestre de treize musiciens et liant les
deux groupes le piano, la contrebasse/basse électrique et la batterie.
Le BvR Flamenco Big Band n’est pas un ensemble de jazz comme pouvait
l’être le
big band de Perico Sambeat présenté sur cette même scène il y a quelques
années, mais bien de flamenco. L’orchestre, comporte de très bons
musiciens et
plusieurs solistes se sont illustrés au fil des thèmes dont Latino
Blanco au
saxophone baryton. Le big band appuie la section flamenca et les
prestations modernes
de Karen Lugo. Très souvent c’est le flamenco qui lance le thème avant
que les
jazzmen prennent le relais. Parmi les compositions de la première partie
on
relève «Lejos de Casa», «El GladiadorCobarde», «Tras la Tormenta», «La
Gaviota»
avec l’intervention de Rossun au soprano. Puis le seul nuage présent ce
jour en
Europe perce au-dessus de la scène. Le public se disperse comme une
volée de
moineaux mais revient tout aussi vite, la pause ayant suffit pour
laisser
passer quelques gouttes. On reprend avec «Luz de Luna» thème très réussi
où le
«collage» débouche sur une jolie fusion due au talent de compositeur et
d’arrangeur de Van Rossun. Basse électrique, cajón, palmas, congas, se
mêlent aux soli successifs de flûte, ténor, alto et
trombone. «Aquarela» et «Alegria de Cádiz» sont exclusivement
interprétées par
la section flamenca avec un show de Karen et de ses taconeos. Le très
beau concert du Flamenco Big Band s’achève avec
un «Capricho» basé sur seulement trois accords et un magnifique boléro
«Y tu ni
siquiera lo sabes» dans lequel le soprano de Bernard van Rossun et la
voix de
María s’entrelacent de belle manière.
Pour la nuit de clôture du 6, le Xàbia Jazz avait convié la voix de Cyrille
Aimée. La jeune chanteuse franco-dominicaine a apporté la seule note de
fraîcheur de la suffocante soirée. Cyrille est dynamique, souriante, parle en
anglais, espagnol et conquiert le public dès son apparition sur la scène. Elle
est entourée de deux partenaires français le contrebassiste Jeremy Bruyère et
le guitariste Anthony Jambon. Le batteur est américain, Yonathan Rosen. Elle débute par une série de scats sur
«Watever Lola Wants», genre qu’elle domine correctement et qu’elle répétera
plusieurs fois au cours du concert. Cyrille poursuit sa prestation avec
notamment «Undicided» qui permet au groupe de groover et au batteur de s’illustrer.
Récupéré sous le titre «I Wish You Love»
la chanteuse offre une magnifique version de «Que reste-t-il de nos amours».
Elle chante en français et –à notre avis– dans cet exercice, Cyrille dépasse ce qu’elle
peut faire dans ses thèmes américains. Ce n’est pas une question de langue mais
viscérale. Aucun doute, elle chante Trenet comme un peu plus tard elle va
offrir Gainsbourg et «La Javanaise», avec ses tripes et le soutien de la seule
guitare. Elle transmet un flux d’émotions que l’on ne ressent pas autant dans
les autres thèmes. Un duo voix /contrebasse permet d’écouter de nouveau une
série de scats ainsi qu’un beau solo de contrebasse. La chanteuse s’amuse
ensuite avec son loop… C’est
sympathique, elle a bien le droit de s’amuser! Mais on préfère nettement «Well
You Needn’t» avec les soli successifs
des trois partenaires de Cyrille. On aura droit au retour de la pause buvette à
une belle version de «Estrellitas» de Juan Luis Guerra. Elle chante en espagnol
et là aussi c’est du ressenti. «Inside & Out», «With so little» précèdent
un travail de Jéremy Bruyère et un nouveau loop.
C’est avec un beau «Each Day» de sa composition que s’achève le concert. Un
rappel permet à la chanteuse de retrouver son français avec «Nuit Blanche».
Si nous avions délaissé l’an passé le Xàbia Jazz pour avoir été fort déçu en
2016, cette année la programmation de Kiko Berenguer, son directeur artistique,
a sans aucun doute a été variée et de belle qualité. L’organisation a été
impeccable même si au niveau des lumières on pouvait attendre mieux. Le Xàbia
Jazz qui à chaque soirée a fait le plein de public et rassemblé quelques quatre
mille amateurs de jazz peut envisager l’avenir avec sérénité.
Patrick Dalmace
Photos: Vilam Dobilaite by courtesy, Lucía Ronda by courtesy, Juan José Todolí by courtesy
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Dinant, Belgique
Dinant Jazz, 27 au 29 juillet 2018
Malgré
de multiples vicissitudes, le Dinant Jazz est parvenu à sa 17e édition
avec une localisation qu’on espère définitive dans le parc Saint-Norbert de l’Abbaye
de Leffe. Jean-Claude Laloux a repris la présidence de l’association et Patrick
Bivort (animateur RTBF, ancien collaborateur de Jazz Hot) en assure la programmation avec, comme fil
conducteur le parrainage d’une vedette internationale. Cette année,
Joshua Redman (ts) avait accepté de se poser trois jours en bord de Meuse pour deux
soirées comme soliste invité; l’une, le vendredi 27 juillet, avec le trio de Billy Hart (dm), l’autre, le
dimanche 29, avec le quartet de Philip Catherine (g). Le samedi 28, il
présentait son propre trio avec Reuben Rogers (b) et Greg Hutchinson (dm).
Le 27, en fin d’après-midi du vendredi 27, un petit millier de
jazzfans avait préféré s’asseoir sous le chapiteau plutôt qu’admirer l’éclipse
de lune du haut de la Citadelle. Dès 20h, Félix Zurstrassen (eb) avait convié
le Néerlandais Ben Van Gelder (as) àrejoindre son trio: Nelson Veras (g), Antoine Pierre (dm). L’écriture
du bassiste est belle; son jeu est sûr, comme soliste («Aurora») et comme
accompagnateur («Omoyomo»). Leader, il distribue les parties; à
Nelson Veras (g) dont le toucher, aux doigts et en arpèges, colorie les
œuvres («Nova»); au jeune Hollandais Ben Van Gelder (as) qui, par la
tonalité de son instrument et sa détermination, ajoute un peu d’air et de
liberté («Catabaucalise»). Antoine Pierre (dm) –très présent dans ce festival– pose les points et virgules où et quand il
faut («Chi», «Lumen»), sur une ballade, comme sur «April in Paris»
qui vient en clôture du set.
77 ans, enjoué comme à 20 ans, Billy Hart entame son concert par
«Southhampton», une composition d’Ethan Iverson, son pianiste. Dès son
premier solo, Joshua Redman (ts) s’envole, crescendo, à la limite du
décrochage; Ethan Everson suit, monkien, avec deux ou trois accords dissonants
et l’un ou l’autre clin d’œil à des chansonnettes. Billy Hart présente chaque
morceau avec histoire et anecdotes. «Song
for Balkis» débute aux mailloches. Sur des rythmes déstructurés, Joshua Redman,
majestueux d’aisance, alterne tempête et apaisement. Attentif, Ben Street (b)
répond aux appels du saxophoniste. Billy Hart dédie «The Duchess» à toutes les
grand-mères, ce qui laisse Ethan Iverson libre de citer «Dodo, l’enfant Do» au
cours d’un solo classieux en contraste avec la fougue du saxophoniste. Puis
«Yard» en hommage à Charlie Parker… Cinq morceaux pour quatre-vingt-dix minutes!
Les chorus sont multiples pour chaque
soliste et les surprises du Chef: légèreté, vélocité, précision… C’est encore
par un solo de batterie superbe qu’il entamera le dernier thème; un thème
qui nous laissera heureux et comblés dans l’attente d’une nouvelle journée
chaude!
Le
28, le programme débute à 14 heures avec deux des quatre groupes
sélectionnés pour le Tournoi des Jeunes Talents. Au pied du Pont
Charles-de-Gaulle
sur un petit podium bien sonorisé mais assez mal situé pour
l’environnement
routier, l’objectif est d’attirer les chalands et les plaisanciers 500
mètres plus loin pour les concerts du soir. Sous le soleil de plomb, les
passants s’arrêtent peu devant la scène, alors que les jeunes musiciens s’appliquent de
leur mieux pour convaincre les oreilles d’un jury composé de chroniqueurs
spécialisés et grillés! Oscar Georges Trio précède le quintet Songs
Between Two Lands lequel poursuit, indifférent au concert de carillon au
clocher de la Collégiale.
Vers 17 heures, le Jardin des Prémontrés s’ouvre, torride, aux deux
mille privilégiés (soirée sold out)
qui cherchent l’ombre sous les pommiers. De temps en temps, une pomme
s’escamote sur une caboche alors qu’on
s’active en régie pour assurer le premier concert. L’ouverture est offerte à un
groupe dirigé par Loris Til (eb): un Belge, émule de Marcus
Miller et Daniel Romeo. Pour l’accompagner: Alex Tassel (tp et wawa), Igor Gehenot (kb) et Xavier
Bouillon (kb, synth), Hervé Letor (ts), Patrick Dorcean (dm) et Michel Seba
(perc). C‘est fusion comme de bien entendu
mais totalement improvisé. Inattendu, audacieux! Ça groove, ça bouge; batteur et
percussionniste s’appellent, se provoquent, se questionnent et se
répondent; itou pour les claviéristes. Hervé Letor, saxophoniste
polyvalent, profite de l’occasion pour nous offrir ses audaces avec des chorus
en tempo doublé; Alex Tassel (tp) joue
des pédales avec goût. Le leader jubile, slappe les cordes et distribue les
parties de la tête. Les rythmes sont endiablés, les harmonies basiques, les
solos improvisés. De belles joutes!
A 20 heures, Joshua Redman (ts), Reuben Rogers et Greg Hutchinson entament
le premier morceau: un «Mack The Knife» revisité, revigoré. Le trio
explose, cohérent, merveilleusement créatif. «Back From Burma», «Tail Chase», «Saccade
Day» et un «Never Let Me Go» à chialer suivent. Joshua est survolté au
cours de longs solos qui taquinent les harmoniques avant quelques rugissements
dans les graves. Les notes sont écorchées; elles crient, elles appellent
et les compères répondent en osmose avec le saxophoniste. C’est grand, c’est
beau, ça swingue, c’est excitant! Le public, debout, ovationne, crie sa joie et scande le rappel.
On sent Joshua Redman heureux. Nous le sommes tout autant!
Une Leffe d’été, une Leffe Rubis et un pain-saucisse plus tard, le
soufflé n’est pas encore retombé quand Marcus Miller (eb, clb) et son band (ts,
tp, g, kb, dm) viennent clôturer la
seconde soirée. «Trip-Trap», «Sublimity», «Hy Life», «Preacher’s Kid» à la
clarinette basse en hommage à son père Dewey. Pour terminer, l’attendu
«Tutu» est livré sur un up-tempo d’enfer. La musique est funky mais les solos
de saxophone et de trompette sont résolument jazz, ce qui plaît au public qui
repart, repu, souriant et content aux alentours de minuit.
Dimanche 29 juillet, jour du Seigneur, la messe est encore loin
d’être dite lorsque vers 14 heures les deux derniers groupes du Tournoi des
Jeunes viennent s’affronter. NH4 d’abord:
un quartet sax-alto, guitare, basse électrique et batterie. Le projet est
intéressant mais on note un peu de crispation dans le jeu du guitariste. Le duo
qui suit vaut par sa distribution: un claviériste, Simon Groppe, et un
batteur autoritaire, Pierre Martin. On sent le jury interpellé. Après
délibérations, il choisira finalement le groupe Songs Between Two Lands
qui passait la veille pour sa cohésion et la qualité des solistes: Flavio
Spampinato, élève de David Linx (chant), Matteo Di Leonardo (g), Pierre-Antoine
Savoyal (flh), Fil Caporali (b), Pierre Hurty (dm).
Le dernier jour attisait la curiosité par divers aspects: la
rencontre entre Philip Catherine (g) et Joshua Redman (ts) d’abord, le retour
en festival de Monty Alexander (p) ensuite et la prestation de Barbara Wiernik
(voc, vocoder, loop) et Nicola Andrioli (p, kb) dans une formule élargie du
duo au quartet, avec Nicolas Thys (b) et Antoine Pierre (dm). La fréquentation
est un peu moindre que la veille, mais elle rassemble quand même
1500 personnes. Barbara Wiernik est en forme. Musicienne, elle scatte
avec beaucoup d’assurance. Le répertoire est constitué d’originaux écrits par la chanteuse et son pianiste pour
leur album «Complicity» («Sunbow», «Félé»); de la reprise d’une œuvre de
Mario Laguilha, d’un duo vocal Wiernik/Andrioli sur «Les Petits
Riens» de Gainsbourg»… «Running to Wings» clôture ce premier concert très
réussi.
On apprécie sans
doute mieux le trio de Monty Alexander (Hassan
Shakur, b, Jason Brown, dm), dans des salles plus intimistes. Néanmoins,
au fil
des standards et des citations («The Pink Panther») il ravit les
amateurs d’un
âge certain. «Down by the Riverside», «Sweet Georgia Brown», «Take the
'A' Train». Swing retenu, envolées, breaks, syncopes… Quelle élégance!
Au
micro, il rend hommage à la Belgique, à ses musiciens et ses
organisateurs et
de citer feu Juul Anthonissen. Jamaïcain, le pianiste de 74 ans ne
manque pas
de jouer ses origines avec «No Woman, no Cry» de Bob Marley, «Stand up
Get up»
de Peter Tosh. Avec «Banana Boat Song» d’Harry Belafonte, il prend un
solo au
melodica. Pour une ballade de sa plume («The River»), il dit apprécier
la
rivière qui traverse Dinant, mais, précise-t-il, la plus belle des
rivières est celle qui traverse notre cœur. Le public -de tout âge- est
conquis et il termine sur l’«Eté 42» de Michel Legrand.
On s’interrogeait sur le répertoire qui pouvait réunir Joshua
Redman (ts) et Philip Catherine (g) qui n’avaient jamais croisé les notes.
Allait-on écouter des standards? Nenni! Humble, Joshua avait décidé
de se fondre dans la musique du guitariste belge après deux petites heures de
répétition dans l’après-midi. Bien entendu, ils avaient échangé quelques
partitions au préalable, mais le grand métier de l’un et la fougue de l’autre
allaient sublimer ces 90 minutes pour un public sifflant et
criant, incapable de retenir son bonheur avant la fin des solos. «I’ll
Never Be Another You»; Joshua Redman change d’anche par deux fois puis
s’envole dans un solo fulgurant. Philip Catherine entame les morceaux par de
longues impros, puis Joshua Redman fait de même sur le morceau suivant. Valse
changement de tempo, call and answerentre le saxophoniste et le guitariste… Bossa Nova, solo de Catherine en
accords puis passage de témoin à Redman qui se défonce. Solo de Nicola Andrioli
(p), solo de Philippe Aerts (b), 4/4, solo d’Antoine Pierre (dm)… En bis, sur
«Guitar Groove», Philippe Aerts ouvre par
un solo de contrebasse. On arrive à la fin. Il n’y eut aucune présentation des
morceaux tant la concentration est intense. Etonné, Joshua Redman confiera à des confrères: «Philip
Catherine est un grand musicien; le groupe est formidable!». Et nous
sommes bien d’accord!
Un site magique, une programmation de qualité et un accueil
chaleureux: les conditions sont réunies pour réussir un festival
mémorable. Il y a bien longtemps que je n’avais plus vécu cela. Trois
concerts par soirée: c’est suffisant. Faisons confiance à Jean-Claude Laloux et à Patrick Bivort pour illuminer
2019!
Jean-Marie Hacquier
Photos: Jacky Lepage, Jean-Luc Goffinet by courtesy, Hugo Lefèvre by courtesy
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Toulon, Var
Jazz à Toulon, 20 au 29 juillet 2018
Jazz à Toulon, édition 2018, fut égal
à lui-même avec une acmé: la prestation de haute tenue de Youn Sun Nah;
et les concerts d’après-midi qui ont présenté quelques-unes des meilleures
facettes du jazz qui se joue aujourd’hui, en particulier dans le sud-est de la
France. Les choix étaient bien dans la philosophie du festival qui consiste à animer
différents quartiers de la ville avec des concerts gratuits. Concerts qui sont
concoctés avec courage, abnégation et persévérance par Bernadette Guelfucci,
présidente du Comité officiel des fêtes et des sports de la Ville de Toulon
(Cofs), aidée encore et heureusement par quelques subventions, épaulée par une
solide équipe dévouée, travailleuse et efficace. Ajoutons à cela deux bons
points pour le son et la présentation des concerts. L’an prochain le festival
fêtera sa 30e édition: gageons qu’il y aura de belles
surprises.
Les concerts du soir
Le 20, le
festival s’ouvrait sur la grande place de La Liberté, au centre de Toulon, avec
le jeune chanteur britannique Myles Sankoet et son show Just Being Me. D’emblée, il se présente comme un chanteur de
«soul jazz music». Sa voix est effectivement proche de celle de
Gregory Porter, en un peu plus chaude, plus crooner. Mais la comparaison
s’arrête là: il force chaque note, du début à la fin, sans aucune nuance,
si bien que tous les morceaux se ressemblent. Quant au groupe qui l’accompagne
–Gareth Lumbers (s), Sam Ewens (tp), Tom O’Grady (kb), Philip
Stevenson (g), Jon Mapp (b), Rick Hudson (dm)–, il n’améliore en rien la
prestation: solos
basiques avec effets répétitifs et plans identiques, arrangements grossiers
basés sur des riffs et des tenues. On oublie…
Le 21, place
Martin Bidouré, au Pont du Las, le blues était au rendez-vous avec Lucky
Peterson (org, voc, g), entouré de Kelyn Crapp (g), Nicolas Folmer (tp), et
Ahmad Compaoré (dm). Ce fut un concert de trois heures, surréaliste en diable.
Lucky Peterson vient se caler derrière son orgue, face au public. Seule sa tête
dépasse, illuminée par son large sourire. La soirée s’est découpée en plusieurs
temps. Tout d’abord, des grondements de l’orgue, des phrases jetées aux
étoiles: l’organiste se cherche. De magnifiques fulgurances, et puis
souvent du n’importe quoi, rattrapé, sauvé, par Nicolas Folmer qui lance de
magnifiques solos tant à la trompette wah-wah électrique, qu’en trompette
ouverte. Le guitariste est du même tonneau, et le batteur, excellent, assoit le
groupe avec un drumming jazz aux baguettes sur martèlement blues à la grosse
caisse. Tous trois recadrent les dérives avec à propos. Puis, les musiciens
quittent la scène, Lucky sort de derrière son orgue et prend sa guitare rouge.
Il lance à la nuit des rugissements de cœur blessé. Par sauts de puces, tout en
jouant, il vient s’asseoir sur le bord de la scène, et là, c’est l’extase. Le
blues, le grand, le dramatique, l’enfer et le paradis, la souffrance et la
joie, oui, le blues est là! Lucky chante toute la douleur du monde, les drames
de l’amour («6 O’Clock Blues»), la joie de vivre, de sa voix
brisée. Lucky est ailleurs, il est le blues. Des invités entrent ensuite en
scène: Samantha Peterson (voc), pour quelques morceaux avec l’orchestre
et Lucky –qui a repris sa place derrière l’orgue–, et Philippe Petrucciani (g),
qui se frotte au blues avec un plaisir évident. Puis le quartet reprend sa
place pour un délire final qui s’achève vers minuit devant une foule en liesse.
C’était «Lucky Happy Peterson»!
Le 23, à la périphérie de Toulon, aux 4-Chemins-des-Routes, Michelle
Hendricks (voc) était en quintet avec Olivier Temime (ts), Arnaud Mattei (p),
Bruno Rousselet (b) et Philippe Soirat (dm). Depuis l’adolescence, Michelle
voue un culte à Ella Fitzgerald qui la marqua à jamais,
et dont l’influence saute aux oreilles; d’où cet hommage. Elle chante
essentiellement en scat, ayant d’ailleurs repris le phrasé et les onomatopées
de son inspiratrice. Dotée d’une grande aisance, elle possède une voix grave,
mais qui peut monter dans l’aigu, puissante, chaude avec du grain, le tout avec
une belle maîtrise des registres. Elle se donne à fond, avec une conviction qui
emporte l’adhésion. Beaucoup d’émotion quand elle interprète une chanson de son
père, Jon, décédé l’an dernier, «I’ll Die Happy» (Je mourrai
heureux). Elle déclare sa foi au swing avec «It Don’t Mean a Thing…». Et
nous époustoufle, à la fin du concert, quand elle imite la contrebasse, battantBruno Rousselet sur son propre terrain; du grand
art! A remarquer, Olivier Temime, qui fut révélé à Jazz à Toulon il y a
quelques années, dont le jeu de ténor a gagné en profondeur et en chaleur, et qui,
manifestement, se régalait de dialoguer avec la chanteuse.
Le 24, place Victor-Hugo, un ange est
descendu vers nous, Youn Sun Nah, petite femme d’apparence si fragile sous sa
robe bleue qui flotte dans l’air du soir, et qui, pourtant, possède une voix d’une
puissance exceptionnelle, capable des graves les plus profonds jusqu’aux aigus
les plus fracassants. Elle chante avec une facilité déconcertante, toujours
souriante; aucun effort n’apparaît, même le souffle continu ne se remarque pas.
Au fil des ans, elle s’est forgée une technique qui n’appartient qu’à elle,
amenant une autre façon de chanter le jazz, dans un choix de répertoire des
plus éclectiques; mais quel que soit le morceau, il devient du Youn Sun Nah. Jamais
le public n’a retenu son souffle aussi unanimement à Jazz à Toulon, c’est dire
la qualité d’écoute! Elle était accompagnée à minima par Frank
Woeste (kb), Brad Christopher Jones (b), Tomek Miernowski (g) et Dan Rieser
(dm). De l'avis général, ce concert restera comme l’un des plus brillants et des
plus émouvants de ce festival.
Le 25, à Saint-Jean-du-Var, un concert-hommage,
«Remember Petrucciani» réunissait la fine fleur des musiciens de
jazz habitant la région, dont Yvan Belmondo (bar), figure patriarcale et grand
formateur de musiciens –dont ses propres fils, Lionel (ts, présent ce soir) et
Stéphane (tp)–, ainsi que la famille Petrucciani et des proches, soit le
sympathique Philippe Petrucciani (g, lead), frère de Michel, Nathalie Blanc
(voc), mais également Nicolas Folmer (tp), Francesco Castellani (tb) Dominique
Di Piazza (eb) et Manhu Roche (dm). Nathalie Blanc explique que les morceaux
joués sont des thèmes que le regretté pianiste aurait aimé mettre en chanson.
C’est à présent chose faite, Philippe Petrucciani ayant signé les arrangements
et Nathalie Blanc les paroles en français. Ainsi, «I Wrote Your
Song» devient-il «Soir de mai». Mais ces paroles n’étant pas
transcendantes et la façon de chanter trop linéaire, malgré le scat, on ressent
un certain ennui. C’est dans le morceau en rappel que Nathalie Blanc va
«se lâcher», et faire exploser ses qualités vocales, en galvanisant
l’orchestre, avec les habituels et roboratifs délires de Lionel Belmondo.
Dommage que tout le concert n’ait pas été de cette trempe.
Le 26, la place de l’Equerre a accueilli une véritable fête
cubaine avec Carlos Maza & Familia Septeto: cinq femmes, deux hommes;
la parité s’effondre! Affaire de famille: le père, Carlos Maza (p),
la mère, Mirza Maza (eb) et leurs deux filles, Hilda Camila Maza (vln) et Ana
Carla Maza (cello). Le noyau familial est renforcé par l’excellent Nino de Luca
(acc), Rita Payes (tb) et Naile Sosa (dm, perc). Ana Carla Maza mène les
réjouissances, aussi belle que déchaînée; elle maltraite son violoncelle,
mais sait en jouer, chante, hurle et danse, ne tenant pas en place, occupant
toute la scène, elle provoque le délire, au détriment de la musique souvent.
Mais quel emportement, et quel charme sensuel! Le spectacle fut
abracadabrantesque, avec quand même de beaux moments jazz, surtout grâce au
pianiste et à l’accordéoniste.
Le 27, place Louis Blanc, Trilok Gurtu jouait avec un trio
eurasiatique: Jonathan Ihlenfeld Cuniado (eb), espagnol, Tulug Tirpan (p), turc,
et Frederik Köster (tp), allemand. Trois bons instrumentistes, fougueux et
brillants. Certes, l’essentiel du concert est dévolu au percussionniste qui fait
la preuve de son immense savoir-faire en la matière. Mais le jazz n’est pour
autant pas oublié, et les musiciens sont là, avec notamment un vibrant hommage
à Paolo Fresu, intitulé «Berchidda», village de Sardaigne qui a vu
naître Paolo; ou encore «Pop Corn» dédié à Miles Davis.
Le 28, le concert de clôture eut lieu sur les plages du
Mourillon, avec le groupe de Stanley Clarke. Les musiciens étaient
manifestement ravis du chaleureux accueil qu’ils ont reçu. Stanley Clarke se
place derrière sa grande contrebasse, et c’est parti pour le show avec Cameron
Graves (kb), Beka Gochiashvili (p) et Shariq Tucker (dm). Trois musiciens
emblématiques de la nouvelle génération qu’on ramasse à la pelle aux Etats-Unis
ou à Cuba, qui jouent vite et fort à peu près n’importe quoi. C’est ainsi que
le batteur, matraquant ses tambours, a explosé sa grosse caisse... Comme au
cirque! Stanley Clarke, physique de colosse américain avec casquette de
base-ball vissée sur le crâne, montre d’emblée ce qu’il sait faire. Je me
souviens de lui au célèbre Festival de Jazz de Châteauvallon au début des
années 70 avec Jean-Luc Ponty et Tony Williams pour un trio mémorable; il
avait 19 ans, il était la révélation, et n’allait pas tarder à inventer ce
fameux slap du pouce sur la basse électrique, et d’autres techniques, qui
allaient essaimer et révolutionner la façon de jouer de cet instrument. Au
cours du concert, il en use et en abuse jusqu’à la caricature. Il tente parfois
de retrouver le feeling de School Days;
ce furent-là les meilleurs moments. Ainsi qu’avec son hommage à John Coltrane
«Song for John». On retient aussi ces moments où il se met à jouer vraiment
de la contrebasse, démontrant qu’il reste un maître de l’instrument, comme sur
«No Mystery». Dommage qu’il n’ait pas su résister aux sirènes du
showbiz… La foule en délire lui fit une ovation à faire décrocher la lune qui se
tenait à l’écoute derrière la scène. Il en fut ainsi à tous les concerts, même
sans la lune!
Les concerts d’après-midi
Le 23, place
Dame-Sibille: le groupe ALF and Half (Marc Abel, g, voc,
Stéphane Leroy, eb, Frank Farrugia, dm) qui tourne avec succès dans la région
depuis de nombreuses années, présentaient son nouveau disque intitulé Wacky. Le trio pratique à sa manière un
jazz plutôt fusion, qui ne s’interdit pas d’autres influences. Il avait invité
pour l’occasion Cyril Goinguené, excellent sax ténor. Grand succès public pour
ce groupe qui le mérite amplement.
Le 24, place Puget, Jean Dionisi, 81 ans, joue toujours
de la trompette et du cornet avec la même fougue, le même plaisir, la même joie
et la même force qu’à ses débuts. Voilà plus de soixante ans qu’il fait vivre
le jazz traditionnel dans la région et au-delà, ayant toujours été à la tête
des meilleurs groupes new orleans. Et celui d’aujourd’hui ne nous démentira
pas, avec Jean-François Bonnet (cl, ss), Raphaël Porcuna (tb) Christian Lefèvre
(soubassophone), Jean-Claude Proserpine (dm) et Eric Méridiano qui remplaçait
au pied levé, et avec brio, le pianiste en titre. On comptait également un
invité de poids, l’excellent banjoïste Henri Lemaire. La foule était venue
nombreuse écouter celui dont le dieu est Louis Armstrong, qu’il imite à
merveille.
Le 25, place Puget toujours, le Jean-Philippe Sempéré (g) Quartet,
avec Gérard Murphy (as), Pierre Fenichel (b) et Cédrick Bec (dm), s’exprimait sur
le répertoire de Grant Green, auquel le leader voue une grande admiration. Ces
quatre musiciens sont des piliers du jazz dans la région et leurs qualités ne
sont plus à démontrer. Le très subtil batteur est pour beaucoup dans la réussite
du quartet, excellent tant aux baguettes qu’aux balais. On retiendra
«Talking About» pour l’élan des solos et «I Remember
You» en trio pour les développements du guitariste.
Le 26, place Puget encore, Jean-Marie Carniel (b) se
produisait avec Denis Césaro (p) et Cédrick Bec (dm) sur notamment quelques
titres de son disque This I Dig for You.
Un grand moment de communion avec «Witch Hunt» de Wayne Shorter,
et ce ne fut pas le seul. Jean-Marie Carniel a travaillé avec nombre de grands
jazzmen; c’est un contrebassiste raffiné qui sait ne jouer que les notes
essentielles, donnant ainsi beaucoup de profondeur, de relief et de swing au
trio. Denis Césaro est du même acabit; Il peut être prolifique en s’emparant
de tout le clavier, s’envolant en blockchords ou distillant des notes qui touchent au cœur: un grand lyrique, un
improvisateur riche et infatigable. Quant à Cédrick Bec, il est la «Rolls» des
batteurs, swing et finesse, des roulements à la Art Blakey qui relance en
beauté le soliste, et un jeu polyrythmique foisonnant; le tout avec une
décontraction et une facilité déconcertantes. Une surprise avec l’invitation
sur scène d’Olivier Chaussade (ts), qui possède ce qu’on appelle un son texan,
c’est à dire un vrai son de ténor, puissant et chaud, enjôleur, avec un phrasé
qui vient des grands maîtres.
Le
27, place Puget enfin, était programmé Sub Jazz
Project, le groupe de l’excellent batteur Rudy Piccinelli, lequel chante
aussi
d’une façon très personnelle, et qui n’est plus à présenter dans la
région. Cette
formation a déjà pas mal de prestations à son actif avec Olivier
Debourrez (tb),
Benoît Eyraud (kb) Julian Broudin (s), Mathieu Maurel (tp), Antoine
Borgniet (b) et Fortuné Muzzupapa (perc). Rudy Piccinelli a eu l’idée de
puiser dans le fonds
d’excellentes chansons célèbres comme base de son jazz. Louis Armstrong
disait: «Le jazz n’est pas dans ce que l’on joue mais dans la façon
de le jouer». On entendra ainsi, pour n’en citer que quelques-unes:
«Les Sucettes à l’anis», «Una lacrima sul viso»,
«Ame câline», «Celle que j’aime», «Tango jalousie»...
Un seul morceau dérogea à l’affaire «Out of a Dream» composé par le
batteur lui-même, avec un échange congas-batterie de grande envolée. La
mise en
place est impeccable grâce au drumming du batteur solide, imperturbable;
il
colle le groupe sur le temps, et chacun peut jouer en toute
décontraction. Le percussionniste est remarquable aux congas. «Une
lacrima sul
viso» devint une splendide et chaude interprétation salsa-jazz. «Tango
Jalousie», avec une longue introduction aux congas, emmena le public
ravi
vers les pays Latins.
Finalement, force est de constater chaque année que les concerts de jazz
pur se déroulent sur ces petites places du vieux Toulon. On y entend de très
bons musiciens qui jouent du jazz avec conviction et passion, body and soul, loin des modes, de l’agitation gratuite et de la démagogie
scénique. Le traditionnel concert «Coup de cœur»
qui clôt tout à fait le festival le dimanche après-midi sur la place Mgr-Deydier,
au Mourillon, faisait appel à Lo Triò (Bastien
Ribot, vln, l’excellent Emile Mélenchon, g, et Rémi Bouyssière, b).
Texte et photos: Serge Baudot
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Toucy, Yonne
Toucy Jazz Festival, 20 et 21 juillet 2018
Le
Toucy Jazz Festival fête cette année ses dix ans. Créé par le ténor américain
Ricky Ford et sa femme Dominique, dans un petit village de l’Yonne, il a accueilli
au fil des éditions des musiciens historiques, et pas des moindres: Benny
Golson, Archie Shepp, Ravi Coltrane, Ran Blake, Bobby Few, Alain Jean-Marie, La
Velle, Rhoda Scott, etc. Dix ans de beaux concerts, de rencontres inoubliables,
et de difficultés aussi. Défendre une ligne 100 % jazz, inviter des pointures, et
rentrer dans ses frais, ce n’est pas simple, comme pour tout petit festival de
jazz. Chaque édition relève de l’engagement, de Ricky Ford, de Dominique, d’une
équipe de bénévoles fidèles. Pas assez connu à l’échelle régionale, trop peu à
l’échelle nationale, ce festival mérite notre plus grande attention. L’état
d’esprit de ce festival créé par un musicien, la proximité avec les musiciens
et le public, la qualité des concerts présentés, tout cela fait du Toucy Jazz
Festival un rendez-vous essentiel.
Cet
été, honneur est à la guitare avec Steven
Reinhardt et Yvonnick Penven, et à la chanteuse Michele Hendricks. Vendredi
20 juillet, direction le Parc de la
Glaudonnerie. Il y a du monde pour voir l’un des descendants de Django
Reinhardt. Sur scène, Steven Reinhardt est accompagné d’Antoine Abed
(b), Benji Winterstein (g) et Alban Chapelle (as). Mais, ça commence mal:
clope au bec, casquette et lunettes noires, Reinhardtcommunique peu ou pas avec le public. Serait-il intimidé par le public
toucycois ? Ce type d’attitude gâche toujours un peu la soirée, surtout dans le
contexte d’un festival au cadre aussi intime et convivial. Seconde mauvaise
surprise: deux sets durant, le leader est très démonstratif. Qu’il
s’attaque à un répertoire archiconnu («Nuages», «Les Copains d’abord», «Minor
Swing»... il y a aussi le joli «Duke and Dukie») ou à quelques compositions
originales plus intéressantes(«Jade», «Thaissy Bolero»), sa technicité prend
toute la place. Le quartet se donne à fond, surtout l’alto Alban Chapelle. Le
public est chaleureux. Il ne manquait au leader qu’un peu de feeling...
Le lendemain, samedi matin,
c’est jour de marché. Le guitariste breton Yvonnick Penven se produit en solo à
la Galerie 14, l’espace d’exposition de Ricky Ford (où expose le peintre
Bernard Gortais). Il s’empare de «My Foolish Heart», de «It Should've
Happened a Long Time Ago» (Motian), de «Days of Wine and Roses»,
d’un thème de la harpiste et compositrice bretonne Kristen Noguès. Chez lui, tout
est personnel, tout est fin, tout est délicat, tout est raffiné. On sent chez Penven
une immense culture jazzistique de la guitare et une sensibilité de tous les
instants. Une heure d’une musique qui touche au cœur. (Ford et Penven se
connaissent bien. En août, ils se produiront en quartet à travers la Bretagne,
avec le contrebassiste Fred Guesnier et le batteur Marc Delouya.)
Autre emplacement, autres
guitaristes: en fin de matinée (et dans l’après-midi), les jeunes Léo
Rathier et Paul Ménard se produisent en duo place de l’Hôtel de Ville. Ce sont
des habitués du festival. Leurs interprétations de standards, tels que «Old
Devil Moon» et «Willow Weep For Me», sont aériennes. Mais ce jazz-là nécessite une
écoute attentive de la part des auditeurs. L’emplacement sur la place de
l’Hôtel de Ville, en fin de marché, se prête peu à cette esthétique. Les
duettistes mériteraient de jouer dans un lieu plus intime, comme la Galerie 14,
afin que les auditeurs apprécient pleinement cette musique.
Dernier concert du festival:
Michele Hendricks Quintet. On ne présente plus la grande vocaliste américaine,
qui a jeté l’ancre à Paris. Sur scène, elle est entourée d’une formation très
soudée : le vieux complice Arnaud Mattei (p), l’impeccable Ronald Baker (tp,
voc), l’ultra solide Bruno Rousselet (b) et le magnifique Philippe Soirat (dm).
Quel moment! Michele Hendricks, c’est l’excellence à l’état pur. Durant
deux sets, elle mêle les standards (tels que «It Don’t Mean A Thing», «Airmail
Special»), enregistrés dans son album-hommage à Ella Fitzgerald (A Little Bit of Ella, Cristal Records,
2016), et les compositions originales («Honk, If You WantIt», «Don't Give
Your Soul Away»). Elle a le scat aussi naturel que plein d’humour, elle multiplie
les duos avec Ronald Baker, donne de beaux solos à ses musiciens, revisite «How
High The Moon» dans une version reggae étonnante. Il y a aussi «I Bet You
Thought» et «I’ll Die Happy, deux chansons composées par son père Jon Hendricks
(1921-2017). «Watermelon Man», dont Hendricks avait signé les paroles.
«I Keep Going Back To Joe’s», une des chansons préférées de la vocaliste. Le
concert finit en beauté avec Ricky Ford, qui rejoint la formation pour un
blues.
A deux pas, la jam session, animée
comme la veille, par Mathieu «Matchito» Caldara (dm) et Fred
Guesnier (b), se prépare. Il reste encore aux festivaliers à découvrir la
rencontre de trois guitaristes: Yvonnick Penven, Léo Rathier et Paul
Ménard. Un autre beau moment musical.
Texte et photos: Mathieu Perez
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Marseille, Bouches-du-Rhônes
Marseille Jazz des Cinq Continents, 18 au 27 juillet 2018
19e édition de Marseille Jazz des Cinq Continents –la 2e pour son directeur
artistique Hugues Kieffer, à la tête d’une équipe qui a trouvé sa stabilité–,
et un développement toujours à l’œuvre avec ce qui, en amont et en aval,
ressemble de plus en plus à une saison de concerts, répartie sur différentes
communes du département. Pour ce qui est du festival en lui-même, toujours proposé
sur dix jours, la politique reste la même, celle d’un éclectisme musical revendiqué. Reste qu’en pratiquant une fréquentation ciblée, les amateurs de jazz peuvent toujours
profiter de quelques beaux moments de jazz, comme avec Roy Hargrove.
Le 19 juillet, dans le beau Théâtre Silvain, le festival
nous donnait l’occasion de découvrir un trio de jazzmen chinois, qui se
produisait pour la première fois en France, celui du pianiste Luo Ning, l’une
des têtes de pont de la scène jazz de l’Empire du Milieu. Originaire du Xinjiang
(dans le nord-ouest du pays), il a montré très tôt des aptitudes pour la
musique. Après de brillantes études classiques et jazz, il s’installe à Pékin
en 1996. Depuis, il occupe régulièrement l’affiche des festivals qu’il a
notamment partagée avec Kenny Garrett en 2006. En août 2010, il étudie à Cuba
avec les maîtres du jazz afro-cubain (dont Chucho Valdès), une expérience qui a
marqué ses dernières compositions. Depuis 2017, il est sous contrat avec Universal
Music, ce qui explique sans doute qu’il ait désormais la possibilité de
s’exporter. Accompagné de Ji Peng (b) et de Shao Haha (dm), il a donné une
courte prestation qui a attesté d’une expression tout à fait jazz, dans un
registre intimiste qui le rapproche de nombre d’interprètes européens.
Changement
d’ambiance, pour le concert suivant, avec le quartet Hudson, un all-stars mené
par Jack DeJohnette (dm) –flanqué de John Scofield (eg), John Medeski (org, kb,
p) et Scott Colley (b)– qui célèbre à la fois la vallée de l’Hudson, où
résident les quatre musiciens, les 75 ans du batteur et la musique des années
60, notamment Jimi Hendrix. Soit un jazz-(très) rock mêlant improvisation et
sons électriques et funky. On ne doute pas un instant que les musiciens
prennent un grand plaisir à barboter ainsi ensemble dans la fontaine de
jouvence. Le public le partage avec enthousiasme. Il est vrai que la prestation
est plaisante, très dense, avec un groove parfois hypnotique, en particulier
quand John Medeski passe à l’orgue. L’assistance réagit de façon
particulièrement positive lorsque Jack DeJohnette se met à chanter, sans pour
autant quitter ses cymbales. Bref, un concert tonique et coloré, fait pour
plaire tant aux amateurs de jazz qu’aux nostalgiques de l’Ile de Wight.
Sympathique bien qu’un peu superficiel.
Le lendemain, c’est
la chanteuse (et guitariste) belge Selah Sue qui ouvrait la soirée au Théâtre
Silvain. Dotée d’un joli grain de voix, elle se situe dans la mouvance
folk-soul-pop où d’autres avant elles (Norah Jones par exemple) ont donné
quelques satisfactions aux maisons de disques. A seulement 29 ans, elle aligne
déjà près de dix ans de carrière et a été à l’affiche des festivals de renom,
du North Sea Jazz Festival au Eurockéennes de Belfort. Un éclectisme consensuel
qui lui permet de toucher des publics différents, dont celui qui fréquente les
scènes jazz. Pour autant, la formule sobre et «acoustique»
présentée à Marseille a permis d’apprécier quelques jolies ballades et moments
un peu bluesy.
Toujours dans une
veine variétés, le duo atypique que forment Sarah Quintana (g, voc) Christophe
Lampidecchia (acc) propose la mise en musique de la correspondance amoureuse –et
authentique– de soldats américains ayant participé au Débarquement en Provence
de 1944. A partir d’archives trouvées à La Nouvelle Orléans (d’où Sarah
Quintana est originaire), les deux musiciens ont monté un répertoire de
chansons originales. Un projet intéressant et bien échafaudé, mais un peu loin
du jazz.
Le 24 juillet, le
festival avait déjà repris ses quartiers dans le parc du Palais Longchamp et
nous a offert une belle première partie avec la venue de Fred Wesley (tb, voc).
A 75 ans, celui qui a été pendant quinze ans le directeur musical de
l’orchestre de James Brown, délivre toujours un funk des plus réjouissants.
Certes, le tromboniste –qui passe aussi volontiers au chant– joue souvent assis
sur un tabouret, mais l’énergie est là, et la musique est des plus festives.
Pour rendre hommage à son ancien complice, il invite sur scène une autre
artiste ayant côtoyé the Godfather of Soul: Martha High (voc, 1945, Victoria,
Virginie) qui débuta avec The Four Jewels, un groupe vocal qui effectua une
tournée avec James Brown en 1964. Swing et blues étaient au rendez-vous de cet
excellent concert qui est venu confirmer, une fois de plus, que le funk de Fred
Wesley appartient à l’univers étendu du jazz.
Pourtant,
c’était pour la deuxième partie de soirée que la majorité du public semblait
s’être déplacée: Kool and the Gang, groupe phare des années disco, dont
il faut reconnaître cependant les origines jazz. En effet, les frères Robert
(b) et Ronald Bell (ts, ss) , dont le père était un ami de Thelonious Monk et
de Miles Davis, fondèrent, en 1964, The Jazziacs qui deviendra Kool and the
Gang. En ces premières années, la formation se fit remarquer dans un style
jazz-funk. Elle prit le virage commercial du disco à la fin des années 1970 et
enchaîna alors les tubes: «Celebration», «Get Out on
It», «Fresh» que les Marseillais étaient venus entendre ce
soir. Si beaucoup des membres historiques ne sont plus là, les frères Bell
tiennent toujours la boutique, épaulés par de jeunes recrues qui assurent un show
millimétré. A réserver aux amateurs de revival variétés…
Le 26 juillet, le
festival Marseille Jazz des Cinq Continents nous a offert la soirée la plus
jazz de cette édition 2018 avec deux excellents concerts: Chick Corea Akoustic
Band et Roy Hargrove Quintet. L’Akoustic Band de Chick Corea (p) n’est
rien d’autre qu’un beau trio piano-contrebasse-batterie in the tradition. L’ancien
sideman de Miles (mais aussi de Cab Calloway) nous rappelle ainsi qu’à l’issue
d’un parcours éclectique et souvent électrique, il reste un superbe pianiste
dont l’expression est emprunte de sensibilité et de swing. Ces aventures
musicales variées, John Patitucci (b) et Dave Weckl (dm) les ont en partie
partagées avec lui et l’entente entre les trois musiciens est palpable. Au
programme, des standards magnifiquement exécutés («That Old
Feeling», «In a Sentimental Mood») et également quelques
compositions personnelles («Life Line»). En hommage à Miles Davis
et Gil Evans, Chick Corea entreprend, d’abord en solo et avec une approche
classique, le «Concierto de Aranjuez» de Joaquín Rodriguo, qui se jazzifie quelque peu quand
le leader est rejoint par ses sidemen. Un régal.
Séquence
suivante: le quintet de Roy Hargrove (tp, flh, voc) qui reste un valeur
sûre de la scène jazz internationale. Et encore une fois, l’on a pas été déçu
par le trompettiste toujours entouré des fidèles Justin Robinson (as), Ammen
Saleem (b) et Quincy Philips (dm), tandis qu’au piano Tadataka Unno a remplacé Sullivan Fortner (2010-2017)
qui depuis développe sa propre carrière de leader. La juxtaposition de
plusieurs concerts sur une courte période, propres aux festivals, peut permettre
–et c’est encore possible à Marseille– de remettre en perspective ce qui est
essentiel dans le jazz et que le robinet promotionnel s’emploie à nous faire
perdre de vue. Un concert comme celui donné ce soir par Roy Hargrove et ses
musiciens remet les pendules à l’heure! Il rappelle de façon éclatante ce
qu’est le jazz, véritablement: un art total, vivant, foisonnant, qui se
doit d’être porté avec dévouement et intégrité. Car Roy Hargrove est au service
du jazz et non le contraire, comme cela s’observe souvent. Il nous l’avait dit,
il y a quelques années dans une belle interview (Jazz Hot n°676): le jazz est pour lui un
«ministère» et il y consacre toute son existence, le propageant
sans arrêt sur les routes, malgré des problèmes de santé récurrents. Et ses compagnons sont à son image: ils
prennent le jazz avec sérieux et talent, dans une cohésion de groupe qui s’est construite
avec les années. On retiendra quelques moments en particulier de cette heure et
demie de pur bonheur: le récurrentet toujours enthousiasmant
«Top of My Head», dont il chante aussi les paroles; une
reprise rhythm and blues de Sam Cooke, «Sooth Me» (là encore Roy
est au chant), et dont Tadataka Unno fait ressortir les accents gospel, et
auquel Justin Robinson donne une intensité hard bop; et, en rappel, un
«Never Let Me Go» à fleur de peau, avec un son de buggle beau à
pleurer, ce qui n’empêche pas Roy Hargrove de glisser quelque malicieuse
citation funk. Tout simplement magique.
Des étoiles encore plein les
yeux (et du jazz plein les oreilles), on espérait entendre encore un peu de jazz à
Marseille, pour la soirée de clôture du festival. Las, quatre formations de
(plutôt) jeunes musiciens étaient censées incarner le jazz «de
demain». Pour paraphraser Pierre Dac: le jazz a l’avenir devant
lui, il l’aura dans le dos à chaque fois qu’il fera demi-tour! On vit
ainsi se succéder le trio marseillais One Foot qui, à coup de rythmes binaires
et de sons électroniques, produit une musique inspirée par les jeux
vidéos (sic); le duo Emile Parisien (ss)/Jeff Mills (DJ) pour un
prétendu hommage à Coltrane a raté le Trane; pour le trio britannique
GoGo Penguin, évoluant dans un univers sonore proche de la techno, on se
demande ce qui le relie au jazz; enfin, Cory Henry, un sacré
organiste, natif de Brooklyn, au groove bouillonnant mais égaré dans une bouillabaisse
variété-funk censée lui ouvrir la voie du succès commercial, a eu
au moins le mérite de produire la seule musique festive de cette dernière
soirée.
La 20e édition de Marseille Jazz des Cinq Continents, un bel anniversaire l'an prochain, donnera sans doute plus de grain à moudre pour les amateurs de jazz.
Jérôme Partage
Photos: Ellen Bertet, Jérôme Partage, Laura Dauphin by courtesy of Marseille Jazz des Cinq Continents
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Nice, Alpes-Maritimes
Nice Jazz Festival, 16 au 21 juillet 2018
Nice fêtait
cette année le 70e anniversaire de son festival de jazz, dont la
première édition de 1948 en fait le plus ancien festival d’Europe. Parallèlement
au festival, s’ouvrait une exposition, à la Villa Massena, « Jazzin' Nice», retraçant
cette longue histoire. Elle reste d’ailleurs visible jusqu’au 15 octobre. Cet
anniversaire est également célébré par la sortie d’un livre, Nice Jazz, Histoire d'un festival (éditions
Gilletta), dont votre serviteur est l’un des auteurs. Les organisateurs ont pu
se féliciter de l’affluence record enregistrée pour cette édition 2018,
laquelle confirme le succès du festival. Succès dû en partie à «l’ouverture»
sur d’autres musiques, proposées sur la scène Masséna. Tandis que les amateurs
de jazz pouvaient se retrouver au Théâtre de Verdure, auquel nous avons donc
limité notre compte-rendu.
Tout était prêt pour l'ouverture du festival le 16 juillet, mais,
vers 18h, une pluie diluvienne a contraint les organisateurs à annuler la
soirée d'ouverture pour des raisons de sécurité évidentes. Dommage pour
l'altiste, arrangeur et chef d'orchestre niçois Pierre Bertrand qui avait prévu
une «Grande Parade du 70e anniversaire» mettant
en scène plus d'une trentaine de jazzmen niçois dont André Ceccarelli (dm) et
Bunny Brunel (eb). Par miracle, le «Tribute to Nat King Cole» du
chanteur Gregory Porter, avec Chip Crawford (p), Jahmal Nichols (b), Emanuel
Harrold (dm), l'orchestre philharmonique de l'opéra de Nice et Vince Mendoza
(arr, lead), trouvera un créneau le lendemain au Théâtre de Verdure devant
un public plus nombreux encore que d'habitude, se pressant assis à même le sol
(la soirée, gratuite, étant initialement prévue pour le jeune public).
Très beau concert. Les arrangements de Vince Mendoza sont somptueux et dénués
d'accents sirupeux hollywoodiens. Une chanson sur deux est accompagnée
seulement par la rythmique habituelle. Gregory Porter évoque ses sentiments en
racontant sa visite de l'exposition. Il s'est dit très ému de constater à quel
point la mémoire du jazz est conservée précieusement en France, et à Nice en
particulier.
Le 18 juillet, les chaises sont heureusement revenues pour deux
concerts très attendus. Le New Monk Trio de Laurent de Wilde (p), avec Jérôme
Regard (b) et André Ceccarelli (dm), qui reprend superbement en version liveles thèmes de Thelonious du disque éponyme, agrémentés de commentaires
savoureux du pianiste qui, réussira même à faire chanter au public le
thème de
«Friday the 13th». Un véritable prodige! C'est le quartet de
Billy Hart (dm), invitant Joshua Redman (ts), qui conclue la soirée.
Complété d’Etahan
Iverson (p) et de Ben Street (b), il entame et termine sa prestation par
des
thèmes construits sur la structure du blues, mais l'essentiel du concert
présente une musique assez difficile d'accès, austère, voire abstraite.
Pour autant, le public du Théâtre de Verdure, constitué d’initiés,
ne s’effraie pas pour quelques envolées free.
Le 19 juillet, les Ancestral Memories ne sombrent pas non plus
dans la facilité. Baptiste Trotignon (p), Yosvany Terry (as, ss, perc), Samuel
F'hima (b), et Ernesto Simpson (dm) font, en effet, un large usage des rythmes
des tambours Gwo Ka antillais et d'harmonies complexes des Caraïbes, ce qui
donne une musique étrange, mais qui se marie parfaitement avec les canons du
jazz. Suite au récent décès d'Henry Butler, le quintet de Florian Pélissier (p)
se voit programmé pour un demi set et lui dédie le concert (le
«Cotonette» du chanteur brésilien Di Melo, sans grand intérêt, lui
succédant trop vite). Avec Yoann Loustalot (tp, flh), Samy Thiébault (ts), Yoni
Zelnick (b), et David Georgelet (dm), Florian Pélissier opère un retour au
terrain balisé d'un jazz inventif, aux mélodies dynamiques et swinguantes
flirtant avec le jazz-modal. Un matériau que les soufflants de première
catégorie, bien soutenus par une section rythmique à la hauteur, se font un
plaisir de faire briller haut et fort. L'esprit des combos de McCoy Tyner plane
sur le festival pendant ces trop courtes 45 minutes…
Le 20 juillet, le guitariste niçois Jef Roques, vainqueur du
«Tremplin» 2017 ne se voit offrir, lui aussi, qu'une petite
demi-heure de concert devant la fine fleur des guitaristes de la région qui
voient en lui le digne héritier des guitar
heroes de la grande époque: Grant Green, Kenny Burrell et Wes
Montgomery dont il fait une synthèse très réussie, soutenu admirablement par
Olivier Slama (p), Sébastien Lamine (b) et Thierry Larosa (dm). En milieu de
soirée, c'est au tour des ladies qui entourent Rhoda Scott (org), en pleine
tournée pour son 80e anniversaire. Sophie Alour (ts), Lisa Cat Berro (as) et
Julie Saury (dm), qui pourraient être ses petites-filles, semblent prendre un
grand plaisir à être sur scène à ses côtés et bien des spectateurs leur envient
une telle grand-mère...
Le 21 juillet, le «Tribute to Les McCann» ouvre cette
dernière soirée qui s'annonce très prometteuse. Dès 19h30, les amateurs,
occupent tous les sièges et se pressent même sur les marches. Eric Legnini (p),
Jon Boutellier (ts), Malo Mazurié (tp), Géraud Portal (b), Ali Jackson (dm)
font revivre la musique du pianiste, grand amateur de «socca» (le
plat national du pays niçois), pionnier d'un «jazz-funk»
incorporant les influences de la soul, du gospel et du blues, qu'il avait rendu
populaire dès les années soixante (et dont Eric Legnini, quel chanceux, fut un
des rares élèves). L'enceinte ne désemplit pas pour le Trio Rosenberg. Ce sont
des habitués du NJF, ils font quasiment partie de la famille... Stochelo
Rosenberg et Nou'che Rosenberg (g), Nonnie Rosenberg (b) n’offrent pas de
surprises: on connaît et aime leur musique, héritière de celle de Django
Reinhardt, mais leurs invités, Mathias Levy (vln), et Evan Christopher (cl)
font forte impression. Le set est très justement acclamé.
Enfin, c'est l'African Rhythms Quartet de Randy Weston (p) qui
conclue en beauté le festival 2018. Avec TK Blue (as, fl), Billy Harper (ts),
Alex Blake (b) et Neil Clarke (perc), il offre alors un concert magnifique, où,
au-delà des influences africaines, le jazz triomphe, par son enthousiasmante
énergie, son swing irrésistible, son sens des mélodies envoûtantes et des
alliages sonores directement issus du gospel et des chants de travail. Randy
Weston est né en 1926. Géant du piano jazz, il a été l'un des premiers à
s'intéresser aux racines purement africaines de la musique de jazz. Il a
parcouru l'Afrique, et même vécu à Tanger quelques années, côtoyant les
communautés des musiciens sorciers et guérisseurs. Le très jeune Tahar Ben
Jelloun, futur prix Goncourt, fan de jazz en général et de John Coltrane en
particulier qui, encore étudiant, y organisait des séances d'écoute de disques,
s'en souvient encore. L'altiste, par sa fougue évoque Ornette Coleman, et le
ténor, Pharoah Sanders. Le percussionniste impose la touche africaine, en
ponctuant ses interventions de chants yorubas. Quant au contrebassiste, assis
sur une simple chaise, ce qui l'oblige, pour émettre les notes les plus graves
à tendre le bras gauche au delà du raisonnable, il produit dans le registre
médium des lignes évoquant tour à tour les gimmicks des joueurs de
«hajoujs» ce guimbri basse des Gnawas de la place Jamaa El Fna de
Marakech, ou bien le jeu percussif et en «tout en accords» des
guitaristes de flamenco. Le pianiste veille sur tout cela avec bienveillance et
amusement, relançant au besoin cette «machine infernale» vers de
nouvelles pistes. Il jubile de voir les derniers spectateurs passionnés, qui,
trempés par une ultime et violente averse dix minutes avant la fin du concert
se pressent devant la scène, comme si cette proximité avec les musiciens,
sorciers et guérisseurs, eux-aussi, les protégeait du déluge...
Daniel Chauvet
Photos: Alain Karsenty by courtesy, Jacques Lerognon by courtesy
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Antibes-Juan-les-Pins, Alpes-Maritimes
Jazz à Juan, 12 au 22 juillet 2018
Se
retrouver dans la pinède Gould à Juan-les-Pins, à la mi-juillet, peut être
considéré comme l'un des vrais plaisirs de l’existence. Le festival fonctionne
comme une machine superbement rodée et qui a su conserver une ambiance unique,
à laquelle sont visiblement sensibles les artistes invités. Si la journée à
Juan est assez «plage, sieste, farniente», la nuit est très animée.
D’autant que le temps ne gâte rien et que la sonorisation, pour l’ensemble des
concerts, est proche de la perfection. On apprécie la volonté de faire sens dans
la programmation de Jean-René Pallacio, qui présente les concerts chaque soir,
avec des premières et secondes parties qui se répondent et s’enrichissent.
Quant aux jams, elles ont été menées par le trio de Nils Indjein (p),
chaleureux et ouvert, inspiré par le funk.
18 juillet, 20h30. Chick Corea Akoutic Band
La
pinède est chargée d’histoire, comme le rappelle l’ensemble des musiciens.
Chick Corea (p) commence son set en évoquant Miles et combien cette période fut
importante pour lui (il n’est pas le seul dans ce cas parmi les invités du
festival!). Chick Corea, John Patitucci (b) et Dave Weckl (dm) jouent
ensemble depuis un temps certain, dans des formations électriques (Chick Corea
Electrik Band, juste après Return to Forever) et acoustiques, comme ce soir. Ils
jouent ensemble avec un plaisir évident; ça s’entend, ça se sent et ça se voit.
Les trois se regardent, s’écoutent, se suivent. Les morceaux sont présentés à
tour de rôle par chacun des membres du trio.
Le
premier, «Morning Sprite», fait ressentir cette cohésion entre le phrasé plutôt
riche et délicatement articulé de Corea et la fluidité du jeu de Patitucci,
jamais aussi bon qu’à la contrebasse. On continue avec «Japonese
waltz», toujours du pianiste, avec, encore une fois, le plaisir du trio
qui se ressent. Le chorus de Patitucci, parfaitement soutenu mezzo voce par le
batteur, permet à Chick de rebondir subtilement sur le thème. C’est ensuite le
standard «That Old Feeling» de Sammy Fain,délicatement pris par Chick dont on perçoit que le jeu peut être moins
percussif et plus délié. On vient ensuite sur Ellington avec «In a Sentimental
Mood» où un long développement du pianiste précède l’intervention à l’archet de
John Patitucci, toujours parfaitement articulée avec les deux autres. L’interaction
entre les membres du trio trouve son point ultime avec «Life Line» écrit pour
cette formation, où la cohésion, l’écoute et l’engagement des trois musiciens
fait rugir de plaisir le public, attentif et concerné. Corea, percussif cette
fois, accompagnant la contrebasse magique de Patitucci très en avant, avec
Weckl très précis en contrepoint du
pianiste. Une section rythmique superlative! Corea plaisante ensuite sur
son goût pour les «espagnolades» pour présenter une sonate de Scarlatti, qu’il
appelle familièrement «Dom». La sonate est jouée au piano seul «classiquement»
avant d’être reprise par le trio sur un arrangement de Corea. Il tripote les
cordes du piano comme lors de ses expérimentations de 1971, Piano Improvisations. Le chorus de David
Weckl laisse entendre la présence de l’Afrique dans la musique du trio. On
termine avec «You and the Night and the Music» d’Arthur Shwartz, superbement
revisité avec des up-tempo. Un concert qui restera dans les annales de Jazz à
Juan.
18 juillet, 22h30. David Sanborn Acoustic Band
On
connait la longue carrière, la fréquentation des studios new-yorkais, le son
très plébiscité de David Sanborn (as). On sait le fait qu’il est reconnu et
apprécié d’une part, largement critiqué d’autre part. Quoiqu’il en soit, David Sanborn
revient à Juan depuis 1974 (c’était alors avec Gil Evans) et une partie du
public lui est totalement acquise. Le set débute avec une composition de
Michael Brecker avec lequel le saxophoniste a beaucoup joué, «Tumble Weed», où
visiblement quelques problèmes d’anche de saxophone perturbent ses interventions
mais l’on perçoit très vite que David Sanborn sait très bien s’entourer: Wycliffe Gordon (tb), Andy Ezrin (p, kb), Ben Williams
(b) et Billy Kilson (dm). Le deuxième morceau, toujours de Brecker, «Half Moon Lane»
confirme cette impression et le solo de Ben Williams, follement inventif,
totalement déstructuré, avec des passages sur les cordes à vide, est un grand
moment du concert. Le même Ben Williams –qui joue avec David Sanborn depuis
deux ans– confirme que le leader laisse une totale liberté aux musiciens et
qu’aucun concert n’est le même. On poursuit avec un thème de Miller
«Maputo», dans lequel le saxophoniste prend un chorus qui laisse
entendre un son unique avant une version de «All in the Game»de Roy
Hargrove, plus lente que l’original, mais qui donnera à Andy Ezrin l’occasion
d’un chorus parfaitement soutenu par Billy Kilson. Sanborn se
remémore ensuite, sur le morceau de De Angelo «Spanish Joint», le
temps d’une jeunesse folle et son chorus est empreint de mélancolie douce. On
apprécie ensuite sur le rappel «Smile» de Charlie Chaplin un
splendide travail de Wycliffe Gordon qui montre encore une fois que David
Sanborn a su constitué autour de lui un superbe ensemble, cohérent et
aventureux.
19 juillet, 20h30. Biréli Lagrène &
Charlier-Sourisse Big Band «Remember Jaco Pastorius»
Jaco Pastorius
et Biréli Lagrène se sont rencontrés en 1985, à New York, ont joué des nuits
entières et sont partis sur la route en Europe (en témoigne le disque Stuttgart Aria, 1986). A l’issu, le
guitariste s’est tâté pour savoir si, finalement, la basse électrique n’était
pas l’instrument qu’il devait choisir. L’hommage rendu ce soir à l’icône du
jazz fusion s’inscrit donc dans une véritable continuité artistique et le
projet, non dénué de risques pour Biréli (à la basse électrique), est chargé de
talents et d’émotion, d’autant que le choix d’un big band –s’il n’est pas une
nouveauté pour lui– demeure inhabituel pour un musicien plus coutumier des
longues plages improvisées et qui ne lit pas la musique. Il fera part au public
du challenge que constitue pour lui, à son âge et à ce stade de sa carrière, la
mise en place de ce projet, qui est destiné à se poursuivre sur d’autres
scènes.
Le
premier titre présenté est tiré de l’album Words
of Mouth de Jaco Pastorius, enregistré justement avec un big band, «Liberty
City». D’autres sont issus de périodes différentes (The Birthday Concert, Twins,Invitation) et d’autres formations,
notamment Weather Report (et arrangés essentiellement par Stéphane Guillaume,
taulier des cuivres dans le big band de Charlier et Sourisse). Au début du
concert, Benoît Sourisse (p, org) rappelle quelques éléments de l’histoire
commune de Biréli et Jaco et lance «The Chicken». Nous sommes tout
de suite dans le vif du sujet, le public ne s’y trompe d’ailleurs pas et donne
à entendre son plaisir à l’écoute de ce morceau important dans l’itinéraire du bassiste.
Ensuite, «Kurou» (Pastorius) et «Like a Child» (Hancock), qu’il a beaucoup joués
en concert. Lucas Saint-Cricq (as, ts) prend un très beau chorus. Puis, vient «Barbary Cost», de l’époque où Jaco
était l’âme même de Weather Report. Ensuite, «Continuum», joué par Biréli,
soutenu par le clavier, est l’occasion pour lui d’explorer les possibles sur
des harmoniques à la fretless. «Palladium»,
encore de Weather Report, arrangé par Pierre Drevet (tp), vient clore le
concert où l’hommage rendu sur fond de plaisir, de concentration, d’enjeu
artistique et affectif provoque une vraie émotion partagée.
Le big
band Charlier-Sourisse se compose de Benoît Sourisse (p, org), André Charlier
(dm), Denis Leloup, Damien Verherve, Philippe Georges (tb), Didier Havet (btb),
Stéphane Chausse (as , cl), Lucas Saint-Cricq (as, ts), Stéphane Guillaume (ts,
ss, fl, cl), Fred Borey (ts), Fred Couderc (bar, bcl), ), Claude Egéa, Pierre
Drevet, Erick Poirier, Yves Le Carboulec (tp), Pierre Perchaud (eg) et Nicolas
Charlier (perc).
19 juillet, 22h30. Marcus Miller
«Sublimity»
est un mot qui n’existe pas et c’est l’expression même de la liberté artistique
nous dit Marcus Miller (eb, bcl). Il rend aujourd’hui hommage à son père avec
son dernier album, Laid Black (Blue
Note). Dans une longue intervention, très émouvante, il raconte comment son
père souhaitait devenir pianiste de concert, comment cette ambition fut mise de
côté quand il eut à faire vivre sa famille et choisit un travail de conducteur
de train et comment il devint organiste à l’église le dimanche. Quant à son oncle,n’était autre que Wynton Kelly, le
pianiste qui s’illustra, entre autres, avec Miles sur Kind of Blue. Marcus Miller assure que sa
carrière n'est que la continuation du rêve de son père qui été quelqu'un de
très influent sur sa vie d'artiste et d'homme. Il était présent lors de son premier
concert avec Miles après Tutu, à
Montréal. Marcus Miller dit l'avoir senti très fier à cette occasion.
On se souvient,
et c’est un élément de la continuité du concert de ce soir, outre le fait que
les quatre cordes sont à l’honneur, que c’est lui, Marcus Miller, qui composaà 21 ans «Mr Pastorius» pour l’album du trompettiste. Le
«bassiste funk qui connait très bien le jazz», comme il se définit,
commence son set sur des morceaux de sa composition, «The Blues»,
puis «Unianez», avant «Sublimity» et «Trip Trap»,
tous deux tirés du dernier disque, où, loin de tirer la couverture à lui, il sait
laisser de la place aux musiciens qui l’accompagnent: Russell Gunn (tp), Alex Han (ts), Brett Williams
(kb) et Alex Bailey (dm). Ainsi le chorus d’Alex Han sur «Trip Trap» est-il
très applaudi, tout comme celui d’Alex Bailey sur me même morceau; Alex
Bailey que l’on retrouvera tapant le bœuf à l’hôtel Marriott avec le trio de
Nils Indjein (p), chargé des after.
La
chanteuse Selah Sue, qui a participé à l’enregistrement
deLaid Black, arrive sur
«Ragamuffin». La voix, très soul, qui peut devenir rauque, s’accorde
bien avec le jeu des autres musiciens, très imprégné de funk. C’est avec le
tube de Doris Day «Que sera» que le set se poursuit, tube repris
par Sly and the Family Stone, dont le bassiste, Larry Graham, inventeur du
slapping, a eu un impact important sur le jeu puissant plutôt que rapide de Marcus
Miller. Ce dernier chausse prend ensuite la clarinette basse, soutenu par le
clavier de Brett Williams, pour un très émouvant «Preacher’s Kid», morceau
dédié à son père, composé pour l’album Afrodeeziaet réarrangé depuis, avant de poursuivre avec «Hy Life», en
compagnie de Selah Sue. «Come Together» de Lennon-McCartney en rappel, qu’il
interprète souvent avec la chanteuse, indique assez bien l’inclinaison chaleureuse
de l’homme au chapeau, qui parle facilement aux gens, dédicace des disques à la
fin du concert, sourit pour les selfies…
20 juillet, 20h30. Youn Sun Nah
Jean-René Pallacio, le directeur artistique du festival, introduit Youn
Sun Nah disant qu’elle «rend le jazz accessible». Et c’est à un set
très éclectique que nous sommes conviés, avec l’empathie que dégage la
chanteuse. Entourée de Tomezk Miernowski
(eg), Frank Woeste (p, ep, org), Brad Christopher Jones (b) et Dan Rieser (dm),elle
commence son set par un hommage aux musiciens de jazz, avec qui elle peut se
retrouver pour jouer dans le monde entier en introduction d’une de ses
compositions «Traveller». La voix est très acrobatique, capable d’intervenir
sur plusieurs registres, parfois rauque sur «Driftin», parfois flutée
sur «Momento magicode Ulf Wakenius ou «A Sailor’s Life»
de Fairport Convention. Elle sait aussi se montrer émouvante sur
«Hallelujah» de Leaonard Cohen. Le tout parfaitement accompagné par
son groupe où Brad Christopher Jones n’est pas le dernier à swinguer. On
remarque sur les longues plages instrumentales le talent de Frank Woeste et les
chorus brillants de Tomezk Miernowski qui offre de beaux moments sur «
Drifting» de Jimi Hendrix. Le mélange des genres a visiblement conquis le
public qui offrira une standing ovation à la chanteuse.
20 juillet, 22h30. Ibrahim Maalouf & Angélique Kidjo
Ibrahim
Maalouf (tp) qui respire la joie de jouer et sait la communiquer au public,
dans les différents styles musical qu’il aborde, et Angélique Kidjo, dont on
connait la voix chaude et puissante, sont réunis ce soir pour un projet écrit
spécialement par les deux artistes et qui devrait donner lieu à un
enregistrement. Il s’agit d’une œuvre symphonique composée par Ibrahim Maalouf
sur un texte écrit en fondje (béninois) par Angélique Kidjo, inspirée de la
légende de la reine de Saba. Ce projet musical constitué de sept pièces de dix
minutes durant lesquelles Ibrahim Maalouf, tour à tour, dirige son septet (Francois
Delporte, eg, Mohamed Awish, g, Frank Woeste, kb, Zapostrof, b, Stéphane
Galland, dm, Mogar Soul Ux, perc) et l’Orchestre symphonique Cannes Provence Alpes Côte d’Azur (fondé en
1975),
danse avec Angélique, joue de la trompette. Là encore l’accueil du public est
enthousiaste.
En
début de soirée, à la petite pinède, on a pu également entendre (le 18 juillet)
le trio de Gauthier Toux (p), lequel en est à son troisième album et présente
une musique sans aspérité mais qui constitue une belle démonstration de la
pertinence du trio jazz. Le lendemain, Merakhaazan et sa contrebasse bouclée nous
emmenait aux confins de l’électro-acoustique contemporain. Le 20, c’était au
tour que quartet de Scott Tixier (vln).
Texte et photos: Christian Palen
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Bruxelles, Belgique
Brosella Folk & Jazz , 7-8 juillet 2018
Comme chaque année depuis quarante-deux ans, l’a.s.b.l.
«Brosella», en collaboration avec la ville de Bruxelles, convie autochtones,
allochtones et touristes à participer à deux journées festives: folk le samedi
et jazz le dimanche, dans et autour
du Théâtre de Verdure, près de l’Atomium (50 ans cette année). Sept groupes
étaient invités le dimanche dès 15 heures sur deux podiums: le premier,
dans l’amphithéâtre de verdure et le second, non loin, dans le magnifique parc
d’Osseghem. Entre les deux, à l’ombre des arbres, un grand bar, des tables, un
disquaire et une demi-douzaine de food-trucks (frites, pizza, thaï, beignets…). Ambiance chaleureuse, assurée et
appréciée.
Pile-poil à l’heure, le Jazz Station Big Band dirigé par
Stéphane Mercier (as) entame les festivités avec «Summertime» et quelques
originaux parfaitement arrangés par le leader et ses sidemen. Au piano, invité, Jason Rebello. Le
Britannique, spécialiste du hot-piano, colle
parfaitement à la musique de l’orchestre qui privilégie le swing,
l’harmonisation de la section des saxes, les backings de trombones et lespèches vigoureuses des trompettes.
Outre le leader, Stéphane Mercier (as), on remarque la présence de Nicolas
Kummert (ts), Daniel Stokart (as), Jean-Paul Estiévenart (tp), Thomas Maiade
(tp), Edouard Wallyn (tp), David De Vrieze (tb), François Decamps (g) et Piet Verbist (b). Sur «The Jazz
Studio», une composition de Stéphane Mercier en hommage à l’école anversoise, on retiendra le
magnifique solo de Jason Rebello.
Pour le deuxième
concert, il faut déménager sa chaise (si l’on veut s’assoir) à quelques cent
mètres de là pour découvrir la carte blanche offerte à l’accordéoniste
diatonique Anne Niepold. La jeune femme a sans aucun doute beaucoup écouté
Richard Galliano et son new-musette. Elle virevolte sur des valses entre jazz
et java, osant même quelques libertés atonales («Déluge»). La musique est dense
et l’organisation parfaite. Pour l’accompagner dans ses promenades festives, on
reconnaît Hendrik Vanattenhoven (b) et le splendide Stefan Bracaval (sans doute notre meilleur
flûtiste).
Retour dans l’arène pour le Ghex Trio du guitariste
israélien Gilad Hekselman. Rick Rosato
(b) et Jonathan Pinson (dm) complètent ce petit groupe pianoless. La musique est sensible, sans heurts
dans un endroit surdimensionné pour une écoute attentive. Néanmoins, c’est très
beau et on se prend à penser à Pat Metheny (ancienne version). La sonorité de
guitare est claire, reverb’ sans excès,
avec de temps en temps des passages sur les loops («Clap-clap»). Redéménagement
sur le pré pour le duo formé par Yun Sun Nah (voc) et Ulf Wakenius (g). La gentille
Coréenne enchante toujours à tout crin; son guitariste colle derrière
elle des accords puissants, des solos véloces et, une fois encore des
passages par les loops. On ne manque
pas les minauderies habituelles, les scats en solo, le gospel «Hallelujah»,
l’un ou l’autre growls et la finale avec Léo Ferré («Avec le Temps»). De la
belle ouvrage, comme d’hab’!
Une frite-mayo plus tard, on s’installe bien cambré devant
Romane (g) et Stochelo Rosenberg (g) accompagnés par Marc-Michel Le Bévillon
(b). Pas de surprise avec ces papes du gypsy swing: la gaieté et la
légèreté de leur duo confine à la perfection. Stochelo développe une sonorité
claire, métallique; Romane, plus mate, sans être moins puissante. La mise
en place est parfaite; aux chasessuccèdent des séquences à l’unisson pour notre plaisir! «Pour parler», «Double
Jeu», «Blues For Barney», «Anoumane» écrit (sic)
par Django en 1952 et, pour conclure, le surprenant «Rythmes Futurs»:
vision futuriste (éthérée?) de Monsieur Reinhardt.
Léon Parker (dm) avait réuni quelques cadors et minors pour
un concert qui pouvait apparaître comme un assemblage de dernière minute:
la voix nasillarde de la jeune chanteuse africaine nous a déplu. Celle-ci
pourrait émerger dans dix ans après quelques cours sérieux de maîtrise vocale
puisqu’en scat elle montre d’intéressantes dispositions. En revanche, les solos
de Frédéric Nardin (p) nous ont révélé un musicien doué et hyper-créatif. Quant
à Sophie Alour (ts, ss, voc) on s’interroge toujours sur sa motivation à
joindre le groupe. Elle mérite bien mieux que cette sous-exposition dans un reunion-band
où le leader privilégie le show (percussions manuelles sur la cymbale,
percussions thoraciques…).
Pour conclure, les organisateurs avaient invité The Bad
Plus, un trio originaire de Mineapolis: Reid Anderson (b), Dave King (dm)
et Aaron Evans (p). Puissants, rigoureux, les musiciens visitent les chansons
rock et pop… en jazz (?). C’est bien fait, mais n’en déplaise à beaucoup,
la pauvreté des phrases, les two-beatset l’absence d’improvisations créatives ont tôt fait de me convaincre que le
marchand de sable m’attendait au terminus du tram 7. Neuf heures, sept groupes et six promenades de bas en haut ou de haut en bas du
parc: c’est beaucoup pour un chroniqueur qui compte la moitié d’une vie
avec Jazz Hot! A l’année
prochaine!
Jean-Marie Hacquier
Photos: Jean-Luc Goffinet, by courtesy of Brosella
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Saint-Cannat, Bouches-du-Rhônes
Jazz à Saint-Cannat, 7-8 juillet 2018
En ce 9 juillet 2018, seules les cigales auront fait
swinguer les beaux platanes du château de Beaupré; victime d’un
«allègement» des subventions allouées aux activités culturelles, le
jazz s’est replié vers la très démocratique salle Yves Montand, dans le village
de Saint-Cannat, pour présenter ses deux soirées consacrées au piano. Allègement
du programme aussi, en conséquence, avec la suppression des premières parties
qui avaient pourtant l’avantage de faire découvrir les groupes régionaux et
nationaux. Mais le Steinway est fidèle au poste, le son irréprochable,
et les partenaires sont encore là pour régaler et désaltérer nos papilles.
Et la foi est restée intacte: l’équipe d’Art
Expression nous a présenté deux trios qui laissent entrevoir l’immensité du
continent jazz. Deux groupes très différents mais portés par la même approche de
la musique, ouverte et curieuse, avec cette énorme capacité d’absorption et de
re-création que permet le jazz.
Le 7, place au jazz cubain avec le trio de Harold Lopez
Nussa (p), Gaston Joya (b) et Adrian Lopez Nussa (dm, perc). Les frères Lopez Nussa sont bien nés: la musique est
une première nature dans la famille, où l’on connaît déjà Ernan (oncle et
pianiste) et Ruy (papa et percussionniste); la maman, quant à elle,
enseignait le piano… Apprentissage
classique dans un Cuba aux rythmes forts, et imprégné de jazz depuis près d’un
siècle: cette Trinité culturelle donne sa densité au jeune trio, lui
confère une agilité à passer d’un monde à l’autre, à marier les couleurs, les
ambiances, avec une grande imagination. Ainsi «New Day», «Una
Tarde Cualquiera en Paris», en hommage à Bebo Valdès, reflètent bien la
qualité de cet alliage délicat. Sur «Los Muñecos», air populaire dédié à leur maman,
Harold et Adrian se mesurent à quatre mains au piano, dans un jeu de chaises
musicales très drôle. Puis, tout en déhanchements, éclate le joyeux standard cubain
«Y la Negra Bailaba». La mélancolie nous rattrape sur «Preludio»,
souvenirs d’un ami décédé. Ce trio n’est pas seulement une affaire de famille, c’est
aussi l’histoire d’une amitié avec Gaston Joya «l’autre frère»,
comparse de longue date en musique, un bassiste très jazz, impressionnant à la
fois de dextérité et de souplesse, mélodieux. Adrian, à la batterie et aux
percussions, rajoute un grain de folie à ce foisonnement rythmique, jusqu’au
paroxysme. On en redemande, ils nous en donnent encore, on se quitte ravis, on
rêve d’une île de musique.
Le lendemain, voici le «Ménage à Trois» d’Enrico
Pieranunzi (p), Diego Imbert (b) et André Ceccarelli (dm) pour une évocation
d’œuvres européennes modernes sur une trame jazz. Les œuvres de Milhaud,
Debussy, Satie, Fauré, Schumann… passent par le toucher subtil et mélodique du
pianiste, et c’est avec un plaisir évident (et partagé) qu’il swingue les «Gymnopédies»
de Satie, la «Romance» de Milhaud, «La
plus que lente» de Debussy en lui adjoignant une suite, « La
Moins que lente» de son
inspiration, ou le très bel «Hommage à Fauré», tout en légèreté et
finesse. Avec «Mr Gollywogg» le trio nous rappelle que Debussy
était déjà acquis à la cause du jazz. Le plus souvent, le maestro expose son
interprétation du thème classique en solo puis, au détour d’une phrase, la
basse et la batterie se glissent à ses côtés et le jazz émerge. La
transition est d’autant plus
imperceptible qu’Enrico Pieranunzi, le malin, a choisi les auteurs anticonformistes
de la fin du xixe et du xxe, qui avaient déjà introduit
dans leur écriture des formes «modernes», ou qui ont même côtoyé le
jazz at home, comme Darius Milhaud, le plus contemporain, exilé en 1940 aux USA. Et avec fantaisie, humour, pédagogie, Enrico
Pieranunzi nous interpelle, ponctue ses pièces d’un petit commentaire sur ses
choix, ses moods, ses inspirations, déroule un fil d’Ariane qui éclaire le
projet. Il pose ses notes sensibles sur le support complice de la basse et de
la batterie, ou ponctue avec discrétion les solos de ses amis; il en
résulte une belle construction, toute en nuances, en verve, en équilibre. Comme hier, le public ne s’avoue pas vaincu et manifeste
longtemps son plaisir: la soirée était dense et belle.
Encore deux bons choix donc à l’actif de Chris et
Roger; et l’on ne peut que souhaiter une poursuite heureuse de leur
entreprise, et peut-être globalement une meilleure estime des pouvoirs publics
envers ces «petits festivals de jazz» qui sont des éléments
indispensables de la vie culturelle des régions. (Off: Après les
postes, les hôpitaux, les mairies, les écoles, l’administration et la culture, qu’est-ce
qu’on peut bien encore enlever aux territoires pour faire que quelques-uns
s’enrichissent davantage? Vous le saurez dans le prochain épisode…)
Texte et photos: Ellen Bertet
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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