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Au programme des chroniques
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A • Phil Abraham • Cyrille Aimée • Joey Alexander • Louis Armstrong • B • Dmitry Baevsky & Jeb Patton • Kenny Barron • Bega Blues Band • Marc Benham & Quentin Ghomary • François Bernat • Pierre Bertrand • Eric Bibb • Patrik Bomans • C • Mario Canonge • William Chabbey • Philippe Chagne • Charlier / Sourisse / Winsberg • Stanley Clarke • John Coltrane • D • Miles Davis & John Coltrane • E • Duke Ellington • Teodora Enache • Jérôme Etcheberry • Tricia Evy • F • Fred Farell • Claudio Fasoli • Amaury Faye • Hubert Fol • G • Erroll Garner • Luigi Grasso • H • Jan Harbeck • Louis Hayes • I • Thomas Ibanez • In Common • J • Janczarski & McCraven Quintet • Jazz From Carnegie Hall • Jelly Bump • K • Inigo Kilborn • Kim in the Middle • L • La Compagnie de l'Arbre de Mai • Sal La Rocca • Dominique Lemerle • Ramsey Lewis • Judith Lorick • Florian Moșu Lungu • Christine Lutz • M • Cécile McLorin Salvant • George McMullen • Roberto Magris • Michel Mainil-Vincent Romain • Pierre Marcus • Massif Collectif • Pierrick Menuau • Stéphane Mercier • Charles Mingus • Mwendo Dawa Trio • N • Andrew Neu • O • Old and New Songs • Takaaki Otomo • P • Fred Pasqua • Dino Plasmati • Jeb Patton • Paolo Profeti • R • Cecil L. Recchia • Kermit Ruffins & Irvin Mayfield • S • David Sauzay • Silvan Schmid • Hervé Sellin • Matthew Shipp • Dr. Lonnie Smith • Martial Solal • Swing Bones • T • Julien Tassin • Vincent Thekal • Harvey Thompson • ToineThys • Gianluigi Trovesi • W • Randy Weston • Dr Michael White • Z • Michel Zenino |
Des
extraits de certains de ces disques sont parfois disponibles sur
Internet. Pour les écouter, il vous suffit de cliquer sur les pochettes
signalées par une info-bulle.
© Jazz Hot 2019
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Toine Thys Trio
The OptimistLullaby of
Gounguin, Tête Brûlée, Samuraï, The Optimist, Mask and Feathers,
Warthog, Cosmic Wassyl (for Wassyl Slipack), Bravo, Bowing #1
Toine Thys (ts,
ss, bcl), Hervé Samb (g), Sam Yahel (org), Karl Jannuska (dm, perc)
Date et lieu
d'enregistrement non précisés
Durée: 50’ 42’’
Igloo Records
304 (Socadisc)
S’il
fallait ébaucher une description de l’homme et du musicien qu’est
Toine Thys, on pourrait oser: «encyclopédiste des rythmes, des sons
et des cultures du monde». Sa musique s’est enrichie au fil des
voyages –principalement en Afrique («Lullaby of Gounguin»).
Toine Thys s’est beaucoup investi au Burkina Faso avec Laurent
Blondiau (tp) pour créer une école de souffleurs. De cette
fascination, il a ramené les rythmes hypnotiques et les danses («The
Optimist»). A quand un album avec Lionel Loueké? En tous cas, avec Hervé Samb,
il a trouvé la fraternité dans sa quête de l’africanité en jazz
(ou vice-versa). Ecoutez les réponses données par le guitariste
Sénégalo-français au sax-ténor dans «Tête Brulée» et son
backing très «likembé» derrière le discours du sopraniste
pour «The Optimist». Autre constante chez le saxophoniste
schaerbeekois: se faire accompagner par un organiste. En Europe, il
est fréquemment associé à l’Allemand Arno Krijger (org). Pour
cet album, il a pu compter sur la disponibilité du New-Yorkais Sam
Yahel dont les influences vont de Jack McDuff à Larry Young
(«Warthog»). Quant au Canadien Karl Jannuska (Jazz Hotn°598), il est depuis plusieurs années établi à Paris; il
s’adapte aux rythmes les plus complexes et apprécie les sonorités
mattes. Avec «Mask and Feathers», Toine Thys passe de la
clarinette-basse au sax-ténor puis les conjugue pour évoquer le
retour du Carnaval de Binche après un rondo épuisant; le pas est
traînant mais le Gille est content de sa journée. «Cosmic Wassyl»
à la clarinette-basse est un hommage émouvant de Toine à son ami:
le chanteur ukrainien Wassyl Slipack victime d’un sniper à
Luhanske le 29 juin 2016, alors qu’il était volontaire comme
servant de mitrailleuse. Dans «Warthog» on épinglera le shufflede l’organiste, les découpages du batteur, l’unité sax-guitare
dans l’exposé du thème, les solos inspirés de Toine Thys (ténor)
et les suites lyriques d’Hervé Samb. C’est, à mon sens, le
morceau le plus accompli de l’album. «Bravo» met en valeur le jeu
d’Hervé Samb et le tempo de Karl Jannuska. L’album se clôture
par un très beau duo entre le ténor et le Hammond («Bowing #1»).
Avec cet opus, Toine Thys fait étalage de sa pluralité par les
instruments (bcl, ts, ss), par les couleurs et des lignes de sa belle
écriture.
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°686, hiver 2018-2019
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Claudio Fasoli N.Y. Quartet
SelfieParsons Green, Kammertrio, Far, Pauly, Legs, Squero, No
Kidding, Fit, Nyspel, Difference of Emphasis
Claudio Fasoli (ts, ss), Matt Mitchell (p), Matt Brewer (b),
Justin Brown (dm)
Enregistré le 8 juin 2017, New York
Durée: 59’ 38’’
Abeat ABJZ 189 (www.abeatrecords.com)
Claudio Fasoli avec son quartet américain, ça vaut le
détour. Il aime à s’entourer de musiciens plus jeunes afin de ne pas se
répéter, donc ne pas se scléroser. Il a trouvé à New York les champions qu’il lui fallait.
C’est ainsi un Fasoli fringant qui apparaît ici, majestueux au ténor et au
soprano, avec une sonorité ample et chaude, une puissance qui pourtant laisse
au son sa beauté. Il joue avec un lyrisme à cœur ouvert, avec ce fond bel canto
de son pays. Matt Mitchell est un pianiste straight
ahead dont le style repose sur la lignée Bud Powell, Bill Evans, Paul Bley,
Andrew Hill, Herbie Hancock, etc... Il déploie un jeu très aéré («Parson’s
Green») ou alors avec des notes en grappes («Far»), ou encore
très chantant («Legs»); un feeling qui colle en tout point à celui
de Fasoli. Matt Brewer est plus connu chez nous, ayant fait parler sa
contrebasse dans pas mal de lieux référencés; un gros son, sans
parasites, des attaques nettes et précises, et le goût de la mélodie
«Différence of Emphasis». Justin Brown est le batteur attitré du
trompettiste Ambrose Akinmusire; c’est dire qu’on est en plein dans la
modernité, mais celle qui connaît encore le jazz. Batteur qui pratique lui aussi
le jeu en grappes sonores et sait tenir la dynamique, pousser le swing du
Quartet «Pauly». «Kammertrio» est un modèle du genre, avec un
magnifique échange soprano-piano. «No Kidding» donne également un
bel exemple du fonctionnement de ce Quartet, basé sur des motifs répétitifs du
soprano, doublé parfois au ténor: ici l’électronique enrichit, ça
arrive! «Nyspel» sur un rythme quelque peu Mittel-Europa
repose sur un très fin travail du batteur en osmose avec la contrebasse, sur
lequel le piano (à noter l’accompagnement de la main gauche) et le sax se
déploient avec bonheur. «Far» débute par de longues notes du ténor
sur un tricottis de la batterie et des grappes du piano, et s’achemine
crescendo. «Squero» débute par un long solo de batterie pianissimo
suivi par un chant méditatif du ténor derrière lequel s’entremêle la rythmique,
et c’est le tour du piano dans le même esprit, puis place aux échanges entre
les quatre musiciens; roborative réussite. Toutes les compositions sont
l’œuvre du leader.Un des plus beaux disques de
Claudio Fasoli, qui en compte déjà un nombre certain.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°686, hiver 2018-2019
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Cyrille Aimée
Move OnWhen I Get Famous (Intro), Take Me to the World, Love I
Hear, Loving You, Marry Me a Little, Being Alive, So Many People, Not While I’m
Around, They Ask Why I Believe in You, No One Is Alone, Un baiser d’adieu (One
More Kiss), I Remember, Move On, With so Little to Be Sure of
Cyrille Aimée (voc) et, selon les titres, Wayne Tucker (tp),
Maxime Berton (ss), Patrick Bartley (as), Bill Todd, Warren Walker (ts), Adrien
Moignard, Diego Figueiredo (g), Assaf Gleizner, Thomas Enhco (p), Jérémy
Bruyère (b), Yoann Serra (dm), Mathias Levy (vln), reste du personnel détaillé
dans le livret
Enregistré en avril et mai 2018, Paris
Durée: 49’ 45’’
Mack Avenue 1144 (www.mackavenue.com)
Dix ans après son premier disque autoproduit, Cyrille Aimée (Jazz Hot n°675) sort son troisième album
chez Mack Avenue, maison qui a également accueilli sa consœur et compatriote,
Cécile McLorin Salvant (comme elle finaliste de la Thelonious Monk
International Jazz Competition en 2010). Les deux chanteuses ont encore en
commun de s’être chacune tracée un chemin original et personnel, Cécile dans une
démarche plus profonde, Cyrille en jouant davantage sur son image. Il n’en
reste pas moins que la jeune femme originaire de Samois-sur-Seine a su faire sa
place sur la scène new-yorkaise ce qui n’était pas le choix de carrière le plus
facile. Et même si son expression se dilue de temps à autre dans la variété, sa
proximité avec le cœur battant du jazz comme son attachement à la tradition
Django lui conservent fraîcheur et sincérité.
Les qualités certaines et les petits travers de
Cyrille Aimée se retrouvent ainsi dans Move
On, consacré à l’œuvre du compositeur et parolier Stephen Sondheim (né en
1930), auteur de plusieurs succès à Broadway et au cinéma (il a notamment signé
les paroles des chansons de West Side
Story). Un répertoire qui va comme un gant à Cyrille Aimée et qu’elle s’est
approprié en prenant en charge la plupart des arrangements, en tandem avec Assaf
Gleizner. L’album compte en effet quelques très bonnes plages: de la
comédie musicale transfigurée par une belle énergie jazzique («Take Me to
the World»), de charmantes ballades («Loving You»,
«They Ask Why I Believe in You») et, comme toujours, un clin d’œil
à Django, ici avec l’excellent Adrien Moignard («So Many
People»); la guitare étant, de façon générale, très présente
(rappelons qu’avant de chanter, Cyrille a commencé par apprendre la guitare
avec Romane), aussi par la présence du fidèle Diego Figueiredo pour la touche
brésilienne («With so Little to Be Sure of»). Cyrille Aimée a semblé
vouloir déployer sur ce disque l’ensemble de sa palette, usant notamment d’une
section de cordes. C’est une réussite pour «Being Alive» qui fait une
surprenante embardée vers les rythmes afo-cubains; c’est de moins bon
goût sur le morceau-titre, «Move On», ou hors du jazz sur «Un
baiser d’adieu», adaptation française de «One More Kiss».
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°686, hiver 2018-2019
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Charlier / Sourisse / Winsberg
Tales From Michael
Talking to Myself, Oops,
Peep, Never Alone, Straphangin’, Safari, The Cost of Living, Madame Toulouse,
Minsk, The Four Sleepers
André Charlier (dm, perc),
Benoît Sourisse (org , kb), Louis Winsberg (g)
Enregistré en septembre
2017, lieu non précisé
Durée: 1h 02’ 36’’
Gemini Records 1719 (www.charliersourisse.com)
André Charlier (1962), Benoît
Sourisse (1964) et Louis Winsberg (1963) ont rythmé leurs 20 ans au son de Steps Ahead. Ce n’est donc pas anodin
s’ils ont tenu à se réunir pour rendre hommage à Michael Brecker et Don
Grolnick. Le trio est aussi l’extension d’une paire indissociée/able depuis
vingt-cinq ans entre le batteur verviétois et le claviériste grenoblois. Ensemble
ils ont accompagné Didier Lockwood; ils enseignent au CMDlL qu’ils codirigent;
ils ont aussi créé le label Gemini. La soudure est en fusion entre la richesse
harmonique de Benoît Sourisse et l’intensité rythmique d’André Charlier. Plus
qu’une entente, c’est une communion d’esprit au service du jazz qui swingue. La
musique de Steps Ahead en mode gai et
majeur est rendue avec force, avec les syncopes («Straphangin’»,«Madame
Toulouse»), les relances et les rythmes qui collent aux peaux d’André Charlier
(«Safari», «Madame Toulouse») et à la main gauche de Benoît Sourisse («Peep»,
«Straphangin’»). L’adjonction d’un guitariste pour traduire Mike Mainieri était
risquée; le résultat est réussi avec intelligence («Peep»). Ce sont particulièrement
les arrangements usant d’une gamme étendue de colorations sonores qu’on
retiendra le plus. Pour «Talking to Myself»: il est fait usage du
balafon (à moins qu’il ne s’agisse d’un subterfuge aux synthés); «Oops» nous
transporte dans les Highlands écossais sur fond de bag pipe (à moins qu’il ne
s’agisse d’un subterfuge aux synthés) avant une relance shuffle et la reprise dujoli thème écrit à deux plumes par Michael Brecker et Mike Mainieri.
Louis Winsberg s’illustre dans «Peep» avec un solo époustouflant. Au
long des plages, Benoît Sourisse joue en contrastes ou en compléments de ses
différents claviers pour colorier les climats; en solo, il en remontre à
bon nombre d’usagers du B3; sa ligne de basse est imparable
(«Peep»). «Never Alone» est en
délicatesse; «Straphangin’», introduit legato, se décline bien balancé.
Avec «Safari», le likembé chante (à moins qu’il ne s’agisse d’un subterfuge aux
synthés) et les drums s’y imposent en transes incantatoires. «The Cost of
Living», «Minsk» et «The Four Sleepers» de Grolnik, mettent en lumière les nuancesde Louis Winsberg. «Madame
Toulouse» est bien chaloupé par André Charlier(+ solo chantant); sa
manière de brosser décalé sur «Straphangin’» rappelle la manière enseignée par
Bruno Castellucci (dm). La prise de son et le mixage avec le zeste de réverb’
sont judicieux. C’est un peu plus d’une heure de bonheur; de la dentelle brugeoise… à moins qu’il ne s’agisse
d’un joli subterfuge!
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°686, hiver 2018-2019
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La Compagnie de l'Arbre de Mai
Giaco. Le Son d'(é)toiles
Al Djazair, Les Enfants, Rosita, Souvenirs, Le Départ, Le Champs
de liberté, For a New Country, Early Works Suite: Arlequin-Eveil-Et nous
marchions vers la rivière, Marseille, Giaco’s Angels
Laure Donnat (voc), Rémi Charmasson
(g), Perrine Manssuy (p), Bernard Santacruz (b), Bruno Bertrand (dm, perc)
Enregistré du 20 au 23 février 2017, Lurs (04)
Durée: 47’
Instant Music Records 018 (Musea Records)
Voici un disque, présenté par la Compagnie l’Arbre de Mai,
qui nous ramène aux soirs merveilleux et inoubliables du festival «Jazz
au Fort Napoléon» créé par Robert Bonaccorsi et André Jaume, et
malheureusement stoppé il y a quelques années pour des raisons obscures. Il se
déroulait dans la cour de ce magnifique fort à l’acoustique exemplaire, tant et
si bien que certains musiciens se passaient de micros. On y a vu et entendu le
meilleur du jazz, et pas mal de grands créateurs de cette musique, qui était un
peu, ou beaucoup, oubliés Outre Atlantique. Festival de renom international, la
référence pour les jazzmen. Et puis on pouvait côtoyer les musiciens dans cette
enceinte, discuter, boire un coup avec eux. Le rite était le même chaque fin d’après-midi depuis 1985.
Le peintre Jean-Pierre Giacobazzi (1941-2007), dit Giaco, arrivait en compagnie
de sa femme Michèle et de leurs amis; ils étaient accueillis par Bob (Robert
Bonaccorsi). Comme il y avait un restaurant en plein air, la petite troupe
prenait place autour d’une table, les habitués se joignaient à eux, et nous
étions dans une scène de Pagnol. Giaco tentait –but difficilement atteignable car
combien y ont échoué–, de peindre le jazz, avec pas mal de réussite. Il fut le
principal créateur des pochettes du label CELP Musiques, à propos de la musique
d’André Jaume, Charlie Mariano, Jimmy Giuffre, Joe McPhee, Rémi Charmasson, et
d’autres...
La Compagnie l’Arbre de Mai a
réuni quelques musiciens du sérail pour un hommage à «Giaco». Ils ont
chacun composé des morceaux titrés d’après des œuvres du peintre, et inspirées par elles. La
chanteuse Laure Donnat reprend sa façon de chanter lorsqu’elle faisait partie
de l’ONJ, de phraser à la façon d’un instrument, jouant une partie
instrumentale. Les morceaux sont très illustratifs des titres et des tableaux.
Par exemple «Al Djazaïr», pris sur un rythme oriental, laisse
entendre un texte, dit par la chanteuse, sur Giaco et sa peinture. Dans les
«Enfants» c’est une sorte de chanson enfantine; sur les «la
la la» de la chanteuse se font entendre des voix enfantines. «Le
Champs de Liberté», de Laure Donnat, qui chante «Mon amour est
parti ce matin pour gagner un peu d’eau et de pain» sur rythmes de
tambour révolutionnaire, puis elle est épaulée par un chœur; un parfum de
rébellion. «Early Work’s
Suite», en trois parties, nous vaut de beaux échanges entre piano et contrebasse, puis avec la
chanteuse; c’est je crois le morceau le plus intéressant du disque, ainsi
que «Marseille», le plus foncièrement jazz avec un beau solo de
guitare soutenu par une batterie chauffée à blanc; cela donne un bon
rendu du Marseille aux mille facettes, comme le tableau de Giaco.
«Giaco’s Angels», de Charmasson et Donnat, termine ce bel hommage souvenir avec un chant
très touchant, d’une mélodie savoureuse, pour un au-revoir au peintre, leur
ami. Un texte de présentation très judicieux de Robert Bonaccorsi ouvre ce
disque album qui donne à voir quelques représentations de toiles du peintre, de
quoi se faire une petite idée pour celles et ceux qui ne le connaissent pas.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°686, hiver 2018-2019
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Walter Smith III / Matthew Stevens / Joel Ross / Harish Raghavan / Marcus Gilmore
In Common
Freefive, Unsung, Yinz, ACE, Foreword, Baron, 13th Floor, About 360, Unconditionnal Love, ACE (reprise)
Walter Smith III (ts), Matthew Stevens (g) Joel Ross (vib), Harish Raghavan (b), Marcus Gilmore (dm)
Enregistré en décembre 2017, Rhinebeck (New York)
Durée: 37’ 09’’
Whirlwind Recordings 4728 (www.whirlwindrecordings.com)
Le quintet In Common, même s’il se présente comme un collectif sans véritable leader, n’en est pas moins dominé par la personnalité de Walter Smith III (Jazz Hot n°675), jeune ténor en vue, longtemps complice d’Ambrose Akinmusire. Autour de lui, des musiciens de sa génération (la trentaine), dont certains ont déjà appartenu aux précédentes formations de Walter Smith III ou à celles d’Ambrose Akinmusire; tous ont déjà accompagné des leaders de premier plan: Christian Scott et Terri Lyne Carrington pour Matthew Stevens, Herbie Hancock et Christian McBride pour Joel Ross, Kurt Elling et Benny Green pour Harish Raghavan, Steve Coleman et Chick Corea pour Marcus Gilmore, par ailleurs petit-fils de Roy Haynes. Cette concentration de talents s’avère malheureusement décevante: la musique, à force de rechercher l’introspection, se perd dans un discours atone et le plus souvent éloigné de l’expression jazz (comme «ACE», ballade sans relief, s’étirant sur un rythme binaire). Deux titres sauvent la mise: «Baron» et «About 360», lesquels se situent dans le champ artistique qui nous occupe. Dommage.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°686, hiver 2018-2019
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Jelly Bump
Jelly Bump
Caravan, C’est si bon, Jazzi Gouzi, Hummin’ to Myself, Moulin à café, Funeral March of a Marionette, Wolverine Blues, Mack the Knife, Billy Goat Stomp, Baby Won’t You Please Come Home, Armondo’s Rhumba, Petite fleur, Kansas City Stomps, Le Bal de la Marine, Jubilee Stomp
Emmanuel Hussenot (as, fl, voc, arr, dir), Philippe «Alfred» Audibert (cl, ts), Félix Hunot (bjo, voc), Patrick Perrin (sousaph), Romain Ponard (perc, washboard, voc)
Date et lieu d’enregistrement non précisés
Durée: 45’ 47’’
Manusic 109 (www.jellybump.fr)
Ceux qui connaissent et apprécient le fantaisiste Orphéon Célesta –dont les performances se situent dans le registre humoristique– retrouveront avec Jelly Bump beaucoup des ingrédients qui font le charme du premier; les protagonistes, tout d’abord: le leader, Emmanuel Hussenot, à l’alto et à la flûte, Patrick Perrin, au soubassophone, et Romain Ponard, aux percussions et washboard), ainsi qu’un abord léger et virevoltant d’un jazz à la coloration très swing et aux accents new orleans. Mais ici, foin de pastiches loufoques, la musique est traitée avec originalité (bons arrangements du leader) mais sans dérision. Au menu, des standards emblématiques de la swing era (belles versions de «Caravan» et de «Mack the Knife»), des compositions «néo-orléanaises» (Alfred Audibert est à son affaire sur «Petite fleur» de Sidney Bechet comme sur «Kansas City Stomps» de Jelly Roll Morton), mais également un standard plus récent («Armando’s Rhumba» de Chick Corea, co-arrangé avec Nicolas Montier), un titre issu du répertoire classique («Funeral March of a Marionette» de Charles Gounod), ou encore une chanson de variétés («Le Bal de la Marine» de François Deguelt qui met à distance la version originale très «bal musette»). Cet éclectisme est bien maîtrisé, l’album restant cohérent de bout en bout. Le seul original proposé, «Jazzi Gouzi» (signé d’Emmanuel Hussenot), s’intègre d’ailleurs fort bien à l’ensemble.
Un disque sympathique et de bonne facture.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°686, hiver 2018-2019
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Pierre Marcus
Pyrodance
Berthé futé, Giulia and Kattleya, Longue attente, Luboff, 317East 32NB Street, Mestre Dana,Bungalow, Paradise Sister, Blues Mineur, Pyrodance
Pierre Marcus (b), Baptiste Herbin (ss, as), Irving Acao (ts), Fred Perreard (p), Thomas Delor (dm)
Enregistré en septembre 2017, Meudon (92)
Durée: 53’ 45’’
Jazz Family PM2/171284/1 (Socadisc)
Forte de ses intimes et très anciennes relations avec le jazz, la Côte d’Azur demeure plus que jamais une pépinière de jeunes talents qui dès la taille critique du «dépotage/rempotage» atteinte, vont continuer leur croissance et se prêter à de nouvelles greffes sous d’autres cieux. C’est le cas du contrebassiste Pierre Marcus, l’une des dernières pousses à avoir éclos dans les serres du Conservatoire National de Région de Nice, qui partage désormais sa carrière entre sa terre natale et la capitale, suivi par le batteur Thomas Delor, son ami d’enfance. Dans ce nouveau terreau, les affinités n'ont pas tardé à se révéler et, pour certaines, à fructifier. Ce disque en est la preuve. Avec les saxophonistes Baptiste Herbin (de Chartres) et Irving Acao (de Cuba), et le pianiste Fred Perreard (de Paris), Pierre Marcus et Thomas Delor ont trouvé des compagnons idéaux pour atteindre, ensemble, une maturité resplendissante.
Sur toutes ces compositions du contrebassiste (et aussi une de Lennie Tristano calquée sur le standard «Out of Nowhere»), sont omniprésents: le swing, le sens de la mélodie (qui fait si souvent défaut aux productions actuelles), et l’appui sur un solide canevas harmonique. Une réussite qui nous rend optimistes pour la suite.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°686, hiver 2018-2019
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Sal La Rocca
Shifted
Shifted, Waiting, Psalm, Wise One, Bicycle, Cache-Cash*, Ragga*,
Syndrome, Last Kiss
Sal La Rocca (b), Pascal Mohy (p, kb), Jetroen Van Herzeele (sax),
Lieven Venken (dm) + Phil Abraham (tb)*
Enregistré en décembre 2017, Bruxelles
Durée: 53’ 55’’
Igloo Records 295 (Socadisc)
La complicité entre les
quatre musiciens qui règne dans cet album, magnifiquement accompli, tout comme
leurs audaces nous ramènent à la méditation suprême. Dès le premier thème
(«Shifted») on est interpellés par le jeu aérien de Jeroen Van Herzeele. Sal
La Rocca s’affirme en leader incontestable.
Sanctifié par la grâce de Thelonious Monk, Pascal Mohy martèle les accords. Tel
Elvin Jones, Lieven Venken accompagne le discours et contre-chante les
envolées. «Waiting», léger, offre au saxophoniste l’occasion d’aborder la
poésie de l’auteur par un son ample et lyrique. «Psalm» est entamé par une
première partie de basse solide et solitaire suivie d’un solo de piano digne
des plus grands hard-boppers; Jeroen Van Herzeele parachève la prière déchirée,
doublée, modale. Le solo de piano sur «Wise One» est riche, néoromantique. Lent,
calme, séduisant, «Bicycle» permet d’apprécier la manière dont Sal La Rocca vibre
les notes à la limite du décrochage. Invité pour «Cache-Cash» et «Ragga», Phil Abraham vient enrichir
l’expression illuminée du groupe. Pour «Ragga», Pascal Mohy s’exprime,
différent, coloré, sur le Würlitzer. Ces deux thèmes sont exposés note pour note en duo par le saxophoniste et
le tromboniste; «Ragga» est sublimé par leurs échanges en forme d’appels et de
réponses. «Syndrome», charpenté en up-tempo par le bassiste, permet à Pascal
Mohy quelques audaces qui libèrent les
délires du soprano. Le soufflé retombe lorsque Sal La Rocca prend un solo et
quelques enjambées lourdes en harmonie avec les cymbales de Lieven Venken. Afin
de certifier l’universalité de leurs choix musicaux, les musiciens terminent
avec «Last Kiss»: sorte de cantique des âmes bien-nées. L’album est une
réussite totale pour la musique de Sal La Rocca; il confirme l’aboutissement de
sa carrière. Il vient aussi témoigner de la richesse du jazz en Belgique, de la
fusion artistique (de Monk à Coltrane) qui existe entre les jazzmen des deux
communautés. Wallons et Flamands ne sont que des prénoms!
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°686, hiver 2018-2019
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Massif Collectif
Ratatam
Le Loup, Twenty Two, Ratatam, Love Castle, Ro.Sa, Maracuja, Mélopée,
Monk’day, Elogio Del Horizonte, Lunes et nuit, Anatole Spirit
Yannick Chambre (p, comp), Davy Sladek (ss), Franck Alcaraz
(ts), Dominique Mollet (b), Marc Verne (dm)
Enregistré les 2-3 avril 2018, Renaison (42)
Durée: 1h 16’ 44”
Black & Blue 1066-2 (Socadisc)
Yannick Chambre, le compositeur et bon pianiste de cet
ensemble, est bardé de diplômes et récompenses en tous genres (Conservatoire
de Lyon, IMFP, concours de piano, etc.)
et de fait la musique, malgré quelquelongueur ou ennui parfois («Le Loup») est élaborée («Twenty Two»,
«Ro.Sa»), même si elle est souvent déconnecté du jazz par l’esprit (le blues).
Bien sûr la formation (une section rythmique et deux saxophones) évoque le
jazz, bien sûr si on s’arrête à «Anatole Spirit» ou à «Twenty Two», on est en
territoire jazzique, un jazz contemporain technique; mais si le jeu de
batterie, le son des sax, appartiennent à cet univers, c’est plutôt dans la
nature des compositions et le phrasé (le swing) qu’on quitte parfois le monde
du jazz. Question sans doute d’inspiration et de culture personnelle du
pianiste qui doit effectivement avoir d’autres références et qui n’impulse pas
véritablement l’esprit du jazz dans ce disque et ce groupe Massif Collectif.
C’est peut-être un choix, chacun est libre de ses références, et le jazz,
musique enracinée, possède une forme mais aussi un fond culturel auquel il faut
sans arrêt se ressourcer si on souhaite se raccrocher à son histoire; les plus
grands ne cessent de le faire. Au total, un bon enregistrement par de bons
musiciens, avec des moments plus intenses que d’autres, mais manquant, à notre
sens, de relief et de ligne directrice.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°686, hiver 2018-2019
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Amaury Faye
Live in Brussels
Yosemite, Ugly Beauty, Fascinating Rhythm, They Didn’t Believe Me,
Interlude, The Old Escalator, Ilex
Amaury Faye (p), Louis Navarro (b), Théo Lanau (dm)
Enregistré en mars 2018, Bruxelles
Durée: 58’ 27’’
Hypnote Records 008 (http://hypnoterecords.com)
Amaury Faye est né à
Toulouse en 1990. En 2013, il s’est fait remarquer au Concours National de La
Défense, puis, après avoir étudié à Berklee avec Joanne Brackeen, il a
décroché, en 2015, le Berklee Jazz Performance Award qui récompense le meilleur
pianiste de l’année. Il décide ensuite de s’installer à Bruxelles. Son
compatriote, Théo Lanau a, lui aussi, choisit de se fixer dans la capitale belge
alors que Louis Navarro se domiciliait à Amsterdam. Dans cet album enregistré
live à la Jazz Station de Bruxelles, le jeune pianiste, dès le premier morceau
(«Yosemite»), affirme sa connaissance des compositeurs classiques immédiats qu’il juxtapose aux canons
rythmiques du jazz. «Ugly Beauty» fait immanquablement penser au meilleur de
Brad Mahldau. «Fascinating Rhythm» de Monk est joliment introduit par un
solo rapide et débridé, puis la main gauche ponctue le discours par des césures
brèves, contrastantes. Après l’exposé du thème, le contrebassiste affirme son
adéquation et les complices s’envolent, brillants. Excellent solo de batterie,
reprise en trio survolté, puis apaisement lyrique. Ce sont 11’ 55’’ magnifiques!
Retour au calme avec un très joli «They Didn’t Believe Me» (George Gershwin) continué
par «Interlude» en piano légato sur un long ostinato à la main droite, accéléré
puis amplifié; colorié par le batteur et terminé par la basse qui, rasséréné,
s’élance de marche en marche sur le vieil escalator («The Old Escalator»).
Liaisons, enchainements, mutations, progressions rythmiques et mélodiques! Ce
sont des moments intenses qui vont crescendo. Surréalisme? Magritte n’est
pas loin! Pour remercier un public conquis, «Ilex» est joué en clôture.
Partiellement accompagné aux mains sur les peaux, il permet à Louis Navarro de
pavoiser avec un beau solo. Qui vous a fait croire
que they didn’t believe you, cher
Amaury? Rassurez-vous, on vous croit note après note et on apprécie votre
manière d’être dans la profondeur des
sentiments!
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°686, hiver 2018-2019
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Judith Lorick
The Second Time Around
Why Did I Choose You, Lucky to Be Me, Wild Is the Wind, For
All We Know/I'll Be Seeing You, He Needs Me, If You Could See Me Now, I'm Gonna
Laugh YouWhy Did I Choose You, When I Look in Your Eyes, Hymne à L'amour, The
Second Time Around
Judith Lorick (voc), Eric Reed (p, arr), Jeremy Pelt (tp),
Chris Lewis (ts), Kiyoshi Kitagawa (b), McClenty Hunter (dm)
Enregistré le 31 mai 2018, New York
Durée: 41’ 28”
Autoproduction JLJ 2014 (www.judithlorick.com)
Cet enregistrement est le second seulement de Judith Lorick
(après Songs for My Mother en 1998)
bien qu’elle commença à chanter professionnellement en 1966, encore
étudiante
en musique, aux côtés de Stan Kenton, Earl Hines et Ramsey Lewis… Entre
temps
la vie, parfois mouvementée et triste, qu’elle raconte en détail sur son
site,
est passée par là, et elle s’est installée pour 28 années en Europe, en
France
en particulier, où elle mena une carrière dans un autre secteur que la
musique,
tout en exerçant sa voix au hasard des rencontres et de son plaisir.
C’est à la faveur d’une première rencontre avec Eric Reed au
Festival Jazz à Juan au milieu des années 1990 qu’elle reprit le fil et
le goût
pour une retour plus accentué vers la musique et après un premier disque
en
1998 et son retour aux Etats-Unis, elle retrouve Eric Reed, vingt ans
après
pour ce bel enregistrement, très émouvant, où les thèmes tirés du song book racontent à leur manière une
vie très romantique, un récit mis en valeur par une chanteuse qui n’a rien
perdu de ses qualités expressives, et qui bénéficie d’un orchestre en tout
point remarquable. Bien que classé dans le secteur «pop», il s’agit bien d’un
album de jazz qui possède toutes les qualités de ce registre et d’abord la
sincérité.
Il y a là une belle chanteuse, qui pose bien ses textes, avec de
très belles qualités d’expression, le grain de voix et l’accentuation du jazz,
le blues et le swing. Ensuite, il y a un splendide Eric Reed qui élève cet
enregistrement par la qualité d’un accompagnement aussi attentif aux mélodies qu’enrichissant
sur le plan harmonique bien que très proche de la mélodie et de la voix. Enfin,
le reste de l’orchestre fait, avec une belle sobriété de moyens, tout en écoute,
le plus bel environnement musical que peut rêver une chanteuse, lui laissant
toute la place, la première, pour exprimer les nuances les plus subtiles, un
tapis de velours. Eric Reed est d’après le texte à l’origine du disque, en ce
sens qu’il a fortement incité Judith Lorick à partager et à immortaliser son
talent. Judith Lorick a choisi, sans erreur, le répertoire, où l’on trouve, au
milieu des standards les plus romantiques, une trace de son passage en France
sous la forme d’un «Hymne à l’amour» très jazz, chanté pour partie dans la
langue d’Edith Piaf. Un excellent disque par une belle chanteuse qui a privé le
jazz enregistré de son talent pendant de nombreuses années. Mieux vaut tard que
jamais, merci à Eric Reed d’avoir insisté.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°686, hiver 2018-2019
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Kim in the Middle
7 Years ItchBrief*, The Man With the Child in His Eyes, Don’t Smoke in Bed°, Dark
Cloud, Les Berceaux, Everybody’s Talking, Joseph, Close the Door, Bleke Lach°,
Bruxism, E Com Esse Que Eu You
Kim Versteyen (voc), Arne Van Coillie (p), Flor Van Leugenhaeghe (b),
Gert-Jab Dreesen (dm) + Renzo Ruggieri (melodica)*, Bart Maris (tp)°
Enregistré les 16 et 18 juillet, lieu non précisé et le 6 août 2018,
Genk (Belgique)
Durée: 54’10’’
Rail Note 010 (www.railnoterecords.com)
Il y a quelques années, on avait découvert Kim Versteyen, jeune chanteuse
limbourgeoise à l’occasion du concours des jeunes talents du festival Dinant
Jazz Nights. En duo avec Tim Finoulst (g) elle avait surpris le jury et
remporté le trophée. Cet album-ci, s’éloigne de nos attentes. Il doit être jugé
comme le reflet d’un travail de qualité, en quartet, au cours de sept années de
cocktails et autres parties. La voix est claire, juste, sure mais bien souvent
trop pure pour le jazzfan qui attend un peu plus de grain comme sur «Don’t
Smoke in Bed». Il faut donc parvenir à la troisième plage pour trouver
quelques-uns des canons qui nous surprennent et la quatrième pour entendre scatter
Kim Versteyen («Dark Cloud»). La demoiselle, douée, tient à nous donner l’étendue
de ses talents; en chantant Gabriel Fauré («Les Berceaux»), en tenant la note
sur «Everybody’s Talking», en taquinant les graves sur «Bruxism», en osant
quelques atonalités sur une composition d’Eberhard Weber: «Bleke Lach», en
chantant en allemand et en brésilien. C’est beaucoup ou c’est trop! La prise de
son est parfaite et c’est heureux pour l’excellence de la section rythmique:
solo de piano sur «Dark Cloud», de contrebasse sur «Les Berceaux», de batterie
sur «Bruxism». Pour échapper à l’excès d’élégance, on aimera le solo de melodica de Renzo Ruggieri sur «Brief» et
particulièrement celui de Bart Maris sur «Don’t Smoke in Bed»: le meilleur
morceau de l’album. Tea-time old fashioned!
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°686, hiver 2018-2019
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Pierre Bertrand
Far East Suite
Tourist Point of
View, Minah, Isfahan, Depk, Mount Harissa, Blue Pepper, Agra, Amad, Ad Lib on
Nippon
Pierre Bertrand (ss,
as, alto fl), Louis Winsberg (g, saz, oud), Pierre-François Dufour (cello),
Alfio Origlio (p), Jérôme Regard (b), Minino Garay (dm, perc), Stéphane Edouard
(perc), Paloma Pradal, Sabrina Romero (voc)
Enregistré du 21 au
24 février et du 11 au 14 juin 2018, à Rochefort-sur-Mer (17)
Durée: 58' 05''
Cristal Records 278
(Sony Music)
En 1963, en pleine Guerre froide, une tournée marathon
«officielle» au Moyen-Orient et en Extrême-Orient (une trentaine de dates de
Damas à Dacca en passant par Kaboul et Bombay) était organisée par le
Département d'Etat pour Duke Ellington et son big band. L'assassinat du président Kennedy
l’interrompit brusquement. Mais Duke Ellington et Billy Strayhorn s'inspirèrent
de ce voyage pour écrire une Far East Suite qui fut jouée à Londres en 1964 puis
enregistrée en 1966 par le big band qui comptait alors, entre autres, Cat
Anderson (tp), Johnny Hodges (as), Paul Gonsalves (ts) et Harry Carney (bar). L’œuvre
fut notamment reprise en 1999 l'Asian American Orchestra du batteur Anthony
Brown qui y incorporait des instruments orientaux.
S'inspirant des
partitions de l'œuvre originale tout en s’accordant quelques libertés, le
saxophoniste, arrangeur et chef d'orchestre Pierre Bertrand s’y est attelé à
son tour. Particulièrement brillant en solo, au sax soprano et ténor et à la
flute alto (qui évoque parfois le ney oriental) et avec le seul soutien d'un
piano, d'une contrebasse, d'un violoncelle, d'une guitare (ou bien d'un luth ou
d'un saz), de deux percussions et de deux voix féminines, Pierre Bertrand
réussit le prodige de faire sonner comme un big band cette formation pourtant
réduite. Repris dans le même ordre que sur le disque original, les thèmes
prennent de nouveaux atours et une nouvelle dynamique. Les audaces harmoniques
de John Coltrane et les nouveautés rythmiques initiées par Dizzy Gillespie
étant, depuis, passées par-là. Ce
disque, présenté sous forme d'un luxueux livret illustré par le peintre niçois Jean-Antoine Hierro, est tout
simplement splendide.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°686, hiver 2018-2019
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Harvey Thompson
Everything Must ChangeThe Show Has Begun, I’ve Got the World on a String,
Everything Must Change, Day Dreaming, Nature Boy, Don’t You Worry Bout a Thing,
Pure Imagination, Mixin’ It Up, Shining Summer, My Cherie Amour, Tea for Two, Midnight
Dance, Amazing Grace, Alright Okay You Win
Harvey Thompson (voc), Hiroshi Tanaka (p, ep), Brent Nussey
(b, eb), Gene Jackson (dm) + Andy Wulf (ts, fl), Aya Takazawa (tp)
Enregistré le 26 mai 2017, Tokyo (Japon)
Durée: 1h 13’ 16’’
Keystone Club Records 01 (www.keystoneclubtokyo.com)
Né à Detroit en 1956, où il a débuté dans un ensemble gospel
familial, Harvey Thompson s’est tourné vers la scène après avoir renoncé à une
carrière de champion de bowling. Alors qu’il joue au théâtre, il rencontre l’acteur
et trompettiste Marcus Belgrave qui le convainc de chanter du jazz. Le déclic
s’opère lorsqu’il entend l’album John
Coltrane and Johnny
Hartman (Impulse!,
1963). De fait, c’est clairement dans la filiation du chanteur qu’Harvey
Thompson se situe. Installé au Japon depuis 2002, l’imposant baryton avait
effectué un bref passage à Paris en décembre 2012, où nous avions eu
l’opportunité de l’entendre sur la scène du Sunside, au sein d’un éphémère
sextet international, dirigé par Laurent Epstein (p); lequel comprenait, entre
autres, Renato d’Aiello (ts) et Masaaki Mizuguchi
(g). Crooner au swing de velours, Harvey Thompson a les qualités
d’un bon vocaliste. Il en fait la démonstration dans cet enregistrement capté
durant un concert au Keystone Club de Tokyo, où il excelle sur les standards
(«Nature Boy», «Tea for Two»…). Malheureusement, le répertoire retenu s’égare
en partie dans la variété guimauve («My Cherie Amour» de Stevie Wonder). Un
éparpillement fort regrettable (mais apparemment revendiqué) car Harvey
Thompson est capable de très belles interprétations comme sur «Amazing Grace»,
chanté a capella. Si le disque a le
mérite d’offrir de bons moments de jazz, servis par un orchestre au niveau, on
souhaite à Harvey Thompson d’être plus cohérent dans ses futurs projets.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°686, hiver 2018-2019
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Roberto Magris Sextet
Live in Miami at the WDNA Jazz Gallery
African Mood, What Blues?, Song
For an African Child, April Morning, Chachanada, Il Bello Del Jazz, A Flower Is
a Lovesome Thing, Standard Life, Blues for My Sleeping Baby
Roberto Magris (p), Brian Lynch (tp), Jonathan Gomez (ts), Chuck Bergeron (b),
John Yarling (dm), Murph Aucamp (cga)
Enregistré le 6 février 2016, Miami (Floride)
Durée: 1h 16’ 41’’
JMood Records 14 (www.jmoodrecords.com)
Roberto Magris est un
pianiste de jazz italien qui a joué avec Art Davis et Idris Muhammad. Sa
carrière l’a amené, comme d’autres, à se relocaliser aux Etats-Unis au
gré des nombreuses réalisations et scènes qui s’offraient à lui, mais
ses origines européennes continuent de couler au travers des
compositions et titres qu’il interprète avec des formations de
dimensions variables.Sa particularité est sans nul doute une combinaison
savante d’influences qui ne se ressentent pas dans le phrasé
pianistique mais au cœur même des atmosphères développées. Il cite ainsi
comme inspirateurs des figures aussi diverses que Wynton Kelly, Tommy
Flanaganou Randy Weston, mais sa manière de combiner le jeu des deux
mains sur le clavier est tout à fait singulière. Il faut dire que Magris
refuse d’opposer tradition et modernité, ce qui l’amène aussi bien à
collaborer avec Herb Geller pour un album bebop, Albert Heath pour un
hommage à Lee Morgan (chroniqué dans Jazz Hot en juin 2011) qu’avec le bassiste Dominique Sanders pour un disque plus
funky. Pour ce happening enregistré dans des conditions live à Miami,
des fragrances panafricaines et latines sont venues s’immiscer dans une
musique à l’équilibre somme toute classique, ainsi qu’en témoignent des
pièces comme «African Mood» ou«Song for an African Child», «Chachanada»
et «Standard Life». «What Blues» et«Il Bello Del Jazz» restituent quant à
elles à l’enregistrement sa part manquante de blues et de bop, alors que
l’ensemble des solos semble animé d’un esprit leste, assez free jazz
lors des interventions de Brian Lynch et Jonathan Gomez. Reste que sur
une setlist majoritairement composée de titres issus de la plume du
pianiste, une reprise comme celle de Billy Strayhorn «A Flower Is a
Lovesome Thing» apparaît comme une respiration bienvenue dans le déroulé
d’un set par ailleurs très généreux en chorus et soli endiablés. C’est
un peu la limite de l’exercice d’une liberté harmonique revendiquée de
façon aussi ostensible, au risque de faire perdre à l’auditeur le fil
d’idées que relie un lien par trop ténu, entraînant paradoxalement une
sensation de déjà entendu dans les passages moins inspirés.Alors bien
sûr, le sextet est irréprochable, soudé et empreint d’un sens du
collectif qui en assure la réussite au sein de la salle à l’acoustique
légèrement réverbérée de la WDNA Jazz Gallery. Pourtant, à la manière
d’un message subliminal entêtant,la plus belle réussite du disque est
certainement le magnifique «April Morning» de Rahsaan Roland Kirk qui
reste dans la tête sitôt entendu.C’est alors que le jazz de Roberto
Magris renoue vraiment avec cette tradition d’Europe Centrale qui lui
tient à cœur en tant que terreau d’un jazz fidèle à ses racines
afro-américaines.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°686, hiver 2018-2019
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Jan Harbeck Live Jive Jungle
ElevateElevate, Jungle jive, Sidewalkin', The Chaser, Straighten Up, Twentylate, Crossroads, Defibrillator, Throughshine, Fly by Night
Jan Harbeck (ts), Thor Madsen (g), Jeppe Skovbakke (eb), Peter Leth (dm)
Date et lieu d'enregistrement non renseignés
Durée: 46' 54''
Stunt Records 17052 (Una Volta Music)
Formé à la dure école des
clubs de New York, le volubile saxophoniste ténor Jan Harbeck, très apprécié au
Danemark pour son quartet de jazz mainstream (voir sur internet sa superbe version
de «East St. Louis Toodle-Doo», pour s'en convaincre), s'essaie ici
à un tout autre genre. Quitte à dérouter quelque peu son public, il aborde ici
un jazz «funky» assez radical. Pour présenter ses nouvelles
compositions, au lieu de la contrebasse et du piano, il est cette fois
accompagné par une guitare électrique aux accents rock «vintage» (trémolo
artificiel, effets de pédale Wah-wah et sons d'orgue compris), par une guitare
basse au jeu plutôt basique et aux chorus sommaires, ainsi que par une honnête
et valeureuse batterie qui ne peut guère s'illustrer que par des roulements de
toms ou de caisse claire véhéments. Se voulant avant tout efficaces
dans la recherche du groove, les thèmes ne s'embarrassent pas de fioritures
harmoniques superflues, le but étant de produire des riffs simples, répétables
à l'infini dans un registre délibérément destiné à être diffusé sur les pistes
de danse. Plus complexes, les quelques ballades présentées dans le CD mettent
en valeur la sensibilité, l'inventivité et le superbe son du leader, tellement au-dessus
du niveau musical de ses sidemen. Jan Harbeck mérite bien mieux et les amateurs
de jazz également.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°686, hiver 2018-2019
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Pierrick Menuau Sextet feat. Marc Thomas
Every Time We Say Goodbye
Just One of Those Things Featuring**, You'd Be so Nice to
Come Home To°, Easy to Love**, Every Time We Say Goodbye*, All of You**, What
Is This Thing Called Love°, I've Got You Under My Skin°
Pierrick Menuau (ts, dir), Marc Thomas (voc), Yannick Neveu
(tp), Mickaël Joussain (tb), Guillaume Hazebrouck (p), Dominique Lofficial
(p)*, Simon Mary (b), Mourad Benhammou (dm), Geoffroy Tamisier (arr)°, Dominique
Le Voadec (arr)**
Enregistré les 18 février et 30 juillet 2007
Durée: 43’ 31”
Black & Blue 1069.2 (Socadisc) Voici une nouveauté enregistrée il y a déjà plus de onze ans
et dont l’un des premiers mérites est de nous rappeler l’excellent Marc Thomas,
trop vite disparu, avec sa voix jazz: un des rares musiciens homme à se
risquer dans cet exercice de ce côté de l’Atlantique, et il y réussissait fort
bien, avec beaucoup d’esprit et de constance. L’album reprend la musique de
Cole Porter, devenue une source d’inspiration universelle, jouée avec talent
par des musiciens appartenant à la génération post bop. Les arrangements sont
particulièrement soignés et très intéressants quant à une revisite originale du
grand compositeur, pour une musique qui ne manque ni de drive, ni
d’enthousiasme, avec des instrumentistes d’excellent niveau. Les clins d’œil en
introduction des thèmes (thèmes 1 et 2), pour resituer la musique dans son
cadre d’origine avec la musique dans son entier, sont très bien intégrés à la
relecture moderne. C’est un réel plaisir de réécouter Marc Thomas, de
redécouvrir ses belles qualités de swing, de drive, de scat, d’élégance, et
l’ensemble des musiciens (tous excellents) emmenés par un dynamique Pierrick
Menuau honorent cette belle musique avec autant de respect que de talent et
d’originalité dans les arrangements, et en écoutant «Every Time We Say
Goodbye», une composition qui nous évoque inévitablement la belle version d’un
certain John Coltrane, on se dit que Cole Porter n’en a pas fini d’être éternel.
Excellente initiative de savoir éditer des enregistrements de cette qualité
même après onze années. Le temps ne fait rien à l’affaire…
Yves Sportis
© Jazz Hot n°686, hiver 2018-2019
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Marc Benham & Quentin Ghomari
Gonam City
Wehe Uns, Pithecantropus Erectus,
From Gonam City With Love, Etourneaux, Celia, Petite fleur, Misterioso, One for
Francis, Mézozoïque, Background Music, Willow Weep for Me, Terrarium
Marc Benham (p), Quentin Ghomari
(tp)
Enregistré les 26 et 27 juin
2017, Villethierry (89)
Durée: 48' 06''
Neuklang 4196 (www.bauerstudios.de/de/85/neuklang.html)
Depuis ses deux premiers disques
en solo (Herbst, puis Fats Food publiés par Frémeaux et
chroniqués dans Jazz Hot), le
pianiste Marc Benham a démontré que la facilité n’était pas sa tasse de thé. Et
pourtant, ce nouvel album en duo, où il chemine sur les sentiers de l’histoire
du jazz, depuis les pionniers du piano stride jusqu’à Thelonious Monk et Charles
Mingus, en passant par Sidney Bechet ou Bud Powell, semble plus accessible que
les précédents, tant il fait la place belle à toutes ses influences
patrimoniales en les «réinventant» d’une façon personnelle très
originale, qui accroche instantanément l’oreille. Pour ce faire, il s’est
associé au trompettiste Quentin Ghomari,membre du collectif rouennais assez décalé «Les Vibrants Défricheurs»
et de «Papanosh». Longtemps professeur au
Conservatoire International de Musique de Paris, Marc Benham enseigne
désormais, comme avant lui son maître Bernard Maury, à la «Bill Evans
Academy».
Il utilise ici un prototype de
piano de Stefen Polelo chez qui le disque a été enregistré et qui est l’un des derniers facteurs français prolongeant et perfectionnant les innovations
des fameux pianos Erard. Le clavier disposant de 102 notes, contre 88
habituellement, élargit considérablement
la palette sonore, tandis que la trompette modifie la sienne en faisant un large
usage de différentes sourdines. L'effet est saisissant et pourrait même faire
croire à l'emploi du procédé du «re-recording» ce qui n'a pas été
le cas, pas plus d'ailleurs que le recours à des effets de reverb artificiels,
l'acoustique naturelle de l'auditorium de Stefen Polelo ayant suffi à donner à
la prise de son une profondeur étonnante. Avec humour, le ton est donné dès
le premier morceau, où les deux musiciens semblent vérifier l'accord de leur
instrument en égrenant quelques notes qui deviennent vite prétexte à des
développements harmoniques complexes
tout à fait «jazz actuel». Puis, après une courte intro de piano
très mélancolique, la trompette annonce le thème du «Pithecantropus Erectus»
de Charles Mingus, ponctué par des ostinatos puis un accompagnement stride (dont le pianiste maîtrise les
secrets), qui glisse alors imperceptiblement vers les bases du boogie woogie avant de se reprendre dans un
jeu inspiré par le bop. Il en sera ainsi tout au long du disque. Les ruptures
stylistiques, et le choc d'esthétiques, prétendues inconciliables, free jazz y
compris, composent en fait, une œuvre d'une grande unité. De
«Celia» (de Bud Powell) à «Petite fleur» (de Sidney
Bechet, où Quentin Gomari joue aussi de la trompette à coulisse), et de «Misterioso» (de Thelonious
Monk) à «Tea for Two», il
n'y a qu'un pas pour ces deux experts en dynamitage d'idées reçues qui savent
aussi, et cela s'entend dans leurs propres compositions, évoquer furtivement, mais
avec respect, la mémoire de quelques-uns des plus grands maîtres du jazz.
Ultime facétie, un morceau, non annoncé («When Lights Are Low» de Benny Carter), se
cache, comme venu d'un autre temps, une minute après la fin de la dernière
piste, en ultime message aux auditeurs trop impatients. Un disque inclassable et tout à
fait remarquable!
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Hervé Sellin
Claude Debussy: Jazz Impressions
Le petit berger (Children's Corner), Clair de lune (Suite
bergamasque), Le petit nègre (Cake-Walk), Prélude à l'après-midi d'un faune,
Reflets dans l'eau, Ballet*, La Fille aux cheveux de lin (Préludes), Doctor
Gradus ad Parnassum (Children's Corner)*, Sarabande (Pour le piano), La plus
que lente, In a Mist
Hervé Sellin (p), Yves Henry (p)*
Enregistré les 3-4-5 novembre 2017, Meudon (92)
Durée: 52' 01''
IndéSENS! 107 (indesensdigital.fr)
Suite de l’année Claude Debussy (décédé le 25 mars 1918)
pour Hervé Sellin avec ce bel album où il honore le grand compositeur tout en
le transposant dans un futur, jazz, qui lui va si bien; car Claude Debussy est
l’une des grandes inspirations de la tradition du piano jazz, depuis ses
fondements, le ragtime. Hervé Sellin ne manque pas de citer quelques échos (of
Spring) de Scott Joplin dans le répertoire de ce disque. Il faut rappeler qu’il
n’est pas le premier et que Willie the Lion Smith excellait, parmi d’autres à
faire revivre le ragtime et Debussy, par touches, dans ses interprétations, que
Phineas Newborn, Billy Strayhorn, et beaucoup d’autres ont fait état, à leur façon, de leur
amour pour l’œuvre de Claude Debussy. A l’exception du dernier thème de Bix
Beiderbecke, «In a Mist», fortement inspiré de Debussy, la matière est donc celle
du compositeur français du tournant du XXe siècle (1862-1918).
Jouée par moment à la lettre ou entraînée sur le terrain du
jazz par Hervé Sellin (en duo sur deux pièces avec Yves Henry), cette musique
est très bien intitulée «Claude Debussy: Jazz Impressions», sans anachronisme,
car Hervé Sellin, pianiste contemporain, apporte ses touches de couleurs, ses
éclairs, ses lumières, son background jazz et classique, comme un peintre
impressionniste pour composer l’album. Il faut bien sûr aimer Claude Debussy,
le piano et le piano jazz pour apprécier cet enregistrement, ce qui n’a rien de
surréaliste, et comme Hervé Sellin est un brillant pianiste, on se retrouve
emporté dans un monde merveilleux composé des mille mélodies, plus
fantastiques, au sens ancien de ce mot (fabuleuses), les unes que les autres.
La musique de Debussy est un monde à part entière, un peu comme la musique de
Strayhorn, de Monk, fait de poésie, de beauté, de rêves, dans lequel on
s’immerge, et la performance de ce disque est de nous faire entrer dans ce
monde, de le teinter des couleurs du jazz sans nous en faire perdre la magie
originale, ce pouvoir d’envoûtement. Il fallait un pianiste particulier pour
réussir une telle performance, aussi savant, ambivalent et virtuose bien sûr
qu’Hervé Sellin, mais aussi un pianiste à l’écoute de l’œuvre pour en
transmettre l’esprit avec respect, un artiste imaginatif pour pouvoir lui-même
inventer à partir de ce monde sans en trahir l’esprit.
Dans cet ensemble qui réunit une matière extraordinaire et
un interprète lui-même artiste, on ne sait où donner de l’oreille, car c’est
une heure de vrai bonheur pour les mélomanes, un voyage plein de rêves au cœur
de la musique de Claude Debussy relue avec la belle sensibilité, l’imagination
d’Hervé Sellin et la couleur du jazz qui s’acclimate si bien à cet univers.
Chapeau!
Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Inigo Kilborn
Dedications
Eine
Kleine Bluesmusik, Blues for Victor F, Goombye Calypso Joe, Memories of
Mexico, In a Marlow Tone, Waltz for Little Ediie and Billy the Kid,
Blues for Mister Brolly, Sad and Hemispherical, Monk-ee-biz-niss, For
Titi Maria and Precilde, Dance With Felix, Sphere My Dear, Unkle Funkle
Cossit and Vance
Inigo Kilborn (cnt, flh), Dave Harvey (sax, fl), Max Brittain (g), John Horler (p), Alec Dankworth (b), Orlando Kolborn (dm)
Enregistré les 15 et 17 février 2016, Londres (Royaume-Uni)
Durée: 1h 03' 40''
Coolstream CD5 (anigo@wanadoo.fr)
Musicien
très apprécié sur la
Côte d'Azur, où l'on manque singulièrement de trompettistes depuis la
disparition du talentueux et très regretté François Chassagnite, Inigo
Kilborn
dirige deux formations. On peut souvent l'entendre dans les deux
derniers
temples du jazz traditionnel de la Côte: au «Via Cassia» de Golfe-Juan
(qui succède au «Café Bleu», ouvert depuis plus de 30 ans) ou au
«Café de France» de Sainte-Maxime. Avec ses «Old
Dreamers», il y perpétue l'esprit et le répertoire de la musique
traditionnelle de La Nouvelle Orléans. Avec son «Inigo Quintet», il
affiche son admiration pour Chet Baker dont il reprend, et chante,
aussi, à
l'occasion, quelques-uns des thèmes fétiches. Varois d'adoption depuis
quelques
années, amoureux des paysages du massif des Maures, cet ancien
professeur d'art
en Angleterre n'a pas pour autant rompu ses liens avec ses racines
musicales.
C'est ainsi avec des musiciens londoniens, ses anciens camarades de jeu,
qu'il a enregistré ce CD (autoproduit et diffusé après ses concerts),
où un goût qu'on
ne lui soupçonnait pas pour les rythmes mexicains et caribéens, pour les
harmonies monkiennes, et les arrangements à la Ellington, ont pu
s'exprimer à loisir en lui inspirant d'élégantes mélodies.
A leur écoute, ces différentes
dédicaces prouvent, s'il en était encore besoin, que le plus souvent dénués de
volonté de faire carrière, beaucoup de musiciens semi-pros, mus avant tout par
un enthousiaste sincère, n'hésitent pas à surmonter les
barrières stylistiques. Tout en faisant
leur miel de ces différences, ils sont souvent d'excellents ambassadeurs
du jazz auprès du grand public. Un rôle à ne pas négliger.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Philippe Chagne & Friends
My Mingus Soul
Peggy’s Blue Skylight, My Mingus Soul, Strollin’ (Nostalgia
in Timesquare), Reincarnation of a Lovebird, Pussy Riot, Fables of Faubus,
Meditations on Integration, Dizzy Profile, Weird Nightmare, Jelly Roll, Moanin,
Us Is Two
Philippe Chagne (as,
ts, bar, bcl), Carl Schlosser (ts, fl), Franck Jaccard (p), Laurent Vanhée (b),
Alban Mourgues (dm) + Jerry
Edwards (tb), Olivier Defaÿs (as), Jean-Marc Volta (bcl), Laurence Allison (voc)
Enregistré du 1er au 3 avril 2018, Paris
Durée: 1h 08' 32''
Ahead 834.2 (Socadisc)
Philippe Chagne est un musicien aux multiples facettes: après des études
de saxophone classique, il bifurque vers le jazz et fait ses débuts au
sein du big band de Roger Guérin. A l'orée des années 1990, il rejoint
l'orchestre de Gérard Badini (qui régulièrement accompagne des grands
noms comme Ray Charles, Michel Legrand, Archie Shepp ou Nicole
Croisille) tout en participant à d'autres formations plus réduites
(Claude Tissendier, Orphéon Célesta) et à ses propres groupes. Sideman
de Rhoda Scott ou de Sanseverino, on le retrouve par ailleurs, dans les
années 2000, dans les big bands de Michel Pastre, François Laudet,
Laurent Mignard. Et, en coleader, dans Take 3 (avec Rémi Toulon, p, et
Robert Ménière, dm) ou encore, ces derniers temps, dans Men in Bop (avec
Olivier Defaÿs, Philippe Petit, org, et Yves Nahon, dm) et le Classic
Jam Quartet, entre classique et jazz (avec Olivier Defaÿs, Fabrice
Moretti, ss, et Jean-Marc Volta).
Philippe Chagne présente
aujourd'hui un projet plus personnel, un disque-hommage à Charles
Mingus, dont il raconte, dans le livret, l'impact qu'il a eu sur le
jeune musicien qu'il était. Le grand contrebassiste comptant parmi ses
influences majeures avec Duke Ellington (il s'en était expliqué dans Jazz Hot n°608). Il aborde pour autant ses compositions avec sa personnalité
très swing et ses qualités d'arrangeurs, donnant l'impression d'un
Mingus revisité par Count Basie, même si certains titres restent plus
proches des enregistrements originaux («Strollin’», «Jelly Roll», «Moanin»). Dès
le premier morceau,
«Peggy’s Blue Skylight», on est séduit par cet abord chaleureux dominé
par les cuivres (beau duo entre les complices Philippe Chagne et Carl
Schlosser,
le premier ici à l’alto et le second au ténor). Même attelage sur
«Reincarnation of a Lovebird», «Fables of Faubus» (où
Carl Schlosser est tout à son affaire) et «Dizzy Profile» que Franck
Jaccard ouvre avec finesse. Au baryton, Philippe Chagne imprime le tempo
sur «Moanin» avec le soutien de deux des invités du
disque: l'autre incontournable comparse, Olivier Defaÿs, et l’excellent
Jerry Edwards. Le duo Chagne/Schlosser, à deux ténors, fonctionne
également à
merveille sur «Meditations on Integration» (introduit à l’archer
par Laurent Vanhée et sur lequel Carl Schlosser est aussi à la flûte),
«Jelly Roll» (auquel Jerry Edwards restitue la couleur new orleans) et
sur «Us Is Two». Enfin, Philippe Chagne est à la clarinette
basse sur le très émouvant «Weird Nightmare» (beau dialogue encore
avec Carl Schlosser, tout en sensibilité à la flûte), titre sur lequel
Laurence Allison intervient, comme sur «Strollin’». Un
répertoire complété par deux bonnes compositions du leader, tout à fait
«dans l’esprit»: «My Mingus Soul», un hommage en
soi, qui donne son titre à l’album, et «Pussy Riot» nommé ainsi en
référence au groupe féminin russe, punk et contestataire.
On
saluera enfin l'esthétique de l'objet disque, avec une pochette et un
livret fort joliment illustrés par des toiles de Laurent Dauptain. Du
travail de belle facture, bien mené par un musicien venu de bop et sincère admirateur de Mingus.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Andrew Neu Big Band
CatwalkJuggernaut,
Zebrano, Catwalk, Body and Soul, My Dear, What Is This Thing Called Love,
Wasamba, Too Much of a Good Thing, Cinema Paradiso, Blue Sesame, Alpha Dog
Big Band
d'Andrew Neu (ts, fl) avec entre autres Wayne Bergeron, Rick Braun, Randy
Brecker (tp), Eric Marienthal (as), Bob Mintzer, Gordon Goodwin (ts), Matt
Hornbeck (g), Andy Langham (p), David Hughes, Brian Broomberg (b), Jamey Tate
(dm), reste du personnel détaillé dans le livret
Enregistré à Los Angeles, date non renseignée
Durée: 1h 15'12''
CGN Records 82601-2 (www.andrewneu.com)
Souvent présent auprès d'Elton
John, Manhattan Transfer, The Temptations ou David Sandborn, le chef
d'orchestre et saxophoniste Andrew Neu a
plus d'une corde à son arc et, bien qu'évoluant le plus souvent dans le monde
des musiques commerciales, il n’en reste pas moins un véritable jazzman. Dans
cet album, il signe les somptueux arrangements pour big band de trois
standards: «Body and Soul»,
«What Is This Called Love» et l'inattendu «Cinema Paradiso» d'Ennio Morricone, ainsi que de huit
compositions personnelles frappées du
coin d'un jazz de bon aloi. Bob Mintzer et Randy Brecker, musiciens
confirmés invités à ces enregistrements, qui se sont semblent-ils étalés
sur
plusieurs mois, renforcent les rangs d'une formation de jeunes
musiciens, pour
la plupart inconnus, œuvrant dans les studios de Los Angeles, et tous
épatants
de virtuosité.
Les partitions font largement
référence au répertoire plus ou moins attendu des bigs bands «historiques»
auxquels, Andrew Neu rend hommage dans sa dédicace (Neal Hefti, Thad Jones, Quincy
Jones, Henri Mancini, Sammy Nestico, Woody Herman, Stan Kenton, Count Basie,
Duke Ellington, Buddy Rich, Thad Jones, Maynard Ferguson…). Il les a semble-t-il
écoutés attentivement et en a analysé
le style. Il s'écarte aussi, parfois, de
leur influence, en faisant sonner sa
formation comme un orchestre de salsa. Bien que mettant avant tout en lumière
ses invités prestigieux, Andrew Neu ne néglige pas de ménager de très larges moments de liberté
à ses jeunes et brillants solistes, lesquels ne se privent pas de profiter de
l'aubaine pour quitter des yeux leur pupitres et se lancer dans de
réjouissantes improvisations.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Ramsey Lewis
Legacy / Ramsey / Live at the Savoy / Chance Encounter
CD1/1: Legacy: Toccata/Adagio/Fugue*, All the Way We Live, I
Love to Please You, Well Well Well, Moogin' On, Don't Look Back,
CD1/2: Aquarius/Let The Sun Shine In, Wearin' It Out, I Just
Can't Give You Up, Every Chance I Get (I'm Gonna Love You), Dancin’, I'll
Always Dream About You, Medley: Intermezzo/Spanoletta/Don't Cry For Me
Argentina/Intermezzo
CD2/1: Close Your Eyes and Remember, Sassy Stew, Callin'
Fallin', Baby What You Want Me to Do, You Never Know, Lynn, Hits Medley: Wade
in the Water/Hang on Sloopy/The In Crowd
CD2/2: What's Going On, Chance Encounter, Up Where We
Belong, Intimacy, A Special Place, Paradise, I Can't Wait, Just A Little Ditty
Ramsey Lewis (p, poly-moog, mini-moog, arp), avec divers
orchestres électriques, avec synthétiseur, orchestres à cordes, voix
Enregistrés de 1978 à 1982, Chicago, New York (Live at
the Savoy)
Durée: 1h 19' 46'' + 1h 19' 45''
BGO Records 1330 (www.bgo-records.com)
Ce double CD reprend quatre albums de Ramsey Lewis
enregistrés en studio et en live, de 1978 à 1982, que les amateurs de jazz
peuvent éviter sans aucun regret. La carrière de Ramsey Lewis est de celles qui
déconcertent. Nous avons là un grand musicien, un artiste, un grand pianiste de
jazz dont il est difficile de contester la valeur car, dans ses récents
concerts et disques (en trio), il a donné beaucoup de témoignages de ses
qualités exceptionnelles. Pourtant, soit difficulté à fonder son œuvre sur son
identité afro-américaine, soit volonté de reconnaissance, soit souci de
réussite sociale dans un pays ou c’est important, soit tout à la fois plus
l’atmosphère du temps, dans ces enregistrements, on retrouve une musique loin
de ses racines, dans le meilleur des cas intéressante (des suites, genre
musique de film, classique), mais le plus souvent musique de mode de son époque
(fin des années 1970), entre jazz, rock et disco, de la variété en fait qui a
très mal vieilli et sans aucun intérêt, si ce n’est sociologique pour identifier
que les pertes de repères n’ont pas attendu 2018.
Dans tout ce fatras de variétés, touchant parfois au plus
mauvais goût, on va retrouver la veine afro-américaine à travers un blues des
plus traditionnels, «Baby What You Want Me to Do», qui tombe au milieu de toute
cette bouillie comme un cheveu d’or sur la soupe insipide et bien sûr à
quelques secondes de beau piano («Intimacy»). Ça ne fait pas grand-chose sur
quatre disques et deux CDs. Il faut avouer qu’il est difficile de suivre le fil conducteur
d’un artiste capable de jouer aussi bien le blues, de faire des albums
essentiels en trio et de faire comme ici une musique affligeante de pauvreté, complaisante,
même si parfois l’énergie a pu plaire par effet de mode à une foule d’abrutis.
Dommage pour l’œuvre dans son ensemble d’un musicien
exceptionnel: beaucoup de temps perdu, beaucoup de dispersion de moyens
pourtant importants.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Patrik Bomans Ambivalent
Soul SearchingNever Stops, Soul Searching, Down and Out, Blues for Slam, Melancholy Albert, Happy on the Outside, The Stomp, Rumbling Girl
Patrik Boman (b), Magnus Wiklund (tb), Amanda Sedgwick (as), Max Schultz (g), Carl Orrje (p), Chris Montgomery (dm)
Enregistré le 11 mai 2016, Stockholm (Suède)
Durée: 53' 38''
PB7 033 (www.pb7.se)
Leader du groupe, le solide et
très inspiré contrebassiste suédois Patrik Bomans signe les compositions et les
arrangements de tous les thèmes. «Ambivalent», le nom de sa
formation, fait sans doute allusion à sa
façon quelque peu iconoclaste de traiter une musique qui, tout en se référant fidèlement aux canons du hard bop et à ses
épiphénomènes funky, les gorge généreusement de soul et de blues sous toutes
ses formes. Dès le premier titre, qui évoque la fameuse «Freedom Jazz Dance»
du saxophoniste Eddie Harris, le ton est donné et se maintient jusqu'au bout.
Sur chaque morceau, le thème, à la mise
en place acrobatique et pris le plus souvent sur un tempo rapide, est suivi par
les interventions brillantes des solistes sur le canevas harmonique immuable du
blues. Largement enrichie par d'audacieux accords de passage et des riffs bien
sentis, la recette centenaire du twelve
bars blues se révèle une fois de plus terriblement efficace et propre à servir
de tremplin au swing le plus fougueux. Dans le développement des chorus,
trombone et sax alto restent sagement en mode bop, tandis que la guitare
empruntant parfois quelques formules tranchantes aux guitar heroes du blues de Chicago, dope parfois ses interventions
d'une touche rhythm and blues très appuyée. Quant à la batterie au style bop,
elle aussi, du moins, au début, ponctue parfois
son jeu «classique»
de grooves traditionnels (tout en roulements de caisse claire et pêches
de grosse caisse), typiques des second
lines de la new Orleans. Ce mélange des
genres et des époques aurait pu, a priori, sembler incongru, mais, étant
présenté avec autant d'élégance que de dynamisme, et servi avec une prise de
son remarquable, le cocktail ainsi obtenu se révèle savoureux.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Duke Ellington
Live in Paris: OCT-NOV 1958
CD1: Take the 'A' Train, Black and Tan Fantasy-Creole
Love Call-The Mooche, Newport Up, Deep Purple, Harlem Airshaft, Such Sweet
Thunder-Sonnet to Hank Cinq, Sophisticated Lady, Kinda Dukish-Rockin' in Rhythm, What
Else Can You Do With a Drum, Together, Jeep's Blues, All of Me, Things Ain't
What They Used to Be, El Gato, Stompy Jones ,
Hi-Fi Fo Fums
CD2: Medley: Don't Get Around Much Anymore-Do Nothin' Till
You Hear From Me-In a Sentimental Mood-Mood Indigo-I'm Beginning to See the
Light-Sophisticated Lady-Caravan-I Got It Bad-Just Squeeze Me-It Don't Mean a
Thing-Satin Doll-Solitude-I Let a Song Go Out of My Heart/I’m Beginning to See
the Light, Diminuendo and Crescendo in Blue, Tenderly, On the Sunny Side of the
Street, C-Jam Blues, Duke's Place, Caravan, Take the 'A' Train, MC Blue
(Multicoloured Blue), V.I.P. Boogie, Jam With Sam, The Hawk Talks
Duke Ellington & His Orchestra: Duke Ellington
(arr, dir, p), Cat Anderson (tp), Harold Shorty Baker (tp), Clark Terry (tp,
fl), Ray Nance (tp, vln, voc), Quentin Jackson (tb), John Sanders (tb), Britt
Woodman (tb), Russell Procope (as, fl), Johnny Hodgers (as), Paul Gonsalves
(ts), Jimmy Hamilton (cl, ts), Harry Carney (bar, as, cl), Jimmy Woode (b), Sam
Woodyard (dm), Ozzie Bailey (voc)
Enregistré 29 octobre et 20 novembre 1958, Théâtre de l’Alhambra
et Salle Pleyel, Paris
Durée: 1h 15' 33'' + 1h 16' 20''
Frémeaux & Associés 5682 (Socadisc)
Encore une tournée européenne de Norman Granz (Angleterre,
Norvège, Suède, Hollande, Allemagne), producteur mentionné par Duke dans l’un des speechs
entre les morceaux, même si le texte du livret l’oublie au profit de
l’incontournable Frank Ténot, sans doute le détenteur avec Daniel Filipacchi des bandes originales de
l’Alhambra repris dans ces enregistrements Live in Paris, à l’origine effectués, d’après le livret, par Europe 1 ou plus certainement à
l’initiative de Frank Ténot et Daniel Filipacchi, avec ou sans
l’accord de Norman Granz, très jaloux des droits d’édition phonographiques de
ses concerts, puisqu’ils sortent après son décès. Notons qu’il ne s’agit pas
d’inédits puisque ce concert de l’Alhambra a déjà été publié, en tout ou partie selon les concerts, pour les labels Pablo de Norman Granz, Magnetic, Laserlight, Magic, on
ne sait dans quelles conditions au regard des droits. Le concert de la salle Pleyel a lui été enregistré par la RTF (né en 1949 et non l’ORTF, comme mentionné ici, qui, né en
1964, n’existe pas encore), et est sorti de manière plus complète pour le label
Magic (deux disques).
Le Duke et l’Orchestra, comme d’habitude, sont très attendus
à Paris par le public (Duke fait la couverture de Jazz Hot d’octobre). Il y eut deux jours de concerts en octobre: le 28 au Théâtre national populaire de
Chaillot, le 29 à l’Alhambra, celui (soirée) qui
est restitué assez complètement ici, puis un concert le 20 novembre à
la Salle Pleyel, point final de
la tournée, restitué partiellement ici. Les concerts d’octobre furent
doublés en matinée (18h) et en soirée (21h), et même si la critique,
après Hodeir en
1951, fait la fine bouche sur le Duke coupable de jouer du Duke, cette
fois par
la plume admiratrice mais anormalement blasée de Charles Delaunay, il
n’en est
pas de même de Claude Bolling qui donne, dans Jazz Hot n°138 (décembre 1958, couverture Louis Armstrong-Good
Book), un très précis, excellent et enthousiaste compte rendu (complémentaire de celui de
Charles Delaunay pour Chaillot) du concert de l’Alhambra du 29
octobre 1958 en soirée, repéré pour être le meilleur moment de ces deux jours, précisant
chacun des thèmes interprétés, leur ordre d’exécution, qui n’est pas tout à
fait celui du CD. Il nous permet également de noter que certains thèmes joués
ce jour-là ne figurent pas dans le disque, comme «Perdido», et précise que «Les
Feuilles mortes» et le «Concerto à l’espagnole», «La Virgen de la Hacadena»,
furent mal accueillis en matinée (18h) par une partie du public parisien déjà partiellement
soumis à la critique blasée ou progressiste des revues spécialisées.
Cela
dit, on entend que le public est majoritairement en
délire, pour les deux dates, en particulier dans les thèmes enlevés
comme le
«Diminuendo and Crescendo in Blue» avec l’habituel (depuis Newport)
numéro de
Paul Gonsalves qui aligne mesure sur mesure à son chorus survolté. Le
public
est particulièrement ravi de l’intervention de Ray Nance sur «Take the
'A' Train» suivi d’un chorus échevelé du même Paul Gonsalves,
avec le soutien spectaculaire, même à l’oreille, de Sam Woodyard. Johnny
Hodges
y est tout le temps indispensable («MC Blue»). L’orchestre est
splendide, inspiré, avec un drive sans
équivalant et une liberté d’intervention qui laissent sceptique quant
aux
doutes de la critique sur la créativité du Duke et de son Orchestra en
ce temps
(«V.I.P. Boogie», «Jam With Sam», «The Hawk Talks»). Avec ses leaders
comme
Johnny Hodges, Cat Anderson, Ray Nance, Clark Terry, Paul Gonsalves,
Harry
Carney, Sam Woodyard, Jimmy Hamilton, Russell Procope, et le Duke
lui-même,
tous porteurs individuellement et collectivement de ce qui fit le son,
l’énergie, la fantaisie et la richesse du big band, l’Orchestra reste l’un des plus marquants et des plus
novateurs ensembles de toute l’histoire du jazz.
Pour la mémoire, citons Claude Bolling, qui apprécia en
connaisseur, et qui remarque que les musiciens (Ray Nance, Johnny Hodges,
Russell Procope et d’autres) jouent sans partition, ce qui le laisse songeur en
regard de l’étendue du répertoire. Pour le contexte, on sort du Festival de jazz de Cannes, et en
cette période, à Paris, Jimmy Rushing passe en première partie de Billie
Holiday à l’Olympia, et joue au Caméléon, avec Guy Lafitte pour les deux
concerts. Sonny Rollins, Thelonious Monk, Johnny Griffin, Donald Byrd, Sarah
Vaughan (couverture de Jazz Hot de septembre),
Walter Davis sont à Paris, et on annonce la grande nuit du jazz à la Salle
Wagram, avant de débuter 1959 par l’accueil des Messengers d’Art Blakey
(couverture de Jazz Hot de janvier
1959). Autant dire que c’est un âge d’or pour le jazz à Paris. Mais,
contrechant, de Gaulle vient de prendre le pouvoir en mai 1958, suite à la menace
mise en scène d’un coup d’Etat, et cet âge d’or n’en a plus que pour quelques
années à vivre sous les coups de la politique étrangère et culturelle du
nouveau monarque qui se fera élire au suffrage universal un peu plus tard et qui
ouvre la voie à l’industrie de la musique et du
commerce de masse sur le modèle américain, tuant la spécificité de la
chanson française (il est vrai contestant son pouvoir monarchique: Léo
Ferré chantera «Mon Général…» et sera interdit d'ondes, comme Brassens,
et d'autres), paradoxalement, si on se réfère à
son discours sur l’indépendance affichée comme étant la raison de la
rupture avec le modèle américain. De cette
politique ne restera finalement que l’effacement progressif du jazz, et
de ce patrimoine légué et né dans une période où Paris fut un carrefour
culturel (de 1900 à 1960, en sautant la période de guerre); et même la
chanson française si inspirée par le jazz, fut effacée progressivement, triste résultat, par la montée du
yé-yé, du rock et des musiques commerciales (promus en particulier par Salut
les copains justement lancé par Frank Ténot et Daniel Filipacchi), puis sous l’effet des subventions clientélistes à la musique
improvisée française (Jack Lang), qui capte les scènes et les ressources du
jazz, affaiblissant le lien entre le jazz et son public en France par une perte de culture pendant trois décennies
malgré des résistances venant d’amateurs. Cela dit pour rappel du contexte car le jazz en souffre définitivement.
Une prochaine édition reprendra peut-être avec un
livret adhoc l’ensemble des
enregistrements de ces passages parisiens, car les deux disques du label Magic,
qui reprennent le concert à Pleyel plus largement, sont difficiles à trouver.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Dominique Lemerle Quartet
This Is New
This Is
New (take 2), Peau douce, Big Foot/Ease It, Manoir de mes rêves, My Funny
Valentine, Gloria’s Step, My Foolish Heart, Sippin’ at Bell, Waltz New, Comrad
Conrad, This Is New (take 1)
Dominique
Lemerle (b), Michel Pérez (g), Manuel Rocheman (p), Tony Rabeson (dm)
Enregistré
en décembre 2016, Le Pré-Saint-Gervais (93)
Durée:
49' 40''
Black
& Blue 1010-2 (Socadisc)
Il est de
ces accompagnateurs qu’on croise sur toutes les scènes du jazz: discret mais indispensable à la scène du jazz
parisienne; cela fait quarante ans que Dominique Lemerle met sa
belle sensibilité au service du jazz et des musiciens (François Chassagnite,
Bernard Maury, Jimmy puis Sean Gourley, Elios & Boulou Ferré, Johnny
Griffin, René Mailhes, Deborah Brown, Katy Roberts et bien d’autres) en
véritable pilier des sections rythmiques jazz: bebop, tradition Django, free,
swing, Dominique Lemerle est de toutes les aventures. Mais il aura fallu tout
ce temps à cet éternel modeste pour enregistrer un premier album sous son nom.
Encore que, dans This Is New, si
la contrebasse est mise en avant, c’est avant tout un quartet très
complice qu’on entend. Dominique Lemerle s’est en effet entouré de
partenaires de longue
date et d’un tempérament proche, au jeu sobre et profond. En premier
lieu, l’excellent Michel Pérez –qu’on entend trop peu– aiguillonne le
dialogue à quatre voix avec un Manuel Rocheman aérien. Le tout relevé
par le soutien permanent de Tony Rabeson, au drive
impeccable. Le répertoire choisi –des ballades– comprend aussi bien des
compositions historiques («My Funny Valentine», «Manoir de mes
rêves», «Big Foot») que plus récentes
(«Waltz New» de Jim Hall ou «Peau douce», d’un autre
bassiste, Steve Swallow). Il structure le bop intimiste porté par le
quartet
de bout en bout, ce qui n’empêche pas les musiciens d’enfourcher «My
Funny
Valentine» sur un tempo un peu plus vif que de tradition (la mélodie
n’en
a que plus de force) ni d’ouvrir et de clore l’album avec le très aérien
«This Is New» (Kurt Weill) dont le groupe propose deux prises pour
ouvrir et clore l'album. On
retiendra aussi un très joli solo à l’archet sur «Manoir de mes rêves».
Avec ce
projet, Dominique Lemerle
affirme des qualités de leader à travers une musique d’une grande maîtrise, classique dans sa forme très aboutie. Un
beau disque qui en appellera peut-être d'autres, on l’espère pour cet élégant bassiste.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Cecil L. Recchia
The Gumbo
Jungle Blues, Second Line, Limehouse Blues, Jambalaya (on
the Bayou), Big Butter and Egg Man, Go to Mardi Gras, Egyptian Fantasy, New
Orleans Blues, Young in New Orleans, Saint James Infirmary, Lil' Liza Jane, (When
It's) Sleepy Time Down South, Bourbon Street Parade, Tootie Ma Is a Big Fine
Thing
Cecil L. Recchia (voc), Malo Mazurié (tp), Pablo Campos (p),
Raphaël Dever (b), David Grebil (dm, perc)
Enregistré en avril 2018, Le Pré-st-Gervais (93)
Durée: 38' 03''
Autoproduction (InOuïe Distribution)
Pour ce disque très sympathique d’une amatrice sincère de
l’esprit néo-orléanais, Cecil L. Recchia a réuni un fort bon combo de musiciens
confirmés pour un gumbo, ce plat spécial, plus ou moins une soupe, ou l’on mêle
les ingrédients disponibles: pour les pauvres, les restes de la semaine, pour
les autres, c’est selon le marché ou une savante et personnalisée élaboration
de saveurs. Chaque foyer a son gumbo, jamais semblable à celui des voisins:
c’est un plat populaire.
Ici, il s’agit évidemment d’une recette élaborée, car le
choix des musiciens est à la fois excellent et que le répertoire a été choisi
avec soin, mêlant traditionnels, parades, standards du cru, blues, Louis Armstrong…
et Cecil L. Recchia pour certaines paroles. La chanteuse a eu le bon réflexe de
faire figurer les textes sur le livret et offre ainsi une belle ballade
néo-orléanaise, en compagnie du bon Pablo Campos (lui-même chanteur à belle
voix, mais qui s’abstient ici), du solide Raphaël Dever et de David Grebil qui
n’oublie pas de privilégier la caisse claire pour restituer la couleur
percussive de New Orleans, comme le fait Malo Mazurier de son côté, par des
effets variés sur la sonorité, des contrechants ou des chorus
néo-orléanais sur l’instrument-roi, la trompette.
Le disque
swingue ce qu’il faut, la chanteuse possède une bonne voix, l’accentuation, l’énergie
et l’enthousiasme pour porter ce court enregistrement autoproduit. On s’arrête
volontiers sur le «Sleepy Time Down South» en duo avec Pablo Campos, excellent,
où la voix et l’interprétation prennent un sillon qui mériterait d’être
approfondi. L’ensemble est joyeux, comme New Orleans, et même si la fête en
disque manque de piment, ce Gumbo laisse deviner une réalité plus épicée en live.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Old and New Songs
Old and New Songs
Mellan Brenta Strander,
File la Laine, Bachianas Brasileiras n°5 Aria (Cantilena), Plaine, ma Plaine,
Dura Memoria, La Romanella, Oshima Anko Bushi, Old and New Drums, Une Jeune
Fillette, Kristallen Den Fina, La Belle s’en va au Pays des amours, Edo No
Komoriuta
Yoann Loustalot (tp,
flh), François Chesnel (p), Frédéric Chiffoleau (b), Christophe Marguet (dm)
Enregistré en avril et
juillet 2017, Amiens (80)
Durée: 49’
Bruit Chic 0082675 (L'Autre
Distribution)
Lorsque l’on s’interroge
sur ce qui perdure de l’esprit du jazz, aujourd’hui, une des réponses possibles
est apportée par l’alambic du patrimoine musical mondial tel que rapporté à l’idiome
créé par les Afro-Américains dans les circonstances dramatiques que l’on sait. Avec Old and New Songs, publié chez Bruit
Chic, un groupe de musiciens soudés (qu'on peut retrouver en interview
dans ce n°685) tente de réaliser ce rapprochement entre l’héritage
culturel mondial et le jazz pur et dur, adaptant des classiques pour la
plupart
chantés au registre instrumental des musiques ternaires. Ce tour du
monde, en
autant de titres empruntés au répertoire traditionnel de pays européens
et
asiatiques, pourrait presque toucher, ça et là, au registre de la world
music, n’était l’amour des
musiciens pour les éléments constitutifs du voyage que sont
dépersonnalisation
et dépaysement.
Cet état d’esprit se retrouve dès le premier titre
«Mellan Brenta Strander», un traditionnel russe dont la mélodie
entre dans la tête immédiatement par la grâce du timbre hanté de Yoann Loustalot,
à la manière d’une séquence issue de l’inconscient collectif. Apparue dans le
répertoire du pianiste Jan Johansson, cette mélodie entêtante débute de la
meilleure des manières ce voyage imaginaire autour du globe. «File la
Laine» de Robert Marcy, un souvenir de lycée du trompettiste et du
bassiste, voit son caractère choral restitué par une superposition de timbres artistement
disposés. «Aria Bachianas Brasileiras n°5» de Villa-Lobos, est une
œuvre aux dimensions symphoniques, que le groupe interprète en référence à la
chanteuse lyrique Mady Mesplé. «Dura Memoria» est quant à lui une belle incursion dans le domaine du fado, tandis
que «La Romanella» nous amène sous des latitudes napolitaines
éclaboussées de lumière, un monument de vigueur et de swing où la contrebasse
de Frédéric Chiffoleau fait merveille. «Edo No Komoriuta» et
«Oshima Ankho Bushi» évoquent un Japon poétique et méditatif, alors
que «Kristallen Den Fina» est un magnifique hommage rendu par Yoann
Loustalot à Art Farmer et Jim Hall, que le piano en apesanteur de François
Chesnel transfigure littéralement. L’esprit de la formation s’affranchit par
ailleurs de toute prétention en revisitant aussi des éléments du patrimoine
français. Ainsi «Une Jeune Fillette» et «La Belle s’en va au
pays des amours» illustrent-ils une conception toute personnelle de la
renaissance française, telle que passée au crible du jazz. Le curieux intermède
de «Old and New Drums» a pour origine un solo de percussions présent
sur «La Romanella», déplacé pour constituer une célébration à part
entière de l’art percussif de Christophe Marguet. Un disque placé sous le sceau
de l’amitié, et une liberté dont tout porte à croire qu’elle constitue
l’essence même du jazz, au même titre que les références aux racines
patrimoniales et culturelles. Bien sûr, le choix des titres, de même que l’absence
de morceaux tirés des standards américains ont de quoi alimenter les réserves
des puristes, constat relayé dans une moindre mesure et par la force des choses
par une présence plus discrète des blue
notes sur l’album. Mais le jazz cesse probablement d’être jazz lorsqu’il se
contente d’une grande dévotion envers le passé, lorsqu’il sert seulement à se
dédouaner de tout effort d’invention, de toute créativité. En musique, toute
lecture fidèle suppose une entreprise relative de réappropriation. Ce n’est
qu’à ce prix que la grâce du tempo redonne
vie à des mélodies éternelles, révélant soudainement pourquoi et comment elles
ont traversé le cours du temps. Le travail du quartet est à ce point abouti
qu’il suscite un vrai sentiment d’évidence, les qualités individuelles, le
talent déployé par chaque musicien, assurant la mise en valeur et le brio des
arrangements écrits pour le disque. Ce sens du collectif, qui honore le quartet
et magnifie l’œuvre enregistrée, confère une patine très classique à la verve
impressionniste d’Old and New Songs, servie par une cohésion et une intensité qui
balayent toute réticence.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Miles Davis & John Coltrane
The Final Tour: The Bootleg Series, Vol. 6
CD1: All of You*, So What*, On Green Dolphin Street*,
Walkin’*
CD2: Bye Bye Blackbird*, 'Round Midnight*, Oleo*, The Theme*,
Introduction°, So What°, On Green Dolphin Street°, All Blues°, The Theme
(Incomplete)°
CD3: Introduction By Norman Granz°°, So What°°, Fran Dance°°,
Walkin’°°, The Theme°°
CD4: So What (Second Concert)°°, On Green Dolphin Street°°,
All Blues°°, The Theme (Second Concert)°°, John Coltrane Interview°°
Miles Davis (tp), John Coltrane (ts), Wynton Kelly (p), Paul
Chambers (b), Jimmy Cobb (dm)
Enregistrés les 21 mars 1960, Olympia, Paris*, 24 mars 1960,
Tivoli's Koncertsal, Copenhague°, 22 Mars 1960, Conserthuset, Stockholm°°
Durée: 1h 01' 02'' + 1h 11’ 01'' + 36' 21'' + 52' 22''
Columbia/Legacy 88985448392 (Sony Music)
La
tournée européenne du Miles Davis Orchestra, la première et
la dernière pour ce groupe, fut organisée par Norman Granz, dans le
cadre du
Jazz at the Philharmonic (JATP), ici immortalisée par des
enregistrements
produits par Norman Granz lui-même. Il s’agit de trois concerts, le
premier à
Paris, le deuxième à Stockholm, le troisième à Copenhague. Une partie
des
thèmes, sans doute choisis pour la tournée, figurent ainsi en plusieurs
versions («So What», «On Green Dolphin Street», «Walkin’», «All Blues»).
On comprend a posteriori la rancune envers les médias du grand
producteur, en
particulier perceptible dans cette interview accordée à Laurent Goddet
en 1979
(Jazz Hot n°363 et 366, octobre 1979)
qui lui reprochait de ne produire que du jazz classique (sous-entendu périmé et
sans risques). Outre que le jazz produit par Norman Granz ne se périme pas
(constat) et qu’il prit des risques toute sa vie, il fut en effet l’un des
premiers à donner un éclairage de grande envergure à John Coltrane, entre
autres, le porteur d’une évolution marquante du jazz au tournant des années
1960, quand le public parisien sifflait encore et jetait des pièces de monnaie
(raconté par un témoin) lors des chorus de John Coltrane. Ici, on entend en
effet les sifflets à Paris, pourtant toujours à l’avant-garde des modes. C’est
un signe que Norman Granz savait aussi prendre des risques calculés. L’accueil
fut meilleur pour John Coltrane en Scandinavie, soit meilleure compréhension (peu
probable), soit qu’il y ait moins de chapelles dans le jazz (certain) et déjà
une forme de modernisme obligé de mode qui avait le mérite de ne pas polluer
les enregistrements, à défaut de la profondeur d’une compréhension sincère de
la plupart.
Contrairement à ce que dit le titre de cette réédition (le
concert de Paris a été déjà édité chez Trema, celui de Stockholm chez Dragon,
celui de Copenhague chez Landscape, le tout sous le nom de Miles Davis), c’est
sous le seul nom de Miles Davis que se déroule la tournée. Mais si Miles est le
chef, il a sensiblement perdu le contrôle sur une partie de la musique:
pas sur le choix du répertoire, mais sur l’équipe. Bien sûr, quand Miles
introduit les thèmes avec sa sonorité métallique et feutrée, la section
rythmique de haut niveau répond comme la plus belle des machines avec un grand
Wynton Kelly, un splendide Paul Chambers et un Jimmy Cobb déjà inébranlable
dans son soutien. Mais John Coltrane n’a effectivement plus rien d’un sideman
ordinaire qui va se plier à un univers qui n’est pas le sien: il est non
seulement un instrumentiste virtuose qui en impose, même à Miles, mais
également déjà l’auteur de sa musique. Il s’accapare ainsi, sans façons, la
musique de Miles sur un terrain où ne le suit pas le trompettiste, étranger à la
démarche du saxophoniste. Bien entendu, John Coltrane, en professionnel,
conserve les formes, en intervenant toujours après le chef, en assurant les
ensembles, ou en restant parfois en retrait, voire absent, mais dès qu’il prend
la scène, le groupe et la musique se métamorphosent. La section rythmique
s’emballe, le parfait davisien Wynton Kelly prend les accents qui annoncent le
jeu si particulier qu’aura plus tard McCoy Tyner au sein du quartet. Pour qui a
suivi le parcours de John Coltrane depuis sa rencontre avec Thelonious Monk,
depuis Blue Trane, Giant Steps, etc., ça ne peut être une
surprise; mais on oublie qu’à l’époque, les nouvelles (et les nouveautés
discographiques) vont moins vite qu’aujourd’hui, et dans le public de jazz, même
parmi les connaisseurs et les critiques à la mode, beaucoup n’ont pas les
références culturelles pour comprendre l’évolution du jazz, perdus dans un
académisme, un progressisme formel (hodeireins), un avant-gardisme de mode à la
française décalé de la réalité américaine ou dans le mercantilisme (Ténot-Filipacchi-Barclay),
quand ce n’est pas, pour les «figues moisies», un rejet qui n’est pas nouveau de
tout ce qui dérange le jazz de leur génération tel qu’ils l’imaginaient
(ludique, ethnique ou mythique). Charlie Parker, Thelonious Monk, Bud Powell,
Charles Mingus et Dizzy les dérangeaient déjà comme ils séduisaient
superficiellement les premiers; tout ce beau monde ignorant allègrement, et
sans état d’âme, la réalité culturelle, politique et sociale des Etats-Unis,
des Afro-Américains en particulier, en pleine effervescence à ce tournant des
années 1950-1960, si déterminante pourtant pour l’esthétique du jazz, pour son
évolution, et non pas sa révolution comme cela a été écrit. La révolution,
c’est le jazz par lui-même, et ça date déjà du début du siècle, si on se limite
à son apparition et non à ses racines, et peu en ont pris conscience malgré
Charles Delaunay, très isolé dans son point de vue.
Ce disque est donc indispensable, pas seulement pour la
musique parfois de haut niveau, mais davantage parce qu’il expose en la
personne de Miles Davis et de John Coltrane, deux artistes au centre des
mutations qui vont déterminer le futur du jazz, deux voies assez éloignées
l’une de l’autre, en dépit de ce qui en est encore dit, pour la fin du XXe siècle. John Coltrane est, enfin car il n’est plus si jeune, dans le
sillon qu’il va approfondir jusqu’à sa disparition en 1967, ressourçant le jazz
à la musique religieuse, au blues, à sa réalité d’Afro-Américain dans la
société des Etats-Unis aux prises avec le racisme, cherchant l’authenticité
absolue de l’expression, un message monkien certainement, inventant sa voix sur
ces fondements, sans souci des balises commerciales, dans l’esprit de ce que
cherchaient et trouvèrent un Parker, un Gillespie, un Monk ou un Mingus, même
s’ils sont différents dans leur expression, et avant eux les grand(e)s
musicienn(ne)s qui font le jazz depuis son apparition.
Miles Davis en est à une autre étape de sa vie artistique, à un autre niveau de
choix, ceux de la recherche de reconnaissance internationale (une obsession
précoce chez Miles), à l’instar des grands du jazz (Duke, Ella, Bessie, Count,
Dizzy et Parker…), mais sans doute plus sur le plan médiatique qu’artistique,
dans un esprit proche, bien que décalé dans le temps, d’un Nat King Cole, dans
une époque où le jazz commence à être relégué à la marge par la société de
consommation et l’industrie du show business qui se mondialisent. Cela va
déterminer ses orientations, d’abord vers le meilleur, une musique de jazz formellement
moderniste plus maîtrisée (le quintet avec Herbie Hancock, Wayne Shorter, Ron
Carter et Tony Williams), techniquement parfaite, formellement rigide malgré de
belles qualités, une sorte de MJQ mis à jour des années 1960 où le blues est
plus formel qu’une expression des racines. Puis, la reconnaissance ne pouvant
passer par une forme trop exigeante qui reste essentiellement jazz, il lui faut
passer progressivement par les fourches caudines du système marchand et
médiatique d’une synthèse avec les musiques de mode du moment, ce qu’il
réussira parfaitement, sa biographie l’explique, conservant juste ses accents
jazz, dans un univers et dans une apparence étrangers, sur le fond, à l’histoire
et à l'esprit du jazz.
Bien peu de musiciens, y compris afro-américains, osent le
dire ou simplement le penser, pour beaucoup de raisons, et d’abord parce que
Miles Davis a aussi et d’abord une grande carrière artistique dans le jazz (ses
années 1950 sont un âge d’or), et qu’il est un formidable catalyseur de groupes
à toutes les époques, un roi qui choisit avec science ses sidemen, toujours les
meilleurs espoirs jusqu'à son quintet avec Herbie Hancock, Wayne Shorter, Ron
Carter et Tony Williams. Il est aussi un symbole (comme Nat King Cole, Quincy
Jones par exemple et beaucoup d’autres avant lui) de l’affirmation
afro-américaine dans la société des Etats-Unis, jusque dans le monde du show
business et de la consommation de masse. La recherche d’égalité et
d’affirmation des Afro-Américains ne se fait pas que dans l’excellence
artistique d’un Duke Ellington ou d’un Charles Mingus, elle se fait parfois
dans la reconnaissance par le système marchand du monde blanc, démarche humaine
mais moins exigeante, plus complaisante que la seule reconnaissance artistique.
La descendance de John Coltrane, le temps ayant passé, est
aujourd’hui identifiable: de McCoy Tyner (qui fixe l’esprit pianistique de ce
courant, par exemple) à Billy Harper, Stanley Cowell et beaucoup d’autres, dans
un esprit de création en référence permanente aux racines, au blues et au
spirituel, dans un message d’affirmation individuelle et collective populaire. La descendance de Miles Davis est à chercher plutôt dans un
futur où le jazz se fond dans un ensemble de musiques adolescentes et de
consommation (d’où les termes de fusion, jazz rock), et dans celle aujourd’hui
des héritiers de Miles, les Herbie Hancock, Wayne Shorter, Quincy Jones…Bien entendu, tout n’est pas aussi tranché que dans cette
analyse qui a pour vocation d’éclairer ce disque quant à la différence
d’expression qui commence à devenir manifeste, car les carrières se sont
développées dans le jazz, un tronc commun, dans les années 1940-1950, et que
leurs héritiers peuvent se référer à plusieurs moments de leurs parcours. Mais
l’état d’esprit, au moment de cet enregistrement, de John Coltrane est très
éloigné de celui de Miles Davis, sans doute aussi leur biographie, leur
extraction sociale, leurs choix artistiques. Non seulement ça détermine des
attitudes différentes sur la scène jazz, une expression différente mais aussi
ça s’entend dans leur musique et dans ce disque en particulier qui est comme un
aiguillage pour le futur du jazz entre deux voies possibles. C’est l’intérêt de
ce disque; il faut aussi pour l’entendre beaucoup écouter, se poser des
questions et ne pas rester à la surface des notes d’une musique de qualité,
n’en doutons pas. «So What» et «All Blues» du CD4, enregistrés à Stockholm,
illustrent ces propos, avec une section rythmique (Chambers-Cobb-Wynton Kelly)
d’une sensibilité et d’une intelligence artistiques telles qu’elle change de registre
en passant de Miles à Coltrane. On pourrait penser à la juxtaposition du
quintet de Miles Davis (musique d’atmosphère) et du quartet de John Coltrane
(musique spirituelle), tels qu’ils seront les années suivantes.
Une
courte interview, sans grand intérêt, de John Coltrane ponctue cet
enregistrement, sinon l’occasion d’entendre aussi sa belle voix posée.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Tricia Evy
Usawa
The Thrill Is Gone, You’d Be So Nice to Come Home to, Moin ka senti an
love, Blue Prelude*, Mirsy and the Blues*, Jou ouvé°, Golden Earrings°, On the
Sunny Side of the Street*, Nataly, The Old Country, Doudou pas gentille°, Take
the 'A' Train*, Falando de amor°
Tricia Evy (voc), David Fackeure (p), Pierre Boussaguet (b)*, Michael
Tafforeau (cello)°
Date et lieu d’enregistrement non communiqués
Durée: 57' 05''
Autoproduit (www.triciaevy.com)
Tricia Evy est une superbe chanteuse comme son dernier disque, Usawa, vient le souligner. Née à Paris
mais ayant grandi en Guadeloupe, elle est de nouveau parisienne depuis 2006 et
creuse dès lors son sillon sur la scène jazz, semant deux premiers opus:Beginning (2010, Safety Records, voir
notre chronique dans Jazz Hot n°654)
et Meet Me (2014, Plus Loin Music).
Comme beaucoup de musiciens originaires des Antilles et parlant le jazz avec l’accent
créole (Mario Canonge en est un exemple éminent), elle se produit régulièrement au Baiser Salé où l’on a déjà pu
l’entendre sur le répertoire de Louis Armstrong ou de Georges Brassens.
Sobrement et fort joliment accompagnée par son complice de longue
date, l’excellent David Fackeure (qui signe les arrangements avec la chanteuse),
Tricia Evy en duo avec son pianiste sur les premières plages de ce disque, s’ouvre
au trio, selon les morceaux, avec Pierre Boussaguet, qu’on ne présente plus, ou
Michael Tafforeau, jeune musicien fraîchement diplômé du CNSM. Affichant sa
volonté de rendre hommage tant au jazz qu’à la biguine qui a marqué
son enfance, elle aborde de front ces deux univers (le titre de l’album, Usawa,
signifiant «équilibre»
en swahili) traités cependant de façon comparable sur le plan
instrumental. C’est toutefois
le jazz qui domine avec huit standards pour trois chansons de la
tradition
antillaise, une mazurka («Nataly») et une bossa nova, «Falando de amor» (Tom Jobim), chantée
en portugais. Chaque titre est un véritable bonheur à l’écoute,
bénéficiant de l’expression
sensible et profonde de Tricia Evy, relevée par l’évidente complicité
qui la
lie à David Fackeure, lequel possède la particularité de s’être
intéressé,
depuis ses débuts, à la biguine parallèlement au jazz. Dès le
premier titre, «The
Thrill Is Gone», nous voilà saisis par la beauté de l’interprétation de
Tricia qui est comme en apesanteur sur le refrain, à peine soutenue par
les
quelques notes de son pianiste qui livre à la suite un solo aussi
caressant que
swinguant. Le duo passe avec aisance de la ballade à un tempo plus
rapide avec
un «You’d Be So Nice to Come Home to» tout en énergie et en swing.
On prend tout autant de plaisir sur le blues («Blue Prelude», «Mirsy
and the Blues») où l’on se réjouit du renfort de Pierre Boussaguet qui
introduit malicieusement «On the Sunny Side of the Street». Dernier
titre en trio avec «Take the 'A' Train», pris de façon originale, sur un
tempo lent. Un
délice. Musicien à l’évidence d’expression classique et non jazz,
Michael
Tafforeau intervient principalement sur les biguines mais
également sur «Golden Earrings», superbe mélodie de Victor Young, à
laquelle le violoncelliste donne un habillage quelque peu différent des
autres
standards de ce disque. David Fakeure y est d’ailleurs beaucoup moins
jazz dans
son approche, mais le talent vocal de Tricia emporte le tout.
En autoproduction, Tricia Evy cultive en toute indépendance son authenticité, loin
des impératifs de la consommation de masse.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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David Sauzay Sextet
Playing With
Tigers and Lions, As You Like It*, Annamila, LM Stories,
Back to Childhood*, Barbery Bossa*, Barry's Touch, Djouss and Moods, Blues for
G*°
David Sauzay (ts, fl2-6), Fabien Mary (tp),
Michael Joussein (tb), Alain Jean-Marie (p), Michel Rosciglione (b), Mourad
Benhammou (dm) + Gaspard Sauzay (tp)°, Gabriel Sauzay (b)*
Enregistré 29 juin 2017, Villetaneuse (93)
Durée: 49' 05''
Jazztime Records/Black & Blue 1009-2 (Socadisc)
Ce qui est d’abord indispensable dans ce disque, c’est
l’état d’esprit de ce groupe et plus particulièrement de son leader, David
Sauzay, très bon saxophoniste dans la veine hard bop revendiquée avec fierté
(en référence au groupe One for All). David Sauzay, d’une exigence musicale absolue,
reste simple, humble, direct autant dans l’approche de son public (toujours
disponible et ouvert) que dans sa manière d’associer à un enregistrement de
haut niveau ses jeunes fils, musiciens en devenir, son entourage féminin qui le
soutient, parfois même professionnellement, dans un parcours guidé par l’amour
du jazz.
David Sauzay est indispensable dans sa façon de laisser
toujours beaucoup de place à toutes les expressions individuelles de son
groupe, voire d’associer les copains absents (Laurent Marode, Hugo Lippi,
Fabien Marcoz), dans sa manière de servir le jazz avec un vrai respect (blues,
swing et expressivité), c’est-à-dire une connaissance profonde de l’histoire,
même s’il fait le choix d’une esthétique précise correspondant à un temps de cette
histoire qui dure toujours (les références à Barry Harris, Pat Martino, John
Coltrane, Luigi Trussardi, Hank Mobley)… En quelques mots, David Sauzay est un
musicien de jazz authentique, entier, de la vie à la scène, un passeur, un vrai
Messenger dans la tradition, un pont entre le passé, le présent et le futur du
jazz. La scène européenne a besoin de beaucoup de David Sauzay pour se
ressourcer en permanence, la condition d’un approfondissement de l’enracinement
de cette musique, donc de sa durabilité. L’excellent texte de livret de David
Sauzay, expliquant le choix de son répertoire, correspond à cette qualité de
passeur, cette fois vers ses auditeurs, les amateurs de jazz, ce désir d’être
accessible pour les amateurs, parce qu’il attend le retour nécessaire au
musicien de jazz. Enfin, le choix parfait de ses complices de la séance, avec
un véritable all stars de musiciens de la scène jazz française, parmi les plus
profonds chacun sur leurs instruments, finit de nous convaincre. Ce musicien
prolonge avec beaucoup d’ambition artistique l’histoire du jazz, et la
référence au groupe One for All et donc aux Trois Mousquetaires, est simplement
naturelle et conforme à l’état d’esprit solidaire et d'amitié de David Sauzay, un sacré bonhomme.
On vous laisse découvrir son beau son, ses belles compositions
inspirées de l’histoire du jazz, avec chacune une couleur particulière de cette
esthétique post bop, avec de beaux arrangements, les chorus coltraniens (le
Coltrane lyrique de la période Prestige et Atlantic) comme «Back to Childhood»,
les interventions de ce all stars classique et parfait, où l’on ne va pas
isoler tel ou tel –ils sont tous au service de la musique, dans l’esprit du
leader, et originaux dans leurs interventions–, autant dans les ensembles que
dans les chorus. Ce disque d’un jazz enraciné est un régal.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Eric Bibb
Global Griot
2 CDs: titres et personnels détaillés dans le livret
Enregistré en France, en Suède, en Angleterre, aux
Etats-Unis, en Jamaïque, au Canada et au Ghana, dates non précisées
Durée: 45' 36'' + 44' 26''
Dixiefrog 8810 (www.bluesweb.com)
Revendiquant son
éclectisme,
Eric Bibb (g, voc) développe une œuvre malheureusement inégale parce
qu'éclectique par système.
Ce n’est pas faute de posséder les qualités d’un bon musicien, de blues,
dont
la sensibilité caractérise sa voix et son jeu de guitare. Mais
plutôt que de développer cette personnalité originale en
l’approfondissant dans
l’expression blues, il a fait de choix de s’éparpiller dans une variété
complaisante, sombrant parfois dans une certaine mièvrerie
pop-world music qui nuit au message humaniste qu’il affirme vouloir délivrer. On s'en étonne et on s'en attriste car il a été très
marqué dans son enfance par la lutte pour les Droits civiques (le chanteur,
acteur et militant politique Paul Robeson était son parrain) et qu’Eric Bibb entend
transmettre les valeurs de fraternité et d’universalisme au nom
desquelles le Dr. Martin Luther King a été assassiné il y a tout juste
cinquante ans.
C’est toute l’entreprise, fort louable, de ce Global Griot, un manifeste porté avec
conviction par le musicien «citoyen du monde», laquelle passe par un
dialogue avec l’Afrique, la terre des origines; démarche similaire à celle effectuée
récemment par un autre bluesman, Mighty Mo Rodgers avec son Griot Blues (voir notre chronique dans Jazz Hot n°683) et qui butte sur le
même écueil: la dilution d’une expression artistique authentique, en soi
universelle, le blues, dans un maelstrom de word music indifférenciée. C’est
d’autant plus dommage que lorsque Eric Bibb retrouve la route du blues, c’est
pour le meilleur. Deux titres, deux reprises, sont ainsi à sauver de ce long double CD,
essentiellement constitué d’originaux: «Black, Brown &
White» de Bib Bill Broonzy, interprété en duo avec Harrison Kennedy (voc),
ainsi qu’un célèbre spiritual datant de la Guerre civile, «Michael, Row Da Boat
Ashore».
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Martial Solal
Solo Piano. Unreleased 1966 Los Angeles Sessions. Volume 1 & 2Volume 1: Groovin' High, Scrapple From the Apple, I Can’t
Get Started, Night in Tunisia, Ornithology, Yardbird Suite, Embraceable You,
Now's the Time, Lover Man, Blue Monk, Billie's
Bounce, 'Round Midnight, Un Poco Loco
Volume 2: Pennies From Heaven, Blues Martial, Fig Leaf Rag,
Exactly Like You, Ain't Miss Behavin', Begin the Beguine, Ah Non, But Not For
Me, Suite 105, Kansas City Stomp, La Chaloupée, Everything Happens to Me, Un
Poco Loco
Martial Solal (p solo)
Enregistré les 18, 19 et 21 juin 1966, Glendale (Californie)
Durée: 1h 06' 49'' + 53' 23''
Fresh Sound Records 943 & 960 (Socadisc)
Pour Ross Russell, le fondateur du label Dial Records, qui
organisa de belles séances avec Charlie Parker dans les années 1940, l’auteur
de Bird Lives! (son indispensable
ouvrage sur le grand saxophoniste), ces deux volumes, parmi d’autres (le
premier est dévolu à Joe Albany, en mars 1966), devaient permettre de renouer
avec la production de disques. Selon les notes de l’excellent livret de Jordi
Pujol, le producteur de Fresh Sound Records, c’est aux studios Whitney de
Glendale, en Californie, doté d’un excellent Steinway (on sait l’attachement de
Martial Solal à Steinway), que Ross Russell effectua les enregistrements, et en
juin, Ross Russell invita Martial Solal pour graver la matière de trois albums,
qui ne verront malheureusement pas le jour. Ils sont vendus en 1983 à David
Hubert qui lui-même les revend à Jordi Pujol en 1993. C’est donc finalement à
Jordi Pujol qu’échoient le mérite et la chance de cette belle publication, car
Martial Solal y fait montre non seulement de ses qualités de toujours –humour,
ahurissante technique instrumentale, invention harmonique, références
classiques…– mais aussi d’une culture jazzique qu’il possède en profondeur par
une déjà longue et brillante carrière sur les scènes du jazz. Le choix de Ross
Russell d’enregistrer Martial Solal est en soi une reconnaissance, et c’est ce
que rappelle le pianiste dans son témoignage sur cet enregistrement. Martial
Solal n’est plus un inconnu aux Etats-Unis depuis 1963 où il a déjà convaincu
George Wein, Ira Gitler et les musiciens rencontrés (Teddy Kotick et Paul
Motian avec qui il joue à Los Angeles, Shelly Manne-Hole), puis les spectateurs
du Newport Jazz Festival. Il a d’ailleurs prolongé par un engagement à
l’Hickory House jusqu’au 27 août 1963. En 1964, second voyage, à San Francisco
cette fois (El Matador). Et donc, en 1966, Ross Russell sait pourquoi il a
invité Martial Solal.
Sur ces enregistrements d’un Martial Solal en pleine
possession de ses moyens, dans la filiation de Teddy Wilson et Art Tatum, deux
de ses références, on peut admirer un pianiste maîtrisant parfaitement son
langage, acrobatique, totalement investi dans la culture jazz qu’il revisite,
sans doute avec moins de naturel culturel qu’Art Tatum, mais avec une véritable
originalité, en particulier celle d’une culture classique, une maîtrise
harmonique parfaite et des moyens pianistiques à la hauteur du Dieu du piano, Art
Tatum, celui de la plupart des pianistes de jazz, comme Django le fut pour les
guitaristes.
Martial Solal, s’autorise, malgré son admiration, une
restriction dont on lui laisse la paternité («I think he did not always use his technique and his knowledge
appropriately», citée sur le livret), car tout nous fait penser différemment,
à commencer par ces beaux enregistrements qui n’auraient pas été possibles, sur
aucun plan, sans le Maître Tatum, ni même Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Bud
Powell ou Thelonious Monk, matière principale de ces enregistrements, comme
l’ouvrage de Ross Russell sur Bird nous le raconte. Tatum est en effet un
inventeur de langage, le véritable et principal trait d’union entre mainstream
et bebop, avec d’autres rares comme Roy Eldridge par exemple.
Quoi qu’il en soit, ces séances sont splendides, Martial
Solal réalisant une synthèse originale en solo, un registre qui lui va
parfaitement et dans lequel il a donné le meilleur, ici en est l’exemple
parfait. Martial Solal sait même s’approprier le jazz pour faire
découvrir son monde intérieur fait d’humour, de calembours sonores mais aussi
de poésie, de rêve et d’invention. La dimension culturelle américaine, celle du
blues (non la forme mais l’esprit), celle qu’on ne peut pas lui reprocher de ne
pas avoir, étant parfaitement compensée par sa culture sortie d’une biographie
qui n’appartient qu’à lui dans son monde. Le résultat est donc ici très
personnel, bien que le répertoire soit essentiellement extrait de la tradition
du jazz (Parker, Gillespie, Powell, Monk, Morton, Waller, plus Gershwin et les
standards…), passionnant et toujours d’une incroyable virtuosité, dans
l’ensemble pas démonstrative, gratuite ou ludique, car Martial Solal possédait
à cette époque les qualités d’un conteur, dans la tradition de la grande
histoire du jazz qui est faite de récits sur la base d’un langage commun et
d’une histoire collective, qualités qui se sont amoindries avec le temps car
les mélodies semblent aujourd’hui moins l’intéresser que les recherches
harmoniques, bien que rien ne soit complaisant ou secondaire chez lui.
A noter une belle relecture de «La Chaloupée» de Jacques
Offenbach, et trois compositions personnelles sur le second volume, dont
«Studio 105» entre impressionnisme et Art nouveau, pour situer l’époque qui
nous semble être la source d’inspiration, dans l’esprit de la musique de
Martial Solal qui illustra le film consacré à Robert Delaunay, le père de
Charles, avec quelques accents jazz supplémentaires ici. L’univers début de XXesiècle est une très belle couleur de Martial Solal comme en atteste sa version
de «Fig Leaf Rag». Les deux disques se terminent, en clin d’œil à Bud
Powell, par «Un Poco Loco», deux versions tout aussi folles de virtuosité et de
mise en place que les originales du grand pianiste new-yorkais qui devait
disparaître un mois et quelques jours après cet enregistrement. Deux volumes
inédits du grand Martial Solal au sommet de son art, c’est un cadeau de Fresh
Sound à ne pas manquer.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Bega Blues Band
Brassica SoupFinkeinstein Strut, Soup a la Blues, Pagan Thracian
Dance, Song for Sasha, Borangic de Mozambic, Brassica Oleraceaa, State of Soul,
Afro Blue
Maria Chioran (voc), Lucian Nagy (ts, fl, caval bulgare),
Mircea Burnea (g), Toni Kühn (org, ep, kb), Johnny Bota (b, perc), Licà Dolga
(perc) + Lucian (p), Sasha Bota (vln), Paul Gloasr (tp), Câtâlin Trocan (tb)
Date et lieu d’enregistrement non précisés
Durée 1h 02'
EM Records 73151115 (contact.emrecords@gmail.com)
Un des plus anciens groupes de jazz roumain, dont l’adjectif de blues
band ne correspond plus au style qu’il défend. Ici, on voyage entre la fusion,
dans des formes très variées, des titres sonnant comme du Chick Corea, Jean-Luc
Ponty ou encore Herbie Mann, période funky. Si le leader aujourd’hui en est le
bassiste Johnny Bota, chacun peut y aller de son solo et laisser libre cours à
son imagination. La chanteuse Maria Chioran, qui s’exprime en roumain, domine
parfaitement des compositions très lyriques où sa voix survole d’une puissance
sonore certaine. Lucian Nagy, qui passe du sax ténor à la flûte traditionnelle,
nous en impose et, en droite ligne des jazz-rockers made in America, nous
transporte vers des horizons ensorcelés. Le guitariste, Mircea Burnea, ne doit
rien aux rockers et ses interventions dégagent elles aussi une force sans
faille. Autre pilier central du groupe, Toni Kühn, qui, aux multiples claviers
colore, aussi bien à l’orgue Hammond ou au Fender, toutes les compositions qui
sont des originaux, à l’exception d’Afro Blue. Les invités, Lucian Ban et Sasha
Bota, véritables vedettes locales, jouent tout leur saoul sur «Song of Sasha».
Un groupe qui a le mérite d’une cohésion parfaite et qui ravira les amateurs de
Michael Brecker, Spyro Gyra, Billy Cobham, Stanley Clarke…ou plus tard Mike
Stern, Bill Evans, bref toute une époque ou la fusion décapait les oreilles et
attirait un nouveau public. L’album se conclut sur une version en anglais des
plus débridées d’«Afro Blue», thème qui est cher au groupe. Une formation à
découvrir et qui ne manque pas de fortes personnalités.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Swing Bones
Tribute to François GuinGroovy Swing Bones,
Hellza, Blue Revival, Affection or Love, Et Maintenant, Chloë, Natsu, Lost in
Iferouane, Adriano, Unlucky Train, Song of Medicis, Beijing Express, Joue et
Nuit
Jérôme Capdepont,
Baptiste Techer, Jérôme Laborde (tb), Olivier Lachurie (btb), Thierry Gonzalez
(p, ep), Julien Duthu (b), Guillaume Nouaux (dm) + Nicolas Gardel (tp),
Robinson Khoury, Rémi Vidal, François Guin (tb)
Enregistré du 27 au 29
décembre 2017, Laboulbène (81)
Durée: 53' 09''
Autoproduction
(contact@swingbones.fr)
Voici une entreprise qui
mérite qu'on s'y arrête. D'une part, les ensembles de trombones (ici quatuor)
avec rythmique, dans le style swing, sont rares en France et ailleurs. D'autre
part, ce groupe, qui a déjà signé l'album Live au Limoux Brass Festival,
s'est mis ici au service de la mémoire des Four Bones, ce groupe français
dirigé par François Guin et lancé en 1967.
Les Four Bones ont réalisé un page
importante de l'histoire du jazz et du trombone en France. En fait,
rappelons-le, François Guin s'inscrivait dans le prolongement du travail de
pionnier de Raymond Fonsèque qui, dès mars 1953, a lancé un quatuor de
trombones. De 1961 à 1967, Fonsèque reprit cette formule sous le nom des «Trombone Incorporated».
Les arrangements de François Guin réunis sur ce CD sont
remarquables et propices au swing. Il est responsable de tous les titres (sauf
le bonus, signé Thierry Gonzalez), des compositions personnelles (deux
co-signées soit avec Gérard Badini, «Blue Revival»,
soit avec Claude Gousset,
«Natsu») en plus de deux arrangements («Et maintenant» de Bécaud,
«Chloe» alias
«Song of the Swamp» de Neil Moret). La rencontre entre François Guin et
Swing
Bones s'est faite en juin 2016 lors du festival «Trombone en Chalosse».
Je
pense qu'il ne pouvait pas mieux tomber pour défendre sa musique. La
mise en
place des ensembles est superlative, il y a aussi une belle maîtrise des
nuances. François Guin a assuré lui-même la direction artistique de
l'album et
il apparaît même au trombone (il en avait arrêté la pratique) comme
invité en
tant que premier soliste du blues, sur un parfait tempo médium jouissif,
«Blue
Revival»; les deux autres trombone solos dans ce titre sont Baptiste
Techer
(qui enchaîne après François) puis Jérôme Laborde (avec plunger sur les
roulements de Guillaume Nouaux!). Un pur moment de swing et l'un des
meilleurs
titres du CD. Le «Groovy Swing Bones» sonne comme du Basie avec les
remarquables breaks de Guillaume Nouaux; le soliste, Baptiste Techer est
un virtuose
dans la lignée Urbie Green-Bill Watrous. Jérôme Capdepont a une sonorité
«vocale» remarquable qui fait la valeur d'«Hellza». On retrouve cet
Urbie Green
français au début d' «Affection or Love» où chacun des quatre
trombonistes
alterne. Capdepont expose «Et Maintenant» après l'introduction de
Duthu/Nouaux,
et c'est Jérôme Laborde l'excellent soliste. On retrouve Laborde en solo
(bien
mené) dans «Natsu», thème très années 1960 typique des Four Bones; dans
ce
titre plein de swing, Thierry Gonzalez délivre un excellent solo. «Lost
in
Iferouane» est une ballade, admirablement exposée avec un lead d'une
grande
qualité de son et justesse (superbe!). Gonzalez y prend un bon solo de
piano.
C'est Baptiste Techer qui joue en solo avec une solide technique.
François Guin
a écrit là une bien belle musique! On retrouve Techer (sourdine) en
soliste
dans «Adriano», morceau pris sur tempo médium. Le drumming de Guillaume
Nouaux
est varié et précis. Encore une excellente composition de François Guin,
bien
orchestrée. On peut en dire autant de «Song of Medicis», sur tempo
médium.
Gonzalez délivre un solo sobre et efficace (belles lignes de basse de
Duthu).
Puis Techer et Duthu interviennent en solo. Deux invités de marque dont
la
technique d'exception n'est plus à vanter, bénéficient chacun d'un titre
dont ils sont les uniques solistes, chacun dans une
ballade: Nicolas Gardel dans «Chloe» (très bon arrangement!) et Robinson
Khoury
dans «Unlucky Train». Gardel et Khoury jouent dans le bien nommé
«Beijing Express»
pris sur tempo vif. Gardel (punch!) et Khoury (incroyable son) assurent
une
impeccable alternative bop (Guillaume Nouaux s'exprime aussi). Les riffs
sont
parfaits! Le CD se termine par un bonus, «Jour et Nuit» dans le style
parade
qu'il ne fallait pas louper quand on a Guillaume Nouaux dans le coup
(solos:
Vidal, Gardel, Khoury).
Les amoureux des cuivres ne devraient pas passer à côté
de ce CD!
Michel Laplace
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Takaaki Otomo
New Kid in TownEvening Glow, New Kid in Town, Django,
LullWater, Repetition, People, Mars, Grandma’s Song, In Your Own Sweet Way, To You, Rush Hour,
Venus
Takaaki Otomo (p), Noriko Ueda (b),
Jared Schonig (dm)
Enregistré le 23 août et le 1er décembre
2016, Teanek (New Jersey)
Durée: 1h 04' 15''
Albany Records/US Troy 1689 (www.albanyrecords.com)
Cet album d’un jeune pianiste japonais de formation
classique tente de combiner les deux champs d’exploration fertile que sont le
jazz et la musique contemporaine. Avec pas moins de cinq compositions
originales, on peut dire que nous n’avons pas affaire ici à une entreprise
nostalgique, même si la grande tradition du trio piano-basse-batterie n’est
fondamentalement pas trop malmenée sur le plan esthétique. Cet héritage est notamment
évoqué au travers de quatre standards et d’un classique de Broadway. Le débat
portera plutôt sur les deux emprunts aux Planetsdu britannique Gustav Holst, dont la relecture jazz fait écho au déménagement
du pianiste de son pays natal vers New York au début des années 2010. Il est certainement
permis de penser que l’imprégnation du jazz dans la musique de George Gershwin,
Jerome Kern ou Irving Berlin s’est avérée plus naturelle qu’à l’extérieur des
Etats Unis. Quoi qu’il en soit, nul doute qu’on soit en droit de préférer
l’interprétation très intimiste et fondamentalement respectueuse du
«Django» de John Lewis, très Modern Jazz Quartet dans l’esprit, aux
versions somme toute très personnelles de «Mars» et
«Venus» de Gustav Holst. Au registre des relectures, «In Your
Own Sweet Way» de Dave Brubeck voit son tempo sensiblement modifié,
tandis que le «People», de Bob Merrill et Jule Styne, fait très bon
effet dans un feeling très live, dénué de toute dimension lyrique. Le meilleur
moment du disque est sans conteste l’instant de recueillement et
d’introspection constitué par le «To You» de Thad Jones, dont la
richesse harmonique développe paradoxalement toute sa magnificence, amputé de
la dimension orchestrale qui s’y attache originellement. On songe alors au legs
de Bill Evans, au genre de performance qui s’inscrit sur les brisées de trios comme
ceux de Keith Jarrett, Brad Mehldau ou Fred Hersch, dont l’ambivalence assumée
constitue une source d’inspiration renouvelée pour les jeunes générations de
musiciens. L’auditeur acquiert tout de même rapidement la conviction qu’il a affaire
à un authentique collectif de musiciens qui savent ce qu’ils font là et
pourquoi ils sont ensemble. Les soubassements à la fois solides et dénués de
tout excès de la contrebasse de Noriko Ueda proposent une piste de décollage propice
aux explorations labyrinthiques du batteur Jared Schonig, tandis que l’espace sonore
ainsi dégagé permet à Takaaki Otomo de rechercher la note juste, délaissant même
parfois complètement la partie gauche de son clavier. Dans ces moments de
communion, on comprend la passion du compositeur Bernard Hoffer qui a découvert
le pianiste dans un restaurant avant que de lui fournir matière à deux compositions
pour son album. Pour ceux qui en douteraient encore, la superbe version du
«Repetition» de Neal Hefti témoigne de la maîtrise technique du
combo, avec une mise en place irréprochable, même aux tempos les plus retors. Hasard
ou pas, c’est le seul moment du disque où l’accent est véritablement mis sur la
virtuosité pure, une aisance heureuse rappelant les concerts énergisants
d’Oscar Peterson.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Dr. Lonnie Smith
All in My Mind
JuJu, Devika, 50 Ways to Leave Your Lover*, On a Misty
Night, Alhambra, All in My Mind°, Up Jumped Spring
Dr. Lonnie Smith (clav, org, voc), Jonathan Kreisberg (g),
Johnathan Blake (dm), Joe Dyson (dm)*, Alicia Olatuja (voc)°
Enregistré à New York, date non précisée
Durée: 56' 32''
Blue Note 00602567218722 (Universal) Dr. Lonnie Smith fait partie de la grande tradition des
organistes de jazz dont les racines sont si teintées de blues qu’elle a
contribué, plus que la plupart des instruments, a rendre le blues indissociable
de la grande histoire du jazz, malgré la séparation artificielle tentée par
nombre de labels. Dr. Lonnie Smith, l’homme au turban, est non seulement un grand
organiste, mais un spectacle en live,
une dimension que ne va jamais rendre un disque, même enregistré en club comme
ici. Ses concerts avec l’autre légende, Lou Donaldson, font partie de ces
moments exceptionnels pour tout amateur de jazz, où l’expression corporelle de
l’organiste, qui danse littéralement sur son pédalier des basses, n’est pas
pour rien dans la magie et l’énergie de la musique. C’est le label Blue Note
qui a le mieux illustré cette histoire, que l’organiste soit leader ou
accompagnateur, au point d’en prendre la couleur sonore, mais la grande
histoire des organistes de jazz a investi l’ensemble des labels.
Ici, il s’agit d’un enregistrement au Jazz Standard de New
York, dans une formation avec guitariste comme le veut la formule, ici Jonathan
Kreisberg, et bien sûr sans bassiste, l’organiste remplissant le rôle. Tous les
thèmes sont arrangés par Dr. Lonnie Smith, et s’il y a deux originaux de
l’organiste, on trouve un thème de Wayne Shorter, un de Freddie Hubbard, un de
Tadd Dameron et même un de Paul Simon, qui prend bien sûr la couleur du jazz. Sans
être le meilleur de ce qu’on a entendu du Dr. Lonnie Smith, c’est un bon
concert en live plutôt dans un registre d’ambiance que groove, avec l’excellent
Johnathan Blake, l’orgue prenant parfois le son d’une trompette à la Miles pour
installer un cadre très cinématographique («Alhambra»), ou tissant des nappes
de cordes synthétiques pour l’intervention de la chanteuse, Alicia Olatuja, une
belle voix à laquelle répond Dr. Lonnie Smith lui-même sur le thème «All in My
Mind» qui donne son titre à l’album.
La petite gâterie en conclusion de ce disque est le très
beau thème de Freddie Hubbard «Up Jumped Spring», un valse qui met bien en
valeur l’ensemble de la formation, et donne la meilleure idée du swing que
dégage la manière de Dr. Lonnie Smith.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Florian Moșu Lungu
Sono-PortretTitres et musiciens détaillés
dans le livret
Enregistré entre 1964 et 2016,
Roumanie
Durée: 1h 18'
Soft Records 049-2
(www.softrecords.ro)
Hommage à l’incontournable
Florian Moșu Lungu (voir le compte-rendu du Bucharest Jazz Festival dans Jazz Hot n°678), homme omniprésent dans
l’histoire du jazz en Roumanie, présentateur de télévision, écrivain, homme de
radio, journaliste, producteur, ami des musiciens et ici même compositeur (sans
oublier pince-sans-rire ave ses blagues dites en français. L’album comprend
seize titres dont les dix premiers signés de sa plume et six qui lui sont dédiés
par les musiciens qui les interprètent. L’ensemble hétéroclite, ne manque pas
d’un certain charme désuet et peut intéresser les collectionneurs et
historiens: une sorte de mini-anthologie d’une certaine époque. Certaines de ces
compositions sont très bien orchestrées, avec big band, d’autres sonnent très variétés,
lorgnent vers le Brésil et une cite «Take Five». Plusieurs des titres en hommage
portent son surnom Moșu (Père
Noël) et sont sans aucun doute écrits avec un profond respect et une amitié
certaine; on pourrait citer notamment son grand ami le pianiste-bassiste Johnny
Rāducanu dont il a accompagné toute la carrière. Ces morceaux sont musicalement
plus intéressants et nous permettent la découverte d’excellent solistes, le
saxophoniste Dan Mîndrillā et le pianiste Mircean Tiberian sur «Pantofil de Lac
ai Lui Moșu », Johnny
Rāducanu en solo sur «Moșu
Blues», la belle voix de Teodora Enache, très classique, sur «Epu Blues» avec
un solo de contrebasse à l’archet de Pedro Negrescu. Sur «Blue Bloody Moșu Blues», les frères Cosma, Romeo au
piano et Robert au trombone, assurent une sobre prestation très cool jazz,
digne des meilleurs clubs new-yorkais. A citer l’excellent duo, en live, des pianistes
Ion Baciu Jr. et Daniela Nicolae, enregistré en direct de la Radiodifuziunea
Românā (2015), «Moșu (Guben)», et
un final gravé lors du Festival International de Jazz de Sibiu (1991), «Uite Moșu, nu e Moșu», où le quartet du saxophoniste Garbis Dedian assure une belle
prestation. Garbis Dédian, à l’alto, dialogue avec Mircean Tiberian, les deux
swinguant en diable (à signaler l’excellence d’un guitariste dont on ne cite
pas le nom).
Un album témoignage qui fait découvrir
différents enregistrements gravés, a priori, entre 1964 et 2016.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Stéphane Mercier
Trip
Route 166, Antichoke Facial, Noah’s Ark, Samsara, Noé,
Je me suis fait tout petit, For Emilie, Eternally Yours, Trois, Remember
Stéphane Mercier (as), Peter Hertmans (g), Nicola
Andrioli (p, kb), Cédric Raymond (b), Matthias De Waele (dm)
Enregistré du 8 au 10 septembre 2017, Bruxelles (Belgique)
Durée: 52' 50''
Igloo Records 292 (Socadisc)
Après trois ans d’études à
Boston, deux années en résidence à Paris et 270 représentations itinérantes
avec la «Boîte de Jazz», Stéphane Mercier est venu fixer sa nouvelle vie à
Bruxelles, avec sa famille recomposée en amour et en jazz. Fort de son parcours et de ses échanges, il
se présente aujourd’hui à la tête d’un quintet intergénérationnel allant du
jeune Nicola Andrioli au guitariste chevronné «Pater» Hertmans. Compositeur et
soliste, il est aussi le nouveau directeur du Jazz Station Big Band. La musique
de ce quintet est d’un classicisme sage mais ouvert, sans excès ni distorsions.
La plupart des morceaux sont joués détendus, qu’ils soient de la plume de
l’altiste, du guitariste ou de… Brassens. Les mélodies sont simplement belles
(«Noé», la ballade «Samsara», la valse «For Emilie»); les rythmes chaloupés
évoquent les belles années d’Horace Silver ou d’Herbie Hancock («Route 166»). «Eternally Yours» de Peter
Hertmans est à rapprocher de Brubeck pour le tempo et la sonorité d’un altiste
qui ne cache pas son admiration pour Paul Desmond. On retiendra les solos de
Nicola Andrioli sur «Noé», «For Emilie» et «Eternally Yours», l’arrangement
déhanché et réussi de Stéphane Mercier sur «Je me suis fait tout petit»
(collage en re-recording en sus). Stéphane Mercier et Peter Hertmans affichent
une belle unité à l’attelage de l’ensemble; bassiste et batteur se
placent respectueusement à leur service (solos de basse sur «Atichoke Facial»
et «Remember»). Un disque excellent.
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Phil Abraham
For 4 Brothers +1
Never Regret the Things That Made You Smile*,
Dab-Die-Dabedodab-Die**, Mister Jones°, Lush Life°°, For Four Brothers*,
Dancing on a Cloud 4, Igor 3, Oui Mais Bon !**
Phil Abraham (tb), Luc Vanden Bosch (perc), Bas Bulteel (p)*,
Johan Clement** (p), Ivan Paduart (p)°, Christoph Mudrich (p)°°
Enregistré les 1er-2 juin 2017, Beersel (Belgique)
Durée: 47' 06''
Hypnote Records 005 (www.hypnoterecords.com)
Elégant projet que cette rencontre entre un bel
instrumentiste en pleine maturité artistique, le tromboniste belge Phil Abraham
(1962) et quatre pianistes faisant partie de ses proches, d’où le titre (en
référence, on peut le supposer, aux Four Brothers de la section de sax de Woody
Herman, comprenant Stan Getz, Serge Chaloff, Zoot Sims, Al Cohn), pour des
échanges en toute liberté sur des compositions originales des participants à
l’exception de «Lush Life» de Billy Strayhorn, de «Mister Jones » d’Olivier
Collette, un autre pianiste belge (1973), et même si «Dab-Die-Dabedodab-Die»
est fortement inspiré par Monk.
Le projet ressemble bien entendu à son auteur, Phil Abraham,
en ce sens qu’il allie la légèreté, la richesse expressive, un sens de la
mélodie et du lyrisme qui sont les marques de ses enregistrements. Sa manière
de vocaliser ses chorus de trombone, est en rapport avec le fait qu’il chante,
très bien (mais pas sur ce disque), et se permet même parfois de faire sonner
son jeu comme de vraies paroles avec une richesse d’effets et une poésie qui
lui valent le surnom, pas usurpé, de «Chet Baker du trombone». Chet Baker fait
partie du Panthéon belge du jazz, d’où le compliment. Avec ses four brothers, tous
beaux pianistes, dans l’esprit de cet enregistrement, à la belle musicalité, Christoph
Mudrich (1960, Sarrebruck), Ivan Paduart (1966, Bruxelles), Johan Clement
(1955, Anvers), Bas Bulteel (1971, la Haye) qui apportent le complément
harmonique et le contrepoint lyrique, on comprend que ce disque soit une belle
réussite, intimiste comme des rencontres à deux, du très beau jazz sans l’ombre
d’une hésitation, car Phil Abraham possède ce swing chantant qui fait la beauté
de la tradition en Belgique. Chez Phil Abraham, la virtuosité, réelle, reste
invisible, car il est tout entier au service de la musique de jazz, comme le
troisième mousquetaire de ces duos, l’excellent et discret Luc Vanden Bosch qui
est le «+1» du titre, qui accompagne de ses baguettes, ses balais, ses mains et
ses doigts parfois, ce bel enregistrement, très court, toujours trop court
comme le sont les beaux disques.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Paolo Profeti European Collective
Waiting for BucharestSguardo Sospe, The Red Kiss
and the Bitter Fruit, Waiting for Bucharest, Danza nel Mondo, Sisli Camii, To
Inc, Lost Eyes in Wonderland, Milano-Bucaresti Doar Dus, Peaceful*, Sguardo
Sospe
Paolo Profeti (as), Florian Radu
(tb), Sorin Romanescu (g), Davide Incorvia (p),
Cristiano Da Ros (b), Alessandro Rossi (dm) + Cristian Soleanu (ts), Bucharest Jazz Orchestra*
Enregistré les 23, 24 et 25
mars 2015, Bucarest (Roumanie)
Durée: 51'
Fiver House Records 008
(www.fiverhouse.com)
Comme son nom ne l’indique pas,
l’European Collective est un groupe italo-roumain autour du saxophoniste
italien Paolo Profeti. Ce musicien diplômé du conservatoire de Milan a fait ses
classes auprès de Rosario Giuliani et Billy Harper… Il a joué dans de nombreux
orchestres italiens (Civica Jazz Band, Time Percussion, Alberto Tacchini,
Archipel Orchestra) avant de diriger son propre groupe. Pour ce projet, il est
rejoint par le tromboniste Florian Radu (soliste de l’Orchestre de la Radio
Nationale Roumaine) musicien très recherché sur la scène roumaine et par le
guitariste Sorin Romanescu lui aussi très présent à Bucarest. Les autres
musiciens réguliers viennent d’Italie, Davide Incorvio pianiste de Mauro
Ottolini, Enrico Rava ou encore Randy Brecker, le bassiste Cristiano Da Ros, et
le batteur Alessandro Rossi (Paolo Fresu, Paolo Damiani). Les échanges entre
les deux pays sont fréquents et les artistes italiens sont souvent invités dans
les festivals roumains. Le groupe nous interprète un
répertoire varié, largement inspiré de groupes du jazz moderne des années 1960 et 1970, et totalement écrit par
Paolo Profeti (excepté un de Cristiano da Ros), avec des arrangements soignés et
brillants. Une petite perle magnifiquement ciselée termine l’album marqué par l’amitié.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Hubert Fol
And His Be-Bop Minstrels2 CDs: 47 titres détaillés dans le livret
Musiciens détaillés dans le texte
ci-dessous et dans le livret
Enregistré à Paris de 1947 à 1956
Durée: 1h 01' + 1h 11''
Fresh Sound Records 955 (Socadisc)
Ce double CD, un événement discographique que nous devons au
label Fresh Sound de l’excellent Jordi Pujol, reprend les enregistrements
d’Hubert Fol (as) de 1947 à 1956, pour l’essentiel les éditions du label Swing
(CD1 et une partie du CD2), 2 titres radiodiffusés, plus un disque Philips, un
Barclay, un Pathé, parfois enregistré sous le nom de Raymond Fol où son frère
Hubert joue, ou ceux de l’orchestre de Moustache, avec Hubert et Raymond.
La rapidité avec laquelle les musiciens européens et
français en particulier ont adopté le bebop, à son arrivée sous forme de
disques d’abord, à la fin de la Seconde Guerre ne s’explique que par une
atmosphère particulière liée à la présence américaine, mais aussi par la soif
de curiosité sincère et enthousiaste que les musiciens ont encore en ce temps,
de la compréhension du jazz des racines made
in USA et de sa transformation rapide. Les premières plages de ce double
disque avec «Night in Tunisia» et un Alan Jeffreys gillespien dès 1947 atteste
cette curiosité savante qui s’effacera à partir des années 1960-1970 sous la
pression de la musique commerciale, rock, yéyé, pop ou autres et qui fera
partiellement et progressivement perdre ce background et cet attachement. La trace de cette curiosité et de cette ouverture s’en
trouve dans ce disque: le jazz est parfois dans l’esprit bebop mais aussi
néo-orléanais et entre les deux, dans l’esprit du jazz mainstream de cette
époque à base de standards, d’ensemble dans l’esprit des big bands, un jazz qui
avait toutes ces facettes en même temps, et auquel se frottaient les musiciens
curieux de jazz sans encore de chapelles stylistiques aussi tranchées et parfois de façon caricaturale que par la suite.
Bien
entendu, Hubert Fol (né en 1925) y témoigne de sa compréhension
des particularités apportées par le bebop, mais sa connaissance des
racines, de la matière commune à l’ensemble
du jazz, le blues comme le swing, facilite le passage de l’un à l’autre
sans
que le fond du langage en subisse une discordance, comme pour Charlie
Parker, contrairement à ce qu’en dit la critique hodeirienne. Hubert Fol
évoque tout aussi
aisément le nouveau monde de Charlie Parker et Dizzy Gillespie, par sa
thématique et son
expression («Half Nelson», «I’ll Remember April», «Yardbird Suite»), que
«l’ancien», celui
de Coleman Hawkins, Rex Stewart et Lester
Young, sur certains autres thèmes («These Foolish Things», «They Can’t
Take That Away From Me»), avec un magnifique lyrisme («You Go to My
Head»), sans
aucun hiatus. On peut imaginer que le jazz d’Hubert Fol (et de Raymond)
englobait Louis, Duke,
Billie Holiday, Lester Young, Coleman Hawkins, Art Tatum, Charlie
Parker, Dizzy, sans que ça lui pose
problème. Le patron de Swing, Charles Delaunay, était d’ailleurs sur la
même
longueur d’onde, malgré son isolement entre les panassiéistes, bloqués
sur la vison ethnomusicale de leur chef de file, les hodeiriens bloqués
sur la vision systémique, progressiste et académique de l’autre gourou
(à l’origine de la musique créative improvisée), sans oublier le
troisième courant, marchand, plus soucieux de consommation, donc de mode
(Ténot-Filipacchi-Barclay). En ce sens, cet enregistrement nous
restitue le son d’une époque où une partie des musiciens portent encore
l’histoire du jazz dans son ensemble, avec cohérence, un continuum
historique en évolution rapide, avec le respect de la source américaine,
indispensable à la compréhension du jazz.
Quoi qu’il en soit, la réunion de ces enregistrements sur
deux disques est une belle initiative, un bel hommage à ce beau saxophoniste,
très lyrique, qui arrêta sa carrière prématurément au début des années 1960 (il décède en 1995).
C’est également l’occasion de retrouver, selon les plages, outre Hubert (as) et
Raymond Fol (p), beaucoup des musiciens qui ont enrichi l’histoire du jazz en
France dans l’après-guerre: les trompettistes Alan Jeffreys, Dick Collins, Aimé
Barelli, Christian Bellest, Guy Longnon; les trombonistes Jack Carmen, Nat
Peck, Benny Vasseur, Bernard Zacharias; les saxophonistes Dave Van Kriedt,
Jean-Claude Fohrenbach, Michel de Villers, Jay Cameron; le clarinettiste Hubert
Rostaing; les pianistes André Persiany, Bernard Peiffer, Léo Chauliac, René
Urtreger; les bassistes Emmanuel Soudieux, Georges Hadjo, Alf Totole Masselier,
Jean Bouchety, Pierre Michelot, Roger Dagnères, Benoît Quersin, Jean-Marie
Ingrand, Roland Bianchini; les batteurs Benny Bennett, Kenny Clarke, Richie
Frost, Roger Paraboschi, Pierre Lemarchand, Baptiste Mac Kac Reilles,
Jean-Louis Viale, Moustache et Geo Daly (vib), Jo Bartel (voc) et Sacha Distel
(g) qui était encore dans le jazz avant de choisir la voix commerciale. Ce disque rappellera de bons souvenirs à tous les
connaisseurs de cette excitante époque du jazz en France et dans le monde, où
si tout n’est pas parfait, on perçoit une énergie et une envie de jazz qui font
plaisir à entendre. Une belle réédition, d’autant que Jordi Pujol a fait un
beau travail de recherche dont rend compte un excellent livret, précis et plein
de détails qui nous ont permis de retrouver les traces d’une des activités de Jazz Hot à l’époque, sous la férule de
Charles Delaunay, les concerts hebdomadaires de la Jazz Parade qui se
déroulaient au Théâtre Edouard VII, parfois radiodiffusés en direct ou
différé,
de 1948 à 1949. Ces concerts réunissaient une belle assistance autour de
cette
musique de jazz, autre témoignage qu’on vivait alors dans une autre
dynamique.
Il y a dans ces deux disques de très belles versions de célèbres thèmes
du jazz
comme «Lover Man» de 1948, «Robbin’s Nest» de 1949, «Everything Happens
to Me»,
«These Foolish Things» de 1950, «Half Nelson» de 1954, etc. Ce qui est
perceptible,
c’est l’implication des musiciens dans leur musique, leur vitalité
spontanée loin de tout esprit scolaire ou académique, loin de toute
prétention, et ça change tout en
matière d’intensité et d’authenticité pour le jazz.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Charles Mingus
Jazz in Detroit / Strata Concert Gallery / 46 SeldePithecanthropus Erectus-Pt1 & Pt2, The Man Who Never
Sleeps, Peggy’s Blue Skylight, Celia-Pt1 & Pt2, C Jam Blues-Pt1 & Pt2,
Orange Was the Color of Her Dress Then Blue Silk, Dizzy Profile
Charles Mingus (b), Joe Gardner (tp), John
Stubblefield (ts), Don Pullen (p), Roy Brooks (dm)
Enregistré les 13-18 février 1973, Detroit (Michigan)
Durée: 2h 24' 35''
BBE 453/Strata Records/180 Proof Records/WDET-FM/Differ-Ant
(www.bbemusic.com)
Préambule: cet enregistrement, annoncé en 5 LPs et 5 CDs, nous
est parvenu avec plus de 2 heures de musique, dans la version que nous avons
reçue sur clé USB. Support insuffisant pour faire un commentaire exhaustif
–type de support à ne pas renouveler,
merci– et notamment pour savoir si l’intégralité de la musique des disques/CDs
y figurent (la durée ne semble pas justifier de 5 CDS, il doit en manquer un
bout) ou si le livret contient des informations intéressantes, des images
inédites, etc. Cela dit l’importance artistique et sociologique de cet
enregistrement inédit, la beauté de cette musique (les compositions de Mingus),
comme l’excellence, la puissance de la conviction de ce concert et des
musiciens qui s’y produisent, en rapport avec une assistance et une période surchauffées,
font de cet enregistrement un événement majeur discographique et rendent
indispensable ce coffret; donc le fait de vous en parler même partiellement.
Enregistré en live à la Strata Concert Gallery, 46, Selden Street, Detroit, MI, en février 1973,
voici un splendide concert du quintet du légendaire Charles Mingus ressurgir
grâce à Hermine Brooks, la veuve du batteur de ce concert, le grand Roy Brooks
qui participa à tant de grands disques de jazz et au fameux M’Boom, cette
formation de percussionnistes sous l’égide de Max Roach, qui est évoquée par
Warren Smith –qui en fut un autre élément– dans le Jazz Hot de ce mois (685). Roy Brooks, comme Max Roach et
Charles Mingus, a été lui-même très concerné par la dimension sociale et politique
du jazz, comme l’atteste le titre de son album Free Slave (Muse) et par la ville de Detroit (Duet in Detroit, avec Geri Allen, Randy Weston, Don Pullen, Woody
Shaw). Comme souvent avec les grands batteurs, comme Louis Hayes en couverture
du numéro en cours de Jazz Hot (685),
Roy Brooks a une petite discographie en leader, mais une discographie
impressionnante en sideman: Max Roach/M’Boom, Horace Silver, Charles Mingus,
Dexter Gordon, Junior Cook, Yusef Lateef, Pharoah Sanders, Wes Montgomery, Dollar
Brand-Abdullah Ibrahim, Buddy Tate, Sonny Stitt, Shirley Scott, Blue Mitchell,
et la liste est encore longue…
Présenté par l’Allied Artists Association of America, Inc., et
le soutien du Michigan Council for the Arts, c’est également au DJ et collectionneur
Amir Abdullah, fondateur du label Wax Poetics Records, qu’on doit la sortie de
cette perle rare, jusque-là ignorée des amateurs de jazz. Amir s’est donné
entre autres missions, la réédition, à travers son label 180 Proof Records, des
enregistrements du label Strata de Detroit, depuis sa découverte d’un des
enregistrements, le premier volume, de The Lyman Woodard Organization, Saturday Night Special, dont la
couverture n’est pas équivoque, sur l’engagement politique du label en son
temps.
Charles Mingus fut invité pour une semaine de résidence dans
la maison de Kenny Cox. Pianiste et fondateur du label Strata Records, il
enregistra deux disques pour Blue Note en 1966-69, accompagna Etta Jones et
plus près de nous James Carter, Regina Carter, et beaucoup d’autres musiciens
de jazz entre temps. Kenny Cox est décédé en 2008. Barbara Cox qui anima avec
lui la Galerie, dans le cadre d’un collectif d’artistes de Detroit, à vocation
sociale et pédagogique également, lui survit.
Il ne faut pas confondre Strata Records avec Strata-East Records, le label
new-yorkais de Stanley Cowell et Charles Tolliver, fondé en 1971, un autre
collectif d’artistes, même si tous ces collectifs, à la recherche d’une
indépendance pour leurs créations, participent d’une même recherche affichée d’émancipation
politique au sens large. La semaine Mingus se termina en apothéose avec ce splendide
concert d’une musique d’une intensité qu’on a du mal à imaginer de nos jours, sans
doute l’époque et le substrat politique qui fondaient ces collectifs et qui
expliquent cette puissance de l’expression. Pour resituer le contexte,
rappelons que Kenny Cox dirigeait dans les années 1980 un groupe, le Guerilla
Jam Band, basé à Detroit. Citons également DJ Amir sur les raisons de son
intérêt pour Strata: «Strata est
sorti des insurrections que la plupart
des habitants de Detroit appellent les émeutes de 1967 et 1968. Cela a conduit
à une révolution dans l'art, la culture et la politique. Je pense vraiment que
c’est mon héritage et mon devoir de raconter l’histoire de Strata!»
Charles Mingus n’est plus à présenter et Jazz Hot vous sera utile: il y a de nombreux
articles, dont les Jazz Hot n°557-558-559 (1999), pour une discographie détaillée qui resitue cet
enregistrement huit mois avant le bon Mingus
Moves, avec George Adams, Don Pullen et Dannie Richmond.
Ici, on retrouve Joseph Gardner (tp) qui accompagna Charles
Mingus tout au long de l’année 1972, John Stubblefield (1945-2005) au ténor qui
fait une apparition au sein de l’orchestre pendant quelques mois après le
regretté Hamiet Bluiett (bar) qui vient de disparaître en octobre 2018, et
avant George Adams (ts). La séparation entre Stubblefield et Mingus fut
houleuse et rapide, mais on sait que le saxophoniste fut l’un des piliers du Mingus
Big Band qui survit à la disparition du bassiste sous l’impulsion de Sue Mingus.
Roy Brooks (Detroit, 1938-2005) est depuis 1972 le batteur régulier de Charles
Mingus et remplace brillamment le fidèle Dannie Richmond qui retrouvera Mingus
après cet enregistrement. Roy Brooks, auteur sur cet
enregistrement de magnifiques chorus et interventions, est pour ce concert at home particulièrement en verve. Enfin
apparaît ici, pour la première fois dans un enregistrement avec Mingus, le très
original pianiste, Don Pullen, dont la couleur musicale, comme celle de George
Adams, fut pour beaucoup dans le son de l’orchestre de Charles Mingus pendant trois
années, entre blues et cascades de notes et de clusters. Il perpétua également
la mémoire de Charles Mingus après son décès dans le groupe Mingus Dynasty avec
George Adams, Dannie Richmond et Cameron Brown.
Dans cet enregistrement, on trouve les compositions du grand
contrebassiste, une composition de Duke Ellington («C Jam Blues»), comme souvent
chez Mingus, et un «Dizzy Profile» pour rappeler que ce révolutionnaire de
Mingus savait d’où il venait. Un splendide enregistrement qui restitue ces atmosphères
tendues comme l’étaient la société des Etats-Unis à la sortie de la guerre du
Vietnam et d’une longue lutte pour les droits civiques tragiquement conclue en
1968 par l’assassinat de Martin Luther King, également évoqué par DJ Amir comme
origine de la création de ce label Strata: «La
première émeute de 1967 a été provoquée par le harcèlement constant et le
meurtre de Noirs par la police de Detroit. Cela a entraîné une répression
sévère de la part de la Garde nationale au cours de laquelle plusieurs
personnes ont été tuées. Puis en 1968, le Dr Martin Luther King a été assassiné
et, comme beaucoup de communautés noires du centre-ville, Detroit a éclaté.
L’assassinat du Dr King a également donné naissance à la création des Black
Panthers ainsi qu’à d’autres mouvements politiques et sociaux tels que Strata.»
Un bon disque et une mise en situation de cet enregistrement pour comprendre
que le jazz n’est pas qu’un ensemble de notes et de sons plus ou moins bien
arrangés et exécutés.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Michel Mainil-Vincent Romain Quintet
Soul Voyage
Summer Is Coming Soon, First
Light, Lime and Chili, From Self to Self, Povo, Sunshine Alley, Loran’s Dance,
No Blues no More, Sweet Jail
Michel Mainil (ts, ss), Olivier
Poumay (hca), Vincent Romain (g), Maxime Moyaerts (org), Antoine Cirri (dm)
Enregistré 17-20 juillet 2017,
lieu non précisé
Durée: 58' 37''
Igloo Records 298 (Socadisc)
Salto-arrière dans le temps du jazz avec cet album qui
nous ramène aux années groovies (fin
sixties) que les plus jeunes d’entre-nous ne peuvent plus connaître; ces années
Comblain ou Juan-les-Pins qui virent cohabiter les Bill Evans et John Coltrane
avec les Jimmy Smith et Jimmy McGriff; les Stanley Turrentine, Adderley
Brothers et Messengers. C’est ce climat que Michel, Antoine et Maxime ont
pratiqué et qu’ils retrouvent. Les associations instrumentales sont traditionnelles,
comme celle de la guitare et de l’orgue («Sutch Alley»), ou rares comme celle
de l’harmonica et du saxophone («Loran’s Dance»). Par une sonorité de ténor claire,
pincée à l’aigu («Summer Is Coming Soon»), Michel Mainil se rapproche plus des
boppers mais sans dénoter dans le mood-retrode l’ensemble. Au soprano, il assure une jolie incursion dans un domaine plus
proche de Wayne Shorter que de Sidney Bechet («First Light»). Vincent Romain, sobre
naturellement («Lime and Chili»), est sans doute plus imprégné de rhythm and blues
que ses compagnons («Povo»); Antoine Cirri privilégie le drive bien en place («No Blues No More» en mode groovy-shuffle). On redécouvre les beaux
étouffés-vibrés d’un Olivier Poumay qui
s’impose à nos oreilles comme un digne successeur de Toots Thielemans («Summer
Is Coming Soon», la valse «From Self to Self», «Povo»,). Oyez aussi, braves
gens: le gospel «Sweet Jail» qui clôture l’album! Mais c’est avec
Maxime Moyaerts que je terminerai cette chronique parce qu’il est pour moi «le
plus» de l’album, en accompagnement, en solo («From Self to Self», «Sunshine
Alley») et surtout grâce à la justesse et l’aisance de ses pieds sur le
pédalier («Povo»). «Lime and Chili» est, pour moi, le morceau le plus accompli
car tous les solos sont inventifs. J’aime tout l’album!
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Cécile McLorin Salvant
The Window
Visions, One Step Ahead, By Myself, The Sweetest Sounds,
Ever Since The One I Love’s Been Gone, A Clef, Obsession, Wild Is Love, J’ai l’cafard,
Somewhere, The Gentleman Is a Dope, Trouble Is a Man, Were Thine That Special
Face, I’ve Got Your Number, Tell Me Why, Everything I’ve Got Belongs to You,
The Peacocks*
Cécile McLorin Salvant (voc), Sullivan Fortner (p), Melissa
Aldana (ts)*
Enregistré les 10-11 mai 2017 et 26 septembre-1eroctobre 2017, New York
Durée: 1h 10' 14''
Mack Avenue 1132 (www.mackavenue.com)
Pour un duo, car c’en est un, enregistré en studio et en live par deux artistes en pleine possession de leur art, Cécile
McLorin Salvant et Sullivan Fortner, on s’attend simplement à écouter et
à laisser courir la plume. Mais cet opus, s’il flatte d’emblée
l’oreille pour justifier un indispensable, titille aussi notre curiosité
autant que notre réflexion sur une partie du projet.
Cécile McLorin
Salvant est la porteuse du projet artistique de ce disque dans lequel
Sullivan Fortner se glisse avec naturel et, selon les moments, la
maestria d’un concertiste, le génie d’un maître du piano jazz ou
l’imagination et l’a-propos d’un grand accompagnateur de music-hall
comme Paul Castanier qui accompagna Léo Ferré… Ce qu’apporte Sullivan
Fortner est exceptionnel, rappelant la maîtrise pianistique des plus
grands de ses aînés par sa faculté à synthétiser l’histoire du piano
jazz en particulier, des origines à nos jours, à l’instar de Jaki Byard
ou de Roland Hanna. Il ajoute des couleurs par l’utilisation d’une
multiplicité de climats, en liaison avec le projet de la chanteuse, de
l’orgue sur certains thèmes, allant jusqu’à l’orgue de barbarie («J’ai
l’cafard») pour la chanson réaliste.
Car la chanteuse à partir de
son amour du jazz, de la musique classique, de la chanson réaliste ou
populaire, fait parfois sur ce disque du jazz mais aussi, avec des
moyens hors normes (son cas et celui de Sullivan Fortner), ce que font
beaucoup d’autres en beaucoup moins bien: de la variété, avec ou sans
l’accent du jazz parfois pour Cécile. C’est respectable, surtout à ce
niveau d’excellence et avec ce traitement original, même si ça ne doit
pas devenir une recette car l’histoire du jazz porte en elle des
richesses, collectives et individuelles, que n’ont pas les autres
musiques, plus en rapport avec les moyens et le langage naturel de ces
deux musiciens; Sullivan Fortner pour le piano en donne un bel exemple,
car son expression conserve son accent naturel jazz en toutes
circonstances, même quand la couleur change. Mais il est difficile, même
pour Cécile McLorin Salvant, l’éclectisme et le haut niveau de ses
moyens, d’être authentique dans tous les registres en voulant changer la
nature de sa voix; la voix est particulière, le plus humain des
instruments. C’est dans le jazz qui l’a imprégnée au-delà de toute
analyse rationnelle –la transmission culturelle relève d’une alchimie
complexe– que se révèlent son naturel et son excellence, selon moi.
Certaines
qualités n’existent que dans le jazz, à un niveau supérieur, comme la
profondeur du naturel et la conviction de l’expression associées à la
sophistication. C’est le «hasard et la nécessité» de l’histoire qui veut
ça. La recherche d’une perfection ou d’une originalité forcée est donc
sans objet, voire un égarement, pour des artistes de la trempe de Cécile
et Sullivan qui sont déjà si parfaits, si originaux à l’état naturel:
«À Clef», «J’ai l’cafard», avec une expression sans relief ou avec une
expression forcée de la voix voulue (parce qu’en français, parce que
populaire…) ou «Were Thine That Special Face», «Tell Me Why», (vibrato
forcé-classique de voix contestable), manquent du naturel et de
l’épaisseur culturelle si particulière au jazz, et si présente dans la
voix de Cécile par ailleurs dans ce disque ou dans d’autres, parfois
moins parfaits, mais qui génèrent une émotion durable… Même si ces
thèmes sont interprétés ici avec une exigence formelle et un résultat de
haut niveau…
Ce qui est dit n’est que mon avis sur une partie de ce
projet, et ne doit pas cacher le travail et le talent mis dans cet
enregistrement de belle facture, pleinement réussi sur le plan de ce que
cherchait Cécile McLorin Salvant. La chanteuse aussi bien que Sullivan
Fortner y sont exceptionnels, et d’abord de complicité, et «quand le jazz
est là»… comme dit la chanson, on touche à l’indispensable.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Erroll Garner
NightconcertWhere or When, Easy to Love, On Green Dolphin Street, Theme
from «A New Kind of Love» (All Yours), Night and Day, Cheek to Cheek, My Funny
Valentine, Gypsy in My Soul, That Amsterdam Swing, Over the Rainbow, What is
This Thing Called Love, Laura, When Your Lover Has Gone, No More Shadows, 'S
Wonderful, Thanks for the Memory
Erroll Garner (p), Eddie Calhoun (b), Kelly Martin (dm)
Enregistré le 7 novembre 1964, Amsterdam (Pays-Bas)
Durée: 1h 18' 38''
Octave Music/Mack Avenue 1142 (www.mackavenue.com)
Cet enregistrement est le troisième d’Octave Music, dans le
cadre d’une exploitation des archives personnelles d’Erroll Garner, léguées à
l’Institute of Jazz Studies de Pittsburgh, la ville de naissance du grand
pianiste. Il est dédié à la regrettée Geri Allen, décédée en 2017, qui
dirigeait cet institut, et qui fut avec Steve Rosenthal, Peter Lockhart et
Susan Rosenberg, à l’origine de cet Erroll
Garner Jazz Project. Le Complete
Concert by the Sea en 2015 fut nommé aux Grammy Awards et en 2016, la
même équipe a produit Ready Take One to Life.
Sur ce troisième enregistrement, tout n’est pas inédit, car
une partie des titres fut éditée, avec un moins bon son d’après le livret et
sans les introductions parfois, dans une édition européenne, non distribuée
apparemment aux Etats-Unis, produite par Philips aux Pays-Bas et en Autriche,
sous le titre Erroll Garner: Amsterdam
Concert (Fontana 856 106). Il y a ici seize titres; dans l’édition
européenne, il n’y avait que huit titres, mais le pointage des titres ne fait
ressortir que 7 titres de l’édition européenne, en admettant que «More» de
l’édition européenne soit le même titre que «No More Shadows» de la présente
édition. Il semble donc manquer «Moon River» de l’édition européenne, sauf si
ce titre n’appartient pas à ce concert, ce que nous ne pouvons dire car nous
n’avons pas le LP original paru en Europe. Il y a aussi peut-être une question
de place, car le CD est à sa contenance maximale de 120 minutes et ne pouvait
accepter un titre de plus.
Quoi qu’il en soit, il reste dix inédits ce qui fait de cet
enregistrement un événement discographique majeur, une splendide nouveauté car
des inédits du grand Erroll Garner au sommet de son art, c’est simplement
magnifique. Erroll Garner, ce pianiste du temps suspendu sur le décalage
rythmique de ses mains, le pianiste de jazz le plus rhapsodiant, est un
monument du piano jazz. Sa virtuosité rythmique fait bien sûr sa signature,
mais au-delà, il avait l’habitude d’aborder tout le song book, jamais deux fois de la même façon, avec des inventions
qui relèvent d’une imagination sans limite.
Ce concert avec l’un de ses beaux trios, ici restauré à la
perfection par une équipe d’une exceptionnelle conscience musicale, nous offre
ainsi de splendides versions, dans l’intégralité des bandes que conservait chez
lui le grand et méticuleux Erroll Garner. Merci doublement à lui. A propos de
ses introductions, si particulières, c’est un grand plaisir de les voir ainsi
restituées, car Erroll Garner construisait avec un soin particulier ses œuvres,
et elles sont particulièrement curieuses: il n’avait nullement besoin d’un
piano préparé pour lui faire rendre des sons très étranges, au point que le
conseiller artistique de ce disque et coproducteur, l’excellent Christian
Sands, le compare à Cecil Taylor, et on peut comprendre son analogie sans
exagération («That Amsterdam Swing», «Over the Rainbow»…), car ces introductions
témoignent de cette qualité d’invention («Cheek to Cheek», «My Funny Valentine»,
«Gypsy in My Soul», etc.); et quand Erroll lâche les chevaux, ses deux
magnifiques mains délivrent un swing qui pourrait définir, sans mot et pour
l’éternité, ce que le swing signifie et pourquoi tant de peuples furent
sensibles à cette respiration, cette danse qui remue si profondément et si
universellement. Du grand art! Félicitations pour cette édition particulièrement
bien produite et réalisée de ce volume de l’Erroll Garner Jazz Project, elle est digne du
grand artiste.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Janczarski & McCraven Quintet
LiberatorThe Torn Veil, The Spark (For Jasia),
Sweet Love of Mine, Daddy’s Bounce, Hambone Intertwinning Spirits, I Want to
Talk About You, Love Is
Borys Janczarski (ts), Stephen McCraven
(dm), Rasul Siddik (tp, fl, perc, voc), Joanna Gajda (p), Adam Kowalewski (b)
Enregistré le 15 novembre 2016, Varsovie
Durée: 1h10' 17''
Fortune Production 0132 085 (www.for-tune.pl)
Cet album peut apparaître comme le pendant live de Traveling East West sur lequel les deux
leaders proposaient une musique confrontant des aspects propres au jazz
américain à la tradition musicale toute de rigueur des pays d’Europe centrale. Toujours
conduit par le saxophone ténor de Janczarski et le drumming prolixe du batteur
d’Archie Shepp, cet enregistrement en public confère aux motifs rythmiques incantatoires des compositions
originales une chaleur bienvenue, s’agissant d’une démarche expérimentale visant
avant tout à abolir les frontières entre jazz traditionnel et mouvances
musicales plus composites. Ainsi, «Daddy’s Bounce» et «Love
Is» de Joanna Gajda prennent-ils ici un relief saisissant, en recouvrant leur
vigueur initiale, avec des arrangements qui vont tout droit à l’essentiel. C’est aussi le cas de «Intertwinning
Spirits» de Stephen McCraven, couplé à l’inédit «Hambone»;
mais ce ne sont pas les seules bonnes surprises du disque puisqu’on retrouve en
position stratégique le «I Want to Talk With You» de Billy Eckstine
(chanté superbement par Rasul Siddick, en totale maîtrise de ses talents polyinstrumentaux)
et le «Sweet Love of Mine» de
Woody Shaw, qui constituent réellement des moments forts de ce set, sans doute aussi
dans la mesure où ils permettent au piano de Joanna Gajda de développer toute
sa verve classique, au sens le plus jazz du terme (elle semble d’ailleurs avoir
beaucoup écouté Count Basie). Le caractère plus free jazz des orchestrations
des deux leaders s’en trouve comme galvanisé, ce qui confère une vie propre aux
titres interprétés en faisant ressortir le blues à l’origine de leur
inspiration. Les cuivres ronflent (superbe chorus de Borys Janczarski sur
«The Torn Veil»), le tempo est à la fois rigoureux et ondoyant, tandis
que le jazz développe un esprit empreint d’universalité serti des pierres
précieuses que sont sincérité et authenticité des musiciens, un sens du
collectif mettant bien en valeur les performances individuelles des membres du
quintet.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Teodora Enache
A Child Is BornBlame It on My Youth, Better Than Anything, Stormy
Monday, Bye Bye Blackbird, A Child is Born, Over the Rainbow, Misty, Sometimes,
I’m Happy, Walk With Me, Everytime We Say Goodbye
Teodora Anache (voc), Itsván Gyárfas (g), Balázs Berkes
(b)
Enregistré les 7,8, 9 septembre 2010, Cluj Napoca
(Roumanie)
Durée: 49’
e-Media Records (https://teodoraenache.com)
Pour son dixième album en 2010, Teodora Enache avait opté
pour une sobriété voire une pureté extrême avec un retour à des standards
chantés en anglais. L’accompagnement guitare et contrebasse sans aucun artifice
habille d’une grande légèreté la voix cristalline de Teodora et lui permet de
belles envolés et des scats mesurés. Sans rythmique habituelle, le groupe se
comporte comme un véritable trio, laissant aux deux musiciens une large plage
d’expression. Itsván Gyárfas en digne héritier des guitaristes hongrois (Gábor
Szabo, Attila Zoler) nous révèle un fin guitariste aussi à l’aise dans
l’accompagnement que dans ses improvisations. Balázs Berkes, lui aussi natif de
Hongrie, apporte son assurance et un son d’une contrebasse fabriquée dans la
grande tradition de la lutherie très recherchée de son pays. Trois partenaires
pour un répertoire connu, mais dont on apprécie l’interprétation, en
particulier de très belles versions de «A Child Is Born», «Over the Rainbow», «Misty»,
«Everytime We Say Goodbye».
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Teodora Enache
Transfiguration
About Death, Doina. Part One, Doina. Part Two, Gypsy
Memories, Cântec de Sânziene, Saphardic Poem, Miriam Ha’Nevia
Teodora Enache (voc), Allen Won (as, fl), Ren
Martin-Doike (vln, fl), Fred Scheuders (g), Manu Koch (kb), Benny Rietveld (b,
eb), Pepe Limenez (dm), Ramon Yslas (perc)
Enregistré en février 2015, Las Vegas (Nevada)
Durée: 44'
Mad Man Junk Yard (https://teodoraenache.com)
Teodora Enache, étonnante chanteuse (et directrice du
festival de Jazz de Bucharest) nous enthousiasme par son aptitude a varier les
genres et défier les styles. Dès ses débuts, très ancrés dans un jazz moderne,
puis très improvisé, elle n’hésite pas à dialoguer avec Burton Greene, Bela
Bartók ou Kenny Werner, et maintenant, en compagnie de Benny Rietveld, elle déboule
avec un album électrique, décapant de fond en comble la tradition roumaine
ouverte sur le monde oriental. Sa magnifique voix chantée en roumain et en
anglais, nous envoûte dans une incantation libératrice soutenue par de sérieux
protagonistes. L’album est produit Benny Rietveld, qui a notamment travaillé
avec The Crusaders, Richie Cole, Barney Kessell, Makoto Ozone, Huey Lewis ainsi
qu’avec Miles Davis, pour sa tournée mondiale en 1988, ou Michel Legrand à
Holywood.
Survolant les clichés stylistiques, l’album se présente
comme une suite endiablée où les combinaisons de la voix se marient avec les
différents solistes. A noter les interventions d’Allen Won au sax alto, de Ren Martin-Doike
au violon alto, du guitariste Fred Scheuders et bien sûr, du producteur,
bassiste et contrebassiste Benny Rietveld. La prise de son est soignée, le
mixage aussi et la restitution de la puissante et fragile voix à la fois de
Teodora Enache est parfaite. Les compositions sont extraites de thèmes
traditionnels. Il faut plonger dans cet univers et plutôt qu’isoler un des
titres les prendre dans leur ensemble pour les apprécier dans leur
continuité. Indispensable pour s’imprégner d’une des voix féminines les plus
fortes de la scène jazz actuelle, bien loin des stéréotypes imposés.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Dmitry Baevsky & Jeb Patton
We TwoSwingin' the Samba, Something for Sonny, Inception, Le
Sucrier Velours, All Through the Night, Don't Let the Sun Catch You Cryin', Fools
Rush In, The Serpent's Tooth, You'd Be So Easy to Love, Quasimodo
Dmitry Baevsky (as), Jeb Patton (p)
Enregistré le 27 mars 2018, Amiens (80)
Durée: 51' 01''
Jazz & People 818006 (www.jazzandpeople.com)
On évoquait récemment les qualités exceptionnelles de Jeb
Patton pour son enregistrement réalisé au Mezzrow, New York (cf. Jazz Hot n°685) et tout ce que fait dans
cet enregistrement Jeb Patton est à l’aune de cette excellence acquise auprès
d’un Maître de l’écoute en jazz et en musique, et par là du piano jazz, Roland
Hanna. Jeb, dans cet exercice du duo, est un splendide complice, doué de toutes
les qualités de ses aînés dans ce registre, les accents en particulier, le
swing et le blues, mais il est également un remarquable accompagnateur, attentif,
solidaire, toujours présent pour souligner, mettre en valeur, aérer le discours
du saxophoniste. Jeb est la véritable colonne vertébrale de ce beau disque.
Dmitry Baevsky, le complice de Jeb depuis plusieurs années,
est lui un bon saxophoniste, possédant une belle sonorité et tous les arguments
de virtuosité pour se promener, voler sur la belle toile dressée par Jeb. Et il
lui faut effectivement bien posséder son instrument pour suivre la brillante
verve de Jeb («The Serpent's Tooth»). Si son discours manque parfois de profondeur, il n’est pas dépourvu de très belles
qualités lyriques (l’âme russe?) et contraste joliment avec le pianiste, une
sorte de contrepoint stylistique dans une évidente complicité («Quasimodo»). A
noter un beau et blues «Don't Let the Sun Catch You Cryin'», ou Dmitry, plus
grave, semble jouer du ténor, et où Jeb témoigne qu’il ne se réfère pas à ses
maîtres en jazz gratuitement (cf. Jazz
Hot n°680).
Un beau résultat à n’en pas douter: une petite heure
de belle musique de jazz qui évoque («You'd Be So Easy to Love») les
enregistrements d’un grand devancier dans ce registre des duos avec saxophone alto: Phil Woods.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Christine Lutz Quartet
Une Mélodie pour toiVers l’horizon,
Une Mélodie pour toi, Wizen Swing, The Dolphin, Cherokee, Nous deux, Concerto
d’Aranjuez/Spain, Tendre rêve, Virevolte, Czardas
Christine
Lutz (harp), Loïs Courdeuil (g), Olivier Lalauze (b), Thierry Lutz (dm)
Enregistré en
juillet 2018, Pernes les Fontaines (84)
Durée:
56' 07''
Autoproduit
CL4TET021/1 (www.christinelutz.fr)
La harpe en
soliste et leader est d’un emploi rare et difficile dans le jazz. Peu y ont réussi.
Certains choisissent un phrasé style guitare, d’autres le phrasé piano; la
réussite de Christine Lutz tient à ce qu’elle mêle les deux styles, utilisant
l’un ou l’autre selon les morceaux ou le tempo, sans oublier le jeu propre à la
harpe. Comme dans son disque La Danse des
écureuils (2006), elle s’exprime avec un quartet d’essence swing manouche, ce
qui convient parfaitement à sa conception de la harpe jazz. Compositrice
également, elle affiche un goût prononcé pour la belle mélodie teintée de
nostalgie, ce qui confère un grand charme à ses morceaux (quatre sont de son
cru dans ce disque); écouter par exemple «Nous deux» sur
un rythme bossa avec une longue et belle intro de la harpe sur contrechant à
l’archet de la contrebasse; ou encore «Virevolte», une
valse-swing de belle envolée, où Christine Lutz phrase à la façon de l’accordéon
musette; à signaler un bon solo de batterie, par un batteur qui fait
sonner les peaux. Celui-ci assure le tempo, les ponctuations, la relance, sans
jamais se mettre en avant. «Wizen Swing» de Raphaël Faÿs, pris sur
tempo rapide permet au groupe de développer toutes ses qualités, ça tourne et
ça swingue, avec un guitariste qui se lance dans de belles envolées lyriques,
et un contrebassiste mélodique, et solide à la pompe. On trouve deux morceaux
d’autre inspiration, le «Concerto d’Aranjuez/Spain» de Rodrigo revu par Chick Corea dans lequel le
guitariste se taille la part du lion; et «Czardas» de Monti,
morceau virtuose pour le violon, où harpe et guitare se partagent les parties «casse-gueule»
sur un tempo endiablé, La harpiste allant jusqu’à jouer les harmoniques du
violon. Et sur «Cherokee», le quartet montre qu’il n’oublie pas le
passé.
Quatre
musiciens pour un disque original, qui réactualise l’expression du quartet
manouche, et donne la preuve que la harpe y a sa place. Du jazz qui chante et
qui danse.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Stanley Clarke Band
The MessageAnd Ya Know We're
Missing You, After the Cosmic Rain/Dance of the Planetary Prince, The Rugged
Truth, Combat Continuum*, The Message, Lost in a World**, Alternative Facts,
Bach Cello Suite 1 (Prelude), The Legend of the Abbas and the Sacred Talisman,
Enzo's Theme, to Be Alive
Stanley Clarke (b, eb,
piccolo b), Mark Isham (tp), Ron Stout (tp), Doug Webb (s, fl), Dwayne Benjamin (tb), Chuck Findley (tp, flh),
Cameron Graves, Dominique Taplin (synth), Beka Gochiashvili (p), Michael
Thompson (g), Mike Mitchell (dm), Steve Blum*, Skyeler Kole, Trevor Wesley
(voc)**, Salar Nadar (tabla), Pat Leonard (synth sound design), Sophia Sarah Clarke (spoken words), Chris
Clarke (bck voc)
Date et lieu d’enregistrement
non précisés
Durée: 44' 41''
Mack Avenue 1116 (www.mackavenue.com)
C’est par un hommage aux musiciens récemment disparus (Al
Jarreau, Leon Ngudu Chancler, Tom Petty, Chuck Berry, Larry Coryell et Darryl
Brown), que «Mister School Days»
débute The Message. Un opus riche et varié, avec des thématiques couvrant
un large spectre, au-delà de la seule musique de jazz. Concernant le jazz, Stanley
Clarke remet en avant ses acquis de la période de la fin des années 70. Cette sensation transparaît avec «After the Cosmic Rain» et se poursuit sur «The Rugged Truth».Son jeu en slap et en accéléré sur
le manche font oublier que les années sont passées et avec elles les grandes
heures du style fusion. Beka Goshiashvili (p) met le feu à cette composition.
La période fast and furious se
poursuit avec «Alternative Facts» où le rythme endiablé et bien
emmené par Mike Mitchell (dm) et le leader permettent au pianiste de dérouler
sous ses doigts une foultitude de notes. Stanley Clarke n’a pas oublié qu’il a
aussi œuvré avec George Duke pour donner plus de groove à sa production avec
des relents du RH Factor de Roy Hargrove («To Be Alive») et la
présence de Doug E. Fresh (voc) et une section de cuivres. Le bassiste sait aussi se faire soyeux en
délivrant «Lost in a World» avec le soutien de Skyeler Kole et
Trevor Wesley (voc): une façon d’apaiser le contenu de son CD. «The
Legend of the Abbas…» se positionne dans la même teneur, les voix en
moins, le piano jouant ce rôle et permettant à la contrebasse de se faire
entendre délicatement. Enfin, il nous offre une suite de Bach pour violoncelle
(«Prelude») qui démontre l’étendue du registre de Stanley Clarke
bien que ses racines restent indéniablement jazz.
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Dino Plasmati & LJP Big Band
Matera Encounters: Guest Bobby WatsonDoin' Basie's Thing, Big Mama Cass, Groovin' Hard, Basically
Blues, Over the Rainbow, Broadway, Admiral's Horn, Donna Soul Kitchen
Dino Plasmati (g, dir), Bobby Watson (as), Emanuele
Lamacchia (tp), Luciano Palmitessa (tp), Marco Sinno (tp), Nicola Di Marzio
(tp), Franco Angiulo (tb), Raffaele Amato (tb), Vincenzo Pace (tb), Nino
Bisceglie (btb), Claudio Chiarelli (as), Michele Munno (as), Angelo Manicone
(ts), Tommaso Capitolo (ts), Vincenzo Appella (bar), Nico Marziliano (p),
Francesco Fossanova (b), Vito Plasmati (dm)
Enregistré le 15 janvier 2018, Matera (Italie)
Durée: 47' 38''
Alfa Music 207 (www.alfamusic.com)
Très bon disque in the tradition, celle des big bands de
jazz, avec de beaux arrangements pétris dans le swing, le blues et
l’expressivité, servi par l’excellent guitariste Dino Plasmati, originaire de
Matera, belle localité de l’extrémité de la botte italienne, dont il est l’agitateur
infatigable de culture et de jazz. Entouré d’un excellent groupe de bons
musiciens, possédant tout ce qu’il est nécessaire dans les ensembles ou dans
les chorus, à la belle musicalité transalpine parfaitement au service de
cette musique, sans autre ambition que de swinguer et de faire valoir la
musique, Dino Plasmati a invité pour l’occasion le grand Bobby Watson, lui-même
bel arrangeur et compositeur, qui s’est fondu avec modestie dans cet ensemble,
apportant sa voix de soliste parmi les solistes sur quelques bons arrangements,
dans l’esprit Basie, Kansas City oblige, car Bobby Watson est de cette origine
(«Doin' Basie's Thing», «Basically Blues»), Oliver Nelson («Big Mama Cass»),
Hefti («Groovin' Hard»), Nestico («Broadway»), Shorty Rogers («Donna Soul
Kitchen»), Benny Carter («Over the Rainbow», arrangement en fait de Duccio
Bertini), ou plus contemporain («Admiral's Horn», «Donna» à l’accent italien
prononcé).
Avec un bon livret, très précis quant aux solistes, voici
l’excellent travail de Dino Plasmati, lui-même soliste de qualité, bien
récompensé et mis en valeur. Un bon disque de jazz bien produit et bien
enregistré.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Vincent Thekal Trio
OrigamiOrigami, Saint-Josse,
After the Storm, Misterioso, Today’s Opinion, Juju, For all We Know, Windows
Vincent Thekal (ts,
ss), Alex Gilson (b), Franck Agulhon (dm)
Enregistré les 27-28 Novembre 2017, Grandrieu (Belgique)
Durée: 34' 16''
Hypnote Records 006 (http://hypnoterecords.com)
A Bruxelles, on n’héberge pas que des Français fortunés,
mais aussi quelques jeunes musiciens du Grand Est. Vincent Thékal est de
Thionville, Alex Gilsonde Saint-Dizier. Notons encore que Franck Agulhon,
natif de Marseille, étudia au Centre Musical et Créatif de Nancy. Ceci
expliquant cela, on y ajoute les rencontres au Sounds, le patronage de Lydia Reichenberg (Jazz4you), quelques
Orval à la Jazz Station («Saint Josse») et l’on comprendra que ces trois-là
devaient se rencontrer en studio. Les choses étant dites, on doit s’étonner de
la durée courte de cette production. Mais pourquoi pas quand il n’y a rien à
jeter! L’assurance du ténor post-bop est intéressante («Origami»); avec «For
All We Know», vibré et moins enlevé:
on note la beauté du son. «Today’s Opinion» est intéressant par l’écriture, le
dialogue ténor/batterie et l’excellent backing de basse; le choix
d’arranger «Misterioso» de Thelonious Monk est réussi. Alex Gilson est d’une
grande solidité (solo sur «After the Storm»). Quant à Franck Agulhon, c’est une
des valeurs sûres de l’Hexagone; son jeu colle parfaitement au discours du
saxophoniste et ses arrangements portent le soliste («Juju» de Wayne Shorter).
On peut conclure sur ces mots: un trio soudé, agréable, classique dans sa
modernité.
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Mario Canonge
Zouk OutYekri, Sweet Kon Lakay, Karnaval Blues, Murmures Rebelles,
Man Ja Saz, Shaft Zouk, Se Mwen (interlude), Se ou Mwen Le, Mennen Vini, Les
Trois fleuves, Yekri Elwa
Mario Canonge (p, voc, perc), Michel Alibo (b, perc, voc), Adriano
Tenorio (perc) + selon les thèmes: Ralph Tamar (voc), Annick Tangora
(voc), Eric Pedurand (voc), Winston Berkeley (voc), Ralph Lavital (g), Orlando
Maraca Valle (fl), Josiah Woodson (tp, flh), Michael Joussein (tb), Laurent
Maur (harm), Ricardo Izquierdo (ts), Cynthia Abraham (voc), Nirina Rakotomavo
(voc), Michael Mossman (arr)
Date et lieu d’enregistrement non précisés sur le livret
(prob. 2017-2018)
Durée: 59' 10''
Aztec Musique 2557 (www.mariocanonge.net)
Mario Canonge écrit lui-même sur le livret: «Zouk Out est un album de jazz qui traduit le
besoin pressant d’abolir les conventions…»; il précise: «Ce 14e opus est ma conception
personnelle d’un jazz aux influences caribéennes.» Pour qui a écouté Mario
Canonge dans la multiplicité des formules où il se produit (cf. l’excellent
enregistrement en quintet Quint’ Up,
en coleader avec Michel Zenino –Jazz Hot n°684–, ou en duo, en live ou sur
disque), il ne fait aucun doute que Mario Canonge est un formidable pianiste de
jazz (technique éblouissante), doté d’une belle expression et, par ses racines,
d’une aisance rythmique tout à fait «afro-américaine»: c’est une partie du bel
héritage africain transporté clandestinement par les hommes et les femmes
déportés d’Afrique aux Amériques. On comprend aussi l’attachement de Mario
Canonge au patrimoine musical des Antilles, si riche, et qui n’a pas bénéficié
à Paris, centre culturel de première importance à cette époque (début du
XXe siècle), de la même curiosité que le jazz naissant sur le sol américain.
Sans doute parce que la dynamique du jazz était beaucoup plus puissante, parce
que portée par une revendication de reconnaissance plus urgente dans les
Etats-Unis ségrégués qu’en France, malgré le fait colonial. On comprend donc le
souhait de Mario Canonge de proposer une synthèse jazz sous influence
caribéenne; possible: d’autres y sont parvenus. Pour être complet, des musiciens
américains, nés aux Etats-Unis, le font également, des Cubains, également.
Mais
le jazz, qu’il soit joué n’importe où, s’appelle «le
jazz», du nom donné à cette musique afro-américaine née aux Etats-Unis;
et donc il est déjà une synthèse collective, répondant à des codes non
écrits
mais pour autant très précis, et se référant à ses bibliothèques (les
artistes du jazz), comme au fonds commun: le blues, l’accentuation
particulière, le
swing, et l’authenticité de l’expression,
l’expressivité; cette conjonction des éléments de base indispensables ne
dispensant pas d’autres qualités, comme l'individualité de la voix de
l'artiste.
Si on écoute Mario Canonge dans les configurations évoquées
plus haut ou dans «Les
Trois fleuves», pour
cet enregistrement, on peut être persuadé que Mario Canonge a bien saisi
tous
ces paramètres et qu’il les met en œuvre avec talent. Mais si on écoute
ce disque dans son
ensemble, et qu’on lit ses quelques phrases déjà citées, on ne peut que
se dire
qu’il fait une erreur en pensant que toute musique rythmiquement aussi
riche que celle des Caraïbes
est du jazz inspiré par les racines antillaises, cubaines, haïtiennes ou
d’autres origines. Il s’agit, selon nous plutôt,
d’une musique populaire qui peut s’inspirer du jazz, et d’abord parce
que son
initiateur, Mario Canonge, est un formidable pianiste de jazz. Et comme
cette
musique populaire est nouvelle et non pas une relecture des musiques
traditionnelles du siècle passé –ce qu'il faudrait faire pour la musique
antillaise mal mise en valeur, même en France– pas plus qu’une
élaboration à partir du fonds
du jazz. Il s’agit d’une musique de variété, sans aucune connotation
négative:
comme pour toutes les musiques, il y en a de la bonne et de la moins
bonne.
Sur ce registre musical –la variété actuelle des Caraïbes–,
je dois confesser que je n’ai pas choisi d’en maîtriser l’histoire,
l’esthétique et les codes, malgré quelques fulgurances jazz, du grand
Mario
Canonge, au milieu de ce foisonnement rythmique et de chœurs. Cet
enregistrement n’a de commun avec le jazz que le fait que Mario Canonge a
deux
amours: «son pays et le jazz», comme d’autres, qui ne viennent pas
forcément
des Caraïbes, et voudraient parfois que leurs racines occitanes,
parisiennes, suédoises ou
sardes soient du jazz. Mais non, ça ne suffit pas. Si le jazz est
universel par
son message et son écho (comme Shakespeare l’est), cela ne signifie pas
que
tout est du jazz et que le jazz est dépourvu d’un langage commun en
propre, codé
culturellement, en référence à un patrimoine, oral pour l'essentiel même
si le disque en a fixé une belle partie, les artistes eux-mêmes
complétant cette mémoire, bien plus que les partitions. Mario Canonge
doit bien savoir que Quint' Up appartient à un autre monde que Zouk Out, même si lui a un pied dans les deux… Cela fait partie de
sa richesse, et l'amalgame forcé n'est jamais une richesse. Il peut en faire bénéficier le jazz ou la musique de variété, il
ne sera pas le premier ni le dernier, mais il lui faut clarifier ses choix.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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François Bernat
Hommage à la musique de Miles DavisMilestones, Tadd’s Delight, Miles Ahead, But Not for Me,
Iris, Boplicity, Little Melonae, Deception, Madness, Blue in Green
François Bernat (b), Yoann Loustalot (tp), Frédéric Borey (ts),
Antonino Pino (g), Olivier Robin (dm)
Enregistré en mars 2018, lieu non précisé
Durée: 50' 10''
Autoproduit (www.francoisbernat.com)
Pas facile de choisir le répertoire de Miles Davis et de se
l’approprier. Les thèmes retenus par le contrebassiste François Bernat font
partie de ses «classiques», («Milestone», «Miles
Ahead», «Blue in Green») que ce soit des morceaux écrits par
lui ou ses sidemen comme Herbie Hancock («Madness»), Tadd Dameron («Tadd’s
Delight») et Wayne Shorter («Iris»). Le contrebassiste reconnaît avoir puisé
essentiellement dans la
période acoustique du trompettiste. Et, surprise, à l’écoute du premier
morceau, ça n’est pas la trompette qui prédomine, mais le saxophone et la
guitare, lesquelles se partagent les improvisations. S’ensuit un bel échange
entre ces deux instruments avec des
interventions précieuses de la batterie et toujours pas la moindre sonorité
ouatée de la trompette mutequ’affectionnait Miles. «Iris» de Wayne Shorter constitue une belle
réussite. L’exposition du thème est tout
autant soyeuse que la création originelle. Le morceau s’étire langoureusement
comme un volute de fumée qui se serait évadée de l’instrument.
«Déception», mais qui n’en est pas une, permet d’entendre enfin
l’instrument popularisé par le divin Miles C’est Yoann Loustatlot qui donne
plus de prégnance à l’œuvre de Davis. L’album se termine avec un morceau
incontournable du répertoire: «Blue in Green». Une nouvelle fois,
la délicatesse sied à ce thème où la guitare berce de ses notes l’expression du
saxophone de Frédéric Borey. En optant pour «le prince des
ténèbres», François Bernat démontre que les grands du jazz restent encore incontournables
pour continuer de réinventer cet art.
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Michel Zenino
Movin' OnSan Francisco, Malcom La Danse, Better Come
Too, The Mouse, Danse D'Hannahb, Danse D'Hannahbababouchka, Lament For Mireille,
Movin’ On, Silver Blue Siggy, Un Pour Tous
Michel Zenino (b), Christophe Monniot (as),
Emil Spanyi (p), Jeff Boudreaux (dm)
Enregistré les 2-3 juillet 2015, Le
Pré-St-Gervais (93)
Durée: 55' 48''
Heron Records AMZ 186002-1
(www.michelzenino.net)
On vous parlait, il y a peu, de Michel Zenino
à propos de son association en duo avec Mario Canonge (au Baiser salé) mais
aussi pour ce très bon disque enregistré en quintet (Quint’ Up, cf. Jazz Hot n°684) avec ce même Mario
Canonge. Le voici donc avec une autre de ses formations, en quartet cette fois,
pour un jazz toujours aussi ancré dans ce post hard bop, et un enregistrement aussi
riche en recherches de qualité. Outre son activité multiforme (enseignant,
arrangeur, fédérateur de projets et alter ego de Mario Canonge) et son talent
d’instrumentiste, Michel est un bon compositeur, et ce disque est pour lui
l’occasion d’exposer cette autre facette: il est ici l’auteur de toutes les
compositions, à l’exception du premier thème, une célèbre chanson de Maxime Le
Forestier, a priori en discordance, mais l’arrangement et les interventions de
Christophe Monniot nous ramènent à la maison blues, celle du jazz. Dans ce
disque, il a choisi des musiciens qui lui ressemblent, c’est-à-dire solides,
savants en jazz et autres musiques et bons instrumentistes; tout est réuni pour une belle musique,
du jazz, explosif («The Mouse»), brillant et dansant sans complaisance («Danse
D'Hannahbababouchka», «Silver Blue Siggy»), pétri dans de belles atmosphères
(«Malcom La Danse», «Better Come Too», «Lament For Mireille», «Movin’ On») qui
ne sont pas sans rappeler les moods à la Wayne Shorter. Il y a encore une très
belle et courte composition pour ponctuer un bon enregistrement, et ça
n’étonnera personne, car l’excellent contrebassiste, virtuose sans excès
d’exposition («Danse D'Hannahb»), a choisi avant tout de servir sa belle musique
de jazz aux côtés du très musical Jeff Boudreaux (Baton Rouge, LA, 1959) qui a
joué avec tant de grands noms (Rick Margitza, Wynton Marsalis, Bobby McFerrin…),
le virtuose et très intéressant Emil Spanyi (1968, Budapest) et Christophe
Monniot (1970, Caen), le touche-à-tout en musique, pas si jazz et pas si sage,
mais qui, ici, se coule avec talent dans un bon quartet très jazz.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Jérôme Etcheberry
Let Me DreamPennies From Heaven, Let
Me Dream, Love Me Tender, Our Love Is Here To Stay, What Can I Say Dear After I
Say I'm Sorry, September In The Rain, Just a Gigolo, Exactly Like You, Baby
Won't You Please Come Home, When You're Smiling, Sometimes I'm Happy
Jérôme Etcheberry (tp,
voc), Hugo Lippi, David Blenkhorn (g), Raphaël Dever (b)
Enregistré le 22
novembre 2017, Paris
Durée: 45' 09''
Etchemusic Productions (etchemusic@gmail.com)
Les trois quarts de ce
groupe (Etcheberry, Lippi, Dever) se sont produits avec succès dans une partie
de ce répertoire («Let Me Dream», «Just a Gigolo», etc.) au Festival bis de
Jazz in Marciac les 12-13 juillet 2017 (Mourad Benhamou, dm). Nous avions alors
découvert que Jérôme Etcheberry était un chanteur crédible et mieux que bien
dans le genre crooner. Ici notre trompettiste s'en tient à une formule avec
cordes que Ruby Braff puis Alain Bouchet ont autrefois explorée avec le même
swing... mais sans chant. Le trompette-chanteur qui fit dans ce genre feutré,
une guitare en moins, c'est Chet Baker. Mais Jérôme Etcheberry laisse à
d'autres le soin de suivre Chet, ce qui est devenu un cliché très convenu qui
se développe même en mode féminin (Andrea Motis, Lucienne Renaudin-Vary).
Jérôme Etcheberry reste fidèle à la trompette mainstream dans la lignée Roy
Eldridge (avec sourdine, dans le solo legato sur «Baby Won't You Please Come
Home»), ou du grand Louis Armstrong (pavillon ouvert, avec le même genre
d'attaques: «When You're Smiling»).
Pour autant, le Singtet
(ainsi nommé pour le lancement de ce disque le 8 novembre prochain au Jazz Café
Montparnasse), ne sonne absolument pas «réchauffé». C'est de la musique
vivante, détendue, dans des arrangements originaux qui comme dans «Sometimes
I'm Happy» sonnent très actuels (là, avec la sourdine harmon, dans
l'introduction et la coda, on peut rêver à la touche de Miles Davis, mais le solo
est plus dans la lignée du disque de Louis Metcalf de 1966... de façon fortuite
car il est très douteux que Jérôme Etcheberry s'en soit inspiré). Les deux
guitaristes ont un style très voisin et s'entremêlent avec délice. Hugo Lippi
est sur le canal de gauche et David Blenkhorn sur celui de droite si vous
n'avez pas inversé les branchements. Ils s'alternent en solo dans «Let Me Dream»
(où Jérôme n'est «que» chanteur) et dans «Exactly Like You» (bonne introduction
trompette-guitare, excellents solos de trompette et de contrebasse). Raphaël
Dever prend aussi un bon solo dans «Our Love Is Here to Stay». Comme Jonah
Jones, Jérôme Etcheberry joue différentes sourdines ou bien ouvert ce qui varie
les «couleurs» de son. Jérôme Etcheberry confirme ici qu'il est un très bon
crooner plein de feeling, qui ne doit rien à Frank Sinatra ni à Elvis Presley («Love
Me Tender» qui d'ailleurs offre un excellent solo de trompette). Certains
titres ont marqué la carrière de trompettistes, mais le Singtet les fait sien. «What
Can I Say Dear After I Say I'm Sorry» fut à Doc Cheatham (ici étonnantes
introduction et coda genre guitare hawaïenne) ce que «September in the Rain»
est aujourd'hui à Roy Hargrove (Jérôme Etcheberry évoque plutôt l'autre Roy,
Eldridge, avec un jeu legato et en retenue). Pris sur tempo médium, leur «Just
a Gigolo» évite la caricature excitée (sinon excitante) de Louis Prima dont
d'autres abusent volontiers. Là, Jérôme Etcheberry joue une introduction et une
coda à la Louis Armstrong, influence qui ressort aussi dans son solo dans la
façon d'émettre les notes et le type de vibrato (qui reste discret). Tout est
bon musicalement, la prise de son n'est pas moins bonne et les photos de
couverture superbes (Patrick Martineau). Une gourmandise recommandée aux
connaisseurs.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Joey Alexander
My Favorite ThingsGiant Steps*°, Lush Life*°, My Favorite
Things*, It Might as Well Be Spring*°, Ma Blues**, 'Round Midnight, I Mean You**,
Tour de Force**°°, Over the Rainbow
Joey Alexander (p), Larry Grenadier (b)*, Ulysses Owens Jr (dm)° + Russell Hall
(eb)**, Sammy Miller (dm)**, Alphonso Horne (tp)°°
Enregistré
octobre 2015, New York
Durée: 58’
Motéma Music 233998 (www.motema.com)
Nous
revenons, avec un peu de recul, sur le premier album du jeune prodige
indonésien Joey Alexander, aujourd’hui âgé de… 15 ans et qui a déjà sorti cette
année son quatrième disque (Eclipse, Motéma).
On pouvait évidemment aborder ce premier album avec la méfiance naturelle qui
survient quand les machines promotionnelles vantent la venue d’un petit génie.
Force est pourtant de constater que la
réputation de Joey Alexander n’est pas surfaite. Techniquement, il peut
rivaliser avec un bon nombre de pianistes de jazz réputés. Il développe une
virtuosité sans excès et une réelle sensibilité. On est surpris du résultat sur
«Giant Steps». Dominer Coltrane n’est pas donné à tout le monde. Mais il est
brillant aussi sur d’autres standards: «My Favorites Things», «'Round Midnight».
Aller mettre à son répertoire «Tour de Force»… en constitue
vraiment un. On a l’impression en l’écoutant que ce jeune garçon a assimilé
comme s’il l’avait vécue l’histoire du peuple afro-américain et de sa musique,
chose qui souvent manque aux jazzmen non américains et qui s’entend. Il est
aidé en cela d’une rythmique de premier ordre (Larry Grenadier et Ulysses Owens
Jr).
Né à Denpasar, sur l’île de Bali, Joey Alexander vient d’une famille
comptant quelques artistes et des parents amateurs de jazz (il existe
une tradition du jazz en Indonésie depuis Bubi Chen) qui, depuis 2014,
se
sont installés à New York pour permettre à leur fils de développer sa
carrière précoce de musicien. Wynton Marsalis ayant entendu parler de
lui (et
découvert sur YouTube) l’invite alors
au Lincoln Center. Difficile de rêver d’un début dans un meilleur endroit et
sous un meilleur parrainage. Depuis,
plusieurs autres grands noms du jazz l’ont adoubé: Joshua Redman, Eric Harland… Si
vous ne connaissez pas encore le travail de ce garçon, penchez-vous sur ce
prometteur premier opus.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Fred Pasqua
Moon RiverSoupir, The Peacocks, Gentle Piece,
Circle, Riot, Something Sweet Something…, Black Narcissus, Nascente, Moon
River, Timeless, Yellow Violet, Central Park West, Louisiana Fairytale
Frédéric Pasqua (dm), Yoann Loustalot (tp, flh), Nelson
Veras (g), Yoni Zelnik (b) + Adrien Sanchez, Robin Nicaise (ts), Laurent Coq
(p), Jean-Luc Di Fraya (voc)
Enregistré les 30 et 31 octobre 2017, Pernes-les-Fontaines
(84)
Durée: 59' 25''
Bruit Chic 0132675 (L’Autre Distribution)
La rencontre avec Nelson Veras a été un élément déterminent
dans l’élaboration du premier album en leader de Fred Pasqua, comme il nous l’a
confié dans l’interview qui paraît dans ce Jazz
Hot n°685. Venu de la scène fusion marseillaise, cela fait déjà une dizaine
d’années qu’il a intégré la vie du jazz parisien quand il commence à jouer avec
le guitariste brésilien. Sa sensibilité correspond bien à celle du batteur,
accompagnateur attentif, au jeu coloré mais jamais démonstratif. Naturellement,
il agrège au projet ses complices de longue date: Yoann Loustalot –dont le son
lunaire est aussi en adéquation avec ce jazz introspectif– et Yoni Zelnik,
l’indispensable compère de la section rythmique.
Treize
reprises constituent cet album à la tonalité
intimiste. Il débute avec une composition de Ravel («Soupir»), une
courte
introduction relevant de fait de la musique contemporaine, où Fred
Pasqua,
simplement en duo avec Laurent Coq, installe un onirisme troublant. Le
jazz
intervient avec le deuxième titre, «The Peacocks», où s’exprime
toute la saveur mélancolique de l’association Loustalot/Veras. On aurait
aimé découvrir pour ce premier opus davantage de facettes tout au long
de ce disque, qui
a plutôt choisi de privilégier un mood, tout en reconnaissant la finesse
du leader et la
cohérence de son univers. On apprécie particulièrement les morceaux
avec du relief, comme «Riot» (Herbie Hancock) et «Louisiana
Fairytale» (Parish/Gillespie/Coots) qui offre un final aux accents
new orleans assez inattendus. Un disque d’atmosphères.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Julien Tassin Trio
Sweet TensionWorking Class, Escape,
Chost Town, Housewives, Le Blues, Last Call From the Factory, Green Lady,
Dance, George Harrison, Sweet Tension
Julien Tassin (g),
Nicolas Thys (b) Dré Pallemaerts (dm)
Enregistré en janvier
2018, Bruxelles (Belgique)
Durée: 49' 14''
Igloo Records 291
(Socadisc)
On voulait découvrir Julien Tassin en ayant en
mémoire l’image et la musique de son professeur, Paolo Radoni (g). Malgré un
«Housewives» léger, une «Green Lady» langoureusement mélodieuse et une très
belle valse-hommage («George Harrisson»), le guitariste carolo est à cent
lieues des richesses harmoniques de feu notre ami transalpin. Rock et blues chicagoan
(«Ghost Town», «Le Blues») sont les deux mamelles qui nourrissent le compositeur
et nous sommes bien tristes de voir les talentueux Nicolas Thys et Dré
Pallemaerts se compromettre. Peu ou prou de développements pour enrichir la
pauvreté des mélodies du leader qui abuse des effets. Trop d’écho, quelques
délires («Last Call From the Factory») et d’autres distorsions («Dance»)
ne parviennent pas à masquer l’inaccomplissement du discours. Dré Pallemaerts
joue à l’économie. Fort heureusement, Nicolas Thys ajoute deux très beaux solos:
«Le Blues» et «George Harrisson».
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Kermit Ruffins & Irvin Mayfield
A Beautiful WorldWell, Alright, Kermit,
Turn It Down Interlude, Drop Me Off in New Orleans, Don't Worry Be Happy,
Irvin, Turn It Up Interlude; Good Life; Good Morning New Orleans; You Don't
Look Good Interlude, Mystic, Dad, Turn It Up Interlude, Move On Ahead,
Practicing Interlude, Just Playin', Soul Sister Interlude, Sister Soul, Allen
Toussaint, King Lear Interlude, Beautiful World (For Imani), Do Watcha Wanna
Interlude, Be My Lady, Footwork, Trumpet Bounce, Lexine, Li'l Liza Jane
Interlude, Just a Closer Walk With Thee, When The Saints Go Marching In
Kermit Ruffins (voc, tp),
Irvin Mayfield (tp, voc, p, perc), Leon Brown (tp, voc), Wendell Brunious,
Leroy Jones, Gregg Stafford, Bernard Floyd, Eric Lucero, Ashlin Parker, Andrew
Braham (tp), TJ Norris, Emily Fredrickson, Jon Ramm-Gramenz (tb), Michael White
(cl), Khari Allen Lee, Jeronne Amari Ansar (as), Ricardo Pascal, Ed Petersen
(ts), John Diaz-Cortes (s, bcl), Trevarri Huff-Boone (bs), Ronald Markham (p,
org, Fender, synth., programming), Grayson Brockamp, George Porter (b), Philip
Frazier, Steve Glenn (tu), Shannon Powell, Jamal Batiste, Adonis Rose (dm),
Jason Marsalis (marimba), Bill Summers (perc), John Boutté, Haley Reinhart,
Glen David Andrews, Topsy Chapman, Wendell Pierce, Denisia, Cyril Neville,
Jolynda Chapman (voc), cordes, ReBirth Brass Band et autres
Enregistré en 2017, New
Orleans
Durée: 1h 13' 54''
Basin Street Records
0717-2 (www.basinstreetrecords.com)
Ce disque célèbre les 20 ans du label et les 300 ans de la ville New
Orleans (un anniversaire oublié ou mal célébré dans nos festivals).
L'association entre Kermit Ruffins et Irvin Mayfield ne date pas d'aujourd'hui.
A New Orleans, ils ont relancé le «cutting
contest». Quand l'un jouait dans un club ou un bar, l'autre venait le
provoquer sans être annoncé; et inversement. En 1996, au Donna's Bar, à New
Orleans, nous avons vécu l'une de ces joutes amicales alors même qu'Irvin
Mayfield n'était pas encore bien connu hors de la Cité. Les temps ont bien
changé. Ils prêtent ici leur nom à un ambitieux projet avec une débauche de
participants, connus (Michael White, Leroy Jones, Wendell Brunious, Shannon
Powell, Jason Marsalis, etc.) ou moins (chez nous). Kermit Ruffins est ici plus
chanteur que trompettiste. Les titres sont «reliés» par des interludes (souvent
parlés, par l'acteur Wendell Pierce ou d'autres), très courts (10-30'') à deux
exceptions. Autant le label fait dans la culture (locale) avec le récent CD de
Michael White, autant ici il sombre dans le «jazz-business» mondial actuel sous
prétexte de «gumbo» local (quel «beautiful world»!). Il y a donc des chanteuses
de variétés qu'on dit pop pour le standing (Haley Reinhart,…) et des genres
divers dont l'inévitable rap dit «urban music» (par Kermit Ruffins!: «Lexine»).
On entend Jason Marsalis au marimba dans une sorte de reggae, «Don't Worry Be
Happy».
Sur vingt-six titres (interludes inclus), huit sont jazz ou proche. En
étant très souple, on peut en ajouter quatre par lesquels nous commencerons: «Mystic»
sur un rythme disco binaire (Jamal Batiste, dm, George Porter, b), Irvin
Mayfield joue avec la sourdine harmon un motif répétitif et planant (Truffaz en
ferait autant); «Allen Toussaint», clin d'œil à la tradition Longhair-Booker-Toussaint
par Cyril Neville et Kermit Ruffins (voc) (Adenis Rose, dm); «Be My Lady» par
Cyril Neville pour les contre-chants et le solo d'Irvin Mayfield (de la soul
binaire avec Jamal Batiste et George Porter) et surtout «Move On Ahead» pour la
dimension expressive de Jolynda Chapman (voc) (bon solo de Mayfield). Le CD
commençait bien avec «Well, Alright», riff tiré de «It Don't Mean a Thing», par
Adenis Rose (dm) et le big band de Mayfield (Bernard Floyd, lead tp). Après un
solo de sax ténor, nos deux trompettistes, Mayfield et Ruffins, y vont du leur.
«Drop Me Off in New Orleans» est chanté par Kermit Ruffins, et Michael White y
prend un bon solo. Malgré les cordes (discrètes), «Good Morning New Orleans»
est à l'actif (Adenis Rose, dm, Mayfield,
tp, Ruffins, voc). Topsy Chapman (voix soliste) est magnifique dans «Just a
Closer Walk» dans lequel Jolynda Chapman et Yolanda Robinson font le chœur
avec elle, pour ne rien dire de Shannon Powell (dm)! Il y a deux contributions
du ReBirth Brass Band avec Kermit Ruffins (voc): la reprise de «Do Watcha Wanna»
en interlude (2’21”) avec la participation de Gregg Stafford, Leroy Jones,
Leon Brown (tp, pas de solo) et une démonstration de caisse claire (Ajay
Mallery) et grosse caisse (Darren Towns) dans «Footwork», le tout avec Philip
Frazier (tu). Enfin, et c'est si rare, des ensembles de trompettes avec
rythmique: le «When the Saints» final par Ruffins et Mayfield avec Ronald
Markham (p), Grayson Brockamp (b) et me semble-t-il Shannon Powell (le «Trumpet
Bounce» sonne par contre comme du bidouillage d'ordinateur avec sampling) et
enfin, et surtout, un «Just Playin’» très jazz (Markham, p, Brockamp, b,
Shannon Powell!) qui réunit Wendell Brunious, Leon Brown, Andrew Baham, Leroy
Jones (le thème est réussi, parfaitement mis en place, et les solos swinguent).
A vous de voir si cela suffit pour acheter le disque.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Silvan Schmid Quintet
At GamutMotten, Spartitur II, Ins
Leere, Turn Into, Spartitur II, In Bocca ol Lupo
Silvan Schmid (tp), Tapiwa
Svosve (as), Silvan Jeger (cello), Lucas Wirz (tu), Vincent Glanzmann (dm)
Enregistré en avril 2016, Zurich
(Suisse)
Durée: 42' 38''
Hatology 751 (Outhere)
Hatology semble s’être fait
une spécialité de ces musiques que nous pourrions qualifier de «contemporaines»,
interprétées par des musiciens jouant de leur instrument «façon jazz»: son,
articulation, etc. Voici un quintet de jeunes musiciens, à l’instrumentation
inhabituelle, de quoi titiller la curiosité. Certes on a vu ces instruments
ensemble chez Miles Davis, Gil Evans, Charlie Parker. Ici il s’agit d’une
harmonisation et d’une exécution très particulière. Le groupe progresse par
accords d’ensemble joués par tenues ou par petits groupes, voire en ostinatos.
Et là-dessus viennent se promener soit la trompette, l’alto ou le tuba. Pas
d’exploits, on reste la plupart du temps dans le médium des instruments, il y a
une belle cohésion. Les morceaux écrits par le leader, Silvan Schmid, sont à
prendre comme une œuvre globale, assez réussie dans cette vision de la musique,
que le leader qualifie d’avant-garde.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Dr Michael White
Tricentennial Rag
Frenchmen Street Strut,
Blues on the Bayou, Tricentennial Rag, On Mardi Gras Day, I Saw Jesus Standing
in the Water, Loneliness, What I Wouldn't Do to Be With You, Instigator's
Lament, Sassy Creole Woman, Mandeville Stomp, When the Saints Go Marching In
Gregg Stafford, Leon
Brown (tp, voc), Shaye Cohn (cnt), David Harris, Richard Anderson (tb), Michael
White (cl), Dimitri Smith (tu), Alexandre Belhaj (g), Seva Venet, Detroit
Brooks (bjo), Steve Pistorius (p), Mark Brooks (b), Kerry Lewis (b, tu), Herman
Lebeaux (dm)
Enregistré les 21 et 23
mars 2018, New Orleans
Durée: 53' 06''
Basin Street Records
0507-2 (www.basinstreetrecords.com)
Michael White n'est plus
un débutant (Jazz Hot n°505, 1993; n°Spécial 1996). Il s'est imposé comme une sorte de
gardien des fondements de la formulation néo-orléanaise du jazz, reconnu et
respecté (au moins chez lui). Son influence n'est pas mince car c'est lui qui a
poussé Wynton Marsalis à découvrir ce que les écoles ne lui ont pas donné,
c'est à dire le respect pour le passé et ses racines (Armstrong certes, mais
aussi King Oliver, Bunk Johnson). Michael White et le label offrent ici leur
célébration du tricentenaire de New Orleans. A notre époque du «jazz-business»
qui nous impose des récitals de oud, ce disque est à contre-courant, et ça fait
du bien aux jazzophiles résistants et résiduels. Ici Michael White démontre que
l'évolution (ou supposée telle) est allée trop vite et que beaucoup pouvait
encore être inventé dans le plus profond des bases. Tous les morceaux (musique
et parole) sont de Michael White sauf une révision de «When the Saints». Le
personnel varie d'un titre à l'autre mais le pianiste et le batteur (très
idiomatique) restent les mêmes garantissant avec l'omniprésence de Michael
White une homogénéité. Les tempos sont typiquement louisianais, jamais crispés.
Enfin, comme pour nous faire croire que ça va durer toujours, Michel White
emploie quelques jeunes (David Harris, Shaye Cohn…) aux côtés des «nouveaux
vieux» (Gregg Stafford, Detroit Brooks,…). Le «Frenchmen Street Strut» est un
blues sur tempo médium qui sent le Morton. Shaye (petite-fille d'Al Cohn vivant
à New Orleans) assure un lead ferme et un solo dans la lignée de George
Mitchell (bons solos de David Harris, de Michael et Pistorius respectivement
dans le sillage de Dodds et Morton). «Blues on the Bayou» est un blues sur
tempo médium joué en quartet (White, Pistorius, Kerry Lewis, Herman Lebeaux).
On passe au ragtime avec «Tricentennial Rag», une belle composition assez
complexe (comme beaucoup de rags). Heureusement Shaye est une superbe meneuse!
David Harris maîtrise le jeu tailgate en collective. Shaye et Michael offrent de parfaits solos tandis que Kerry
Lewis est au tuba. Herman Lebeaux lance «On Mardi Gras Day» qui sonne Dixieland
(parfum du label Southland). Bonne front-line (Gregg Stafford, Richard
Anderson, Michael White). Michael White n'a pas oublié d'écrire un hymne
religieux, «I Saw Jesus Standing in the Water». Gregg Stafford y intervient
comme chanteur (excellent). Richard Anderson prend un bon solo dans le style de
Louis Nelson. On notera la variété du drumming (différent derrière la
clarinette ou le piano). «Loneliness» est joué en trio par Michael White,
parfait dans une sombre complainte, avec Alexandre Belhaj (g, solo en accords
genre Danny Barker) et Mark Brooks (b). Changement de climat avec «What I
Wouldn't Do to Be With You», une chanson d'amour comme le titre l'indique. Leon
Brown en est la vedette (chant et trompette). On retrouve Shaye pleine de drive
dans «Instigator's Lament» (tempo lent). Michael White qui est un disciple de
Johnny Dodds fait merveille dans l'expression plaintive de «Sassy Creole Woman»
où David Harris avec le plunger démontre qu'il connaît parfaitement la
contribution de Frog Joseph. L'enregistrement de «Mandeville Stomp» est hélas
saturé. C'est un rag au parfum mortonien difficile à jouer que Michael White et
Steve Pistorius assurent bien en compagnie de Mark Brooks et Herman Lebeaux. Le
disque se termine par un «When the Saint» exposé très lentement par White et
Pistorius. Puis dans un tempo médium où Gregg Stafford intervient comme
chanteur, Michael White fait un clin d'œil à Benny Goodman dans une séquence
clarinette-batterie très «Sing Sing Sing» sans rien perdre de son expressivité
venue de Dodds. On donne un «indispensable» pour le culot (provocation?) que
représente le fait de jazzer dans la pure tradition au XXIe siècle.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Mwendo Dawa Trio
Silent VoiceSilent Voice, Bass Nagging,
Small Cry, New Stream Three, Sound Search, Crisps, Outside 13, New Stream 6,
Hesitation, Inside, Impatient Road, Deep Sigh
Susanna Lindeborg (p,
eletronics), Jimmi Roger Pedersen (b, electronics), David Sunby (dm)
Enregistré le 4 septembre
2017, Gothenburg (Suède)
Durée: 1h 09’
LJ Records 5260 (www.lj-records.se)
Le trio déclare d’emblée que
ce disque est la continuation de l’exploration musicale du groupe et un hommage
à l’un des leaders de Mwendo Dawa, le sax ténor Ove Johansson, décédé en
décembre 2015 (voir Tears dans Jazz Hot n°674). En fait, on n’a pas
affaire réellement à un trio puisque tous les morceaux reposent sur un très
large emploi des sons électroniques joués par deux musiciens; le trio sonnant
ainsi parfois comme un quintet. La pianiste et le batteur jouent tout à fait
dans la manière Cecil Taylor-Sunny Murray; c’est dire que l’expression est free
mais les morceaux sont structurés; d’ailleurs, ils reposent sur des
compositions des trois musiciens, plus quatre œuvres de Ove Johansson (4-7-8-10).
Les sons électroniques divers sont des tenues ou des modulations; ils font un
tapis aux trois instruments. Ils peuvent même devenir descriptifs comme dans «Small
Cry» où l’on pourrait entendre un vent qui balaie la lande, puis soudain le
calme revient avec quelques notes de piano, qui va occuper l’espace sur des
basses profondes de la contrebasse. On a parfois quelques réminiscences de
Weather Report comme dans «New Stream Three».
Les morceaux sont joués rubato, ad libitum, il n’y
a pas de tempo marqué, ils sont assez lents dans l’ensemble. Si l’échange entre
les trois musiciens est parfait, on regrette qu’il n’y ait pas plus de variété
dans l’interprétation des différents morceaux, assez stéréotypés.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Louis Armstrong
Intégrale n°15. 1948-1949. The King of the ZulusTitres détaillés dans le
livret
Louis Armstrong (tp,
voc), Jack Teagarden (tb, voc), Barney Bigard, Peanuts Hucko (cl), Earl Hines,
Dick Cary, Buddy Cole (p), Joe Venuti (vln), Eddie Condon, Perry Botkin (g),
Arvell Shaw, James Moore (b), Sidney Catlett, Nick Fatool (dm), Velma Middleton
(voc)
Enregistré entre le 4
avril 1948 au 27 avril 1949, Chicago, Philadelphie, New York, San Francisco,
Los Angeles, Cincinnati
Durée: 3h 48' 17''
Frémeaux & Associés 1365
(Socadisc)
Frémeaux & Associés
poursuivent donc cette intégrale faite de coffrets de 3 CDs. Alors que tant de
projets du même ordre se sont interrompus, nous ne pouvons que nous en réjouir.
Aujourd'hui, Satchmo s'est installé dans les incontournables, au moins comme un
nom. Beaucoup le citent encore, mais très peu l'écoutent vraiment. Bien sûr et
on n'a cessé de l'écrire, à cette époque, Louis Armstrong n'est plus
l'innovateur de «West End Blues» ou de «I Can't Give You Anything But Love»,
incontournables leçons de trompette et de chant jazz. Mais il n'a alors que 47
ans et à cet âge un trompettiste est à maturité artistique et en pleine
possession de ses moyens physiques. En outre, ce premier All-Stars qui
s'illustre dans la majorité de ces titres peut être considéré comme le meilleur
avec Earl Hines et Sid Catlett, mais aussi Barney Bigard et Jack Teagarden, de
grands marqueurs de l'histoire de leur instrument respectif. Ce coffret n'est
constitué que d'enregistrements radiophoniques ou pour la TV. En effet, il y
eut une deuxième grève pendant l'année 1948 décidée par le syndicat des
musiciens qui interdit à ses membres d'enregistrer des disques. Pour cela la
maison Capitol est venue à Paris enregistrer ses disques de musiques dites «classiques»
(les absents des étiquettes pouvaient être illustres, comme Raymond Sabarich,
tp). Mais surtout, cette grève modifie définitivement le cours du marché. Les
chanteurs américains des deux sexes n'appartenant pas au syndicat des musiciens
furent pendant un an les seuls à enregistrer les succès du moment avec des
accompagnements de fortune. Jusque-là, le/la chanteur/se était le plus souvent
une attraction au sein des grands orchestres qui étaient le principal attrait
(ce fut d'ailleurs le lieu de «formation» pour ces futures stars en solo).
C'est au cours de cette grève que le statut de chanteur a changé. Il est la
vedette! Lorsque les compagnies de disques recommencent à enregistrer les
orchestres, elles ont immédiatement constaté qu'ils se vendaient moins que les
chanteurs.
Louis
Armstrong aurait
sans doute pu faire des disques de chanteur, mais la période est aussi
celle
d'un rebond de sa carrière d'artiste et il est sollicité de toute part.
C'est
depuis Chicago que nous viennent les deux premiers titres. Dès «Muskrat
Ramble», on est frappé par la suprématie d'Earl Hines et de Louis
Armstrong (une
ampleur de son à la trompette restée inégalée!). Earl Hines est
également
transcendant dans «Do You Know What It Means» (introduction,
accompagnement,
bref solo). Deux mois plus tard, le All-Stars est à Philadelphie, et il
passe à
la radio tous les jours du 2 au 5 juin. Armstrong expose avec autorité
«I Cried
for You» bien sûr chanté par Velma Middleton. Il est dans une forme
éblouissante à la trompette dans «Confessin'», comme il l'est un mois
plus tard
à Los Angeles (CD3); le morceau est géré de la même façon. Drumming
superlatif
de Sid Catlett dans «Milenberg Joys», «Struttin' With SBQ» (belle basse
d'Arvell
Shaw derrière Teagarden)! Arvell Shaw est en vedette dans «Whispering»,
une
routine reprise telle quelle à chaque concert (CD3, 13). Tout ce
All-Stars est
bon et d'une belle cohésion dans ce «St. Louis Blues» (fin tronquée) du 4
juin,
titre repris de façon différente le 12 (plus court, où Satch est seul
soliste
avec Hines). En dehors d'un bref passage d'orchestre, Earl Hines gère en
trio
une bonne version de «The One I Love Belongs to Somebody Else» depuis le
Ciro's, le 5 juin. Cette émission donne aussi une interprétation du
«Jack-Armstrong
Blues» qui n'est pas la plus spectaculaire de Louis, mais il est
toujours
magistral dans le blues. Diffusé sept jours plus tard, la prestation en
trio
d'Earl Hines dans «East of the Sun» vaut aussi pour le jeu de balais de
Sid
Catlett.
Le CD2 débute en
septembre 1948. On entend des «I Gotta Right to Sing the Blues» non notés qui
est un générique de fin (titres 2 et 6). La version de «Black and Blue» est
instrumentale alors que celle de décembre contient la partie chantée par Louis;
dans les deux cas, la trompette du maître est sublime. A l'inverse, ce même jour
de septembre, Louis n'est que chanteur dans «Shadrack». Nouveau à leur
répertoire, ce «Maybe You'll Be There» est exposé par Teagarden, mais Louis
Armstrong joue admirablement le pont (qualité de la sonorité). La TV du 23
novembre nous laisse, à défaut des images, la prise de son d'un «King Porter
Stomp» à la mise en place limite dans la première collective. Dick Cary y prend
un solo dans le style d'Earl Hines. Le solo de trompette est plein de drive,
poussé par Sid Catlett. Le CD2 se termine sur un bijou: une version de «Rosetta»
en quartet! Introduction de Hines, exposé du thème par Louis, excellent solo de
piano, échange entre Armstrong et Hines puis coda virtuose du pianiste (pour
nos oreilles, le bassiste est Arvell Shaw).
Le CD3 commence le 21 février 1949. L'émission propose deux duos
chantés, «Lazy Bones» par Bing Crosby et Louis Armstrong, «Rockin' Chair» par
Teagarden et Satchmo. Il y a aussi un «Panama» dont la concision est une leçon
pour les instrumentistes actuels (2’ 30”); il aligne une courte intervention de
Joe Venuti (qui remplace la clarinette), Louis et Tea. Pas plus long est ce bon
«Lazy River» où les seules vedettes sont Louis (scat puis coda à la trompette)
et son complice Mr Tea. L'émission suivante depuis Los Angeles commence par un
bref «Sleepy Time Down South», générique du All-Stars. On écoutera Earl Hines
qui joue derrière chaque annonce. Il faut aussi prêter attention à son
accompagnement derrière Teagarden (solo de trombone de «Back O'Town Blues»,
partie chantée de «A Hundred Years From Today»). Louis ne joue que le point
d'orgue de «Pale Moon» interprété en trio par Earl Hines (jeu de balais de Sid
Catlett!). Barney Bigard offre un beau «Body and Soul», une de ses «spécialités».
Jack Teagarden joue «Goin' Home» de Dvorak en introduction de «A Song Was Born».
Le «Mahogany Hall Stomp» bénéficie d'une meilleure qualité d'enregistrement;
Louis y est brillant et y reprend son solo historique. Le solo d'Earl Hines
dans «Sheik of Araby» dévolu à Teagarden sonne «moderne» dans ce contexte. Le
coffret se termine par un «Ain't Misbehavin'» pris sur le vif par un amateur,
lors d'un concert à Cincinnati: belle ambiance des concerts de Louis Armstrong
qui ne pouvait que déclencher l'enthousiasme. Louis Armstrong fut et reste
indispensable.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Louis Hayes
Serenade for HoraceEcaroh,
Señor Blues, Song for My Father*, Hastings Street, Strollin', Juicy Lucy,
Silver's Serenade, Lonely Woman, Summer in Central Park, St. Vitus Dance, Room
608
Louis Hayes (dm), Josh Evans (tp), Abraham
Burton (ts), Dave Bryant (p), Dezron Douglas (b), Steve Nelson (vib)+ Gregory Porter (voc)*
Enregistré à New York, date non précisée
sur le livret, prob. 2017
Durée: 59' 12''
Blue Note 0255761782 (Universal)
Un hommage à Horace Silver, voulu et dirigé
par le splendide Louis Hayes qui vécut, comme il le raconte dans son interview
du n°685 de Jazz Hot, un des temps
forts, la période fondatrice de la formation du grand compositeur-arrangeur et
leader, ne peut être anodin. Rien n’est venu du hasard, et les multiples fils
invisibles qui concourrent à faire un beau disque tiennent autant à cette
mémoire qu’à ces liens pour la préparation de ce disque, à l’enregistrement lui-même
et au talent des musiciens: la connexion avec Maxine Gordon, pour la
production, qui accompagna en tant que manager le groupe de Louis Hayes avec
Woody Shaw et Junior Cook dans les années 1970, et qui permet à cet
enregistrement d’être chez Blue Note, comme ceux de la légende; la bonne
connexion avec le label en la personne de Don Plas; la réunion d’une équipe de
(relativement) jeunes talants autour du fils spirituel Dezron Douglas
(coproducteur), la présence du fidèle Abraham Burton, la participation de Steve
Nelson, sûr de son art: tous ces ingrédients font de cet enregistrement un
moment spécial dans l’itinéraire d’une des bibliothèques du jazz, Mr. Louis
Hayes.
Si on ajoute que Louis Hayes a perpétué
depuis près de soixante ans dans ces groupes l’héritage d’Horace Silver, enrichi de
toutes ses autres rencontres (cf. son incroyable discographie), on peut
aisément comprendre que chacun des thèmes est fidèle à l’intensité et à la
profondeur de cette musique. Il y a bien sûr la splendeur des
compositions d’Horace Silver, une des composantes de la magie de cette musique,
la tonalité des arrangements auxquels sont restés fidèles les musiciens sans
exception, avec une vraie liberté, celle, savante, qui consiste à posséder la
conscience que pénétrer dans une œuvre comme celle d’Horace Silver nécessite de
la connaître et de mettre en valeur ses subtilités plus que des ego. On peut être sûr que Louis Hayes, sans
avoir besoin de parler, par son jeu également d’une belle subtilité, par sa
présence, est pour beaucoup dans la qualité de l’hommage.Pour cet enregistrement, le grand batteur a
composé un thème, «Hastings Street», dans l’esprit, dont il raconte la genèse
dans le livret avec l’enthousiasme du jeune homme. Grégory Porter fait une
apparition sur un thème, à distance semble-t-il, ce qui est dommage, surtout
pour lui, car le thème, «Song for My Father», est l’un des plus émouvants
d’Horace Silver.Dave Bryant, à la délicate place du regretté Horace, est très
subtil dans ses renvois au Maître, et Steve Nelson apporte une belle couleur
d’originalité au son d’ensemble. Abraham Burton, Dezron Douglas, Josh Evans
apportent leur complicité active à un Louis Hayes qui, fidèle à sa légende,
rayonne dans cette musique qu’il a contribué à créer voici 60 ans: un bel
ouvrage d’Art!
Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Gianluigi Trovesi
MediterraneamenteYesterdays,
Gargantella, Carpinese, Cadenze Orfiche, Tu ca nun chiagne,Tammurriata Nera, La
Suave Melodia, Le Mille Bolle Blu, Siparietto, Rina e Vigilio, In Your Own
Sweet Way, Materiali
Gianluigi Trovesi
(as, cl), Paolo Manzolini (g), Marco Esposito (b), Vittorio Marinoni (dm),
Fulvio Maras (perc)
Enregistré du
1er au 22 août 2016 et le 24 avril 2017, Cavalicco (Italie)
Durée:
44'
Dodicilune ED
379 (www.dodicilune.it)
Depuis son
premier album, Baghèt, il y a tout
juste quarante ans, le saxophoniste italien Gianluigi Trovesi enchante la scène
jazz. Dans ce disque avec son Quintetto Orobicoil, il a réuni ce qu’il appelle
des «Sérénades au parfum Méditerranée»; ce sont des mélodies
qui sentent bon l’Italie, le soleil et la mer bleue. Pour lui, la Méditerranée
va de Gibraltar aux Dardanelles et du Caire à Marseille; ce qui nous
vaudra des rythmes des différentes contrées. Gianluigi est lyrique à souhait,
avec retenue, et un beau son d’alto, gras et suave, épaulé par une guitare
enchanteresse, qui fait danser la mélodie, et qui tour à tour évoque, suggère,
le luth, le oud, la mandoline, le bouzouki, mais sait aussi jouer guitare
saturée. Il se révèle un guitariste de jazz plus qu’intéressant sur «Rina
e vigilio», soutenu par la basse chantante. Dans les «Cadenze
orfiche» la contrebasse se pose en lyre orphique, sur des cadences
méditerranéennes. On a parfois des contrastes funk-tarentelle comme sur
«Tammurriata nera» ou encore «Siparietto». Si vous voulez
fondre de tendresse par un beau soir sous la lune de Naples, il faut écouter
«La suava melodia», ô combien suave! Trovesi est aussi
cajoleur, et même encore plus, à la clarinette, «Le mille bolle
blu» vous convaincront sur un rythme de tarentelle adapté jazz, avec une
contrebasse charmeuse. Ce Quintetto est aussi capable de s’énerver comme sur
«Materiali». A noter que batterie et percussions sont assez
discrètes, mais sont toujours là quand il le faut. Les morceaux sont de
Gianluigi Trovesi et de différents compositeurs italiens, sauf deux standards
«Yesterdays» de Jerôme Kern (très court) et «In Your Own
Sweet Way» de Dave Brubeck.
Un disque
joyeux, dansant, plein de charme et de rêve.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Kenny Barron Quintet
Concentric CirclesDPW, Concentric Circles, Blue Waters, A Short Journey, Aquele
Frevo Axé, Von Hangman, In the Dark, Baile, L's Bop, I'm Just Sayin', Reflections
(p solo)
Kenny Barron (p), Kiyoshi Kitagawa (b), Johnathan Blake
(dm), Mike Rodriguez (tp, flh), Dayna Stephens (ss, ts)
Enregistré les 19-20 mars 2017, New York
Durée: 1h 06' 17''
Decca/Blue Note 6747897 (Universal)
Le langage du jazz est porté par les artistes du jazz et par
ceux dans l’audience qui en comprennent la langue, qu’ils soient artistes,
critiques, producteurs ou simplement amateurs de jazz. Une langue, celle du
jazz en particulier, répond à des codes maîtrisés, parfois écrits ou repérés
(le blues-l’esprit, le swing-le phrasé, le récit-la mélodie, l’expression-l’humanité),
mais également à un état d’esprit, un vécu, une histoire collective et sa
mémoire, à la personnalité de l’artiste et à sa biographie, en quelques mots à
l’âme (soul) et à l’esprit du jazz qui rassemblent les racines et l’histoire du
jazz et des hommes. Les millions de fils invisibles qu’il faut à Kenny Barron pour réussir encore
et toujours à tisser de si belles créations et nous faire voyager par son
imagination, relèvent de la magie de la création dans le cadre d’un art
populaire, difficile à comprendre pour les amateurs ou à décrire pour les
critiques, écrivains qui ne s’investissent pas dans une connaissance profonde
du jazz, qui ne prennent pas de risques non plus, difficile à s’approprier par
les musicien(ne)s, même parfois célèbres, qui n’en ont pas compris le caractère
indispensable pour leur expression.
Kenny Barron est un modèle d’artiste. Son intelligence
profonde est intimement mêlée à cette conscience culturelle, et ce qu’il offre,
en concert ou en disque, est d’une profonde intégrité artistique, sans fard. Sa
musique puise aux racines pour enrichir le patrimoine du jazz (la plupart des
compositions sont de lui) avec ce qui fait sa personnalité: une passion pour Thelonious Monk (qu’il honore dans un
dernier thème en solo, «Reflections»), une amour des belles mélodies et des
rythmes latins si présents dans le jazz à New York («Aquele Frevo Axé» de
Caetano Veloso, «Baile», etc.), et une parfaite possession du jazz en petite
formation qu’il illustre depuis soixante ans, offrant, à partir d’une section
rythmique splendide –une école en livepour les nombreux musiciens qu’ils entourent de son savoir (Kiyoshi Kitagawa et
Johnathan Blake sont impressionnants de complicité)– le cadre idéal à de beaux
arrangements ici pour quintet. Mike Rodriguez, le Latin du groupe, venu de
Miami, est né en 1979 et malgré son jeune âge possède un cursus déjà riche en
big bands en particulier. Le New-Yorkais Dayna Stephens (né en 1978), son
complice parfois, possède aussi un impressionnant CV qui lui a permis de côtoyer
la scène du jazz avec une vraie reconnaissance de ses pairs. Tous les deux
s’élèvent au contact de la formidable section rythmique, comme en transe, car
cette dimension du jazz, de cette culture plus largement ne peut être ignorée
dans des œuvres de ce niveau.
Kenny Barron reste lui-même, ce pianiste volubile qui remplit
l’espace, le structure par ses accords plaqués avec une virtuosité infinie,
qu’il enrichit de ses chorus foisonnants qui possèdent une dimension de rêve,
une intensité qui dénotent l’Artiste de jazz. Les Concentric Circles de Kenny Barron ne sont pas un titre au hasard;
il suffit d’écouter le thème ainsi nommé ou «L’l Bop» ou «I'm Just Sayin’»,
pour comprendre comment cette figure répond si bien à l’inspiration de Kenny
Barron, à sa façon de creuser la matière, de tourner autour,sur le plan
mélodique et rythmique, finalement dans l’esprit de Thelonious Monk même si la
manière est autre. Les rythmes portent cette trace géométrique, avec une façon
de faire tourner le temps très latine (Kenny Barron a retenu beaucoup de Dizzy
Gillespie qu’il a côtoyé).
Ecouter Kenny Barron, où qu’il soit, en live ou en disque, est un privilège de notre temps. Il offre, avec quelques autres
depuis les origines de cette culture, l’une des plus belles synthèses
artistiques de l’histoire du jazz, avec respect et intégrité, avec un génie
égal à celui de ses inspirateurs qui ont fait la légende du jazz, avec la même
capacité de transmission envers ses pairs et ses enfants spirituels, qu’ils
soient directement dans son orchestre, comme ici, ou parmi les jeunes artistes
de jazz qui ont la chance et la curiosité de l’écouter, mais aussi vers ce
public, une partie du moins, celle qui a la sensibilité et la culture pour
comprendre qu’un «Reflections» de Kenny Barron, celui de ce disque, est comme
un Rodin, un Chagall, un Renoir: du grand Art populaire, le seul art qui fasse
sens car il est pétri d’humanité, de mémoire et de liberté.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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George McMullen Trio
Boomerang
Boomerang,
Follow the Bouncing Ball, Improv I: Earth Mystery, I Loved her Laugh, The Open
Gate, Improv II: Air Currents, Geonomic Preview, Waiting, Improv III: Prairie
Wind, Dirty Stinking Lowdown Cryin’ Shame, Improv IV: Fire Dancing
George
McMullen (tb), Nick Rosen (b), Alex Cline (dm, perc)
Enregistré le
16 août 2015, Los Angeles (Californie)
Durée:
54'
pfMentum 120 (www.pfmentum.com)
Geoge
McMullen est un tromboniste éclectique puisqu’il joue du rock, de la pop, du
latin jazz et du jazz inspiré par le bebop, comme dans ce disque en trio. C’est
le type même du musicien polyvalent qu’on retrouve à la télé, sur les bandes
son de films, dans les studios, etc. C’est un excellent technicien, avec un son
cuivré et qui manie parfaitement la coulisse. On entend qu’il a écouté, et
sûrement travaillé, les grands contemporains de l’instrument. Il utilise
volontiers les growls, les explosions, les glissandos, le wa-wa, les souffles,
les bruits dans l’embouchure, et autres trucs, sans parler de quelques
incursions free. Bref toute la panoplie. Il a trouvé un bon batteur, Alex
Cline, frère du guitariste Nels Cline, et qui a participé à quelques
quatre-vingt disques, joué avec pas mal
de pointures(Tim Berne, Arthur Blythe, Charlie Haden, Frank Morgan). C’est
un batteur coloriste de la descendance Paul Motian. Le contrebassiste est un
multi-instrumentiste, compositeur et directeur de club. Il a tourné avec Arthur
Blythe et d’autres groupes. Un gros son, il joue volontiers dans le grave, et
ponctue les phrases du trombone, en partage avec la batterie. Il est capable de
faire la pompe, et bien, comme dans «Geonomic Preview» dans le
lequel le trombone joue avec un phrasé bop; le morceau le plus
intéressant du disque. A noter «Waiting» sur tempo très lent duquel
naît un certain lyrisme. Pour le reste, c’est une musique assez raide,
technique –on sent que le tromboniste veut montrer toutes ses facettes–, un
jazz de chambre froide, entièrement composé par le leader.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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John Coltrane
Both Directions at Once: The Lost AlbumUntitled Original 11383 (Take 1), Nature Boy, Untitled
Original 11386 (Take 1), Vilia (Take 3), Impressions (Take 3), Slow Blues, One
Up-One Down (Take 1)
John Coltrane (ss, ts), McCoy Tyner (p), Jimmy Garrison (b),
Elvin Jones (dm)
Enregistré le 6 mars 1963, Englewood Cliffs (New Jersey)
Durée: 47' 07''
Impulse! 00602567639251 (Universal)
Miracle de la mémoire et de l’enregistrement, si consubstantielles
du jazz, en la matière les archives de Naïma Coltrane et de sa famille, ces
pistes notées comme perdues (cf. Jazz Hot n°492, p.33), voici un album inédit de John Coltrane, une nouveauté donc de
l’année 1963, une excellente année en termes artistiques pour le jazz et pour
John Coltrane en particulier. John Coltrane, qui vient d’enregistrer fin 1962
un album avec Duke Ellington (Impulse! AS30), enregistre le lendemain 7 mars avec
Johnny Hartman (Impulse! AS40) l’un de ses plus célèbres disques, et va
produire en 1963 Impressions (Impulse!
AS42), un Live at Newport (Impulse!
AS9161/AS9346-2), un Live at Birdland (Impulse! AS50), faire une tournée européenne immortalisée par un concert à
Berlin (Pablo) mais également Copenhague, Stuttgart, Stockholm, Paris (alors
enregistrements privés aujourd’hui partiellement publiés par Pablo). Puis il
enregistre en fin d’année pour la télévision, et toujours chez Rudy Van Gelder
pour Impulse!, une série d’immortels dont le splendide «Alabama» en liaison
directe avec les événements tragiques que vit l’Amérique.
Car 1963 est une année charnière en matière de lutte pour
les Droits civiques des Afro-Américains, pour un artiste qui colle, par sa
personnalité très intense, à l’atmosphère du temps aux Etats-Unis, où le jazz,
comme toujours même si peu le disent au sein de la critique dite «de jazz»,
épouse, précède et suit, participe à, est imprégnée de, l’histoire de la
communauté afro-américaine, de sa réalité culturelle et de ses luttes. C’est un élément qui s’interpénètre avec la biographie de
John Coltrane, avec ses recherches spirituelles et plus largement d’homme,
d’artiste, d’Afro-Américain dans ce pays qui a toujours (en 2018) du mal avec
le concept d’égalité, tare qu’ils ont réussi à transmettre même à la France, le
pays qui l’inventa.
Cela dit, ce disque est un réel grand moment à ranger aux
côtés des autres œuvres coltraniennes. Si «Impressions», «Vilia» ont été
enregistrés et publiés la même année et de nombreuses fois pour le premier dans
l’ensemble de l’œuvre, «Nature Boy» est plus rare (quatre versions en 1965), et
les autres thèmes sont parfois une première, ceux sans titres (à base de blues)
en particulier. La musique du saxophoniste est toujours aussi intense,
puissante, convaincue, avec ce côté preachvenu de l’histoire individuelle et collective, d’autant que, dans ces pièces,
ses partenaires du légendaire quartet donnent encore le meilleur d’eux-mêmes
comme ce beau chorus à l’archet de Jimmy Garrison («Untitled Original 11383»);
McCoy Tyner et Elvin Jones sont essentiels en permanence car le groupe n’aurait
pas et n’a pas eu d’ailleurs le même son, la même intensité sans eux.
Ashley Kahn, le spécialiste biographique de John Coltrane actuellement en
poste, nous gratifie d’un reportage en livede cette session, comme si on y était, où il note avec raison l’intensité du
travail quotidien de Rudy Van Gelder pour le jazz, et apporte un commentaire
attentif aux prises enregistrées. On devine dans la rédaction des informations qu’il y aura
bientôt une suite des albums perdus (ce disque est noté [disc 1] dans les
informations internes au CDs lisibles par ordinateur). On ne va pas s’en
plaindre car la discographie de John Coltrane (déjà à compléter depuis 1992 et
1998 pour Jazz Hot) mentionnait un
assez grand nombre d’enregistrements privés et de sessions perdues. A suivre
donc, et avec impatience car les amateurs de jazz ne sont pas immortels
contrairement aux œuvres.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Thomas Ibanez Quartet
If Ever I Would Leave YouWailin', Trane's Mood, Embraceable You, On the Road*, Happy
Feeling*, Spring Is Coming*, A Day With You*, Theme For Ernie, If Ever I Would
Leave You, Park Avenue*
Thomas Ibanez (ts), Patrick Cabon (p), Thomas Posner (b),
Philippe Maniez (dm) + Fabien Mary (tp)*, David Sauzay (ts)*
Enregistré les 18-19 décembre 2017, Meudon (78)
Durée: 59' 46''
Jazz Family 044 (Socadisc)
Voici un excellent disque de jazz par un bon quartet, dans une
tradition non dissimulée («Trane’s Mood», «Theme for Ernie»), celle du post bop
autour des beaux sons de ténor qu’ils se nomment John Coltrane, Sonny Rollins,
Johnny Griffin et même en remontant le temps Dexter Gordon et quelques autres.
Thomas Ibanez, le leader, possède en effet un beau son et une belle attaque
pour faire honneur à ses grands devanciers. La présence en invités de David
Sauzay et Fabien Mary sur certains thèmes («On the Road») ajoute une référence
à ces échanges aussi agiles que musclés qui font le bonheur des amateurs de
jazz.
Le quartet est à la hauteur avec une excellente rythmique,
dans l’esprit et qui possède les moyens d’une relecture ou d’une réinvention
(il y a une majorité d’originaux) d’un âge d’or musical. De l’excellent jazz,
avec tout ce qui importe aux artisans et partisans de cette musique, une belle
expressivité, les accents blues, la pulsation swing et l’énergie, le drive. Ce
n’est que le second enregistrement de Thomas Ibanez, il a donc un bel avenir
devant lui.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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William Chabbey Trio
Three Ways to a SoulCruise Control, Three Ways to a Soul, 11 rue Lepic, La Valse
des frangins, B.B. the King, Zanzibar, Idle moment, JS, Lawns, Into the Wild,
Dr Smith’s Prescription*, In My Life*
William Chabbey (g), Guillaume Naud (org), Mourad Benhammou
(dm) + Jonathan Chabbey (g)*
Enregistré en 2017, Maisons-Alfort (94)
Durée: 1h 04' 19''
Disques DOM 1263 (www.domdisques.com)
Guitariste à la corde sensible, William Chabbey s’exprime
avec naturel et poésie. Son parcours, comme son état d’esprit, résonnent dans
son abord de la musique, délicat et sans artifice. Simplement authentique. Et
il a su, par ailleurs, trouver des partenaires en osmose avec sa démarche. Mourad Benhammou, compagnon de longue date,
est connu pour sa finesse et sa musicalité. Pas étonnant donc que la relation
guitare-batterie fonctionne ici à plein. D’autant que William Chabbey –comme il
l’explique dans l’interview qui paraît dans ce n°685–, possède un jeu «posé sur
la batterie». Guillaume Naud, qui est venu constituer la troisième pièce de ce
trio, formé en 2016, apporte du relief et de la saveur à l’ensemble qui fait
directement référence à la formation Wes Montgomery-Mel Rhyne-George Brown
(album Portrait of Wes, Riverside,
1963).
Ce Three Ways to a
Soul est essentiellement constitué de compositions, majoritairement de la
main du leader. Elles sont notamment l’occasion d’hommages à deux grandes figures
de la guitare: B.B. King, avec un jolie ballade blues bénéficiant des
enluminures «churchy» de Guillaume Naud: «B.B the King» (un des meilleurs
titres du disques); et John Scofield sur un morceau plus nerveux, «JS», bien
dans l’esprit de Sco, et où Mourad
Benhammou a l’occasion se sortir son drive au swing réjouissant. Un autre
original de William Chabbey évoque le regretté club Atour de Midi… et Minuit:
«11 rue Lepic», soit l’adresse de ce lieu prisé des beboppers parisiens. Et
c’est justement un bop rapide et incisif qui vient nous remémorer cette cave où
le guitariste a tenu une jam-session pendant de longues années. Les changements
d’esthétique, au long de l’album, bop ou blues, voire funky («Dr Smith’s
Prescription») attestent d’un registre jazz étendu, sachant embrasser cette
musique dans ses différentes composantes. A noter, enfin, la présence, en
invité, du fils de William, Jonathan Chabbey (auteur de deux compositions) et
qui interprète, simplement en duo avec son père, «In My Life», du tandem
Lennon-LcCartney. Une conclusion tout en douceur avec un titre pop ramené à ses
influences blues.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Jeb Patton
Tenthish, Live in New York
Zec, Tenthish, Third Movement, This Can't Be Love, Reflections
in D, Sophisticated Lady, Johnny Come Lately, I'll Never Stop Loving You, Royal
Garden Blues/Kelly Blue, Overtime
Jeb Patton (p), David Wong (b), Rodney Green (dm)
Enregistré le 20 mars 2018, New York
Durée: 57' 31''
Cellar Live Records 40818 (www.cellarlive.com)
Jeb Patton n’est pas tombé dans la marmite du jazz à
proprement parler, mais il a eu la grande chance dans son itinéraire, au départ
classique sur le plan musical, de croiser la route de musiciens de jazz de
premier plan: celle d’abord de Paul Jeffrey, saxophoniste ténor qui appartint à
la formation de Thelonious Monk et arrangea pour Charles Mingus. Puis sur sa
lancée, Jeb Patton bénéficia de l’enseignement du grand Roland Hanna, pianiste émérite
et pédagogue inspirant. Enfin, c’est sans doute sur les conseils de Roland
Hanna que le jeune Jeb Patton embarqua dans le vaisseau des Heath Brothers,
sous la bienveillance attentive de Jimmy. C’est ce qu’il raconte, avec d’autres
choses, dans une interview publiée dans Jazz
Hot n°680. Aujourd’hui, il a pris son envol, et s’il est peu connu
encore en Europe, sa renommée n’est plus à faire à New York où est enregistré
ce disque exceptionnel d’intensité, sans doute aussi en raison des conditions
du live, car l’enregistrement a eu
lieu au Mezzrow, le club de Spike Wilner, un autre pianiste (cf. Jazz Hot n°678).
Secondé par les excellents David Wong (Heath Brothers, Roy
Haynes, Kenny Barron…) et Rodney Green (Joe Henderson, Eric Reed, Mulgrew
Miller, Benny green, Tom Harrell, Christian McBride…, cf. Jazz Hot n°669), Jeb Patton donne un album magnifique où l’on
admire l’étendue de sa culture pianistique, un véritable hommage au piano jazz,
de Willie the Lion Smith à Wynton Kelly («Kelly Blues»), Tommy Flanagan («Zec»)
et McCoy Tyner, une de ses premières inspirations, en passant par Art Tatum
(«Royal Garden Blues»), Duke Ellington, Billy Strayhorn, Phineas Newborn, tant
sur le plan stylistique que sur celui du répertoire. En fait, c’est aussi un
hommage à son Maître, Roland Hanna, un virtuose de la synthèse en matière de
piano jazz, expert culturel du piano, pas seulement dans le jazz. Par les
références choisies, on constate que Jeb Patton a bien intégré le message en
matière de culture jazz, même si chaque thème est personnalisé. Evidemment, dans cette soirée en club, il y a le retour de
la salle, l’énergie du live et aussi
la couleur de Jeb Patton lui-même, dans l’esprit du beau piano jazz actuel si
pourvu de beaux talents. David Wong et Rodney Green sont parfaits.Un disque de jazz passionnant, dans la grande
tradition. «Tenthish», qui donne son nom au disque, est une belle composition
de Jeb Patton. «Overtime» de Phineas Newborn, qui ponctue ce disque, est un
morceau de bravoure. Ne se frotte pas à Phineas Newborn qui veut, et ici, c’est
une belle version sans faiblesse par rapport à l’original.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Matthew Shipp
Symbol SystemsMatthew Shipp (p)
Clocks, Harmonic Oscillator, Temperate Zone, Symbol Systems,
The Highway, Self-Regulated Motion, Frame, Flow of Meaning, Dance of the Bue
Atoms, Bop Abyss, Nerve Signals, Algebraic Boogie, The Invention Part 1 and
Part 2
Enregistré le 22 novembre 1995, New York
Durée: 1h 00' 55''
Hatology 749 (Outhere)
Matthew Shipp est un pianiste qui a traversé plus ou moins
le free; il en a la liberté, mais ses morceaux et ses improvisations sont
très structurés, ce qui le met un peu à part du mouvement. C’est un pianiste du
genre percussif, qui joue le plus souvent à pleines mains, en utilisant
volontiers des martèlements répétitifs dans le grave, avec une grande
utilisation des blockchords, ainsi dans «Harmonic Oscillator». Il
aime aussi laisser résonner la note, donner sa place au silence («Cloks»)
ou bien saturer l’espace («The Highway»). Parfois les deux mains se
courent l’une après l’autre en cascadant, écouter («Flow of
Meaning» au titre approprié). Il utilise les cordes pincées mêlées au
silence «Temperate Zone». Ou bien se bat avec le piano («Dance
of the Blue Atoms»). Les tempos sont rapides, (sauf le début de
«Frame») avec un petit parfum de ballade jazz. On a même des éclats
de bebop sur «Bop Abyss». Je remarque que les titres des
compositions de Matthew Shipp, aussi bizarres soient-ils, mais compréhensibles
à l’inverse de ceux d’Anthony Braxton, collent à la musique.
En somme, un pianiste brillant, qui maîtrise parfaitement sa
musique tout en se gardant une grande liberté d’expression; une musique
qui relève plus de la musique contemporaine que du jazz, même si le swing est
parfois légèrement induit.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Jazz From Carnegie Hall
Live in Paris: 1er octobre 1958Dahoud, Afternoon in Paris, Blue Lou, Star Eyes, Laverne
Walk, Stardust, This Can't Be Love, Bag's Groove, It's Alright With Me, Mad
About the Boy, Bernie's Tune
J.J. Johnson (tb), Kai Winding (tb), Lee Konitz (as),
Phineas Newborn Jr. (p), Red Garland (p), Oscar Pettiford (b), Kenny Clarke
(dm)
Enregistré le 1er octobre 1958, Paris
Durée: 1h 08' 24''
Frémeaux & Associés 5721 (Socadisc)
Dans le cadre des tournées du producteur britannique Harold
Davison qui, à l’instar de Norman Granz, voulait proposer des all stars du jazz
sur les grandes scènes européennes –une volonté éphémère, on retrouve ces
enregistrements effectués à Paris à l’automne 1958, et renseignés comme dûs à Europe 1 et à l’équipe Ténot-Filipacchi.
Il se déroule à l’Olympia où l’équipe Ténot-Filipacchi avait ses habitudes. Le
all stars réunit des musiciens d’horizons différents, bien que de génération
commune dans l’ensemble, et tous les musiciens connaissent déjà le lieu pour y
être venus, notamment par l’intermédiaire de Norman Granz. De fait, ils
alternent selon les thèmes, comme c’était l’habitude dans ces formules. Le duo J.
J. Johnson-Kai Winding, Lee Konitz,étant accompagné par la rythmique de luxe. La tournée parcourt les
places fortes du jazz européen (La Grande-Bretagne, la Scandinavie, les
Pays-Bas, l’Allemagne et la France. Deux des trois bandes de ce concert ont disparu
selon le livret bien détaillé sur les circonstances de cet enregistrement. Il
reste donc un document historique avec notamment les fabuleux Oscar Pettiford
(«Laverne Walk»), Phineas Newborn («Daahoud», «Afternoon in Paris»), Red
Garland (les autres thèmes), un Kenny Clarke magnifique de nuance et de
précision en toutes circonstances. Ce disque complète ainsi l’œuvre enregistrée
non connue jusque là de géants du jazz, et c’est toujours une bonne nouvelle.
Sachant qu’il y a deux autres bandes de ce concert, on peut espérer…
Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Fred Farell
Distant Song
Broken Wing,
Lonnie’s Song, Forgotten Fantasies, Leaving, Tomorrow’s Expectations, Sunday
Song, Mitsuku, Zal, Places, Distant Song
Fred Farell
(voc), Dave Liebman (as, ts, fl), Richie Beirach (p)
Enregistré les
10 et 11 juin 2015, Saylorsburg
(Pennsylvanie)
Durée:
59' 44''
Whaling City
Sound 103 (www.whalingcitysound.com)
Le chanteur
Fred Farell n’est pas très connu en France. Il a fait ses débuts à fin des
années 70 à New York. Il n’a pas une grande carrière derrière lui, mais il a
chanté avec Dexter Gordon, Barry Harris, Kenny Barron, Rufus Reid. Il fait partie de différents groupes vocaux. Il chante façon Mel
Tormé, en plus puissant, avec une technique proche de celle de David Linx, dans
un registre de baryton-ténor, avec une voix très chaude; un crooner sans
mièvrerie. Il chante les mots, joue des silences; pas d’esbroufe,
d’exploits techniques, rien que de la musique. Il est magnifiquement encadré
par deux jazzmen de poids, deux grands lyriques; ce qui donne un trio
parfait tant les voix se fondent en un tout et chacun s’enrichissant des deux
autres.
Tous trois
sont délicieux de délicatesse, de tendresse, et de force expressive. C’est une
musique suspendue dans des nuages de beauté. Le son du soprano est une gâterie,
moelleux, juteux, juste ce qu’il faut de velours, et tout cela sans vibrato. Il
s’enroule autour du chant, cisèle la mélodie, et s’envole dans des solos à
frémir de bonheur. Quant au pianiste, lui aussi adepte du beau son, de la
retenue, des silences plein de musique, un charme nocturne à la Chopin. Ce qui
n’empêche pas la force, le choc de
l’expression, et harmonies troublantes. A noter que Dave Liebman ne prend le
ténor que sur «Tomorrow’s Expectations» et «Distant
Song», chaud, puissant, avec des graves amples, veloutés, qui s’enroulent
et se déroulent autour de la voix. Aussi qu’il intervient à la flûte en bois
sur «Leaving» avec les mêmes qualités qu’au soprano auxquelles
s’ajoutent le son boisé et le souffle qui transparaît. Deux morceaux instrumentaux:
«Zal» dans lequel le soprano se promène allègrement et avec chaleur
dans les aigus, tandis que le pianiste devient romantique, très beau; et
«Forgotten Fantasies», une exquise ballade. Ces deux thèmes nous
donnent l’occasion d’apprécier l’art du duo exprimé par deux maîtres en la
matière. Les paroles des chansons sont de Fred Farell et les musiques de Richie
Beirach et Dave Liebman. C’est donc bien un travail complet à trois voix, de A
à Z. Un disque qui
retient son souffle pour toucher au cœur.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Luigi Grasso - The Greenwich Session
Invitation au voyageSiebenTVSenderJazZappen, Lonely Paris, Taksim Olaganustu
Hal, Fears disappear, Mariposas Mambo, Invitation au voyage, Donde Vamos
Luego, ?, Crepuskle Van A Svart Nacht, Champagne Is to Blame, Turbo Shot,
Mille Arrivederci
Luigi Grasso (dir, arr, as, bar), Pasquale Grasso (g), Ari
Roland (b), Keith Balla (dm), Balthazar Naturel (ehrn, ts), artmand Dubois
(frh), Thomas Savy (bcl), Thomas Gomez (as), Fabien Mary (tp), Bogdan Sydorenko
(bhrn), Joan Mar Sauque Vila (tp), China Moses (voc), Paola Mazzoli (voc)
Enregistré du 3 au 5 mars 2017, Paris
Durée: 52' 06''
Camille Productions MS 042018 (Socadisc)
Ce disque de jazz sort de l’ordinaire, même si dans le jazz
l’ordinaire est souvent fait d’extraordinaire, car Luigi Grasso (cf. interview
dans Jazz Hot n°675) a composé et
arrangé tous les thèmes de cet enregistrement, à l’exception de «Turbo Shot» de
la plume de son frère guitariste, Pasquale, présent sur l’enregistrement. Mais
il a également choisi une moyenne
formation originale: du nonet au onztet, avec une présence massive, autour
d’une section rythmique sans piano (guitare-contrebasse-batterie),
d’instruments à vent (saxophones, clarinettes, hautbois, trompettes) avec des
arrangements jazz très élaborés. Tout cela donne une dimension très
cinématographique à l’ensemble de ce disque. Un univers original sort de cette Invitation au voyage, et si le
talentueux saxophoniste persiste dans cette veine, il pourra se
targuer de ce qu’on appelle une originalité créatrice et d’une œuvre.
Pour situer, avant votre écoute, cet enregistrement, on
pourrait évoquer d’autres grands compositeurs qui ont su par le choix de leurs
voix-instruments et par des arrangements particuliers, inventer un univers:
Charles Mingus ou Oliver Nelson par exemple et au niveau des compositions:
Billy Strayhorn ou Tadd Dameron. Mais ici, il s’agit de Luigi Grasso, et s’il n’y a pas la puissance
culturelle et le blues de Charles Mingus, la solennité et le blues d’Oliver
Nelson, il y a une belle écriture très illustratrice des voyages que raconte
Luigi Grasso avec ses qualités de virtuosité et de lyrisme inspirées par
Charlie Parker et Don Byas, de musicalité et de conteur d’histoires inspirées
par sa culture italienne et sa rencontre avec le jazz. Pour être complet, signalons l’intervention de Paola
Mazzoli, une voix classique qui se marie parfaitement aux arrangements pour un
résultat qu’on pourrait rapprocher au niveau de l’atmosphère de ces univers du
tournant du XIXe et XXe siècle, malgré leur couleur jazz anachronique, tout à
fait dans l’esprit pour cette «Invitation au voyage» dont le texte (Baudelaire)
fut illustré musicalement aussi bien par Emmanuel Chabrier que par Léo Ferré.
China Moses fait aussi partie du voyage, et elle apporte la couleur blues, le
blues des racines, dans laquelle les musiciens se glissent avec délectation.
Les deux dernières pistes offrent à Pasquale Grasso la place de soliste
aménagée par Luigi avec ses bons arrangements. Dans la famille Grasso, le
guitariste est digne en tous points du saxophoniste qui lui répond sur le
dernier thème, pour une belle musique de jazz dont l’originalité et le
dynamisme n’échapperont à personne.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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Randy Weston
Sound-Solo PianoCD1: The Call, Softness, Kucheza Blues, Childrens Icicle
Song, African Lady, Pretty Strange, Willies Tune, Nite In Medina, Sister
Gladys, Yesterdays, Beef Blues Stew, Blues Blues, Tanjah, Solemn Meditation,
Love the Mystery of
CD2: Ancient Blues, Old Blues, Portrait of Vivian, Portrait
of Billie Holliday, Calypso, Little Susan, Marrekach Blues/Royal Lady, Loose
Wig, In Memory of, How High Is the Moon/Get Happy, Sound Colors & Rythms,
Chessman Delight, Portrait of the Hawk, Tea For Two, Tangier Bay, Royal Duke,
All the Things You Are, Darn That Dream, Perdido, Nobody Knows The Trouble I
Have Seen, The Black Church, Conversation, Chromatic Love Affair, Fire Down
There
Randy Weston (p)
Enregistré les 17-18 juillet 2001, Montreux (Suisse)
Durée : 59' 19'' + 1h 06' 54''
African Rhythms/Randy Weston (www.randyweston.info)
«Le jeu de piano de
Weston a sa propre individualité. Quand Randy joue, une combinaison de force et
de douceur, de virilité et de velours émerge des touches dans un flux et reflux
du son apparemment aussi naturel que les vagues de la mer.» Langston Hugues.
D’hier ou d’aujourd’hui, Randy Weston est un merveilleux
conteur d’histoires extraordinaires, porteur d’une culture ancestrale que lui a
transmise son père mais aussi dont il a recueilli, lui-même, les multiples
fils, depuis son Brooklyn jusqu’à son Maroc d’adoption et dans son Afrique retrouvée
et réinventée, ou dans cette Europe tant visitée, tissant avec ces milliers de
fils choisis de toutes les origines une toile d’une invraisemblable richesse, luxuriante
comme une jungle, infinie comme le désert et l’océan. On trouve dans ce monde merveilleux de Randy Weston les
traces des impacts de tous ces astres qui l’ont visité et percuté: Louis
Armstrong, Duke Ellington, Billie Holiday, Sonny Rollins, Thelonious Monk, Max
Roach et beaucoup d’autres dans le jazz, mais aussi de Debussy, Ravel ou de ses
fameux grands ancêtres africains qui ont imprégné sa musique d’une telle
richesse rythmique, d’une telle puissance d’imagination, d’un horizon sans
limite.
Cet enregistrement de 2001 à Montreux, constitué d’une suite
ininterrompue de thèmes, de portraits, qu’édite et produit Randy Weston
lui-même, est un véritable chef-d’œuvre de lyrisme dans lequel on se laisse
emporter par les traditionnels accents du grand artiste: le blues, la puissance
expressive, la pulsation rythmique des tambours accordés de ces dix doigts, la
beauté du son, la solennité, les écarts entre graves et aigus, les reliefs, les
angles, les éclats de cette matière sonore sculptée sans perdre la respiration
du swing de sa musique native, sans reprendre son souffle, sans perdre le fil
d’un récit teinté de toutes les couleurs, occidentales et orientales, ce
nouveau monde tel que Randy Weston l’a inventé, sans frontières… Pour rentrer dans l’univers de Randy Weston, il faut
accepter le dépaysement, de confier son corps et son esprit (body and soul) à un artiste d’une
exceptionnelle invention capable de tout transfigurer, de tout magnifier. Si
dans cet enregistrement l’essentiel des compositions sont de lui, il y a
également quelques compositions du jazz (« Perdido », Ellington) ou
des standards (« Yesterdays », Kern), et la réinvention que Randy
Weston fait de l’ensemble de ces belles pierres du jazz est une splendide parure
de deux disques de l’orfèvre Randy Weston. Pour les personnes qui ne comprennent pas en profondeur la
liberté et son exigence de mémoire, de dynamisme et d’imagination (la vraie
culture), d’authenticité, et leur caractère indispensable dans la création,
l’audition de Randy Weston pourrait être une véritable révélation. Dans un tel
enregistrement, il y a tous les arguments pour comprendre ce que sont le jazz-blues,
l’art, l’expression, la culture… Il faut simplement écouter et être doté de
sensibilité, de sincérité.
Etre rationnel n’empêche pas de penser qu’il existe une
magie certaine dans l’alchimie culturelle mûrie par des siècles de richesses
humaines, quand elle est concentrée, condensée, avec une telle intensité, dans
l’histoire et l’expression d’un seul artiste. Ça peut paraître injuste et hors d’atteinte pour les autres
artistes, ça nous paraît simplement merveilleux de pouvoir côtoyer, écouter un
tel géant de l’Art, un Michel-Ange du jazz.
PS: Cette chronique
écrite en juillet 2018 sur ce double disque envoyé par Fatoumata et Randy
Weston, rencontrés à Paris en mai 2018, prend aujourd’hui 1er septembre 2018, jour du décès du magnifique Randy Weston, cette teinte de
nostalgie, de peine et de regret pour un musicien dont chacune des apparitions,
chacun des enregistrements étaient un moment sublime d’art, de culture et d'humanité...
Yves Sportis
© Jazz Hot n°685, automne 2018
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