Cuba en clubs et en concerts
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1 avril 2010
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La Havane, mars-avril 2010
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La scène du jazz dans la capitale cubaine reste toujours aussi animée. Quelques jeunes et bons musiciens sont partis tenter l’aventure sous d’autres cieux comme Carlos Sarduy, les frères Vistel, Rey Molina… Un de perdu, dix de retrouvés ! Cuba est une pépinière et régulièrement un nouveau nom émerge. On est à l’époque des pianistes. Il en éclôt chaque jour.
C’est l’un d’entre eux, Rember Duharte qui présente son premier disque le 25 mars à l’Auditorium du Musée des Beaux Arts, la scène cubaine la mieux équipée du point de vue du son. Nettement inspiré de Roberto Fonseca dans la manière de composer, d’interpréter (« Mutante », « Elena »), d’attaquer les touches du clavier, Duharte offre une musique qui plonge vers les racines afro-cubaines. Les premiers thèmes interprétés : « Cimarrón », « Dragón » et « Palenque » prennent aux tripes comme peut le faire un vieux blues. Cette ambiance noire s’atténue dans d’autres compositions comme « Samurai » et disparaît dans certains morceaux qui restent de bonne facture tels « Momentos » ou « Más que dos ».
Autour de son cuarteto habituel -Nautilus- (Alejandro Gisbert, b; Ivan González, ts ; Evaristo Denis, bs et Eduardo, dm) Duharte a réuni plus d’une dizaine d’invités qui ne sont pas les musiciens du disque mais qui s’inscrivent parfaitement dans l’esprit voulu par Rember. De ceux-ci émergent au fil des thèmes le maestro Giraldo Piloto (dr) et le virtuose bass-héros Osmar Salazar (qui eux ont participé à l’enregistrement) ainsi que le trompettiste Alejandro Delgado.
Le lendemain au Jazz Bar El Bosque pour sa peña bimensuelle Alexis Bosch (p) a rassemblé autour de son quartet ses invités habituels dont Orlando Sánchez (s), un jazzman aux idées très claires sur ce qu’est le jazz. Bosch propose des thèmes de son disque Round Tumbao mais la soirée tourne à la jam’session avec l’apparition de divers musiciens, El Greco (tb), Alejandro Delgado (tp) - vu la veille- Danae Blanco (voc) -une très belle voix s’exprimant en espagnol, anglais, portugais et paraît-il bientôt en français-, le bluesman anglais Josef Koumbas et, comme Alexis aime aider les jeunes, il invite aussi un sympathique groupe de rap étudiant, Lechuga Fresca, ainsi qu’une toute fraîche saxophoniste Lina Liset Saroza. Alejandro Falcón (p) pousse le boss à s’installer au clavier le temps d’un thème. Dans la salle on note la présence du grand timbalero Amadito Valdés.
Le même Alexis Bosch a été pressenti pour animer le lendemain une exceptionnelle descarga dans le cadre d’une émission de Radio Taino diffusée chaque samedi en direct dans le monde entier depuis le club de jazz La Zorra y El Cuervo. Deux heures de folie placées sous le signe d’une fête que célèbrent les membres havaneros du forum internet Jazz Mestizo. Se succèdent sur la scène entre maintes effusions les mêmes que la veille -Sánchez, Falcón, Danae- auxquels viennent s’ajouter mestizos et amis : Giraldo Piloto et Ramsés Rodríguez, batteurs essentiels du jazz de Cuba ; Robertico García, une solide trompette ; le jeune Abel Marcel (p) et, arrivé avec sa flûte, Orlando Maraca Valle qui ne se prive pas de s’inscrire dans cette descarga. Il est devenu rarissime de voir Maraca jouer dans un club de jazz. Les présents -et les auditeurs- pourront se targuer d’avoir participé à un moment très spécial.
Le 4 avril dans le même club se présente le saxophoniste César López et son Habana Ensemble. Malheureusement ce Habana Ensemble est un ersatz du véritable groupe de César et seul émerge, au milieu d’un pupitre de cinq jeunes saxophonistes… Abel Marcel (p), doté de réelles qualité. Malheureusement les musiciens arrivent au dernier moment, le son n’est pas réglé et López suspend provisoirement sa session le temps de régler.Même lieu, deux jours plus tard. C’est un ancien que nous revenons écouter : Lázaro Valdés. Les premières impressions sont positives. Lázaro est toujours un bon pianiste que nous pensons meilleur lorsqu’il interprète le Son ou le danzón que le jazz. Mais depuis plusieurs années il répète inlassablement les mêmes thèmes « San Pascual bailén » , « Bésame mucho » … et ce qui est beaucoup plus gênant c’est qu’à force de répéter, dans le même environnement, Valdés et son Son Jazz sombrent dans l’attraction touristique avec des passages en salle pour faire jouer des maracas à un public plus attiré par le mojito que par le jazz. Suivent des numéros de tortillement d’un bongosero et d’une fausse danseuse et piètre chanteuse qui se lance dans un inopportun « Chan Chan »… Le club ferait bien de demander à Lázaro de revoir l’ensemble de sa prestation.
Le 7 avril l’excellent groupe du saxophoniste alto Michel Herrera rehausse le niveau. La troupe, un octet que Herrera appelle son Jojazz -nom du concours de jazz annuel au cours duquel la plupart des musiciens intégrant sa formation a été récompensé- est jeune, noire à l’exception du guitariste. Et le jazz respire l’africanité. La dynamique, l’implication, n’est pas sans rappeler le groupe Rumbatere des sus nommés Sarduy, Molina et Harold López Nussa… une tornade passée il y a cinq années. A l’image de leur leader qui leur laisse beaucoup d’espace, les musiciens sont inspirés, vont chercher l’envie au plus profond d’eux-même. On entend d’excellents unissons (as, tp, tb), de bons solos de Herrera et de Chapottin (tp). On est encore en présence d’un pianiste de qualité, Rizo et l’ensemble est bien soutenu par la batterie de Ariel Tamayo, basse, guitare et conga. Herrera joue beaucoup avec les nuances ; les rythmes ; les tempi sont variés. Pas de concessions à la médiocrité… Un régal.
Inutile de le présenter il s’est déjà fait un nom dans le monde. Roberto Fonseca était à l’affiche le lendemain. La formation est stable depuis plusieurs années (R. Rodríguez (dr) ; O. González (cb), J. Zalba (as, cl, fl)) et s’est fait connaître par deux récents enregistrements de qualité qui servent de support à la présentation de ce soir. Prestation légèrement différée car précédée d’un conflit entre les musiciens, sous contrat avec une société occidentale donc des droits réservés, et le Ministère du Tourisme qui souhaitait filmer la session pour un spot promotionnel. « capitalisme » contre « socialisme ». Qui pouvait gagner ? Les caméras et micros additionnels démontés, le concert démarre sur un rythme d’enfer avec « Zamazú ». On écoute un très beau « Cuando uno crece ». La fougue de Fonseca, son inspiration et sa technique pianistique n’ont rien à envier à ses collègues de la veille. Mais il a plus d’expérience, plus de métier et la salle est impressionnée. La batterie de Ramsés, placée face au piano, permet un échange, un mano a mano, une complicité permanente entre les deux : « El Ritmo de tus hombros » en est un exemple. Javier Zalba est plus posé. Cet un ancien d’Irakere domine toutes les situations et impose sa maîtrise sans besoin d’effets spectaculaires. Le public, plus connaisseur que les jours précédents, sait apprécier et ovationne intelligemment les grands moments. Ce serait faire preuve d’un manque de discernement que de ne pas mentionner que ce succès ne serait pas atteint sans le magnifique contrebassiste qu’est González.
Une escapade dans la partie orientale de l’île permet d’apprendre qu’un club de jazz est sur le point d’ouvrir à Santiago de Cuba. On ne peut que s’en réjouir mais on reste perplexe. Cette partie de l’île, entièrement dominée par le Son n’a pas de tradition de jazz, pratiquement pas de groupes et la situation économique actuelle ne permet sans doute pas de faire venir de la capitale, à mille kilomètres de là, de vrais groupes de jazz. Un coup de chapeau toutefois aux promoteurs de l’initiative et bonne chance. Jazz Hot sera à l’écoute.
Texte et photos de Patrick Dalmace (Michel Herrera, as, Orlando Maraca Valle, fl, Orlando Sanchez, ts)
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