Benny Green
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13 jan. 2014
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Magic Beans
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© Jazz Hot n°665, hiver 2013-2014
Nouveauté-Indispensable Benny’s Crib, Kenny Drew, Flying Saucer, Jackie McLean, Vanished, Harold Land, Magic Beans, Paraphrase, La Portuguesa, Further Away Benny Green (p), Peter Washington (b), Kenny Washington (dm) Enregistré à New York, NY, les 23 et 24 avril 2012 Durée : 51’ 52” SunnySide 1338 (bennygreenmusic.com)
Benny Green est un musicien savant, en particulier en matière de jazz, et il partage cette érudition avec Kenny Washington et Peter Washington, ce qui donne à ce disque et à ce trio une sophistication rare. L’aire de recherche de Benny Green, parfaitement partagée par ses compagnons, est aujourd’hui liée à cette époque du jazz qu’on appelle le bop et le hard bop, avec cette esthétique qu’on a coutume de nommer « Blue Note era », tant la célèbre maison de disque d’Alfred Lion et Francis Wolff y contribua par la liberté et la générosité de sa production. S’il fallait en chercher l’origine chez Benny Green, on peut la trouver dans l’appartenance aux Jazz Messengers d’Art Blakey qui restent pour tous les Messengers, hors Keith Jarrett, l'exception qui confirme la règle, une initiation fondamentale. On l’a lu récemment dans l’émotion de Bobby Watson évoquant Art Blakey, et si vous allez sur le site de Benny Green, vous verrez que le grand Blakey y est sur la page d’ouverture. Mais avant cette rencontre, le père Green avait introduit le petit Benny à cet univers qui fut élaboré par les Dizzy Gillespie-Charlie Parker, Bud Powell et Thelonious Monk. Dans son livret, Benny Green raconte qu’il a été inspiré par ces unissons de cuivres et d’anches immortalisés par Parker et ses suiveurs, puis Horace Silver et ses Jazz Messengers jusqu’au Lee Morgan de Caramba (1968, la vente du label). On ne va pas citer tous les noms que mentionne Benny Green (Kenny Dorham, Dexter Gordon, etc.), mais certains se retrouvent dans les titres de cet album (Jackie McLean, Harold Land), et il y a d’autres références de Benny Green à des pianistes (Sonny Clark, Kenny Drew) qui firent le beau son de cette époque. L’été 2012 nous avait d’ailleurs permis d’écouter un extraordinaire concert consacré à la musique de Sonny Clark. Mais, nulle récitation là-dedans, simplement le prolongement d’une histoire, d’une culture, car le jazz est si divers, quand on respecte son esthétique et son esprit qu’on peut éternellement y inventer. C’est ce que font magnifiquement ces trois musiciens, Benny Green en particulier, compositeur de l’ensemble des thèmes, qui a retenu les belles leçons d’Horace Silver, de Thelonious Monk, sans aucune faute d’esprit, donc de goût, qualité si importante en matière d’art. L’ouverture du jazz est là, dans cette manière de remuer la terre et d’aérer les racines pour régénérer la vie.
Quand on veut faire table rase de l’histoire, ou se mettre au centre de l’histoire, faire la une des médias ou de l’argent, faire passer des vessies pour des lanternes et de la musique de variété (pop), d’exécution, pour du jazz, on n’obtient qu’un résultat superficiel et de mauvais goût. Ici pas d’étalage d’ego, pas de complaisance, la musique est un art, au centre du projet, la complicité est parfaite, l’état d’esprit est jazz avec humilité, les musiciens sont au service de l’art. Les compositions sont splendides : pourquoi citer les magnifiques « Vanished » ou « Harold Land », les autres le sont aussi ? Swing, blues et nuances de l’expression, tout est émouvant, émoustillant, brillant et sobre. Peter Washington et Kenny Washington sont de grands musiciens, au sommet de leur art, et, ça tombe bien, Benny Green aussi. Car Benny Green possède aujourd’hui une maturité artistique toujours étonnante pour son physique d’éternel adolescent et une sensibilité si fine que ses interprétations sont souvent des moments d’une délicatesse exceptionnelle, aériens. Il est d’ailleurs très intéressant de voir en direct la précision de son toucher, l’économie de son jeu portées par la virtuosité des moyens et l’intensité de l’expression. Benny Green fait aujourd’hui partie de l’Olympe du piano jazz, du jazz tout simplement. Il est donc toujours désolant de le voir jouer parfois devant des assistances réduites sur des scènes secondaires, alors que sur les grandes scènes du jazz, on voit autant d’impostures. Ce constat est fréquent dans le jazz (le secteur économique) d’aujourd’hui, et on n’est pas plus étonné que Benny Green donne ici une quasi autoproduction minimaliste quant au livret sans moyen, pour cette très belle musique, pendant que les labels historiques du jazz sortent aujourd’hui tant de navets aux livrets aussi dispendieux que prétentieux. Benny Green est magic !
Yves Sportis
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