Nouveauté-Indispensable
Alone
Together, I'm Walking, Dreaming, Road Song, Boogie for Al McShann,
Sesame Street, Afro Blue Harold
Mabern (p), John Webber (b), Joe Farnsworth (dm) Enregistré
les 22 et 23 juin 2012, New York Durée :
57’ Smalls
Live 0032 (www.smallsjazzclub.com)
Avec son
label Smalls Live, Spike Wilner, propriétaire de Smalls à New York,
poursuit sa lancée d’enregistrements live et sort une session
signée Harold Mabern. Avec un musicien de légende, Smalls qui est
avant tout un club de bebop retrouve toute sa splendeur.
Quand
Mabern joue, il joue en famille. Le plus souvent avec Eric Alexander,
ici avec John Webber à la basse et Joe Farnsworth à la batterie.
Ils jouent ensemble depuis vingt ans. N’oublions pas George Coleman
dont l’amitié remonte à l’enfance. Mabern par ses activités
d’enseignant à William Paterson University, dans le New Jersey, et
par son amour du jazz, de son histoire et du live a accompagné et
aiguillé une génération de musiciens. Certains sont devenus des
amis. Une histoire de famille et de camaraderie.
La
session débute avec « Alone Together » et une
improvisation vertigineuse du pianiste. Renforcé par la section
rythmique, le jeu de Mabern est intense et plein d’énergie. Le
titre se poursuit sur onze minutes. Dans ce titre de Arthur Schwartz,
le trio trouve là toute la richesse pour creuser toutes les
profondeurs du jazz. Quand Webber et Farnsworth font un solo, Mabern
redevient l’accompagnateur aiguisé et apporte tout son
savoir-faire pour mettre en avant le bassiste et le batteur avant de
reprendre les rennes du set. Le disque pioche sur deux concerts
donnés les 22 et 23 juin 2012, et donc sans doute sur quatre sets.
En composant une anthologie des meilleures interprétations, Spike
Wilner laisse hélas de côté un élément presque tout aussi
important que la musique, c’est le dialogue que Harold Mabern noue
avec le public, l’occasion, entre deux morceaux, de raconter des
histoires, de rétablir des vérités, d’évoquer des figures
parfois oubliées…Le pianiste se lance dans « Walking »
de Fats Domino. Après une introduction bluesy dans la tradition de
cœur de Mabern, le trio fait swinguer Smalls. Le toucher de Mabern,
solide et délicat, la main gauche dans la tradition et la droite
dans le monde d’aujourd’hui, donne un son incomparable,
reconnaissable entre tous. Avec « Dreaming », le pianiste
nous renvoie à la magie inépuisable de son compositeur Erroll
Garner, comme à celle du jeu de Teddy Wilson, Nat King Cole et Mary
Lou Williams. Le géant au cœur tendre joue les mélodies avec
sensibilité et une grande élégance. Pour qui connaît le parcours
du pianiste, un set de Harold Mabern est largement autobiographique.
Il interprète des titres d’amis, de musiciens qu’il a bien
connus et avec qui il a joués, sans oublier les hommages et les
clins d’œil. « Road Song » est un bon exemple. Mabern
a joué avec Montgomery durant deux ans et l’a suivi en tournée en
1965. Le trio joue tout le groove de ce titre de Wes Montgomery. Le
solo de Webber est très réussi. Le bassiste, qui aujourd’hui joue
davantage de la guitare, est tout aussi rodé au swing. En plein
milieu du set, comme Mabern aime le faire, le pianiste joue un boogie
en solo, « Boogie for Al McShann », une composition
originale. Plus qu’une pause dans un set-list exigeant, le titre
traduit l’état d’esprit et les valeurs de Harold Mabern que
défend, la passion de la musique bien sûr, la mémoire aussi, la
fidélité en amitié, mais surtout la défense de toutes les
différentes strates qui nourrissent l’histoire du jazz.
L’excellence du pianiste de Memphis est complète. Puis vient
« Sesame Street », un titre issu de la culture populaire,
le générique de l’émission phare, diffusée à partir de 1969
aux Etats-Unis, qui marqua des générations d’enfants pour sa
tendresse et sa drôlerie. Pas de concept de producteur, Harold
Mabern joue avec le même plaisir ce titre de Joe Raposo comme il
joue du Phineas Newborn, Jr. La mélodie, toujours l’amour de la
mélodie. « Afro Blue » conclut la session. Mabern aime
ce titre de Mongo Santamaria, qui le ramène à Coltrane. Le trio
finit en beauté ce set magistral. Pour Harold Mabern, ce n’est
qu’un set de plus ; pour nous, il est bien plus, l’incarnation
d’un jazz bien vivant, généreux, sensible et élégant.
Mathieu Perez
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