Nouveauté-Sélection
CD 1
Ça marchera jamais, David Blowner détective de l'espace#, Ça marchera jamais, Manteau de pluie, Desalento, Jaune cendre, Turbulences, Sagitarius A Phase 0, Sagitarius A Phase A, Sagitarius A Phase B, Ça marchera jamais, La nuit des Mégatrolls, Sagitarius A/Cassiopée
CD 2
Back Home Again in Indiana, Spirit of Saint Louis, 9:20 Special, Lindy Hops the Atlanti, When Lights Are Low, Texte Libre#, I'm Getting Sentimental Over You, Manning's Meaning, I've Got the World on a String, In a Mellow Tone… du trombone Type, Hello Folks, Too Close for Comfort, It Will Never Go
Nicolas Gardel (tp, flg), Sébastien Natali# (tp, flg), Mathieu Haage° (tp), Christophe Allaux (tb), Olivier Sabatier (tb), David Haudrechy (as, ss), Emmanuel Pelletier (ts), Ferdinand Doumerc (bs) ou Gaël Pautric (bs), Philippe Laudet (p, fgl, tp, arr, cond), Grégoire Aguilar (p) Laurent Petit (g), Serge Oustiakine (b, voc), Pierre Pollet (dm), Fabien Tournier (perc), Nadia Cambours (vcl CD 2-5,9,12).
Enregistré du 25 au 29 octobre 2008 à Muret (Hte-Garonne)
Durée : 1h 11' 04" + 1h 01' 25"
Le Chant du Monde 274 1856.57 (Harmonia Mundi)
Quelle belle formule que le titre de cet album, Pour savoir où tu vas… Regarde d'où tu viens ! En une période où l'amnésie frappe les hommes, où ces derniers atteints du syndrome d'Orphée n'osent plus se retourner pour apprécier le parcours accompli : peur coupable et honte consubstantielle à l'évocation d'un passé dont ils n'assument plus la responsabilité. S'il n'a pas toujours été digne, il n'en comporte pas moins des instants, des moments, des périodes de grande espérance et de formidables réalisations dont les hommes n'ont pas à rougir. Depuis qu'un savant illettré a décrété la fin de l'histoire, le totalitarisme de la modernité barbare impose qu'elle s'écrive, au mieux, au futur jusqu'à accomplir le pas de trop… Mais, parvenu à la cinquantaine, l'âge de la maturité, Philippe Laudet revendique son héritage, sans vergogne. Il avait déjà fauté dès 1978 avec l'épopée Ornicar, puis Jazz Cartonn (1989), l'Incroyable Daniel Huck (1991)… pour en arriver à ce Jazz Odyssée.
Une grande partie des pièces contenues dans cet album a été donné à l'Enclos de la Charité le 5 août 2011 lors du XIIIème Festival de Big Band de Pertuis dans le Vaucluse (cf. JH 657 p 29). Et la réaction du public a montré que ces enregistrements sont bien plus que ceux d'un simple CD. Le ton chaleureux et le bonheur qui s'en dégagent sont ceux d'une véritable conversation du musicien avec son passé ; plus encore avec une absence qui le hante, celle de son père Jacques récemment disparu, qui le guida dans sa découverte de la vie : du jazz, dont il était féru (rappelons –nous de ses chroniques de Jazz Swing Journal), du cinéma, qu'il connaissait bien, et des sciences, qu'il pratiquait comme ingénieur lui-même fils d'un ingénieur des ponts dans une famille singulière. « Lorsque j'ai commencé à construire le répertoire du Jazz Odyssée, j'ai voulu aborder trois répertoires : celui des standards que j'aimais et que je réarrangeais à ma sauce, comme dans « In a Mellow Tone » ; celui de Basie années 50' auquel mon père m'avait initié ; enfin mes compositions personnelles, aboutissement des deux premières. Les deux premiers avaient pour but d'alimenter le versant "Regarde d'où tu viens...", mais également en référence à un « prêt à l'emploi » pour animer les soirées dansantes, comme avec « Lindy Hops », que nous avons assurées jusqu'à l'année dernière. Comme, j'ai décidé d'arrêter ce genre de prestation au profit de mes seules compos ou presque, j'ai regardé l'avenir ». Et pour compléter l'agencement de l'album, il précise : " L'ordre des partitions est un clin d'œil à l'origine de ces trois domaines : les standards commencent à 1901, année très approximative de la naissance du jazz ; Basie des fifties débutent en 1951 ; mes compositions partent de 2001 parce que, lorsque j'ai créé le Jazz Odyssée, en 2005, le choix de son nom était un clin d'œil au film de Kubrick, 2001 a Space Odyssée, que mon père m'a fait découvrir (encore lui !) en 1969, et qui, en plus d'Apollo XI, avait induit mon intérêt pour les sciences spatiales [Philippe Laudet est astrophysicien, ndlr], un mauvais jeu de mots. Et commencer mes compositions à 2001 est un clin d'œil à ce film et au millénaire naissant. La suite…".
Voilà pour la genèse de cette œuvre qui éclaire sur la construction d'une personnalité musicale aussi riche que complexe dans sa façon de lire le monde.
Pour ce qui est des pièces, la plupart sont de Philippe Laudet. Pour servir ses orchestrations, Philippe Laudet s'est entouré de musiciens formidables, disponibles et en phase avec le discours du maître de cérémonie. Car c'en est une qui se déroule tout au long de ce coffret, organisée selon une liturgie païenne, découpée en moments musicaux. Se succèdent des thèmes enlevés " David Blowner " (gillespien à souhait), " Turbulences " (aux réminiscences thadjonesniennes) ou " La nuit des Megatrolls " et " Spirit of Saint Louis " écrit en souvenir de l'avion de Lindbergh qui traversa l'Atlantique (aux accents jimmysmithiens 70') ; d'autres, bien balancés (basiens jusque dans les breaks et les ponctuations, avec des contrepoints luncefordiens pleins de souplesse) sur les classiques " Indiana ", " 9:20 Special ", " When Lights Are Low ", " I've Got the World on a String ", " In a Mellow Tone ", " Too Close for Comfort ", comme dans les originaux " Lindy Hops Atlantic " (pour l'aviateur), le gospélisant " Texte libre ", " Manning's Meaning " (en hommage au danseur Frankie Manning qui au Savoy Ballroom aurait illustré le lindy hop aux sons de Chick Webb), " Hello Folks " (expression utilisée par le Count quand il s'adressait au public) adaptation bopisée de sa composition " One O'Clock Jump " ; il en est enfin de tendres (" I'm Getting Sentimental Over You "), d'évocateurs (" Ça marchera jamais ", " Sagitarius ") et même tristes jusqu'à la gravité comme le superbe thème " Manteau de pluie ", hommage à Jacques Laudet, magnifié par le solo du trompettiste Nicolas Gardel remarquable de vérité et de justesse de ton.
Dans son contenu comme dans sa construction, ce coffret est formidable. Le voicing des ensembles est parfaitement équilibré et les solistes sont tous d'une grande tenue dans leurs interventions. La section rythmique est une " belle machine à tourner " : Serge Oustiakine est omniprésent, Laurent Petit est discret mais efficace. Grégoire Aguilar comme Philippe Laudet assurent totalement leur partie. Pierre Pollet est un batteur de grand orchestre qui sait accompagner sans gêner. Ajoutons à cela que l'album de deux CDs comprend une discographie presque complète dans une présentation qui, sans être simple, est originale et de bon goût avec, indication rare, la séquence des solistes sur chaque morceau.
Où Philippe Laudet peut-il aller chercher son inspiration ? L'homme a des ressources ; l'astrophysicien est souvent dans les étoiles. Alors… Et puis n'était-ce pas un atavisme familial ? Je me suis laissé dire qu'un certain Jean-Baptiste Laudet, qui avait défendus les canons de la Commune de Paris, avait été pour cela condamné au bagne ! Comme lui, ils furent nombreux à " monter à l'assaut du ciel " comme l'écrit un auteur en regain d'intérêt par les temps qui courent. Le petit recommence ; c'est moins tragique.
Pour savoir où tu vas… Regarde d'où tu viens est un des très beaux albums de jazz réalisés en France ces dernières années. Philippe Laudet innove sans honte dans le sillage de son héritage : la grande tradition du jazz et la musique swingue. Que demander de plus. Superbe. Bravo !
Félix W. Sportis
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