Disons-le
tout de suite, je ne suis pas un critique littéraire. Par ailleurs,
je ne suis pas partisan des romans prenant « le jazz »
pour alibi. Ce domaine expressif est déjà assez parasité par les
clichés, les rêves qui masquent les réalités pour que l’on en
rajoute. Etant contre le libéralisme économique et dingue de
trompette, l’objet m’a donc été attribué car l’auteur
l’écrit : « ce roman est très librement inspiré de la
vie du trompettiste russe Ady Rosner ». Librement en effet, car
Ady Eddie Rosner (alias Adolf Roznir) (1910-1976) n’est pas russe1.
Ce trompettiste influencé par Bix, puis Louis Armstrong et Harry
James est né et décédé à Berlin. Sa vie est en effet un roman
sans qu’il soit nécessaire de s’en écarter. Oui, il fut une
vedette en URSS en 1940-46 et 1955-73, sa carrière ayant été
interrompue par un internement dans un camp (1947-55). L’autre
sujet du livre est l’antisémitisme qui a régné en URSS (pas que
sous Staline). Nous avons bien connu l’un des plus extraordinaires
trompettistes russes, Timofey Dokshitser qui eut à souffrir (comme
d’autres) de cet état de fait, ce qui a bridé sa carrière
internationale. Rosner devient ici un Izzy Grynberg, Juif originaire
d’Odessa à qui Staline demande de donner naissance à un « jazz
purement soviétique » (!). Il est malgré tout fait allusion à
Rosner lui-même, à Moscou en 1945 (p.267). Ce Izzy Grynberg qui,
bien sûr, s’est retrouvé au goulag, aurait eu avec une danseuse
du Bolchoï un fils, Jacques Linhardt, Français adopté par des
communistes et qui, à 50 ans découvre grâce à un oncle,
Alexandre, que son père fut un trompettiste célèbre. Il y a en
arrière-plan, l’URSS de Staline. Dans le première partie, le
récit alterne un chapitre consacré à Linhardt en 2001, avec un
consacré aux Grynberg. D’abord le père, Lazare, « bolchevik,
sympathisant du Bund, infirme et amateur de djhazz » (Odessa
1914, Paris 1919, 1929), puis Izzy. La deuxième partie du livre est
le roman d’amour entre Elsa et Izzy, puis la vie d’Izzy à Moscou
jusqu’à son arrestation. La troisième partie avant l’épilogue,
nous ramène à la construction du récit qui alterne les révélations
faites à Linhardt et la vie d’Izzy (mort au goulag contrairement à
Rosner) puis de son frère Alexandre, rescapé d’Auschwitz,
également trompettiste et oncle de Linhardt.
Indépendamment
de toute valeur littéraire, ce roman soufre de nombreuses coquilles
et d'erreurs factuelles : Billy Arnold n’est pas
afro-américain (p.79) ; l'auteur assimile 78
tours et microsillons (alors que ce second terme est synonyme de
disque vinyle 30 cm ou LP, support qui a remplacé le 78 tours à
partir du milieu des années 50) ; La Revue
du Jazz (p.209) n’existe plus en 1937
(ni même en 1934), etc. Et quand il parle de trompette, l’auteur
n’est pas crédible : quand on a été blessé aux lèvres, on
ne joue pas (sans warm up)
sur une trompette et une embouchure qu’on ne connait pas, « West
End Blues »… « en, grimpant dans les aigus à des
hauteurs stratosphériques » (p.194) ; on est dans le rêve
(tout comme p.356-357, avec une embouchure glacée alors que ça
« faisait une éternité qu’il n’avait pas porté sa
trompette à la bouche ») ; la Selmer « balanced
action » pouvait être de « petite perce » (et non
« étroite »), ce qui n’impose pas de « souffler
plus fort » ; la lésion de l’orbiculaire (ici, « muscle
du baiser ») n’est pas « une blessure courante chez les
grands trompettistes » ; les grands instrumentistes savent
gérer la pression de l’embouchure sur les lèvres et de grands
jazzmen (pas forcement grands instrumentistes) ont pratiqué le
« strong arm system » d’où parfois une crevasse et/ou
un cal labial ; de même, l'auteur accorde beaucoup d’importance
aux poumons pour le jeu de trompette, or la respiration ne fait pas
tout. Même si c’est un roman, le détail importe.
Au fil
des pages, on croise des évocations, en principe familières au
jazzfan (Bucky Pizzarelli, Norman Granz, Will Marion Cook, Bricktop,
Joséphine Baker, Django, Duke Ellington, Louis Armstrong et même
Morris Karnofsky, Chet Baker, Hugues Panassié, Sam Wooding, Leonard
Feather, Tsfasman, Leonid Utyesov –ici Outessov-, etc…). Ce qui
peut suffire à certains d’entre eux pour acquérir ce roman,
d'autant que ce texte, à l'écriture simple et directe, pourrait
être qualifié d' « easy reading ». Michel Laplace
1. Voir sa
biographie dans le DVD-Rom de Michel Laplace, Le Monde de la
trompette et des cuivres.
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