Clama (Pierre Clamagirand)
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10 nov. 2015
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20 juillet 1934, Lunéville, Meurthe-et-Moselle - 10 novembre 2015, Paris
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© Jazz Hot n°673, automne 2015
L'artiste peintre Clama –Pierre Clamagirand– grand amateur de jazz, guitariste à ses heures, est mort le 10 novembre 2015 à l’hôpital Lariboisière à Paris. Il était âgé de 81 ans.
Au-delà du remarquable artiste dont la production régulière de toiles et d'aquarelles constitue par son originalité, sa manière et sa consistance thématique une véritable œuvre, comme on l'entend pour les vrais artistes, Clama, nous l'appelions ainsi, est un compagnon de route de cette équipe de Jazz Hot depuis 1991, dont il fait partie par le cœur autant que par l'esprit. Il fit le plaisir à notre équipe et aux lecteurs de deux couvertures de Jazz Hot (n° 540-mai 1997 et 591-juin 2002).
Dans ce moment douloureux, nous pensons à Marie-Josée, sa compagne de toute une vie, toujours à ses côtés pour l'entourer et l'encourager, avec dans les yeux une admiration toujours neuve pour son homme lors de l'anniversaire des 80 ans de Jazz Hot en mars dernier à la Fond'Action Boris Vian, notre dernière rencontre.
Pierre Clamagirand est né le 20 juillet 1934 à Lunéville, en Lorraine, par le hasard du métier de son père,
Maître bottier dans un régiment de lanciers, père, dont il hérita de
l'amour du travail bien fait.
Le château est connu sous le nom de «Versailles lorrain». C’est dans cette région riche en traditions des arts du feu, dans cette ville de Meurthe-et-Moselle où la faïencerie royale permit à de nombreux peintres de travailler –mais également aux facteurs d’orgue– qu’enfant il grandit.
Assez rapidement, vers 14 ans, c’est en autodidacte qu’il s’intéressa à la peinture et aux arts picturaux sous toutes leurs formes. Après de courtes études
secondaires, il exécute des maquettes d'architecture tout en pratiquant
la peinture et le dessin, prédispositions remarquées dès l'école
maternelle. Il reçoit à Fontainebleau les conseils de Lucien Fontanarosa
qu'il complète plus tard avec ceux de Robert Lapoujade. Il se lie
d'amitié avec Gabriel Fournier, ancien «montparno», compagnon de
Modigliani et Soutine. Il se forge ainsi son propre langage pictural
constitué d'écriture, de composition, de couleurs, et surtout de la
lumière : programme ambitieux qui lui vaudra une reconnaissance assez
lente.
A
Paris, où il s’installe après la guerre, il fréquente les milieux de
l’art: de la musique, de la poésie et particulièrement ceux de la
peinture tout en poursuivant ses études qui le mèneront à la profession
d’architecte. C’est ainsi qu’il a l’occasion de rencontrer et de se lier
vers la fin des années 1940, alors qu’il est encore un adolescent, avec Pierre Bonnard qui sera l’une des références
majeures de son œuvre. Il fallait l’entendre parler avec un
enthousiasme de jeune homme sur le style de ce grand peintre, sur les
«bleu» et la nature des pigments utilisés par lui. Car Clama était avant
tout un artiste, en ce qu’il avait l’ambition de créer et recréer le
monde dans un ordonnancement musical et poétique.
Il expose dans les salons: Les Indépendants dont il devient
sociétaire, Le Salon de Mai invité par son ami Edouard Pignon, Le Salon
d'Automne, La Nationale des Beaux Arts et quelques autres. Il expose
régulièrement (environ tous les deux ans) des peintures, des œuvres sur
papiers, des papiers découpés, dans des galeries et dans des centres
culturels à Paris et en province.
En 1964 il assiste Jean-Marie
Serrault et Aimé Césaire pour la tournée européenne de La Tragédie du
Roi Christophe: Salzbourg, Berlin, Venise, Vienne, Bruxelles. Ce qui lui
vaut des amitiés précieuses: Aimé Césaire, Michel et Louise Leiris, qui lui
permettent d'approcher André Beaudin, Alberto Giacometti, Edouard Pignon
et de progresser dans son art.
Clama réalise de nombreux décors
de théâtre, entre autres au Studio des Champs Elysées, une expression issue du mariage des deux passions de sa vie, la peinture et l'architecture, second art dans ses cordes, toujours en autodidacte, pour lequel il aura une consécration tardive sans avoir «passé les diplômes» selon son expression.
Depuis la fin des années 1960, ses expositions nombreuses, en des lieux aussi improbables que différents –d’une succursale de banque à l’appartement privé d’un de ses nombreux amateurs, mais aussi dans des petites galeries d'artistes indépendants– étaient une découverte permanente dans sa façon de dessiner la vie.
Son inspiration polymorphe emprunte à tous les spectacles du monde: paysages, scènes de rue, nature morte, portraits, théâtre, musique, voyages en forêt comme promenade à Venise. Tout lui est peinture ou matière à peindre, et autant de façons, de manières de s’émerveiller avec la spontanéité juvénile de qui explore les espaces infinis.
Amateur de jazz et de
musique en général, il fréquente avec assiduité les concerts et le milieu des musiciens, de jazz, de la tradition de Django en particulier, et l'utilise
souvent comme source d'inspiration tout autant que les motifs du paysage
et de la figure et surtout des grandes compositions.
La production picturale de Clama garde des arts du feu de sa région natale ce quelque chose de la grande tradition du vitrail, de la céramique: compositions picturales majestueuse, même dans les miniatures, baignées de lumière, surlignage comme une mise en plomb dans ses paysages de forêts, dans ses natures mortes, une façon d’exposer sa philosophie humaniste faite de l'amour des humains et de la nature, pétrie de la connaissance de ses devanciers ou confrères, s'accompagnant toujours de l'humilité et l'accessibilité de l'artiste qu'il était.
Clama était ce qu'on appelle «un bon vivant», se délectant des rencontres, des conversations comme de la vie en général dans toutes ses dimensions, toujours préoccupé de la marche de la société avec ses bonheurs et ses malheurs, et des humains de tous les horizons, comme passionné d'art en général. C'était un éternel curieux.
Nous n’aurons plus le plaisir de parler avec lui de peinture et de musique jusqu’à nous en saouler. Cet homme chaleureux était intarissable sur les choses de l’art; il avait toujours quelque chose à raconter sur un tableau connu et reconnu, sur un enregistrement de Reinhardt, qu'il avait écouté et côtoyé vivant, sur les guitaristes du monde entier qu'il connaissait en pratiquant, ou un solo de Clifford Brown mille fois entendus mais qu’il semblait avoir enfanté sur l’instant tant la création des autres l’habitait complètement.
Fidèle lecteur de Jazz Hot, revue qu'il lisait «depuis toujours», et qui avait bercé son amour de la guitare et de Django Reinhardt, l'une de ses toiles avait mis en scène un magazine Jazz Hot posé sur une table de bar, dans un ensemble de couleurs chaudes, toile qu'il avait baptisée «Jazz Hot».
Jazz Hot partage la peine de Marie-Josée, sa compagne, et de Sylvain Clama, son fils, comédien et assistant de Pierre pour ses expositions. Il travaille déjà à la mise en valeur de l'œuvre de Clama, avec nous l'espérons pour l'artiste autant que pour l'ami, l'édition bientôt d'une rétrospective de ses œuvres.
Félix W. et Yves Sportis
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