Le 14 mars 2016, à Genève, dans une unité des Hôpitaux Universitaires Genevois, le saxophoniste alto George Robert s’est éteint à l’âge de 55 ans. Il luttait depuis décembre 2012 contre une leucémie, responsable d'une première éclipse dans sa belle carrière, maladie dont nous avions espéré qu'il soit guéri lors de la sortie de trois beaux enregistrements en 2014, en duo avec le grand Kenny Barron et avec son quartet all-star (Dado Moroni, Peter Washington, Jeff Hamilton), véritables hymnes à la vie (Coming Home, The Good Life et New Life, cf. chronique disques).
Nous entretenions une correspondance régulière et une relation d'amitié depuis sa participation à plusieurs interviews: la première lui était consacrée (Jazz Hot n°615) et dans la seconde, il faisait part de sa relation privilégiée avec Phil Woods, à l'occasion du magazine (Jazz Hot n°630) que nous avions consacré au grand altiste américain, disparu également il y a peu, le 29 septembre 2015.
George Robert nous avait informés le 21 septembre 2015 du retour de la maladie: «Je regrette de devoir vous dire que j'ai eu une récidive de la leucémie qui m'avait envahi une première fois en décembre 2012. J'ai dû passer 11 semaines à l'hôpital et suis si heureux d'être à nouveau à la maison pour récupérer.», et il formait des projets: «Un nouveau traitement prometteur est en train de m'être administré. Je ne manquerai pas de toujours vous faire parvenir mes nouvelles parutions. La suivante sera dédiée à la musique de Michel Legrand et paraîtra début 2016 sur le label suisse Claves. J'espère avoir le plaisir de vous revoir prochainement. Je ne manquerai pas de vous faire signe si je passe par Paris. Recevez, cher Yves, toute mon amitié et mon estime.»
Le
monde du jazz est triste de sa disparition prématurée. Le jazz perd
trop tôt un musicien, qui après avoir donné la
mesure de son talent, avait encore de multiples projets, et il perd un homme également d'une grande gentillesse, d'un goût artistique exceptionnel et d'une exquise courtoisie.
Torben Oxbol, l'arrangeur du dernier enregistrement de George Robert de la musique de Michel Legrand, vient de publier, le 18 mars 2016, le disque évoqué dans ce courrier, ultime témoignage artistique du regretté George Robert.
Jazz Hot partage la douleur de sa famille, la peine de ses amis, de ses proches et de tous ceux qui l’aimaient. YS
George Paul Robert est né le 15 septembre 1960 à Prégny-Chambésy, une commune jouxtant Genève sur la rive septentrionale du Lac Léman, d’une mère américaine, venant de Chicago, et d’un père suisse, originaire de Fribourg, ingénieur civil travaillant dans l’une des plus importantes institutions internationales, le Bureau International du Travail. George n’était pas peu fière de sa famille nombreuse: six garçons et une fille, dont il était le benjamin. Outre qu’il n’omettait pas de mentionner que tous étaient musiciens et que les disques de jazz n’étaient pas une rareté dans la maison, il précisait que son père avait créé le CIS 1 au sein du BIT. George Robert avait appris le piano très jeune et il doit de ne l’avoir professionnellement pas pratiqué, en tant que musicien de jazz, au fait que Marc, son frère ainé, en jouait déjà dans leur orchestre. Vers 10 ans, il s’était résigné à se mettre à la clarinette d’abord, à l’alto ensuite. Il avait eu, disait-il, la chance d’avoir Luc Hoffman comme professeur de jazz au Conservatoire populaire de musique de Genève où il étudia la musique classique et le jazz. Mais de préciser: «J’ai un rapport très particulier au piano, un feeling spécial avec cet instrument» qu’il continuait à pratiquer. Le piano était affectivement resté pour lui son premier instrument. Néanmoins, les circonstances firent que George Robert devint le brillant altiste qu’on connaît. En effet, en l’entendant à l’alto alors qu’il n’était que débutant, Sam Woodyard l’encouragea vivement à poursuivre dans sa voie au saxophone, l’affublant du surnom de «Youngblood» (sang neuf). L’encouragement vint également d’un second batteur, Billy Hart, qui lui conseilla de «bosser en écoutant Charlie Parker». C’est ainsi qu’au début des années 1970, anglophone de langue maternelle et musicien prometteur, il put rencontrer les musiciens américains invités dans les concerts organisés par le batteur Pierre Bouru reconverti en producteur de spectacles. Au contact de Jimmy Woode, d’Harry Sweets Edison et de quelques autres, George Robert sut qu’il deviendrait musicien de jazz. D’autant qu’il refit par l’expérience personnelle le parcours de l’histoire orale du jazz, consistant à former son oreille en écoutant les disques, et à travailler dans le grand orchestre de Paul Thommen où il côtoyait des musiciens accomplis sur les orchestrations de Benny Carter, Ernie Wilkins, Quincy Jones… Sur les conseils et les recommandations d’Andy McGhee, George Robert, qui obtint une bourse, partit se perfectionner au Berklee College of Music auprès d’un pédagogue mythique, Joe Viola. En quittant l’école de Boston en 1984, après avoir obtenu un Bachelor of Arts in Jazz Composition and Arranging, pour New York, en vue d’obtenir, en 1987, son Master’s Degree in Jazz Performance à la Manhattan School of Music, le jeune musicien rencontra Phil Woods avec lequel il travailla également. Il l’avait découvert dans ses albums à la fin des années 1960. Les deux hommes s’apprécièrent, et Phil le prit sous son aile. Un rapport fusionnel, maître-disciple, s’établit; il demeura jusqu’à la disparition de Phil Woods en 2015. Cette relation trouva un prolongement à la fin de sa scolarité, quand George Robert créa en 1987, avec son assentiment, son premier orchestre avec deux de ses musiciens attitrés, Tom Harrell et Bill Goodwin. Cette formation, qui comptait aussi Dado Moroni, pianiste avec lequel il a travaillé très souvent, et Reggie Johnson, tourna beaucoup aux Etats-Unis, au Canada et également en Europe. George Robert, qui parallèlement jouait dans plusieurs autres formations, comme les grands orchestres de Lionel Hampton ou celui de Toshiko Akiyoshi, obtint en 1984 le 1er Prix du meilleur jeune groupe acoustique de Down Beat pour un enregistrement effectué avec Niels Lan Doky (p), Gildas Boclé (b) et Klaus Suonsaari (dm). Cette distinction lui permit d’être engagé au Festival de Montreux. En allant à Seattle pour écouter son ami Phil Woods qui y jouait, il fut engagé dans le Workshop de Bud Shank. Ensuite il s’installa pendant deux ans à Vancouver. Pendant cette période américaine, George Robert eut l’occasion de jouer avec la fine fleur des scènes locales du jazz: Claudio Roditi, Arturo Sandoval, Diana Krall, Ray Brown, Lionel Hampton, Clark Terry… A l’occasion de la célébration du 7e centenaire de la fondation de la Confédération Helvétique, en 1991, et suite à un article paru dans la Swiss Revue, il organisa avec l’appui du réseau de ses ambassades, une tournée d’un an à travers le monde avec un groupe qui comprenait Dado Moroni (p), Isla Eckinger (b) et Peter Schmidlin (dm). Cette formation, qui reçut occasionnellement le renfort de quelques invités de marque comme Clark Terry, joua à New York, Boston, sur la Côte Ouest, en Asie du Sud Est, en Inde, à Dubaï. Alors pressenti pour assurer la direction de la Swiss Jazz School de Berne, George Robert rentra en Suisse en 1995. Les conditions lui permirent de créer plusieurs ateliers musicaux, de monter et de diriger enfin à Berne un big band, le Swiss Jazz School Big Band. L’aventure pédagogique et musicale bernoise dura jusqu’à 2006. Ce fut l’occasion de recevoir John Lewis, Gerald Wilson et quelques autres; d’instaurer une vie jazzique dans la capitale helvétique au Marian’s Jazz Room, au Bierhübeli, d’œuvrer au Festival de Jazz de Berne… Mais l’évolution des institutions musicales en Suisse, et notamment la transformation de la Swiss Jazz School de Berne en Haute Ecole de Musique dans laquelle la musique classique prenait le pas sur le jazz en termes de moyens, engendra une réelle dégradation des conditions d’enseignement du jazz. George Robert décida alors de créer une nouvelle structure d’enseignement du jazz en Romandie qui en était dépourvue. Il fonda et organisa le Département du Jazz dans la Haute Ecole de Musique de Lausanne. Depuis, ses activités en big band se réduisirent, faute d’endroits pour se produire régulièrement et par manque de temps. Au cours de sa carrière, la renommée de George Robert fit qu’il se produisit dans les plus célèbres salles (Blue Note, Birdland, Village, Blues Alley, New Morning…) et dans les plus grands festivals du monde: Montreux, Montréal, Verbier, Vienne, Amsterdam, Lugano, Geneva, Berne, St-Gallen, Lucerne, Cancun, Vancouver, Toronto, Edmonton, Calgary, Victoria, Saskatoon, Samois-sur-Seine… Il eut l’occasion de jouer avec les plus grands: John Lewis, Diana Krall, Johnny Griffin, Jimmy Heath, Wallace Roney, Randy Brecker, Phil Woods, Lewis Nash, Rufus Reid, Nicolas Payton, Russell Malone, Dado Moroni, Kenny Barron, Billy Drummond, Byron Landham, Joe LaBarbera, Joey DeFrancesco, Alvin Queen, Kenny Washington, Jimmy Cobb, Jimmy Woode, Cecil McBee, Bud Shank… Par ailleurs, souhaitant se libérer des contraintes des maisons de disques, il créa son propre label, GRP Recordings, dans le but de produire une collection plus efficacement distribuée, de donner plus de visibilité à sa musique et à son travail. Cependant son état de santé commença à se détériorer vers 2010. George Robert ne put, surtout ces derniers mois, s’occuper réellement de cette activité de promotion et de diffusion. Ces activités multiples n’empêchèrent cependant pas George Robert de poursuivre sa carrière personnelle de concertiste soit comme partenaire de musiciens prestigieux, notamment au sein du Phil Woods Big Band (1998), Clark Terry, dans le trio Chick Corea au Festival de Verbier (2002), Kenny Barron… George Robert portait un regard lucide sur le jazz. Il rappelait que «Mulgrew Miller enseignait beaucoup car les gigs étaient devenus rares». Dans ces conditions, concilier le métier de musicien et de pédagogue ne pouvait se concevoir que si l’on acceptait de renoncer à certaines choses. Mais disait-il en 2010: «Je me remets de ma maladie et j’ai décidé de reprendre, encore plus activement, ma casquette de musicien, que j’ai laissée un peu trop de côté ces derniers temps à mon goût. J’aime les remises en question, remettre les choses à niveau»2.
George Robert, qui avait reçu le Prix de la Fondation Suisa pour la musique en 2000 et publié un recueil de 47 compositions chez Advance Music (2003), avait été fait Officier de l'Ordre des Arts et des Lettres de la République Française en 2008. Le musicien était chaleureux, enthousiaste dans son expression parkérienne. C’était un homme dont la générosité n’avait d’égal que son sérieux dans son art qu’il mettait au-dessus de tout. Dans la vie, derrière sa discrétion, se cachait une passion aussi intense que contenue. 1.
Le CIS, Centre International d’Informations de Sécurité et de Santé au
Travail, a été créé en 1959 pour recueillir toute l’information
pertinente sur la santé et la sécurité au travail publiée dans le monde.
2. Cf. l’interview de Jean-Michel Beethoven Reisser, George Robert: «Youngblood!», Cosmopolis, mai 2014.
SITE: http://www.georgerobert.com/
DISCOGRAPHIE Leader/coleader CD 1985 George Robert, First Encounter, GPR Recording 1001 LP 1987 George Robert-Tom Harrell Quintet, Sun Dance, Contemporary Records 14037-2 CD 1987 Tom Harrell-George Robert Quintet, Live in Switzerland 1987-1989, Jazz Helvet 04 CD 1988-89 Tom Harrell-George Robert Quintet, Lonely Eyes, GPR Music 1002 CD 1989 George Robert Quartet Looking Ahead, TCB Records 22132 et TCB 8930 CD 1990 George Robert Quartet Feat. Mr Clark Terry, Live at Q4 TCB Records 90802 CD 1992 George Robert-Tom Harrell, Cape Verde, Mons Records 875430 CD 1992 George Robert-Dado Moroni, Youngbloods, Mons Records 1897 CD 1993 Clark Terry, The Good Things in Life, Mons Records 874437 CD 1994 George Robert, Metropole Orchestra, Mons Records 876781 CD 1994 George Robert Quintet, Tribute, Jazz Focus 004 CD 1994 George Robert Quartet, Voyage, TCB Records 95102 CD 1997 Live at the 1997 Montreux International Jazz Festival CD 1997 George Robert-Phil Woods, The Summit, Mons-Records 874304 CD 1999 George Robert, Inspiration, TCB Records 20852 CD 2000 George Robert and Phil Woods, Soul Eyes, Mons Records MR874361 CD 2001 George Robert Quartet-Bobby Shew, Live in Switzerland, TCB Records 22142 CD 2002. George Robert & Kenny Barron, Peace, DIW-945 CD 2005 George Robert, Soul Searching, Orkhestra, DIW CD 2006 George Robert, Wingspan, Blue Note CD 2009 George Robert Jazztet, Remember the Sound, TCB Records 28932 CD 2010 George Robert and Francis Coletta, Estate, GPR Recordings 1004 CD 2012 George Robert Jazz Orchestra Feat. Ivan Lins, Abre Alas, GPR Recordings 1003 CD 2013 George Robert Quartet, Cool Velvet, GPR Recordings 1005 CD 2014 George Roberts and Kenny Barron, The Good Life, Somethin’ Cool 1005 CD 2014 George Robert and Kenny Barron, Coming Home, GPR Recordings 1006 CD 2014 George Robert All-Star Quartet, New Life, GPR Recordings 1008 CD 2016 George Robert Plays Michel Legrand, Claves Records 50-1607
Sideman CD 1991 Tom Harrell, Visions, Contemporary 14063 CD 1994 Clark Terry, Remember the Time, Mons Records 874762 CD 2001 Giovanni Mazzarino, Nello Toscano & Paolo Mappa Feat George Roberts, Live in Taormina, Philology W 224.2 CD 2002 Sandy Patton, Paradise Found, TCB Records 22122 CD 2003 Silvano Bazar Trio Feat George Robert Special Guest Phil Collins, I Wish I Knew, TCB Records 23202 CD 2004 Thierry Lang and Friends, Reflections Vol. III, Blue Note 0724357118729 CD 2009 Gabriel Espinosa, From Yucatan to Rio, Zoho Music 200907 CD 2012 Axiel Riel, Special Quartet, Full House, Storyville 1014276
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