Cela fait déjà
quelques années qu’Ellen Birath, avec sa voix bluesy et son look façon
Emma Peel, charme les scènes parisiennes. Celle du Coolin –aujourd'hui disparu, où elle a fait ses débuts–, du Cercle Suédois,
puis du O’Sullivans (près des Champs-Elysées) et du Long-Hop (au métro
Maubert-Mutualité), ainsi que du Caveau de La Huchette et du Jazz Café
Montparnasse, deux clubs où l’on peut l’entendre très régulièrement avec son
groupe, The Shadow Cats.
Ellen Birath est née
à Lund, au sud de la Suède, le 8 juillet 1990. Après le lycée, elle débarque à Paris, en janvier 2009, pour un
séjour linguistique de quatre mois. Ce sera finalement un aller simple. Vivant de «petits» boulots, elle devient serveuse au Coolin et croise la route de son mentor, le tromboniste irlandais Paddy Sherlock (Jazz Hot n°671), qui avait déjà joué ce rôle pour mal d'autres musicien(ne)s. Suivant le conseil de Paddy, elle monte, en 2012, sa propre
formation. Le groupe prend
ensuite le nom de The Shadow Cats, proposant un réjouissant mélange de swing,
de rhythm & blues et de soul, soit une musique colorée et festive au service
de la danse que l’on retrouve sur un premier album paru début 2017 (Jazz Hot n°678). Propos recueillis par Jérôme Partage Photos Patrick Martineau
© Jazz Hot n°684, été 2018
Jazz Hot: Comment
êtes-vous venue à la musique?
Ellen Birath: Je
viens d’une famille de mélomanes, pas de musiciens. J’ai toujours chanté. Petite, j’ai pris des cours de piano, mais ça m’ennuyait. Au lycée, j’ai
pris une option musique, et je me suis spécialisée dans la technique du son. Je
voulais être ingénieur du son. On avait accès à un studio analogique et un
autre digital; c’était extraordinaire. J’ai passé deux ans à enregistrer les
copains, mais je n’avais pas envie de passer devant le micro. Au sein de cette
option, on devait également choisir deux instruments et j’ai opté pour la
guitare électrique et le piano. Mais mon professeur de piano, un
grand amateur de jazz traditionnel, a vite compris que ça ne m’intéressait pas.
Du coup, il me laissait chanter et m’accompagnait au piano. C’est comme ça
que j’ai appris les standards et que je me suis tournée
vers le jazz. Je savais que j’avais
envie de chanter depuis toujours. Il a fallut ce déclencheur pour que je passe le pas.
Vous n’aviez jamais
entendu de jazz avant cela?
Si, un peu. Ma mère avait une compilation de Billie Holiday. J’ai appris par cœur les paroles de toutes les
chansons. Monica Zetterlund1 m’a marquée. Je l’ai découverte grâce à
mon professeur de lycée. J’en étais obsédée et
je le suis encore. Elle avait une élégance et une tristesse qui me parlaient. Son
album avec Bill Evans, Waltz for Debby,
reste l’un de mes disques favoris. Je n’ai jamais eu la
prétention de devenir une chanteuse de jazz, c’est arrivé par hasard…
Vous avez pris
la décision de vivre à Paris. Aviez-vous des ambitions artistiques?
Pas du tout, d’autant que je ne connaissais personne. Tout a
débuté grâce à Paddy Sherlock. En décembre 2009, ma
sœur était à Paris pour quelques mois et elle travaillait au Coolin. Elle m’a
raconté qu’il y avait du jazz là-bas tous les dimanches, et elle a cherché à me
convaincre d’y aller pour chanter avec Paddy. Elle a fait la même chose avec
Paddy. Elle m’a fait embaucher avec elle, et du coup Paddy a
été un peu obligé de me faire monter sur scène. J’ai chanté, et il a été surpris par ma voix. A partir de là, il m’a encouragée. Chaque
dimanche, il me laissait chanter un ou deux morceaux (c’était simple, j’étais sur place comme serveuse). Il a même écrit, sans m'en parler, à mes parents pour leur
expliquer ce que je devais faire et les rassurer. Ma vie a pris une toute autre direction grâce à lui.
Quand avez-vous
commencé à vous produire sous votre nom?
En 2010. Je suis passée au Cercle Suédois avec Chris Cody (p).
C’était mon premier concert sous mon nom. En 2012, Paddy m’a emmenée au
festival d’Ascona. Au retour, il m’a dit: «Bon maintenant, tu arrêtes de
chanter avec moi, et tu montes ton propre groupe: on va alterner les dimanches
soir au Coolin!» J’étais désemparée. Alors, il m’a envoyée chez
Thomas Ohresser (g), que je ne connaissais pas, et qui a fini par devenir mon partenaire le plus proche. Ensemble, on a monté le
groupe qui allait devenir les Shadow Cats, avec Matthieu
Bost, le saxophoniste, qui a amené son copain de lycée Thomas Join-Lambert, à
la batterie, et Marten Ingle, à la basse, qui accompagne Paddy. Le premier concert a eu lieu au Coolin
en octobre 2012. On a ainsi tourné en quintet pendant trois ans. Quand on
passait au Caveau de La Huchette, on prenait un soliste supplémentaire, Manuel
Faivre, à la trompette. Mais depuis deux ans, il fait officiellement partie de
l’orchestre.
Vous avez sorti un
premier album en 2013, simplement intitulé Ellen
Birath Band. Le répertoire était plus jazz que celui que vous jouez
aujourd’hui…
C’était avant qu’on trouve le nom du groupe, baptisé les «Shadow Cats» en hommage au chat de Marten; il lui a sauvé la vie
alors que sa cuisine était en feu et qu’il dormait! Je n’arrive plus à écouter
ce disque: je n’entends que les défauts! On venait à peine de se former. Nous
n’avions alors qu’une seule composition, et nous avons enregistré des standards.
Le jazz était pour nous une aventure car personne n’en avait jamais vraiment
joué, en dehors de Thomas qui vient de la scène Django. On a mis sur disque ce
que nous savions faire à cette époque-là. On
commence à trouver notre univers depuis deux ans seulement. Ce n’est pas le swing –d’autres le font bien mieux que nous– mais un son particulier, entre soul et
jazz, avec des arrangements des années 60 et des influences reggae, ska, manouches. On écrit des compositions, en particulier Manuel et moi. Les
Shadow Cats, c’est vraiment un collectif, pas une diva et ses
musiciens.
Quelles sont vos
activités en dehors des Shadow Cats?
Les Shadow Cats me prennent énormément de temps car je m’occupe de tout l’aspect administratif et du booking. En dehors
de ça, j’écris et je fais parfois du doublage. Sinon, nous avons un
nouveau projet avec Manuel et Thomas, le «Belleville Rocksteady Club». On
chante tous les trois en reprenant des vieux morceaux de rocksteady ou en
transformant des chansons que nous aimons. Notre idée est d’inviter des
musiciens à venir jouer un morceau avec nous et former un réseau relayé par une
chaîne YouTube. On va sûrement donner
un premier concert à l’automne. Enfin, je prépare un album de soul avec un duo
de producteurs, Double Barrel.
Et votre
trio avec Paddy Sherlock et César Pastre?
On a joué ensemble pendant plusieurs mois dans un pub du 6e
arrondissement, Le Tennessee. L’année dernière, nous sommes allés à Ascona
et nous avons sorti un album, Ella
& Louis: A Tribute. Ça a débuté très simplement: un jour Paddy m’a
envoyé un texto pour me proposer qu’on joue le répertoire des albums Ella & Louis. C’était une
bonne idée pour exprimer toute la folie qu’il y a entre nous avec les plus belles chansons du monde. Une formule à trois, c’est plus
léger pour trouver des dates. J’ai proposé à Paddy de prendre César qui venait jouer de temps en temps avec les Shadow Cats à La Huchette. Ce projet continue, et nous avons
quelques dates. Depuis peu, Jérôme Etcheberry nous a rejoint. Il
fait partie des musiciens qui m’ont vu grandir au Coolin…
En avril 2016, vous
avez donné un concert place de La République, pendant le mouvement «Nuit
Debout». Etait-ce un engagement important pour vous?
Oui. J’avais une amie très impliquée dans l’organisation, et
c’est elle qui m’a proposé de venir. La scène a été montée juste avant le
concert, c’était très improvisé! (Rires)
Pour moi, cela avait une signification de jouer sur la «place de la
République», même si je viens d’une monarchie constitutionnelle, un régime qui n’a aucun sens… On avait envie de participer à ce
mouvement, avec nos moyens. C’est un excellent souvenir. Adélaïde Songeons (tb),
une autre protégée de Paddy, était venue faire le bœuf avec nous. Le soir,
on jouait à l’Hôtel du Louvre dans un tout autre contexte!
Vous êtes très loin
de la scène jazz scandinave contemporaine, plutôt introspective et marquée par
le folklore nordique…
J’aime bien écouter ce jazz-là, mais ce n’est pas mon
univers. En tous cas, pas aujourd’hui. Après, le fait de composer davantage
m’entraîne vers des choses plus personnelles. J’utilise beaucoup l’humour dans
mes chansons, pour me protéger. Mais peut-être qu’en allant vers plus de
profondeur, je serai rattrapée par le folklore suédois (rires).
Votre état
d’esprit est très jazz…
A ceux qui me
disent que ma musique n’est pas jazz, je réponds que je laisse aux autres ce
qu’ils font mieux que moi, et que je fais ce que je suis la seule à savoir
faire!
1. Monica Zetterlund
(1937-2005) était une actrice et une chanteuse de jazz suédoise. On retient
d’elle, en particulier, sa version de «Waltz for Debby», en suédois,
qu’elle a enregistré par la suite avec son compositeur, Bill Evans (Waltz
for Debby, Philips, 1964).
*
CONTACT: ellenbirath@gmail.com
EN CONCERT: Festival d’Ascona (du 22 au 30 juin); avec Manuel Merlot (voc) au Jazz Café Montparnasse (6 juillet)
DISCOGRAPHIE Leader/coleader CD 2013. Ellen Birath Band, Autoproduit CD 2016. Ellen Birath & The Shadow Cats, Autoproduit CD 2017. Ella & Louis. A Tribute, Autoproduit (avec
Paddy Sherlock)
Sidewoman CD 2014. Paddy Sherlock, Swing Your Blues Away, A Tout de
Suite Production CD 2017. Paddy Sherlock, Too Good to Be True, Autoproduit
VIDEOS
2009. Ellen Birath, «Dream a Little Dream of Me» (première scène), Coolin Irish Pub, Paris (13 décembre 2009) Ellen Birath, Paddy Sherlock (tb, voc), Michael
O'Dougherty (ts), Billy Colins (g), Marten Ingle (b), Philippe Radin (dm) https://www.youtube.com/watch?v=bJQo45LGJww
2015. Ellen Birath Band & Guests, Coolin Irish Pub,
Paris (8 mars 2015, fermeture du pub) Ellen Birath, Thomas Ohresser (g), Matthieu Bost (as),
Marten Ingle (b), Thomas Join-Lambert (dm) + Paddy Sherlock (tb, voc), Michael
O'Dougherty (ts) https://www.youtube.com/watch?v=3KLJxl782TY
2015. Ellen Birath & The Shadow Cats, Caveau de La
Huchette (8 octobre 2015) Ellen Birath, Manuel Faivre (tp), Thomas Ohresser (g),
Matthieu Bost (as), Marten Ingle (b), Thomas Join-Lambert (dm) https://www.youtube.com/watch?v=YFIV0L-_lXA
2017. Ellen Birath & The Shadow Cats, «Like a Virgin»
(clip) Ellen Birath, Manuel Faivre (tp), Thomas Ohresser (g),
Matthieu Bost (as), Marten Ingle (b), Thomas Join-Lambert (dm) https://www.youtube.com/watch?v=AZpTuIfJEbc
2018. Ellen Birath & Paddy Sherlock, «The Nearness of
You», Ile de Ré (29 mars 2018) Ellen Birath, Paddy Sherlock (tb, voc), Jérôme
Etcheberry (tp) César Pastre (p) https://www.youtube.com/watch?v=EE4vi5I5RvQ
|