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90 ANS DE JAZZ HOT, UNE HISTOIRE TRANSATLANTIQUE
Philip STEIN Jazz, radio et peinture
5 février 1919, Newark, NJ – 27 avril 2009, Manhattan, NY
Philip Stein (à droite) en compagnie de son maître David Alfaro Siqueiros (à gauche) en 1948 © Photo X, www.mexicanmuralschool.com by courtesy
De presque quatre ans son aîné, Philip Stein(1),
le frère de Lorraine (cf. Lorraine Gordon), a eu un impact
majeur sur la vie de sa sœur cadette, d’abord en l’associant à l’aventure du Hot Club de Newark créé en 1935 (le premier aux Etats-Unis est celui de New York en
1934, (cf. Milt Gabler dans Blue Note) pour collecter dans le quartier afro-américain
de Newark les vieux disques qu’ils écoutent et analysent en collectif. Ils vont
aussi ensemble aux concerts et en clubs à Newark, et une fois plus âgés, jusqu’à
New York. Peu à peu, les deux jeunes rencontrent ceux qui diffusent le jazz,
notamment Ralph Berton(2) à la radio, et
Alfred Lion qui crée Blue Note en 1939.
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Philip choisit le métier d’artiste peintre sous la signature d’«Estaño»,
nom hispanisé de «Stein» par son maître d’apprentissage puis compagnon de
production artistique au Mexique, David Alfaro Siqueiros, peintre de murals
(grandes fresques sur les murs).
Il travaille
au début dans l’exécution de décors de théâtre, puis comme soudeur dans les usines
d’armements de guerre pendant neuf mois avant de s’engager. Volontaire comme météorologue
pendant deux ans et dix mois de guerre, il fait partie des troupes qui font la
jonction avec l’armée russe sur l’Elbe, approfondissant sa connaissance de la
peinture allemande et travaillant sa technique selon les matériaux récupérés au cours de son périple. Décorateur
après sa démobilisation le 11 novembre 1945, il suit par intermittence des
bouts de cursus en architecture au Pratt Institute de Brooklyn, NY, en arts à
la New School for Social Research de
Greenwich Village puis au Chouinard Art Institute de Los Angeles, ayant
toutes un point commun: un enseignement alternatif. Après s’être occupé de la
fin de vie de leur mère en octobre 1946, son rôle de piquet de grève, en 1946-1947
à Hollywood où il travaille dans les décors, lui vaut trois mois de prison. A
sa sortie, grâce à ses crédits universitaires d’ancien combattant (GI Bill), il
décide de reprendre ses études d’arts et part, à cause de la chasse aux
sorcières (maccarthysme) aux Etats-Unis qui provoque aussi l'exil en France de James Baldwin la
même année. De 1948 à 1958, installé avec sa famille au Mexique, il continue
d’accumuler une impressionnante collection de disques et anime sa première radio
jazz.
Cette décennie sera une véritable formation sociale et politique au sein d’un collectif artistique, et quand il rentre en 1958, Philip commence un mural dans le Vanguard, en trois panneaux qu’il finit en 1968, dont seul le panneau New Man, New Woman résistera plus longtemps aux fuites dues aux intempéries dans la cave de jazz; ce retour lui permet d’animer sa deuxième émission jazz de radio à New York. Après avoir retrouvé Jabbo Smith (tp) avec Lorraine dans un spectacle (One Mo’Time) au Village Gate à Greenwich Village, il repart des Etats-Unis vers l’Espagne, de 1980 (cinq ans après la mort de Franco) à 1993, cette fois en raison des mandats Ronald Reagan et George Bush père qu’il ne supporte pas. Il s’installe à Vilassar de Dalt en Catalogne où, parallèlement à son activité de peintre, il écrit un livre Siqueiros: His Life and Works (1994), anime sa troisième radio de jazz, crée le label Jazz Art sur lequel il produit deux disques de Big Chief Russell Moore enregistrés au Village Vanguard(3), réédite deux sessions de Jabbo Smith de 1961. En 1998, il crée lui-même son site internet sur lequel il n’hésite pas à afficher ses idées politiques de toujours(4). Il décède à New York à l’âge de 90 ans, entouré de sa femme Gertrude (Goodkin) qu’il avait épousée avant son départ à la guerre en 1943, et de ses deux filles.
Mural du Vanguard par Philip Stein © X by courtesy
Dossier conçu et réalisé par Ellen Bertet, Sandra Miley, Hélène Sportis, Jérôme Partage et Yves Sportis Photo www.mexicanmuralschool.com by courtesy
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Publicité de 1941 de Ralph Berton pour ses jam-concerts
du dimanche après-midi au Vanguard
2. Ralph Berton, 24 décembre 1910, Danville,
IL-17 novembre 1993, Ridgewood NJ
Né Berton Cohen dans une famille de
gens du spectacle, son père Maurice était violoniste, sa mère Ida (née Glueck)
logeait parfois des comédiens itinérants, son frère aîné, Vic Berton (dm, perc)
a été le premier manager de Bix Beiderbecke puis devient directeur musical à
Hollywood, et le second de la fratrie, Eugene, fait une carrière de chanteur
classique. Un temps boxeur, tentant sa chance à Hollywood, Ralph est si
passionné de jazz, qu’il conçoit à partir de février 1940 des émissions radio
quotidiennes et hebdomadaires «Metropolitan Revue, finest in
recorded hot jazz», «American Jazz Institute», «The Jazz Institute of the Air» ou «Jazz University of the Air» sur WNYC, WINS, WBNX sur lesquelles
il passe notamment les tout nouveaux Blue Note (cf. article), pour informer sur les jazzmen,
leurs groupes, les parcours de vie, les dates de concerts et enregistrements,
des anecdotes, et propose un travail d’écoute approfondie et analytique sur les
morceaux (solos, compositions, comparaisons d’interprétations, d’arrangements,
d’orchestrations sur les standards) pour permettre au public d’appréhender
cette nouvelle musique. Il fait des conférences sur le jazz, enseigne notamment
à la New School du Middlesex County College, NJ, édite le magazine de jazz
Sounds and Fury et publie en 1974 une biographie de Bix Beiderbecke, Remembering Bix, A Memoir of the Jazz Age.
https://archives.libraries.rutgers.edu/repositories/6/resources/517

3. Big Chief Russell Moore (tb, 13 août 1912 Réserve indienne de
Gila River AZ – 15 décembre 1983, Nyack, NY), il a joué notamment avec Lionel
Hampton, Eddie Barefield, Oscar Celestin, Paul Barbarin, Noble Sissle, Louis
Armstrong, Ruby Braff, Pee Wee Russell, Eddie Condon, Jimmy McPartland, Mezz
Mezzrow, Sidney Bechet, Buck Clayton, Eddie Wilcox, Cozy Cole, Keith Smith.
• Jazz Hot N° 33, mai 1949
• Label Jazz Art, Philip Stein https://www.discogs.com/fr/label/606420-Jazz-Art?page=1• Deux enregistrements au Village Vanguard, cf. discographie
4. «Je me suis retrouvé face à l'ordinateur assez tard.
Finalement, en 1998, quand j'avais 79 ans, j'ai décidé de voir de quoi parlait
l'ordinateur. Je me suis donc préparé à entrer dans le 21e siècle «câblé». Ce
fut une expérience inestimable et enrichissante. Fort de volumes de littérature
sur la façon de maîtriser le médium, j'ai réussi à créer un site Internet
consacré à ma peinture, à me connecter avec les galeries d'art internet, et
tout le reste, la recherche, l'histoire de l'art, les relations politiques.
Tout cela prend énormément de temps - mais ça en vaut la peine.»
«Permettez-moi de citer ici les mots d'un journaliste de
Pravda.ru qui a écrit le 13 février 2004: "Il est temps de reconnaître que
l'Amérique est aux prises avec une corruption si contagieuse et dévoyée qu'il
est peut-être déjà trop tard pour y remédier. Nous avons maintenant une nation
où l'indignation retentit au Congrès parce qu'une chanteuse surfaite a exposé
ses seins surfaits lors d'un match de football surfait, quand des centaines de
soldats américains et britanniques et des milliers d'Irakiens sont tous
embarqués, suite à des mensonges purs et simples maintenant blanchis comme des
échecs du renseignement."»
«Le post-modernisme est un mouvement d'extrême décadence et,
espérons-le, sera jeté à la poubelle avec l'administration Bush. Le
post-modernisme est une partie très logique de notre système social en
décomposition et, malheureusement, jusqu'à ce que les affres du système aillent
jusqu’au bout. Quant au réalisme dans la peinture, c'est une quête profondément
humaine, et l’expression de l'être humain vivant dans la réalité que, doté de
talent artistique et de sentiments, il tentera toujours, de la manière la plus
naturelle, d'expliquer cette réalité en termes esthétiques…»
«C'est à ce moment que je suis entré en contact pour la
première fois avec Siqueiros. Mais la première perception de ses propos est
venue après une série de conférences de cinq jours consécutifs; parlant en
anglais aux étudiants en art rassemblés, principalement des vétérans
nord-américains de la Seconde Guerre mondiale au cours de ce mois d'octobre
1948, il a parlé de l'histoire du «mouvement mural» mexicain, de sa
responsabilité sociale et de sa comparaison avec l'Ecole de Paris.»
«Diego Rivera était très actif. Lui et Siqueiros étaient
généralement à la tête de toutes les manifestations et j'étais très souvent en
leur compagnie. Tourbillonnant autour du mouvement aussi, j'étais souvent avec des
muralistes et sculpteurs de cette période tels que Juan O'Gorman, Pablo
O'Higgins,…»
«Le grand défi pour Siqueiros était de peindre des thèmes
politiquement francs d'une manière intensément esthétique. On pourrait citer
les thèmes sanglants des peintres de la Renaissance pour évoquer la politique de
l'Église catholique…».
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