Jelly Roll MORTON
Les relations difficiles entre Jelly Roll Morton et la Harlem Renaissance
World Greatest Hot Tune Writer: Originator of Jazz-Stomp-Swing. Jelly Roll Morton, alias Ferdinand Joseph Lamothe (écrit Le Mott sur le certificat de baptême), né le 20 septembre 1885 à New Orleans, et décédé à Los Angeles le 10 juillet 1941, peut être considéré à juste titre comme l'un des pères du Jazz Hot et de la composition-orchestration jazz (et de l'improvisation simulée bien avant...André Hodeir), en faisant de 1907 à 1926 une synthèse progressive de ses expériences : les hymnes religieux, les spectacles de Minstrels, le brass band, le ragtime, l'opéra, le blues (Mamie Desdoumes!) et la musique créole (son «spanish tinge»).
A propos de l'année de naissance de Morton, il y a grâce à Laurence Gushee la même confusion que pour Bunk Johnson. Gushee a découvert dans un registre de baptême de la St. Joseph Church de New Orleans que Morton est inscrit avec la date de naissance du 20 Octobre 1890. En fait ce document fut rédigé en…1984(!!!) et n'a aucune authenticité. Par ailleurs la demi soeur de Morton, Amide Colas, a indiqué à Bill Russell qu'elle est née en 1897 et que Jelly Roll était son aîné de 11 ans.
Michel Laplace © photo X
© Jazz Hot n°663, printemps 2013
Jelly Roll a débuté le piano en 1900 à la St. Joseph Catholic School. Il a fait des parades en jouant du trombone. Jeune, il traine chez Mary Bee Bush (1) où il se lie à Jean Vigne Jr, pianiste au Lulu's White de Storyville. C'est lui qui l'amène dans ce quartier spécial. Nous sommes en 1905 et Jelly Roll Morton y fréquente, outre Jean Vigne Jr, les pianistes Tony Jackson et Sammy Davis (dont la mère est sa marraine). Il aurait composé à cette date «New Orleans Blues», et lors d'une séance en 1939, il jouera une évocation stylisée de la musique des lieux : «The Naked Dance». Bref, un passé qui ne peut inspirer l'estime des dignitaires de la Harlem Renaissance. De 1907 à 1915, il voyage beaucoup tout en maintenant pour un temps des retours au pays. Il passe à Memphis (1910) où il aurait connu W.C. Handy, après un séjour à Mobile où il recontra le pianiste Porter King (2). En 1911, il est à St. Louis où il fait l'admiration d'Artie Matthews (auteur de «Weary Blues»), puis à New York où il est remarqué par James P. Johnson autant pour son talent que pour son excentricité. Il monte un numéro de blackface (Fred et Rosa Morton) remarqué par les frères Reb et Johnny Spikes lors d'une prestation à Muskogee. Avec les Spikes qui apparaitront comme co-signataires de «Frog-i-More Rag» (3), il tourne avec les McCabe's Minstrel Troubadours (1914). Vers 1914, Jelly Roll Morton décline l'offre d'une tournée en Europe comme accompagnateur des danseurs Irene et Vernon Castle. Mais, en 1915, avec Ollie Powers (dm), il accompagne au De Luxe Cafe de Chicago la chanteuse de vaudeville Lucille Hegamin qui y crée son «Jelly Roll Blues». Ce chef-d'œuvre, très sophistiqué, est son premier copyright (1915, éditions Rossiter, Chicago). Il est possible que les James P. Johnson et George Gershwin en eurent connaissance. En tout cas le Morton qui joue trois compositions d'Irving Berlin sur piano rolls en 1915 et 1917, n'est pas Jelly Roll, mais un Fritz Morton (label Rolla Artis). A cette époque, Jelly Roll Morton est à San Francisco (1915) et Los Angeles (1917, avec Buddy Petit). Il restera sur la Côte Ouest jusqu'en 1922. On l'entendra à Tia Juana et San Diego en 1921, ce qui est excentré des lieux où l'on se fait un nom. Il le sait. En 1923, Perry Bradford le recommande pour des disques chez Paramount. Voilà donc Jelly Roll Morton à Chicago de 1923 à 1928, où il travaille comme song-plugger et arrangeur aux éditions des frères Melrose, métier que vécut George Gershwin avant lui. A cette période, George Gershwin livre les «préludes pour piano» et des oeuvres maîtresses. De son côté, à Chicago certes, Jelly Roll Morton grave des faces exceptionnelles pour un label de renom (Victor) et les éditions Melrose publient un recueil de piano : Jelly Roll Morton's Blues and Stomps. Mais les relations de Jelly Roll Morton avec les dignitaires de la Harlem Renaissance sont mauvaises. L'émission de radio où W.C. Handy dirige l'orchestre de Jelly Roll Morton en 1924 se passe mal. Jelly Roll Morton, musicien d'exception, est au fait de tous les développements de son temps. Le recueil Modern Novelty Piano Solos de Zez Confrey (1923, éditions Jack Mills) est un succès dans tout le pays. On trouve donc trace des complexités du style Novelty non seulement dans «Modulations» (1923, éditions Rossiter, Chicago) de Clarence M. Jones, «Jingles» (1926, éditions Cl. Williams, N.Y.) de James P. Johnson, mais aussi chez Jelly Roll Morton dans «Freakish» (non édité : série d'accords de 9ème) et «The Finger Breaker» (non édité : tempo casse-cou des contests de Harlem et difficultés de motifs graves-aigus). En 1928, Jelly Roll Morton part pour New York. Il vit un temps chez Lottie Joplin, veuve du compositeur. Il enregistre pour Johnny Dunn, célébrité très Harlem Renaissance. Il commence à fréquenter le Rhythm Club, à la 132ème rue Ouest, où il indispose tout le monde par sa prétention et ses leçons de musique. Duke Ellington le rabaissera : «il jouait du piano comme un professeur de lycée de Washington, à la différence que les professeurs de lycée jouaient mieux le jazz». Le grand Duke Ellington aura été injuste envers Jelly Roll Morton comme il le fut aussi envers George Gershwin. Lorsqu'en 1928, Jelly Roll Morton dirige un orchestre au Rose Danceland (sur 125th Street et 7th Avenue), c'est encore d'un bon niveau. En 1929-1930, Jelly Roll Morton trouve peu de musiciens volontaires pour jouer sa difficile musique. Puis ce sont les galères : Checker Club à Harlem (avril 1931), sa revue Speeding Along au Jamaica Theatre de New York (mai 1931), Lido Ballroom (octobre 1932), show Head In avec Lillyn Brown à Harlem, puis pianiste en résidence au Red Apple Club à une époque où Art Tatum concentre tout l'intérêt sur lui, dont celui de George Gershwin, Arthur Rubinstein et Vladimir Horovitz. John Hammond, vice-président de la NAACP ne l'oublie pas et le convie à une séance de Wingy Manone, en compagnie d'Artie Shaw qui est un proche de George Gershwin (1934). Même si, enfin, un dignitaire de la Harlem Renaissance lui rend justice, Fletcher Henderson arrangeant «King Porter Stomp» pour Benny Goodman, Jelly Roll Morton a échoué à Harlem et New York. En 1936, il se replie sur Washington. Après la mort de George Gershwin, en 1938, Alan Lomax lui donne l'attention qu'il mérite (pour le compte de la Library of Congress). En août 1938, dans Down Beat, Jelly Roll Morton règle ses comptes avec W.C. Handy et Duke Ellington : «I created jazz in 1902. Not W.C. Handy...In 1912 a fellow musician brought me a number called Memphis Blues. The minute I started it, I recognised it! The first strain is Black Butts' strain, all dressed up- Butts was strictly a blues or boogie woogie player, with no knowledge of music. The second strain was mine, I assembled the tune. And the last strain was Tony Jackson's Whoa-B-Whoa...of Duke Ellington for claiming to have originated Jungle Music...it's no more than a flutter tongue on trumpet or trombone to any denomination of chord, done years before by Keppard, Buddy Petit or King Oliver» («J'ai créé le jazz en 1902. Pas W.C.Handy...En 1912 un copain musicien m'a amené un morceau à jouer appelé Memphis Blues. A la minute où je l'ai commencé, je l'ai reconnu! Le premier motif est de Black Butts, tout mis en forme - Butts était strictement un musicien de blues ou boogie woogie, sans connaissances de la musique. Le deuxième motif était de moi, j'avais mis en forme le morceau. Et le dernier était le Whoa-B-Whoa de Tony Jackson...à propos de Duke Ellington se prétendant le créateur de la Musique Jungle...ce n'est rien d'autre qu'un flutter tongue à la trompette ou au trombone sur tout type d'accord, pratiqué des années plus tôt par Keppard, Buddy Petit ou King Oliver»). Jelly Roll Morton n'aura vraiment pas mis toutes les chances de son côté pour être reconnu à sa valeur de son vivant.
1. qui avec trois hommes, Jean Vigne père (batteur), Edgar Guidry et Billy Cayou, eut des enfants dont quatre furent des pianistes : Jean Vigne Jr, Manuel Vigne, Jeffry Cooney Guidry (alias Papa Yellow) et Red Cayou. 2. il lui dédiera «King Porter Stomp» (1911, copyright 1924) dont le motif B porte la marque de Scott Joplin (qui aurait été consulté) et dont le trio est tiré d'un interlude utilisé en contest par les pianistes de rag à St. Louis. 3. «Frog-i-More Rag» fut déclaré à Los Angeles le 15 mai 1918, puis édité en 1926 par Melrose. Le début est emprunté à un pianiste-contorsionniste, Frog Man Moore. Le trio, édité par Melrose, est un beau song rebaptisé «Sweetheart of Mine».
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