Lily, le bon ange de Bill Coleman (de quinze ans son aîné), et pendant longtemps de Jazz in Marciac, s’en est allée le 7 août 2013 à Lombez (Gers). On néglige trop les compagnes d’artistes qui pourtant ont, parfois, un rôle essentiel dans la carrière de leur élu. J’ai connu pas moins de trois Lily déterminantes dans l’ombre de Bill Coleman, Roger Guérin et Maurice André (ordre générationnel). Lily Coleman, née à Neuchâtel le 18 septembre 1919, a rencontré Bill le 23 février 1950 au Chikito, un dancing de Berne. Elle était venue écouter l’orchestre, et elle est allée demander un autographe au trompettiste : « C’était une jolie brunette, et elle me plut beaucoup. » (Bill Coleman, autobiographie, p. 226), « Lorsque je dansais sur la piste, nos regards se croisaient souvent. » (Lily Coleman, Jazz Dixie/Swing 11, p. 22). Lily étaient mariée mais sur le point de divorcer. C’est Bill qui, dès 1950, présenta déjà Lily au critique Johnny Simmen et à son épouse Lisa (décédée le 12 février 2013 à 91 ans). Lily sera la marraine de leur fille Michèle. D’origine suisse, Lily fut élevée à Pontarlier, dans le Doubs (France). Elle s’intéressait à la musique en général, surtout classique et jazz, dès 1933. En 1938, elle retourne vivre en Suisse et elle écoute le samedi, sur Radio Genève, l’émission Le Jazz Authentique de Loïs Choquart. Lily possède aussi quelques disques de Dizzy Gillespie, Fats Navarro, Charlie Ventura, un Louis Armstrong… aucun de Bill ! Après sa rencontre avec Bill, à Berne, Lily, déterminée, le rejoint à Rome, puis elle le suit en France. Fin 1951, elle se met à la tâche pour lui : « Le moins que l’on puisse dire est que Bill n’était pas un homme d’affaires… Il craignait les complications, les responsabilités, les risques, etc. » (Lily Coleman, Jazz Dixie/Swing 11, p. 24-25). C’est donc Lily qui a eu l’idée d’une grande tournée pour Bill, chef d’orchestre à la tête de solistes américains (1952, Dicky Wells, Zutty Singleton). C’est Bill qui a voulu Guy Lafitte (ts, cl), mais c’est Lily qui a tout organisé. L’orchestre remporta un vif succès à la Salle Pleyel (disque Philips). Une réussite pour le couple ! Bill a obtenu le divorce avec Madelyn, et épouse Lily le 8 octobre 1953 à Paris. Le père de Lily n’a pas accepté cette union, mais sa sœur Suzanne fit envoyer des fleurs. A cette époque, L’union mixte n’était pas un problème qu’aux Etats-Unis ! Leurs amis Maurice et Vonnette Cullaz étaient présents (les témoins étaient Colette Ghanassia-Lacroix et Sacha Dillot). En 1954, Lily fait avec Bill un séjour à New York où elle rencontre Hot Lips Page, Red Allen, Charlie Shavers. Lily est indissociable de Bill. C’est tout à fait inhabituel que lors de mon premier courrier à Bill j’obtins une réponse de lui-même (septembre 1973). Par la suite, Lily s’interposait. Ayant fait de Bill Coleman un membre d’honneur de la Guilde Française des Trompettistes, je pus avoir les contacts téléphoniques directement avec Bill pour le faire jouer gratuitement au concert annuel de l’association (Blois, 1980). J’étais là pour l’accueillir et fis donc ainsi la connaissance de Lily dès cette époque. Le couple vivait déjà dans le Gers. C’est Guy Lafitte, qui avait une ferme et un élevage de moutons à Simorre, qui les a attirés dans cette région, d’autant que le cardiologue de Bill lui avait dit qu’il se porterait mieux à la campagne. Bill et Lily se sont installés à Cadeillan en 1977 (village proche de Simorre). Guy Lafitte et sa femme Colombe leur ont déniché une petite maison à louer. Ils ont tout d'abord pensé implanter leur projet de festival jazz à Simorre.
Mais, peu après, c’est l’aventure Jazz in Marciac qui commence : « Un jour, début 1979, nous avons reçu la visite d’un homme, André Müller que Bill connaissait puisqu’il avait joué au Festival de St-Leu-la-Forêt dont André Müller était l’organisateur. Il avait pris sa retraite et était venu s’installer à Marciac dont son épouse était originaire. Il avait persuadé M. Jean-Louis Guilhaumon, maire adjoint, et le maire, M. Toulouse, de faire un concert de jazz en 1978 avec Claude Luter et le concert avait très bien marché. Maintenant, ils voulaient essayer de faire un petit festival, et André Müller voulait convaincre Bill de venir jouer pour un prix modeste, et aussi de leur donner un coup de main pour contacter nos relations dans le monde musical ; ce que nous fîmes. Je contactais Memphis Slim, le Golden Gate Quartet, l’orchestre d’Henri Chaix, Earle Warren, Stéphane Grappelli, bien entendu Guy Lafitte, etc. Il y avait des musiciens français, les Royal Tencopators… » (Lily Coleman, Jazz Dixie/Swing 12, p. 11). Bill devient alors le premier Président d'honneur de JIM. Son contact si chaleureux et jovial contribuera à établir le climat convivial qui a imprégné les débuts du festival de Marciac. C’est le décès de Bill en 1981 : « Bill, c'était un musicien élégant, un homme simple, généreux, gentil, attentif aux autres, un bon vivant… Il m'a tellement gâtée ! Lui survivre est une épreuve de force. Il m'a fallu me raccrocher à quelque chose pour traverser ce désert qu'est devenue ma vie sans Bill. Et Jazz in Marciac m'a apporté des forces inouïes... » (Lily Coleman). Longtemps, pour chaque édition de JIM, Lily signait chaque jour, des billets pour La Dépêche du Midi. Femme de conviction, Lily a su imposer des musiciens (Monty Alexander, par exemple). Nous l’avons souvent rencontré non seulement au premier rang sous le chapiteau, mais aussi spectatrice du Off (festival bis). Mais en 2007, elle ne venait déjà plus et l’orchestre Raymond Fonsèque qu’elle fit programmer est allé lui rendre visite à Cadeillan. Et il y a eu le musée à Marciac (les Territoires du Jazz), encore une idée de Bill qui était collectionneur. Lily y a reconstitué la loge de Bill ! En 1981, une première version de l’autobiographie de Bill sort aux éditions Cana. Mais Lily n’est pas satisfaite. Elle traduit en français tout ce que Bill a écrit et réussit à convaincre Laurent Rieu de publier, sans coupures (!) l’intégralité du texte : De Paris, Kentucky à Paris, France, ma trompette sous le bras (2004, Mémoire d’Oc éditions). Entre temps, sur la demande de Raymond Fonsèque, je suis allé à Cadeillan interviewer Lily (23 février 1996). Il s’en est suivi une série d’articles de Lily elle-même, publiée dans Jazz Dixie/Swing. En 1984, Lily Coleman assure le secrétariat de la toute fraîche association « Les amis de l'orgue » présidée alors par Philippe Téchené, à Lombez. Lily est élue présidente en 1993. La programmation, saison après saison, est éblouissante. De grands noms viennent jouer aux orgues de la cathédrale de Lombez bien souvent par amitié pour Lily Coleman. Pour elle certains revoient leur cachet à la baisse. On ne sait pas résister à sa « main de fer dans un gant de velours ». Elle veut le meilleur pour les orgues de Lombez, un instrument du XVIIIe siècle. La santé de Lily l’a trahie. Fort caractère, elle refusa longtemps de quitter sa maison – celle de Bill ! Ses voisins ainsi que le maire et son épouse, à tour de rôle, ont pris soin d’elle. En septembre 2011, l'anniversaire de Lily Coleman est célébré par tout le village. Il y a deux ans, Lily fut placée dans la maison de retraite de Lombez. Mais, Lily avait décidé de ne plus lutter et elle avait donc refusé de s'alimenter depuis quelques temps. Peu avant son décès, le 7 août 2013, elle refusait les soins. Personne n’est jamais allé contre une volonté de Lily Coleman. Symboliquement, son décès est survenu en plein Festival à Marciac, où le concert de Joshua Redman lui fut dédié. Le 13 août 2013 à l’église de Cadeillan, à partir de 15h, eurent lieu ses obsèques suivies de l’inhumation au cimetière où elle a rejoint Bill. La cérémonie s’est tenue en présence de sa sœur Suzanne Vicenzi, d’une nièce, de Jean-Louis Guilhaumon, de son épouse et de Béatrice Dubois (JIM), Colombe Lafitte, de rares journalistes et musiciens (Jacques Aboucaya, Henri Chéron). Un jeune trompettiste a joué dans l’église. A la sortie et au cimetière, un petit orchestre a interprété « Lily of the Valley » et « Just a Closer Walk » (Boss Quéraud, tp-cl-ld, Bernard Ourtal, tp, Michel Laplace, cnt, Francis Guero, tb, Jérôme Arlet, bj, Michel Mozet, sn dm). Comme l’a dit Jean-Louis Guilhaumon à la presse : « C’était une personne de grande conviction, très entière, et qui n’avait pas pour habitude de transiger » (La Dépêche du Midi, 9 août 2013, p. 33). Bill & Lily Coleman furent distingués dans les ordres du Mérite, des Arts et Lettres et de la Légion d'Honneur.
Michel Laplace
Bibliographie Bill Coleman : De Paris (Kentucky) à Paris (France) ma trompette sous le bras, 2004, Mémoire d’Oc Editions Michel Laplace : « Bill Coleman – Interview de Lily Coleman », 1996, Jazz Dixie/Swing 11 & 12
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