A Duke Ellington Sound of Love Fort Napoléon, La Seyne-sur-Mer (83), 13 juin 2014
En ce mois de juin de canicule,
l’association Art Bop qui, tout au long de l’année, offre trois
concerts par mois au Fort Napoléon, invitait l’autre association
jazz qui œuvre au même endroit, Workshop Experience, pour un grand
concert sous les étoiles, avec son big band : A Duke
Ellington Sound of Love, titre emprunté à Thelonius
Monk. Ce nonet, emmené par Gérard Maurin (b), est une émanation
des Ateliers du Fort Napoléon. Lisons la déclaration d’intention
du projet : « "Hommage", "revival", "héritage",
ne sont pas des termes appropriés à des œuvres d’art: ils
supposent qu’il s’agirait de choses passées (mortes ?), d’un
autre temps, qu’on voudrait rendre présentes. Mais l’œuvre
survit à l‘artiste. Toute œuvre est à la fois inscrite dans son
temps (…) et anachronique ou "inactuelle” comme le démontre
Wynton Marsalis qui n’imite personne mais cultive et fait
fructifier avec l’aide de très grands musiciens d’aujourd’hui
ce que les grandes figures du Jazz nous ont offert. (…) Avec ce
projet, le collectif Workshop Expérience (W.E) ne rend pas hommage
uniquement à l’homme et à son œuvre, mais aussi et surtout à
l’esprit de la musique de Duke. » Et Gérard Maurin, en plus de tenir la
contrebasse et de diriger le nonet, partage, à l’image du tandem
Ellington-Strayhorn, les arrangements avec son pianiste Stéphane
Bernard. Arrangements dont il faut souligner la qualité et
l’originalité, d’autant que cette formation repose sur une
instrumentation singulière, assurée par quelques-uns des meilleurs
musiciens du coin : deux trombones (Bernard Camoin et Philippe
Farabet), une seule trompette (José Caparros), trois saxes (Guy
Lopez, ts, fl, Pascal Aigan, as, ts, Henri Gnéri, bs), plus la
rythmique (Stéphane Bernard,p, et Thierry Larosa, dm). Gérard
Maurin ne s’est pas contenté de puiser dans le répertoire
Ellington/Strayhorn, mais il a offert quelques thèmes de sa
composition, et même un Mingus de belle envolée « Boogie Stop
Shuffle ». L'ensemble bénéficiant d'une belle unité
d'arrangements. La première partie était réservée
au nonet seul. Après un début qu'on a senti un peu rigide (les
arrangements sont assez complexes et c’était la première
prestation en public), la formation a gagné en aisance, sous la
chaleur des applaudissements. Et ce fut un petit régal, tant les
musiciens se sont donnés à fond, tant en solo qu’aux pupitres. La seconde partie fut encore meilleure
avec l’apparition de Virginie Teychené (voc). Splendide dans sa
robe bustier noire, entourée par les musiciens en costume cravate
(comme à la grande époque des big bands). Une présence chaleureuse
mais toute de simplicité et de gentillesse, une voix puissante,
naturelle et charmeuse, de beaux graves, une tessiture étendue avec
des aigus qui restent pleins, et un scat au dessus de tout soupçon.
Elle était à l’écoute de l’orchestre, s’enroulait dans les
arrangements : on sentait la connivence avec les musiciens. Ça
swinguait, ça chantait, c'était beau. Et présentation de l'orchestre à l’ancienne sur « Duke’s Place » pour
finir en beauté.
Serge Baudot
Dr John & The Nite Trippers Le Trianon, Paris, 28 mai 2014
Le 28
mai, Dr John (p, g, voc)
a fait étape au Trianon,
accompagné de ses Nite Trippers. Ceux-ci sont aujourd'hui dirigés
par Sarah Morrow
(tb, voc) qui mène le show à la baguette. A ses côtés on retrouve
deux vieux complices de Columbus (sa ville d'origine) : les
excellents Bobby Floyd (org) et Reggie Jackson (dm). Le groupe est
complété par Dave Yoke (elg) et Dwight Bailey (elb). Se
déplaçant lentement, à l'aide de deux cannes couvertes de signes
vaudou (ce qui ne l'empêchera pas de faire un solo de guitare pour
épater la galerie), Malcolm Rebennack , haut en couleurs comme à
son habitude, se montre toujours aussi agile devant le clavier. Le
blues et le boogie coulent naturellement sous ses doigts. De sa voix
éraillée, le bon docteur a débuté par son fameux « Iko
Iko ». A l'intersection du blues, du jazz, du funk, du rock et
de la musique cajun, il a alterné ses titres les plus célèbres
(« Right Place, Wrong Time », « Such a Night »)
avec ceux de son dernier album (Locked Down,
sorti chez Nonesuch Records en 2012) dont le superbe « Révolution »
parfaitement servi par Sarah Morrow. Un concert enthousiasmant
émaillé de citations savoureuses : « When the Saints »
sur un groovissime solo de Bobby Floyd ou quelques mesures de la
« Rapsody in Blue » avec lesquelles Dr John a conclu son
tour de piste.
Jérôme Partage
Paris en clubs Mai 2014
Nicola Sabato (b) était au
Caveau de la Huchette le 6 mai, accompagné de Dano Haider
(g), Florent Gac (p) et Sylvain Glevarec (dm). Le groupe a
interprété, avec beaucoup de finesse, « Wabash », « On
the Sunny Side of the Street » ainsi qu'un « Lullaby of
Birland » sur tempo lent emmené par un Dano Haider très
inspiré. Une belle formation qui cultive l’art de la nuance. JP
Le 16 mai, le Belge Greg Lamy
(g) était au Baiser Salé avec son quartet (Johannes Muller,
ts, Gautier Laurent, b, Jean-Marc Robin, dm) pour présenter la
musique de son dernier album, Meeting, paru chez Igloo fin
2013 (Jazz Hot N°666). S'inscrivant dans la belle tradition
de la guitare belge, Greg Lamy a livré des compositions
intéressantes, servies par un groupe mature bénéficiant notamment
des bonnes interventions de Muller. JP
Le 22 mai, Paddy Sherlock
(tb, voc) donnait un dernier concert au Coolin, pub irlandais
bien connu du marché Saint-Germain et qui va malheureusement fermer
ses portes à la fin de l’année pour devenir un Apple Store.
Paddy a officié en ces lieux un dimanche soir sur deux, de
l’automne au printemps, pendant 18 ans. Durant ces presque deux
décennies, il a permis de révéler plusieurs talents (féminins
surtout) du jazz : Brisa Roché, Aurore Voilqué et plus
récemment la chanteuse suédoise Ellen Birath. Finis donc la fête
de fin de week-end, les filles qui se dandinent, les garçons qui
descendent des pintes (et inversement), le jazz, le blues, le funk,
le folk irlandais, place aux smartphones et autres appareils
répondant à l’impérieuse nécessité de rester connecté (à des
cerveaux « comme de la sauce blanche » dirait Bison
Ravi). Anyway, business is business… Pour cette « der
des der » - qui exceptionnellement se tenait un jeudi -, l’ami
Paddy a entonné un joyeux chant du cygne, 100% pur malt, accompagné
de son groupe habituel : Michael O'Dougherty (ts, fl, très en
verve !), Thomas Ohresser (g), Marten Ingle (b), Philippe Radin
(dm) et Jean-Philippe Nader (perc). Notons que l’événement était
suffisamment considérable pour attirer les caméras du journal de
20h… Showman débordant d’énergie, zébulon charmeur, crooner
facétieux, tromboniste solide, Mr. Sherlock a navigué entre un
blues tonique, avec parfois des accents rock, des standards du jazz
(« St James Infirmary »), des chansons originales
interprétées avec un vrai talent de comédien (ce qu’il est
également), comme « Ma Doudou m’a quitté » de
Guillaume Nouaux. Bref, une belle fête avec des danseurs, des gens
qui tapent dans les mains et un Paddy Sherlock toujours très
attentif au public féminin (qui le lui rend bien). Une ultime « der
des der » pourrait encore se tenir en décembre avant la
fermeture définitive du Coolin. On en reprendra une petite dernière
avec plaisir. JP
Le même soir, c’est un autre
tromboniste qui se produisait au Petit Journal Montparnasse :
Steve Turre. Soutenu par un trio parisien de premier ordre (Alain
Jean-Marie, p, Peter Giron, b, John Betsch, dm), l’homme aux
coquillages a fait une magnifique prestation. Alliant swing et
sensibilité, Turre s’est montré particulièrement en verve sur
les ballades (« Lover Man » ou encore une composition
consacrée à Trayvon Martin – ce jeune Afro-Américain de 17 ans
abattu sans que son meurtrier soit d’emblée inquiété par la
justice –, « Trayvon’s Blues ») et nous a gratifié
d’un magnifique solo sur « Reflexion » de Monk.
Toujours étonnant dans sa maîtrise des coquillages, il a ainsi
livré une interprétation très originale de « All Blues »
de Miles Davis. La finesse et le répondant de la rythmique, très à
l’écoute, a porté ce concert au meilleur niveau. JP
Le 27 mai, au Duc des
Lombards, le quintet d'Omer Avital (b) a développé dans
un bon esprit une musique colorée, à l'exotisme séduisant. Avec
Avishai Cohen (tp), Joel Frahm (ts), Jonathan Avishai (p), Daniel
Freedman (dm), tous musiciens solides dotés d'une belle musicalité,
la chaleur et l'enthousiasme étaient là, ainsi que la maîtrise des
dynamiques. Agrémentée par quelques passages swing, par une
citation de « Night in Tunisia », cette musique joue avec
talent de son cousinage avec le jazz, essentiellement inscrit dans
son instrumentation et non dans son univers harmonique ou rythmique,
aux orientalismes jazzy. Avec les défauts de ses qualités, cela
reste une musique dont la facilité ressemble à un bon cocktail,
agréable mais vite oubliée aussitôt que sirotée... JS
Jérôme Partage et Jean Szlamowicz
Jacques Schwarz-Bart Espace Senghor, Bruxelles (Belgique), 24 avril 2014
Pauvre Haïti. Son histoire est faite
de désastres, d’oppressions et de révoltes. Il n’est pas
inutile de rappeler que cette île magnifique, découverte par Colomb
en 1492, sera au XVIIe. siècle, le dépotoir de milliers d’Africains
noirs, esclaves et malades. Cette population volée, expatriée et
exploitée est la même que celle qui peinera dans les champs de
coton de la Confédération avant de s’émanciper lentement pour
créer la grande musique du XXe. siècle. Les croyances vaudou et
leurs cérémonies hallucinatoires restent encore vivaces aujourd’hui
à Port-au-Prince comme elles l’étaient à Congo Square. Jacques
Schwarz-Bart (ts) aime nous rappeler les concordances qui existent
entre ses Caraïbes – il est né en Guadeloupe en 1962 - et le
delta du Mississippi. Après Soné Ka La et Abyss,
albums témoins d’un mix entre jazz et gwoka, son dernier album,
Jazz Racine Haïti, explore plus profondément encore la culture
vaudou faite de polyrythmies, d’incantations et de transes.
Le 24 avril, à l’Espace Senghor,
pour leur seul concert en Belgique, les sept musiciens ont séduit un
public réduit (200 personnes) composé en partie d’ expatriés en
mal d’intégration et des militants de leurs revendications. Il y
avait très peu de fans de jazz dans la salle ; juste quelques
rares qui, comme moi, gardent vivace le souvenir d’un concert du
ténor avec le trio de Manuel Rocheman (p) à La Rochelle en octobre
2006. Ce soir-ci, Coltrane est resté sous-jacent dans l’expression
de Jacques Schwarz-Bart. Le répertoire se veut essentiellement
vaudou, imagé par les vire-voltes de la danseuse-chanteuse Moonlight
Benjamin, porté et profondément affirmé par les rythmiciens :
Sonny Troupé (dm) et Claude Saturne (perc). La richesse harmonique
est principalement dévolue à l’excellent pianiste Gregory Privat,
soutenu par les lignes de contrebasse nettes et précises de Stéphane
Kerecki. Le Breton Axel Tassel (flh) n’est pas sans nous rappeler
Roy Hargrove avec des solos inspirés. Jacques Schwarz-Bart assure
avec bonhomie la liaison entre les esprits transatlantiques, colorant
son jazz de rythmes calypso, chaloupés (« Bande », « Je
vous aime Kongo », « Blues Jon Jon »…). La joie
domine sur la scène et dans la salle. Plus que des incantations aux
esprits, c’est une fête qui s’est déroulée devant nous. On
aurait toutefois aimé qu’elle soit totale, moins entrecoupée par
les longs laïus du leader. En tout cas : un projet original. De
la belle musique !
Jean-Marie Hacquier
Philippe Duchemin Trio & Quatuor Provence Espace Saint-Exupéry, Marignane (13), 11 avril 2014
Le 11 avril à l’Espace St-Exupéry,
le service culturel de Marignane a présenté le trio de Philippe
Duchemin (p) avec Christophe Le Van (b) et Philippe Le Van (dm), dans
son programme « Swing & Strings ». Devant une salle
pleine d’un public attentif, ont été, pendant deux heures,
données les pièces arrangées par le pianiste pour quatuor à
cordes et trio de jazz sur des œuvres empruntées à la musique
classique, au jazz et à la chanson. Pour cette soirée,
le Quatuor Provence était le partenaire : constitué des musiciens
locaux Frédéric Ladame (1er violon), Carine Morizot-Soria (2nd
violon), Cécile Hahn-Fritsche (alto) et Emilie Rose (violoncelle),
enseignants dans des conservatoires régionaux ou membres de
l’Orchestre des Pays d’Aix-en-Provence. Le concert a commencé avec une version
enlevée de « It's Allright with Me » (Cole Porter,
1953). A suivi une adaptation poétique de la « Barcarolle/Juin »
(Saisons de Tchaïkovski, 1876). Ce fut ensuite une composition du
pianiste, « Take Bach » (Philippe Duchemin, 1992). La
première partie avec quatuor s'acheva sur l’arrangement aux
teintes nuancées d’une bossa-nova écrite par Oscar Peterson,
« L'Impossible » (1965).
Le trio fit un intermède jazz avec
« Work Song » (Nat Adderley, 1960), qui fut suivie d’une
version « gospelisante » de « Battle Hymn of the
Republic ». Au retour du quatuor, ce fut « Caravan »
(Duke Ellington, Juan Tizol, 1936) puis la jolie mélodie de
Broadway, « Who Can I Turn To (When Nobody Needs Me) »
(Leslie Bricusse, Anthony Newley - 1964), avec un piano solo
garnérien de Duchemin. « There Is no Greater Love »
(Isham Jones, Marty Symes, 1936) en tempo médium soutenu précéda
le poétique « Que reste-t-il de nos amours » (Leo
Chauliac, Charles Trenet, 1946). « Cantabile » (Michel
Petrucciani, 1991), mit en valeur la musicalité du painiste.
« Ballade en Pologne », romantique, clôtura le concert.
En rappel les musiciens jouèrent un arrangement du 2nd mouvement de
la Symphonie N° 7 de Beethoven.Le trio fut excellent. Duchemin
maîtrise son piano et l’écriture en stimule son art. Il a trouvé
en Christophe Le Van un bassiste aussi sobre que précieux dans la
mise en place. Il met de belles couleurs à son drive impeccable :
partenaires complices, ils concourent à la réalisation collective.
Quant au Quatuor Provence, il remplit sa partie avec talent, tant il
sut rendre avec justesse le voicing des
ensembles recherchés de Swing & Strings. La tentation est
ancienne de réunir dans une même œuvre les univers de la musique
classique et du jazz. Philippe Duchemin a « osé rêver sa
musique ». Il est parvenu à restituer l’entité de chacun.
Ce répertoire est judicieux et sa réalisation une réussite. Le
public ne s’y est pas trompé qui a chaleureusement applaudi les
artistes.
Félix W. Sportis
|