Chroniques CD-DVD |
Au programme des chroniques
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Des
extraits de certains de ces disques sont parfois disponibles sur
Internet. Pour les écouter, il vous suffit de cliquer sur les pochettes
signalées par une info-bulle.
© Jazz Hot 2014
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Eddie Allen
PushTitres communiqués sur le livret
Eddie Allen (tp), Dion Tucker (tb),
Keith Loftis (ts), Mark Soskin (p), Misha Tsiganov (synth), Kenny
Davis (b), E.J. Strickland (dm)
Enregistré à Hoboken (New Jersey),
date non précisée
Durée : 56' 46''
Edjalen Music 505
(www.eddieallen.net)
Eddie Allen est un excellent disciple
de Freddie Hubbard, bien mis ici en valeur (avec sa trompette
Phaeton) dans la ballade, « Who Can I Turn To ? »,
la seule composition du CD qui n’est pas de lui. Le premier titre,
« Nakia », est l’occasion de présenter chaque musicien
sauf le bassiste, remarquable, Kenny Davis qui se rattrape dans
« Caress » (très bon solo de Dion Tucker) et le planant
« Whispers in the Dark ». Comme Freddie Hubbard, Eddie
Allen racole un peu avec cet usage du synthétiseur. Mark Soskin est
bon, mais neutre et sans personnalité (« Sacred Ground »).
Le ténor, Keith Loftis, est aussi supportable que convenu dans son
style, néanmoins adapté à ce bop standardisé (« Hillside
Strut », entrainant avec de bons riffs). Il y a une alternative
basse-batterie dans « Push ». Mais le soliste, à notre
sens, le plus intéressant avec Eddie Allen lui-même, est le
trombone, Dion Tucker, sorte de Julian Priester du moment. Bref, dans
le contexte actuel, c’est un disque satisfaisant.
Michel Laplace
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Julien Alour
W.I.L.L.I.W.A.WTitres communiqués sur le livret
Julien Alour (tp, fgh), François
Théberge (ts), Adrien Chicot (p), Sylvain Romano (b), Jean-Pierre
Arnaud (dm).
Enregistré les 20 et 21 mai 2013, lieu
non précisé
Durée : 45'17''
Gaya Music Production JAGCD001 (Abeille
Musique)
Julien Alour nous a déjà présenté
sa musique, souvent exigeante, au festival Bis de Marciac devant un
public rompu au post bop et acquis. Ce public sera heureux de
retrouver cet univers dense dans ce disque avec des moments
d’exacerbation comme dans « W.I.L.L.I.A.W » et un
passage trompette-batterie. L’ombre de Coltrane plane au-dessus de
François Théberge. Adien Chicot n’ignore pas McCoy Tyner
(« Impulsion »). Julien Alour parfois dans le lignée de
Freddie Hubbard (« Reflet »), est un fin joueur de bugle
dans « Vae Soli » et mieux encore « Song for
Julia », joli thème qui pour nous est, avec « Loarwenn »,
le meilleur de ce disque.
Michel Laplace
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Christophe Astolfi
Des Valses
Le retour des hirondelles,
Sa préférée, Valse en do dièse mineure, De pluie et de reste #1,
Balajo, Frères !, Valse à Gunther, Le papillon et la fleur, La
valse fantôme, Joss Baselli, Le retour d’Ulysse, Gagoug, Minch
valse, Patricia, De pluie et de restes #2, La bourrasque
Christophe Astolfi (g),
Frederic Guedon (g), Benjamin Ramos (b)
Enregistré les 6, 7 avril
et 6 juillet 2013, Paris
Durée : 41' 35''
Autoproduit
(christopheastolfi@yahoo.fr)
Le guitariste est tombé
dans le musette et la djangologie du côté de Nancy. Au
Conservatoire de Bruxelles, il a travaillé la technique de
l’instrument pour arriver à sanctifier ce swing à la française
qui doit autant à Django qu’à Jo Privat. Au fil des valses, on
remarquera le doigté léger et un très bon rendu des notes qui
flirte avec le classique, comme si Matelo Ferré avait fait ses
classes chez Paco De Lucia. Volubilité, aisance, swing : tout
est réuni pour faire aimer, boire et chanter sur les places et dans
les cafés, dans les clubs et les festivals au nord comme au sud de
la Loire, de la Meuse et de la Moselle. A découvrir et à engager
sans tarder !
Jean-Marie Hacquier
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Raf D Backer
Rising Joy
Jon the Farmer, Shaky Shake Bluies,
Beauty and the Beast, Descamisado, Oh the Joy !, Shout It Right,
Nearness of You, Rising Joy, Full House, Losing The Faith, May I Know
(What I’ve Lost), Travel, Moony Mood, C.C. Rider
Raf D Backer (p, elp, org), Lionel
Beuvens (dm), Cédric Raymond (b, elb) + Lorenzo Dimaio (g), David
Donatien (perc)
Enregistré en 2014 à Beersel
(Belgique)
Durée : 57' 29''
Prova Records 1402-CD24
(www.provarecords.com)
C’est le premier album (avec neuf
compositions originales) de Raphaël Debacker : un jeune qu’on
a déjà souvent écouté (à Bruxelles) avec le band de Laurent
Doumont (ts, voc), avec Marianna Tootsie (voc), Beverley Jo Scott
(voc), Marc Lelangue (g, voc) ou Daniel Romeo (elb). Formé au piano
dès l’âge de quatre ans, il s’est initié au jazz avec Eric
Legnini (p) et au rythm’n blues avec Daniel Romeo. Son premier
album est produit par Eric Legnini et Daniel Romeo dont on décrypte
les influences dominantes : blues, soul, shuffle…
Avec « Nearnes of You » au piano et « May I
Know » (piano et orgue), Raf démontre qu’il a très bien
assimilé toute l’histoire du jazz. Sa relecture au Hammond et en
mode fifties de la composition de Wayne Shorter : « The
Beauty and the Beast » est très réussie. « Rising
Joy » met en valeur Cédric Raymond à la contrebasse
alors qu’avec « Moony Mood » : il s’affiche le
premier de classe de Dan Romeo. Sur « Full House » de Wes
Montgomery : on épingle le même Cédric Raymond, mais aussi :
le guitariste Lorenzo Dimaio, encore présent en superlatifs sur
« Shaky Shake Blues ». Lionel Beuvens (dm) démontre à
nouveau qu’il peut être présent dans l’héritage comme dans
la recherche. C’est au Hammond que je préfère Raphaël. Question
de génération ? Son monde est fait de sourires, de swing, de
joie et d’âme (« Oh, the Joy ! ») qu’il nous
offre dans l’esprit de Dr. John (« C.C. Rider »), Les
McCann ou Bobby Timmons. Let your soul coming out ! Come on
and dance !
Jean-Marie Hacquier
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Daniel-Sidney Bechet
Sidney Bechet. Ses plus grands succès
Titres communiqués sur le livret
Daniel-Sidney Bechet (dm), Olivier
Franc (ss), Benoît de Flamesnil (tb), Jean-Baptiste Franc (p),
Gilles Chevaucherie (b)
Enregistré en 2010, Grigny (91)
Durée : 1h 08' 08''
Frémeaux & Associés 8502
(Socadisc)
Il s’agit d’un CD destiné aux
ventes d’après concert. Comme le titre le laisse penser, le
répertoire est grand public, dominé par la période française et
variétés du maître, Sidney Bechet (« Le Marchand de
Poissons », « Petite Fleur », « Dans les rues
d’Antibes », etc). Le fils du maître, et leader,
Daniel-Sidney Bechet ne cherche pas à se mettre en valeur (breaksdans « Happy Go Lucky Blues » que Sidney a enregistré
avec Bill Coleman ; « Buddy Bolden Stomp »). On
remarque l’entente piano-contrebasse. Jean-Baptiste Franc est
toujours inspiré, distingué et concerné par le swing. Gilles
Chevaucherie, solide soutien rythmique, intervient peu ici en solo.
Son slap dans le boogie, « Sidney’s Wedding Day »
participe avec le solo de l’excellent Benoît de Flasmesnil à la
réussite de ce titre moins souvent entendu. Toutes les interventions
de trombone sont bonnes, notamment dans le blues lent « Sobbin’
and Cryin’ Blues ». Enfin le lyrisme chantant d’Olivier
Franc brille dans de nombreux morceaux comme « I’ll Be Proud
of You », « Passport to Paradise » ou encore
« Sweet Louisiana ». Un succès assuré pour les amoureux
du genre.
Michel Laplace
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Jean-Pierre Bertrand
Rhythm Boogie
Rhythm Boogie, Down in The Alley, Honky
Tonk Train Blues, Long Last Evening Blues, Roses de Picardie Boogie,
The Bird of The Blues, Chicago Breakdown, Buona Sera, The Fives,
T'esbo Tibo Boogie, Has Anyone Seen Corinne, Nostalgimmy, Bass Goin’
Crazy, Hey Good Looking, Boogie Kivalsendo, Migratory Pianist, Slim
And Fat Boogie
Jean-Pierre Bertrand (p), Thibaut
Chopin (b, hca, voc), Lionel Grivet (dm)
Enregistré les 28 et 30 septembre
2013, 1er octobre 2013, Longvic (21)
Durée : 57' 38''
Black & Blue 784.2 (Socadisc)
Jean-Pierre Bertrand poursuit depuis
plus de vingt ans une carrière de pianiste de boogie. Et d’année
en année sa manière gagne en maturité, ses albums en qualité.
Nous retrouvons dans celui-ci sa matière habituelle, le boogie et le
blues. Mais il présente l’originalité d’être en duo (quatre
titres) et en trio (six titres), ce qui change quelque peu le ton
général de son expression. Au programme, quelques standards de ses
maîtres Albert Ammons, Meade Lux Lewis, quelques classiques… et
plusieurs compositions personnelles, dont deux bien venues. Il est
accompagné par Thibaut Chopin (b), qui sur « Down in The
Alley » chante et joue de l’harmonica, et Lionel Grivet à la
batterie. Les musiciens jouent bien et le groupe fonctionne
parfaitement, y apportant de la variété (« The Bird of The
Blues », « Hey Good Looking », « Honky
Tonk », « Chicago Breakdown », « The
Fives »). Néanmoins, l’approche pianistique
globale de Bertrand, même si son style est chaleureux et même
généreux, comporte une élégance dans le phrasé qui se suffit à
elle-même ; le soutien, pourtant très propre de la batterie et
de la basse, lui ôte parfois un peu de la légèreté qui fait son
charme et son originalité. C’est en fait dan ses solos qu’il
parait le plus convaincant et vraiment dans son élément. Son « Long
Last Evening Blues » est une belle réussite, tant dans le
thème que dans l’exécution parfaite de simplicité. Egalement à
retenir une excellente interprétation de la composition d’Albert
Ammons, « Bass Goin’ Crazy » (1939) et de « Nostal
Jimmy » de Lewis.
Rhythm Boogie est un bon album, très caractéristique du travail de Jean-Pierre Bertrand et de
l’école du boogie dont il est maintenant
un représentant qui compte dans l’école française.
Félix W. Sportis
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Michel Bisceglia
SingularityPuccini,
Meaning of the Blues, Jasmine, Lonely Woman, Choosing, Singularity,
Augmented Tree, Don’t Explain, Passion Theme
Michel
Bisceglia (p), Werner Lauscher (b), Marc Léhan (dm)
Enregistré
en août 2013, Genk (Belgique)
Durée :
57’
Prova
Records 1401-CD22 (www.provarecords.com)
Michel Bisceglia
My Ideal
My
Ideal, The Epic, Out to Sea, RedEye, Paisellu miu, A Whiter Shade of
Pale, N’n siata
Michel
Bisceglia (p), Werner Lauscher (b), Marc Léhan (dm)
Enregistré
en août 2013, Genk (Belgique)
Durée : 41’
Prova
Records 1401-CD23 (www.provarecords.com)
Double
album pour le pianiste-compositeur limbourgeois qui nous rappelle, au
passage, qu’il est aussi le Directeur Musical de Viktor Lazlo pour
le spectacle My Name is Billie Holliday (« Don’t
Explain »).Par quelques lignes en pochette, Michel explique
qu’il a cherché avec seize thèmes quelle relation existe entre
l’homme et l’intelligence artificielle. Jusqu’où l’homme
contemporain pourra-t-il suivre cette évolution ? Le
questionnement inquiétant est pertinent avec « Choosing »
qui arrive après quatre promenades romantico-champêtres, dont
« Jasmine » : un song à la early-Jarrett, sans
doute inspiré par le film de Woody Allen (Blue Jasmine). Le
travail de Pino Guarraci est parfaitement clair pour balancer le
pianiste en avant de ses accompagnateurs ; des accompagnateurs
qui s’inscrivent parfaitement dans le tempo-breaks du drummer sur
« Choosing », présence du bassiste sur « Augmented
Tree », « Don’t Explain » et « My Ideal ».
L’écriture du pianiste privilégie la légèreté et la
profondeur ; ses relectures de standards comme « A Whiter
Shade of Pale » et « Don’t Explain » – pour le
tempo – témoignent d’une belle imagination. D’aucuns
pourraient avancer qu’il manque de contrastes entre les morceaux,
que les moods nous enfoncent au plus profond d’une bergère. Je
préfère avancer que j’aime rêver et savourer les deux galettes
lové dans un transat au couchant d’un soleil d’été finissant.
Une petite brise ondoie l’eau du lac (« Out to Sea »).
Je suis bien. Très bien !
Jean-Marie
Hacquier
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Jane Ira Bloom
Sixteen Sunsets
For All We Know, What She Wanted,
Gershwin's Skyline/I Loves You Porgy, Darn That Dream, Good Morning
Heartache, Out of This World, Ice Dancing, Left Alone, The Way You
Look Tonight, But Not for Me, Primary Colors, My Ship, Too Many
Reasons, Bird Experiencing Light
Jane Ira Bloom (ss), Dominic Fallacaro
(p), Cameron Brown (b), Matt Wilson (dm)
Enregistré le 20 mai, 12 et 17 juin
2013, New York
Durée : 1h 17' 40''
Outline 141 (www.janeirabloom.com)
Plus proche de
Steve Lacy que des stridences de Dave Liebman, Jane Ira Bloom possède
assurément une superbe sonorité de soprano et une maîtrise des
nuances remarquables. Artiste lauréate de la NASA qui a même donné
son nom à un astéroïde, Jane Ira Bloom construit sa vision de « 16
couchers de soleil » sur une citation de l’astronaute Joseph
Allen décrivant les changements de couleurs dans la stratosphère.
Cet impressionnisme aux couleurs chatoyantes se heurte
malheureusement à une uniformité d’atmosphère. Seule la rumba
« Ice Dancing » et « Primary Colors »
développent une présence rythmique plus affirmée. Autrement, les
ballades très lentes, presque funèbres, se succèdent sans solution
de continuité. Le choix des compositions s’oriente vers des
morceaux aux thématiques douloureuses et l’interprétation en est
très sensible. Pourtant, Dominic Fallacaro est sans doute trop
respectueux et en retrait. Peut-être des accompagnateurs moins
sobres auraient-ils permis à la musique de décoller ? Malgré
une certaine beauté formelle, l’élan émotionnel reste sur la
même ligne, générant en définitive plus d’attentisme que
d’exaltation.
Jean Szlamowicz
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Brussels Jazz Orchestra / Joe Lovano
Wild Beauty : Sonata Suite
Wild Beauty, Powerhouse, Streets of
Naples, Our Daily Bread, Big Ben, Sanctuary Park, Miss Etna, Viva
Caruso
Joe Lovano (ts, aulochrome), Gil
Goldstein (arr), Frank Vaganée (dir, as lead, ss), Dieter Limbourg
(as, ss, cl, fl), Kurt Van Herck (ts, ss, afl), Bart Defoort (ts,
ss, cl), Bo Van der Werf (bs, bc), Serge Plume (tp lead), Nico
Schepers (tp), Pierre Devret (tp), Jeroen Van Malderen (tp), Marc
Godfroid (tb lead), Lode Mertens (tb), Frederik Heirman (tb), Laurent
Hendrick (bass tb, bass tuba), Nathalie Loriers (p), Hendrik
Braeckman (g), Jos Machtel (b), Toni Vitacolonna (dm)
Enregistré le 10 décembre 2012, Gand
(Belgique)
Durée : 1h 06' 28''
HalfNote 4556
(www.brusselsjazzorchestra.com)
Un album que le titre Wild Beautyqualifie parfaitement. C’est dans une effervescence de notes que
l’orchestre de jazz de Bruxelles nous livre une Sonata Suite qui
lui était destinée. Le premier morceau « Wild Beauty »,
empli de suavité, commence par un jeu de cymbales. Il est suivi de
l’intervention gracieuse de Joe Lovano dont le solo se trouve
finalement estompé par une orchestration trop puissante ayant
tendance à écraser la finesse de son jeu. Le deuxième thème,
« Powerhouse », livre un arrangement plus limpide. Un
beau solo de Joe Lovano, plein d’entrain et de subtilité, une
fluide utilisation rythmique des harmoniques qui s’arrête
inopinément et ne donne pas l’impression d’avoir fini son
discours. Lovano le reprend après des interventions perspicaces de
Nico Schepers et Nathalie Loriers. Dans « Streets of Naples »,
l’arrangement s’inscrit véritablement dans la thématique de cet
album. On y retrouve une ambiance carnavalesque où les influences de
la musique dite « classique » sont prédominantes.
Cependant, le moment de solo collectif, assez confus, manque de
mettre en valeur les solistes et peut nous évoquer, sans grande
difficulté, l’ambiance agitée que l’on connaît de Naples. Joe
Lovano intervient avec dynamisme et profondeur mais on peut aussi
entendre le manque de cohérence du guitariste par rapport au
saxophoniste. Une belle orchestration finale qui cède la place du
jazz à une musique autre. Dans « Big Ben », Joe Lovano
introduit et utilise l’aulochrome dont les nappes de sons ne
manquent ni de déferlantes ni d’impétuosité. Aussi, ce thème
met en valeur les solistes et s’inscrit dans la lignée directe du
blues. On y trouvera un beau solo de Lode Mertens, de Nico Schepers,
les quatre saxophonistes soprano forment un discours individuel et
collectif empli d’émotion grâce, entre autres, à une judicieuse
passation de solo toutes les douze mesures puis à une alternance de
4/4. Une intervention de Bo Van der Werf, "out" du
début à la fin, et un solo de Hendrik Braeckman ancré dans la
tradition du blues. Ce morceau sonne comme une libération pour
l’orchestre où les nombreux solistes s’en donnent à cœur joie.
« Santuary Park » est un morceau plus introspectif où
l’on peut entendre Jos Machtel, un peu timide à mon sens et
insuffisamment mis en avant dans cet enregistrement, ainsi que les
belles phrases délicates et attentives de Nathalie Loriers.
L’arrangement de l’ensemble des compositions, réalisé de
manière particulièrement métaphorique, peut laisser sceptique, il
reste à certains moments très éloigné de l’essence du jazz. À
l’écoute de ce disque, il apparaît clairement que Joe Lovano
domine l’orchestre dont il est, plus qu’une apparition comme
indiqué sur la jaquette, le leader incontestable. Par moments, on
peut regretter le manque d’attention et de cohésion générale,
particulièrement dans les solos, limitant quelque peu la nitescence
des solistes. Une bonne section rythmique et un orchestre solide -
malheureusement parfois limité par des orchestrations très
condensées et extrêmement rigoureuses - laissent peu de place à
la surprise et à la liberté auxquelles Joe Lovano nous avait
pourtant habitué avec ses trios. Du côté technique, le mixage
paraît manquer quelque peu de raffinement. Un enregistrement qui
pourra plaire aussi aux amateurs d'un jazz plus "traditionnel"
avec « Big Ben » qui respire le blues ou d’autres
thèmes comme « Our Daily Bread », « Sanctuary
Park », « Miss Etna » et « Viva Caruso »
agréables à entendre.
Adrien Varachaud
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Catherine & Wind Duo Art
New FolksOld Folks, Fried Bananas,
Hello George, Blues in the Closet, How Deep Is the Ocean, Jenny Wren,
Song for D, Sublime, Pivoine, L’Eternel désir, Standing at the
Window Waving Goodbye, Toscane, Winter Moon
Philip Catherine (g),
Martin Wind (b)
Enregistré les 3 et 4
avril 2013, Munich (Allemagne)
Durée : 57' 13''
ACT 9621-2
(Harmonia Mundi)
On
ne peut s’empêcher de se remémorer les concerts qui
réunissaient Philip et NHØP … trente ans auparavant. A cette
époque, Martin Wind avait 15 ans, Philip Catherine... 41 !
Après un excellent parcours new-yorkais, le contrebassiste allemand
(45 ans aujourd'hui) s’est souvenu de cet album qui l’avait
impressionné. Avec l’aide de Siggi Loch, il a pu concrétiser son
désir de duo, effectuer une tournée et enregistrer la rencontre.
Voici donc un fruit parfumé de respect mutuel. On peut admirer la
légèreté et le sens profond du swing et de l’harmonie de Philip…
Mais ceci n’est pas un scoop ! En revanche, la manière
puissante dont Martin attaque les cordes, accompagne (« Old
Folks »), dialogue (« Hello George ») ou double les
tempos (« L’Eternel désir ») en bonne symbiose avec
son aîné, ça : c’est remarquable et nouveau pour nous qui
sommes familiers du travail souple de Philippe Aerts (b). Les
compositions de Philip Catherine – ses standards – sont une
nouvelle fois visités par des arrangements qui paraissent spontanés
(« Toscane »). On perçoit dans l’enregistrement cette
osmose qui a réuni les deux musiciens et on se demande qui emmène
l’autre dans les accentuations (tension/détente sur « Fried
Bananas »). Les leads sont alternés (exposition à
l’archet de Wind sur « Winter Moon ») ;
l’appropriation des chevaux de l’autre est naturelle, comme
l’exposé de « Song For D » par Catherine sur une
composition de Martin Wind. Vous dire que c’est encore un excellent
album pour Philip Catherine : ça devient banal. Découvrez donc
les autres couleurs de l’album, comme ces légères distorsions en
up tempo et l’enthousiasme jouissif des deux sur le « Blues in the Closet » ! Woaw !
Jean-Marie Hacquier
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Brian Charette
Music for Organ SextetteComputer God, Fugue For Kathleen
Anne /Ex Girlfriend Variation, Risk, The Elvira Pacifier, Equal
Opportunity, Prayer For An Agnostic, Late Night TV, French Birds,
Mode For Sean Wayland, Tambourine
Brian Charette (org), Jay Collins (fl,
bs, tambourin), Mike DiRubbo (as, ss), Joel Frahm (ts), John Ellis
(bcl), Jochen Rueckert (dm)
Enregistré en décembre 2010, lieu non
précisé
Durée : 1h 07' 07
SteepleChase 31731
(www.steeplechase.dk)
L’album s’ouvre sur une superbe
composition, à la fois nerveuse et mélodique, avec des éléments
de mystère et une vitalité rythmique mise en valeur par l’alliance
de flûte, de clarinette et de soprano. C’est sans doute le morceau
le plus accompli dans le cadre esthétique recherché par Brian
Charette qui tente, dans un esprit post-Larry Young, de sortir
l’orgue du cadre du blues et de l’église. Pourquoi pas, mais
pourquoi l’orgue blues devrait-il être considéré comme relevant
du cliché tandis que l’orgue inspiré par Bach (« Fugue For
Kathleen Anne ») serait considéré comme une libération ?
La musique de Brian Charette hésite entre ces pôles et, s’il a
joué avec Lou Donaldson (ainsi que Joni Mitchell, Chaka Khan, Cindy
Lauper) et maîtrise les codes jazzistiques de l’orgue, son refus
de la filiation issue de Jimmy Smith est peut-être légèrement
systématique. A son crédit, une belle invention sonore et le
recours à des musiciens de poids, notamment Mike DiRubbo. « Risk »
est un swing medium qui semble refuser les couleurs du blues, ce qui
produit une expression assez froide. De même, « The Elvira
Pacifier » est un reggae un peu raide et mécanique (comme le
funk violemment exprimé par Rueckert sur « Late Night TV »).
Il y a une expressivité proche de la musique classique dans le
recours à la sonorité flûte/ clarinette (assumé par la référence
à Messiaen sur « French Birds ») qui est à la fois
séduisante et un peu étrange. « Equal Opportunity »
rappelle les groupes de Tristano, Warne Marsh, Ted Brown et Lee
Konitz, ce qui implique une légère froideur. « Prayer For An
Agnostic » retrouve des couleurs churchy mais avec une certaine
distance méditative plus que de l’abandon de la ferveur. La frappe
un peu sèche et agressive de Rueckert, pour précise qu’elle soit,
ne contribue pas au confort du groove. On sent dans cet album une
grande sincérité du projet artistique mais aussi une forme de
contrainte qui fait de la richesse de conception (changements de
rythmes et d’atmosphère) quelque chose de pensé plus
qu’organique. Une vision du jazz à affiner…
Jean Szlamowicz
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Antiono Ciacca Quintet & Justin Echols
Just... in TimeDon't Get Around Much Anymore, Just in
Time, My Foolish Heart, If I Had You, Dany My Dear, Love Is Here to
Stay, Stardust, All of Me, The Very Thought of You, Wallys, The Way
You Look Tonight
Antonio Ciacca (p, arr), Justin Echols (voc), Andy Farber (ts,
fl), Joe Cohn (g), Paul Gill (b), Pete Van
Nostrand (dm)
Enregistré en 2012, Paramus (New
Jersey)
Durée : 55' 47''
Twins Music Records 00001
(www.twinsmusic.it)
Rencontre improbable que celle d’un Italien du sud, Antonio Ciacca (né par hasard en Allemagne) et d’un
militaire réformé de l’Oklahoma, Justin Echols ? D’autant
que l’histoire de chacun ne ressortit pas de l’évidence.
Justin rêvait de gloire militaire et
de décorations dans l’armée lorsqu’un accident malheureux mit
un terme à ses ambitions. Réformé, il se console sur un piano.
Suffisamment pour acquérir une notoriété locale. Il va trouver
Wynton Marsalis au Lincoln Center, qui constatant ses dispositions
l’oriente et le confie aux bons soins d’Antonio Ciacca, son
adjoint, directeur de la programmation de l’institution et
également professeur à la Julliard School.
Antonio, lui, est né en 1969 en
Westphalie dans une famille originaire d’un petit village du sud de
l’Italie. Celle-ci y jouait du folklore à l’accordéon pour
animer des manifestations de danses locales. S’intéressant à la
musique, il commence le piano à 13 ans. Mais comme beaucoup
d’adolescents italiens, il rêve de gloire footballistique jusqu’à
devenir adolescent footballeur semi-professionnel. Au lycée, en
découvrant les sciences, il s’imagine ingénieur. Mais ayant
poursuivi sa formation musicale classique au Conservatoire de
Bologne, il en sort avec un diplôme de musique contemporaine. Et
découvrant le jazz, vers la fin des années 1980 il s’adresse
également à Wynton…
Just... in Time est donc
l’aboutissement de parcours singuliers de deux musiciens que rien
ne semblait un jour pouvoir réunir, si ce n’est, d’une part, le
rayonnement personnel d’un musicien de jazz d’exception, conjugué
d’autre part, à la création d’une institution, privée certes
mais à vocation publique, le Lincoln Center Jazz Orchestra, dotée
d’une formidable puissance d’intégration. Ce rôle de révélateur
de talents et d’aide à leur épanouissement n’est pas le moindre
des nombreux apports qu’a permis ce type d’institution pour la
reconnaissance et la diffusion de cette musique comme composante du
patrimoine de la civilisation américaine. En effet, manifestation
identitaire emblématique de la ségrégation raciale aux Etats-Unis,
le jazz marginal libertaire, individualiste, voire anarchiste, s’est
rendu aux indispensables nécessités de l’organisation politique
collective imposées par les évènements de l’histoire pour les
besoins de sa cause : la conservation et la survie de la mémoire
artistique collective de la communauté noire du pays sortie
vainqueur dans sa lutte pour la conquête des Civil
Rights.
Mises à part les deux pièces
originales des deux leaders composées pour les besoins de la séance,
le programme de cet album est constitué d’evergreen,
classiques du jazz et standards de Tin Pan Alley,
écrits entre 1928 (« If I Had You ») et 1956 (« Just
in Time »). Leurs interprétations respectent les thèmes
originaux et s’inscrivent pour l’essentiel dans la tradition d’un
jazz classique bien maîtrisé. Ce volume découvre des musiciens qui
ne sont plus tout jeunes (autour de la quarantaine) ayant en commun
d’avoir accédé au statut de musiciens de jazz patentés dans le
giron et avec l’aide du Lincoln Center vers la fin des années
1990. Justin Echols s’inscrit dans la tradition des chanteurs du
début des années 1940, de Nat King Cole à Eddie « Cleanhead »
Vinson, qu’il évoque dans le seul blues de l’album (« Wallys »),
une composition originale. Ciacca connaît la littérature jazzique
qu’il donne la sensation de prolonger avec une musicalité (dans le
toucher - « Love Is Here to Stay ») et une respiration
très newyorkaises dans sa façon de traiter la séquence musicale.
Andy Farber est un ténor solide, possédant un registre large,
apportant beaucoup de dynamisme dans ses interventions. Joe Cohn (le
fils d’Al Cohn) fait montre d’un réel talent, dans
l’accompagnement léger et dans ses solos bien construits. Paul
Gill assure une ligne de basse impeccable et ses solos à l’archet
(« Just in Time ») pizzicato (« Dany My Dear »)
sont simples mais excellents. Quant à Pete Van Nostrand (dm), il est
bien dans l’esprit de ce style de musique et ses interventions (4/4
dans « Don't Get Around Much Anymore ») sont
irréprochables.
Just... in Time est un bon disque,
agréable à entendre et à écouter. Le swing et le chabada sont des
denrées rares par les temps qui courent.
Félix W. Sportis
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George Colligan
The Facts
Blue State, Whadya Looking At ?
Missing, Miriam Edwards New York Accent, Pup Pup, The Facts, Lydian
Domination, Steppin’ Out George Colligan (p), Jaleel Shaw (as),
Boris Kozlov (b), Donald Edwards (dm)
Enregistré en octobre 2011, lieu non
précisé
Durée : 1h 05' 55''
Steeplechase 31752
(www.steeplechase.dk)
L’identité
musicale de George Colligan n’a pas toujours été facile à
saisir. Il a joué dans le Mingus Big Band, avec Phil Woods, Gary
Thomas, Jack DeJohnette, Steve Wilson, Kurt Rosenwinkel, Chris
McBride, Benny Golson, Mark Turner… Désormais enseignant et
multi-instrumentiste (trompette, batterie, mélodica), il semble
avoir aujourd’hui orienté sa musique dans l’esprit d’unstraigh-ahead contemporain influencé par Hancock, Corea et
Miles. Cet album bénéficie de la somptueuse présence de Donald
Edwards, un de ces batteurs qui savent conjuguer le muscle et les
couleurs. La vigueur de Boris Kozlov n’est pas négligeable non
plus. Ils apportent un élan rythmique que le pianiste ne génère
pas toujours à lui seul. Quant à Jaleel Shaw (Roy Haynes quartet),
son âpreté poétique dans l’esprit de Gary Bartz est décisive
pour le grain de lyrisme râblé nécessaire à cette musique. Les
deux morceaux en 5/4 (« Whadya Looking At ? » et
« Pup Pup ») conjuguent joliment une certaine grâce et
une indéniable puissance. La version de « Steppin’ Out »
de Joe Jackson est à la fois littérale et jazzifiée avec beaucoup
de verve. Il semble que George Colligan sache avec beaucoup de
pertinence où il va, sans prétention mais avec application.
Jean Szlamowicz
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Echoes of Swing
Blue Pepper
Titres communiqués sur le livret Colin Dawson (tp, voc), Chris Hopkins
(as), Bernd Lhotzky (p), Oliver Mewes (dm)
Enregistré du 25 au 27 mai 2013,
Kefermarkt (Autriche)
Durée : 52' 53''
ACT 9102-2 (Harmonia Mundi)
Nous avions apprécié le précédent
album, Message From Mars, qu’il nous soit permis (car nous
ne sommes pas là dans l'effet mode) d’aimer cette récidive par ce
quartet fondé en 1997 (mais toujours ignoré des « spécialistes »
français). Le choix des thèmes, des originaux (Dawson, Hopkins,
Lhotzky) ou peu joués, proposé dans un ordre intelligent (on
commence et on finit par Duke) est un atout. Mais encore, les
arrangements et la façon de les jouer constituent l’autre pôle
d’intérêt. Colin Dawson a rarement joué de la trompette avec
autant de drive que dans ce « Blue Pepper » d’Ellington
(le Duke sonne très « moderne » aujourd’hui encore).
Mais il chante aussi avec sensibilité, à la Harry Connick Jr
(« Blue River ») ou surtout Chet Baker (« Blue
Prelude » de Joe Bishop, « Blue Gardenia » avec en
prime un alto genre Benny Carter). Chris Hopkins a un style chantant
dont on a perdu l’habitude aujourd’hui (« La Paloma Azul »)
mais sait aussi jouer strictement bop (« Blue & Naughty »
de sa plume). Oliver Mewes est mis en valeur dans « Out of the
Blue » de Lhotzky. Bien sûr Bernd Lhotzky est un remarquable
pianiste (« Blue Moon » exposé en wa-wa par Dawson,
« Aoi Sanmyaku », etc). Et enfin, le groupe sait
restituer l’esprit du combo John Kirby : « Azzurro »
de Paolo Conte, « Black Stick Blues » de Bechet, « Wild
Cat Blues » de Fats Waller. Inutile d’en dire plus, c’est
une friandise pour connaisseurs.
Michel Laplace
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Roby Supersax Edwards
Copacetic
Mercy Mercy Mercy, Driftin’,
Purple Wail, Minha Saudade, Come Rain or Come Shine, Alias, Better
Go, If Its Magic, Kidney Stew, Soultrane, Only You
Roby Supersax Edwards (ts, voc),
Sweet Screamin' Jones (bs, as, voc), Pierre Le Bot (p), Philippe
Dardelle (b), Jean-Pierre Chesne (dm), Virginia Edwards (voc)
Enregistré les 19 & 20 octobre
2012, Lanmodez (22)
Durée : 59' 30''
Black & Blue 774.2 (Socadisc)
Pittsburgh (Pennsylvanie) est une ville
qui a donné beaucoup de très grands musiciens (Earl Hines, Ray
Brown, Art Blakey, Jeff Tain Watts, Billy Strayhorn et bien
d'autres !). Comme tous ses prédécesseurs, c’est à
l’étranger, et en Europe principalement, que Roby Supersax Edwards
a gagné la reconnaissance de son talent. A moins de 40 ans, il nous
donne un album digne de ses illustres devanciers. Le programme de cet opus présente
l’originalité de puiser dans le répertoire qui fit le succès de
la musique populaire américaine durant les trente ans de l’immédiat
Après-guerre (1946-1976). Et l’interprétation de ces thèmes
mémorables présente l’originalité et l’intérêt de l’être
dans l’esprit de l’époque mais actualisé. Il ne s’agit donc
pas d’un facsimilé mais bien d’une relecture respectueuse d’une
époque. Nous retrouvons les tubes (« Mercy 3 »,
« Driftin’ », « Kidney Stew ») et les
saucissons (« Only You ») qui firent danser et flirter
toute la génération du babyboum. Premiers émois des papys et mamys
boomers, qui se régaleront donc en repensant à leurs conquêtes et
à leurs défaites en une période où la pilule et l’IVG n’étaient
pas encore entrées dans les mœurs.
La version de « Mercy »
(Joe Zawinul, 1966), différente de celle de Cannonball Adderley,
mais particulièrement réussie, donne le ton à l’album. La
composition d’Herbie Hancock, « Driftin’ » (1962),
enchaîne dans le même esprit. Il convient également de retenir
« Better Go » (Ben Webster, 1962) et surtout le titre
emblématique de Cleanhead Vinson, « Kidney Stew » (1947)
dont le chase avec Screamin’ Jones. La
composition d’Edwards, « Alias », est d’une belle
intensité. Mais ce Copacetic vaut par une interprétation
superbe toute en retenue de la ballade de Tadd Dameron,
« Soultrane » (1956) ; Roby y démontre son
immense talent de saxophoniste ténor qui demande à se concrétiser.
Son style n’est pas sans évoquer la tradition des shootersde la fin des années 1940 et 1950 : Hal Singer des débuts,
Arnett Cobb, Eddie Chamblee… Sweet Screamin’ Jones, alias Yannick
Grimault, façon Earl Bostic ou Louis Jordan selon les thèmes, lui
donne la réplique, avec beaucoup de compétence et d’intelligence
sur ce type de répertoire. L’apparition de Virginia Edwards est
bienvenue dans le morceau écrit par Cleanhead. Mais cette réussite
doit beaucoup à l’excellente section rythmique qui les accompagne.
Le contrebassiste, Philippe Dardelle maintenant âgé de 55 ans, qui
a fait ses classes avec Jean-François Jenny-Clarke, a longtemps
travaillé avec Christian Vander (1988-1996) ; il a monté le
groupe Heat Wave en 1992 et si le personnel
a beaucoup changé depuis, Sweet Screamin’faisait déjà partie de cette formation de soul music. Pierre Chesne
n’est plus tout jeune également ; cet admirateur de Kenny
Clarke qui, after hours, ne manquait
jamais l’occasion d’une « prothèse » jazzique
pendant son activité professionnelle, s’adonne sans retenue et
avec beaucoup de réussite à ses passions juvéniles depuis qu’il
est en retraite. Le troisième larron, Pierre Le Bot, est le benjamin
de l’équipe, 38 ans. Après un début précoce, qui le vit à 15
ans fréquenter la scène jazz toulousaine, il "monta'
à Paris en 1998, jouant aux côtés de Guillaume Nouaux, Jérôme
Etchéberry, Sébastien Girardot, etc. Dans cet album, ce pianiste
évoque souvent Ray Bryant : dynamique et mise en place
irréprochables !
Copacetic s’inscrit dans la
continuité de Cookin’ With Friends, publié sous le nom de
Sweet Screamin’ Jones (Jazz Hot N° 663), enregistré trois
mois avant. Le livret de l’album, écrit par le leader de cette
session, se termine par « Affectueusement à bientôt ».
Cette dédicace peu commune, qui illustre parfaitement la teneur de
ce copacetic (terme utilisé dans le jive,
notamment à Harlem, depuis les années 1920 : il signifie
excellent, formidable, fantastique avec la connotation « d’Enfer » !)
album de musique totalement reliée à ses racines, est de bon
augure.
Félix W. Sportis
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Eliane Elias
I Thought About You
I Thought About You, There Will Never
Be Another You, This Can’t Be Love, Embraceable You, That Old
Feeling, Everything Depends on You, I’ve Never Been in Love Before,
Let’s Get Lost, You Don’t Know What Love Is, Blue Room, Just
Friends, Girl Talk, Just in Time, I Get Along Without You Very Well
Elian Ellias (p, voc), Randy Brecker
(tp, flg), Marc Johnson (b), Steve Gardenas, Oscar Castro Neves (g),
Victor Lewis, Rafael Barata (dm), Marivaldo Dos Santos (perc)
Enregistré en 2013, New York
Durée : 54' 47''
Concord Jazz 0888072341913 (Universal)
Tout autant qu’à Chet Baker auquel
il est dédié, le dernier disque de la chanteuse et pianiste Eliane
Elias fait penser à la maîtrise du grand Nat King Cole. Chevaux de
bataille du répertoire du si déchirant trompettiste et chanteur,
ces quatorze standards sont, en effet, interprétés dans les règles
de l’art, sans afféteries ni précipitation. Le plus souvent sur
tempi moyens, et selon des arrangements limpides de légèreté, la
voix fluide d’Eliane Elias contraste avec les fulgurances de son
jeu de piano auxquelles répondent des parties de guitare d’une
grande élégance. Batterie et percussions jouent tout en retenue,
les lignes de basse sont un modèle du genre, et les quelques
interventions fort brillantes du bugle ou de la trompette restent
toutefois discrètes et demeurent tout à fait dans la manière suave
et sensuelle de Chet Baker. Rien de révolutionnaire, certes,
l’univers est connu, mais n’est-ce pas aussi une des qualités du
jazz, quand il est joué à ce niveau d’excellence, de permettre de
temps à autres de retrouver quelques moments de grâce et de
plénitude.
Daniel Chauvet
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Chico Hamilton
The Inquiring Mind
Chico
Hamilton (dm), Paul Ramasey (elb), Evan Schwan (ts,as, ss, bs, fl,
voc), Jérémy Carlstedt (dm, perc, voc), Nick Demopoulos (g, voc),
Mayu Sacki (fl, afl, voc) + George Bohanon (tb), Jimmy Owens (flh,
tp)
Joy of Spring, Money Wish, Up to You, Perdido, Hope, Who
knows?, Nice lick, Cho=Chico Hamilton Organization, Nate’s night,
Tone Poem, 534 Play, Out of Sight out of Mind, Gateway to the
Inquiring Mind, If Tomorrow Never Comes Where is Today, Reluctant,
Albert’s Tune, Nate Sure, No Wheels, Any Space in Time
Enregistré
octobre 2013, New York
Durée : 1h 03' 02''
Joyous Shout
10016 (www.joyousshout.com)
The
Inquiring Mind marque le point final de la carrière du batteur
Chico Hamilton, décédé en novembre 2013 (Jazz Hot n°665).
Hamilton y propose onze de ses compositions, six de ses partenaires
et l’excellence de Juan Tizol « Perdido ».
Certes la
belle époque du batteur se situe dans la première moitié des
années cinquante lorsqu’il est le sideman de Gerry Mulligan, de
Chet Baker ou encore lorsqu’il organise à la fin de la même
décennie son quintet sans piano avec successivement des pointures
comme Jim Hall (g), E. Dolphy, C. Lloyd… mais tout au long de sa
carrière le Chico n’a cessé de questionner la musique et de
provoquer la surprise. Ce dernier enregistrement devra donc être
placé comme une nouvelle et dernière pierre à l’édifice
Hamilton. Doit-on être surpris de constater que le drummer n’a en
rien perdu de sa puissance, de sa finesse et du sens du rythme ?
A plus de 80 ans on pourrait penser à une baisse de dynamisme. Ce
n’est pas le cas. Chico emmène ses partenaires d’un pas alerte.
On a plaisir à écouter ce disque très personnel dans lequel se
distingue aussi Evan Schwam, compagnon de Chico depuis plus de dix
ans qui s’exprime sur toute la gamme des saxophones et même à la
flûte. Document d’histoire : sans doute les dernières
paroles enregistrées de Chico Hamilton, une minute vingt de
« Gateway to the Inquiring Mind ».
Patrick Dalmace
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Scott Hamilton / Dany Doriz
Scott Hamilton Plays With the Dany Doriz Caveau de la Huchette OrchestraSlipped Disc, Dropsy, Cotton Tail,
Amen, Hershey Bar, Air Mail Special, Que reste-t-il de nos amours ?,
Place du Tertre, Cherokee, Fanfreluche, Race Point
Scott Hamilton (ts), Dany Doriz
(vib), Philippe Duchemin (p), Patricia Lebeugle (b), Didier Dorise
(dm) + Ronald Baker (tp, voc), Marc Fosset (g)
Enregistré en 2013, Paris
Durée : 1h 04'
Frémeaux & Associés 599
(Socadisc)
Scott Hamilton vient se produire
régulièrement à Paris, au Caveau de la Huchette, et participe aux
tournées estivales des artistes gravitant autour de Dany Doriz
(l'été 2014 ne fait d'ailleurs pas exception) depuis de nombreuses
années. Le vibraphoniste et le ténor partagent ainsi une vieille
complicité, rencontre de deux parcours sur le terrain commun du
swing, qui se trouve enfin gravée, sinon dans le marbre, dans les
sillons de cet album que le patron du Caveau a pris l'initiative de
produire et de sortir sur le label de Patrick Frémeaux. Originaire
de Providence (New York), baigné dans le jazz dès le plus jeune
âge, cornaqué par Roy Eldridge, Scott Hamilton (Jazz Hot n°635) est de cette école de musiciens américains – non
afro-américains – qui, dès le début de leur carrière, se sont
inscrit dans la tradition du jazz (Warren & Allan Vaché, Ken
Peplowski, etc.) quand les musiciens de leur génération
expérimentaient le free jazz ou la fusion. Une filiation directe
avec les grands maîtres qui le lie de fait à Dany Doriz (Jazz
Hot n°543), disciple adoubé de Lionel Hampton, bien que né de
l'autre côté de l'Atlantique et ayant suivi une formation classique
avant de basculer dans le jazz (comme la plupart des jazzmen
français). A ce stade de leur carrière, Hamilton comme Doriz se
sont imposés comme les représentants parmi les plus importants de
leur instrument, même si le second – du fait de sa nationalité et
du mépris imbécile des élites culturelles françaises pour le jazz
de répertoire – ne bénéficie pas de toute la reconnaissance
qu'il mérite.
Autour de ces deux personnages, on
retrouve le « Caveau de la Huchette Orchestra », soit la
rythmique habituelle de Dany Doriz (Philippe Duchemin, Patricia
Lebeugle et son fils Didier Dorise) et deux invités familiers du
vibraphoniste : Ronald Baker (excellent de tonicité sur
« Cotton Tail » et « Race Point ») et Marc
Fosset (tout en finesse sur « Amen » et « Hershey
Bar »). Bien qu'enregistré en studio, le disque reste proche
de l'esprit des concerts d'Hamilton et Doriz et se pose donc comme un
témoignage fidèle de leur collaboration, ce qui est l'un de ses
principaux atouts. D'entrée, avec « Slipped Disc », on
se retrouve transporté au Caveau de la Huchette ou sur la scène du
festival de Langourla ou de Corbeil-Essonnes. L'attaque de Doriz nous
saisit dès les premières notes, la suavité d'Hamilton nous enrobe
et nous lâche plus. Rien de poussiéreux dans l'évocation des
standards (sept titres sur onze), mais un swing plein d'énergie, un
dialogue savoureux et des interprètes qui s'amusent. Le vibraphone
colore chaque morceau avec nuance tandis que le son merveilleusement
rond du ténor développe une extraordinaire intensité narrative, en
particulier sur « Que reste-t-il de nos amours ? »,
morceau de bravoure, où Hamilton démontre qu'il est du cuivre dont
on fait les Ben Webster et autres Coleman Hawkins. Et de nous faire
ainsi oublier Trénet comme jadis Don Byas rendit « Laura »
plus célèbre que le film d'Otto Preminger. Quand à la rythmique,
elle sert les solistes impeccablement (toujours de jolis tricotages
pianistiques de Duchemin, en osmose avec Hamilton sur « Que
reste-t-il... »), tandis que les invités apportent un
véritable supplément d'âme.
Du jazz de très haut niveau où la
créativité des musiciens se nourrit de la tradition en la
renouvelant. A diffuser d'urgence dans les écoles de jazz...
Jérôme Partage
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Tim Hegarty
Tribute
A New Blue, Amsterdam After Dark,
Simone, Ineffable, New Picture, Not to Worry, Low Profile,
Gingerbread Boy, Pannonica, Inner Urge
Tim Hegarty (ts, ss), Mark Sherman
(vib), Kenny Barron (p), Rufus Reid (b), Carl Allen (dm)
Enregistré le 20 août 2013, Hampton
(New Jersey)
Durée : 1h 10' 28''
Miles High Records 8623
(www.mileshighrecords.com)
L’hommage de Tim Hegarty porte sur
les saxophonistes qui l’ont inspiré et avec qui il a étudié.
Même sans ce lien personnel, les morceaux qu’il reprend sont des
classiques qui méritent d’être entendus tant il s’agit de
superbes compositions pour l’expression des musiciens. C’est
d’ailleurs là tout le propos de la composition dans le jazz :
être à la fois une expression personnelle et participer d’un
langage partageable. Au moins autant qu’un tribute, c’est
donc un partage que propose Tim Hegarty et son très robuste ténor.
On parcourt donc notamment les compositions de George Coleman
(« Amsterdam After Dark »), Jimmy Heath (« A New
Blue », « Ineffable », « New Picture »),
Frank Foster (« Simone »), Joe Henderson (« Inner
Urge »). Michael Brecker est également une présence qui, pour
être implicite, n’en est pas moins forte. La sonorité de ténor
de Hegarty renvoie aussi à la virilité moelleuse de Dexter Gordon
et Sonny Rollins. Il possède beaucoup de présence, d’agilité
rythmique et de lyrisme funky. Pour interpréter des joyaux comme la
valse « Simone » ou le mystérieux « Amsterdam
After Dark », on ne pouvait rêver mieux qu’une rythmique qui
donne au mot perfection une nouvelle incarnation. On sait depuis de
longues années que Kenny Barron est un sommet de musicalité, c’est
également vrai quand il est accompagnateur où il valorise le
soliste sans renoncer à sa propre vitalité. De même, Rufus Reid
possède une présence et une sonorité qu’il utilise pour la
lisibilité collective et Carl Allen sait faire preuve d’énergie
sans verser dans l’excès. Proche de Bobby Hutcherson, Mark Sherman
(qui produit également l’album) apporte une touche de couleur
rafraîchissante (comme sur l’attendrissant « New Picture »,
une réussite sonore). L’aisance et l’intensité, la maîtrise et
la musicalité : que demander de plus ?
Jean Szlamowicz
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DVD : Antoine Hervé
La Leçon de jazz : Keith JarrettLong As You Know, You’re Living
Yours, Fortune Smiles, Coral, Köln part IIc, Spiral Dance, The
Windup, Don’t Ever Leave Me, Bregenz part I, Köln part IIa,
Bregenz part II, Stella By Starlight, Over the Rainbow, Basin Street
Blues, My Song, Variations in Jazz
Antoine Hervé (p)
Durée 1 h 38'
Enregistré à Grenoble (38)
RV Productions 122 (Harmonia Mundi)
En public, et seul au piano, Antoine
Hervé, dont la réputation musicale n'est plus à faire, se propose
d'analyser, commenter et démontrer avec beaucoup d'admiration et
d'humour, et un grand sens de la pédagogie, les subtilités et
l'originalité du jeu de piano de Keith Jarrett à travers quelques
unes de ses œuvres les plus marquantes. La presque totalité des
interventions étant filmées en contre-plongée sur le clavier,
elles raviront les pianistes amateurs, qui n'ont pas eu la chance de
fréquenter les classes de jazz des conservatoires, même s'il existe
par ailleurs dans le commerce, de nombreuses transcriptions écrites
des disques de Jarrett. Retraçant tout d'abord la carrière
précoce du pianiste et compositeur, il parcourt plusieurs étapes de
son oeuvre en commençant par la période, encore marquée très "rock", des duos avec Gary Burton, en jouant un
medley de « Long As You Know, Fortune Smiles, et Coral »
trois thèmes des années 70.
Puis il évoque « Facing You »,
premier de la longue série des mémorables concerts en solo,
enregistrés pour ECM. S'intéressant ensuite au célèbre Köln
Concert, il insiste alors sur l'énergie, et le feeling déployés
par Jarrett dans cette entreprise, où, souvent installés à la
main gauche à la manière d'un ensemble de bongos et de congas,les
rythmes sont repris à la main droite par des "notes
fantômes", tandis que ce qui reste de doigts libres s'emploie
à l'improvisation, à la manière d'un Rakhmaninov façon "rock'n'roll".
La répétition de courtes cellules
mélodiques, les chromatismes imbriqués, le souci de faire chanter
le piano, la relation fusionnelle avec l'instrument par une
gestuelle exubérante à la recherche de "l'énergie",
où, les pieds ancrés dans le sol, le buste courbé au dessus des
cordes il fait littéralement corps avec le piano, tout cela est
lumineusement expliqué. Pour la période du « quartet
européen » avec Jan Garbarek, le musicien-conférencier
s'attache à décortiquer finement dans « Spiral Dance »
et « The Wind Up », les formules rythmiques les plus
complexes et l'utilisation des modes pentatoniques propres au style
de Jarrett.
Passant ensuite à la longue saga (déjà
plus de trente ans d'existence) du trio « Standards »,
(avec Gary Peacock et Jack DeJohnette), Antoine Hervé insiste à
nouveau sur la dynamique et le toucher particulier déployés pour
les phrases « en cloche » (lorsque les notes attaquées
avec vigueur, semblent comme disparaître puis revenir). Il relève
les accords "parfaits" hérités de l'univers médiéval
et baroque que Jarrett semble bien connaître, ainsi que l'influence
de Bach, Debussy, Ravel, et même celle des rythmiques particulières
des gamelans balinais sur son jeu, sans oublier sa filiation avec le
pianiste Paul Bley.
Avant de conclure avec le célébrissime
thème de « My Song », les enrichissements harmoniques
de la grille d'accords bien connue de « Over the Rainbow »
et une interprétation magnifique de « My Romance »,
Antoine Hervé nous livre (pour « Stella By Starlight »)
une fine analyse d'une des bottes secrètes de Jarrett. Celle-là
même qui fascine les spectateurs les plus assidus de tous ses
concerts en trio qui se livrent alors, pendant quelques secondes, au
petit jeu de « qui trouvera le premier »...le nom du
morceau avant la fin de son "introduction". Jarrett
s'ingénie souvent alors, à dissimuler le thème par de multiples
ruses faites de variations rythmiques et d'harmonies mystérieuses,
jusqu'à ce qu'enfin, après quelques mesures, deux ou trois petites
notes ne mettent fin au suspense. Alors, le bassiste et le batteur,
peut-être plongés eux aussi jusque là dans la même expectative,
rejoignent enfin le pianiste une fois thème , tempo et tonalité
révélés, pour un développement lui aussi riche de surprises.
Magistrale démonstration qui rend à elle seule ce DVD
incontournable. Absolument passionnant !
Daniel Chauvet
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Abdullah Ibrahim
Mukashi / Once Upon a TimeMukashi, Dream Time, The Stars will
Remember, Serenity, Mississippi, Peace, Matzikama, Cara Mia, Root,
Trace Elements for Monk, Krotoa - Crystal Clear, Krotoa-Devotion,
Krotoa-Endurance, In the Evening, Essence, The Balance
Abdullah Ibrahim (p, fl, voc), Cleave
Guyton (fl, cl, sax), Eugen Bazijan (cello), Scott Roller (cello)
Date et lieu d’enregistrement non
précisés
Durée : 56' 46''
Intuition Records 3431-2 (Socadisc)
Abdullah Ibrahim partage avec
Thelonious Monk, ici évoqué, non seulement le fait de pratiquer le
piano mais aussi de construire des atmosphères envoûtantes, fondées
sur une manière personnelle d’aborder l’instrument, mais aussi
sur la reprise de thèmes originaux souvent joués. La comparaison s’arrête là, car le
génie de Monk est sans équivalent, que ses compositions sont d’une
originalité et d’une complexité exceptionnelles et que son
expression se fonde sur une virtuosité hors norme bien qu’il ait
fallu à certains des années pour s’en rendre compte. Chez Abdullah Ibrahim, les moyens sont
plus limités, et avec intelligence, il utilise davantage les modes,
l’exotisme ou le rêve des origines africaines et une sorte de
permanence du tempo (de medium à lent) pour créer cet envoûtement.
Le résultat est séduisant parfois
passionnant, et l’alliage des flûtes, de la voix et du piano, plus
ici de deux violoncelles ajoute ici à cette construction toujours
aussi originale après plus d’un demi-siècle. Ibrahim Abdullah
sait aussi que la force de son message est là, et ses concerts,
joués sans interruption, confirme cette volonté de méditation
autour du message musical. L’étonnant est qu’il introduit dans
ce registre une modernité harmonique ancrée dans le jazz qui se
marie à merveille avec l’évocation des paradis perdus africains.
Abdullah Ibrahim possède donc un
savoir-faire certain et a su créer son langage auquel il est resté
fidèle depuis toujours, et c’est ce qui en fait un artiste
authentique, attachant délivrant une belle musique toujours très
ouverte à tous les publics et sans complaisance. Mukashi, une sorte
de récit comme le titre l’indique, est donc comme souvent avec
Abdullah, un beau voyage, l’excellent Cleave Guyton qui à joué
avec le gotha du jazz (les big bands de Ray Charles, Lionel Hampton,
Count Basie, Duke Ellington, Mingus, mais aussi Joe Henderson, Nat
Adderley, Dizzy Gillespie, etc.) apportant son grand talent à cet
opus.
Yves Sportis
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Keith Jarrett / Gary Peacock / Jack DeJohnette
Somewhere
Deep Space, Solar, Stars Fell on
Alabama, Between the Devil and the Deep Blue Sea, Somewhere,
Everywhere Tonight, I Thought About You Keith Jarrett (p), Gary Peacock (b),
Jack DeJohnette (dm)
Enregistré le 11 juillet 2009,
Lucerne (Suisse)
Durée : 1h 05' 32''
ECM 2200 276 6370 (Universal)
Le fameux trio de Keith Jarrett, expert
es « défense et illustration des standards de l’American
Song Book », fête
ses trente ans d’existence. Pour célébrer l’événement, c’est
curieusement l’enregistrement d’un concert de 2009 à Lucerne qui
a été choisi. Il est vrai que pour qui a assisté aux concerts du
trio depuis de nombreuses années au Festival de Juan-les-Pins – où
il s’est produit 22 fois depuis 1985 – il est possible de trouver
à celui-ci plus de charmes qu’aux plus récents
(manquant parfois un peu d’enthousiasme). Quoi qu’il en soit, le
présent CD s’écoute avec un vrai plaisir. L’envie de jouer est
bien palpable (heureux Suisses), personne n’avait sûrement osé
essayer de photographier le maître avant le concert et l’échantillon
de pianos Steinway qui lui étaient proposés avait dû le
satisfaire…Pas de mouettes rieuses, pas de passage d’avion
intempestifs, pas de bourrasques, ni de bruits de vagues parasites,
la prise de son est parfaite. Toujours très mystérieuse,
l’introduction en solo de chaque thème propose plusieurs pistes.
Cela fait partie du rituel, comme une sorte de jeu entre le pianiste
et l’auditeur (et peut-être aussi entre lui et ses propres
accompagnateurs, à qui il n’annonce jamais le titre du morceau, ni
le ton, ni le tempo). Pendant quelques mesures, les paris sont
ouverts pour reconnaître le thème (les vainqueurs ne gagneront que
l’estime de leurs pairs). Enfin, cela devient plus limpide et,
alors, tout s’enchaîne : exposition du thème dûment
identifié, impros de piano, impros de basse (parfois, mais pas
toujours), 4/4 de batterie (pas systématiquement non plus, et encore
plus rarement de chorus complet), retour au thème, et coda plus ou
moins acrobatique et toujours inattendue, qui, parfois, surprise, se
transforme en nouveau morceau en forme de tournerie à vocation
hypnotique sur deux accords (« Somewhere ») Cela peut
durer ainsi suivant l’inspiration du moment jusqu’à une bonne
vingtaine de minutes… Quasi magique, la recette suscite chaque fois
l’enchantement, et cela depuis trente ans, pourquoi en changer ?
Daniel Chauvet
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Tom Kennedy
Just Play !
Airegin, Moanin’, The Night has a
Thousand Eyes, Ceora, One Liners, In a Sentimental Mood, Bolivia, In
Your Own Sweey Way, What Is This Thing Called Love Tom Kennedy (b), George Garzone, Steve
Wirts (ts), Tim Hagans (tp), John Allred (tb), Mike Stern, Lee
Ritenour (g), Renee Rosnes (p), Dave Weckl (dm)
Enregistré en septembre 2012, New York
Durée : 1h 14' 07''
Capri Records 74122-2
(http://caprirecords.com)
Le titre de l’album du contrebassiste
Tom Kennedy étant tiré d’une citation de Charlie Parker « master
your instrument, master the music…and just play », les
objectifs sont d’emblée revendiqués, et la barre très haut
placée. Forfanterie ? Que nenni. Dès les premières mesures
du premier morceau l’auditeur est soufflé ! Pour jouer, ça
joue! Le répertoire est pourtant bien connu,
ces thèmes de Rollins, Bobby Timmons, Freddy Hubbard, ou Cedar
Walton sont devenus des classiques, étudiés dans les écoles,
presque autant que ceux d’Ellington, de Cole Porter, ou de
Brubeck qui complètent le tableau, sauf qu’il ne s’agit pas ici
d’un bœuf entre amis… Pas de fanfaronnade, on est dans
l’engagement absolu. Une fine touche d’originalité dans les
arrangements suffit à "rafraîchir" les thèmes sans
les dénaturer : « In a Sentimental Mood » à la
mode bebop, « In Your Own Sweet Way » métamorphosé par
un traitement up tempo à la McCoy Tyner ou « What Is
This Thing Called Love» exposé façon tango par exemple. Mais le
plus enthousiasmant tout au long du disque, c’est la dynamique
constamment entretenue par les lignes d’une contrebasse d’une
fougue imperturbable, d’une justesse et d’une énergie proprement
ahurissantes.
Pas de doute, le patron, c’est le
bassiste ! Il lui arrive même de ne pas pouvoir se retenir de
jouer pendant les chorus de batterie, et ses soli sont de véritables
tours de force. Revendiquant lui aussi l’héritage de Ray Brown, il
peut, c’est sûr, jouer dans la cour des grands avec d’autres
héritiers du grand maître comme Charnett Moffett et autre Christian
McBride…Quant à ses comparses, tous de la même trempe, brillants,
inspirés, généreux, le plaisir qu’ils ont pris à participer à
cet enregistrement s’impose comme une évidence, et le résultat
n’en est que plus réjouissant.
Daniel Chauvet
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François Lemonnier / Raphaël Lemonnier
Come Again
Saint James Infirmary Blues, Oscarina,
Nostalgia in Time Square, Chau Paris, Flying to Shangaï, Shanghaï
Ducks, Come Again, Prélude, I Remember Clifford, Escargoiseau Blues,
Lady Ga, 'Round Midnight
François Lemonnier (tb), Raphaël
Lemonnier (p)
Durée : 52' 28''
Enregistré en septembre 2012,
Pernes-les-Fontaines (84)
Blue Marge 1015
(http://futuramarge.free.fr)
François et Raphaël Lemonnier portent
le même patronyme et cependant, ils n'ont aucun lien de parenté.
Leur parcours musical est également différent. Raphaël Lemonnier a
étudié le piano, puis est allé compléter sa formation à New York
avec Jacky Byard écumant les clubs et les jam-sessions de la ville
avant d'être le partenaire de China Moses pour le projet où tous
deux font revivre la musique de Dinah Washington. François Lemonnier
a suivi un chemin très différent. Après des débuts au piano il
est sollicité pour adopter le trombone car il en manque dans
l'orchestre. Il choisit donc cet instrument pour ne plus le quitter.
Toute sa carrière il joue aussi bien du jazz que du classique, de la
musique contemporaine et improvisée. Tromboniste tout terrain, il
avoue être de plus en plus impliqué dans le jazz.
Le choix du répertoire donne une belle
indication sur la voie suivie par les deux musiciens. Quatre
standards de jazz très connus, quatre compositions de François
Lemonnier et une de Raphaël Lemonnier, une pièce pour luth de John
Dowland, et deux thèmes d'Amérique Latine montrent la diversité
des chemins empruntés par les deux musiciens. « Saint James
Infirmary Blues » donne d'emblée le ton : après une
introduction qui ouvre la voie à des musique nomades, le blues
reprend ses droits. Tandis que le tromboniste développe de superbes
mélodies, c'est du côté du swing que le pianiste ramène
obstinément la musique sans toutefois qu'il y ait de hiatus entre
les deux musiciens. Très différentes les personnalité se
complètent déjà par une incomparable qualité d'écoute mutuelle.
Après deux thèmes sud américains sur lesquels flotte l'esprit
d'Astor Piazzola, « Nostalgia in Time Square » rappelle
Mingus où le trombone tenait une large place dans le son d'ensemble
de ses formations. Mais ce sont surtout les aspects mélodiques que
développe le tromboniste en particulier dans ses propres
compositions. Sur « Escargoiseau Blues », croisement
improbable entre un gastéropode et un volatile, François Lemonnier
développe la mélodie de sa composition sans se priver de s'échapper
vers des aspects rythmiques inattendus et son sens de l'humour se
retrouve dans son jeu et ses compositions. Loin de se contenter
d'accompagner Raphaël Lemonnier pousse son partenaire, suscite de
nouvelles ouvertures, mais rappelle que tous deux sont des musiciens
de jazz et réinstalle régulièrement le blues au centre du morceau.
«'Round Midnight » illustre parfaitement le propos de John
Coltrane qui n'improvisait pas sur une ballade porteuse d'une mélodie
qui se suffit à elle même. Il reste à découvrir maintenant cette
musique en concert pour mesurer la forte empathie des deux musiciens.
Guy Reynard
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Samuel Lerner
Zomb(i)ebopMore
Kicks, Let's Watch, Zomb (I) Ebop, I Can't Get Started, The Beast,
Natasha, Walking With T, Roll On, Ballad, You'd Be so Nice to Come
Home To
Samuel
Lerner (p), Tal Ronen (b), Leroy Williams (dm)
Enregistré
le 17 décembre 2012 à Paramus (New Jersey) et 15 octobre 2013 à
Paris
Durée :
45' 14''
Black &
Blue 786.2 (Socadisc)
Depuis
une dizaine d’années, nombreux sont les jeunes musiciens français
de jazz qui font le pèlerinage à la Jazz
Mecca pour un séjour plus ou moins long dans
l’effervescence troublante de Big Apple.
On se souvient de Renaud Prenant (dm), de Thomas Bramerie (b), déjà
dans les années 1990, de Xavier Richardeau (bs) au début des années
2000, d’Yves Brouqui (g), de Clovis Nicolas (b), plus récemment de
Fabien Mary (tp) et de Laurent Courthaliac (p). Le phénomène mérite
d’être mentionné eu égard au fait que cette démarche volontaire
fut rare, et même rarissime, pendant la période (1946-1970) où le
jazz connut sa petite heure de gloire dans notre pays ; seuls,
les regrettés Georges Arvanitas et André Persiani tentèrent
l’aventure américaine. Et, mis à part Michel Petrucciani et Jacky
Terrasson pour des raisons spécifiques, les plus connus de nos
artistes n’y firent en définitive que de brefs passages à
l’occasion de tournées ou d’opérations ponctuelles (Stéphane
Grappelli, Claude Bolling, Martial Solal). Samuel
Lerner s’inscrit donc dans la tendance récente, consistant à se
rendre sur place « pour voir l’endroit et humer l’air
des lieux ». Il n’était pas totalement en terrain
inconnu ; il avait eu l’occasion, entre 3 et 8 ans, de
séjourner aux Etats-Unis, dans une ville universitaire de l’Indiana,
où son père, chercheur en mathématiques, participait à un
programme. « Au départ, j’étais parti trois mois, pour
explorer ; et puis, en participant à des jam sessions auSmalls, au Fat
Cat… , l’évidente nécessité d’enregistrer un
album est apparue ; New York est une ville qui génère une
énergie assez rare. C’est ainsi que naquit le projet d’un album.
D’autant que le prix de la séance de studio s’avère assez peu
élevé et qu’il est permis de faire appel à beaucoup de musiciens
qui possèdent tous la culture réelle et approfondie de cette
musique. J’avais eu l’occasion de "bœufer" à plusieurs
reprises avec Tal, que j’avais apprécié, et surtout avec Leroy
qui est pour moi le batteur idéal pour la musique que je voulais
enregistrer ».
Cet
album comprend deux parties : les faces en trio, enregistrées
en décembre 2012 et trois gravées en solo au studio 101 de la
Maison de la Radio à Paris en octobre 2013. Particularité :
les solos portent sur une seule composition originale et deux pièces
déjà anciennes (de Vernon Duke et d’Elmo Hope) ; en
revanche, les trios gravée à New York concernent des œuvres
originales personnelles écrites à Paris dans l’année précédente.
L’originalité
de Zomb(i)ebop tient à la manière dont est conçue la
musique jouée. Contrairement aux pianistes de tradition européenne,
qui l’élaborent sur la relation mélodie/harmonie, le rythme
n’étant qu’un mode d’interprétation, la musique de Lerner est
conçue à partir du rythme, l’élément mélodico-harmonique en
devenant l’habillage d’une forme épurée et taillée à la serpe
dans un traitement souvent atonal, ce qui ne manque pas d’en
renforcer l’aspect cubiste. Le titre éponyme en est une excellente
illustration mais également les autres, et même les pièces n’étant
pas de lui (« I Can’t Get Started »). Le pianiste
revendique sa filiation avec Elmo Hope, ce qui transparaît par
intermittences dans l’interprétation de sa composition « Ballad ».
En revanche, sur les autres faces, le musicien est plus tourné vers
un traitement musical compositionnel où l’élément
rythmique est premier. En sorte qu’il évoque au plan interprétatif
Herbie Nichols dans « Walking With T », dans son solo sur
« Roll on » (Elmo Hope – 1966) et dans la dernière
face de l’album « You'd Be so Nice to Come Home to »
(Cole Porter - 1947). Mais c’est surtout chez Thelonious Monk que
sa manière puise l’essentiel de sa matière. Ainsi la thématique
de « More Kicks » renvoie à « Bright
Mississippi », celle de « Walking With T » à
« Epistrophy »… L’auditeur ne sera que surpris de
parentés qui sont des transpositions de l’univers monkien dans
l’esthétique de notre temps.
Dans cet
ensemble, au beau milieu de ce parcours jazzique en tout point
formidable, se pose en intermède, une composition tout à fait
surprenante, « Natasha ». J’ignore si le titre fut
musicalement ou autrement incitatif, toujours est-il que cette pièce
s’inscrit dans une esthétique authentiquement "russe" :
le début, exposé en forme de déconstruction du thème, présente
des analogies descriptives avec certaines pièces de Moussorgski (Tableaux d’une exposition). Et au tiers de la pièce le leitmotiv
devient départ d’une partie aux accents jazz : intermède
parisien ?
Pour ce
résultat, le pianiste a choisi deux partenaires correspondant
parfaitement à son objet : le bassiste, Tal Ronen, israélien à
la trentaine bien sonnée, formé par Teddy Kling premier bassiste du
Philharmonique d’Israël. Il a derrière lui d’avoir accompagné
James Moody, Eric Alexander ou Max Roach en tournées en Israël. Il
possède une belle et profonde sonorité ; sa ligne de basse
simple et rigoureuse au plan rythmique est d’un grand classicisme
dans le traitement harmonique. Elle assure une belle assise à cette
musique qui n’est pas conventionnelle. Et ses chorusessont clairs et bien posés (« Ballad », (« You’d
Be so Nice to Come Home to »). Quant à Leroy Williams, qui est
né en 1937, il a le parcours d’un vieux briscard. Il a fait ses
preuves auprès d’Anthony Braxton, Sonny Rollins, Al Cohn, Andrew
Hill, Hank Mobley, Jimmy Raney… et surtout de Barry Harris, dont il
est le batteur attitré. Sa mise en place est irréprochable (« Let's
Watch ») et il ne se contente pas d’accompagner avec talent
(aux balais brillamment dans « You’d Be so Nice to Come Home
to ») ; il participe avec bonheur à l’élaboration des
pièces (« Zomb(i)ebop », « Wlaking with T »)
en donnant un dynamisme non dépourvu d’élégance à ses
interventions.
Alors
que je lui demandais la signification du titre éponyme de son album,
Samuel Lerner m’indiqua que celui-ci était emprunté à
l’imaginaire de la culture haïtienne, dans laquelle le zombie
était une personne ayant perdu toute forme de conscience du réel,
en l’espèce de ce que fut le bebop, mais qui tentait néanmoins
d’en retrouver l’esprit : voyage en inconscient collectif ?
Les créations humaines ne meurent jamais, fussent-elles opprimées
ou interdites. Zomb(i)ebop swingue comme jamais. Cet album
illustre la richesse des musiques de civilisation, du be-bop en
l’espèce, de Monk en particulier. Après celui de Laurent
Couthaliac, Pannonica, d’une orientation différente –
tournée vers l’aspect interprétatif du bop –, cet opus met en
évidence le caractère polymorphe que peut prendre la relecture
intelligente d’un bel héritage culturel. Je puis vous assurer que,
comme moi, vous passerez de beaux moments à écouter et réécouterZomb(i)ebop. Il y a matière.
Félix
W. Sportis
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Greg Lewis
Organ Monk : American StandardLiza, Lulu's Back in Town, Nice Work if
You Can Get It, Dinah, I Should Care, Tea for Two, Everything Happens
to Me, Just a Gigolo, Don't Blame Me, Between the Devil and the Deep
Blue Sea
Greg Lewis (org), Ron Jackson (g),
Riley Mullins (tp), Reggie Woods (ts), Jeremy Bean Clemons (dm)
Date et lieu d’enregistrement non
précisés
Durée : 1h 15' 00''
Autoproduit (www.greglewismusic.com)
Un peu à la manière de George Adams
(1989, America), Greg "Organ Monk" Lewis revisite et déconstruit
certaines compositions qui ont traversé les époques et les styles
pour s’imposer comme standards de la musique américaine. Ce choix
correspond également à des morceaux qui faisaient partie du
répertoire de Thelonious Monk. La vitalité frénétique de Greg
Lewis est originale et permet une approche véritable rafraîchie de
ces morceaux souvent entendus. Le grand défaut de ce disque est la
rythmique proposée par Jeremy Bean Clemons dont le foisonnement
prolifique relève de l’hystérie rythmique. L’écoute est
véritablement gênée par cette profusion sonore qui perturbe le
swing en ne laissant aucune respiration. Les présences de l’élégant
Ron Jackson, qui aurait pu être davantage mis en valeur, et de
l’impeccable Riley Mullins, sont des atouts. A l’instar de Brian
Charette ou Sam Yahel, Greg Lewis tente de trouver une voie pour
l’orgue qui ne soit ni celle du rhythm and blues, ni du langage de
Jimmy Smith, imbattablement prolongé par Joey DeFrancesco. Le
dilemme existe, mais la spontanéité créative devrait le résoudre
et non la décision programmatique de "faire différent".
Le parti pris monkien est assurément un peu trop systématique. Le
surnom de Greg Lewis pourrait bien à cet égard, au lieu d’être
une inspiration, devenir une mauvaise manie. Pour l’heure, cet
album propose de bons moments et un enthousiasme difficile à nier.
Jean Szlamowicz
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Allison Linde
Come On Up to the House
Shall We Dance, Devil May Care, Singing
in the Rain, Moon River, Cheek to Cheek, Let’s Fall in Love, Les
Parapluies de Cherbourg, Just One of Those Things, Skylark,
Bewitched, I Won’t Dance, J’ai vu, East of the Sun, Flor de Lis,
Come On Up to the House Allison Linde (voc), Jean Cortes (b),
Arnaud Agullo, Emile Mélenchon (g), Jo Labita (accordina) François
Devun (vln), Fabrice Agnoli (flh)
Date et lieu d’enregistrement non
communiqués
Durée 1h 03' 00'
My Major Company (www.allisonlinde.com)
Voilà qui semble nouveau dans le
domaine du jazz, la production de ce disque a été financée par les
réseaux sociaux, les "généreux" donateurs sont
d’ailleurs cités sur la pochette, mais pas les dates et lieu
d’enregistrement (erreur de jeunesse ou modestie de
débutante?)... On ne sait guère encore de la chanteuse américaine
Allison Linde que sa date de naissance (1988 en Oklahoma) et le fait
qu’elle vit de traductions en Provence depuis quelques temps. Cela
ne saurait durer car, dans la lignée de Diana Krall et plus encore
de Stacey Kent dont elle emprunte d’ailleurs quelques éléments de
répertoire, elle se révèle dans ce disque comme une chanteuse de
« standards » tout à fait intéressante. Jolie voix,
justesse, mise en place parfaite, arrangements (signés du
contrebassiste) souvent très originaux et bien mis en valeur par des
accompagnateurs de qualité. Plus qu’une "carte de visite"
professionnelle, ce disque à la diffusion encore très
confidentielle, semble bien être le premier d’une longue série et
l’augure d’une belle carrière.
Daniel Chauvet
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Jan Lundgren Trio
Flowers of Sendai
Parfait Amour, Melancolia, Flowers of
Sendai, Transcendence, Waltz for Marion, Fellini, Alone for You,
Mulgrew, Lush Life, Man in the Fog Jan
Lundgren (p), Mattias Svensson (b), Zoltan Csörsz Jr (dm)
Enregistré
les 15, 16 juillet et 1er novembre 2013, Cavalico (Italie)
Durée :
52’
Bee
Jazz 067 (Abeille Musique)
Jan
Lundgren, né en 1966 (Jazz Hot N°666), fait partie de la
longue tradition des pianistes suédois : Jan Johansson, Bobo
Stenson et Esbjöm Svensson. Il a débuté le piano à l’âge de 5
ans, découvert le jazz à la fin des années 80 par Oscar Peterson,
Erroll Garner, Bud Powell et Bill Evans. Il est un peu le compromis
de tous ces pianistes, privilégiant la qualité du son et la
mélodie, avec un phrasé très aéré. Il a joué avec pas mal de
pointures dont Johnny Griffin, Benny Golson, James Moody, ainsi
qu’avec Paolo Fresu et Richard Galliano pour le projet Mare
Nostrum. Il a obtenu le Django d’or suédois en 2008. Il a
repris son trio cette même année 2008 mais avec ce nouveau batteur,
Zoltan Csörsz Jr, né en 1976 en Hongrie. Celui-ci commence la
batterie à 5 ans ; après des études en Suède, il joue dans
différents groupes, y compris du rock progressif, avant d’intégrer
ce trio où il se révèle très minimaliste, marquant discrètement
mais efficacement le rythme, laissant toute l’ampleur sonore au
piano et à la contrebasse. Mattias Svensson est l’ami et le
fidèle bassiste du leader ; c’est un adepte du gros son, de
la note tenue, de ceux qui font chanter la contrebasse, parfait
partage du lyrisme du leader, chez qui on trouve ce lyrisme ouvert
des musiques du nord de l’Europe.
« Flowers
of Sendai » est un solo de piano qui débute justement par ce
grand lyrisme ad libitum et se meut en une sorte de ragtime
très dansant. « Waltz for Marion » de Galliano, sur
tempo lent, voit le pianiste tisser sa dentelle en de belles phrases
relayées par la contrebasse, qui insuffle ensuite son chant.
« Fellini » de Fresu débute sur tempo très lent,
piano-contrebasse, rejoint par les délicieux balais du batteur :
l’un des moments forts du disque, qui s’enchaîne par « Alone
for You » de Lundgren (qui se révèle un fin compositeur),
dans la même tempo et la même inspiration, comme la suite logique.
« Mulgrew » de Svensson est un concerto de belle allure
pour basse-piano-batterie. « Lush Life » » de
Strayhorn, permet d’entendre comment ce trio s’empare d’un
standard et le fait sien par son interprétation, le piano restant
assez près du thème, ajoutant quelques petites phrases assassines
de son cru, toute la richesse venant du contrepoint de la
contrebasse, et bien sûr du feeling du pianiste. « Man in the
Fog » de Lundgren, sur un frottis de balais clôt le disque
d’un si beau chant qu’on retourne immédiatement à la première
plage et ainsi de suite…
Un
trio dans la beauté des choses et des sons.
Serge
Baudot
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Laurent Marode
Elephant Walk
Boppin' With Alban, You Must Believe in
Spring, Elephant Walk, Almost Like Being in Love, I Didn't Know
What Time It Was, Samba Not, Wrap Your Troubles In Dream, Misty,
Midwater Blues
Laurent Marode (p), Ronald Baker
(tp, voc), David Sauzay (ts), Fabricio Nicolas (b), Grégory Serrier
(dm), Sarah Lancman (voc)
Enregistré le 22 mai 2013,
Saint-Chéron (91)
Durée : 42' 14''
Black & Blue 778.2 (Socadisc)
Après des études de piano classique
commencé à 7 ans au Conservatoire d’Orsay, Laurent Marode se
réoriente à l’âge de 20 ans vers le jazz après quelques détours
par la pop music, le rhythm and blues, le
blues et la fusion. Il entre ainsi en 2000 à la Bill
Evans Piano Academy et travaille avec Bernard Maury jusqu’à
la mort de ce dernier en 2005. Il commence à se produire dans
les clubs parisiens et parallèlement compose pour le théâtre,
illustre des œuvres cinématographiques et participe à
l’élaboration de comédies musicales. Il a déjà publié deux
albums sous son nom : I Mean (ABS Bellisima, 2005) et Grits and Groceries (Black & Blue 718.2, 2010). Depuis
plusieurs années, Laurent Marode, qui fréquente les stages de Barry
Harris à Rome, a l’occasion de jouer avec plusieurs des musiciens
talentueux de sa génération : David Sauzay (ts), Fabien Mary
(tp)... Elephant Walk est son troisième opus qu’il
enregistre à 33 ans.
Pour celui-ci, il a fait appel à David
Sauzay, à Ronald Baker et la chanteuse Sarah Lancman, récompensée
du Premier Prix de la Compétition Internationale de Jazz Vocal de
Montreux en 2012. Ce programme comporte trois compositions
originales : « Boppin' With Alban » du leader de
séance, « Samba Not » du trompettiste et « Midwater
Blues » du saxophoniste. Les autres pièces sont empruntées
aux standards et aux classiques du jazz, dont le titre éponyme,
« Elephant Walk » composée en 1954 par Art Farmer. David
Sauzay intervient sur trois plages avec beaucoup de bonheur, dans
des compositions présentant des ambiances sensiblement différentes ;
mais sa générosité y est toujours aussi grande et son drive
stimulant. Ronald Baker est chaleureux et sincère dans la pièce de
Farmer. S’il donne une nouvelle et belle version très enlevée de
sa composition déjà enregistrée en 2003, sa prestation toute de
simplicité et d’une sensibilité très maîtrisée en tant que
chanteur, aux côtés de Sarah Lancman, dans « Misty » y
apporte beaucoup. Sarah Lancman remplit sa partie avec bonheur,
parfaitement soutenue par le trio et David et Ronald Baker. La
section rythmique, qui a une moyenne d’âge d’à peine trente
ans, est soudée et soutient les solistes avec beaucoup d’allant.
Grégory Serrier est un batteur, qui sait accompagner sans
importuner ; c’est sobre et efficace dans ses interventions
(« Samba Not »). La ligne de basse de Fabricio Nicolas
est épurée avec une fort belle sonorité et une profondeur timbrée
(« Midwater Blues ») qu’on n’entend plus guère ;
c’est classique mais parfait. Quant à Laurent Marode, il possède
les registres d’un pianiste accompli : il sait accompagner en
soutenant et sollicitant ses solistes (« Elephant Walk »,
« Wrap Your Troubles in Dream ») et ses solos bien sentis
sont équilibrés.
Un très bon disque de jazz qu’on
écoute avec plaisir. A vos platines !
Félix W. Sportis
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Billy Mintz
Quartet
Beautiful You, Flight, Dit, Destiny,
Haunted, Shmear, Cannonball, Beautiful, Ugly Beautiful, Relent,
Retribution, After Retribution Billy Mintz (dm, perc), Roberta Piket
(p, voc, org), John Gross (ts), Putter Smith (b)
Enregistré le 1er février 2013,
Paramus (New Jersey)
Durée : 1h 07’ 00’’
Thirteenth Note Records 005
(www.thirteenthnoterecords.com)
New-yorkais
d’origine, Billy Mintz a fait l’essentiel de sa carrière à Los
Angeles, jouant avec Mike Garson et Stanley Clarke, Bobby Shew,
Vinny Golia mais aussi Mose Allison, Mark Murphy, Bill Mays, Charles
Lloyd, Bill Perkins, Frank Strazzeri, Pete Christlieb ou Alan
Broadbent. Il pratique aussi le concert en solo absolu. Cet
enregistrement est à l’image de cette carrière variée, à la
fois celle d’un grand professionnel du jazz capable de s’adapter
à des contextes divers et celle d’un artiste désirant développer
une musique personnelle. Celle-ci navigue entre les ballades un peu
éthérées (« Haunted » est une belle composition) et
des structures invitant au free blowing (« Shmear »
qui malheureusement s’effiloche un peu trop). « Dit »
possède des airs monkiens prononcés mais la tension retombe avec un
interminable solo de batterie (défaut de bien des albums de
batteurs). Le chant de Roberta Piket n’est pas probant même si la
composition « Destiny » est effectivement appropriée au
chant. En revanche, c’est une soliste efficace, experte en couleurs
et en vigueur. John Gross évoque Sam Rivers, John Gilmore, Pharoah
Sanders, avec aussi des touches de Joe Henderson et Joe Lovano. Les
ambiances sont assez sombres et l’ensemble paraît plus appliqué
qu’enthousiaste (« Cannonball » est un blues plus
languissant qu’explosif). « Beautiful » fait songer à
« Naima » mais sa lenteur reste trop attentiste. On
préfère « Ugly Beautiful », où Piket se fait davantage
tynérienne mais de manière originale. Ce quartet doit sûrement
être plus impressionnant en concert car, en studio, on remarque
surtout un certain manque d’intensité dont « Retribution »
et « After Retribution », dans l’esprit coltranien deLove Supreme, est l’exemple type. Une musique trop
démonstrative ?
Jean Szlamowicz
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Mr. Bo Weavil
As a Striving Longsome Bull
I Don’t Wanna Be no Rebel, You Take
Da Piss Outta Me, I Don’t Give a Shit, Keep on Runnin’, Honey I
Miss You, Big Boat Up the River, It’s Such a Beautiful Day, I’m
Not a Country Boy, An Evil House, Mr. Bo Weavil Blues Mr. Bo Weavil (voc, g, b, hca,
bjo,cajon, stomp, perc, dm prog, fl)
Enregistré à La Morvient (85), date
non précisée
Durée : 39' 00''
Dixiefrog 8751 (Harmonia Mundi)
Matthieu Fromont poursuit son
expérience, mais en solo à présent. Adieu le groupe, Bo Weavil,
bonjour l’homme, Mr. Bo Weavil. As a Striving Lonesome Bullparcourt les différents étangs où le blues s’est développé en
privilégiant, l’aspect acoustico-rural (« You Take Da Piss Outta
Me »), même s’il en convient il n’est pas un « country
boy » ! Mais le bluesman sait aussi vivre en phase avec le
monde qui l’entoure et signe un superbe « I Don’t Give a
Shit » puissant, marqué par le sceau du rap de banlieue ?
L’album se déroule tranquillement avec toujours cette empreinte du
Delta, du Mississippi ou de la Loire, même si c’est un estuaire,
qu’importe l’endroit. Il y a toujours cette efficacité pour nous
faire rêver à des contrées où le blues a droit de cité (« Big
Boat Up the River »).
Michel Maestracci
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Clovis Nicolas
Nine Stories
Pisces,
None Shall Wander, Juggling, Mothers and Fathers, Thon's Tea, Bridge,
Tom's Number, You and the Night and the Music, Sweet Lorraine
Riley
Mulherkar (tp), Luca Stoll (ts, ss), Alex Wintz (g), Tadataka Unno
(p), Clovis Nicolas (b, arr, lead), Jimmy MacBride (dm)
Enregistré
les 20 et 21 décembre 2012, New York
Durée :
53' 20''
Sunnyside
1375 (Naïve)
Avant
de s’installer à New York en 2002, Clovis Nicolas, qui participait
depuis 1998 au trio de Baptiste Trotignon, faisait partie des
contrebassistes recherchés dans les milieux musicaux français. Cet
album, Nine Stories, est l’aboutissement de cette rupture
new-yorkaise, choix délibéré de sa part, qui fut également celui
de nombreux autres jeunes musiciens français de jazz à
l’articulation des XXe et XXIe siècles, partis se ressourcer àBig Apple. Un de ces expatriés, Laurent Courthaliac, a avec
bonheur fait appel à lui dans son album (Pannonica, Jazz
Village 570023, Jazz Hot n°667) : « Clovis
Nicolas est excellent sur les quatre titres où il est présent. Sa
musique est allègre, jubilatoire mais également lyrique (« Three
Wishes ») et sa mise en place rigoureuse, toujours en
adéquation avec le discours aéré du pianiste » (Jazz
Hot n°667).
Le
programme comprend neuf nouvelles musicales, qui sont autant
d’histoires courtes en forme d’étapes d’un parcours personnel.
Cinq pièces sont de sa plume : « Pisces »,
« Juggling », « Mothers and Fathers »,
« Thon's Tea » et « Tom's Number » ; les
autres sont empruntées aux standards ou aux classiques du jazz. Mis
à part « None Shall Wander » repris dans l’arrangement
original de son compositeur, Kenny Dorham, les huit autres faces ont
été arrangées par lui. Chaque plage explore un univers différent :
univers tendre et nostalgique de « Mothers & Fathers »
(dont le ton apaisé n’est pas sans évoquer celui de la
composition d’Ellington « My Father, My Mother and Love »
– aka « Heritage » – extrait de My People,
1963) ; turbulences débridées de « Bridge » ;
lyrisme affectueux de « Tom’s Number » ;
jubilation dans la brillante présentation de la formation sur
« Pisces » et même poésie méditative de « Sweet
Lorraine »…
Bien
que leader de session, Nicolas y est plutôt discret ; dans ces
faces , il apparaît plus en tant que musicien/compositeur/chef
d’orchestre qu’en tant qu’instrumentiste. Ses interventions de
contrebassiste, mis à part le petit plaisir qu’il se fait en duo
contrebasse/guitare sur « Sweet Lorraine », restent
réduites au stricte nécessaire ; il fait la part belle aux
ensembles et aux solistes parfois brillantissimes dans des
arrangements travaillés et parfois complexes (« Mothers and
Fathers », « Pisces », « Juggling »…)
même sur des thèmes beaucoup plus simples (« You and the
Night and the Music »), assurant par le conductorde sa contrebasse la cohérence solide de l’édifice. Et Ron
Carter, à qui rien n’échappe, ne se trompe pas qui, dans les
courtes liners notes s’en tient à une formule aussi concise que
pertinente : « Vous entendrez, de la part de M.
Nicolas, des lignes de basse bien pensées qui orientent les
musiciens de l’orchestre dans la direction vers laquelle il a
choisi de les conduire » avec « Un très, très
bon son de contrebasse ». Le talent de leader apparaît
évident dans le choix des musiciens. Ce sont, mis à part le
guitariste, des musiciens jeunes et peu connus ; ils brillent
par la perfection des voicing mais
également dans leurs interventions solistes. La section rythmique
est d’une grande rigueur dans la mise en place. Le pianiste laisse
respirer la musique et lui donne tout son espace par son toucher
élégant et clair. Le guitariste est chaleureux sans envahir. Le
batteur reste léger dans son soutien. Il n’étouffe pas et laisse
entendre les lignes de basse épurées de Nicolas. Luca Stoll est un
saxophoniste musicalement habile dans ses interventions pleines de
nuances qui a su éviter les embûches de l’imitation
(« Bridge ») ; il possède une manière très
personnelle. Reste le trompettiste Riley Mulherkar, la révélation
de cet album. Il fait partie de l’école Wynton Marsalis : une
belle maîtrise instrumentale, tant dans le travail du son que dans
la construction de ses soli. On entendra parler de lui sous peu.
Clovis Nicolas n’est plus un débutant. C’est un contrebassiste
accompli ayant acquis une grande expérience en tant que sidemandans les divers domaines – variétés et jazz – de la
profession. Musicien, il a eu le privilège de travailler la matière
sous la conduite d’un théoricien averti, Kendall Briggs. Jazzman,
il a eu la possibilité de travailler son instrument sous la
direction d’un de ses maîtres, Ron Carter. Professionnel
consciencieux, il possède en outre l’assurance tranquille de sa
compétence confirmée par la prestigieuse Julliard
School. Et pour ne rien gâcher, fin lettré de l’université
française et instrumentiste bien formé au Conservatoire de
Marseille, c’est un homme de 40 ans parvenu à la maturité.
Ce
formidable bagage s’entend dans ces superbes Nines Stories,
album de jazz bien senti et très réussi dans un environnement
newyorkais adéquat, le Bunker Studio. De la belle musique et qui
swingue comme il se doit.
Félix
W. Sportis
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Nikki & Jules
Nikki & Jules
Let’s Make a Better World, Vous
faites partie de moi, Baby What You Want Me to Do, Angel Kiss, Baby
Won’t You Please Come Home, Mountain Blues, A quoi ça sert
l’amour, Look Like Twins, Besame Mucho, Classified, Embraceable
You, Hooties Blues, I Want to Be Evil, Bon Appétit, La Vie en rose Nicolle Rochelle (voc), Julien
Brunetaud (voc, p, org, dobro), Jean-Baptiste Gaudry (g), Bruno
Rousselet (b), Julie Saury (dm, shaker), Nicolas Dary (ts)
Date et lieu d’enregistrement non
précisés
Durée : 1h 06'
Autoproduit (www.nikkiandjules.com)
« Let’s make
a better world to live in », entonnent ensemble Nikki & Jules. Si le monde ne devient pas meilleur grâce à ce duo complice
et malicieux, il peut devenir plus agréable le temps de ce premier
album. Nikki, c’est Nicolle Rochelle, la Josephine Baker de Jérôme
Savary, qui a affiché salle comble pendant quatre années
consécutives. La chanteuse, danseuse et actrice américaine donne
ici la réplique à Jules, alias Julien Brunetaud, pianiste,
guitariste, chanteur, compositeur et arrangeur de talent
Sur quinze titres, Nikki & Jules
reprennent douze standards du jazz, du blues et de la chanson
française auxquels ils ont imprimé leur personnalité : la
marque prononcée de Jules/Brunetaud sur les blues de Jimmy Reed
(« Baby What You Want Me to Do »), Bessie Smith (« Baby
Won’t You Please Come Home ») ; le piano de New Orleans
qu’il chérit tant, avec Booker et l'excellente reprise de
« Classified » ; le jazz de Jay McShann (superbe
« Embraceable you »). La torpeur latine de leur version
délicieusement sensuelle de « Besame Mucho » relie
parfaitement les deux univers de Jules et Nikki. Celle-ci s'exprime
dans un registre davantage chanson et cabaret : « Vous
faites partie de moi » (clin d’œil à son alter-ego
Josephine Baker), Piaf avec « A quoi ça sert l’amour »
et même « La Vie en rose » ou encore « I Want to
Be Evil » de Eartha Kitt.
La bonne surprise de ce disque vient
des compositions du duo qui en offrent les meilleurs moments :
« Angel Kiss », une ballade ensoleillée jazzy aux
accents reggae ; « Mountain Blues », un blues
endiablé et groovy ; « Bon appétit », un dialogue
délirant et jouissif qu’on imagine taillé pour la scène. Quant
aux accompagnateurs, ils sont excellents. Mais si Nikki/Nicolle entraine de sa
voix forte des chansons ciselées pour elle, on regrette que son
talent d'imitatrice (Piaf, Kitt, etc.) ait éclipsé la chanteuse.
Car c'est lorsqu'elle est simplement elle-même (sur les originaux
comme « Angel Kiss » ou « Bon appétit »)
qu'elle prend enfin toute sa dimension...
On n'en appréciera pas moins cette
album, à savourer comme un rosé des premières soirées d'été.
Opale Crivello
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Ivan Paduart
Alone #25 titres
Ivan Paduart (p)
Enregistré en 2003, Porto
(Portugal), Genk (Belgique)
Durée : 1h 04' 46''
Quetzal Records 139
(www.quetzalrecords.com)
On se déplace bien pour
aller écouter huit morceaux répétitifs (90 minutes) de piano solo
de Brad Mehldau. Alors, pourquoi pas 64 minutes d’Ivan Paduart ?
D’autant plus qu’Ivan, créateur prolifique, ne cherche pas à
vous jeter de la poudre aux yeux avec un petit doigt atteint de la
maladie de Parkinson ! Les créations du pianiste brabançon
sont belles, délicates, nostalgiques souvent (« Forbidden
Love », « Never Say Never », « Wait For
Me »). C’est toute une vie qu’il nous dévoile : « To
My Parents », « Childs », « Véronique »
(sa compagne), « Igor » (son fils)… D’ailleurs
j’adore Igor… Pas le fils, le thème ! C’est beau, c’est
tendre comme du filet mignon ! Jean-Marie Hacquier
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Vincent Peirani & Emile Parisien
Belle Epoque
Egyptian Fantasy, Temptation Rag, Song
of Medina, Hysm, Le Cirque des mirages, Place 75, Schubertauster, St.
James Infirmary, Dancers in Love
Vincent Peirani (acc), Emile Parisien
(ss)
Date et lieux d'enregistrement non
précisés
Durée : 54' 28''
Act Music 9625-2 (Harmonia Mundi)
Le duo Émile Parisien-Vincent Peirani
s'est formé après leur rencontre au sein du quartet de Daniel
Humair. Wynton Marsalis repéra Emile Parisien dans la classe du jazz
du collège de Marciac. Nos deux protagonistes ont le même âge et
le même goût de l’aventure et une grande culture musicale. Cela
ne pouvait faire que des étincelles. Les voilà qui prennent des
thèmes peu connus de Bechet, Ellington, un Ragtime de 1909, et un
vieil air de la Nouvelle Orléans, immortalisé par Louis Armstrong
(coup de chapeau à l’Histoire), plus quelques thèmes de leur cru.
Au soprano, Parisien n’est pas loin
de Bechet, gros son ample et puissant, mais sans vibrato, même
lyrisme à fleur de peau, inspiration au sommet. Peirani connaît
tout de l’accordéon, du musette au classique, et surtout capable
de faire swinguer son piano à bretelles. Lui aussi s’exprime avec
un lyrisme des profondeurs, avec une inspiration quasi permanente. Il
y a des perles rares dans ce disque. Citons-en quelques-unes.
« Egyptian Fantasy » de Bechet, grandes envolées du
soprano, vraiment proche de son maître, sur accompagnement accordéon
façon Bach, et ça fonctionne du feu de dieu. « Tempation
Rag », une réappropriation du ragtime, qui passe par la valse
musette, et revient au ragtime pur et dur : étonnant. « Song
of Medina » encore de Bechet, qui se la joue oriental, avec de
magnifique graves du soprano et un splendide solo d’accordéon.
« Le Cirque des mirages » de Peirani, une incursion dans
la valse de cirque avec des échos de Nino Rota. « Place 75 »
de Parisien, une réussite d’un mélange classique-swing. « Dancers
in Love » d’Ellington, sur tempo lent, hommage tout en
sourire au Duke. Un « St. James Infirmary » (Mills,
Irving) qui démarre d’une façon étrange puis le soprano s’empare
du thème, et on retrouve tout le tragique traditionnel du morceau.
Mais le chef d’œuvre du disque, le morceau qui a lui seul mérite
l’acquisition de ce disque c’est « Hysm » de
Parisien, avec une intro de l’accordéon dans l’aigu, puis le
soprano qui lance sa splendide et prenante mélodie, accompagnée par
des accords de l’accordéon dans le grave façon orgue d’église.
Grande émotion, à pleurer de bonheur. En fait, tous les titres sont
au sommet. Soyons heureux d’avoir de tels musiciens en France.
Serge Baudot
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Ralph Peterson
The Duality Perspective
One False Move, 4 in 1, Addison and
Anthony, Bamboo Bends in a Storm, Princess, Coming Home, Impervious
Gems, The Duality Perspective, You Have Know Idea, Pinnacle
Ralph Peterson (dm), Joseph Doubleday
(vib), Alxander LJ Toth (b), Feliw Peikili (cl, bcl), Luques Curtis
(b), Zaccai Curtis (p), Sean Jones (tp), Walter Smith III (ts), Tia
Fuller (as, ss) + Bryan Carrott (perc), Reinaldo Dejesus (perc),
Edwin Bayard (ts), Victor Gould (p)
Enregistré le 24 mai 2012, Boston
Durée : 1h 08' 00''
Onyx Productions
(www.ralphpetersonmusic.com)
Polyrythmie,
mètres impairs, instrumentation originale (clarinette/vibraphone)…
le Fo’Tet de Ralph Peterson, présenté sur les cinq premiers
morceaux, ne manque pas d’ambition. La maîtrise impressionnante et
le foisonnement des interventions n’empêchent pas un sentiment de
trop grande préparation formelle. L’exotisme sonore et rythmique
(« Bamboo Bends in a Storm », le « 4 in 1 »
de Monk joué en clave…) et l’abondance percussive saturent vite
l’écoute, d’autant que les ambiances apportées par le
vibraphone sont assez uniformes. Le sextet est plus équilibré et
aéré et évoque les groupes d’Art Blakey ou Joe Henderson des
années 60 (« Coming Home », « Impervious Gems »,
« Pinnacle »). Les personnalités des solistes sont plus
affirmées et lyriques, notamment le flamboyant Sean Jones et le
funky Eddie Bayard. La vitalité de Ralph Peterson est ici plus
libre, moins réfléchie, et les grooves, malgré leur profusion,
appartiennent plus naturellement au langage du jazz. Les ballades
possèdent également un chatoiement plus séduisant. La tentation de
la complexité et de l’innovation, d’autant plus forte que
l’expérience et la maîtrise sont évidentes, aboutit parfois à
une forme d’enfermement ou d’oubli. La revendication de racines
affichée en couverture (Blakey, Michael Carvin, Elvin Jones…)
garantit pourtant une richesse d’expression potentiellement
porteuse de rafraîchissantes créations comme le montre bien la
deuxième partie de cet album.
Jean Szlamowicz
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Richard Razaf
Namana
Tanisa, Namana, Kanto, Diavolana, Tso
Bato, Mifankatiava Ihany, Pique nique, Ballad for N, Patience, Ma
Meme, Orana, Veloma ry Said Omar, Blooz N'I Mi
Richard Razaf (p), Remi Chemla (b),
Thierry Tardieu (dm), Benoit Raffin (dm), Pierre Baillot (oud)
Date et lieu d'enregistrement non
précisés
Durée : 1h 01' 34''
Sergent Major Company 123 (EMI/The
Ochard)
Richard Razaf est originaire de
Madagascar. Après des études au conservatoire de La Réunion avec
François Jeanneau puis avec Andy Emler, Denis Badault, etc., il
vient tout naturellement travailler en Europe et surtout à Paris où,
depuis le début des années 2000, il se produit dans les clubs. Sa
sensibilité le fait remarquer. Cet album, qui fait largement
référence à ses origines, est le premier en tant que leader. Comme
souvent dans un premier opus, le musicien a voulu faire une
présentation large de ce qu’il sait faire, en particulier jouer
ses propres mélodies. Il y a de ce fait un assemblage d’univers
assez hétéroclites. Accompagné par Remi Chemla et Thierry Tardieu,
il nous donne néanmoins quelques jolies faces comme « Ballad
for N », « Namana » ou « Kanto » et
avec Benoit Raffin « Diavolana ». On attend de le réentendre dans des
compositions plus communes.
Félix W. Sportis
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Daniel Roure
Le Temps d'un jazz
Titres détaillés dans le
livret
Daniel Roure (p, voc), Paul Pioli (g), Francesco Castellani
(tb), Fabien Giacchi (b), Gilles Alamel (dm)
Enregistré en mars
2001, Marseille
Durée : 42' 38''
Autoproduit
(www.danielroure.com)
Daniel Roure a vu son album Le Temps
d'un jazz diffusé à plus de 6 millions de fois sur Radio Pandora
(USA) avec le titre « Les Baleines Bleues ». Il a fait
une percée remarquée dans l'audimat des radios internet, aux Etats
Unis, au Canada et en Australie. Bigre ! On est
impressionné ! Daniel Roure possède une voix très
agréable, bien timbrée avec une diction parfaite, de la
décontraction, du charme. Je lui trouve parfois des accents à la
Jean Sablon surtout dans le grave et les tempos lents où il fait
preuve d’une grande douceur.
Pour ce disque il s’est entouré
d’excellents jazzmen du Sud-Est de la France. On retrouve parfois
un certain parfum du King Cole trio avec Pioli dans le rôle d’Oscar
Moore et Giacchi dans celui de Wesley Prince comme par exemple dans
« J’ai vu », avec en plus un batteur discret. Ça
balance bien. Un joli solo de trombone, très chantant sur « Un
petit bateau », genre bossa. Tous les solos de trombone sont
très bien, ainsi que ceux du guitariste. « Je lis là »,
qui est en fait une adaptation de « Rosetta » est
peut-être le meilleur moment du disque, sorte de chanson swing qui
colle parfaitement au groupe. D’ailleurs d’autres morceaux au
titre français sont aussi des adaptations de standards, indiquées
sur la pochette. Le morceau « Les Baleines bleues » a
beaucoup de charme et d’allant tranquille, pas étonnant qu’il
fasse un malheur chez les anglo-saxons qui goûte cette French Touch,
avec la sonorité du français en prime. La première chanson nous
dit « C’est le temps d’un jazz d’antan », c’est
tout à fait cela, de la belle chanson swing avec des paroles
intelligentes, le tout dans un bel écrin musical.
Serge Baudot
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Bobby Sanabria Big Band
MultiverseThe French Connection, Cachita, Jump
Shot, Over the Rainbow, Que Viva Candido !, Wordworth Ho !,
Speak no Evil, Broken Heart, Afro-Cuban Jazz Suite for Ellington, The
Chicken From Havana To Harlem-100 Years Of Mario Bauza
Bobby Sanabria (dm, perc, voc),
Cristian Rivera (perc, voc), Obanilu Allende (perc, voc), Matthew
Gonzalez (perc, voc), Hiram El Pavo Remon (voc), Enrique Haneine (p),
Leo Traversa (b, voc), David Dejesus (as, ss, fl), John Beaty (fl),
Peter Brainin (ts, cl), Norbert Stachel (ts, cl, fl), Jeff Lederer
(ts), Danny Rivera (bs, bcl), Kevin Bryan (tp), Shareef Clayton (tp),
Jonathan Barnes (tp), Andrew Neesley (tp), Dave Miller (tb), Tim
Sessions (tb), Joe Beaty (tb), Chris Washburne (tb, tuba, dijeridoo),
La Bruja/Caridad De La Luz (voc), Charenee Wade (voc), Gene Jefferson
(voc), Mary Gatchell, (voc), Georgia Schmidt (voc), Ernesto Lucar
(voc), Gene Marlow (voc)
Enregistré les 16 et 17 octobre 2011,
New York
Durée : 1h 17’ 00’’
Jazz Heads 193 (www.jazzheads.com)
D’origine portoricaine, né dans le
Bronx, Bobby Sanabria a été formé au Berklee College of Music
(1975-1979). Il est l’un des brillants représentants d’une
double tradition, celle des big bands et de la tradition
afro-cubaine. Ses collaborations avec Dizzy Gillespie, Tito Puente et
Paquito D'Rivera l’on durablement marqué. Il a également
fréquenté Mongo Santamaría, Ray Barretto, Chico O'Farrill et Mario
Bauzá. Sa longue expérience de leader et d’accompagnateur en font
un musicien incontournable de la scène latine new-yorkaise.
Concernant cet enregistrement, le premier descriptif qui vient à
l’esprit serait sans doute celui d’énergie débordante. De fait,
cela déborde. Beaucoup de stridences et de percussions, une
rythmicité dont la permanence laisse peu de place aux nuances. Le
rap de La Bruja, les tendances funkisantes et autres incessants
changements d’atmosphère forment une soupe un peu épaisse. A
cette image, « Que Viva Candido » démarre funk, passe à
un swing médium basien avant de se transformer en clave cubain pur
fruit : cela peut être spectaculaire en live mais n’a guère
de cohérence autre que la démonstration de virtuosité dans la
gestion des ambiances. Paradoxalement, la saturation sonore et la
surabondance d’idées (changements d’ambiances et de langages
musicaux) ne rendent pas forcément la musique très subtile. Comme
en attesteront tous les cuisiniers, il y a des façons de mélanger
plus réussies que d’autres : « The Chicken From Havana
To Harlem » passe de Pastorius à un preachin' dont la
rythmicité est un peu pesante. Le très haut niveau de
professionnalisme musical des participants est indiscutable et il y a
une certaine invention (une bonne interprétation de « Speak No
Evil » transformé en irrésistible clave). Dans le genre,
c’est une vraie réussite mais plus pour le dynamisme que pour la
musicalité.
Jean Szlamowicz
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Thomas Savy
Bleu. Archipel 2
No Time No Time, Anyway, Archipel bleu,
O'McHenry, Father Bear Comes Home, Stones, Bad Drummer, Misterioso,
Lazy Man Blues, Kind of Potts
Thomas Savy (bcl), Michael Felberbaum
(g), Pierre de Bethmann (p, elp), Stephane Kerecki (b), Karl
Jannushka (dm)
Enregistré les 28, 29 et 30 mai 2013,
Montreuil (93)
Durée : 57' 32''
Plus Loin Music 4567 (Abeille Musique)
Thomas Savy faisait partie des jeunes
pousses des années 1990 promis à bel avenir. A 41 ans, il
enregistre, après Archipel (2006) et French Suite (2010),
son troisième album en leader à la clarinette basse en compagnie
des mêmes musiciens que ceux qui participèrent à l’enregistrement
du premier en 2004. Ce programme comporte, pour
l’essentiel, des compositions personnelles, mises à part
« O'McHenry » (Karl Jannushka), « Bad Drummer »
(Stéphane Kerecki), « Lazy Man Blues » (Michael
Felberbaum) et « Misterioso » (Thelonious Monk). Il y
reprend en outre « Stones » qu’il avait déjà
enregistré dans French Suite. On y retrouve l’aisance absolue du
musicien tant dans la construction du discours que sur l’instrument.
Le timbre chaleureux et l’élégance de la clarinette basse mettent
en relief son interprétation d’une musique exigeante. Ses
partenaires sont à son diapason et participent à l’œuvre avec
attention. A signaler « No Time No Time »,
« Anyway », « O’McHenry », « Bad
Drummer », « Kind of Potts » et une très belle
version de « Misterioso ». Un disque de belle tenue qui exige une
écoute attentive.
Félix W. Sportis
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Jacques Schwarz-Bart
Jazz Racine Haïti
Kouzin, Banda, Blues Jon Jon, Bade
Zile, Night, Kontredans, Sept Fe, Vaudou Zepole, Je vous aime Kongo,
Legba Nan Baye
Jacques Schwarz-Bart (ts), Erol Josué,
Rozna Zila, Stéphanie McKay (voc), Etienne Charles (tp), Alex Tassel
(fgh), Milan Milanovic (p), Gregory Privat (p), Ben William (b),
Reggie Washington (eb), Obed Calvaire (dm), Arnaud Dolmen (dm),
Gaston Bonga Jean-Baptiste (perc), Claude Saturne
(perc)
Date et lieu de l'enregistrement non
précisés
Durée : 59' 26''
Motéma 233828 (Harmonia Mundi)
Ces dix pièces composées par Jacques
Schwarz-Bart font référence à ses racines caribéennes et à son
pays, Haïti. Si, au plan mélodique et rythmique, ces faces ne sont
pas inintéressantes, il n’est pas permis de les rattacher à
l’idiome du jazz ; manque l’élément rythmique référent
indispensable, le swing. Réunir des cuivres, une batterie, une
basse, des percussions et jouer de la musique rythmée ne saurait
suffire à en définir le résultat en tant que « jazz ».
Sans être dénuée de valeur, son originalité, qui est d’une
autre nature, réside ailleurs. Par conséquent, invoquer le jazz,
fût-il « Racine Haïti », constitue une posture voire
une imposture que la qualité évidente de ces compositions ne
méritent pas. Pourquoi ces musiciens, qui ont du
talent, se prêtent-ils à ce détournement de sens et d’identité ?
Pourquoi éprouvent-ils le besoin d’invoquer l’appartenance au
jazz ? Pourquoi acceptent-ils le faux-semblant afro-américain
qui n’ajoute rien à leur vrai talent et même leur retire la part
de création originale réelle qui est la leur ? La négritude
de cette musique n’a pas accompli son dernier et indispensable
parcours pour atteindre à la maturation qu’ils revendiquent –
des îles caraïbes vers le continent américain – et effectué le
séjour assez long en territoire américain de culture protestante et
de langue anglaise, constituant le milieu et les conditions
indispensables pour donner naissance à l’art nouveau qu’est le
jazz, qui est et reste un art original et propre à la civilisation
continentale des Etats-Unis d’Amérique.Il convient d’écouter ce disque pour
ce qu’il est : un excellent témoignage de la riche diversité
des musiques des îles Caraïbes.
Félix W. Sportis
|
Paddy Sherlock
Swing Your Blues Away
Titres communiqués sur le livret Paddy Sherlock (tb, voc, arr), Marten
Ingle (b, voc), Thomas Ohresser (g), Jean-Philippe Naeder (perc) +
Andrew Crocker (tp), Philippe Dourneau (cl), Ellen Birah (voc)
Date et lieu d'enregistrement non
communiqués
Durée : 29' 21''
A Tout de Suite Production
(atdsprod@gmail.com)
A l’occasion du dernier JazzAscona
nous avons dit le bien que nous pensions de ce groupe qui a le
contact avec le public qui, n’en doutons pas, sera heureux
d’acheter ce disque. On y retrouve Paddy Sherlock, chanteur
agréable et robuste tromboniste qui n’est pas sans évoquer
Lillian Briggs, Eddie Pequenino. Certains titres peuvent en effet
évoquer le rock’n roll (« Hey Hey Louise », « Swing
Your Blues Away »). Le quartet a un vrai son de groupe, dont la
particularité vient du percussionniste Jean-Philippe Naeder. Le
guitariste Thomas Ohresser a l’occasion ici de montrer ses qualités
(« Manon Jolie », « Undecided » où il y a
une touche Django). L’invitée, Ellen Birah, intervient de façon
plaisante dans les bons arrangements de « Lover Come Back to
Me » et « Fool in the Making » (bon solo de
trombone). Le répertoire allie des standards et des compositions
originales de Paddy Sherlock.
Michel Laplace
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Daniel Smith
Smokin' Hot Bassoon Blues
Night Train, Hummin’, Better Get Hit
in Your Soul, Back At the Chicken Shack, What I’d Say, Blue Seven,
Senor Blues, Hellelujah I Love Her So, C Jam Blues, Eddie’s Blues,
Moanin’, Mamacita Daniel Smith (basson), Robert Bosscher (p),
Michael O’Brien (b), Vincent Ector (dm) + Ron Jackson (g), Efrat
Shapira (vln), Neil Clarke (perc), Greg Lewis (org), Frank Senior
(voc)
Enregistré du 23 au 25 octobre 2013,
New York
Durée : 50’ 00’’
Summit Records 622
(www.summitrecords.com)
Daniel Smith est
bien connu pour être le seul bassoniste du jazz. Honneur à double
tranchant qui pose à lui seul une véritable question : le
basson est-il fait pour le jazz ? Daniel Smith, qui interprète
par ailleurs Vivaldi et le répertoire classique du basson, aime et
connaît le jazz. Il aime jouer du jazz sur l’instrument qu’il
maîtrise et nul ne saurait le lui reprocher. L’intérêt
artistique est cependant moins assuré pour l’amateur de jazz. La
prise de son donne un côté amateur à des musiciens pourtant
accomplis, en particulier Greg Lewis. Question basson, la justesse
discutable (même au titre du blues) est aggravée par le choix de le
joindre au violon, ce qui fait beaucoup en terme d’audace sonore.
Le choix de grands classiques du blues, appelés à provoquer
l’exultation, n’aboutit pas forcément une fois l’exposé du
thème effectué. Un certain dénuement un peu brut se fait même
sentir (« Hummin’ »). C’est une bonne session entre
amis mais pas une œuvre impérissable. Jean Szlamowicz
|
Dave Stryker
Eight TrackI’ll Be Around, Pusherman/Superfly,
Wichita Lineman, Aquarius, Never my Love, Superwoman, Never Can Say
Goodbye, Make It With You, Money, That’s the Way of the World
Dave Stryker (g), Stefon Harris (vib),
Jared Gold (org), Hunter Mc Clenty (dm)
Enregistré les 16 & 21 décembre
2013, Paramus (New Jersey)
Durée : 55' 35''
Strikezone Records
8809 (www.davestryker.com)
À l’écoute de ceEight Trackon ne peut s’empêcher de penser aux "Grands" guitaristes des années soixante et notamment à un certain Grant
Green. Dave Stryker, comme Green, a joué avec Stanley Turrentine et
Jack McDuff. Comme lui, il intègre le vibraphone dans son combo (cf.Street of Dreams,
Blue Note BLP 4253, BST 84253). Bref, l’hommage au génie de ce
musicien semble tellement évident que ça n’est peut être pas du
tout ça. Quoiqu’il en soit, cet album met sur la bonne voie les
fans de cette période qui vont forcément se régaler. Dave Stryker
est un guitariste au touché subtile et ouaté. Ses notes se
détachent langoureusement de la caisse de sa Gibson et il trouve le
moyen de vous faire basculer dans un univers bleuté comme il se
doit. Stefon Harris (vib) apporte la touche supplémentaire qui fait
de ce disque un petit joyau, brillant, lorsque Jared Gold (org)
s’enflamme sur son meuble pour stimuler le combo. En reprenant des
hits des années soixante et soixante-dix, le guitariste évoque
aussi le travail des jazzmen qui ne se privaient pas d’adapter à
leur sauce, des thèmes pop connus, pour mieux se connecter avec le
grand public. Au programme de Eight
Track, des reprises de Stevie Wonder
(« Superwoman »), Curtis Mayfield (« Superfly), des
Jackson 5 (« Never Can Say Goodbye »), des Spinners (I’ll
Be Around ») ou encore Earth Wind and Fire (« That’s
the Way of the World »). De la musique afro-américaine qui se
prête totalement à une revisite jazz et ça sonne magnifiquement,
notamment le thème de Stevie Wonder où la profondeur de l’émotion
est plus qu’intacte. Mais même sur « Money », ce thème
mercantile de Pink Floyd, la magie agit. Le jeu éthéré de Hunter
Mc Clenty sur les peaux n’est pas étranger au succès tout comme
les interventions de Stefon Harris sur le premier couplet et son
premier chorus. Pari réussi pour Stryker qui avec dix titres
étincelants refait vivre les grands moments de l’organ combo en
lui donnant une vigueur tout actuelle.
Michel Maestracci
|
Allen Toussaint
Songbook
It's Raining, Lipstick Traces,
Brickyard Blues, With You In Mind, Who's Gonna Help Brother Get
Further, Sweet Touch Of Love, Holy Cow, Get Out Of My Life, Woman,
Freedom For The Stallion, St. James Infirmary, Shrimp Po-Boy,
Dressed, Soul Sister, All These Things, We Are America/Yes We Can,
The Optimism Blues, Old Records, Certain Girl Medley: A Certain
Girl/Mother-In-Law/Fortune Teller/Working In The Coal Mine, It's A
New Orleans Thing, I Could Eat Crawfish Everyday, There's No Place
Like New York, Southern Nights
Allen Toussaint (p, voc)
Enregistré le 1er mars et le 30
septembre 2009, New York
Durée : 1h 19’ 00’’
Rounder Records 0011661915428
(Universal)
Dans la longue lignée des pianistes de
New Orleans (Fats Domino, Professor Longhair, Dr. John, Henry Butler,
James Booker et, plus récemment, Tom McDermott), Allen Toussaint ne
s’était pas fait un nom en tant que performer jusqu’à
ces récentes années. Ses talents et son savoir-faire de
compositeur, arrangeur, accompagnateur et producteur lui avait valu
une célébrité un peu cachée pour le public mais fort recherchée
des musiciens. Il a ainsi écrit pour Irma Thomas, Lee Dorsey, Aaron
Neville, Robert Palmer, Patti Labelle… et ses compositions ont été
reprises par quantité de musiciens de rock, pop, soul et rhythm and
blues, « Get Out My Life, Woman » étant sans doute son
succès le plus éminent. Le présent enregistrement, live at Joe’s
Pub (Lafayette Street, NY), rend justice à sa pratique de
pianiste-chanteur. Songbook est fort bien nommé puisqu’il
est constitué d’une série de tubes indiscutables, expertement
accompagnés par un pianiste vigoureux, varié, ultra-rythmique qui
évoque stride, boogie, blues, gospel, jazz, soul et funk sans aucune
discontinuité. Allen Toussaint n’est pas un chanteur d’une
grande puissance, mais il est expressif, sincère et son aisance en
fait un excellent professionnel du genre. Rythmiquement, c’est
évidemment une prestation à méditer et c’est en soi une belle
leçon de piano et un parcours stylistique de la musique louisianaise
passionnant. Cet album est augmenté d’un DVD avec une bonne partie
des morceaux du disque, deux interviews et d’un bon livret
illustré.
Jean Szlamowicz
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Nico Wayne Toussaint
The Mighty Quartet Live
Waltering
in Montreal, One Fine Day, My Own Medecine, Can’t You Tell, Mali
Mississippi, Southern Wind Blowin’, Sadie, Lonely Number, How Long
to Heal, Memphis Hat, Paris Rain, Time to Cut Your Loose
Nico
Wayne Toussaint (voc, hca), Florian Royo (g, voc), Antoine Perrut (b,
voc, as), Guillaume Destarac (dm)
Enregistré
le 24 novembre 2012, Bézannes (51) et le 8 décembre, Bayonne (64)
Durée :
53' 10''
Dixiefrog
8745 (Harmonia Mundi)
Nico Wayne Toussaint & Michel Foizon
On the Go
Go on
Greyhound, Don’t Let Nobody Bring You Down, Give Me Back the Key,
How Long to Heal, Burning Light, Lonely Number, Shining Through, You
Can Leave Your Hat Down Saint James Infirmary, Alberta, Can’t You
Tell, When Will It Be
Nico
Wayne Toussaint (voc, hca), Michel Foizon (g)
Enregistré
les 26 et 27 septembre 2013, Miami (USA)
Dixiefrog
8758 (Harmonia Mundi)
Jazz
Hot suit Nico Wayne Toussaint depuis le début des années 2000.
Ce musicien, bien installé sur la scène blues française, mais
aussi américaine, continue de délivrer des galettes de qualité.
Ces deux derniers produits, sortis chez Dixiefrog, témoignent non
seulement de la qualité de ses compostions mais aussi de l’évolution
du son, qu’il aime offrir à un public toujours aussi nombreux.
Pour réussir dans son entreprise il est soutenu par un guitariste
d’une grande subtilité. D’abord sur le live, les accompagnements
par touches délicates de Florian Royo (g) sont un pur régal,
notamment à l’écoute de « My Own Medecine ». Nico
pour sa part, reste fidèle à sa tradition et use d’un instrument
à vent qui respire les sonorités des années cinquante. Sa voix se
mue en celle d'un vieux bluesman noir texan pour donner toute
l’intensité émotionnelle à son propos (« One Fine Day »).
Pour l’occasion le natif du sud ouest, nous convie à une balade à
travers ses paysages comme « Mali Mississippi », et le
solo de batterie de Guillaume Destarac, Memphis, un classique du
chapeau ou encore la pluie parisienne qui fleure bon les grands
boulevards (« Paris Rain »). L’album avec Michel
Foizon est acoustique. Il est le fruit d’un challenge. En septembre
2013, le duo a remporté à Miami les sélections locales pour
l'International Blues Challenge de Memphis. Sur « On the Go »,
les deux complices signent neuf des douze titres. Les racines du
blues du Delta remontent à la surface et l’on entend l’harmonica
de Toussaint pleurer de bonheur tandis que la rythmique sèche de
Foizon impulse la dynamique (« Don’t Let Nobody Bring You
Down »). Cette impression à la fois désuète, bien que dans
la tradition, se perpétue avec « Give Me back the Jey ».
Avec le seul accompagnement des cordes aciers de l’instrument de
Foizon, « Wayne » Toussaint va chercher au fond de ses
tripes une expression prenante et captivante (How Long to Heal ».
Avant de clore son programme, le duo intègre un doucereux « You
Can Leave Your Hat On », puis le traditionnel « Saint
James Infirmary » et un classique de Leadbelly (« Alberta »).
Un album tout en douceur à écouter le soir devant sa plantation en
buvant un cocktail relevé.
Michel
Maestracci
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Trio Fatal
Space Way Messenger
The Wind Is Dancing Over the Hills,
Escargoiseau Blues, Spirit of Trombours, Nordic Waves, Singing
Softly, Sonate frivole, Slowlyness, Space Way Messenger, O Virtus
Sapientiae
François Lemonnier (tb), Biggi
Vinkeloe (as, f), Peeter Uuskyla (dm)
Durée : 1 h 07' 42''
Enregistré en août et septembre 2012,
Göteborg (Suède)
Hôte Marge 07
(http://futuramarge.free.fr)
Il est des musiciens qui doivent
obligatoirement se rencontrer tant leurs affinités sont grandes. Si
la destinée existe, alors ces trois musiciens devaient
inéluctablement joindre leur créativité et le nom de Trio Fatal
donné à cet ensemble est parfaitement bien venu. L'instrumentation
déjà sort de l'ordinaire et annonce des musiques très
aventureuses. Un tromboniste tout terrain, une saxophoniste-flûtiste
et un batteur plus percussionniste que porteur de pulsion participent
à part égale à ce trio. Le premier morceau, « The Wind Is
Dancing Over the Hills » installe d'emblée le climat qui sera
celui de tout le disque. Biggi Vinkeloe au saxophone alto met en
place une mélodie minimaliste ; François Lemonnier lance son
improvisation avec une plus grande énergie reprise par la
saxophoniste qui continue à refuser le lyrisme tandis que Peeter
Uuskyla apporte une couleur personnelle au morceau. Sur
« Escargoiseau Blues », François Lemonnier conserve
nettement l'esprit du blues tandis que Biggi Vinkeloe apporte un
contrepoint avant que les rôles s'inversent pour un solo de la
saxophoniste souligné par un accompagnement du tromboniste. Si l'on
ne retrouve pas de jeu à l'unisson (le bebop n'est pas ici le
propos) les trois musiciens cherchent au contraire largement la
surprise. Dans « Spirit of Trombours », les trois
musiciens empruntent les voix ouvertes par Ornette Coleman. Une fois
cet univers esquissé mis en place, sans jamais abandonner la
mélodie, sans outrer les dissonances, les trois musiciens
improvisent différentes lignes complémentaires qui s'entrelacent,
se repoussent et se complètent sans jamais de redondance. Après
quelques morceaux, un paysage musical d'une grande cohérence dans
l'hétérogénéité se déroule devant l'auditeur. La rencontre
européenne nord-sud est très fructueuse dans une rencontre du blues
du sud et de la musique proche du free nordique dans une
improvisation collective parfaitement maîtrisée.
Guy Reynard
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Trio Legacy
Plays Richard RodgersManhattan, It Never Entered My Mind,
Bewitched, I Like to Recognize the Tune, You Are Too Beautiful,
There’s a Small Hotel, My Heart Stood Still, This Can’t Be Love,
Isn’t It Romantic ?, The Lady Is a Tramp
Gustav Lundgren (g), Stefan Gustafson
(p), Patrik Boman (b)
Enregistré les 9, 23 et 24 février
2012, Stockholm (Suède)
Durée : 43' 47''
Lundgren Music (www.lundgrenmusic.com)
Membres éminents et respectés de la
scène suédoise, mais quasi inconnus en France, Gustav Lundgren,
guitariste qui est aussi un spécialiste de la musique de Django,
Stefan Gustafson, pianiste adepte de Bill Evans et Patrick Boman
contrebassiste paré à toutes les expériences, composent ce Trio
Legacy . On ne peut être plus clair pour annoncer ses
intentions d’illustrer les standards. Il s’agit
précisément ici de reprendre quelques unes des œuvres de jeunesse
(et pas des plus connues) de Richard Rogers, l’un des plus
prolifiques compositeurs de comédies musicales américaines, et,
dit-on aussi, l’un des plus riches en droits d’auteur.
L’entreprise paraît banale mais n’est pas si facile, guitare et
piano ne font pas toujours bon ménage, car, à moins d’une
connivence longuement rodée, les accords de l’une empiètent
parfois sur les harmonies développées par l’autre, la contrebasse
hypocritement neutre, échappant par nature à ces joutes
fratricides. Mais le duel reste en fait, très courtois. Les thèmes
sont exposés tour à tour par chacun des solistes, et parfois à
l’unisson. L’ordre des chorus n’est pas immuable, la
contrebasse n’est pas confinée au rôle d’obscur accompagnateur
et les échanges sur quatre ou huit mesures s’intercalent très
judicieusement sous forme de questions-réponses de bon ton, chacun
sachant s’effacer quand il se doit . Rien de très original,
certes, mais, de la bien belle ouvrage livrée par de solides
musiciens, avec beaucoup de swing et d’élégance.
Daniel Chauvet
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Kenny Blues Boss Wayne
Rollin' With the Blues Boss
Leavin' in the Morning, You Bring the
Jungle out of Me, Hootenanny Boogie-Woogie, Roadrunner, Baby It Ain't
You, I Can't Believe It, Two Sides, Slow Down, Ogopogo Boogie, Keep
on Rockin', Out Like A Bullet
Vince Mai (tp), Jerry Cook (ts, bs),
Drew Davis (ts), Kenny "Blues Boss" Wayne (p, ep, org,
rhod, voc, clav), Tim Hearsey (g), Tom Lavin (g, harm, perc), Wes
Mackey (g), Lindsay Mitchell (g), Ron Thompson (bjo), Russell Jackson
(eb, b), Loren Etkin (dm), Sherman Doucette (har), Sibel Thraser,
Cecile Larochelle, Christine Best (voc), Diunna Greenleaf (voc), Eric
Bibb (voc, g)
Enregistré environ 2012, Vancouver
(Canada)
Durée : 37' 42''
Dixiefrog 8763 (Harmonia Mundi)
Kenny "Blues Boss" Wayne,
qui a aujourd’hui 70 ans, vit à Vancouver. Il a, dans le monde du
blues, la particularité de ne pas être né dans un des états du
Sud, la patrie du blues, mais au bord de la Columbia River, à
Spokane, à l’est de Seattle (Washington). L’histoire de cette
ville fut marquée par l’exploitation forestière et la
construction du North Pacific Railway. Son
père, le Révérend Matthew Spruell, y était prédicateur, d’où
sa fréquentation du gospel, dont il a gardé les stigmates dans son
style lorsqu’il a définitivement choisi la « Devil's
Music », selon l’expression paternelle. Comme souvent
dans ces familles, il suit ses parents dans leurs missions
successives en Californie (San Francisco, Los Angeles…) mais aussi
en Louisiane (New Orleans)… Il y découvre
le jazz de Nat King Cole, Erroll Garner, Jay McShann…, les musiques
populaires de Charles Brown, Floyd Dixon, Ray Charles, Fats Domino,
le blues de Champion Jack Dupree, Memphis Slim, Bill Doggett, Johnnie
Johnson, Johnny Otis, BB King, Amos Milburn, Big Joe Turner… et le
R&B de Little Willie John et Sunnyland Slim, dont il se réclame.
Kenny s’est fait connaître relativement tard du grand public, vers
la fin des années 1980. Il vient en Europe et finit, dans les années
1990 et 2000, par être récompensé par plusieurs Juno
Awards au Canada.
Cet album, dont la structure a été
enregistrée à Vancouver où il réside habituellement, est le
résultat d’une collaboration avec d’autres solistes dont les
contributions ont été gravées à distance : Sherman Doucette,
tout près à Kelowna (BC), mais aussi Diunna Greanleaf à Huston
(TX), Eric Bibb à Londres, et même Drew Davis en France, où il
jouit depuis quelques années d’une notoriété certaine. C’est
l’illustration des diverses influences plus haut énoncées, dont
un très réussi hommage à Jay McShann (« Hootennany
Boogie-Woogie »).
Ces onze faces, composées par lui et
enregistrées à des dates différentes au cours de l’année 2012,
semble-t-il, sont une excellente présentation du grand talent de
Kenny Wayne Spruell, « Blues Boss » son nicknameemprunté au fameux album d’Almos Milburn, The Return of "The"
Blues Boss, (Motown 608, 1963). Ce sont surtout la parfaite
illustration de ce que peut encore signifier la tradition bien
comprise de la culture Rhythm & Blues.
Keep swingin’ !
Félix W. Sportis
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David Weiss
The Music of Wayne ShorterNellie Bly, Fall, Mr. Jin, The Turning
Gate, Eva, Prometheus Unbound
David Weiss (tp), Tim Green (as),
Marcus Strickland (ts, ss), Ravi Coltrane (ts), Norbert Stachel (bs,
bcl), Diego Urcola (tp), Jeremy Pelt (tp), Joe Fiedler (tb), Steve
Davis (tb), Geri Allen (p), Dwayne Burno (b), E.J. Strickland (dm)
Enregistré le 27 avril 2012, New York
Durée : 1h 07' 41''
Motéma Music 120 (Harmonia Mundi)
Le consensus actuel autour de Wayne
Shorter (sans doute surévalué : il présente l’avantage
d’être à la fois une figure historique et de posséder une image
et un discours « créatifs »), pouvait laisser penser à
un projet de convenance. Sauf que David Weiss, bien connu pour The
New Jazz Composers’ Octet, The Cookers ou pour sa participation à
l’octet de Freddie Hubbard et ses talents d’arrangeur/leader,
possède une certaine ambition et sait s’entourer de solistes de
feu. Ici avec son groupe Endangered Species, live au Dizzy’s Club
Coca-Cola, il fédère et libère les énergies par son écriture à
la fois atmosphérique et ouverte. La frappe sèche de E.J.
Strickland et la subtilité vigoureuse du regretté Dwayne Burno
permettent toutes les audaces. On découvre ainsi avec gourmandise le
trépidant altiste Tim Green (façon Gary Bartz-Antonio Hart) qui
déchire à chaque intervention, notamment « Nellie Bly »
(écrit en 1959 durant la période Vee Jay de Shorter pour Wynton
Kelly sous le titre « Mama G ») mais aussi « Mr
Jin » (période Blakey, Indestructible, 1964). Steve Davis
confirme sur ces mêmes morceaux qu’il est également un soliste
majestueux. Les autres intervenants, Pelt, Coltrane, Strickland et
Allen, sont au même niveau de charisme dans l’improvisation.
L’interprétation de « Fall » est à la fois fidèle à
la poésie de cette pièce (beau début de solo impressionniste de
Geri Allen avant la montée en puissance) et élargie pour donner à
la puissance des cuivres une certaine ampleur. La variété rythmique
ne refuse jamais le swing sans en faire non plus un objectif
mécanique. Quant aux couleurs, elles restent relativement sombres et
sérieuses mais avec une poésie constante qui ne manque pas de
tendresse (« Eva », avec un Jeremy Pelt splendidement
hubbardien). La démarche de Weiss ne se pose pas de questions
formalistes pesantes et utilise simplement comme support créatif la
très riche interaction entre les possibles de chaque composition et
les individualités des participants. David Weiss conjugue ainsi avec
bonheur son ambition d’écriture avec la puissance des expressions
individuelles, ce qui pourrait bien être sa marque de fabrique.
Jean Szlamowicz
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Spike Wilner
Solo Piano : Live at Smalls
Lullaby of the Leaves, All Too Soon,
Wrap Your Troubles in Dreams, Bess, You Is My Woman Now, Gone with
the Wind, I Can't Get Started, Elite Syncopations, Echoes of Spring,
Snowy Morning Blues, Poor Butterfly, I Hadn't Anyone 'till You, Tea
for Two, Two Sleepy People, Bodhisattva Blue
Spike Wilner (p)
Enregistré en juillet et août 2010,
New York
Durée : 58' 18''
Smalls Live 0016
(www.smallslive.com)
Le parcours de Spike Wilner est bien
connu des lecteurs de Jazz Hot puisque nous l’avions
rencontré en 2004 (n°612) et, fort récemment, en avril 2014
(n°667). Il est devenu une figure respectée du jazz new-yorkais,
non seulement par sa position créative (et équilibriste) de
musicien-patron de club, mais par la maîtrise musicale qu’il
affirme à chacune de ses interventions dans des contextes
esthétiques très variés. En solo absolu, Spike Wilner parvient à
s’exprimer avec beaucoup de sensibilité. Il n’a aucune
prétention à tenir des discours ou jouer avec des concepts :
il se contente d’affronter les quatre-vingt huit touches avec une
pureté d’esprit remarquable. Il n’est pas pianiste de bebop, ni
pianiste contemporain, ni rien d’autre. Il est simplement lui-même.
Il faut être sûr de soi pour aborder James P. Johnson, Scott Joplin
ou Willie the Lion Smith, qui constituent il est vrai des influences
de longue date. On pourrait assurément ajouter Tommy Flanagan et
Hank Jones dont Spike tire une approche de l’interprétation faite
de nuances et de musicalité, de risques et d’audace, d’émotion
et de subtilité. Sa délicatesse épurée est constamment ancrée
dans le swing : il fait ainsi ressortir la beauté des mélodies
tout en s’appuyant sur ces compositions pour mettre en avant ses
propres inventions. Sans le spectaculaire et les urgences de la
frivolité contemporaine, il reste l’essentiel du jazz. Une musique
de maturité, loin des artefacts à la mode, loin des poses esthétiques.
Jean Szlamowicz
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Matt Wilson
Gathering CallMain Stem, Some Assembly Required,
Dancing Waters, Get Over Get Off and Get On, Barack Obama, Gathering
Call, You Dirty Dog, Hope, Dreamscope, How Ya Going, If I Were a Boy,
Pumpkin’s Delight, Juanita Matt Wilson (dm), Jeff Lederer (ts, ss,
cl), Kirk Knuffke (cnt), Chris Lightcap (b), John Medeski (p)
Enregistré le 29 janvier 2013, Buck's
County (Pennsylvanie)
Palmetto Records 2169
(www.palmetto-records.com)
Matt Wilson et John Medeski avaient
joué ensemble dans le Either/Orchestra dans les années 80. Et si
John Medeski s’est fait un nom avec des trucages sensationnalistes
(Medeski, Martin & Wood), il s’exprime ici de manière
plus sobre, et aussi plus banale. On ne pourra pas dire que le
répertoire n’est pas varié puisqu’il couvre un registre allant
du Duke Ellington pur swing (« Main Stem ») à Beyoncé
(« If I Were A Boy ») en passant par le « Pumpkin’s
Delight » de Charlie Rouse, le funky « Get Over »
de Hugh Lawson et « Juanita ». Stylistiquement, les
ambiances vont vers une sorte de free jazz swing qui fait songer au
quartet d’Ornette Coleman mais avec des sonorités et des
références d’aujourd’hui. On songe aux univers du free de
Chicago, de William Parker, Charlie Haden, Uri Caine, Graham Haynes,
Mark Helias, Roswell Rudd… Jeff Lederer est un saxophoniste robuste
et coloré, dans l’esprit explosif de Bennie Wallace, trapu,
bluesy, passant du swing au free à la manière de Coleman Hawkins.
La tradition trompettistique qui va de Clifford Brown à Don Cherry
en traversant Booker Little et Ted Curson, aboutit aujourd’hui à
Dave Douglas, Ron Miles ou Roy Campbell, non parfois sans une
certaine sécheresse. Kirk Knuffke s’inscrit dans cet univers, avec
peut-être un penchant pour la tradition plus ancienne (Cootie
Williams, Roy Eldridge) qu’il partage avec Steven Bernstein. A
l’instar des Bill Stewart, Nasheet Waits ou Gerald Cleaver, Matt
Wilson est capable de couleurs et de swing, d’explosions et
d’ambiances. C’est aussi un leader avec une claire idée de ce
qu’il désire entreprendre. Le résultat est ici un peu hétérogène,
du swing tendre à la tension rugueuse, notamment parce que le piano
manque de charisme par rapport à l’exubérance des soufflants
(comme le démontre « Pumpkin’s Delight » où le solo
de piano brise tout l’élan accumulé par Knuffke et Lederer). Un
enregistrement inventif et sincère qui fait un pari stylistique
intéressant avec de bons moments grâce à des musiciens talentueux.
Jean Szlamowicz |
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