Justin Brown
California Drummin'
Justin Brown est né le 9 avril 1984
à Richmond (Californie) et a déjà une belle carrière à son
actif. C'est sa mère, organiste de gospel, qui l'initie dès son
plus jeune âge à la musique, à l'église, avec le soutien de son
père. Formé en Californie, il s'installe à New York. De l'église
aux clubs new-yorkais, le cursus est donc encore aujourd'hui celui de
beaucoup de jeunes musiciens, comme Rodney Green, également présent
dans ce numéro. En 2012, Justin Brown est finaliste de la Thelonious
Monk Competition. Il est depuis plusieurs années le batteur du
quintet d'Ambrose Akinmusire et Walter Smith III. Nous l'avons
rencontré lors d'un concert du quintet au festival Jazz en Tête à
Clermont-Ferrand.
Propos recueillis et photos par Guy Reynard
© Jazz Hot n° 669, automne 2014
Jazz Hot : La batterie est-elle
votre premier instrument ?
Justin Brown : Oui,
d'emblée j'ai commencé par la batterie. Dans la région de la baie
de San Francisco, il y avait beaucoup de gens très versés sur cet
instrument. D'une certaine façon, c'était comme si j'étais là
pour jouer de la batterie. A l'église, j'ai été comme jeté vers
elle. Par instinct, j'ai su très jeune que c'était ce que je
voulais faire.
Qui a été votre premier
professeur ?
En fait, trois personnes m'ont guidé.
Il y a eu Wilson Brooks, un batteur de gospel qui connaissait le
jazz. Et puis, il y a eu un autre gars – qu'il repose en paix –
appelé Dwayne Hendricks. J'avais 6 ou 7 ans et je le regardais d'en
bas. Il avait 18 ou 19 ans et jouait avec Pete Escovedo. J'ai été
vraiment élevé entre ces deux musiciens. Ensuite, il y a eu Tommy
Bradford, qui était un ami de ma mère et organisait avec elle des
concerts dans les églises de la ville. Regarder ces trois personnes
a été mon premier contact avec l'instrument. Plus tard, j'ai suivi
le programme pour les jeunes musiciens à Berkeley, où j'ai appris à
jouer dans un orchestre.
Vous avez donc suivi des études
musicales ?
Oui. C'est comme ça que j'ai découvert
le jazz et que j'ai rencontré les grands musiciens qui vivaient dans
la baie de San Francisco, dont Ambrose et Joshua Redman. Sly and the
Family Sone était là également. Il y avait beaucoup de grande
musique dans la baie. Après, j'ai étudié au Dave Brubeck Institute
qui est un programme de deux ans à l'Université du Pacifique. A
cette époque, le directeur était Christian McBride et ces deux
années ont largement compté dans mon développement musical.
L'Institut se trouve à Stockton (Californie), c'est à dire
exactement au milieu de nulle part : il n'y a rien d'autre à y
faire que de travailler la musique. Je suis très reconnaissant de
cette expérience. Ensuite, j'ai décidé de venir à New York et
d'entreprendre une carrière musicale. A cette époque j'étais un
gamin avec un certain talent, mais je voulais travailler avec ma
propre musique. Je voulais développer quelque chose qui soit
véridique pour moi et que je puisse exprimer vers les autres, d'une
manière positive, et non pas être enfermé dans le son de quelqu'un
d'autre. A cet âge, on est juste prisonnier des influences. Je
savais que je voulais être un musicien de jazz ou de gospel. C'est
la raison pour laquelle je me suis installé à New York. De plus, à
New York se retrouvent des gens du monde entier et donc toutes les
musiques. Si je veux, je peux entendre de la musique gitane, de la
musique espagnole ou du reggae.
Quelle était votre église ?
J'ai grandi dans l'église
pentecôtiste.
La musique est-elle différente
suivant les églises ?
La structure des offices était
différente, mais la musique était très semblable. Il existait le
gospel traditionnel, mais déjà, à cette époque, des musiciens
comme Andraé Crouch, The Hawkins Family, The Park Sisters et
d'autres groupes encore réincarnaient cette musique dans les
églises. Le gospel vient de l'église noire. Les catholiques sont
plus traditionnels avec juste les chœurs et les grandes orgues. En
revanche, à l'église noire on trouve tous les instruments.
Quelle a été votre première
influence à la batterie ?
Lorsque j'ai commencé le programme de
Berkeley, je ne connaissais que Miles Davis. Je ne pense pas que je
connaissais Kind of Blue. Je ne savais même pas à quoi
ressemblait le jazz. Mais mon père avait l'album Caravan
d'Art Blakey. Je l'ai écouté longuement. C'est le premier disque de
jazz qui m'a fait trouver mon chemin et ensuite j'ai découvert
beaucoup d'autres batteurs : Tony (Williams), Elvin Jones. Puis,
je suis remonté en arrière avec Big Sid Cattlett, Cosy Cole et
toute l'histoire de l'instrument. Mais Art Blakey a vraiment été ma
première influence pour le jazz.
Dans votre jeu, aujourd'hui, on
retrouve plus Elvin Jones qu'Art Blakey...
Vous ne savez jamais ce que vous allez
obtenir. Personnellement, je suis surtout mon cœur même si j'ai
appris beaucoup de vocabulaire. Je n'y pense pas, mais quelque chose
peut venir comme Elvin, ou quelque chose comme Tony Williams ou Roy
Haynes. Je prends tous ces éléments et je transmets toute cette
information avec émotion, avec des textures et des sentiments. Je
donne de nouvelles réponses. Je ne cherche pas une approche à la
Elvin ou à la Max Roach. L'idée, c'est de respecter ce qui s'est
passé avant nous, ce qu'on a appris et le reproduire dans le
contexte. Mais me comparer à Elvin est un grand compliment.
Quels ont été vos premiers
engagements professionnels ?
Le premier qui m'a embauché est le
célèbre saxophoniste cubain Yosvany Terry que j'avais rencontré au
Stanford Jazz Workshop. Lorsque j'étais étudiant, il y avait un
programme avec de petites leçons et de petits concerts. Chaque
enseignant de la faculté devait donner un concert pour les ateliers
et il m'a demandé de jouer avec lui. Puis, il m’a proposé de
venir à New York et dans l'année j'ai déménagé. Il m'a amené à
apprendre la musique africaine et cubaine et à les introduire dans
le rythme. Il m'a mis en contact avec un autre langage pour jouer la
musique dans la voie de la spiritualité. Ensuite, il y a eu le
tromboniste Josh Roseman : il mettait sur pied un nouveau sextet
et m'a demandé d'en faire partie. Quand je suis arrivé à New York,
j'avais une bourse d'étude pour Juilliard, mais je n'y suis jamais
allé. J'ai passé une année à rencontrer des gens, prendre soin de
moi, accumuler de l'information, et jouer autant que je le pouvais.
Par la suite, j'ai joué avec Kenny Garrett et Christian McBride. La
liste est largement au-delà de tout ce que je pouvais imaginer quand
je suis arrivé…
Vous êtes un membre permanent du
quintet d'Ambrose Akinmusire et Walter Smith III...
Oui. Je connais Ambrose depuis plus de
dix-sept ans. Il est l'un des tout premiers musiciens avec lequel
j'ai pu jouer. J'ai rencontré Walter par l’intermédiaire
d’Ambrose quelques années plus tard. C'était quelqu'un que
j'écoutais tout le temps sur des disques ou dans des enregistrements
pirates. Je ne l'avais jamais rencontré mais il m’était familier
au travers de son jeu. Aussi lorsque le temps est venu d'être sur
scène avec lui … Oh mon Dieu c'est une bénédiction d'appartenir
à ce quintet ! Chacun reste lui-même, nous aimons l'histoire
de la musique. Nous devons étudier tout le temps. Vous n'avez pas à
amener sur scène toute la musique que vous connaissez. Quelle que
soient vos facilités, vos dons, il faut apprendre d'où vient ce que
vous jouez afin de présenter ce que vous êtes.
Vous avec terminé second de la
Thelonious Monk Competition. Comment se déroule ce concours ?
C'est un processus en trois étapes.
D'abord vous recevez un questionnaire d'inscription et vous leur
envoyez un CD pour une audition de quinze minutes maximum. Ils
reçoivent une centaine de CD. Il y a trois juges – je ne sais pas
qui ils étaient – qui font une écoute à l'aveugle de ces CD et
ils sélectionnent douze demi-finalistes. Pour la demi-finale, les
juges étaient Carl Allen, Brian Blade et Terri Lynn Carrington. Ils
ont sélectionnés trois musiciens pour la finale. Le jury était
composé de alors Ben Riley, Jimmy Cobb et Peter Erskine : des
musiciens avec lesquels j’ai grandi. C'était une expérience
étonnante car la communauté des batteurs n'est pas très portée
sur la compétition. Tous les batteurs que je connais aiment
tellement l'instrument que c'est une compétition amicale, personne
n'essaie d'écraser l'autre. J'étais heureux de participer à ce
concours et je savais que cette situation était un choix prométhéen.
C'était plus une opportunité qu'une compétition. Les douze
demi-finalistes ont eu de grandes présentations et tout aurait pu
tourner autrement. J'ai participé et j'ai montré aux juges ce que
je pouvais faire. Je voulais juste être moi-même. Mais si j’avais
été classé deuxième sans que je me prépare sérieusement, alors
j’aurais été inquiet. Avoir eu l’occasion de jouer avec Wayne
et Herbie et de parler avec des gens comme Ben
Riley and Jimmy Cobb, c'est comme si j'avais gagné. Etre là
a été une expérience remarquable : j'étais moi-même et je
suis heureux d'être allé aussi loin.
Avez-vous des projets en leader ?
Oui, j'écris de la musique et j'ai
récemment commencé à donner des concerts sous mon nom à New York,
mais je dois être très patient. Je ne veux pas faire de la musique
uniquement pour me faire plaisir. Je veux vraiment dire quelque chose
au monde. Si je suis patient mon groupe mûrira naturellement. Je
veux prendre mon temps, apprendre qui je suis, ce que je veux
présenter et écrire lentement la musique qui me vient à l'esprit
et dans le cœur pour enfin accomplir ce nouveau pas artistique.
Contact :
www.facebook.com/justin.brown
Discographie
Sideman
CD 2008. Ambrose Akinmusire, Prelude,
Fresh Sound New Talent FSNT 312 CD 2009. Gerald Clayton, Two Shades,
Decca 2707144
CD 2010. Ambrose Akinmusire, When the
Heart Emerges Glistening, Blue Note 509990 70609 2 9 CD 2011. Gerald Clayton, Bond. The Paris
Sessions, EmArcy 15393
CD 2011. Chris Dingman, Waking Dreams,
Baby bwm001
CD 2012. Gerald Clayton, Life Forum,
Concord 7233770
CD 2012. Tony Tixier, Dream Pursuit,
Space Time Records BG 1235
CD 2014. Ambrose Akinmusire, The
Imagined Savior Is Far Easier to Paint, Blue Note 001972602
Vidéos
Interview de Justin Brown et concert
avec le quintet d'Ambrose Akinmusire
Extraits de la soirée de gala pour la finale 2012 de la Thelonious Monk Competiton
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