Johnathan Blake
Firm Roots
Le batteur
Johnathan Blake est né sous de bonnes étoiles. Quand il a vu le
jour le 1er juillet 1976 à Philadelphie, son père, le violoniste
John Blake Jr., rejoignait le groupe de Grover Washington Jr.,
(1976–1979) et, trois ans plus tard,
celui de McCoy Tyner (1979–1984).
Johnathan Blake est un enfant du jazz qui, très tôt, a côtoyé
tout ce que Philadelphie comptait de musiciens de jazz. Et il en a
toujours été reconnaissant, comme l'indique le titre de son dernier
album en leader Gone, but not Forgotten (« Partis, mais
pas oubliés »), dans lequel il célèbre la musique de ceux
qu'il a connus et aimés.
Si, en leader,
il a pris beaucoup de soin à enregistrer deux excellents albums, (le
premier était The Eleventh Hour en 2012), par le choix des
titres et des musiciens, Johnathan Blake est aussi un sideman très
occupé comme batteur attitré de Tom Harrell depuis 2005, de Kenny
Barron depuis 2008, de Ravi Coltrane depuis 2012 et peu à peu de Dr.
Lonnie Smith, sans compter les nombreux engagements ponctuels, les
tournées et les sessions d'enregistrement. Avant ça, il a fait ses
armes dans deux big bands, l'Oliver Lake Big Band et le Mingus Big Band.
A 38 ans, le
batteur compte déjà une expérience très solide. Avec le jeu
passionné, subtil, maîtrisé qui le caractérise, Johnathan Blake
ne cesse de se nourrir d’histoire du jazz et d'approfondir un jeu
toujours plus créatif.
Nous avons
rencontré Johnathan Blake en juillet dernier lors de son passage à
Paris avec le quintet de Tom Harrell. L'occasion de revenir sur son
parcours et sur les rencontres marquantes de sa vie, à commencer par
celle de son père John Blake Jr., décédé le 15 août 2014 à l'âge de 67
ans (Jazz Hot n°668). Gone, but not Forgotten…
Propos recueillis par Mathieu Perez Photos Umberto Germinale, Jos Knaepen et Mathieu Perez
© Jazz Hot n°670, hiver 2014-2015
Jazz Hot : Quel était le point
de départ de votre nouvel album Gone, but not Forgotten ?
Johnathan Blake : C’est un
hommage aux musiciens qui ne sont plus de ce monde. C’est une
célébration de ces musiciens et de leur musique. Et un hommage aux
musiciens avec qui j’ai eu la chance de jouer. Il y a un titre de
Jim Hall (Jazz Hot n°571). J’ai eu la chance de travailler
avec lui peu de temps avant sa mort, peut-être un an avant. C’est
aussi un hommage aux musiciens de Philly qui ne sont plus là et avec
qui j’ai eu l’honneur de partager la scène. L’un d’eux était
Charles Fambrough. Mon père et lui jouaient avec McCoy Tyner. C’est
grâce à Charles qu’il a été engagé par McCoy. Il m’a aussi
donné mon premier engagement. Et j’ai eu la chance de jouer avec
des musiciens de Philly comme Trudy Pitts.
Etiez-vous proche d’un de ces
musiciens en particulier ?
Charles était comme un oncle. Il
venait chez mes parents, et on dînait ensemble. C’était un ami
proche. J’ai aussi été proche de Trudy et de son fils TC III, un
excellent chanteur. Trudy a joué à l’enterrement de ma
grand-mère. Ils faisaient tous partie de la famille. Nous étions
très proches.
L’album présente deux de vos
compositions « Born Yesterday » et « The
Shadower ».
Oui, ce sont des pièces plus
anciennes. L’une d’elles s’appelle « Born Yesterday »
et est dédiée à la fille de Jimmy Greene (Jazz Hot n°578), Ana Grace1.
La seconde, « The Shadower », est dédiée à Dwayne
Burno2. Voilà
un autre musicien de Philly avec qui j’ai eu le plaisir de jouer. A
vrai dire, j’ai choisi ce titre parce que la dernière fois que je
l’ai joué avant de l’enregistrer, c’était à un concert à
Dizzy’s et Dwayne était le bassiste. Je trouvais que c’était un
morceau approprié pour lui rendre hommage. C’était un musicien
extraordinaire et un vrai passionné de musique. Il respirait la
musique. C’est à coup sûr un de mes héros. C’est un honneur
d’avoir été son ami. Sa famille et moi sommes très proches. Sa
femme Wendy et son fils Quinn sont de très bons amis. Parfois, on parle de ces musiciens
pendant un moment et, quelques mois plus tard, c’est terminé. Je
voulais enregistrer cet album et vraiment faire en sorte que leur
musique perdure. Je voulais aussi sensibiliser la jeune génération
à une musique et à des musiciens qu’ils ne connaissent
peut-être pas. Je voulais le faire de cette façon-là. J’espère
qu’à l’écoute de cet album, on comprendra le sens de cette
célébration.
Vous avez choisi des titres d’Eddie
Harris, Cedar Walton, Sid Simmons… Les
avez-vous arrangés à
votre manière ?
Pas nécessairement. Mais ça arrive de
façon naturelle quand vous jouez la musique de personnes que vous
avez connues. En même temps, c’est important de mettre sa patte,
pour ainsi dire. Je voulais des titres qui conviennent bien à la
configuration saxophones, basse et batterie. Après avoir choisi les
thèmes, je les ai pour ainsi dire restructurés. Ma version de
« Firm Roots » convient mieux à deux saxophones et évite
de rater les accords.
Cedar Walton (Jazz Hot
n°520) s’est éteint il y a un an. Quel souvenir gardez-vous de
lui ?
J’ai vu le tout dernier set de Cedar
au Village Vanguard avant son décès. La musique était toujours là,
même s’il était affaibli. Ce soir-là, ma femme et moi étions
allés voir Chris Potter. C’était plein à craquer. Au concert de
Cedar, il n’y avait quasiment personne. Une légende vivante… Mais où sont les jeunes musiciens qui devraient assister à ce
concert ? Moralité : quand vous avez une occasion, ne la
remettez pas à plus tard. J’ai grandi parmi des musiciens plus
âgés. Vous leur témoignez votre respect et vous allez les voir en
concert. C’est comme ça qu’on apprend cette musique.
Avez-vous jamais eu l’occasion de
jouer avec Horace Silver (Jazz Hot n°528) ?
Je l’ai vu en concert de nombreuses
fois. Quand j’étais encore étudiant à William Paterson, il
m’avait appelé et voulait que j’auditionne pour lui. Ce devait
être en 1996. Je ne devais pas être chez moi à ce moment-là.
Quand je suis rentré, j’ai eu ce message sur mon répondeur :
« C’est Horace Silver à l’appareil. Je commence des
auditions à New York et j’aimerais vraiment que tu y participes.
S’il te plaît, rejoins-nous. Tu es peut-être le batteur dont j’ai
besoin. » Je me souviens de l’avoir rappelé aussitôt…
Mais il est tombé malade et tout a été annulé. Je garde
précieusement ce message sur une de mes cassettes.
Vous avez choisi Chris
Potter (ts, as, fl, Jazz Hot n°585),
Mark Turner (ts, ss) et Ben Street (b), les mêmes
musiciens que sur votre premier album, The Eleventh Hour,
à l’exception de Kevin Hayes (p) et Jaleel Shaw (as).
J’ai tant de respect pour eux en tant
que musiciens et je savais qu’ils donneraient vie à ce que je
voulais faire avec ces titres. Je savais qu’ils saisiraient ce que
je voulais. Ils ont une palette mélodique et harmonique si étendue
quand ils jouent. Ils sont allés au-delà de mes espérances.
C’était une session incroyable. J’avais déjà joué en trio
avec Mark et Ben. J’adore jouer dans ce contexte.
Avez-vous donné beaucoup d’indications durant cette session
d’enregistrement ?
Je n’ai pas dit grand-chose. Quand
vous êtes le leader, vous choisissez les musiciens que vous
connaissez et vous savez ce qu’ils vont vous apporter. C’est pour
ça que vous les appelez. Je n’aime pas imposer trop de
restrictions aux musiciens ou leur dire de jouer d’une certaine
manière. Je veux qu’ils se sentent libres de jouer comme ils
veulent. Je sais que ce qu’ils vont faire va me plaire. Et c’est
ce qui est arrivé avec cet enregistrement. Ça s’est super bien
passé. Beaucoup des versions retenues sont des
premières prises. On a saisi l’idée de départ tout de suite.
Avez-vous déjà tous joué en
concert ?
Nous n’avons pas encore fait de
soirée de lancement pour le CD. On est tous un peu occupés !
Je n’étais pas à New York le mois dernier (au moment de l'interview). Chris travaille avec
Pat Metheny. Mark et Ben jouent dans différents groupe. Je
n’ai pas joué avec Chris tant que
ça. Nous avons déjà joué ensemble, mais je joue plus régulièrement
avec Mark et Ben.
Quand vous enregistrez sous votre
nom, que retenez-vous des leaders avec lesquels vous travaillez,
comme Tom Harrell et Kenny Barron ?
J’en retire énormément. Tom Harrell
et Kenny Barron jouent depuis longtemps. J’observe donc
comment ils construisent leurs sets. Quelqu’un comme Kenny
Barron sent le public tout de suite. Il sait quand il faut jouer
un standard ou une composition originale. J’observe leur façon
d’échanger avec le public. Quand je vais en studio, j’imagine
que tout ça est dans mon subconscient et ça m’aide. Avec cet
album en particulier, j’ai vraiment réfléchi avec quel titre
commencer. On débute avec « Cryin’ Blues » d'Eddie
Harris. C’est un blues. Après, on peut aller vers d’autres choses.
C’est ouvert. J’observe aussi comment ces musiciens mettent leurs
sidemen à l’aise. Une fois que vous êtes à l’aise, tout est
beaucoup plus facile. La session s’est déroulée en douceur. Personne
n’était tendu. On était juste là pour faire de la musique.
Quand avez-vous formé votre
groupe ?
Au début de l’année 2000. J’ai
voulu réunir des musiciens qui pouvaient bien s’entendre. Je ne
voulais pas me dépêcher et former un groupe. C’est la progression
naturelle. Je voulais réfléchir à chaque individu que je
choisissais et m’assurer qu’on travaillerait bien tous ensemble.
Il ne s’agit pas que de se réunir et de jouer de la musique. Il
s’agit de créer du lien, une famille et un sentiment de
fraternité. J’ai vu beaucoup de mes pairs faire des albums très
tôt mais je ne voulais pas faire comme ça. Je voulais réunir des
musiciens qui sonnent comme un vrai groupe et obtenir un son
d’ensemble qui se distingue. Je pense qu’on y est parvenu.
Par votre père, John
Blake Jr., vous avez été exposé au jazz dès le plus jeune âge…
Quand je suis né, en 1976, mon père a
été engagé par Grover Washington, Jr. On m’amenait en poussette
à ses concerts. Notre famille était proche du groupe. Il y avait
Tyrone Brown à la basse, Richard Lee Steacker à la guitare, Leonard
Gibbs aux percussions, Pete Vinson à la batterie, Sid Simmons aux
claviers et mon père aux claviers et au violon. Sur la route, tous
ces gars formaient une famille parce qu’ils étaient si proches les
uns des autres. Et ça s’est agrandi. Grover était très famille.
Donc, quand il le pouvait, il invitait les femmes et les enfants en
tournée. Tout le monde est devenu très proche. Ce groupe est resté
ensemble pendant trois ans. Même après la fin du groupe, mon père
est resté très proche de la plupart de ces musiciens. Certains
musiciens de Grover sont sur les disques que mon père a enregistrés
en leader. Donc ils m’ont toujours connu. C’était pareil avec le
groupe de McCoy Tyner. Je pense que mon père a connu deux groupes
différents avec McCoy. De temps à autre, il venait dîner à la
maison avec sa femme et son fils. J’ai baigné dans la musique dès
le plus jeune âge.
Etiez-vous toujours attiré par la
batterie ?
J’ai toujours été fasciné par le
rythme. J’ai d’abord commencé avec le violon mais mes parents me
disent toujours que, dès qu’il y avait de la musique qui passait à
la radio ou sur un disque, je prenais des cuillères et battais le
rythme. Il a fallu un moment avant qu’ils ne m’achètent une
batterie (rires). A 10 ans, j’ai commencé à prendre des
leçons. Je prenais ça très au sérieux. En 3e ou en 2nde, j’ai
décidé d’arrêter le violon, dont je jouais depuis l’âge de 3
ans, pour me concentrer sur la batterie.
Qui étaient vos héros à cette
époque ?
Si nous parlons de batteurs en
particulier, mes premières influences étaient les batteurs de
Philly comme Mickey Roker, Edgar Bateman, Bobby Durham (Jazz Hot
n°647), Leon Jordan, Philly Joe Jones, etc. J’ai grandi en
écoutant les batteurs qui jouaient dans les groupes de Grover et
McCoy. Ils m’attiraient tout comme les batteurs des années 1970,
comme Idris Muhammad.
Y a-t-il un son spécifique aux
musiciens de Philadelphie ?
On dit toujours qu’il y a un certain
son de Philly, comme il y a un son de New Orleans ou de Chicago. Ce
sont des villes qui ont incorporé le swing et qui l’interprètent
de façon très spécifique. C’est difficile à expliquer. Une fois, quelqu’un a essayé de
l’expliquer dans une interview et disait que c’était comme être
derrière la pulsation avec l’urgence de la prochaine mesure. Même
ça, ça n’est pas très convaincant. Parfois, je n’ai pas à
dire d’où je viens. Ça s’entend. J’ai joué avec Benny Golson
pour la première fois au North Sea Jazz Festival. Après le concert,
la première chose qu’il a dite était : « Ce son de
Philly ! » (Rires) C’étaient ses premiers mots.
On en a ri ! Donc j’imagine qu’on peut entendre ce son
immédiatement !
Avez-vous aimé jouer avec Benny
Golson (Jazz Hot n°616) ?
C’était super ! Il raconte
beaucoup d’anecdotes. On apprend tellement quand on est à ses
côtés. C’est amusant de voir comment il échange avec le public.
J’ai eu l’occasion de travailler avec beaucoup de musiciens plus
âgés, Tom Harrell, Kenny Barron et tout récemment avec Dr. Lonnie
Smith. Ils font partie de la même génération. J’ai beaucoup
appris d’eux. Ces opportunités sont inestimables. Ce sont des
moments où on apprend tellement.
Avez-vous toujours été attiré par
les musiciens historiques ?
Bien sûr ! Vous devez connaître
ce qui s’est passé avant pour comprendre ce qui se passe
aujourd’hui. Et ils étaient en première ligne. Quand j’étais
enfant, je voulais savoir d’où venait cette musique. Et quand j’ai
voulu faire de la musique ma vie professionnelle et mon mode de vie,
j’ai senti qu’il était mon devoir d’étudier cette histoire.
Vous avez étudié à William
Paterson avec Rufus Reid, John Riley, Horace Arnold et Steve Wilson.
Qu’avez-vous appris d’eux ?
J’ai tant appris, surtout de Rufus.
Il m’a vraiment appris à me concentrer sur mon jeu.
Quel type de professeur est Rufus
Reid (Jazz Hot n°607) ?
Il s’investit beaucoup. Un jour, je
suis arrivé en cours et tout ce qu’il y avait en guise de batterie
était une cymbale et une charleston. Il m’a dit : « Tu
vas jouer de la ride et la charleston sans rien d’autre. Et
tu vas me faire swinguer cet orchestre. Je veux que tu te concentres
sur ton jeu, trouve la clarté de la cymbale et verrouille-la avec la
charleston. » Je n’ai fait que ça pendant des mois. Cet
enseignement très intense m’a vraiment permis de me concentrer sur
mon jeu et de façonner mon son. Il voulait me sensibiliser au son
qui sortait de l’instrument.
Et John Riley ?
John Riley était aussi très
enrichissant. Je connaissais très bien ses ouvrages, mais on ne les a
jamais étudiés. On parlait beaucoup de comment développer son
propre son sur un instrument.
Horace Arnold ?
Horace était mon premier professeur
quand je suis arrivé à William Paterson. C’était aussi quelqu’un
qui s’investissait beaucoup. On parlait de la clarté du jeu et
comment être attentif au son de l’instrument. On a beaucoup
travaillé sur les questions de rythme. J’ai encore en tête toutes
ces leçons aujourd’hui.
Et Steve Wilson (Jazz Hot
n°577) ?
Steve Wilson enseignait le jeu en
groupe. J’aime ce type de musicien qui peut en même temps jouer en
concert et bien expliquer à ses élèves ce qu’il fait sur scène
afin qu’ils comprennent mieux ce qui s’y passe. Si vous allez en
faire votre métier, ce sont des étapes nécessaires. Il m’a pris
sous son aile, pour ainsi dire. Et il a fini par me proposer des
engagements. Etre sur scène avec lui, c’était comme un cours !
J’apprenais.
Qui est votre batteur préféré ?
Mon batteur préféré est Elvin Jones
(Jazz Hot n°562). Avez-vous jamais eu l’occasion de
le rencontrer ?
C’était un de ces musiciens que
j’allais voir en concert s’il était de passage en ville. Après,
je traînais avec lui. La première fois que je l’ai rencontré,
j’avais 13 ou 14 ans. Mon père jouait avec Steve Turre au Blue
Note. Elvin avait son Jazz Machine. Après le set, mon père m’a
emmené le voir. Elvin était mon héros. On est allés au premier
étage et mon père m’a présenté comme un futur batteur. Et tout
de suite, Elvin m’a dit : « Viens là ! Dans mes
bras ! » C’était une de ces personnes qu’on avait le
sentiment d’avoir toujours connues une fois que vous les aviez
rencontrées. On s’est assis et on a parlé pendant un moment. Mon
père est parti et je suis resté seul à parler avec lui. Puis, il
m’a dit que j’allais m’asseoir à côté de lui sur scène. Il
m’a tiré sur scène et je suis resté à côté de lui pendant
tout le set.
Quels étaient les autres
musiciens ?
Il y avait Willie Pickens au piano,
Chip Jackson à la basse, Ravi Coltrane, Sonny Fortune et quelqu’un
d’autre je crois. Elvin m’a demandé ce qu’on allait jouer. A
cette époque, mon morceau préféré de lui était « Three
Card Molly ». Et c’est le premier morceau qu’on a joué !
C’était incroyable ! Ce soir-là, on a fait une photo avec
Elvin. Quand je la regarde, ça ramène tant de souvenirs. C’est
comme si c’était hier.
Votre première expérience
professionnelle était avec Oliver Lake (Jazz Hot
n°482) ?
Oui, c’était en 1994, 1995. Oliver
jouait chaque semaine avec son big band au Knitting Factory. Il m’a
demandé de rejoindre son groupe. C’était super. Sa musique était
difficile.
Le connaissiez-vous avant de
travailler avec lui ?
J’avais rencontré Oliver trois ou
quatre ans auparavant. Chaque été, j’allais dans un jazz camp à
Montclair3.
C’était organisé par le bassiste Chris White. J’avais 15 ou 16
ans. J’ai rencontré Oliver là-bas. Chris White, Steve Turre,
Jimmy Owens, etc., vivaient dans la région à cette époque. Plus
tard, quand je me suis installé dans le coin pour suivre des cours,
Oliver a appris que j’étais de passage. Il m’a appelé pour
participer à des répétitions chez lui et j’ai fini par rentrer
dans son big band.
Vous ne jouiez que des compositions
originales ?
C’étaient ses compositions
originales pour son big band. J’ai appris comment on joue dans
un big band.
Comment dirigeait-il son big band ?
C’était intéressant. Il donnait
beaucoup d’indications mais c’était libre en même temps.
C’était incroyable. En fait, c’est grâce au big band d’Oliver
que j’ai joué avec le Mingus Band (Jazz Hot n°532). John Stubblefield (Jazz Hot n°623) était l'un de ses
saxophonistes. Il m’avait entendu jouer. Il avait contacté Sue
Mingus et lui avait conseillé de venir me voir. C’est comme ça
que j’ai été engagé.
Quelle était votre connaissance de
la musique de Mingus à cette époque ?
J’avais beaucoup étudié sa musique.
A William Paterson, le bassiste Adam Linz avait commencé un groupe
avec des étudiants autour de la musique de Mingus. Il avait des
arrangements de Mingus. Mais même avant l’université, j’avais
beaucoup écouté sa musique, des disques comme Ah Um. J’étais
très curieux et j’adorais Dannie Richmond. Donc, quand j’ai
commencé à jouer avec le Mingus Big Band, je trouvais que j’avais
des références. J’ai dû trouver comment jouer avec un big band,
apporter le drive et lui donner de l’impulsion et de
l’énergie. C’était difficile.
Qu’est-ce que cela vous a appris
du rôle du batteur ?
Votre travail ne consiste pas qu’à
tenir le tempo. Il s’agit de donner cette énergie supplémentaire
aux musiciens. Et ils comptent là-dessus. Donc si vous êtes mou,
l’orchestre va être mou. Si vous avez de la puissance et que vous
leur donnez de l’énergie, l’orchestre débordera d’énergie.
J’ai appris très tôt que c’est de cette façon qu’on pousse
un orchestre. Plus tard, avec des formations plus petites, j’ai
appris mon rôle et ce que ça signifie d’être un batteur dans ces
groupes.
Lorsque que vous étiez toujours à
l’université, McCoy Tyner (Jazz Hot
n°618), vous a demandé de rejoindre son groupe. Est-ce exact ?
Il a demandé à mon père (rires).
J’avais commencé à jouer avec le Mingus Big Band. Je devais être
en deuxième année. Nous étions en tournée au Japon. C’était
autour de 1997. McCoy était à l’affiche. Il ne m’avait encore
jamais vu jouer. Il était assis en coulisse et me regardait jouer.
Tous les soirs, il y avait une jam session all-stars. On m’a choisi
pour jouer avec McCoy, Maceo Parker, Makoto Ozone et Michael Brecker.
C’était dingue ! Après cette tournée, je suis retourné en
cours. Un jour, mon père est venu me chercher. Dans la voiture, il
m’a dit que McCoy l’avait appelé. Il avait été très
impressionné et il souhaitait que je rejoigne son groupe. Mon
père lui a dit non. C’était plus important que je termine mes
études. J’étais effondré (rires) ! Ce n’était pas
le bon moment.
Quand avez-vous rejoint le groupe de
Tom Harrell (Jazz Hot n°594) ?
J’ai rejoint Tom en 2005. J’étais
allé le voir jouer avec son quintet au Village Vanguard. A cette
époque, il y avait Jimmy Greene, Ugonna Okegwo, Xavier Davis et
Quincy Davis. Mais, ce soir-là, la formation était différente.
Puis, Ugonna a conseillé à Angela, la femme de Tom, d’écouter ce
que je faisais. Pour mon premier engagement avec Tom, c’était
encore une formation complètement différente. On avait joué à
Marblehead, dans le Massachusetts. Il y avait toujours Jimmy Greene.
On a fait quelques tournées et, six mois plus tard, Wayne Escoffery
(Jazz Hot n°619) a rejoint le groupe. Ugonna n’a pas
bougé. Xavier Davis est parti et il a été remplacé par Danny
Grissett.
Tom Harrell organise-t-il des
répétitions ?
Parfois on se réunit et on fait une
répétition une semaine avant un engagement comme au Village
Vanguard.
A quelle fréquence jouez-vous des
compositions nouvelles de Tom Harrell ?
Tom écrit toujours de la musique, dans
l’avion, à l’aéroport, partout. C’est difficile (rires).
Parfois, on s’attache à certains morceaux et au concert suivant la
musique est complètement différente ! Mais j’adore ça !
J’ai tant de respect pour lui en tant que compositeur et en tant
que musicien. J’ai tant appris à ses côtés.
Est-il difficile de jouer sa
musique ?
Certaines compositions sont très
difficiles. Parfois, il faut un peu de temps avant que ça ne rentre.
Mais après, on comprend comment il écrit, et cela vous aide à
entrer dedans plus facilement. Mais ça reste un défi !
Certains morceaux sont plus difficiles que d’autres. Il écrit pour
les membres de son groupe. Il en est au point où il ne peut entendre
personne d’autre jouer sa musique à part les membres de son
groupe, comme Duke Ellington et Billy Strayhorn écrivaient pour
Johnny Hodges et les autres musiciens qu’ils connaissaient si bien.
Tom nous fait confiance et sait ce dont nous sommes capables comme
musiciens.
Donne-t-il beaucoup d’indications
?
Ses partitions sont très claires. Tout
est là. Il écrit des partitions parfaites (rires) ! Il
devrait avoir son propre système de notation.
Préparez-vous vos solos
différemment quand vous jouez avec lui ?
J’essaie d’avoir une idée
mélodique, mais je n’aime pas jouer la même chose tous les soirs.
Tom est très stimulant. Il est très exigeant avec lui-même. Il
peut jouer le même morceau tous les soirs mais ça sonnera
différent.
Quand avez-vous commencé à
composer ?
Lovett Hines4
nous encourageait à écrire. Ma première composition doit remonter
au collège. Lovett m’a appris à formuler les accords et les
mélodies. Puis, ça a pris plus d’ampleur au fil des années.
J’aime vraiment composer.
Quelle est votre approche de la
composition en tant que batteur ?
J’écris au piano. Je commence
d’habitude avec une idée mélodique ou un de mes grooves.
Avez-vous des discussions plus
techniques avec votre père autour de ce processus créatif ?
Absolument ! J’ai tellement de
chance de l’avoir, et il a été exposé très jeune à beaucoup de
choses lui aussi. Il m’a transmis son savoir. Mon père est un
homme qui a été bien éduqué et qui a toujours mis l’accent sur
l’éducation. Il m’a toujours poussé à étudier.
En 2005, vous avez étudié à
Rutgers University. Pourquoi avoir repris les études ?
Rutgers a cet excellent programme qui
vous fournit une aide financière. C’est une façon de vous garder
à disposition parce que vous devez refuser des engagements. Et puis,
je voyageais tellement, j’avais besoin de prendre un temps d’arrêt.
Ma femme était enceinte de notre premier enfant, et je voulais être
présent. Et je voulais m’impliquer davantage dans la composition.
A un moment, je sentais que je ne produisais pas la musique que je
voulais faire. J’ai pu étudier avec Stanley Cowell et Conrad
Herwig.
Quelle était la méthode de Stanley
Cowell (Jazz Hot n°586) ?
J’ai pris un cours privé de
composition avec Stanley. Chaque semaine, il me donnait des procédés
de compositions à utiliser. Et chaque semaine, je revenais avec des
morceaux. C’était difficile de revenir à l’école six ans après
avoir terminé mes études. J’ai aussi étudié avec Victor Lewis
(Jazz Hot n° 584), Ralph Bowen et Conrad Herwig. Ces études
m’ont été très précieuses, j’ai beaucoup appris. Après, je
comprenais mieux comment il fallait construire les morceaux. Et c’est
à peu près à ce moment-là que j’ai commencé à travailler avec
Tom Harrell.
Enseignez-vous ?
Je donne des cours privés. J’ai
quelques élèves mais j’ai un emploi du temps très chargé.
Enseigner m’aide à me concentrer. Parfois, quand vous jouez
beaucoup, vous n’avez pas le temps de penser à ce que vous faites.
Ça ne me dérangerait pas d’enseigner de façon plus régulière
mais j’aime beaucoup voyager aussi.
Comment avez-vous rejoint le groupe
de Kenny Barron (Jazz Hot n°575) ?
Il jouait avec Ben Riley puis il a eu
besoin d’arrêter un moment. La femme de Kenny a suggéré que je
travaille avec lui. J’ai travaillé la première fois avec lui pour
une tournée en Europe avec Ray Drummond. C’était incroyable.
Après, il m’appelait plus régulièrement. Vers 2007, 2008, je
suis devenu le batteur de son trio, puis de son quintet.
Quel est son style ?
Je l’adore ! Parfois, le trio
fera plus de standards. Avec Kiyoshi Kitagawa (Jazz Hot n°638), on le pousse toujours à jouer plus de ses compositions parce
qu’il a écrit de très beaux morceaux. Parfois, il gardera ses
compositions pour son quartet ou son quintet. J’adore sa façon de
diriger un groupe. Il est très ouvert. Il a une bonne raison de vous
appeler. Il attend de vous que vous sachiez jouer. Si vous ne savez
pas jouer, il ne fera pas appel à vous. Il vous laisse à votre
propre jugement sur ce qui va bien sonner sur scène. C’est un
leader très ouvert. Il ne vous dicte pas ce qu’il faut faire. Il
attend de vous que vous le sachiez.
Vous êtes-vous préparé avant de
rejoindre les groupes de Tom Harrell, Kenny Barron et Dr. Lonnie
Smith (Jazz Hot n°580) ?
J’essaie toujours de faire une sorte
de préparation. Je connaissais la musique de Kenny mais j’ai
étudié de plus près ses compositions. Pourquoi pensez-vous que Kenny
Barron ne joue pas davantage ses compositions ?
Je ne sais pas. Kenny est tellement
détendu. Il se sent peut-être plus à l’aise sur les
standards. Comme tous les artistes, parfois vous hésitez plus à
jouer vos propres compositions. Peut-être ces musiciens ont-ils le
sentiment qu’elles ne sont pas à la hauteur de leurs attentes,
quelles qu’elles soient. Les musiciens sont tellement exposés au
public. Une fois, avec Kiyoshi, on essayait de le convaincre de jouer
ses compositions. Alors, pour le premier set, on a joué que des
standards et, pour le second, que ses compositions. C’était
incroyable !
Quelle liberté vous donne-t-il ?
Il pose la musique devant vous et vous
laisse créer. Pour nous, musiciens improvisateurs, créer sur place,
c’est notre métier. Voici ce en quoi Kenny croit : « Vous
faites ce que vous voulez avec ça mais il faut que ça sonne bien. »
Je pourrais compter le nombre de répétitions que nous avons faites
depuis que je suis dans le groupe. Il y en a eu deux. Il aura
peut-être des compositions nouvelles ou nous demandera d’apporter
des morceaux. Et même là, il ne nous dit pas comment jouer. Vous
verrez bien ce que vous trouverez. S’il ne sent vraiment pas ce
vous faites, il vous demandera d’essayer quelque chose d’autre.
C’est très ouvert. J’ai été dans des situations dans
lesquelles le leader donne beaucoup d’indications. Mais bon, c’est
comme ça qu’ils veulent que leur musique sonne. Je n’aime pas
vraiment jouer comme ça…
Quelle a été l’expérience la
plus difficile en tant que sideman ?
Musicalement ? Récemment, j’ai
joué avec Clarence Penn (Jazz
Hot n°527) et Maria Schneider
(Jazz Hot n°597) pour deux soirs au Allen Room. C’était
difficile. J’ai dû apprendre toute cette musique et la jouer comme
si je faisais partie du groupe depuis longtemps. Du moins, c’est
mon approche. C’était difficile mais c’était très
enrichissant. Dans un autre genre, j’ai joué avec Russell Malone
(Jazz Hot n°629) pendant cinq ans. Parfois, il me donnait
plus de limites. Mais c’est comme ça qu’il a choisi de mener son
groupe et c’est ce qu’il voulait. Ça me va. Quand on est un
sideman, on est à la merci du leader. C’est à vous de le mettre
à l’aise. Jouer avec le Mingus Big Band aussi était difficile. On
essayait de jouer la musique d’un homme qui est mort. Et c’est un
big band. Quatorze personnes qui n’ont pas les mêmes idées sur
cette musique et qui n’ont pas peur de dire ce qu’ils pensent.
Après avoir joué dans des big
bands et dans différentes formations au fil des années, quelle est
votre approche du rythme aujourd’hui ?
Les rythmes africains et brésiliens
m’inspirent, et j’essaie d’intégrer tous ces styles au jazz. Je
suis attentif à ce tout ce qui m’entoure.
2. Le contrebassiste Dwayne Burno est
décédé le 28 décembre 2013 à l'âge de 43 ans de complications
liées à une malade rénale (Jazz Hot n°666). 3. Jazz Opportunity for Youth à
Montclair State College, dans le New Jersey. 4. Le saxophoniste Lovett Hines (Jazz Hot
n°658) a créé le Lovett Hines Youth Ensemble à Philadelphie.
Contact www.johnathanblake.com
Sélection discographique
Leader CD 2012. The
Eleventh Hour, Sunnyside Communications 1304 CD 2014. Gone, but not Forgotten, Criss
Cross Jazz 1368
Sideman CD 1996. Norman Simmons, The Heat And The Sweet, Milljac 5637686635 CD 1999. Mingus Big Band, Blues & Politics, Dreyfus 36603 2 CD 2001. Mingus Big Band, Tonight at Noon… Three of Four Shades of
Love, Dreyfus 36633 2 CD 2001. Monday Michiru, Episodes In Color, Sony Music Associated
Records 1388 CD 2002. Q-Tip, Kamaal The Abstract, Jive 88697-55519-1, Battery
Records 88697-55519-1 CD 2002. Alex Sipiagin, Mirrors, Criss Cross Jazz 1236
CD 2003. Mingus Big Band, The Essential Mingus Big Band, Dreyfus 36628 2 CD 2003. Jordan Hall, Something Different, Artist One-Stop 54422 CD 2004. Mingus Big Band, I Am Thee, Sunnyside 3029 CD 2004. Jaleel Shaw, Perspective, Fresh Sound 222 CD 2004. Rob Schneiderman, Back In Town, Reservoir 178 CD 2004. John Blake, The Traveller, autoproduit CD 2005. Monday Michiru, Routes, Geneon 1048 CD 2006. Mingus Big Band, Live in Tokyo at the Blue Note, Sue Mingus
Music 3042 CD 2006. George Colligan, Blood Pressure, Ultimatum 619922 CD 2006. Russell Malone, Live at Jazz Standard (Volume One), Max Jazz
602 CD 2007. Russell Malone, Live At Jazz Standard (Volume Two), Max Jazz
604 CD 2007. Omer Avital, Arrival, Fresh Sound World Jazz 035 CD 2007. Tom Harrell, Light On, HighNote 7171
CD 2008. Jaleel Shaw, Optimism, Changu Records 43987 CD 2008. Wayne Escoffery & Veneration, Hopes & Dreams, Savant
Records 2090 CD 2008. Paul Olenick, Contact, Fresh Sound New Talent 315
CD 2008. Jack Walrath, Ballroom, Steeplechase 120341 CD 2008. Donny McCaslin, Recommended Tools, Greenleaf Music
8698001008 CD 2008. Hans Glawischnig, Panorama, Sunnyside 1179 CD 2008. Oliver Lake Organ Trio, Makin' It, Passin' Thru Records
41225
CD 2008. Joe Locke, Force of Four, Origin Records 82511 CD 2009. Ronnie Cuber, Ronnie, Steeplechase 31680 CD 2009. Tom Harrell, Prana Dance, HighNote 7192 CD 2009. Alex Sipiagin, Mirages, Criss Cross Jazz 1311 CD 2010. Tom Harrell, Roman Nights, HighNote 7207 CD 2010. Michael Janisch, Purpose Built, Whirlwind Recordings 4613 CD 2010. Oliver Lake Organ Quartet, Plan, Passin' Thru Records 41226 CD 2011. Tom Harrell, The Time of the Sun, HighNote 757222 CD 2011. Benjamin Koppel, Brooklyn Jazz Session, Cowbell Music 61 CD 2012. Ronnie Cuber, Boplicity, Steeplechase 31734 CD 2012. Tom Harrell, Number Five, HighNote 7236 CD 2012. Marianne Solivan, Prisoner of Love, Hipnotic Records
5637921808 CD 2013. Tom Harrell, Colors of a Dream, HighNote 7254
Vidéos Kenny Barron,
« Calypso », Live à Jazz'inIt, Vignola (Italie, 2010) Kenny Barron
(p), Johnathan Blake (dm)
Ravi Coltrane
Quartet, « Coincide », Live à Jazzdor Festival,
Offenburg (Allemagne, 2012) Ravi Coltrane
(ts), David Virelles (p), Dezron Douglas (b), Johnathan Blake (dm)
Dr. Lonnie Smith
Trio, « Beehive », « My Favourite Things »,
Live à Porgy & Bess, Vienne (Autriche, 2013) Dr. Lonnie Smith
(org), Jonathan Kreisberg (g), Johnathan Blake (dm)
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