Paddy Sherlock
Cool and In
En
septembre dernier, le tromboniste, guitariste, trompettiste et
chanteur irlandais Paddy Sherlock entamait sa 19e
saison au Coolin Irish Pub (voir notre compte rendu dans Jazz
Hot n°669). Durant
près de vingt ans, il y a fait swinguer les dimanches soirs (les
« Coolin Live Nights »), en a fait un lieu de fête, bon
enfant, où se retrouvait un public de tous âges, des danseurs comme
des buveurs de bière.
Beaucoup
de jeunes musiciens y ont trouvé leur première scène, et plus
encore y ont accompagné Paddy : Siegfried Mandacé (g), Brisa
Roché (voc), Aurore Voilqué (vln, voc), Michael O'Dougherty
(ts), Philippe Radin (dm), Sébastien Girardot (b), Thomas Ohresser
(g), Julie Saury (dm), Malo Mazurié (tp), Guillaume Nouaux (dm),
Adélaïde Songeons (tb), Chris Cody (p), Austin O’Brien (voc),
Jérôme Etcheberry (tp), Brahim Haiouani (b), Drew Davis (ts),
Julien Bruneteaud (g !), Nicolle Rochelle (voc), l’indispensable
complice Jean-Philippe Naeder (perc) et bien d’autres.
Un
endroit finalement rare, sorte de cousin irlandais du Caveau de la
Huchette. Mais cet îlot de convivialité, cultivant ses airs
rustiques bien éloignés des accents bling-bling du Marché
Saint-Germain où il est installé, va bientôt laisser place à une
boutique high-tech à la mode. Issue tristement logique. On a
pourtant deux motifs de se réjouir : primo, le 21 mars, de 14h
à 4h du matin, se tiendra une « Coolin Giant Farewell
Party », qui mettra fin (en beauté) à l’histoire du pub
parisien ; secundo, dès le 29 mars, Paddy investira un nouveau
pub, O’Sullivans (63, av. F. Roosevelt, Paris 8e)
un dimanche soir sur deux, toujours en alternance avec la jeune et
talentueuse Ellen Birath (voc) qui tient l’affiche avec lui depuis
trois ans.
C’était
donc l’occasion d’évoquer avec cet infatigable showman quelques
souvenirs, plus de dix ans après notre dernière rencontre (dans
Jazz Hot
n°614).
Jazz Hot : Tu
animais déjà les dimanches soirs parisiens avant de jouer au
Coolin…
Paddy
Sherlock : Je suis
arrivé en France en septembre 1986. J’ai d’abord passé trois
mois à Lyon, puis je suis venu à Paris. J’ai commencé à y jouer
le dimanche soir (ce que je faisais depuis l’âge de 17 ans en
Irlande) en 1987 au Kitty
O’Sheas avec Tina Provenzano, une chanteuse de Chicago. Quant au
Coolin, il a ouvert le 8 mars 1996 et j’ai commencé à y jouer en
septembre.
Quel
bilan tires-tu de ces deux décennies au Coolin ?
Quand on a
commencé, on ne savait même pas si ça allait durer trois mois.
Dans le groupe, il y avait Siegfried Mandacé, Marten Ingle (b) et
Jean-François Cournet (cl). Au début, on jouait le jeudi, car le
dimanche on était déjà au Dicey Riley, rue Montorgueil (un lieu
qui n’existe plus). La première année a marché, puis la
deuxième, etc. Avec vingt ans de recul, je me rends compte que
c’était un extraordinaire bouillon de culture ! J’ai changé
de style de musique, puis je suis revenu à d’anciens styles :
ça m’a permis de développer ma musique, du new orleans au rock,
mes chansons, mon son, tout en m’entourant de formidables
musiciens, qui sont régulièrement cités dans Jazz
Hot, d’ailleurs. Tout a
été spontané.
Tu as
la particularité d’avoir fait émerger plusieurs talents féminins
(il rit).
Je pense en particulier à Aurore Voilqué, Brisa Roché et plus
récemment Ellen Birath…
Ce sont
mes trois préférées… Aurore était amie avec la jeune fille au
pair, Mindy, qui gardait mes enfants et qui était également
violoniste. Elle m’a parlé d’Aurore, qui avait 17 ans, et je lui
ai dit de venir au Coolin. Pour moi, la transmission c’est très
important. Quand j’avais 17 ans, il y a des mecs qui m’ont fait
jouer dans leur groupe, même si je ne jouais pas bien. C’est un
cadeau que tu offres aux jeunes, mais ils te donnent en retour :
ça apporte de la vie à ton concert. Quand Aurore est venue on ne
pouvait pas savoir qu’elle deviendrait « Aurore Voilqué ».
Mais, dès le début, elle était géniale. Ce que j’ai fait, c’est
juste de lui donner confiance1.
Brisa,
c’est une autre histoire. Elle avait plus de maîtrise. Elle venait
d’arriver à Paris, et n’avait pas de boulot. C’est Danny
Montgomery, un batteur américain, qui me l’a présentée. J’ai
été époustouflé par sa façon de chanter. C’est moi qui lui ai
donné son premier cachet, alors qu’elle était prête à
abandonner, à rentrer en Californie. C’était une soirée privée
à l’hôtel Le Méridien. Puis, j’ai convaincu le Coolin de
l’embaucher pour les jeudis soir. Et deux ans après, elle avait
plus de succès que moi2 !
Et ma
petite Ellen… Sa sœur travaillait au bar du Coolin et m’a dit
qu’elle chantait. Mais je ne peux toujours dire oui, alors j’ai
esquivé pendant plusieurs semaines. Et puis un jour, Ellen est venue
aussi travailler au Coolin, alors il fallait que je la laisse monter
sur scène. Le son de sa voix m’a totalement emballé, comme Brisa.
Et puis j’ai eu l’idée de la faire alterner avec moi le dimanche
soir. Je pensais à ça depuis un long moment, mais je n’avais pas
trouvé le bon artiste. N’importe qui ne peut pas jouer le dimanche
soir au Coolin ! Aurore,
Brisa et Ellen sont trois personnalités qui ont enrichi ma vie et la
scène jazz parisienne.
Une
des caractéristiques de ta musique, c’est le mariage (réussi)
entre le swing, le new orleans… et le folk irlandais. On l’a
d’ailleurs entendu quand tu as joué pour l’enterrement de Charb…
Patrick
Pelloux m’a appelé la veille, en larmes. Il m’a dit : « J’ai
besoin de toi. » J’avais vingt-quatre heures pour monter
l’orchestre. J’ai eu seize musiciens, mais si j’avais eu plus
de temps j’aurais pu en avoir cent ! Tous les gens disponibles
ont dit oui. Des jeunes aussi, comme Adélaïde Songeons (tb) qui
joue avec moi dans le groupe FFF et que j’ai aussi rencontrée
encore étudiante. La demande, c’était de venir avec une fanfare
et de jouer « Dirty Old Town » car
c’était la chanson préférée de Charb. Quand il venait au
Coolin, Pelloux me faisait : « Il y a Charb, il faut
que tu joues "Dirty Old Town" ! » C’est une
chanson sur quatre accords, les mêmes que le blues. Pour moi le jazz
est une musique du monde, une musique folk. Je ne parle pas du jazz
intellectuel, je parle de celui qui te prend au ventre et te donne
envie de danser, de rire ou de pleurer. Et d’ailleurs qu’est-ce
qu’on a pleuré ce jour-là ! Plein de gens en larmes sont
venus me voir en me disant que la musique les avait aidés à
supporter le chagrin. Je suis fier de l’avoir fait, même si
c’était dur.
J’ai
connu Patrick Pelloux il y a plus de vingt-cinq ans, par des amis
musiciens ; il était encore étudiant à l’époque. On
faisait la fête ensemble, on jouait aussi parfois car il est
musicien, joueur de clavier et chanteur. C’est un médecin qui
comprend très bien les musiciens (rires).
Après avoir rencontré toute l’équipe de Charlie Hebdo3,
je suis devenu aussi ami avec Charb. A
real gentleman… Sa
disparition laisse un trou horrible.
Le 21
mars, ce sera donc la grande fête de fermeture du Coolin…
Toutes
les musiques jouées au Coolin seront représentées. Ça va
commencer dès l’après-midi, avec de jeunes musiciens, et la
soirée se poursuivra avec le groupe d’Ellen Birath puis le mien.
Et la
bonne nouvelle, c’est que l’esprit du Coolin va se transposer
ailleurs…
Le
Coolin s’arrête, mais ça fait trente ans que je fais les
dimanches soirs. J’ai donc constitué une liste des bars où je
pouvais aller. Et j’ai fait affaire avec celui qui était en haut
de la liste ! On démarre le 29 mars, au O’Sullivans, avec le
même principe. Cette année, j’ai fait beaucoup d’expérimentation
en changeant souvent de musiciens. J’ai essayé de faire revenir
pratiquement tous ceux qui avaient fait partie de mon orchestre, sur
les vingt ans. Je suis notamment très heureux du concert avec
Guillaume Nouaux et Malo Mazurié, qui est une véritable révélation,
et de celui avec Aurore4.
Je vais continuer comme ça, car la dynamique fonctionne bien. J’ai
quelques nouvelles chansons, même si j’écris moins qu’avant.
C’est le plus important : les standards servent à mettre un
cadre pour mes propres chansons. Bien sûr, j’adore ces standards,
en particulier les morceaux des comédies musicales américaines et
le vrai new orleans, le style stip-it. Mes chansons sont des mélanges
de tout cela. J’ai écrit « Swing Your Blues Away » il
y a dix ans et ça fonctionne toujours. Et quelques-unes de mes
chansons ont été reprises par d’autres, ce qui est le plus beau
compliment.
3. Paddy
Sherlock a participé à l’enregistrement du disque Charlie
Hebdo saute sur Noël et bouffe le nouvel an
en 2008. 4. Voir
nos compte rendus dans Jazz
Hot n°670 et n°671.
Contact www.paddysherlock.com
Sélection
discographique
Leader/coleader CD.
1999. Paddy Sherlock and the Jump Jive Five, The Louis Jordan Show, Autoproduit CD.
2003. Paddy Sherlock / The Swingin’ Lovers, Autoproduit CD.
2004. An Eclectic Affair, Autoproduit CD.
2011. Eclectic Chop Shop, Autoproduit CD.
2014. Swing Your Blues Away, A Tout de Suite Production
Vidéos Paddy Sherlock & The Swingin' Lovers, « Swing Your Blues Away », O'Sulivan's, Paris (2006) Paddy Sherlock (tb, voc), Jérôme Etcheberry (tp), Philippe Dorneau (ts), Billy Colins (g), Sébastien Girardot (b), Guillaume Nouaux (dm)
Ellen Birath (première apparition sur scène) avec Paddy Sherlock, Coolin Irish Pub, Paris (13 décembre 2009) Ellen Birath (voc), Paddy Sherlock (tb, voc), Michael O'Dougherty (ts), Billy Colins (g), Marten Ingle (b), Philippe Radin (dm)
Paddy Sherlock & The Swingin' Lovers, Coolin Irish Pub, Paris (2010) Paddy Sherlock (tp, tb, voc), Jeff Hoffman (g), Marten Ingle (b), Philippe Radin (dm), Jean-Philippe Naeder (perc)
Ellen Birath Band avac Paddy Sherlock, Coolin Irish Pub, Paris (2013) Ellen
Birath (voc), Paddy Sherlock (tb, voc), Matthieu Bost (as, cl), Thomas Ohresser
(g), Marten Ingle (b), Danny Montgomery (dm)
Ellen Birath Band avec Paddy Sherlock, Coolin Irish Pub, Paris (2013) Ellen
Birath (voc), Paddy Sherlock (tb, voc), Matthieu Bost (as, cl), Thomas Ohresser
(g), Marten Ingle (b), Thomas Join Lambert (dm)
Paddy Sherlock et Brisa Roché « Ooh la la Paddy ! »
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