Dezron DOUGLAS
Time Is Everything
En 1959, Jackie
McLean enregistrait Swing Swang Swingin', chez Blue Note.
Voilà un état d'esprit qui caractérise bien Dezron Douglas, qui
décline le swing sous toutes ses formes. D'ailleurs, McLean et
Douglas ont plus d'un point commun. Tous les deux ont grandi à
l'église et y ont découvert la musique, l'un à l'Église baptiste
abyssinienne sur la 138e Rue à Harlem, l'autre à Hartford, dans le
Connecticut. L'un a appris de ses aînés Charlie Parker, Bud Powell,
Lester Young, Thelonious Monk, l'autre de Jackie McLean, Nat Reeves,
Steve Davis et de son oncle Walter Bolden. Tous les deux se sont
nourris du jeu des grands saxophonistes, Lester Young, Ben Webster,
Dexter Gordon pour l'un, Jackie McLean, Dexter Gordon, Joe Henderson
pour l'autre. Le son de Dezron Douglas, son expressivité, son
intensité, sa virtuosité puisent sa puissance et sa profondeur dans
une approche personnelle de l’histoire et dans sa passion pour les
grands bassistes, surtout Sam Jones et Ray Brown, et les grands
saxophonistes du jazz.
Né le 19
février 1981, Dezron Douglas a étudié la basse au Hartt School
of Music – rebaptisé Jackie McLean Institute of Jazz en 2000 – à
l'Université de Hartford (harttweb.hartford.edu). Cette ville, d'où son oncle Walter Bolden
était originaire, offrait dans les années 1950 une scène dynamique
au jazz. Jackie McLean et sa femme Dollie s’y sont installés à la
fin des années 1960 et y ont fondé The Artists Collective – un centre
d'art implanté alors dans le quartier le plus pauvre de Hartford –
en 1970 dans la continuité de l'Association for the Advancement of
Creative Musicians (AACM), fondée à Chicago en 1965, ou encore du
Collective Black Artists (CBA). L’influence du professeur McLean
est toujours visible. Rene McLean, Michael Carvin, Abraham Burton,
les Harper Brothers, Nat Reeves, Jimmy Greene, Eric McPherson, etc.,
comptent parmi ses anciens élèves.
Professionnel à
19 ans, Dezron Douglas multiplie les collaborations. Citons Pharoah
Sanders, George Cables, Al Foster, Billy Drummond, Victor Lewis,
Winard Harper, Mulgrew Miller, Lewis Nash, Kenny Garrett, Steve
Coleman, Willie Jones III, Duane Eubanks, Eric Reed, Vincent
Herring, parmi tant d'autres. Il fait partie des groupes de Cyrus
Chestnut (depuis 2005), Papo Vazquez (depuis 2011), Ravi Coltrane
(depuis 2012). Ces derniers temps, on l'entend aussi avec Louis
Hayes. En leader et coleader, Douglas cofonde en 2000 le New Jazz
Workshop of Hartford avec David Bryant, Curtis Torian, Curtis
Beck, Josh Evans et Lummie Spann, joue avec Abraham Burton et Eric
McPherson au sein du groupe Future, joue aujourd'hui avec le Black Lion
Quartet, avec David Bryant, Lummie Spann et Kush Abadey.
Comme Rodney
Green, Johnathan Blake, Neal Smith ou encore Lummie Spann, Dezron
Douglas défend un jazz de culture, qui redéploie ses racines,
soucieux de son histoire, de la préserver et de la transmettre tout
en se forgeant une personnalité résolument contemporaine. Ce
musicien étincelant est aujourd'hui indispensable.
Propos recueillis par Mathieu Perez Photos Umberto Germinale, José M. Horna, Jos Knaepen
© Jazz Hot n°672, été 2015
Jazz Hot: La basse est-elle votre premier
instrument?
Dezron Douglas: J’ai commencé à jouer de la basse à
l’église, à Hartford. Mon père est un musicien de gospel; il
chante et joue de la guitare. Il faisait partie des Faith Harmonizers
qui avaient beaucoup de succès sur la Côte Est à la fin des années
1970 et dans les années 1980. A cette époque, ce quartet de gospel
était très populaire. Je me souviens être allé les voir en concert
très jeune. Je voyais à quel point mon père était attentif à ce
que faisait son bassiste, et je sentais ce sentiment de camaraderie
très fort entre eux. La vibration de la basse m’a frappé, et j’ai
commencé à tourner autour de ce bassiste. Quand j’avais 6, 7 ans,
mon père m’a offert pour mon anniversaire un synthétiseur guitare
Casio. Un vrai instrument coûtait trop cher et, à l’époque, on
pouvait trouver un super clavier bon marché. Après quelques mois,
j’ai fait sauter toutes les cordes, parce que j’y jouais tous les
jours. Mon père s’est dit que je pouvais être bassiste, et il
m’a acheté une basse. J’avais 9 ans. Peu après, j’ai vu le
film Pierre et le Loup. J’adorais le son du basson, mais je
ne savais comment ça s’appelait. Donc à l’école quand on m’a
demandé de quel instrument je voulais jouer, j’ai dit du tuba. Un
jour, ma mère a enregistré un épisode de Sesame Street
dans lequel James Taylor et Howard Johnson faisaient un duo. Ce que
jouait Howard était jazzy et avait du swing. J’ai revu cette
séquence inlassablement. Ça m’a donné envie de jouer du tuba.
J’ai étudié cet instrument pendant dix ans, jusqu’à la fin du
lycée. Et je jouais de la basse électrique en parallèle.
Quand vous êtes-vous intéressé au
jazz?
J’avais entendu du jazz dans mon
enfance à Hartford. Il y avait des concerts gratuits le lundi soir à
Bushnell Park, les « Monday Night Jazz Series ». Ma mère
m’y emmenait. J’ai vu John Hicks, Jackie McLean, Sonny Rollins,
Donald Byrd, Harold Mabern, etc. On a commencé à me parler de mon
oncle seulement quand je me suis mis à la basse, à 9 ans. A cette
époque, j’adorais le gospel et le funk. Mon père me conseillait
d’écouter James Jamerson, Stanley Clarke, Neil Stubenhaus, etc.,
tous ces bassistes qui jouaient sur nos titres de RnB préférés.
J’avais 12, 13 ans. Mon oncle est le batteur Walter Bolden. Il m’a
donné deux CDs d’Art Taylor, Mr. A.T. et Wailin’ at the
Vanguard. Dans son dernier groupe, il y avait Abraham
Burton, Willie Williams, Jacky Terrasson et Tyler Mitchell. J’ai
vu que, sur ces albums, mon oncle avait écrit la moitié des titres.
Ça m’a rendu curieux. Je n’écoutais que ça. A partir de là,
j’ai voulu tout savoir de mon oncle. Entre 14 et 18 ans, j’ai
appris tout ce que je pouvais sur lui. Il me racontait des histoires
sur Paul Chambers, Sam Jones, etc. Il était content que je sois
passé à la contrebasse. En faisant mes recherches, j’ai appris
qu’il avait démarré avec Horace Silver, et que c’était lui qui
avait convaincu Horace de s’installer à Hartford. Dans les années
1950, Hartford était une ville très dynamique pour le jazz.
Quand avez-vous commencé à étudier
la basse avec Dave Santoro?
Quand j’avais 14 ans, j’étudiais
le tuba et la basse au conservatoire de Hartford. J’ai vu Dave
Santoro jouer en duo avec Jerry Bergonzi. Dave a joué «Song
For My Father» d’Horace Silver et immédiatement j’ai voulu
ce type de basse. J’ai étudié avec Dave pendant quatre ans.
Qu’avez-vous appris de la musique
en grandissant à l’église?
Si ce n’était pas pour la musique
gospel et pour avoir grandi dans cette atmosphère, dans ce côté
spirituel de la musique, je n’aurais jamais pu acquérir et
entretenir mon beat, mon feeling pour la musique et une oreille.
C’est là que j’ai appris à harmoniser, accompagner et jouer de
la dissonance aussi. Parfois quand vous êtes dans le bon état
d’esprit, l’harmonie peut ne pas être juste mais parce que
l’esprit est là, on peut faire surgir différentes humeurs. J’ai
appris le rôle du bassiste à l’église. Le rôle du bassiste est
très important, comme dans toutes les musiques.
Le jazz est-il une musique
spirituelle, comparé au gospel?
Il y a un moment dans n’importe
quelle mélodie où il se passe quelque chose et où personne ne sait
quoi faire. J’aime jouer les yeux fermés parce que je deviens ma
basse, et je repose beaucoup sur le Créateur pour m’aider. Ce qu’on
fait en tant que musicien est magique. C’est mystérieux. C’est
ça la spiritualité. Toutes les notes ont déjà été jouées, il
n’y a rien de nouveau. Ce qui est neuf, c’est la connexion
spirituelle entre l’artiste, l’auditeur et l’instrument. Et ça
change tous les jours. On ne peut pas écrire sur ça ni l’apprendre
à l’école. Il faut le vivre. C’est comme ça que cette musique
a été créée dans les rues de Harlem. Les musiciens voulaient
s’exprimer différemment. Ils ne faisaient rien de nouveau. Ils
s’exprimaient simplement. Mon mentor, Jackie McLean, adorait Duke
Ellington. Son son vient de Prez, Dexter Gordon et Charlie Parker.
Bird était vraiment important pour lui. Jackie parlait de Duke,
Jimmie Lunceford, Count Basie, Don Redman, etc. Cette musique était
populaire à cette époque. Avant les stars instrumentales, les
orchestres étaient les stars. Si vous écoutez la musique de Duke,
on entend tout et tous les genres. Dans une chanson, il y a de
l’avant garde et du RnB. Il ne savait pas qu’il faisait ça. Il
créait simplement. Tout ça ne peut arriver que parce qu’il y a de
la magie. Personne d’autre que Dieu ne peut vous mettre une idée
dans la tête.
Pouvez-vous dire si un musicien a
grandi à l’église en l’écoutant jouer?
Cyrus Chestnut est le fils d’un
pasteur. Il jouait de l’orgue à l’église. Quand je l’ai
rencontré, l’affinité a été immédiate. On a joué ensemble avec
Carl Allen à Detroit au Musical Hall. C’était en 2005. Je
travaillais avec Carl à l’époque. A un moment, j’ai fait sauter
une corde. Ça m’arrivait tout le temps, donc je savais jouer avec
seulement deux cordes, s’il le fallait. Mais ce n’est pas normal.
C’est difficile de faire sauter une corde, très difficile, mais
c’est comme ça que j’ai appris ma technique et construit mon
son. Donc j’ai fait sauter une corde au milieu du deuxième
morceau, Cyrus a eu l’air ahuri et m’a regardé jouer jusqu’à
la fin du concert. Il n’avait jamais vu ça. Il trouvait ça
dingue. (Rires) Et il m’a proposé de rejoindre son groupe.
Nous sommes restés amis depuis. Je joue avec son trio, qui compte
Neal Smith; lui aussi a grandi à l’église. Tout ça relève de
l’intervention divine.
Est-ce que Cyrus vous a ouvert
davantage à la spiritualité du jazz?
Avant de travailler avec lui, j’avais
été formé par Abraham Burton et Eric McPherson. J’avais 18 ans
quand j’ai rencontré Abraham Burton. C’était un protégé de
Jackie McLean. C’est un des meilleurs saxophonistes alto que j’ai
entendus. Dans les années 2000, il s’est mis au ténor et ça n’a
pas plu à tout le monde. Donc avant Cyrus, j’avais ce son
new-yorkais. Ils ont grandi dans le Village. Le parrain d’Eric est
Richard Davis. Il traînait avec Elvin Jones et Freddie Waits. Donc
en bon élève de Jackie McLean, je faisais mes armes avec ces
deux-là. Et ils m’ont formé au point que je savais jouer in et
out. Avant Cyrus, je ne jouais rien de spirituel. On n’avait jamais
tapé dans cette fibre-là.
Qu’est-ce que Cyrus vous a
apporté?Travailler avec Cyrus m’a fait
revenir à mes racines et m’a appris à mieux utiliser mon oreille.
En ce sens que quoi qu’il arrive, il faut faire en sorte que ça
marche. Après, quand je suis revenu jouer avec Abraham et Eric dans
notre groupe, Future, nous pouvions emprunter tous les chemins
possibles. Nous étions disponibles à l’instant présent.
Votre oncle, Walter Bolden
(1925-2002), est une figure emblématique de Hartford.
A l’époque, personne à Hartford n’avait autant d’expérience dans le jazz
que mon oncle. Des musiciens ont déménagé à Hartford, mais Walter
Bolden y était né. C’est un des musiciens qui a joué au premier
Birdland. Il ramenait tous ses copains musiciens à la maison. Jackie
McLean et lui étaient très proches. Il a enseigné à The Artists
Collective dans les années 1970.
Comment s’est passée la rencontre
de votre oncle avec Stan Getz?
Les musiciens qui passaient à
Hartford, comme Coleman Hawkins ou Gene Ammons, jouaient avec le trio
Horace Silver, Joe Calloway et Walter Bolden. Un soir, dans les
années 1950, ils jouaient au club Sundown. Stan Getz était là. Il
les a tellement aimés qu’il a voulu enregistrer avec eux à New York. Ils ont enregistré
Stan Getz and the Roost Quartet. Horace et Walt sont
bien sûr restés à New York, rejoints quelques temps plus tard par
Joe.
Qu’avez-vous appris de votre
oncle?Il m’a donné envie de m’impliquer
dans toutes les facettes de la musique, parce qu’il était impliqué
dans toutes ses facettes. C’était non seulement un excellent
batteur mais un grand pianiste, éducateur, leader, compositeur et
une belle personne. A sa mort, il m’a laissé sa batterie, sa
musique, ses photos, sa collection de disques, etc.
Quelles sont vos compositions
préférées de Walter Bolden?
Il y en a tellement! J’adore
« Mr. A.T. » et « Bullet Train ».
Comment vous êtes-vous impliqué
dans The Artists Collective?
Un jour, Jackie McLean m’a appelé au
téléphone. Il disait que je devais être dans son cours. Le jour de
l’audition, pour entrer, il y a assisté. Il disait à quel point il
avait été proche de mon oncle. J’avais un travail de nuit, pour
payer mes études, et je suivais sa classe d’ensemble. Et dire que
je suivais sa classe et que je n’étais pas un élève du
Collective!
Vous n’avez jamais étudié au
Collective?
Non! Je suis allé au
conservatoire de Hartford pour étudier le tuba. Quand j’avais 15
ans, j’ai étudié la basse avec Dave Santoro. Mon père ne
s’intéressait pas au jazz, donc il ne savait rien du Collective.
Le jazz, c’était du côté de ma mère.
Quels étaient les liens entre le
Collective et le conservatoire?
Chaque été, le Collective organise un
grand festival de jazz, avec une programmation 100% jazz. Le samedi,
les élèves des orchestres jouaient. Le conservatoire et le
Collective étaient un peu en rivalité. Mon meilleur ami, Lummie
Spann, était un élève du Collective, comme les frères Curtis,
Zaccai et Damian. Je n’ai pas mis le pied au Collective avant
d’avoir 18 ans. Et deux ans plus tard, j’y enseignais la basse.
Combien de temps avez-vous passé
avec Jackie McLean?
J’étais l’élève de Jackie
pendant mes années d’université. Dès son coup de fil, je suis
devenu son disciple. Tout le temps que je pouvais passer avec lui, je
le faisais, que ce soit chez lui ou au Collective.
Quelle est la leçon la plus
précieuse qu’il vous a enseignée?
«Tout est une question de
temps» (Time is everything) il me répétait ça tout
le temps. Cette affirmation couvre beaucoup de choses. Qu’importe
quand les choses arrivent. Ce qui compte, c’est que lorsqu’elles
arrivent, il faut être prêt. Et c’est tout ce qui compte dans la
musique. Il n’y a pas de fausses notes, seulement de mauvaises
idées. Si vous êtes en phase avec un autre musicien, vous pouvez
tout faire.
Quel type de professeur était Jackie McLean?
Apprendre avec Jackie, c’était aller
directement à la source. Jackie a grandi à Harlem. Ses copains
étaient Art Taylor, Sonny Rollins et Thelonious Monk. La mère de
Bud Powell leur préparait à manger. Il pouvait dire: «Non!
Bird jouait comme ça. Je le sais, j’y étais. Et Bird m’a même
montré comment il faisait.» Jackie faisait la première de
Bird avec Miles. D’ailleurs, Bird a emprunté le saxophone de
Jackie deux fois et l’a mis en gage. C’était un junkie… Deux
semaines après, Jackie allait racheter son saxophone au Mont de
Piété. (Rires)
Quels sont vos albums préférés de
Jackie McLean?
J’en ai beaucoup. Mes deux préférés
sont The Source et The Meeting avec Dexter Gordon, sur
Steeplechase. Ces deux albums ont été mes Bibles pendant trois ans.
Je transcrivais les solos de Jackie, et je l’appelais après pour en
parler. Dexter était son musicien. Il parlait beaucoup de
Dexter. Le lien était si fort entre eux qu’il y a des moments dans
ces disques où on ne sait plus si c’est Jackie ou Dexter qui joue.
Quels bassistes tiennent une place
importante pour vous?
Jackie m’a fait découvrir Butch
Warren, Doug Watkins, Paul Chambers, Ray Brown, Sam Jones. Entre 2003
et 2006, j’étais à fond dans Ron Carter. A cette époque, j’ai
écouté Harlem Blues and Please Send Me Someone to Love
de Phineas Newborn, Jr., avec Ray Brown et Elvin Jones. Après ça,
j’ai cherché tous les albums avec Ray Brown. Je n’ai jamais
entendu quelqu’un jouer de la basse comme ça. C’est mon bassiste
de big band favori. On le reconnaît dans le big band de Dizzy alors
qu’il n’y avait pas de micro sur sa basse. Ce son! Je ne me
lasserai jamais de Ray Brown. Vers 2006, 2007, j’ai écouté Eastern
Rebellion, avec George Coleman, Cedar Walton, Sam Jones et Billy
Higgins et, à partir de là, je me suis mis en quête de retrouver tous
les disques avec Sam Jones. C’est mon bassiste préféré. J’ai
eu un coup de foudre pour tous les bassistes, Mingus, Leroy Vinegar,
Walter Booker, Milt Hinton, Charlie Haden, etc., mais Sam les
dépassait tous. Il a enregistré avec Miles et Cannonball. Somethin’
Else est un classique. Un jour, j’ai eu la chance de travailler
avec Cedar Walton. C’était pour un hommage à Clifford Jordan au
Dizzy’s. Cedar m'a dit que Sam était la star de son trio, pas
lui. Je n’arrivais pas à croire qu’il puisse me dire ça!
Sam a écrit tant de formidables morceaux! Des classiques!
Quand j’ai travaillé avec Ronnie Mathews et Louis Hayes, on a aussi
parlé de Sam.
Quelle est la place de Nat Reeves
dans votre parcours?
Nat a changé ma vie! Après
avoir étudié avec Dave Santoro, j’étais très porté sur la
théorie. Je n’étais pas vraiment capable de jouer un solo. Nat
m’a appris mon rôle comme bassiste. J’avais 19 ans quand je l’ai
rencontré. Ça restera à jamais mon professeur.
Qu’est-ce qui fait de lui un
professeur si spécial?
Il m’a appris que la basse, c’est
la vie. On ne peut pas juste être musicien de jazz. Il faut vivre
cette musique. C’est lui qui m’a aidé à forger mon son. Il n’a
jamais rien forcé. Il voulait que je créé mon son moi-même. Il me
disait qu’en passant un disque, je devais pouvoir reconnaître le
bassiste à la première note à partir de l’attaque, du son, du
feeling, etc. Il m’a fait comprendre l’importance du bassiste
dans un groupe et l’importance de vivre ce rôle tout le temps. Il
m’a fait arrêter mes transcriptions de solo de basse. Il m’a
demandé plutôt de transcrire le solo de Miles Davis dans «Bye
Bye Blackbird». Le solo est clairsemé. Pas besoin de jouer
beaucoup de notes, mais il faut jouer les bonnes. Puis j’ai
transcrit les solos de Dexter, Jackie, Joe Henderson aussi. J’adore
les saxophonistes. J’aime avoir le phrasé d’un saxophoniste
quand je joue. Nat m’a aussi montré comment interagir avec le
public, comment tenir un set ou encore apprendre rapidement un
morceau sur scène quand on ne le connaît pas, parce que le leader
veut le jouer. Les meilleures leçons pour moi sont de voir Nat jouer
en concert, avec George Coleman par exemple. George Coleman n’annonce
pas les titres aux musiciens. Il commence à jouer, et dans la clé
qu’il veut. Un soir, après un concert, Nat m’a dit qu’il ne
connaissait aucun des morceaux qu’il avait joués. C’était
incroyable! parce qu’on ne pouvait pas s’en rendre compte.
Ça, c’est du génie!
Comment s’est formé le New Jazz
Workshop of Hartford?
Jackie nous a conseillés de former ce
groupe. Quand on a fait l’album, on était ensemble depuis dix ans.
Après deux, trois ans, on nous demandait régulièrement
d’enregistrer. Mais on n’était pas prêts. On apprenait, on ne
voulait pas faire d’album. En 2010, on était prêts. David Bryant,
Curtis Torian, Curtis Beck, Josh Evans et Lummie Spann et moi avions
développé nos propres voix et elles étaient puissantes dans le
groupe. Au moment de l’ouragan Katrina, on a fait un gala de
bienfaisance avec les groupes de Wynton Marsalis et Steve Davis.
Jackie avait insisté pour que je joue devant le groupe, comme Mingus
faisait. C’est la première et la dernière fois que j’ai joué
comme ça. (Rires)
Quel était votre premier grand
engagement?
C’était au Lenox Lounge avec Steve
Davis. Je venais d’avoir 19 ans. J’ai travaillé avec Steve Davis
pendant mes années d’université. Steve est une rencontre
importante pour moi. Puis, j’ai fait ma première tournée à 20
ans. Ça durait huit semaines. C’était avec Johnnie Marshall et
son groupe de blues. Jackie n’était pas content, parce que j’avais
pris une année sabbatique. Cette année-là, j’ai fait deux
tournées. Mais tout est une question de temps. Jackie m’a dit que
je me ferai une vraie éducation sur le terrain et apprendre le blues
était essentiel. C’est la fondation de la musique.
Avec quel musicien avez-vous le lien
le plus fort… Cyrus Chestnut?
Ce n’était pas le cas au départ.
Nous venons de deux milieux différents. Cyrus a grandi à l’église.
Moi aussi, mais j’ai grandi dans la rue. J’ai appris la musique
dans la rue. Cyrus m’a beaucoup appris. J’ai voyagé dans le
monde entier avec lui.
Quand vous avez rejoint le groupe de
Papo Vazquez, étiez-vous familier avec le latin jazz?
Il y avait une grande communauté
sud-américaine à Hartford. J’avais une affinité particulière
pour la salsa. Comme je connaissais les frères Curtis, ils m’ont
fait découvrir Andy González. J’ai rencontré Papo vers 2011. Je
jouais dans le Bronx avec Zaccai Curtis et Papo assistait au concert.
Après ça, il m’a proposé de rejoindre son groupe.
Comment avez-vous rejoint le groupe
de Ravi Coltrane?
L’été 2012, Cyrus nous a virés,
Neal et moi, et, curieusement, au même moment, Ravi a viré son
groupe, E.J. Strickland, Luis Perdomo et Drew Gress. Ravi a commencé
à embaucher différents musiciens. Au départ, ça ne m’intéressait
pas vraiment de travailler avec lui. Je n’arrivais pas à m’identifier
à lui. Je précise que j’adorais quand il jouait avec Steve
Coleman. Un jour, Ravi m’a appelé et embauché pour quelques
dates. La première fois qu’e nous nous sommes vus sur scène, il m’a dit
que tout ce qu’il voulait de moi était que je lui donne tout ce
que j’ai. Il ne m’a jamais dit comment jouer ni quoi jouer. C’est
un excellent leader.
Leurs styles sont-ils très
différents?
Ils ne vivent que pour la musique.
Cyrus ressemble beaucoup à Erroll Garner. Tout le monde doit faire
ce qu’il fait. Si vous prenez une certaine voie, et que ça lui
plaît, il vous suivra. Ça m’allait parfaitement. J’adore mon
rôle de bassiste et de soutien du leader. Je regarde toujours le
tableau d’ensemble pour toujours faire que le groupe sonne le mieux
possible. Papo veut que vous jouiez la musique telle quelle, et que
vous vous abandonniez en même temps. Ce n’est pas lui qui compte,
c’est sa vision de la musique. Ravi est porté sur le sentiment.
S’il ne sent pas une mélodie, il ne la fera pas, aussi belle
soit-elle. C’est très spirituel avec Ravi.
Qui sont les musiciens les plus
créatifs avec qui vous avez joué?
Abraham Burton et Eric McPherson.
Musicalement, il se passe toujours quelque chose avec eux. Quand j’ai
commencé à jouer avec eux, la première chose qu’ils m’ont dite
est de jeter par la fenêtre tout ce que j’avais appris avec
Jackie.
Depuis quand composez-vous?
J’ai écrit ma première composition
quand mon chien est mort. Ça s’appelait « Chillin’ with
Mr. Black ». J’étais au collège. Je n’ai jamais arrêté
depuis. J’ai commencé à écrire à la basse. Aujourd’hui,
j’écris au piano. Mais la composition « Vagabond Ron »,
que j’ai enregistrée dans Return of the Jazz, le nouvel
album de Louis Hayes, je l’ai d’abord écrite à la basse.
Quels musiciens vous inspirent en
matière de composition?
Wayne Shorter, Steve Davis, Jackie
McLean. Ce sont mes premières grandes influences. Aujourd’hui, je
m’intéresse plus aux compositions de Cedar Walton. Pour une
raison que j’ignore, je ne pense pas que Coltrane essayait de
composer. Je pense qu’il jouait et que les mélodies sortaient.
Aujourd’hui, j’aimerais être dans cet état-là, mais je n’y
suis pas encore.
Quelle est votre approche en
leader?
Je veux que tout le monde se sente
bien. Pour mon album Live at Smalls, j’ai appelé les
musiciens auxquels je pensais sur le moment.
Quelle combinaison préférez-vous?
J’aime beaucoup le quintet et le
septet. J’aime les souffleurs. J’adore aussi le quartet. J’ai
un groupe qui s’appelle Black Lion Quartet, avec David Bryant,
Lummie Spann et Chris Beck. J’ai travaillé avec tous les
saxophonistes alto de New York et, pour moi, Lummie est le meilleur.
Je ne dis pas ça parce qu’on est amis. C’est le dernier élève
de Jackie McLean. On pense pareil. Si j’écris quelque chose, il le
jouera comme je l’ai entendu.
Comment la scène new-yorkaise se
porte-t-elle?
Ces quinze dernières années, il y a
eu une renaissance du jazz en Europe, et il y a un style de jazz
européen. Quand vous écoutez les albums des musiciens américains
expatriés en Europe, comme Don Byas ou Dexter Gordon, ça swingue
dur. Mais ce nouveau style européen s’est infiltré ici, parce
qu’on le pousse de partout. Personne ne veut plus vraiment swinguer
ici. Les Européens respectent le jazz, bien plus que les Américains.
Ici, le jazz n’est pas un art respecté. Des musiciens américains
pensent qu’il faut jouer ce nouveau style pour être accepté. Ce
sont des labels comme ECM qui poussent ce son. A une époque, Art
Taylor et Tommy Flanagan étaient chez ECM et ça swinguait. Le tableau
est différent aujourd’hui. Certains musiciens américains
composent dans ce nouveau style parce qu’ils pensent que c’est ce
qui se passe. Ici, il faut faire autre chose que du jazz et l’appeler
jazz pour être accepté. A cela s’ajoute la disparition des labels
et le problème de la technologie. Ne rien sortir en digital, comme
font les Japonais, et aller à des concerts, ça force à soutenir la
musique. Mais il y a une scène souterraine. La musique ne mourra
jamais.
Contact
http://dezrondouglas.com
Discographie par Guy Reynard
Leader CD 2012. Live at Smalls, Smallslive 0028
Sideman CD 2005. Michael Carvin, Marsalis Music Honors Series : Michael Carvin, Universal 805273 CD 2006. Steve Davis, Outlook, Posi-Tone Records 8041 CD 2006-08. Jackie Ryan, Doozy, Open Art Records 7262 CD 2007. Eric McPherson, Continuum, Smalls Records 0033 CD 2007. Cyrus Chestnut, Cyrus Plays Elvis, Koch 4238 CD 2007. Lummie Spann, Live & Direct, NJW Music CD 2008. Keyon Harrold, Introducing Keyon Harrold, Criss Cross 1819 CD 2008. Abraham Burton, Future, MPI/NYC 11991 CD 2009. Steve Davis, Images: The Hartford Suite, Posi-Tone Records 8066 CD 2009. Cyrus Chestnut - Eric Reed, Plenty Swing, Plenty Soul, Savant 2104 CD 2009. Willie Jones III, The Next Phase, WJ3 Records 31008 CD 2009. Neal Smith, Live at Smalls, Smallslive 0007 CD 2010. Cyrus Chestnut, The Cyrus Chestnut Quartet, WJ3 Records 100100 CD 2010. Tim Mayer, Resilience, Jazz Legacy 1101015 CD 2010. Damien Sneed, Introspections Live, Bluesback Records 14577 CD 2010. Cyrus Chestnut, Journeys, Jazz Legacy Productions 1001011 CD 2010. Matt Garrison, Blood Songs, D Clef Records 156 CD 2010. Jazz Incorporated, Live at Smalls, Smallslive 0017 CD 2011.Papo Vazquez, Oasis, CD Baby / Picaro 5637991916 CD 2011. New Jazz Workshop, Underground, NJW Music 5637951485 CD 2012. J.D. Allen, Grace, Savant 2130 CD 2012. Willie Jones III, Willie Jones III Plays the Max Roach Songbook, WJ3 Records 31012 CD 2012. Mark Gross, Blackside, Jazz Legacy Productions 1201019 CD 2012. Jonathan Barber-Chris Casey-Peter Greenfogel-Stephen Porter, Halfway Between Places, Peter Greenfogel 563795254 CD 2012. Meg Okura/Pan Asian Chamber Jazz Ensemble, Music of Ryuichi Sakamoto, CD 19621 CD 2012-13. Nir Naaman, Independence, Naaman Music 77120 CD 2013. George Cables, Icons & Influences, HighNote 7255 CD 2013. Cyrus Chestnut, Soul Brother Cool, WJ3 Records 31013 CD 2013. Louis Hayes, Live At Cory Weeds' Cellar Jazz Club, Cellar Live Records 120513 CD 2013. Louis Hayes, Return of the Jazz Communicators, Smoke Sessions 1406 CD 2014. Duane Eubanks, Things of That Particular Nature, Sunnyside 1390 CD 2014. Glenn Zaleski, My Ideal, Sunnyside 1406 CD 2014. Souvenirs of Love, Double Moon 71149
Vidéos
2008 Dezron Douglas Quintet live , New Haven, CT. Dezron Douglas (b), Josh Evans tp), Lummie Spann (as), Dave Bryant (p), Curtis Torian (dm)
2013 Dezron Douglas' Jazz Workshop at Winter Jazzfest NYC, 01.12.2013 Dezron Douglas (b),
Lummie Spann (as),
Josh Evans (tp)
, David Bryant (p),
Chris Beck (dm)
2013 Bassist Dezron Douglas at the late night jam, XRIJF
2014 Soul Shadows, Intimate house concert in Brooklyn, NY 2014. Jennifer Hartswick (voc), Dezron Douglas (b), Nicholas Cassarino (g)
2014 Steve Nelson, Rick Germanson Quartet Live at Smalls 2014 Steve Nelson (vib), Rick Germanson (p), Dezron Douglas (b), Rodney Green (dm)
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