Jean-Pierre BISSOT Gaume Jazz Festival
Rien à gommer
Directeur des Jeunesses
Musicales du Luxembourg Belge et Directeur du Gaume Jazz Festival, Jean-Pierre
Bissot, né en 1955 à Florenville, a pratiqué la trompette dans L’Harmonie
Saint-Eloy de sa ville natale. Avec les Jeunesses Musicales, il a
développé une approche transversale des différentes formes musicales qui
l’amèneront en 1984 à lancer dans son pays gaumais un festival qui privilégie les
enrichissements que le jazz cherche aux alentours et particulièrement dans les
folklores et les modes orientaux.
Propos recueillis par Jean-Marie Hacquier Photo Pierre Hembise
© Jazz Hot n°672, été 2015
Jazz Hot: Les Jeunesses Musicales, c’est une vocation?
Jean-Pierre Bissot: Pas exactement. C’est le résultat d’une
rencontre accidentelle. J’ai une pratique de musicien amateur à l’échelle de la
ruralité, c’est-à-dire: avec la fanfare. Puis, pour diverses
raisons, l’Harmonie St. Eloy disparaît alors que j’ai 14 ans. Les parents me
disent à l’époque: «Ne fais pas de la
musique, cela fait bien souffrir tout le monde. Fais plutôt des études
scientifiques.» Ça m’a conduit à faire trois années de sciences-math à
l’université! Puis, petit à petit,
il y a des choses qui se sont mises en place dans ma tête, et j’ai pensé
à retravailler activement la trompette. Surtout après avoir découvert Miles Davis
et Chet Baker. J’ai peut-être souffert d’un manque d’encadrement pédagogique
quand j’étais enfant, bien qu’il me reste de bons souvenirs de l’harmonie. Dès
lors, soit je reprenais ma trompette, soit j’allais travailler en amateur
dans l’organisation de concerts. Finalement, j’ai abandonné la trompette et, un
peu par hasard, j’ai rencontré les
Jeunesses Musicales sur mon chemin.
Ne peut-on pas
reprocher aux Jeunesses Musicales trop de rigidité, un ronron qui va d’école
en école autour de l’approche musicale?
Je ne suis pas aussi sévère que vous à
propos des Jeunesses Musicales. Depuis une quinzaine d’années, il y a une
évolution importante du travail professionnel des Jeunesses Musicales.
Un éveil
pluriculturel ou pluriethnique à la musique?
Oui, une ouverture aux cultures! Avec
les Jeunesses Musicales, j’ai toujours voulu développer des projets qui ne
soient pas confinés dans un cadre de fonctionnaire. Quand j’ai démarré aux Jeunesses Musicales, il y avait
quand même une poignée d’animateurs qui avaient pour objectif de faire
s’écrouler les murs entre les expressions musicales. Oui, il y avait une
structure importante qui tournait autour des musiques classiques, mais il y
avait aussi le développement du jazz, l’éclosion de la musique rock qui était
très important et peut-être un peu plus rebelle que ce qu’elle est maintenant. Il y avait aussi une ouverture vers les
musiques du monde. Mon mentor aux Jeunesses Musicales s’appelait Claude
Micheroux. Il répétait en leitmotive: moi,
je préfère les créateurs aux créatures! Ce slogan est devenu le mien.
La mixité, c’est ce
qui différencie le Gaume Jazz des autres festivals?
Quand on était dans la cinquième ou la
sixième édition, nous avons beaucoup réfléchi pour savoir si nous devions garder
l’appellation «jazz». Pour moi, l’appellation «jazz», ce sont
les musiciens qui la définissent. Ce n’est pas à moi de décider si c’est du jazz
ou si ça n’en est pas. D’ailleurs, quand Miles Davis fait «Sketches of
Spain» ou quand Jan Garbarek joue avec
l’Hilliard Ensemble, ce sont des musiciens qui se sont interrogés sur les
frontières et les limites. Je pense que le jazz est avant tout une curiosité,
un travail sur le respect et l’écoute. Viennent ensuite le rythme, le swing
et l’improvisation. Toutes ces choses peuvent, pour moi, se mettre à des doses
différentes dans certaines musiques. Nous avons décidé de garder l’appellation
«jazz» parce que nous pensons qu’il est dangereux de laisser la
décision de l’appellation «jazz» aux jazzeux!
Vous
voulez sans doute parler des critiques ou des puristes lorsque vous parlez des
«jazzeux»! Le jazz se dilue de plus en plus et ça n’a pas toujours été apprécié par les jazzeux. Mais, voilà ; jazzeux ou pas, l’évolution est celle-là! Lorsque vous avez
commencé ce festival, il y a trente ans, c’était en pleine époque
«rock». Ça ne devait pas être facile de programmer du jazz?
Oui, mais lors de la première édition, nous
avions déjà l’Act Big Band de Félix Simtaine (dm), mais aussi Don Cherry (tp). Don
Cherry, c’est déjà quelqu’un qui était aux frontières du jazz! La
trace était déjà dans les gênes! Il y avait aussi le Belge Arnould Massart (p,
comp), quelqu’un qui a poussé le jazz un peu loin. J’ai fait ma
programmation sans être mystique; j’essayais simplement d’être à l’écoute,
et je comprenais qu’il puisse y avoir des gens qui n’étaient pas d’accord avec
mes choix. J’ai toujours dit que, pour moi, le Gaume Jazz, c’est le
festival des jazz purs et impurs! Ce qui important, c’est que le public et les musiciens s’y retrouvent. Je pense aussi que
l’évolution des médias est assez considérable. Quand on pense qu’en radio, dans
les services publics belges, il y a, à présent, au moins trois radios ouvertes
sur le rock alors que le jazz a du mal à garder son heure quotidienne (NDLR: Philippe Baron sur RTBF-La3 à
18h). Evidemment, un festival comme le nôtre tend à aller chercher le
public ailleurs.
C’est aussi un
festival de découvertes! Aujourd’hui, par exemple, on vient d’écouter un
jeune quartet israélien extraordinaire. Ce sont des découvertes personnelles?
Vous ne recherchez pas particulièrement les stars! Pourquoi vient-on au
Gaume Jazz plutôt qu’ailleurs? Pour l’ambiance? Pour les
découvertes?
Je ne suis pas certain que ces jeunes
musiciens ne sont pas des stars! Je les place très haut dans la
hiérarchie! On peut aussi rappeler que le premier concert qu’Esbjörn
Svensson (p) a fait en-dehors de la Suède, c’est ici qu’il l’a fait! Le
premier concert de Stefano Bollani (p) en Belgique c’est aussi au Gaume Jazz
qu’il l’a fait! Et je pourrais en citer d’autres, comme Jean-Marie
Machado (p)… C’est vrai que j’ai aussi longuement réfléchi sur le fait de faire
un festival dans un parc de 12 hectares. Ça ne m’intéresse pas trop d’aller
chercher à l’avion un Américain qui va venir jouer ici sans conviction. Ça ne
m’intéresse pas trop de faire un festival dans des grandes salles ou dans un
stade bétonné. Il y a aussi une réflexion sur l’environnement et, bien entendu,
il y a toujours le lien avec l’objectif des Jeunesses Musicales. Ce qui me
donne de la force, de l’énergie, c’est que, quand on est dans cette dynamique,
on n’est jamais déçu. Et je n’ai jamais été déçu. Quand on programme des
musiciens de 20 ou 22 ans, qu’on les met dans de bonnes conditions
de travail, si on les met dans des prime times importants, ils se
transcendent. Ben, voilà, ça permet de rétablir un peu la balance import/export
au niveau financier.
L’enthousiasme du
Directeur, c’est bien! Mais c’est aussi celui des musiciens que le public
attend?
J’essaie d’avoir le dialogue le plus
positif possible avec les musiciens, de les stimuler. C’est l’objet des
«cartes blanches». On a eu une carte blanche qui a duré trois ans
avec le regretté Pierre Van Dormael (1952-2008, g) et Sariba Kouyaté (kora). Ça a duré trois ans pour que, progressivement, ils se
construisent et puis, baf! Ça
vient, c’est l’heure. C’est comme ça! Ne me le demandez pas, mais je sais déjà avec qui je
vais me mettre autour de la table l’an prochain pour travailler les créations.
Il y a tellement de bons musiciens. C’est excitant et même un peu frustrant pour le musicien
d’être dans cette mouvance. Je constate aussi que les chemins que nous avons
pris sont maintenant empruntés par
d’autres, et je m’en réjouis. On doit être fiers de la scène que nous avons. On
a de grands conservatoires magnifiques, des artistes qui sont extraordinaires.
De grâce, faisons-les travailler!
Contact
Gaume Jazz Festival (7-9 août 2015) www.gaume-jazz.com
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