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Jorge Pardo, Jazzaldia San Sebastian 2013 © Jose Horna


Jorge PARDO


Du swing au… soniquete


En 1967 le saxophoniste espagnol Pedro Iturralde (Jazz Hot N° 620, mai 2005) enregistre son premier volume de jazz flamenco. Depuis cette date la péninsule ibérique s’est peuplée de musiciens qui, partant de l’un des deux points, jazz ou flamenco, s’efforce de lier ces deux genres. Les tentatives sont innombrables, les réussites fort variées.

Toutefois émergent deux noms incontournables, ceux du pianiste Chano Domínguez et du flûtiste et saxophoniste Jorge Pardo, auxquels il faut associer le guitariste Carles Benavent. Leur travail a suscité durant des années la polémique tant dans le monde du jazz que dans celui du flamenco, mais, avec le temps, il a développé des caractéristiques l’amenant à construire sa propre originalité et autonomie. Il cesse désormais d’être jazz-flamenco ou flamenco-jazz, ne recherche pas nécessairement un nom de baptême, et il tend à être considéré de la part des amateurs de chacun des deux genres comme un travail spécifique, original et de qualité.

Peu visible dans l’hexagone, Jorge Pardo a répondu à l’invitation de Jazz Hot à l’occasion d’un concert à Bordeaux.

Propos recueillis et traduits par Patrick Dalmace
Discographie
Patrick Dalmace
Photos Jose Horna


© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016


Jorge Pardo et Chano Dominguez, Getxo Jazz 2015 © Jose Horna


Jazz Hot: Dans une interview publiée dans le journal espagnol El País parue le 24 juillet 2004, tu dis: «Jamais, je ne me suis senti musicien de jazz, ni n’ai été attiré par aucune étiquette.» Ainsi aujourd’hui Jazz Hot va rencontrer un musicien qui n’est pas un jazzman!

Jorge Pardo: Je ne voudrais pas paraître un ingrat, mais c’est vrai. Je suis tombé amoureux du jazz cela fait trente-cinq-quarante ans quand les jazzmen développaient cette liberté d’interpréter comme ils le sentaient. Aujourd’hui le jazz, à travers une divulgation massive, diffuse un message prétendant qu’il n’existe qu’une seule manière de jouer alors que le jazz ce sont mille manières de jouer. C’est ce qui m’a séparé et me sépare chaque jour davantage de ce courant réducteur. Parallèlement, j’ai découvert dans le flamenco, bien que mes instruments ne soient pas dans la tradition du genre, cette liberté d’interprétation que je recherche. Pour moi le jazz doit avoir du swing que l’on appelle dans le flamenco «el aire» ou le «soniquete». Ça doit exister dans le jazz; le sentiment de liberté que l’on a dans le flamenco doit exister dans le jazz. Aujourd’hui la majeure partie des tendances et aussi des écoles ont enfermé le jazz dans quatre consignes musicales.



Pourtant à la fin des années soixante, quand à Madrid il est encore très confidentiel, tu découvres le jazz. Comment un jeune de 12 ou 13 ans peut-il réaliser une telle performance?


Jorge Pardo et Javier Colina, Getxo Jazz 1995 © Jose HornaC’était une belle époque! La dictature se terminait et toute ma génération était avide de découvrir. Découvrir; pas ce que l’on t’enseigne. Ce qui signifie que tu te remues, que tu fais les choses par toi-même. Je l’ai ressenti quand je suis entré un jour dans un magasin de disques. Je ne savais pas que le jazz existait; j’ai pensé: «je vais voir ce que c’est.» Pareil avec Jimi Hendrix, Led Zeppelin… Les Beatles étaient plus connus, mais, à cette époque-là, ces musiques avaient peu de diffusion. J’ai tout découvert ainsi y compris le flamenco de Paco de Lucía, Camarón, Morente, Pepe Habichuela, un flamenco moderne, avec des textes différents de ceux des générations antérieures. Ces flamencos avaient aussi un look particulier, cheveux longs, jean’s, qui me plaisait aussi… Tout ça, c’est quand j’avais 13-14 ans…. C’était une liberté sans corset.

A cette époque tu joues un peu de guitare et tu achètes une flûte…

Oui, j’essayais un peu la guitare et mes amis aussi. Eux jouaient bien, et moi ça me coûtait beaucoup pour jouer avec eux. Un jour, une flûte à bec est tombée entre mes mains et, sans rien savoir, j’ai pu jouer immédiatement avec eux. Je viens d’une famille modeste et j’ai fait du porte à porte, l’été, pour vendre des savons, du shampoing, des crèmes pour les mains … afin de gagner de quoi m’acheter une vraie flûte. J’avais quatorze ans! J’ai étudié un an et demi au conservatoire mais le professeur était lamentable. On n’apprenait rien. Il lisait le journal. Dans la rue mes copains apprenaient et de tout! Mais j’ai quand même acquis quelques bases de solfège et ça m’a été utile.

Comment apparaît le saxophone dans ta vie?

Je suis entré un peu plus dans le jazz. J’écoutais Coltrane, Rollins; j’en étais fou, et mon rêve était alors de pouvoir m’acheter un saxophone. A cette époque, la base militaire américaine de Torrejón, proche de Madrid, avait un big band. Un jour, ils m’ont contacté pour jouer du saxophone. «Je n’ai pas de saxo»; «Nous, on en a». Et j’ai joué dans leur orchestre. J’ai appris par moi-même, en jouant avec eux. J’étais vraiment motivé pour réussir mais j’ai eu aussi beaucoup de chance car il y avait un club, le Balboa Jazz, dont le patron m’avait à la bonne et les musiciens aussi. J’ai connu là-bas Jean-Luc Vallet qui m’a pris sous son aile et, grâce à lui, j’ai pu énormément progresser. Je le porte dans mon cœur! Il a été très généreux avec moi. Et aussi Tete Montoliu, Peer Wyboris... J’ai joué toutes les nuits pendant deux ans. Des musiciens de jazz étrangers commençaient aussi à venir, des américains, Slide Hampton, Pony Poindexter, Johnny Griffin… et j’ai joué avec eux. J’avais alors une quinzaine d’années et c’était une formidable expérience.
 
Chick Corea et Jorge Pardo, Festival de Jazz de Vitoria 2005 © Jose Horna


Tu n’as aucune racine gitane, tu ne vis pas non plus au sein de cette communauté; comment as-tu pu être attiré par une musique qui est complexe et dont les rythmes sont très nombreux? Y-a-t-il une rencontre décisive?


Paco de Lucía apparaît aussi à ce moment dans ma vie… J’écoutais déjà du flamenco, celui de mon époque, et ça me plaisait mais je ne pensais pas à ce moment-là qu’avec mon saxo et ma flûte je pourrais interpréter cette musique. Nous avions un groupe, Dolores, style Weather Report, Miles Davis de l’époque… On enregistrait dans le même studio que Paco. Nous nous connaissions un peu. Un jour qu’il ne trouvait pas un arrangement à son goût il nous interpelle à la cafeteria, un ami et moi, et nous demande de venir improviser pour voir ce qui allait se passer… et l’enregistrement est resté.
C’est cette spontanéité qui te plaisait …
Oui exactement… Deux jours plus tard il devait aller en Belgique ou en Allemagne pour un concert et il nous a demandé d’aller avec lui. Tout a commencé là. Je me suis rendu compte alors que le swing du jazz et le complexe rythmique du flamenco étaient très proches; que la liberté d’interprétation du jazz et celle du flamenco étaient proches aussi. Et ceci m’a incité à approfondir, à voir si je pouvais jouer du flamenco à la flûte et au saxo.

Le jazz et le flamenco sont deux musiques qui à leurs origines sont «fonctionnelles. Est-ce que tu dois remonter le temps, remonter l’histoire du genre, connaître les conditions de leur émergence pour pouvoir les assimiler de manière parfaite?

J’aime l’utilité de la musique. J’aime la musique populaire. La musique folklorique est immuable mais la musique populaire supporte l’évolution temporelle, s’adapte aux changements et surtout supporte le processus créatif des artistes qui peuvent interpréter à leur manière cette musique. En même temps ces musiques populaires, jazz, flamenco, ont une fonction sociale car celui qui écoute n’écoute pas l’hallucination créative d’un artiste mais une création connectée avec le peuple. Cette connexion se fait par le biais du rythme et de la mélodie. Tu interprètes une chanson, un thème que les gens connaissent. Tu exécutes un rythme que les gens ressentent en eux, viscéralement. Ce n’est pas comme la musique contemporaine qui est purement une expérimentation sonore destinée à une élite. Le jazz et le flamenco ne sont pas pour les élites mais pour que les gens les vivent, les sifflent, dansent… C’est ce qui doit connecter le présent de ces musiques avec leurs racines. Quand le jazz, ou une autre musique, va délibérément vers une zone trop élitiste il perd son caractère populaire. J’aime que la musique ait ce rôle social.

Jorge Pardo, Getxo Jazz 1995 © Jose Horna


Je crois que tu as dit que jazz et flamenco étaient deux musiques contradictoires. Peux-tu développer cette idée?

C’est aussi contradictoire avec ce que je viens de dire puisque j’ai indiqué les similitudes que je vois entre jazz et flamenco mais c’est vrai qu’ils ont actuellement une esthétique très différente. Le jazz évolue de nos jours dans un pays, les Etats-Unis, qui a développé peu à peu un goût pour l’exhibition, le paraître, les lumières des projecteurs, Hollywood, le star système… Aujourd’hui le jazz est entré dans ce monde. Le flamenco non. Il est resté assez fermé, avec une faible audience. C’est encore un monde de tabernas, de peñas... Il reste proche de ce que le jazz était à ses origines notamment dans l’esprit. C’est à travers cet esprit initial que flamenco et jazz gardent quelque chose en commun.

Mais alors quels sont les procédés que tu utilises pour unifier -je ne dis pas unir- jazz et flamenco? Comment fais-tu pour jouer «Donna Lee» por bulería ou d’autres standards comme «Nardis», «Blue in green», «Caravan», «Round about midnight», «What is this thing called love» y compris «Law years» d’Ornette Coleman?

On a construit trop de cloisons…On en a trop aussi dans le cerveau. On nous a appris que Mozart était différent de Bach, qui est différent de Beethoven, lui-même différent de Stravinsky, que ce dernier est différent d’un fandango [Jorge Pardo énumère musiciens et styles de toutes époques]… mais tout ça est faux. Tous sont superinterconnectés. Bach ne connaissait ni Hendrix ni les Beatles mais son héritage, celui de Beethoven, se trouve chez Hendrix et chez les Beatles. Y compris des mondes différents comme ceux de la musique africaine, hindoue, caribéenne sont très connectés, beaucoup plus que nous ne le pensons à première vue. C’est la société qui nous pousse à faire des différences. Elles ne sont pas réelles. Les ingrédients sont les mêmes, les épices sont différentes.
Les musiques, toutes les musiques, ont beaucoup plus de points communs que de différences. En ce qui concerne le flamenco et le jazz ils ne sont pas si différents. Le cri du blues est très proche du quejido flamenco. Il y a des notes qui changent, des arômes, des épices mais au fond c’est comme dans la cuisine, ce sont les mêmes patates, les mêmes carottes. Le mouton ou le poulet sont les mêmes. Tout ça est question d’éducation. On veut nous pousser à voir l’autre très différent mais il ne l’est pas tant que cela. Nous sommes tous pareils!
Je n’ai pas de problème à l’heure de jouer «Donna Lee». Il n’y a pas de différence. Ecoute! [Jorge commence à frapper des rythmes sur la table et à vocaliser]. Je n’ai pas changé une seule note à ce que fait Parker et je n’ai changé aucun accent à la clave de la bulería. Ça fonctionne! C’est magique!

Comment joues-tu avec les différents modes des musiques?

Comme je viens de le dire le cri du blues et le quejido flamenco sont proches. 
Le jazz et le flamenco qu’on le veuille ou non sont deux musiques de fusion. Dans le creuset du jazz on trouve le blues, la musique africaine, européenne…. Le flamenco n’est pas seulement gitan, d’ailleurs tu demandes à un gitan de Bulgarie de jouer une soléa, il ne peut pas et un gitan de Belgique ne connaît pas le fandango. Le flamenco surgit dans la péninsule ibérique lorsque se mêlent la musique sefardi des Juifs espagnols avec la musique des Arabes andalusí, la musique berbère, la musique folklorique de Castille et d’Aragon. Au fil du temps le flamenco se construit sur cette base. Il n’est pas une musique «pure». Pour le jazz il se passe la même chose. Ce sont des musiques dont l’émergence intervient à partir de nombreux éléments.
L’influence orientale dans le flamenco ou du blues dans le jazz choque avec l’harmonie occidentale, les douze notes de l’échelle chromatique, les accords. C’est ce choc qui en fait l’attrait. Parce que ces musiques sont un mélange de la sagesse et connaissance du monde occidental avec la spontanéité, l’expressivité orientale ou africaine. Ce choc a produit les meilleures musiques du monde!

Chick Corea, Jorge Pardo et Carles Benavent, Jazzaldia San Sebastian 2002 © Jose Horna


Quand on écoute les productions de nombreux musiciens espagnols qui travaillent à partir du jazz et du flamenco, très souvent on note qu’il s’agit d’un "collage” «A» + «B», comme l’avait fait Pedro Iturralde, et ça reste toujours «A» + «B». C’est rarement très intéressant. Quand on écoute ton travail ou celui de Chano Domínguez on peut s’apercevoir que «A» et «B» ont disparu au profit de «C». Chano et toi avez produit un nouveau langage?

Oui! Oui et non. L’oreille commande. Dans certains cas tu sais qu’il y a «A» et «B» mais tu perçois directement comme tu dis le «C». Chez certains musiciens tu peux effectivement identifier les deux musiques et le «C» n’existe pas. Mais je ne mets pas de cloisons «C» n’est pas si différent de «A» et «B». Toi tu le sais, moi je le sais mais ce monsieur à la table là bas lui ne perçoit pas ces subtilités. Et il n’est pas important de polémiquer sur cela, pas plus que de savoir au football si le PSG est meilleur que le Real! L’important c’est qu’il faut savoir qu’aujourd’hui, après Paco, Chano, Carlos Benavent et nous les plus âgés, a surgi une nouvelle génération de musiciens, surtout de flamenco mais aussi de jazz qui sont en train de travailler dans ces nouvelles directions dans lesquelles jazz et flamenco font partie de leur vie naturelle, et Camarón, Paco, Chano, Jorge et aussi Chick Corea …etc. sont leurs sources d’inspiration musicale et ce «C», comme tu l’appelles, a aujourd’hui sa propre vie.



Il me semble qu’aujourd’hui tu ne reprends plus de standards de jazz pour les jouer por bulería, ou alegría comme tu faisais auparavant. Je me trompe? Est-ce c’est parce que tu écris et joues directement «C»…

C’est vrai. Mais je reviendrai au début de notre conversation. Le jazz, depuis une décennie, peut-être deux, est devenu très conservateur. D’un côté le jazz expérimental c’est n’importe quoi et de l’autre restent le Be Bop, le Hard Bop, le mainstream, mais aujourd’hui il ne s’agit plus que de répéter les phrases qu’ont fait Coltrane, Miles, Clifford Brown… en utilisant un langage super perfectionné que tout le monde fait. Il n’existe plus d’Eric Dolphy, de Sonny Rollins, d’Ornette Coleman... de musiciens qui faisaient des choses folles. On dit maintenant: «il faut jouer ça comme ça», «Ce que tu fais c’est bien», «Toi, non, tu retournes à l’école». Ce n’est pas ça le jazz. Le flamenco ce n’est pas comme ça. Il n’est pas arrivé à ce point d’élaboration doctorale; le flamenco permet encore la folie. Le fou a toute sa place. Dans le jazz ce n’est plus vrai. Au festival de jazz il faut être à telle heure à la balance, à telle heure on joue, il faut payer tel cachet, il faut faire la facture… C’est le monde du travail. C’est bien car cela a «dignifié» la profession mais a abîmé un peu l’art. L’art, ce n’est pas à 7h du soir, habillé de telle façon avec à la fin telle facture. Non ce n’est pas ça! Peut-être que maintenant ma musique comme tu le dis sonne moins jazz parce que je me nourris moins du jazz actuel. Peut-être. J’utilise moins les standards qu’autrefois, c’était une autre période. Maintenant, quand je crée, «C» vient probablement directement.

L’ensemble rythmique cajón-palmas-basse-guitare a un rôle fondamental dans ta musique; la flûte, le saxophone s’appuient sur lui. Est-ce que tu lui attaches une importance particulière au moment d’écrire tes compositions?

Le rythme, comme je l’ai dit, est fondamental dans le monde du flamenco ou du jazz. Un orchestre de jazz doit avoir du swing même si ce n’est pas un swing orthodoxe. Il doit te mettre en transe; c’est l’héritage africain. C’est pareil pour le flamenco. Tu vas à une fête à Jerez por bulerías, et tu peux rester deux heures et encore deux heures, et après ils en réclament encore et encore. C’est une affaire de fièvre. Le rythme occupe une place vitale. Un thème de Duke Ellington dit: «It don't mean a thing if it ain't got that swing», et Paco de Lucía de son côté affirmait: «Si no hay soniquete pa’que te metes!». Ce sont deux idéologies similaires. Le swing, el aire, le soniquete sont basiques. C’est pour cela que j’essaie toujours d’avoir une section rythmique qui soit de l’or; pas de l’argent ni du bronze. De l’or! Des musiciens performants. Quand la rythmique fonctionne bien, tout semble facile. Même si moi je fais une erreur ça fonctionne. Je donne quelques points clés et après la section rythmique enchaîne. On ne se complique pas. Si on complique ça devient mauvais.

Quelque chose détermine l’emploi du saxophone ou de la flûte, ou les instruments sont interchangeables dans ta musique?


Non. Je ne change pas. Quand j’ai une idée de mélodie, je la pense avec un instrument et ça reste comme ça. Le choix de départ est intuitif et je le garde.

Depuis Las cigarras son quizas sordas jusqu’à Huellas en passant par Diez de Paco ta musique a changé. Peux-tu expliciter un peu le cheminement de ta créativité?

J’ai l’avantage d’être un musicien dont le succès a été moyen, ni trop, ni insuffisant. Ceci m’a offert la liberté de n’avoir aucune pression de managers ou de compagnies de disques. Evidemment si je n’avais eu aucun succès personne n’aurait fait attention à moi. J’ai eu un juste équilibre dans la réussite. Travailler à l’ombre et non en plein soleil m’a permis de faire ce que j’avais envie. L’argent je n’en ai pas trop, je n’ai pas de grandes maisons, de grosses voitures mais je vis correctement, je peux remplir mon réfrigérateur, payer mes factures… et en même temps cela m’a permis de me sentir libre. Je suis mon intuition. Je me lève le matin. Qu’est ce que je fais? Bon je vais à l’ordinateur et tip tap top [Jorge chantonne], j’écris, je compose. Voilà ce que je fais!

A mon tour de revenir au début de notre entretien. Tu as reçu il y a quelques mois le Prix de l’Académie du jazz en France. Comment un musicien qui revendique ne pas être un jazzman peut-il à ton avis recevoir une telle distinction?

Je vais te demander de ne pas faire cas de mes premières paroles!

Jorge Pardo, Getxo Jazz 1996 © Jose Horna

Mais tu les as dites!

Bon, mais je vais nuancer car en réalité je suis héritier d’un jazz qui permet la liberté d’expression et m’offre la possibilité d’exprimer ce que je pense et comment j’entends un son. C’est pour moi une nécessité. Ce n’est pas d’argent pour manger dont j’ai besoin non, non; c’est cette nécessité qui est vitale. En cela je me sens cent pour cent jazzman. Mais si être musicien de jazz c’est parce que je jouerais de telle ou telle façon, non. Je n’appartiens à aucune ligne déterminée, aucune école de jazz, C’est ce que cela signifie quand je dis que je ne suis pas un jazzman.
Quand l’Académie de Jazz me récompense il me semble qu’elle honore cette manière de voir, de penser, d’être, cette liberté, cette vision folle que j’ai, et que j’ai eu durant ces années. Mais je crois aussi que c’est une récompense collective, dépassant ma personne et s’adressant à des musiciens qui comme moi travaillent dans le même sens. Le Prix s’est peut-être personnalisé à travers moi, mais cela signifie surtout: «Le jazz existe aussi en Espagne, et cet homme représente le musicien espagnol de jazz.» Je m’enlève un peu la personnalisation nominative «Jorge Pardo», et je me dis que le jazz en Espagne existe et a son écho ici, en France. Cela me rend encore plus heureux de penser cela.

Est-ce qu’on peut t’écouter en club? Est-ce que pour toi ces lieux où l’on est quasiment au contact du public sont des lieux de création?

Bien sûr! Le club, le café… c’est le bouillon de culture. Et je joue de la même façon dans un club que dans un grand festival. C’est Chick Corea avec qui j’ai  joué pendant deux ans qui m’a appris ça. Cinquante ou cinq mille personnes, club, auditorium élégant, stade, fête populaire dans la rue…, pour n’importe quel événement, il se donnait à fond, bien payé ou peu payé, c’était pareil. Les affaires sont indépendantes du fait que l’artiste se donne totalement. Tu montes sur scène, tu joues à cent pour cent, et si tu peux t’exprimer à deux cents pour cent, c’est encore mieux, et quel que soit le public!

Tu avais commencé déjà voici quelques années avec Vientos Flamencos 1 mais aujourd’hui ton site web personnel est une véritable boutique en ligne où l’on peut acquérir directement non seulement la musique en mp3 mais également des CDs, acheter des entrées pour tes concerts et même les partitions de tes compositions... Cherches-tu à te libérer des grands spécialistes de la vente en ligne, à sortir des circuits commerciaux?

J’allais dire que non mais si... c’est vrai… Ce que je fais n’est pas une industrie. Dans mon cas l’industrie du disque n’existe pas. Je fais de l’artisanat. J’ai une petite production. Quelques chose que je te vends à toi parce que ça t’intéresse; à toi aussi ça t’intéresse? Je peux te vendre ce disque. Je ne fais pas de grandes campagnes, j’ai l’avantage d’avoir un nom assez connu qui, après avoir joué avec des grands comme Paco de Lucía, Chick Corea, est présent un peu partout dans le monde. Je diffuse de petites quantités, mais j’arrive dans tous les coins de la planète. Le site web me permet de vendre facilement, sans intermédiaire, directement et ça me plaît bien.

Quelle question ai-je oublié?

Me demander ce que j’allais faire maintenant…. (rires)

Alors que vas-tu faire?

La même chose… (rires)… de la musique avec de nouvelles idées sans m’occuper de si on va me critiquer en bien ou en mal. Je reste une personne libre. Je fais ce que je veux et je vis comme ça. Je vais travailler avec différentes formations, avec ton compatriote Sylvain Luc notamment, je vais entrer en studio, partir en tournées…

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Contact: jorgepardo.com

Discographie

Leader
LP/CD 1982. Jorge Pardo, Blau CDM 076

LP 1983. El Canto de los guerreros, La Linterna, A 483-003

CD 1986. A mi Aire, Nuevos Medios 15224

CD 1991. Las Cigarras son quizás sordas, Nuevos Medios 15574

CD 1992. Veloz hacia su sino, Nuevos Medios 15629

CD 1994. Diez de Paco, Nuevos Medios 15665

CD 1996. 2332, Nuevos Medios 15712

CD 2000. Mira, Nuevos Medios 15780

CD 2005. Vientos Flamencos 1, Manantial 1005001

CD 2007-2008. Desvarios, RTVE/ Karonte 7800

CD 2009. Vientos Flamencos 2, FWM 003

CD 1998-2012. Huellas, Cabra Road 001

CD 2013-2014. Historias de Radha y Krishna, FOL1077

Coleader
CD 1992. Tomás San Miguel, Jorge Pardo. Vida en Catedrales, Lyrico 21043

CD 1995. Tomás San Miguel, Jorge Pardo. De Dos en Dos, Nuevos Medios, 15673
CD 1999. C. Benavent, T. di Giraldo, Jorge Pardo. El Concierto de Sevilla, Nuevos Medios 15772

CD 2001. D3. Directo, Satchmo 031J

CD 2002. Iñaki Salvador + Jorge Pardo en directo. 20 años de Altxerri, s/n

CD 2003. D3. Qui pro quo, Satchmo 065J

CD 2004.Tomás San Miguel, Jorge Pardo. Entre, TSM 3

CD 2004-2007. Carlos Benavent, Tino di Giraldo, Jorge Pardo. Sin precedente, Nuevos Medios 15907

CD 2005. 3dd3. Quadrant Records 00008 J.

CD 2010. D3. Sobre la marcha, Quadrant Records 00033 J

Sideman
LP 1976. Dolores. Dolores, Polydor 23 85 112

LP 1977. Dolores. La Puerta Abierta, Polydor 23 85 139
LP 1978. Dolores. Asa-Nisi-Masa, Polydor 23 85 158

LP 1979. Camarón de la Isla. La Leyenda del Tiempo, Philips 63 28 255
LP 1979. Paco de Lucía interpreta a Manuel de Falla, Philips 911 300 8
LP 1982. Paco de Lucía. Solo quiero Caminar, Philips 630 103 0
LP 1984. Paco de Lucía. One Summer Night, Philips 822 540 1
CD 1984. Paco de Lucía. Live in América, Philips 314 518 8
CD 1997. La Barbería del Sur. Algo pa’nosotros, Nuevos Medios 14 724
CD 2000. Grupo Jazzpaña. Jazzpaña II, ACT 9284 2
CD 2005. Rhumba Flamenco. Chick Corea Productions 001

CD 2006. Chick Corea. Ultimate Adventure, Stretch Records, ‎9045-2
CD 2010. Collectif. Miles Español, New Sketches of Spain, EOM 2104
CD 2012. Directo en Café Latino, Karonte 7836


Vidéos

1976 «Río Ancho» -Guitarra y flauta -Paco de Lucía con Jorge Pardo
https://www.youtube.com/watch?v=lQQar9MS9ww


2005 Chick Corea Carles Benavent-Jorge Pardo -Jazz Vitoria 2005
https://www.youtube.com/watch?v=EpN5J_gcf1s


2007 Pardo, Benavent, di Geraldo: Bulerias
https://www.youtube.com/watch?v=t8pFXa4xUrY


2008 Jorge Pardo & D3 Live in Barcelona
https://www.youtube.com/watch?v=jwtZkVd8P60


2011 Jorge Pardo. Al despertar.
https://www.youtube.com/watch?v=BfTXJzTd2xQ


2012 Ziriab - Solo de Jorge Pardo
https://www.youtube.com/watch?v=pfP_UH1aAEM


2013  Jorge Pardo Quartet - Del zoco la soleá
https://www.youtube.com/watch?v=sC-U7wO__aA


2013 Jorge Pardo Trio live - XIX Festiwal Jazz na Starówce 2013
https://www.youtube.com/watch?v=FgGdPBUuSZ0


2013 Jorge Pardo-Donna Lee-Teatro Árbole-Zaragoza
https://www.youtube.com/watch?v=PVuAjM9TfTg


2014 Concert Jorge Pardo Quartet Andorra 21.03.2014
https://www.youtube.com/watch?v=LmSR8XRERSs


2015 Jorge Pardo & Josemi Carmona - Buleria
https://www.youtube.com/watch?v=yfHRTSEBAcc


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