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Sur la route des festivals en 2015

Dans cette rubrique « festivals », vous pourrez accompagner, tout au long de l'année 2015, nos correspondants lors de leurs déplacements sur l'ensemble des festivals où Jazz Hot est présent, édités dans un ordre chronologique inversé (les plus récents en tête). Certains des comptes rendus sont en version bilingue, quand cela est possible, que vous pouvez repérer par la présence en tête de texte d'un drapeau correspondant à la langue que vous choisissez en cliquant.
Nous remercions l'ensemble des Festivals de jazz pour l'accueil de nos correspondants sachant que c'est la condition pour tous de conserver la trace d'une des scènes importantes du jazz. Les budgets étant de nos jours soumis aux contraintes de l'austérité, il importe que les acteurs du jazz conserve à l'esprit cet enjeu important pour la préservation du jazz qu'est l'information. Pouvoir faire des photos et des commentaires librement pour la presse spécialisée, et en avoir les moyens par un accueil respectueux des festivals et des autres scènes, est une des facettes de la liberté et de la richesse du jazz, et plus largement de la liberté de la presse et de la démocratie dont nous commençons à sentir parfois le manque…


Au programme des comptes-rendus:
 
Bergame, Italie, Bergamo Jazz.

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Bonne lecture!



Bergame, Italie

Bergamo Jazz, 20-22 mars 2015


Comme toujours, précédé et accompagné par différents événements collatéraux (concerts, rencontres et activités didactiques), Bergamo Jazz a célébré la 37e édition avec un vaste panorama sur l’actualité du jazz. Selon une pratique désormais affirmée, le niveau qualitatif s’est maintenu à un standard très élevé dans l’ensemble, récompensant les choix du directeur artistique, Enrico Rava, maintenu exceptionnellement  l’an passé à l’échéance du mandat triennal. Comme toujours, les concerts de prestige ont été accueillis au Teatro Donizetti, tandis que l’Auditorium della Libertà  a accueilli des propositions plus expérimentales et de jeunes émergents.



Dianne Reeves © Gianfranco Rota by courtesy of Bergamo Jazz


Le côté animation a été assuré par Dianne Reeves, soutenue par Peter Martin (p), Romero Lubambo (g), Reginald Veal (b) et Terreon Gully (dm). Bien que le show fût réglé dans les moindres détails, la chanteuse de Detroit a fait la preuve non seulement d’un grand professionnalisme, mais aussi d’une vaste gamme expressive. Son contralto est riche de nuances qui oscillent avec finesse du registre grave (à la manière de Carmen McRae et Sarah Vaughan), à des acrobaties scat, des couleurs sanguines du blues, des accents de gospel et de soul modulés sur de puissantes traces funk. Elle frappe en particulier par sa capacité à transposer les morceaux dans des tonalités différentes, transformant en standard un Hit comme « Dreams » de Fleetwood Mac, libérant « Stormy Weather » des traitements canoniques et greffant « Love is Here to Stay » sur un implant de bossa, un témoignage de son vieil amour pour la musique latine.


Au contraire, un entertainment de pure routine a été proposé par la modeste prestation de Fred Wesley. Malgré le nom – The New JBs – claire allusion à l’expérience passée avec James Brown le Godfather of Soul, son groupe ne possède ni l’implacable force rythmique, ni cet élan spirituel piquant, et encore moins la sensualité charnelle. A côté de plaisants ensembles instrumentaux, desquels ressort encore la maestria du tromboniste, les canevas funky et les parties chantées s’avèrent attendues. Avec tout le respect dû, on a la sensation de goûter un plat réchauffé.


A travers de nouvelles propositions, le groupe  Fairgrounds de Jeff Ballard semble encore à l’état embryonnaire, la maîtrise du batteur ne suffit pas à l’alimenter. Malgré quelques appréciables trouvailles mélodiques et certains entrelacements entre Kevin Hays (p) et Lionel Loueke (g), on ne perçoit pas une identité. Reste à définir l’apport du nouveau membre Peter Rende au Fender Rhodes et le rôle de l’électronique de Reid Anderson, ainsi que la fonction des parties vocales confiées à Loueke et Hays, en équilibre instable entre l’Afrique et le rock américain des années 70.


On apprécie au contraire la passion et la fraîcheur du trio du jeune pianiste turinois, Fabio Giachino avec Davide Liberti (b) et Ruben Bellavia (dm). Particulièrement brillants sur les up tempo, le groupe révèle un ancrage Hancockien, surtout dans le développement de la pensée horizontale et dans la construction harmonique; une approche joyeuse mais respectueuse de la tradition («In the Wee Small Hours of the Morning», «Saint Louis Blues»); quelques heureuses inventions mélodiques.


Palatino © Gianfranco Rota by courtesy of Bergamo Jazz


Réunis pour l’occasion, Palatino a ranimé les fastes d’une brève mais intense saison, présentant des thèmes riches de valences mélodiques mis en évidence aussi par les lignes denses de Michel Benita. On distingue l’interaction, prolifique et constante, entre Paolo Fresu et Glenn Ferris, soutenue par le drive toujours précis dans son essentialité d’Aldo Romano (et aussi par un sens ludique sain). Ferris produit une vaste gamme de nuances avec la coulisse et la sourdine, tandis qu’au bugle Fresu tempère sa prédisposition naturelle au lyrisme avec une dose majeure de feu expressif.


Mark Turner Quartet© Gianfranco Rota by courtesy of Bergamo Jazz


En l’absence d’un instrument harmonique, Mark Turner (ts) construit des amalgames et des entrelacs de beauté brillante avec Ambrose Akinmusire (tp), soutenus par la discipline rigoureuse de Joe Martin (b) et Justin Brown (dm). Certaines lignes minimalistes, à traits contrapunctiques se relient à la poétique de Warne Marsh et à l’expérience pionnière, d’inspiration musique de chambre, de Jimmy Giuffre. Dans le jaillissement des thèmes développés – dotés soit d’amples courbes mélodiques, soit d’un découpage introspectif – et dans lesquels prévalent la pureté du son et la concision du phrasé, sont les caractéristiques évidentes même dans le parcours improvisé.

Vijay Iyer © Gianfranco Rota by courtesy of Bergamo Jazz


Vijay Jyer affermit une conception du trio qui va bien au-delà des canons  consolidés, adoptant les gestes de prédilection pour les composants rythmiques et harmoniques hérités en partie d'Andrew Hill et Thelonious Monk. Sur ces bases se greffent des réitérations d’origine minimaliste et électroniques (comme dans «Hood», dédié à Robert Hood, producteur de House Music) dans une configuration cyclique empruntée à l’étude des ragas. Interlocuteur toujours prêt à assimiler et relancer, le stimulant Marcus Gilmore est l’un des batteurs les plus innovants, prodigue d’explorations et de figures qui exaltent la nature polyrythmique des compositions. Stefan Crump (b) opère en parfaite symbiose avec une pulsation massive et des lignes plongeantes qui mettent en lumière l’essence du tissu rythmique.


Michael Formanek Quintet © Gianfranco Rota by courtesy of Bergamo Jazz


A la tête de son Cheating Heart Quintet, Michael Formanek (b) se confirme maître d’une vision de la composition profonde et rigoureuse, basée sur une écriture serrée et méticuleuse de laquelle jaillissent des thèmes articulés et des enchaînements harmoniques touffus, souvent véhiculés par la conjonction entre le sax alto (Tim Berne) et le sax ténor (Brian Settles). L’action de masse du groupe pénètre souvent en territoire atonal, où Berne et Settles s’aventurent sans inhibition et avec une logique convaincante. Jakob Sacks (p) exploite l’occasion pour des interludes qui rappellent les tensions post-Weberniennes. Formanek et Dan Weiss règlent la température de ces excursions bouillonnantes pour ramener les exécutions en leurs justes voies.


Nels Cline © Gianfranco Rota by courtesy of Bergamo Jazz


Pour finir, The Nels Cline Singers, c’est-à-dire Dr. Jekyll et Mr. Hyde. Cline est un génial «sapeur» qui délivre dans un style inimitable les traits de la guitare contemporaine. Il peut donc plonger dans des arpèges hypnotiques scandés avec des timbres divers et des volumes croissants – terrain fertile pour les ronflantes figures de Scott Amendola – à des atmosphères de saveur folk, et puis virant vers des emportements de rock corrosif ou modelant des phrases jazzistiques, toujours avec une utilisation variée et efficace des timbres et des distorsions. Il évoque ainsi, mais seulement par association, les expérimentations de Fred Frith, l’impact destructif de Marc Ribot et Lee Ranaldo, les explorations que Bill Frisell avaient conduites dans les années 80, que ce soit seul ou avec John Zorn. Le ton iconoclaste est corroboré par le drumming fébrile  d’Amendola  et par l’approche irrévérencieuse que Trevor Dunn applique aux cordes de la contrebasse.

 
Ce grand voyage sur les tendances du jazz actuel a été suivi, comme toujours, par un public attentif, compétent et nombreux. Le Donizetti fut toujours complet: une garantie pour l’avenir du festival.


Enzo Boddi
Traduction : Serge Baudot
Photos © Gianfranco Rota
by courtesy of Bergamo Jazz Festival

© Jazz Hot n° 671, printemps 2015