Cyrille AIMÉE
La rage de vivre
Cyrille-Aimée Daudel, Cyrille
Aimée pour le jazz, est née le 10 août 1984 à Fontainebleau (77). Elle grandit à
Samois-sur-Seine ce qui lui donne très jeune une ouverture sur la musique de Django Reinhardt. Elle apprend la guitare, notamment auprès de
Romane, qui, découvrant son talent vocal, l’invite, à l’âge de 16 ans, sur la
scène du Festival de Samois. Cyrille suit par la suite ses parents partis
s’installer à Singapour, mais rentre en France pour participer à l’émission Star Academy dont elle claque finalement
la porte. Après un passage par Saint-Domingue, elle débute une nouvelle vie à
New York, étudie la musique et commence à se produire dans les clubs de jazz.
Elle enchaîne alors les prix: Montreux Jazz Festival Competition (2007),
Thelonious Monk International Jazz Competition (finaliste en 2010, la gagnante
étant Cécile McLorin-Salvant), Sarah Vaughan International Jazz Competition
(2012). En 2009, elle publie un premier disque
autoproduit, Cyrille Aimée and the
Surreal Band. Suivront deux enregistrements en live, au Smalls (avec Roy Hargrove et Spike
Wilner) et au Birdland. En 2014, elle publie chez Mack Avenue, It’s a Good Day, ce qui lui permet d’amorcer
une carrière parallèle en France (on a pu l'entendre à Samois en 2014 et à Vienne
l’été dernier). Elle sort aujourd’hui un second opus chez Mack Avenue, Let’s Get Lost. Elle se produit au New
Morning le 8 avril 2016. Propos recueillis par Jérôme Partage Photos Pascal Kober
© Jazz Hot n°675, printemps 2016
Jazz Hot: Vous êtes originaire
de Samois. Ça a déterminé votre parcours?
Cyrille Aimée: Oui. Avec mes parents j’ai écouté
tous les styles de musique. Ma mère est originaire de la République Dominicaine, et elle adore danser. Mais ils ne sont pas musiciens, tout vient de ma
rencontre avec les Manouches et la famille de Django. Les Manouches viennent
chaque année à Samois, par centaines en caravanes un mois avant le festival et
jusqu’à un mois après la fin. Quand j’étais petite, je n’osais pas leur parler
car ils avaient mauvaise réputation. Mais vers 13-14 ans, je suis devenue amie
avec des filles de la communauté. J’étais avec elles dans les caravanes, on se
promenait ensemble, j’aidais leurs parents à remplir leurs papiers de sécurité sociale. La musique ne m’attirait pas au début et je restais avec les
femmes. Puis, je me suis liée avec le frère d’une de mes copines, Lumpy, qui m’a
offert une belle grosse guitare rouge. Il m’apprenait à en jouer, à faire la
pompe, et moi je lui apprenais à lire. Un jour, son grand frère m’a demandé
d’apprendre une chanson parce qu’il savait que j’avais des cours d’anglais à
l’école. La chanson s’appelait «Sweet Sue». Je l’ai chantée devant
toute la famille. C’était la première fois que je chantais devant des gens.
Quand j’ai vu l’effet que ça produisait sur eux, sur moi, je me suis dit que
j’en ferai mon métier. Et le surnom de «Sweet Sue» m’est resté…
Après ce premier apprentissage,
avez-vous suivi des cours?
J’ai étudié
la guitare avec Romane. Un jour, pendant un cours, il m’a demandé de chanter.
Ça lui a plu, et il m’a proposé de faire ma première grande scène avec lui durant le festival de Samois, avec l’orchestre de Frédéric Manoukian. J’avais
16 ans. J’ai chanté deux morceaux. J’ai pris ensuite quelques cours de chant, puis je suis allée vraiment étudier aux Etats-Unis pour apprendre le straight-ahead jazz américain. J’ai
étudié l’harmonie, l’écoute du piano, l’improvisation, le jazz quoi! Mais
j’étais la seule chanteuse, ce n’était pas des cours de chant.
Quelles sont vos influences?
Elle Fitzgerald
est la première qui m’a frappée et pas seulement musicalement ou techniquement,
mais aussi sa façon de vivre, son naturel, son honnêteté. A l’école, comme j’étais
la seule chanteuse, j’ai surtout écouté des instrumentistes, comme Oscar Peterson,
Ahmad Jamal, Horace Silver, Miles, Coltrane. Après, je me suis replongée dans
les chanteurs: Chet Baker, Nancy Wilson et plein d’autres. Et puis, il y
a les influences latines du côté de ma mère et même la pop.
Et vous n’êtes donc jamais repartie de
New York?
Non, ça fait
dix ans que j’y suis. J’ai eu beaucoup de chance car mes études ont duré quatre
ans, mais, au bout de la deuxième année, j’ai trouvé un engagement dans un
restaurant de Soho, tous les samedis. Je jouais avec un autre élève de l’école,
contrebassiste, avec lequel il y avait une vraie connexion, et un batteur. J’ai
fait ça pendant sept ans. C’était vraiment génial pour démarrer. Les gens
venaient me voir, et ça m’a amené d’autres gigs. Du fait de
jouer à Manhattan toutes les semaines, je traînais beaucoup au Smalls jusqu’à
plus d’heure, je participais à la jam. C’est comme ça que tu commences à
rentrer dans la communauté des musiciens. Puis, j’ai commencé à être programmée
au Smalls. Ce qui m’a amené à jouer au Lincoln Center puis au Birdland. Et mon
disque est passé sur la radio publique, NPR, ce qui a permis à beaucoup de gens
de me découvrir. Aux Etats-Unis, il n’y a pas d’intermittence: si tu ne
joues pas, tu ne manges pas! Donc il faut sortir tout le temps. C’est une
vie à cent à l’heure…
Sur votre Live at Smalls il y a des invités de premier ordre, comme Roy
Hargrove…
Pour moi, la
rencontre la plus forte c’est avec Joel Frahm, qui est également sur mon Live at Birdland. Il a une énergie
incroyable et tout ce qu’il joue est parfait. Ce n’est pas donné à tous les
saxophonistes de savoir accompagner. Mais lui joue ce qu’il faut. Il est
vraiment génial.
En novembre 2013, vous avez joué dans
la comédie musicale A Bed and a Chair: A
New York Love Affair…
C’était un
projet autour des chansons de Stephen Sondheim, un compositeur de Broadway. C’est
lui qui a écrit toutes les paroles de West
Side Story. La musique était arrangée par Wynton Marsalis et jouée par le
Lincoln Center Jazz Orchestra. Pour ce spectacle, les producteurs cherchaient un
chanteur et une chanteuse de Broadway plus un chanteur et une chanteuse de
jazz. Finalement, je me suis retrouvée être la seule chanteuse de jazz avec
trois chanteurs de Broadway! C’était une expérience vraiment
particulière. Il y a eu sept représentations. C’était de la comédie musicale,
mais avec le big band de Wynton derrière, ça swinguait! J’aurais aimé jouer davantage avec l’orchestre, mais il n’y avait pas beaucoup de place pour l’improvisation,
il fallait que la musique suive les lumières. On s’est quand même bien marré
avec Wynton: sur une chanson, on a réussi à glisser un peu d’impro. On
échangeait des 4/4 dans une scène où j’étais en colère. C’était comme si je l’engueulais.
Vous avez également enregistré deux
disques avec le guitariste brésilien Diego Figueiredo…
J’ai
rencontré Diego en 2007 à Montreux, quand j’ai gagné la compétition vocale du
festival. Diego était finaliste dans la catégorie guitare. On n’a pas joué
ensemble d’emblée, mais un ou deux ans plus tard il m’a proposé de faire deux
concerts avec lui au Brésil. On s’entend vraiment parfaitement. Et comme, sur
place, il nous restait un jour de libre, il m’a proposé qu’on enregistre un CD.
On a mis ainsi Smile en boîte en
quelques heures. Et c’est ce disque qu’a pris au Smalls une dame de Jazz at
Lincoln Center et grâce auquel je me suis retrouvée programmée au Dizzy’s Club du Lincoln Center avec Diego.
Votre nouveau disque, Let’s Get Lost, s’inscrit dans la
continuité du précédent…
Oui, il s’agit
du même groupe: guitare acoustique, guitare électrique, basse et batterie. A Good Day, c'était le soleil; Let's Get Lost, c'est la lune. C'est une
autre face de moi, plus romantique, plus mélancolique. Tout est dans le
titre: c'est l'idée d'évasion. Parfois, j'ai envie de me déconnecter du
téléphone, de New York, de retrouver la nature... Le disque est plus mature
d'autant que j'avais réuni les musiciens pour la première fois lors de
l'enregistrement de A Good Day. Alors
que pour Let's Get Lost, le groupe
existait déjà depuis trois ans.
Quels sont vos projets?
J’aimerais pouvoir revenir en France plus
souvent. Je commence donc à monter une petite équipe ici. Mais je compte rester
aux Etats-Unis. Je vais peut-être déménager à La Nouvelle-Orléans. J'y suis
allée quatre jours, et j'en suis tombée amoureuse. A New York, tout va tout le
temps très vite, ça finit par être usant. A La Nouvelle-Orléans, les gens sont
cool, prennent leur temps. Sinon, j’ai très envie de refaire un disque avec
Diego, mais uniquement des compositions.
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CONTACT: www.cyrillemusic.com
DISCOGRAPHIE Leader / Coleader CD 2009. Cyrille Aimée and the Surreal Band, Autoproduit CD 2009. Smile, Autoproduit (avec Diego Figueiredo) CD 2010. Just the Two of Us, Autoproduit (avec Diego Figueiredo) CD 2010. Live at Smalls, Smalls Live 0018 CD 2012. Live at Birdland, Autoproduit CD 2013. It's a Good Day, Mack Avenue 1087 CD 2015. Let's Get Lost, Mack Avenue 1097
Sidewoman CD 2013. Chicago Jazz Orchestra, Bustin' Out!, Origin Records 82648
VIDEOS
2010. Rosenberg Trio / Denis Chang / Cyrille Aimée, «All of Me», Gesu, Montréal Stochelo Rosenberg (g), Nous'che Rosenberg (g), Nonnie Rosenberg (b), Denis Chang (g), Cyrille Aimée (voc)
2010. Cyrille Aimée Quintet, «Love for Sale», Smalls, New York Roy Hargrove (tp), Joel Frahm (ts), Spike Wilner (p), Philip Kuehn (b), Joey Saylor (dm)
2011. Cyrille Aimée & Diego Figueiredo, «Just the Two of Us», Dizzy's Club (Jazz at Lincoln Center), New York Cyrille Aimée (voc), Diego Figueiredo (g)
2013. Cyrille Aimée Quintet, «It's a Good Day», Smalls, New York Cyrille Aimée (voc), Adrien Moignard (g), Michael Valeanu (g), Sam Anning (b), Rajiv Jayaweera (dm)
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