Romain THIVOLLE
Django Revisited Big Band
A l’occasion du festival de Big Band de Pertuis 2015 (cf. le compte rendu dans notre rubrique Festivals), nous avons découvert un bel hommage à la musique de Django Reinhardt, un père fondateur du jazz en Europe, rendu par le Big Band Django Revisited, peuplé de musiciens de toutes les générations dont quelques brillants solistes1.
Dirigé par un trentenaire, Romain Thivolle (il est né à Gap, Hautes-Alpes, le 1er juillet 1978), responsable aussi d’arrangements originaux qui ne renoncent jamais à la substance originale, la mélodie, le big band mettait particulièrement en valeur un soliste brillant et inspiré, grand connaisseur de cet univers, Lois Coeurdeuil, l’inspirateur et le coauteur de ce projet2.
Porté par deux guitaristes de formation, ce qui n’est pas étranger à la réussite de l’écriture musicale de Romain Thivolle, ce projet démontre encore une fois qu’en matière d’art, la musique n’a pas d’âge. Jazz Hot, la revue de Django, introduit ici cette excellente et originale relecture qui vient de s’immortaliser par un bel album, Django Revisited Live, autant par le contenu musical que par le contenant –un beau graphisme.
Romain Thivolle, qui réside aujourd’hui à La Seyne-sur-mer, est un hyperactif en matière de musique3. Parmi d’autres projets, il dirige depuis 15 ans le big band de la Musique des Equipages de la Flotte de Toulon. Il nous a fait le plaisir d’une longue rencontre qui nous fait découvrir, au-delà de son parcours personnel et du projet autour de la musique de Django, sa réflexion approfondie sur la musique, le jazz et l’art en général…
Propos recueillis par Yves Sportis Photos by courtesy of Bernard Consolini, Ludovic Genco, Marc Robitaille, David Vincendeau
© Jazz Hot n°676, été 2016
Jazz Hot: A quel âge et dans quel environnement découvrez-vous la musique ?
Romain Thivolle: Je voulais faire de la batterie vers mes 10 ans car mon père jouait dans un groupe de bal, et je l’accompagnais régulièrement. Je me suis retrouvé à apprendre la guitare car mon père avait trouvé un travail d’électricien au guitariste du groupe qui me donna des leçons en guise de remerciements. J’ai approfondi la guitare avec l’association «Impulse», à Gap où j’ai monté mon premier groupe de rock (Treble); on jouait des compositions et des reprises de Deep Purple, AcDc, Iron Maiden, etc. Nous étions tous au lycée en internat, et ne pensions qu’au groupe; on dormait dans la même chambre, mangions, vivions ensemble. Ensuite, les études scolaires m’ont amené à Marseille pour un BTS Electrotechnique et le groupe s’est dissous. Je ne voulais plus faire de guitare, je désirais apprendre le violon. Il était impossible vu mon âge –18 ans– d’intégrer le conservatoire, alors on m’a proposé la Cité de la Musique. Les inscriptions se faisaient par ordre d’arrivée –premier arrivé, premier servi– et il n’y avait plus de place en violon. J’ai décidé d’apprendre n’importe quel instrument à partir du moment où j’avais le feeling avec l’enseignant. Apres quelques échanges, mon choix s’est porté sur la guitare jazz avec Christian Bon.
Après quelques années, j’ai intégré la classe de jazz du Conservatoire de Marseille (initiée par Guy Longnon) où j’ai pris en plus des cours d’harmonie et de contrepoint classique. C’est à ce moment que j’ai décidé de consacrer ma vie à la musique. Donnant quelques cours et ayant du mal à boucler les fins de mois, on m’a proposé de rentrer dans la Musique des équipages de la Flotte de Toulon de la Marine Nationale. J’habitais désormais Toulon, et j’ai appris l’arrivée du guitariste Philippe Petit au Conservatoire de Nice, et je me suis empressé d’intégrer ses cours. Après quelques années, j’ai fini le Diplôme d’Etudes Musicales (DEM jazz) au Conservatoire de Toulon en suivant les cours de Nicolas Folmer (tp). Passionné par l’écriture et l’arrangement, je me suis perfectionné dans la classe de Pierre Bertrand au conservatoire Nadia et Lili Boulanger de Paris durant deux années intenses. Après ça, je suis rentré au Cefedem d’Aubagne afin d’obtenir un Diplôme d’Etat de professeur de musique de jazz (DE). Je suis aujourd’hui enseignant au conservatoire de Toulon; j’y donne des cours de guitare, de pratique collective, d’harmonie, d’arrangement et de musique assistée par ordinateur (MAO) dans le département Jazz.
Comment en êtes-vous arrivé à l'écriture d'arrangement en big band?
Je joue de la guitare et j’ai toujours était passionné par l’harmonie, l’interaction entre les accords, la manière dont chaque artiste va s’en servir, l’art de les enchaîner et de faire voyager l’oreille de l’auditeur. Je me suis intéressé à l’écriture dès que je suis rentré dans la musique de la Marine Nationale, d’une part parce qu’en plus d’être recruté comme guitariste j’ai été clairon durant 10 ans. Le fait de découvrir un instrument à vent m’a apporté la notion de respiration qui ne m’était pas naturelle en tant que guitariste. D’autre part, cela m’a permis de m’intéresser aux instruments transpositeurs, et d’avoir la chance d’être constamment entouré de bons musiciens lecteurs. Je posais sans cesse des questions sur les problématiques des divers instruments aux intéressés et je pouvais écrire et faire jouer un arrangement sans contraintes techniques, logistiques ou autres. Pour le big band, la première rencontre fut le saxophoniste-arrangeur Marc Fontana qui me donna des cours et de précieux conseils dans l’écriture; il était fan de la musique de Neal Hefti, Sammy Nestico… J’ai suivi ensuite les cours de Nicolas Folmer, cofondateur avec Pierre Bertrand du Paris Jazz Big band qui m’a ouvert à une écriture plus moderne: Duke Ellington, Thad Jones, Oliver Nelson… Ensuite, la rencontre décisive a été celle de Pierre Bertrand, son approche et la transmission des cours d’arrangement ont été très bénéfiques. Nous avons étudié Bob Brookmeyer, Gil Evans, Maria Schneider… mais aussi Bach, Ravel, Rodrigo… A travers cet enseignement, de multiples formations, de l’octet au big band, m’ont permis d’essayer mes arrangements et compositions.
Comment s’est passée la rencontre avec la musique de Django ?
Cette rencontre, je la dois à mon grand-père qui m’avait donné le 45 tours de «Nuages» en espérant que je puisse le lui jouer un jour. A cette époque, je n’étais pas attiré par le jazz, mais les années passant, je me suis intéressé à des guitaristes comme Joe Pass et à sa version de «Nuages», puis j’ai lu une interview de John Scofield racontant que s’il devait se retrouver sur une ile déserte, il emporterait le dernier disque de Django. Tous ces éléments mis bout à bout m’ont ramené à Django, et, avec un peu plus de maturité musicale, j’ai pu prendre conscience de son génie. Ce qui m’interpelle le plus à l’écoute de Django est sa modernité et le fait qu’il soit unique.
Lequel de vous deux est à l'origine de ce projet?
L’idée originale vient de Loïs; il connaissait déjà mon big band et l’originalité de son répertoire, et il m’a contacté afin d’expliquer le projet.
Depuis quand existe-t-il?
Depuis 2015. Nous avons participé au Festival des Vents de Morières-les-Avignon, au Festival de Big Band de Pertuis, à Jazz à St-Rémy-de-Provence, nous avons joué au Théâtre Silvain de Marseille… D’autres concerts sont prévus pour 2016, le 1er juillet à Marseille; le 22 juillet à la Seyne sur Mer; le 4 août à Villes-sur-Auzon…
Un projet en big band autour de la musique de Django Reinhardt est-il une raison de vivre pour un big band?
N’importe quel projet est une raison de vivre à partir du moment où il est fait avec sincérité et originalité.
Autrement dit, ce projet et ce Django Revisited Big Band ont-ils une durabilité?
Nous allons tout faire pour que ce projet dure aussi longtemps que possible; les énergies et idées ne manquent pas.
La musique de Django est-elle suffisamment riche pour un projet durable?
Le répertoire de Django est colossal! L’intérêt n’est pas de tout reprendre mais d’apporter un nouvel éclairage à son œuvre. Il est certain que notre approche ne peut laisser indifférente car la musique de Django a ses puristes et, parmi eux, certains n’accepteront pas de toucher aux versions originales. Mais la base de ce projet est de revisiter Django, nous avons un profond respect pour son travail et prenons le droit d’y donner notre couleur. Cet apport personnel fait réagir, et c’est tout l’intérêt. Je pense que les arrangements parlent autant à l’initié qu’au néophyte. On a pu le constater lors des réactions après concert, il y a ceux qui nous disent: «Vous avez osé!!», et d’autres: «Je n’aurai jamais imaginé ce morceau comme ça!», ou: «Il fallait le trouver le thème!», ou tout simplement: «J’ai aimé ceci, je n’ai pas aimé cela…» Mais, au delà du plaisir d’écouter, à quoi servirait la musique si elle ne faisait pas réagir? En tout cas, j’ai accepté ce projet avec Loïs pour l’unique raison de pouvoir apporter une vision originale, personnelle.
Quand sort le disque?
En juin 2016. C’est notre premier disque en live, et c’est d’ailleurs l’enregistrement de notre concert au festival de big band de Pertuis en 2015.
Le concert de Pertuis s'était bien passé…
J’avais déjà pu jouer dans ce fabuleux festival en 2011 avec mon big band, et j’avais été ravi de ce moment. D’une part pour la qualité de la sonorisation: Bruno Minisini et Patrice Clément font un travail remarquable. Sonoriser un big band est une spécificité qu’ils maîtrisent à merveille, c’est rare d’être aussi à l’aise sur une scène. D’autre part pour l’équipe du festival: Léandre Grau et les bénévoles qui l’entourent savent recevoir les artistes. La préparation en amont et l’accueil le jour du concert sont importants. Nous n’avons qu’à nous concentrer sur la musique. Cela m’a encouragé à enregistrer la soirée. Le public était au rendez-vous. Après réécoute des bandes, l’orchestre a bien joué d’où l’envie d’en faire un disque.
Pourquoi la musique de Django en big band?
C’est le format dans lequel voulait travailler Lois. Il est vrai que la musique de Django est tellement universelle que d’autres orchestrations sont envisageables. Mais, j’ai la chance d’avoir des musiciens polyvalents qui peuvent m’apporter d’autres sonorités. C’est pourquoi, notre répertoire est large; certains morceaux restent dans la tradition instrumentale, d’autres vont mettre en avant des flûtes et clarinettes, d’autres les percussions, et d’autres les claviers avec la basse électrique. Toutes ces possibilités sont exploitées afin de faire voyager l’auditeur et lui proposer différentes palettes sonores du même orchestre. Le but n’est pas non plus de «faire jouer tout le monde pour faire jouer tout le monde», mais de créer une dynamique qui nous convient. Notre arrangement de «Minor Swing» représente bien cette vision: le thème est traité de manière personnelle, les solos suivent avec l’orchestre rentrant peu à peu, pour arriver à un tutti, qui se poursuit par un duo guitare-piano avec les pupitres se mêlant tout doucement aux solos, l’harmonie devenant de plus en plus tendue, pour finir par un exposé de thème puissant. On a des moments avec deux musiciens et d’autres avec dix-neuf. La version de «Nuages» est tout à fait personnelle, elle peut déstabiliser le public, mais nous assumons ce choix de transmettre la musique de Django. Car rien n’est plus important que de faire vivre ce répertoire et de se l’approprier. Je ne pense pas que Django aurait aimé que sa musique finisse dans un musée, inchangée telle qu’au premier jour, lui qui avait ce souci de ne jamais vouloir se répéter. Pour finir, quelle plus belle manière de faire voyager l’auditoire qu’au dessus des « Nuages »!
Connaissiez-vous des projets analogues, anciens ou récents? Vous ont-ils inspirés?
Je connaissais l’enregistrement de Bireli Lagrene avec le WDR Big Band que j’aime beaucoup, et j’ai pu redécouvrir les enregistrements de Django avec big band. Je sais qu’il en existe d’autres, mais je n’ai pas voulu m’en rapprocher afin d’avoir plus de fraîcheur dans l’écriture des arrangements, et ne pas m’autocensurer en fonction des innombrables versions orchestrées existantes. Lors de nos entrevues avec Lois, nous nous sommes beaucoup interrogés sur l’interaction guitare-orchestre afin de ne pas tomber dans l’ornière soliste+orchestre où l’on peut clairement séparer l’intervention du soliste des parties orchestrales. Je voulais de la fluidité entre les différentes interventions, que le soliste sache gérer ses chorus puis son accompagnement, que lors des exposés de thèmes, on puisse distinguer la mélodie originale des réponses, laisser de la liberté à la rythmique pour s’exprimer malgré la partition, etc. En somme avoir plus une vision d’unité de projet que d’inviter un soliste dans mon big band.
En quoi la musique de Django est-elle susceptible d'intéresser des musiciens de la génération actuelle?
Avant tout parce qu’elle est devenue une musique de patrimoine. Tout le monde connaît le nom «Django»; on trouve des places, des écoles, des bibliothèques qui portent son nom, mais combien connaissent son œuvre musicale? Un peu comme Jimi Hendrix. Et aussi parce qu’en tant que guitariste, il me semble capital pour tout apprenti de s’intéresser à l’un comme à l’autre; connaître quelques morceaux, se pencher sur leur technique instrumentale, leur vision du son à leur l’époque, découvrir leur vie, leurs collaborations, etc., afin d’entrevoir l’importance de leur apport à la musique du XXe siècle. Django est un guitariste qui a vécu le changement du jeu acoustique au jeu électrique, on peut se rendre compte comment il gère le sustain de sa guitare électrique, comment il adapte son jeu et les nouvelles idées qu’il peut y développer. La génération actuelle naturellement baignée dans l’électricité, dès son plus jeune âge, doit s’interroger sur ce cataclysme sonore vécu à l’époque. Elle pourra mieux comprendre le choix de certains artistes d’intégrer des guitares électriques dans leurs projets quelques années plus tard (Bitches Brew, Miles Davis). Django était avant tout un compositeur de génie, ses mélodies étaient claires et limpides, savamment dosées. La simplicité déconcertante et la redoutable efficacité de «Daphné» en est le parfait exemple. Facile à retenir, rapidement jouable. Elle se classe au même rang que le «C Jam Blues» d’Ellington pour la mélodie. Qui aujourd’hui de la génération actuelle oserait composer un thème avec aussi peu de notes? L’harmonie tonale majeure de «Daphné» n'est pas sans rappeler l’harmonie modale mineure de «So What » de Miles Davis. Sans faire de parallèle, on a la même structure et les mêmes arrivées… Encore fallait-il oser créer ses changements harmoniques pour l’époque et ne pas tomber dans les cadences du pont des rythme changes!!
En quoi appartient-elle selon vous à l'univers du jazz?
Culturellement, Django est notre premier musicien de jazz en Europe. Certes, il n’était pas le seul, mais ce qui le différencie des autres est qu’il s’est approprié le langage des Américains en mettant sa touche personnelle; il ne s’est pas contenté de les copier. A mon sens, il garde la plupart du temps la forme des morceaux dans le nombre de mesures, la structure, mais ses mélodies sont différentes. Elles chantent, comme les standards de Broadway, mais pas de la même manière. Le choix des notes est beaucoup plus emprunté à la culture classique européenne qu’au folklore outre-atlantique. On retrouve cette approche dans ses solos ou dans les introductions de certains morceaux. Je pense que la fascination des musiciens américains de jazz pour Django vient en partie de cette possibilité de pouvoir raconter une autre histoire que la leur sur ces suites harmoniques qui leur appartenaient tout en conservant ce swing commun. Mais, le plus important, est la spiritualité qui se dégage de la musique de Django; ce n’est pas pour rien qu’Ellington l’a fait venir aux Etats-Unis afin de partager son message. Le destin en a décidé autrement pour cette expérience américaine… Le big band a-t-il une composition stable?
Tous les musiciens sont issus de mon big band, le Romain Thivolle Big Band, qui existe depuis 2009 et installés géographiquement dans l’aire méditerranéenne. Nous avons enregistré deux albums First Time en 2010 et Kind of Pop en 2013. Nous nous sommes produits, entre autres, en festival: Jazz à Juan en 2012 et 2013, Usadba Jazz Festival de Moscou, Festival de Big Band de Pertuis (2015), Festival de l’Anche, etc.
Faire vivre un big band est-il une envie?
Non.
Avez-vous des aides ?
Nous ne disposons d’aucune aide. Au début du projet «Django revisited», Bleu Ciel Productions à Marseille nous a diffusés pour les concerts. A ce jour, le projet fait toujours partie de son catalogue. Nous recherchons un Label.
Quelles sont vos inspirations principales pour l'arrangement d'orchestre dans le jazz?
J’ai une grande admiration pour Duke Ellington. Il n’y a pas un seul morceau qui soit moins bien qu’un autre. Il a l’art de pouvoir se réinventer. L’album Masterpieces en est la preuve. Il a posé les bases du jazz, on oublie souvent qu’il en né en 1899… J’aime beaucoup l’écriture de Thad Jones, sa manière de faire sonner l’orchestre, les accords serrés aux cuivres, la qualité des spéciaux des saxs et la place laissée à la rythmique. Idem pour Oliver Nelson qui a tout cet héritage gospel-negro spiritual. Il savait s’entourer de musiciens à forte personnalité, leur laisser de grandes plages d’improvisation tout en leur demandant de rejoindre le pupitre pour les parties orchestrées. C’est un artiste sous-estimé à mon sens. A ce jour, ma préférée reste Maria Schneider. Je suis fan de son écriture. Elle synthétise tout ce que j’aime dans l’arrangement. Les couleurs utilisées, l’orchestration choisie, les voicings d’accords, l’utilisation de la guitare; rares sont les arrangeurs qui arrivent à gérer la guitare dans un orchestre –je suis sensible à cette approche en tant que guitariste–, il faut désormais admettre que la guitare peut jouer des lignes mélodiques incluses aux sections en plus des suites d’accords habituelles. Au delà de tous ces aspects techniques, Maria dépasse les codes du jazz, elle n’a pas de limites, aucune censure, et c’est ce qui me plaît.
Quels musiciens en particulier vous inspirent?
Beaucoup de guitaristes m’ont inspiré. En synthétisant, j’ai un faible pour Joe Pass qui est un orchestre à lui tout seul; bien sûr Virtuoso mais surtout les duos avec Ella. J’avoue être très inspiré par Pat Metheny (ses albums en trio, et ceux du Group). Mais le musicien qui m’a le plus inspiré depuis le début est Miles Davis. Outre son indéniable apport à cette musique en tant que trompettiste et compositeur, il m’a fait prendre conscience d’être musicien avant tout. Il savait tirer le meilleur des musiciens qui l’entouraient, les amener dans sa musique tout en les laissant s’exprimer librement. il disait: «Un groupe, c’est comme une paire de chaussures, peut importe le style, l’important c’est qu’elle t’aille.» Il a su traverser les décennies et s’adapter. Curieux, il avait également l’art de la mise en scène des morceaux en tant qu’arrangeur. Je suis toujours étonné par ses scénarios («Round Midnight», «Oleo»). Même en quintet, il arrivait à mettre en avant chaque musicien et se refusait à faire jouer tout le monde simultanément si ce n’était pas nécessaire. Rien n’était inutile avec Miles. Je ne comprends pas pourquoi les petites formations d’aujourd’hui ne tirent pas plus d’enseignement de cet apport «chorégraphique» de sa musique.
Quel sens donnez-vous au mot jazz?
En tant qu’enseignant au Conservatoire de Toulon, beaucoup d’élèves intègrent le département «Jazz» dans le but d’apprendre à improviser. Cette recherche de la liberté d’expression musicale demande un apprentissage rigoureux. Mais il ne faut surtout pas tomber dans cette surenchère de termes techniques où la théorie dépasse la pratique et surtout l’oreille. Le jazz est une musique de tradition orale, elle doit le rester, mais elle doit également se servir de la notation musicale. Le rapport au papier n’est pas un crime à partir du moment où il sert les attentes du musicien. J’aime bien assimiler l’initiation à cette musique par ces trois mots qui sont écrits dans un ordre bien précis: «Imitation-Imprégnation-Invention». Le musicien doit écouter du jazz mais surtout relever ses artistes préférés, analyser ces relevés, les rejouer, s’approprier le jeu, etc. Dans cette démarche, en variant les styles de musique, le musicien pourra inventer, innover, créer son chant intérieur. Toute cette démarche afin de pouvoir dispenser un langage personnel dans le but de nous élever vers une approche spirituelle. On ne peut pas rester indifférent au discours de John Coltrane, Pharoah Sanders ou encore Albert Ayler –pour ne citer que des saxophonistes. Cet ancrage avec leurs racines et cette volonté de s’élever vers un au-delà me fascine toujours. On pourrait penser que la liberté d’improvisation peut favoriser cette spiritualité mais je retrouve cet aspect dans la musique écrite de Duke Ellington, ou Mozart, Ravel…
Quel est l'ancrage du jazz dans notre société du jour et comment percevez-vous le public qui vient à votre rencontre?
Le jazz était à l’origine une musique populaire, on dansait dessus. Les rythmes syncopés et temps rapides encourageaient les danseurs à faire fonctionner le bar. L’évolution sociale et musicale a amené le jazz à devenir une musique faite par des jazzmen pour des jazzmen. De manière très synthétique, le gros avantage de la musique de jazz est qu’elle se crée dans l’instant, et que les jazzmen peuvent proposer un concert rapidement sans grands moyens. Cette adaptabilité et le partage de l’instant musical amènent le public à vivre une expérience unique. Je pense que c’est une des raisons pour laquelle la musique de jazz a moins subi la crise du téléchargement que d’autres styles. Je reste persuadé que l’étiquette donné à un style de Jazz (bebop, hard bop, free, jungle…) ne joue pas sur le public qui vient au concert. Je me suis retrouvé dans des situations où l’organisation du concert nous faisait part que le public habituel aimait tel ou tel style de jazz qui ne correspondait pas à celui que je proposais. Cependant, le public ne restait pas indifférent au répertoire proposé. Nous avons le devoir d’ouvrir le public à la découverte. A partir du moment où la musique est réalisée avec passion et sincérité, tout est possible. Je suis souvent plus sensible aux retours d’un public non musicien et, si possible, écoutant peu ou pas de jazz. Les remarques sont toujours très constructives, assez inattendues mais tellement réelles.
Quelle est la place du disque dans votre pratique musicale?
Je suis de la génération cassette et CD, où on achetait les disques. Les revues et critiques nous guidaient dans nos choix. On attendait la sortie, et on se déplaçait en magasin pour obtenir le précieux sésame tant attendu. J’allais en bibliothèque pour obtenir les enregistrements que je ne pouvais m’offrir en les copiant sur cassette. J’ai retrouvé de nombreuses cassettes avec des blancs: je me souviens que je relevais les morceaux; j’avais la touche pause à coté de la touche record sur ma chaîne, et dans la précipitation du geste, j’appuyais parfois par erreur sur la touche d’effacement… Je ne conçois pas l’écoute de musique sans support, sans notes de livret et sans personnel à lire. Depuis quelques années, j’ai une platine vinyle, et je suis ravi de redécouvrir la musique avec ce support. Il y a tout un investissement physique et moral lorsqu’on s’apprête à écouter un album avec ce support. Tout d’abord l’objet lui même, et la proximité qu’il demande, retourner le disque après vingt minutes d’écoute. Ce sont des choses simples qu’on oublie mais qui nous rappelle que lorsqu’on écoute de la musique, on ne fait pas autre chose; tout comme lorsqu’on regarde un film, on ne sort pas de la pièce pour faire autre chose. Il ne faut pas oublier que le vinyle était le support audio utilisé par les jazzmen, et qu’ils percevaient leur musique par ce biais là. Il est également important de suivre l’actualité des artistes par le biais des revues, et de lire des livres sur nos musiciens préférés. Ils nous donnent les détails importants que le support audio ne peut apporter: les phénomènes socio-culturels, les aléas de la vie et autres, qui ont fortement contribué aux choix de certains musiciens de changer leur manière d’aborder la musique et de la faire évoluer.
Quel est le statut du disque de jazz? Objet artistique? Outil de travail? Outil de promotion?
J’assimile le disque à une photo, le disque représente un arrêt sur image. Une conception à un instant T, qui, avec le temps, vieillit plus ou moins bien. Un bon mixage permettra de mettre en avant tel ou tel musicien, comme la lumière d’une photo avec un personnage. Une photo est constituée de plusieurs plans (1er plan, 2e plan, décor…) comme un disque est composé de plusieurs morceaux avec plus ou moins d’importance, mais tous nécessaires à la constitution de l’album. Je suis très attaché à l’objet, à la volonté d’obtenir les albums d’origine plutôt qu’une énième compilation, c’est important de lire les notes qui apportent des éléments capitaux sur les conditions d’enregistrement, etc. Je ne comprends pas qu’on puisse acheter de la musique de manière dématérialisée, acheter un seul morceau d’un album. Lorsqu’on achète un livre, est-ce qu’on achète seulement une partie? Comment comprendre l’histoire si je ne lis que la conclusion? Certes, il faut vivre avec son temps, j’ai confiance dans le public qui continue d’acheter des disques, surtout à l’issue des concerts. Le retour du vinyle en est la parfaite illustration. *
1. Django Revisited Big Band: Romain Thivolle (dir, arr), Loïs Coeurdeuil (lead g), Thierry Amiot (lead tp), Gabriel Charrier (tp), Jose Caparros (tp), Fabrice Lecomte (tp), Romain Morello (lead tb), Michael Steinman (tb), Igor Nasonov (tb), Jean-Philippe Langlois (btb), Gérard Murphy (as, ss, cl), Julian Broudin (as), Jean-François Roux (ts), Pascal Aignan (ts, ss), Yannick Destree (bar, fl), Florent Py (fl), Franck Pantin (p, clav), Serge Arese (b, elecb), Philippe Jardin (dm), Sébastien Lhermitte (perc). Gérard Murphy (as, cl), après une formation classique dans sa native Irlande, poursuit sa passion pour le jazz en France au Conservatoire de Marseille dans la classe de Guy Longnon. C’est un acteur incontournable de la scène méditerranéenne. Romain Morello (tb) a découvert le trombone à travers le jazz. Au Conservatoire de Marseille dans la classe de Philippe Renault, il obtient son prix à l’unanimité en 2011. Thierry Amiot
(premier trompette), premier prix de conservatoire, premier prix du CNSM de Paris, lauréat de nombreux concours internationaux, soliste de l'Opéra de Lyon, professeur successivement aux Conservatoires de Lyon, Nice et Marseille. Philippe Jardin (dm) est entré au Conservatoire de Marseille à 14 ans en percussions classiques. En 1990, il obtient une Médaille d’Or dans la classe de Guy Longnon et devient à 21 ans le plus jeune médaillé de l’histoire de la classe de jazz. Il a joué entre autres avec Sandy Patton, Daniel Huck, Hervé Meschinet, Lou Marini, Didier Lockwood, David Linx… 2. Loïs Coeurdeuil (lead g), est né elle 15 juillet 1977, à Aubagne. Il débute l’étude de la guitare à l’âge de 16 ans, et poursuit son apprentissage en intégrant l’IMFP à Salon de Provence et le CIAM à Bordeaux. Sa découverte de la musique de Django Reinhardt oriente définitivement sa passion et son style. Ses rencontres avec de nombreux musiciens de la tradition de Django enrichissent son jeu déjà maîtrisé, et parmi eux Moreno Winterstein et Angelo Debarre. Influencé par Biréli Lagrène, George Benson et Wes Montgomery, il développe un univers musical original. Il crée le groupe César Swing en 1998. Sa rencontre et collaboration de trois ans avec Chico des Gipsy Kings va lui permettre de connaître les grandes scènes à travers la France. Il perfectionne son style et s’impose naturellement comme un guitariste soliste accompli. Il partage la scène avec les plus grands noms du jazz de la tradition de Django ou de la guitare: Stochelo Rosenberg (https://www.youtube.com/watch?v=4QdeXzhxLyo), Florin Niculescu, Sylvain Luc, Angelo Debarre lors de nombreux festivals. En 2007, il enregistre l’album Impromptu proposant un répertoire de standards de Django issus de la période 1950-52 et des compositions originales du groupe avec le saxophoniste Jérome Leroy. Dans l’album Clockwise, enregistré en 2010, il offre une formule plus actuelle ainsi que des titres de Django rarement repris en quartet, des compositions de George Benson. 2012 est l’année de la création d'un nouveau projet: «Quand Django rencontre Sinatra», en trio avec le guitariste-chanteur Sébastien Torregrosa. Ils font plus de 200 concerts. En 2013, il rencontre la chanteuse Sonia Winterstein, et de leur complicité musicale né le Sonia Winterstein Quartet dont il écrit les arrangements. Il intègre également le quartet de la Harpiste Christine Lutz. En 2014, il concrétise son envie de jouer la musique de Django en big band, en faisant appel au big band de Romain Thivolle qui propose sa réécriture pour big band des œuvres de Django Reinhardt. Il est naturellement le soliste du Django Revisited Big Band. En 2015 Il retrouve Thomas Krestzschmar (vln) et réactualise le nouveau Cesar Swing Quartet avec Rémy Grégoraci (rhythm g) et Sam Favreau (b) (https://www.youtube.com/watch?v=_VkT78aoQKA).
3. Romain Thivolle (dir, arr, g), leader, compositeur et arrangeur du Romain Thivolle Big Band, a été finaliste du concours international «Jazz à Juan Révélations 2012» avec son Romain Thivolle Big Band. Il a également été finaliste du concours international de composition et d’arrangement «Scrivere in Jazz 2010» (Italie) avec sa composition «Harlem Speaks». Il est leader de la formation Ad’hOctet, octet jazz, guitariste, arrangeur et directeur artistique du big band de la Musique des Equipages de la Flotte de Toulon (Marine Nationale) pendant 15 ans. Il a participé aux festivals Jazz à Toulon, Jazz à Juan, au programme «La Leçon de Jazz» avec Antoine Hervé autour de l'histoire des big bands (Count Basie, Duke Ellington et Gil Evans). Il est encore guitariste et arrangeur du big band de l'Opéra de Marseille: concerts en hommage à Claude Nougaro, concert La musique sacrée de Duke Ellington; Il a joué avec Didier Lockwood, David Linx, Claude Egéa, Marc Thomas... Il a participé à la comédie musicale de Stephen Sondheim, Follies, à l’Opéra de Toulon (DVD). Il a collaboré à divers festivals (Orcières, Briançon, Avigliana) avec Scott Hamilton, Enrico Rava, Gianni Basso, Sangoma Everett, Tony Russo, Ronald Baker, Steve Grossman, Laurent Cugny...
Il écrit des arrangements pour de nombreuses formations :
big band: CRR de Paris, Toulon, Pertuis, Gap, Domitia de Nîmes, MJO de Sanary, Aubagne Jazz Band, Sax Band la Londe, Sletto’s d’Alsace, Sion Swing de Suisse, Johannes Aspman de Suède, etc. Il participe au quintette de cuivres de l’Opéra de Toulon avec DJ Dawad: création pour le festival électro TLN-petits ensembles: album de la chanteuse Marie So (City of Lights), album du chanteur Sébastien Torregrosa (Modern Crooner), projet avec Benjamin Moussay et l'ensemble des classes de danse des CMA de Paris, projet avec Dave Liebman et Jean-Charles Richard, Classic Made in Jazz, pour le conservatoire de Bourg-en-Bresse, etc. Commande de l'Institut français des instruments à vent autour des musiques de Walt Disney pour big band et quintette à vent dans un but pédagogique proposée aux écoles primaires, joué au Brésil. Il joue régulièrement en duo avec un chanteur dans des lieux de l’aire toulonnaise.
CONTACTS Site: www.romainthivolle.com - email: romain.thivolle@gmail.com - Tel: 06 79 37 07 58 CONCERTS 1er juillet 2016-Château de La Moline à Marseille; 22 juillet2016-La Seyne-sur-Mer; 4 août 2016-Festival de Villes-sur-Auzon.
DISCOGRAPHIE Autoproductions du Romain Thivolle Big Band (www.romainthivolle.com) 2010. First Time
, RTBB 01 2013. Kind of Pop, RTBB 02
2016. Django Revisited-Live, RTBB 03 sortie juin 2016
VIDEOS
Théâtre Sylvain, Marseille 2015 https://www.youtube.com/watch?v=8ezzsxj82YE
Festival de Big Band de Pertuis 2015 https://www.youtube.com/watch?v=XfAksQwUxdI
Jazz à St-Rémy 2015 https://www.youtube.com/watch?v=g7yB5rufmtc
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