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© Jazz Hot 2016
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Ce que le djazz fait à ma djambe Théâtre Liberté, Toulon (83), 18 novembre 2016
Jacques Gamblin, acteur reconnu et
populaire (qu’on a vu dans des films de Claude Lelouch, Claude Chabrol,
Bertrand Tavernier, etc.), a monté, en collaboration avec Laurent de Wilde (p)
le spectacle Ce que le djazz fait à ma djambe, lequel lui donne la possibilité
d’être musicien sans jouer véritablement d’un instrument. De fait, il prouve
plusieurs fois qu’il est musicien, avec un solo de cuillers, à la batterie, et
en se frappant les joues et le crâne; la tête comme instrument de percussion.
Répartis sur toute la largeur de la grande scène, chacun
des musiciens, à tour de rôle, vient se placer dans un cône de lumière:
Alex Tassel (flh), Guillaume Naturel (ts), Bruno Schorp (b), Donald Kontomanou
(dm) et Laurent de Wilde, compositeur, arrangeur et directeur musical de la
pièce, Le sextet s’exprime dans un style plutôt hard bop, et c’est peu dire que
ses interventions sont un régal. DJ Alea ajoute quelques effets pour la mise en
scène, autrement il se sert de ses platines comme de percussions; il fait
ainsi une belle intervention en duo avec le batteur.
Gamblin est un fou de jazz. Il nous dit: «J’ai pu,
avec mon instrument à moi que sont les mots, écrire une histoire d’accords et
de rendez-vous, pour vous dire ce que la musique me fait, nous fait en général
et ce que le jazz en particulier fait à ma djambe et ce que ma djambe me fait,
puis par résonance, à ma hanche, à mes tripes et ainsi de suite en passant par
le cœur jusqu’à la tête et non l’inverse». Pari magistralement gagné. Pour
les mots, il a puisé dans des textes de Herbie Hancock, Laurent de Wilde, Mezz
Mezzrow, Langston Hughes, et a écrit ses propres textes qu’il dit en parler
rythmé, en slam, ou tout simplement sur le ton de la narration ordinaire avec
une diction parfaite, jouant des hésitations, buttant sur les mots, les
enfilant à toute vitesse, dans un flux incessant, à la manière d’un solo de
jazzman. Avec aisance, il occupe la scène.
Le spectacle se déroule en plusieurs actes, pourrait-on
dire. Après l'intro par le sextet, Gamblin vient nous raconter, avec un humour
décapant, ses tribulations et ses échecs pour apprendre à jouer d’un
instrument, allant jusqu’à tenir la contrebasse comme une guitare. Acte
suivant, c’est la recherche de la femme: rencontres, invitations ratées, espoirs,
tout y passe. A noter deux scènes d’extases. Quand, dans son cône de lumière,
Gamblin danse au ralenti, comme suspendu dans l’espace, allant jusqu’à planer
parallèlement au-dessus du sol, seulement soutenu sur ses mains; un grand
moment de beauté pure, du temps suspendu. Puis quand debout sur une chaise, là
encore au ralenti, il s’envole tel un grand oiseau.
Entre chaque scène dans laquelle Gamblin évolue,
l’orchestre ponctue par une intervention solo. Racines new-orleans, blues, bop,
funk, hard bop, tout y est, pour un jazz qui fait bouger la jambe, car qui n’a
pas remué au moins son pied à la vibration du jazz. Assis face au public,
Gamblin va agiter sa jambe droite, de la cuisse à la pointe des pieds, sur un
tempo rapide de l’orchestre, puis la gauche au même rythme, allant ensuite
jusqu’à les faire sautiller en contretemps. Mais les jambes s’emparent de lui
et le voilà qui se lève sur ses deux jambes frénétiques pour parcourir toute la
scène en tournoyant sur lui-même, noyé dans la musique. Du délire! Prouesses
physique, linguistique, musicale, en une osmose parfaite des sept
protagonistes, qui reflètent un plaisir palpable d’être là et de jouer
ensemble. Un vrai spectacle jazz, concocté et joué par des gens qui savent ce
que c’est, et qui en sont passionnés. Le tout devant une salle archi-comble.
Texte et photos: Serge Baudot © Jazz Hot n°677, automne 2016
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JazzEñe Valencia (Espagne), 29-30 septembre et 1er octobre 2016
JazzEñe est une manifestation
organisée par la Sgae (équivalent espagnol de la Sacem) pour
promouvoir les artistes qu’elle gère, essentiellement espagnols
mais aussi latino-américains parmi lesquels beaucoup de Cubains. Une
sélection est faite et les jazzmen retenus sont présentés à
Valence à une bonne douzaine de directeurs de festivals européens
(dont les français de l’Ajmi, Festivals des 5 Continents, Nuits du
Sud) à travers une série de concerts. Nous avons assisté aux
prestations de Sinouj (qui nous a semblé hors du domaine du jazz),
de Marta Sánchez, jeune pianiste madrilène installée à New York.
Son quintet comptait dans ses rangs les Cubains Román Filiú (as) et
Ariel Bringuez (ts). Musique de grande qualité mais rigide et d’où,
à l’exception d’un thème, le swing était absent. On attendait
avec envie le saxophoniste valencien Perico Sambeat et son trio (dm
et g). Le projet Noesis Trio, un thème quasiment ininterrompu de
près d’une heure, avec beaucoup d’électronique et de longues
séquences à l’ewi, verse dans la musique improvisée. Lorsque
Perico abandonne le jeu au pied (moult pédales!) pour souffler dans
son alto on retrouve le grand saxophoniste au son magnifique, entendu
dans de nombreux concerts et plus de vingt disques depuis des
années. Pour clore la nuit, venus de La Havane, Ernán López
Nussa (p) avec Maikel González (tp), Jorge Reyes (b) et Enrique Plá
(dm) ont nettement fait monter la chaleur. Un répertoire éclectique
débutant avec une rumba que Ernán, a écrite il y a une bonne
vingtaine d’années et se poursuivant avec des extraits de
Sacrilegio, des compositions d’auteurs classiques y sont revisitées
et jazzifiés à souhait. Le pianiste offre aussi des thèmes inédits
puisés dans un projet où se mêlent musique cubaine et rythmes de
New Orleans cherchant à retrouver le va et vient entre les deux
musiques au début de l’ère du jazz. Une mention spéciale au
jeune Maikel et à sa trompette. Très beau concert que le public
local qui n’a pas pu écouter le pianiste in vivo depuis une
vingtaine d’années a dû apprécier. D’autres formations
intéressantes étaient programmées les deux jours suivants parmi
lesquelles celles de Ramón Díaz, Joan Monné, deux catalans; de
Luis Verde dont le quintet est formé de Cubains de Madrid… On
cherchera prochainement à écouter Ernesto Aurignac dont les yeux
sont tournés vers Parker et Ornette et à réécouter le saxophone
de Javier Vercher qui propose son Agricultural Wisdom Project! Il
restera à voir si les directeurs invités programmeront ces jazzmen…
pour voir s’il s’agissait plus qu’un voyage d’agrément!
Texte et photo: Patrick Dalmace © Jazz Hot n°677, automne 2016
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Paris en clubs Octobre 2016
A l’initiative de l’association
Spirit of Jazz, Ricky Ford (ts) offrait avec Ronnie
Lynn Patterson (p), Darryl Hall (b) et John Betsch (dm), le 7
octobre au Sunside, un concert de haut vol, interprété
dans un tout autre esprit que celui donné avec «African Connection»
lors du festival de Toucy (voir notre compte-rendu). Avant le set,
Ricky nous confiait que cette nouvelle formation qu’il qualifiera
de blues band à l’entame du concert, traduisait sa fascination
pour la façon dont cette musique conquit en son temps les grandes
métropoles d’Amérique du Nord. Ricky saisit en outre ainsi
l’opportunité de rejouer avec un pianiste, ce qu’il n’avait
guère fait ces dernières années. Répartis sur trois sets
distincts, beaucoup de titres interprétés ce soir sont des
compositions qui rendent directement hommage à de grands musiciens,
comme celles proposées sur son opus Green Note. Dès l’abord,
la sonorité ample du leader frappe les esprits. Alors qu’on
pourrait le rapprocher de Dexter Gordon en ce qui concerne le timbre,
sa puissance de jeu ainsi que quelques phrasés free très personnels
lui confèrent un tempérament aussi léonin que celui de Sonny
Rollins. Patterson joue, quant à lui, dans un style très fluide et
délié, chose assez étonnante quand on sait qu’il met les mains à
plat sur le clavier comme Thelonious Monk. Darryl Hall, de son côté,
est certainement l’un des contrebassistes actuels les plus
polyvalents. Sa sonorité ronde et ses glissandos acrobatiques font
le show, avec des accents virtuoses souvent assumés en binôme avec
Ford. « A Maidens’ Voyage» séduit immédiatement le public
présent par son énergie. Par deux fois, Ford demandera au groupe de
reprendre un morceau à son début, insatisfait du tempo, un
perfectionnisme qui ne l’empêchera pas le moment venu de
rechercher en toute simplicité le balai tombé à terre du batteur.
John Betsch joue au fond du temps, et son drumming gagne en pouvoir
de ponctuation ce qu’il sacrifie en drive. Ce faisant, il crée des
espaces vacants qu’il s’amuse à combler lui-même avec des
frappes puissantes et un effet retard assumé en correspondance
subtile avec la palette du pianiste. Patterson chantonne ses chorus
avec une justesse confondante et amène un classicisme de belle
facture à la cohésion hors pair du quartet. Un titre inspiré par
le célèbre speach de Martin Luther King ««How long not
long», un hommage façon film noir à Ran Blake sur «Love Lament»,
popularisé par Abbey Lincoln, et force est de se rendre compte que
le groupe rompt avec le passage de témoin successif que constitue
l’articulation des solos en combinant entre eux des passages
musicaux conçus sans l’intervention du saxophoniste, ce qui donne
à Ricky Ford le temps de récupérer de ses longs chorus échevelés.
Un moment dédié à la figure de George Russell et à ses années
d’école buissonnière, puis c’est au tour de Lester Young d’être
célébré comme le styliste incomparable qu’il était. Première
surprise: la Canadienne, Jacelyn Holmes (voc), monte sur scène, pour
un «Summertime» dans une veine presque pop. Seconde surprise (et
meilleure), Ursuline Kairson (voc), originaire de Chicago, teinte
«You Don’t Know What Love Is» d’une nuance gospel, avec un
vibrato prononcé et une intégrité qui lui gagnent l’estime
instantanée de toutes les personnes présentes. « A Time for Love»,
dédié à Stan Getz qui venait écouter le saxophoniste lorsqu’il
en avait l’occasion à New York, est un sommet de sensibilité, et
constitue par ailleurs l’acmé d’un concert sans faute de goût
qui restera dans les toutes les mémoires. Un premier rappel avec
«Reggae Ford Seven», composé pour son groupe African Connection,
puis «Miles Train» viennent clore une très belle performance de la
part d’un des plus authentiques et des plus généreux colosses du
saxophone contemporain, qui confiait à Jazz Hot en 2014
(n°668): «Un bon musicien veut aider les autres, l’art nait de
cet acte». JPA
Entrer
dans le flot des idées jaillissantes du trompettiste Roy
Hargrove
(tp, flh) n’est jamais chose aisée. Cette première date à Paris,
le 10
octobre,
avec son quintet, après l’annulation du concert de mars dernier ne
fait pas exception à la règle. On disait l’artiste diminué par
des problèmes de santé, incertain quant à la poursuite de sa
carrière, et une certaine froideur marque, en effet, les premières
évolutions du quintet hard bop acoustique sur la scène du New
Morning.
Les morceaux sont enchaînés sans temps mort, ni présentation des
titres, et on sent la démarche un peu hésitante en dépit du
formidable métier des musiciens. La part d’improvisation qui
préside à l’élaboration d’une musique aussi aboutie est tout
simplement trop grande pour que l’émotion puisse s’emparer
instantanément du public. Les breaks et autres ruptures de rythme
sont légion, ce qui permet à Quincy Phillips (dm) de briller de
mille feux (il utilise même une cymbale hélicoïdale). Des
notes charnues, travaillées avec les pédales de l’instrument,
s’échappent du piano de Sullivan Fortner qui enrichit la rythmique
du combo de trilles et de chromatismes. La contrebasse d’Ameen
Saleem enracine le son du quintet en lui conférant une force
d’inertie indispensable en regard des polyrythmies développées
par Quincy Phillips. Eu
égard à l’ambiance assez laid-back développée en premier lieu
par la formation, un certain nombre de spectateurs regrettent
visiblement les gigs plus animés donnés jadis par le trompettiste.
À contrario, plus le concert se déroule, et plus on a un aperçu de
ce que peut être une musique vivante aujourd’hui. Le groove est
d’ailleurs bel et bien présent, mais de façon plus subtile, moins
immédiatement perceptible. Les phrasés sophistiqués développés
par le leader, positionné comme en retrait par rapport à ses
compagnons de scène, suggèrent qu’il est ici plus chef
d’orchestre et directeur musical que performer. Justin Robinson
(as) occupe dès lors tout l’espace laissé vacant par son leader,
multipliant les interventions virtuoses, dans une perspective
élégante, non exempte d’un certain maniérisme. Au détour d’un
titre, Hargrove fait songer à Miles Davis tant par la sobriété de
ses interventions que par la façon dont il veille à mettre en
valeur chacun des musiciens au cours du gig. Ses possibilités
techniques sont entièrement mises au service de la musique, dans un
melting-pot au sein duquel se préparent toutes sortes de décoctions
savantes. Progressivement, on s’aperçoit que des harmonies
insulaires sont intégrées à la trame musicale (Cuba, Barbade). Par
ailleurs, l’optique un peu cérébrale privilégiée ce soir ne
cache pas ce que le groupe doit à la Motown et au label Stax
(spécialement lorsque Roy Hargrove s’empare du bugle et que les
cuivres jouent à l’unisson). Earth Wind and Fire est même appelé
à la rescousse au travers d’une citation bien sentie, tandis que
Jerry Roll Morton renait de ses cendres à l’occasion d’une
improvisation dans l’esprit de la Nouvelle Orléans. Il s’agit
moins, en l’espèce, d’invoquer les mânes du jazz en
réinterprétant de vieux classiques que de les intégrer à une
maïeutique personnelle au sein des structures en perpétuelle
évolution jouées par le quintet. Les citations humoristiques,
d’ailleurs, font mouche, comme celle du thème de «L’Inspecteur
Gadget» (!) lors du second set, mais ce qui marque les esprits,
c’est l’aspect de plus en plus fluide de la musique, le fait que
les musiciens deviennent de plus en plus inspirés, de plus en plus
écoutables, à mesure que le combo déroule tout son répertoire.
Scindé en deux parties d’une heure vingt environ, l’ensemble de
la prestation semble finalement imprégnée d’une énergie hors
norme et on est soudain frappé par une émotion intense qui fait du
jeune public présent un véritable acteur du spectacle. Lorsque
qu’Hargrove poussera la chansonnette sur un titre de Nat King Cole
(«My
Personal Possession»), la confrontation entre le timbre
de voix un peu fragile de l’artiste et la conviction d’ensemble
qui anime le groupe nous fera toucher du doigt l’essentiel du
message de l’artiste. Le concert se termine et l’on n’oubliera
pas le visage de ce jeune homme bouleversé, fixant durant de longs
instants la scène désertée par les musiciens. JPA
Le 12 octobre, Lucy Dixon
(voc) était au Sunset pour présenter un show mêlant swing
et tap dance. Entourée de Vincent Somonelli (g) et des frères
Gastine (David, g, et Sébastien, b), qui lui apportent un soutien
dans l’esprit Django, la Britannique a déroulé un répertoire de
standards et de chansons de Broadway pour beaucoup issus de son
dernier disque, Lulu’s Back in Town (voir notre chronique
dans Jazz Hot n°674): «Exacltly Like You», «Fascinating
Rhythms», «Night & Day»… Pourvu d’une jolie voix et d’un
look «vintage», Lucy prend des solos au rythme des claquettes et
ponctue ses interventions de quelques pointes humoristiques (comme
lorsqu’elle explique comment elle se sert de sacs en plastique pour
imiter le son de la charley…). Il s’agit d’un vrai petit
spectacle, bien fait, avec de jolis moments comme ce duo
contrebasse-voix très réussi sur «Bye Bye Blackbird». Un moment
de charme et de légèreté. JP
Le 12 octobre encore, Mandy
Gaines (voc) faisait son retour au Caveau de La Huchette,
en compagnie d’un excellent trio: Cédric Chauveau (p), Nicola
Sabato (b) et Germain Cornet (dm). C’est toujours un plaisir de
retrouver la chanteuse de Cincinnati qui est certainement l’une des
plus grandes voix qu’il soit donné d’entendre de nos jours. Une
voix claire, naturellement puissante – rien n’est forcé – et
une expression originale qui lui permet de s’approprier les
standards: voire sa version (géniale) de «All of Me». Le plaisir
était d’autant plus grand que la rythmique était à la hauteur et
très à l’écoute de leur leader: Sabato – qui suit Mandy dans
ses tournées françaises depuis plusieurs années – apporte un
soutien solide, en bon disciple de Ray Brown; Chauveau – pour la
première fois aux côtés de l’Américaine mais vieux complice du
contrebassiste – est rompu à l’accompagnement des chanteuses
(notamment Rachel Ratsizafy rencontrée au sein du Jazzpel d’Esaïe
Cid); Cornet – également une première – démontre de concerts
en concerts ses qualités – inventivité, attitude positive… –
et une vraie maturité musicale (à seulement 25 ans, il est promis à
un bel avenir). Bref, un concert absolument épatant! JP
Issue
d’une famille de chef d’orchestre et de chef de chœur,
Marie-Laure Célisse (voc, fl) s’oriente vers le jazz
après le conservatoire en flûte
classique et les chorales, pour créer un répertoire exclusif en
français, comportant vieilles chansons françaises et standards de
jazz auxquels elle ajoute ses propres paroles. En trio ou en quartet,
comme ce 12 octobre à la Péniche Le Marcounet, les
arrangements de ses «Frenchy's», César Pastre (p) et Brahim Haiouani (b), mettent en
valeur la sensibilité de la vocaliste qui, de «Flying to the Moon»
à «La Javanaise», en passant par «Route 66», déroule toute une
palette d’émotions dans une ambiance jam session résolument
assumée. Le groupe joue régulièrement à
l’Osmoz Café (Paris 14e),
ne manquez pas d’aller les écouter. PM
Laure Donnat
(voc) que l’on sait capable de toutes les interprétations dans des
domaines musicaux très divers, nous présentait, le 13 octobre
au Sunset son dernier album, Afro Blue, accompagnée de
son fidèle quartet: Sébastien Germain (p), Lilian Bencini (b) et
Fred Pasqua (dm). En blanc et noir, les grands standards ont
été arrangés avec goût par Bencini. De «Afro Blue», comme
susurré au micro, à un «Summertime» au scat déterminé, en
passant par le profond et chaleureux «‘Round Midnight», tout le
concert nous promène dans l’univers très personnel de la
chanteuse. Les musiciens ont aussi la part belle, que ce soit lors du
duo contrebasse/voix sur «Strange Fruits», ou pour l’intro de
«Caravan» avec un solo de Pasqua, ou encore celui de Germain sur
«Old Devil Moon» en mode salsa. Une belle surprise nous attendait
pour le final avec «Alfonsina y el mar», un pur délice, à
emporter pour embellir nos rêveries. PM
Marquis Hill (tp) était pour la première
fois à Paris avec son quintet. Bien qu’il compte déjà dans sa
discographie cinq albums en leader, pleins de compositions
originales, le trompettiste, marqué par Freddie Hubbard et Woody
Shaw, nous présentait, le 14 octobre au Duc des Lombards, son
dernier album The Way We Play. Il y reprend des titres connus et
moins connus des musiciens qu’il aime, «Moon Rays» (Silver),
«Minority» (Gryce), «Maiden Voyage» (Hancock), «Beep Purple»
(Jones), «Fly Little Bird Fly» (Byrd). Il interprétait aussi deux
nouvelles compositions, «Vella», «Return of the Student».
Accompagné de Christopher McBride (as), Justin Thomas (vib), Joshua
Ramos (b), Makaya McCraven (dm), le Blacktet donne à ces titres un
souffle contemporain et frais, sans nostalgie. Ils sont jeunes,
viennent de Chicago, vivent aujourd’hui pour la plupart à New
York. Ils jouent depuis longtemps, et ça s’entend, ça swingue
dur. MP
Biréli Lagrène
(g) nous avait donné rendez-vous au New Morning, le 14 octobre, avec son
trio: Hono Winterstein (à la pompe, dans un style très épuré et
William Brunard, b) et en invité, Adrien Moignard (g). Djangologie
oblige, le premier set est résolument acoustique, avec de belles
intros de Biréli, et permet l’expression des sonorités si
particulières propres aux guitares de cette tradition. Un blues en
mineur calme le jeu et le set se termine sur «Hungaria», interprété
presque en mode country. Au deuxième set, Biréli change pour une
guitare électrique, et tout s’accélère pour le plus grand
plaisir du public qui ponctue chaque démonstration, chaque chase
avec Adrien Moignard, de cris d’encouragement. Biréli aime ajouter
dans ses solos inventifs des citations, celle de Jimi Hendrix faisant
tout particulièrement sensation. Les chorus d’Adrien Moignard
trouvent une place de choix au milieu du tapis de guitares ainsi
déployé. Un rappel dédié à Django, et la salle est debout,
espérant encore longtemps une suite possible après que les lumières
se sont rallumées. PM
Le 19 octobre nous assistions à
l’un des deux nouveaux rendez-vous que proposent, chaque semaine,
Paddy Sherlock (tb, voc) et Ellen Birath (voc) –
l’autre étant le dimanche soir au Long Hop (Paris 5e,
en alternance) –, à savoir un trio évoquant le répertoire d’Ella
et Louis (celui des fameux albums de 1956 et 1957: Ella &
Louis, Ella & Louis Again), trio complété par César
Pastre (dans le rôle d’Oscar Peterson…). Au sous-sol du pub
Tennesse-Paris (Paris 6e), se tient une toute
petite scène autour de laquelle était massé un public déjà
acquis aux interprètes et qui ressemblait davantage à une réunion
entre amis. Le premier set fut effectivement consacré à la
recréation du mythique duo («Can’t We Be Friends?», «Isn’t a
Lovely Day?», «They Can’t Take That Away From Me») mais par le
filtre des personnalités de Paddy et Ellen. On est dans l’hommage,
jamais dans l’imitation (sauf clin d’œil humoristique). On fait
surtout vivre joyeusement une musique qui donne énormément de
bonheur et de plaisir. Les trois compères sont parfaits, tout en
complicité: Paddy toujours truculent; Ellen – qu’on entend plus
souvent sur un répertoire soul – s’impose comme une excellente
chanteuse de jazz, dont le timbre est très adapté à l’évocation
d’Ella; César, sérieux comme un pape, emballe le tout dans de
belles harmonies. Pour le deuxième set, la belle équipe s’est
quelque peu éloignée de son sujet de départ, ce qui a notamment
donné une jolie version de «Dansez sur moi» (Nougaro/Neal Hefti)
par Ellen Birath, laquelle a cédé sa place sur une autre version
française, celle de «Fever» par Marie-Laure Célisse (voc) qui
s’est employée à faire monter la température d’un Paddy
Sherlock en grande forme! Une bien chouette soirée! JP
Le
superbe trio de Christian
McBride
– un des rares dirigés par un contrebassiste – au New
Morning
le 21
octobre,
a visiblement beaucoup joué, improvisé et composé. Avec Christian
Sands (p) et Jerome Jennings (dm), McBride défend un jazz enraciné
et met ses capacités exceptionnelles en pizzicato
et en jeu à l’archet au service du swing le plus pur. On pourrait
caractériser ce son par sa puissance, mais son jeu est empreint au
moins à part égale de finesse et de soul. Au cours du premier set,
on s’aperçoit que ce degré de maîtrise de la musique est
indissociable d’une certaine interchangeabilité des rôles, et que
MacBride a dû capitaliser aussi bien autour de ses expériences en
tant que sideman que de leader ou d’arrangeur. Depuis la Julliard
School et sa collaboration avec Bobby Watson, il maintient un
engagement ferme contre le racisme et pour la défense de la musique
et de l’héritage afro-américain, évoquant notamment des figures
telles que Rosa Parks ou Malcolm X, au travers d’une spiritualité
issue du gospel et des chants religieux. Cette esthétique se
prolonge d’un certain sens de la fête et du partage, ce qui nous
vaut aujourd’hui un hommage spectaculaire à Sammy Davis Jr. sur
«Who Can I Turn To». Géant débonnaire, il insuffle à son jeu une
grande force qu’il combine avec d’infinies nuances de jeu.
Souvent bâties sur des turnarounds,
ses improvisations font intervenir des substitutions d’accords
complexes qui révèlent toute la subtilité musicale du trio.
Christian Sands excelle tout spécialement dans l’art de faire
rendre à chaque triolet toute sa saveur, ce qui permet à Mc Bride
d’occuper une position centrale dans le paysage sonore sans devoir
recourir à des effets de manche par trop appuyés, dans une
étonnante économie de moyens qui sous-tend le groove plus qu’elle
ne l’énonce. Les effets de slide
sont rares, mais très appuyés, ce qui accentue leur pouvoir
d’expression naturel en les opposant littéralement au pizzicato
idiomatique de l’artiste. Privilégiant les toms plutôt que les
cymbales, Jennings orne ses beats d’un travail particulier au
charleston, utilisé de manière passive à la pédale plutôt que
joué à la baguette. Un jeu de snare drum lancinant et
volontairement répétitif confère à son jeu un caractère très
roots, avec des accents nerveux dynamiques et puissants. Sans être
aussi spectaculaire que certains virtuoses extravertis de la
batterie, il brille tout particulièrement par un décompte
quasi-mathématique des temps qui lui permet d’assurer un
soubassement stable dans les situations les plus délicates, lors des
interventions tout en tension du pianiste et du bassiste. Les
variations virtuoses de Christian Sands au clavier sont caractérisées
par un usage instable de la tonique, une dominante passagère qui
donne des couleurs inédites à l’influx vital liant les trois
musiciens au cours de leurs explorations musicales. La solidité des
fondations assurées par le bassiste et le batteur fait que les notes
jouées par sa main droite semblent animées d’une vie qui leur est
propre. De ce point de vue, d’ailleurs, les motifs ostinato qu’il
affectionne ne sont pas sans évoquer le travail de Keith Jarrett
lors des Sun
Bear Concerts,
avec un art consommé de la périphrase qui achève de rendre le
discours du groupe tout à fait passionnant. La jovialité de Mc
Bride trouve par ailleurs l’occasion de s’exprimer lorsqu’il
évoque ce qu’il nomme le «Gai Paris», qu’il dit aimer
infiniment plus qu’il ne maîtrise notre langue. Avec un sens de
l’à-propos très personnel, il cite «Dark City Nights» de Milt
Jackson en guise d’illustration de ce paradoxe. Le swing consommé
du groupe n’empêche au reste nullement qu’un titre de Stevie
Wonder ne fournisse l’argument d’un cross over créatif tout à
fait emblématique des deux longs sets proposés ici. Un très beau
concert dont on gardera en mémoire l’aspect assez cérébral de la
seconde partie, sur des progressions harmoniques sophistiquées à la
tonalité plus sombre qui tiennent du crescendo, et que le combo
choisit finalement de trahir au travers d’une improbable
célébration conclusive du disco de la fin des années 70, pour le
plus grand plaisir des membres du public qui applaudirent debout les
derniers accords joués. JPA
Le 24 octobre, Spike Wilner jouait au
Duc des Lombards. Il se présente désormais sous les couleurs de son
club new-yorkais. Son groupe s’appelle tout naturellement le
SmallsLive Allstars. En France, en Italie ou en Chine, le pianiste ne
se fait pas que l’ambassadeur de ses deux hauts lieux du jazz à
New York, le Smalls et le Mezzrow, mais porte avec lui un état
d’esprit, une culture et un hommage à ce club dans lequel Tyler
Mitchell (b), Anthony Pinciotti (dm) et lui ont fait leurs armes dans
les années 1990. Une fois lancé, le set ressemble bien à la
personnalité de Wilner avec standards («Round Midnight»), chansons
de Broadway («Fine and Dandy» et composition originale
(«Hopscotch»). Seul manquait au set de ce passionné de ragtime un
titre de Scott Joplin. Ce soir-là, le pianiste invita sur scène
deux guitaristes, Jérôme Barde, puis Yves Brouqui pour un sublime
«Polka Dotsand Moonbeams ». Wilner est un pianiste ancré dans le
bebop, dans cette philosophie (voir Jazz Hot n°667) et, comme lui,
ses musiciens sont rompus à toutes les situations. Les voir et les
entendre est un enchantement. MP
Laurent
Courthaliac,
figure éminente du piano jazz parisien, a décidé de rendre hommage
à l’un de ses cinéastes favoris, Woody Allen, également musicien
et fanatique du jazz, qu’il intègre au montage final de ses films
comme un élément à part entière de son esthétique
cinématographique. Pour ce faire, le pianiste avait réuni au
Sunside,
le 28
octobre,
un octet totalement acquis à la cause (Dmitry
Baevsky as, Fabien Mary tp, Xavier Richardeau, bar, David Sauzay ts,
Bastien Ballaz tb, Géraud Portal b, Romain Sarron, dm),
dont le répertoire et les arrangements sont basés en majeure partie
sur l’œuvre de Gerschwin, que les musiciens affranchissent du jazz
symphonique pour lui donner des ornements bebop. De «He Loves and
She Loves» à «All My Life» (qui est également le titre de
l’album né ce projet), le phrasé du leader, comme placé en
suspension sur le fil conducteur offert par la contrebasse et la
batterie, frappe les sensibilités par son élégance surannée. En
écoutant ces accords fragmentés et ces silences égrenés en
contrepoint des phrasés legato des souffleurs, on se dit qu’il
existe une vraie vision parisienne du swing. Les morceaux, comme
remis au goût du jour dans des versions revitalisées, sont la
preuve flagrante du fait qu’il est possible de combiner la
puissance d’un big band et la cohésion d’une petite formation,
dans une optique très roots qui en privilégie l’authenticité.
Paradoxalement, c’est peut-être sur les ballades que la redoutable
efficacité du band s’avère la plus évidente. Les sonorités de
trompette bouchée, les notes cuivrées produites par des instruments
vintage, ajoutent à la texture ductile des sons produits par le
groupe, et il appert bien vite que la pulsation qui transporte
l’auditeur n’est pas générée par la seule section rythmique,
qui joue toujours un petit peu en arrière du temps, comme pour mieux
suggérer une tension qu’on croyait inhérente au stride de Harlem.
C’est peut-être là le véritable dessein de Laurent Courthaliac:
il a beau être un authentique spécialiste du genre, il n’en
défend pas moins au travers d’un tel tribute
un jazz enraciné, dont la naissance est antérieure aux folles
improvisations des boppers qui souhaitaient d’abord et avant tout
«jouer quelque chose qu’ils ne puissent pas jouer». À sa façon,
il transmue la volonté de dépassement personnel des boppers en
classicisme, au service d’une musique en tout point passionnante.
Le public retiendra de ce concert hors du temps un œcuménisme et
une sensation de vie jamais démentis durant les trois sets qui ont
jalonné les évolutions du groupe. JPA
Textes: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez Photos: Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez © Jazz Hot n°677, automne 2016
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Cécile McLorin-Salvant & Aaron Diehl Trio Théâtre municipal de Coutances, 21 octobre 2016
Evénement
d’automne, la jeune Diva du jazz, Cécile McLorin-Salvant était
l’invitée de Coutances, avec le très beau trio d’Aaron Diehl (p) –Paul
Sikivie (b), Lawrence Leathers (dm). Pour cette dernière date de la
tournée, la chanteuse et ses compagnons ont donné un beau récital, le
terme un peu désuet s’impose car il y eut une offrande de ce qu’il y a
de meilleur de l’Artiste en deux temps avec une première partie jazz par
le répertoire et une seconde chanson française, le tout naturellement
avec la manière jazz car c’est dans cette atmosphère que la chanson
française, faut-il le rappeler, a donné ce qu’elle a de plus beau, de
Charles Trenet à Georges Brassens.
Cette voix si
naturellement-culturellement virtuose et pourtant si expressive, si
imprégnée de la grande tradition, renouvelle totalement ce que peut être
le chant en jazz, comme l’avaient fait ses plus grandes devancières
(Bessie, Billie, Ella, Mahalia, Nina…), loin des surproductions
maniérées et schématiques actuelles. Tout est neuf, tout est complexe
sur le plan musical, mais tout reste si humain chez Cécile que le public
a été littéralement emporté dans ce beau voyage transatlantique (et
aussi très pédagogique, si on y réfléchit quant à la genèse de la
chanson française).
Après une ouverture sur un air de l’opéra de Kurt Weill Street Scene,
avec des paroles de Langston Hugues, qui reçut le prix Pultizer en
1929, il y eut, dans le premier temps en particulier, cette relecture si
extraordinaire des traditionnels («John Henry», un duo voix et
contrebasse jouant sur les harmoniques, comme d’une guitare acoustique),
du répertoire de Bessie Smith et de Billie Holiday («What a Little
Moonlight Can Do», 1935), Fitzgerald («I Get a Kick Out of You») par une
Cécile McLorin-Salvant toujours plus grande musicienne parmi des
musiciens de haut niveau avec un Aaron Diehl impérial de facilité et une
osmose délicate avec Paul Sikivie et Lawrence Leathers jouant de toutes
ses peaux avec délicatesse, y compris celle de ses mains.
Du
répertoire de Bessie Smith repris avec autant de profondeur que
d’intensité, comme pour un chant a capella sans micro qui laissa la
salle muette d’émotion, on passa vers une seconde partie en français,
avec «Personne ne m’aime», chanson pleine d’humour et de drame, dans la
veine de la chanson réaliste, puis une poétique «Route enchantée» de
Charles Trenet qui illustra un film de 1938 de Pierre Caron. On évoqua
ensuite Joséphine Baker (le profond texte de «Si j’étais blanche»,
magnifié par une interprétation subtile et toujours avec humour), pour
finir le tour de chant (autre terme ancien qui va comme un gant à ce
beau spectacle) très logiquement par une évocation somptueuse des Parapluies de Cherbourg
(nous sommes dans la Manche à quelques encablures de Cherbourg), avec
le bel air de «Sur le quai», une interprétation de rêve dont Michel
Legrand serait flatté.
Dans ce registre chanson
française, la perfection va jusqu’à la diction d’une chanteuse
parfaitement francophone qui arrive à phraser jazz avec la légèreté de
la Diva qu’elle est, une sorte de miracle linguistique et biographique.
Le choix, enfin, du répertoire, autant pour la partie américaine que
française, est d’une remarquable profondeur qui dénote la sensibilité de
Cécile et que confirme son accessibilité, très simple et très jazz, after hours pour un public sous le charme (rappels).
Ce
qui est aussi remarquable dans ces deux heures, c’est que l’art musical
de Cécile et du trio d’Aaron Diehl ne fait aucune concession, n’a
aucune complaisance ou faiblesse: chaque note compte, toujours jazz dans
l’esprit, toujours respectueux de la mise en valeur des textes par des
interprétations nuancées, recherchées. Aaron Diehl ne cesse par ses
contrepoints parfois étranges (jeu classique, arythmique, puis stride,
puis très jazz actuel, puis jazz de la grande histoire, commentaires
humoristiques, échanges variés avec un contrebassiste et un batteur tout
aussi inventifs…), Aaron, donc, construit avec son trio et Cécile de
belles œuvres, toujours subtiles, nuancées, accentuées.
Le
concert, qui présente toujours des pièces originales par rapport aux
enregistrements existants, aurait mérité d’être enregistré comme un
moment de perfection artistique. On le regrette pour ceux qui n’était
pas dans ce beau théâtre de Coutances, parfait en taille (à l’échelle du
jazz) et sur le plan acoustique pour l'écoute du jazz.
Yves Sportis Photos Sandra Miley
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Paris en clubs Septembre 2016
Programmé le 1er
septembre au Petit Journal
Saint-Michel, en quartet avec Irving Acao (ts), Bruno Rousselet (b) et
Julie Saury (dm), Gérard Naulet (p)
évolue comme un poisson dans l’eau au sein d’un environnement convivial et
particulièrement propice à la communion entre public et orchestre. Le caractère
contagieux des rythmes afro-cubains lui donne la possibilité de remonter le
temps et les mélodies populaires lui servent de pistes de décollage pour des
improvisations débridées et qui entretiennent des rapports étroits avec la
danse. Le style cubain traditionnel est ordinairement assorti de percussions,
mais aujourd’hui c’est Julie Saury qui assume toutes les responsabilités en la
matière. C’est peu dire que d’affirmer qu’elle s’en sort impeccablement, glissant
comme par mégarde quelques roulements prolixes sous le tapis de notes égrenées
par les instruments harmoniques et mélodiques. Bien sûr, il y a un aspect
répétitif assumé derrière ce genre de prestation, mais la batteuse y ajoute la
vie nécessaire par un jeu de cymbales particulièrement dynamique et puissant.
Lors du second set, le quartet s’est adjoint les services amicaux de Tony Russo
(tp), qui a ponctué de quelques interventions mémorables le classique « Well
You Needn’t ». L’optique très roots du concert permet de s’apercevoir que ce
style musical s’est progressivement délesté d’une partie de son ornementation
initiale pour sortir de sa logique insulaire. Pour rester dans la bonne humeur
du moment, la partition de « Don’t Blame Me » donne lieu à un échange
humoristique entre Bruno Rousselet, un habitué du Caveau de la Huchette, et le
trompettiste. L’assise rythmique impeccable fournie par la contrebasse permet
au jeune Irving Acao de prendre son essor lors de longs chorus inspirés. Gérard
Naulet nous dira à l’issue du concert tout le bien qu’il pense de sa jeune
recrue, dont la passion transpire lors d’interventions en solo qui trouveront
un prolongement insolite, lorsqu’il continuera seul ses explorations au piano
après que le groupe a quitté la scène. JPA
Le 21 septembre, Scott Hamilton (ts) était de retour au Caveau de La Huchette, entouré de Dany Doriz (vib), Philippe Duchemin
(p), Patricia Lebeugle (b) et Didier Dorise. Au sommet de son art, le ténor
américain, porté par son évidente complicité avec le vibraphoniste, a développé
des phrases d’une grande beauté et une expression d’une remarquable intensité.
On retiendra notamment une fort jolie introduction d’Hamilton sur
«Cherokee», de même que des échanges très réussis avec Doriz sur
«Topsy» et sur «Place du Tertre» de Biréli Lagrène. Le
soutien de Duchemin, toujours excellent, achevant ce bel ouvrage. JP
Harold Mabern (p)
était de passage au Duc des Lombards
le 22 septembre, en trio avec Fabien
Marcoz (b) et Joe Farnsworth (dm). Tout en s’exprimant dans un jazz des plus
enracinés, Mabern – avec une pointe de malice – a donné une véritable leçon de
musique, multipliant les citations les plus variées (du «French
Cancan» d’Offenbach – prélude à un boogie-woogie déchaîné – à
«Eleanor Rigby» des Beatles –, objet d’un long développement à la
suite du «Daahoud» de Clifford Brown). Le maître concluant
invariablement ses démonstrations d’une sentence définitive: «There’s two sort of music: good
music, bad music… and silly music!». Respirant au contraire
l’intelligence, la musique de Mabern puise aux sources du blues
(«Georgia») pour mieux s’approprier les répertoires situés à
l’autre bout du spectre de la musique populaire américaine
(«Fantasy» d’Earth Wind and Fire). La finesse de Farnsworth et la
subtilitéde Marcoz sublimant le jeu de Mabern. Quelle soirée! JP
Le 23 septembre, China Moses (voc) se produisait au Jazz Club Etoile, entourée de Luigi
Grasso (as, dir), Joe Armon Jones (p), Luke Wynter (b, g) et Marijus Aleksa
(dm), pour présenter son nouveau disque, Whatever, un hommage aux grandes figures du jazz, du blues et de la soul qui s'inscrit dans la lignée de deux albums précédents. La chanteuse, débute son show par «Dinah’s
Blues» tiré de l’album This One’s For
Dinah (2009, composé avec Raphaël Lemonnier, p, et dédié à Dinah
Washington). «Jammin at Home» permet de présenter les musiciens et
d’enchainer sur un premier titre du nouvel opus, «Disconnected», un groove
introduit avec brio par Marijus Aleksa comme dans «Watch Out», mais cette
fois secondé par Joe Armon Jones, swing d’un soir embrumé par les vapeurs de
l'alcool, et «Whatever » - écrit en pensant aux mots inutiles en amour –, que
Joe Armon Jone orne d'un solo de piano tout en finesse. Chaque titre est
l’occasion pour China de nous raconter une histoire, prenant à part le public,
demandant sa participation active au spectacle. Puis elle prend ses idiophones
pour accompagner « Breaking Point » et Luigi Grasso son alto pour une
improvisation jubilatoire. Suit une reprise d’une des rares compositions de
Janis Joplin «Move Over» et «Blame Jerry» où China Moses voit dans chaque
instrument la traduction de l’humeur, de la voix, du souffle d’un homme le
soir. A travers « Lobby Call », China Moses
nous invite à participer à une comédie musicale imaginaire et elle
invite tout le club à chanter avec elle sur «Running» pour un moment de
partage et d’émotion, avant de remercier ses fans lors du rappel: «Niccotine». PM
Le 24 septembre, Philippe
Soirat présentait son premier album en leader au Sunset-Sunside. Il est intitulé You
Know I Care, reprenant le titre de Duke Pearson, que lui a fait découvrir
Alain Jean-Marie. Et comme ce titre correspond bien à ce batteur, rompu à
toutes les situations, qui a joué aux côtés des plus grands, disponible aux
plus jeunes, en tournée ces derniers temps avec Samy Thiébault, Michèle
Hendricks, en passant par un gig avec Jason Marsalis et Toshiko Akiyoshi l’été
dernier. Bien sûr, on espérait plus de
compositions originales (il n’y en a qu’une de lui, «Dear Jean»)
mais son choix de reprises - «Refuge» (Andrew Hill),
«Valse Triste» (Shorter), «Woody’n You» (Gillespie), «Ugly Beauty» (Monk), «Ezz-Thetic»
(George Russell) - annonce la couleur : le jazz de Philippe Soirat est aussi
exigeant qu’il est imbibé de culture. A l’image des trois excellents musiciens
qui l’accompagnent, David Prez(ts), Yoni Zelnik(b) et
Vincent Bourgeyx(p). Le feu, l’enthousiasme, la plénitude. On ne demande
qu’à les revoir. MP
Le 24 septembre toujours,
Thomas Dutronc (g, voc) célébrait
l'esprit de Django Reinhardt au Cirque
d’Hiver dans le cadre du 40e Festival d’Automne d’Ile-de-France,
avec ses invités: Aurore Voiqué (vln), Pierre Blanchard (vln), Jérome
Ciosi (g), David Chiron (b), Ninine Garcia (g), Rocky Gresset (g), Michel
Portal (bcl, acc) et Pierre Boscheron (DJ). «Are You in the Mood» suivi de «Billet doux» met le public à la mesure de cette soirée. Hommage encore avec «
Nuage » sur fond de craquements de vinyle arrangés par Pierre Boscheron avec
une remarquable intro de Rocky Gresset. Thomas enchaîne avec son propre
répertoire: «Je m’fous de tout» et avec l’entrée acclamée d’Aurore
Voilqué («Il pleut dans ma maison») qui se termine en battle entre les deux
violons. Le public est enchanté puis déchainé sur «J’aime plus Paris». Michel
Portal nous offre un prologue tout en
douceur de «Manoir de mes rêves». Retour à Django et de l’ensemble des musiciens
sur scène pour évoquer Aragon sur le poème «Est-ce ainsi que les hommes vivent». «Sweet Geogia Brown» permet de rassembler le public distrait par
l’entracte, afin d’apprécier la reprise de «Vech a no drom» de Ninine Garcia
accompagné par les effets electros du DJ. Après une séquence rock (Django est
loin), toute la troupe se retrouve sur scène pour le final de la Foire Dutronc,
comme il aime à le dire, avec le thème
des «Triplettes de Belleville». Belle soirée en famille et entre amis dans le
fabuleux décor du Cirque d’Hiver. PM
Dave Liebman
célébrait, le 28 septembre au New Morning, la musique d’Elvin Jones,
accompagné d’Adam Niewood (ts), Adam Nussbaum (batterie), Gene Perla (dm). Du groupe historique, formé au début des années 1970,
seuls restent le saxophoniste et le bassiste. Pour un tel concert, le club
n’était pas plein à craquer, et c’est bien dommage. Entre reprises («My
Ship», «Fancy Free» de Donald Byrd) et compositions
originales de Liebman («New Breed»), le
batteur était bien à l’honneur («Keiko’s
Birthday March», «Three Cards Molly»). Au ténor et au
soprano, le jeu du saxophoniste est intense et sans concession, complété par
Niewood, impeccable, Perla et Nussbaum formant un duo époustouflant
d’intensité. Cette musique, enregistrée il y a une quarantaine d’années, n’a
pas pris une ride. Ce quartet ne sonne comme aucun autre groupe. Pas de
nostalgie ici. MP
Textes: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez Photos: Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez © Jazz Hot n°677, automne 2016
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Marseille 29 septembre et 1er octobre 2016
Pour
cet unique concert en France le 29 septembre, Joyce Moreno (g, voc), avait choisi Marseille. En
fait l’association Le Cri du Port, avait toujours souhaité la recevoir, car à
travers ses trente-six saisons de concerts intitulé «Jazz Marseille», son
programme a été ouvert aux artistes du Brésil qui empruntent des voies proches
du jazz: Egberto Gismonti, Hermeto Pascaol, Baden Powell… Joyce Moreno, à
l’allure de jeune femme, signe une carrière de près de 50 ans. Si elle a
démarré novice aux côtés de Vinicius de Moraes, elle a construit sa propre
œuvre avec à ce jour de quarante-deux albums et des collaborations originales.
Parmi ses albums on notera l’étonnant Sem
Voce, enregistré en duo avec le guitariste Toninho Horta, en une nuit de
«saudade» pour pleurer la disparition d’Antonio Carlos Jobim. Du Carnegie Hall
aux salles japonaises, sa voix s’est imposée comme une des plus authentiques du
Brésil. Pour le plaisir, on peut citer un de ses premiers albums avec Nelson Angelo
(1972) ou le tout récent Poesia avec
Kenny Werner (2015). En 2009, elle rajoute à son prénom, le nom, Moreno, celui
de son mari Tutti (dm) et compagnon de route.
Son
dernier album Cool (Far Out
Recording), enregistré avec son groupe actuel (Tutti Moreno, Helio Alves, p,
Rodolfo Stroeter, b), le même depuis des années, est consacré pour la première
fois de sa carrière à des standards de jazz, dont elle ne jouera ce soir qu’un
seul titre, «Love for Sale». Pour ce concert, elle nous a interprété une
sélection de ses titres emblématiques mais aussi quelques hommages à ses
compositeurs préférés – dont Jobim – et un merveilleux titre oublié « Canto
de Iansã » que Baden Powell composa lors de son fameux séjour avec
Vinicius de Moraes à Salvador de Bahia, séjour arrosé qui donna naissance aux
sublimes «Afro Sambas». Tous les musiciens sont parfaits, le jeu aérien,
notamment sur les cymbales de Tutti et son utilisation des balais sur plusieurs
titres font de lui un batteur des plus fins. Helio Alves, petit personnage très
discret, signa plusieurs solos inventifs. Peu connu ici, il a été notamment le
pianiste de Joe Henderson et partage sa carrière entre New York et le Brésil.
Un «brinde d’honor» à tout ce groupe et un amical salut à Rodolfo Stroeter, ici
à la guitare basse acoustique, ultra présent sur la scène de São Paulo mais
aussi comme producteur de Gilberto Gil, qui revenait jouer à Marseille après 25
ans d’absence. C’était avec le groupe Pau Brasil, groupe qui tourne toujours et
défend un jazz «made in Brasil». Cette étape Marseillaise, après une tournée au
Japon, marquait le départ de concerts en Europe de l’Est et du Nord. La fin de
l’année verra le retour du groupe dans un studio, en Uruguay, pour un nouvel
album. Le temps ne fait rien à l’affaire quand on a du talent on peut le
conserver toute sa carrière. Après un concert enthousiaste dans une salle
surchauffée (dans tous les sens du terme) le public venu nombreux fit une
ovation à Joyce digne des grandes stars dont elle fait indéniablement parti.
Le 1er octobre, à l'Alhambra CinéMarseille en première
partie, avant la projection du film A
Musica, segundo Antonio Carlos Jobim, Philippe Baden Powell (p, voc) jouait
pour la première fois à Marseille. Dans une salle comble, il assumait la lourde
tâche, devant un grand nombre de spécialistes, de perpétuer la mémoire
familiale, presque triple ce soir-là : celle évidente de son père, de
Jobim et de toute la bossa-nova. Son jeu de piano très élégant et sobre à la
fois nous révèle, dès ses premières compositions, un pianiste baigné de
l’univers du jazz qu’il a découvert en écoutant un disque d’Eddy Louiss. Très
jeune, il a dû choisir un instrument car tout le monde dans sa famille, depuis
son grand-père Lilo (premier chef noir à diriger un orchestre au Brésil), est
musicien. Malicieusement, il dit avoir pu opter pour le piano avec plus de chance
que son frère, Marcel, à qui son père imposa la guitare. Il se produit en
public dès l’âge de 13 ans et au fil de sa carrière développe son propre style
pleinement révélé lors de ce concert. Il alterne compositions personnelles et
hommages à ses pairs. Les thèmes sont à chaque fois subtilement introduits, le
pianiste empruntant ensuite sa propre voie dans une technique et une invention
sans faille. Pour lui, le fondamental de la musique moderne du Brésil, vient du
saxophoniste et compositeur Pixinguinha, né en 1897 qui jouea en 1921 en France
(Le premier groupe brésilien avec des Noirs et
des métisses à jouer hors du Brésil)1. Sa version de «Carinhoso», le plus grand succès du maître,
si souvent interprétée à toutes les sauces, redevient sous ses doigts un hymne
à l’amour viscéral et tendre, comme la chaude caresse du souffle de Xango, dieu
du feu et des tonnerres du candomblé brésilien. Pour saluer son père, il
choisit l’une de ses plus belles compositions extraite des Afro Sambas,
«Berimbão» et en livrera toutes les incantations africaines. Il ne pouvait pas ne
pas citer Jobim et ce sera «Ligea», thème moins connu que ses nombreux succès
et à l’opposé le célébrissime «Aguas de Marco». Après son père, que le Cri du
Port avait accueilli par trois fois, ainsi que son frère Marcel, Philippe Baden
Powell triomphait allégrement de l’audience venue comme dans une cérémonie commémorative.
Comme pour Joyce, le public le salua longtemps et fortement. Peut-être que
Marseille est la corne africaine qui pousse vers le Brésil.
Ces deux
concerts étaient présentés dans le cadre de Musica Popular Brasil, qui entre
autres proposa deux films sur Antonio Carlos Jobim, A casa do Tom, Mundo,
monde, Mondo réalisé par son épouse, Ana Jobim, et A Musica segundo
Antonio Carlos Jobim réalisé par Nelson Perreira dos Santos et Dora
Jobim (petite fille), des expositions de pochettes rares de la MPB, une
conférence et une rencontre avec le musicien Walter Negao.
1. Bonjour Samba – Une discographie idéale de
musique brésilienne (http://la-musique-bresilienne.fr) Texte: Michel Antonelli Photos: Florence Ducommun © Jazz Hot n°677, automne 2016
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Paris en clubs Juillet-Août 2016
Le 9 juillet, l’Atelier Charonne mettait fin à huit ans de jazz. En ce lieu se sont
en effet produits David Reinhardt, Samson Schmitt,
Tchavolo Schmitt, Angelo Debarre, Costel Nitescu, les frères Ferré, Norig et
bien d’autres… Pour ce dernier concert, les patrons, Romain et Céline
avaient invité de nombreux amis. C’est Samy Daussat (g) qui a animé la petite
scène en compagnie de Frangy Delporte (g), Francois
C. Delacoudre (b) et Christophe Daumas (dm). Après deux classiques de Django, une calme reprise du «Jardin
d'hiver» d’Henri Salvador et un «Belleville» endiablé, Samy a
invité, dès ce premier set, les musiciens venus en nombre à faire le bœuf:
tout d’abord, la délicate Renée Garlène (voc).
Rodolphe Raffali (g) est ensuite venu accompagner à
la façon manouche les chanteuses LIiouba
puis Marina, fille et femme de Moreno Winterstein qui c’est déjà produit ici en
2013. La salle, remplie d’habitués fut particulièrement réactive. La poète Vanina de Franco et Sahel Daussat, le fils, ont rejoint à
leur tour la formation, ramenée à un trio. Après une pause tout aussi animée, les
frères Ferré (g) ont pris leur tour, Elios cédant ensuite la place à Christophe
Astolfi pour un duo de guitares des plus attachants. La soirée s’est
terminée avec Christophe Daumas (voc), soutenu par Frangy Delporte (g). Romain
et Céline quittant Paris pour la Normandie, peut-être y donneront ils naissance
à un festival…? PM
Le 12 juillet, Pharoah Sanders était de retour au New Morning, plein à craquer. Il était en très grande forme (on se
souvient du dernier concert, chaotique, donné en 2013, où il avait peu joué, se
plaignant d’un problème de retour, et avait quitté la scène de façon brutale). Brillamment
accompagné de son vieux complice William Henderson (p), on le retrouvait ici avec sa formation européenne,
composée de l’ultra solide Oli Hayhurst (b) et de l’épatant Gene
Calderazzo (dm). Après une introduction envoûtante
du ténor, qui montre qu’à 75 ans, il n’a rien perdu de puissance musicale et de
son très gros son, il poursuit avec «Greetings to Idris»,
«Say It Over Again», «The Creator Has A Masterplan» et
«High Life». Au second set, passent «The Greatest Love of
All», «Jitu», le bouleversant
«Naima»,«Giant Steps» et une variation de « The
Creator Has a Masterplan». Tout au long du concert, il enfonce sa tête
dans son saxophone, chante des incantations, esquisse des pas de danse.
Emotion, mélodie, richesse de jeu étaient au rendez-vous de cette soirée exceptionnelle. MP
Malgré un contexte difficile, il y
avait du monde pour voir jouer Toshiko Akiyoshi
le 15 juillet au Sunside. Elle était ici accompagnée de
Gilles Naturel (b) et Philippe Soirat (dm). La pianiste ne s’étant plus produite
à Paris depuis des années, elle se dévoilait plus que jamais touchante, par son
histoire qu’elle raconte au public(son arrivée aux Etats-Unis en 1956),
aussi par les titres qu’elle interprète, tels l’émouvant «Tempus
Fugit» – de son ami et mentor Bud Powell –, et le bouleversant
«Remembering Bud», qu’elle a composé pour lui, ainsi que son jeu
très sûr, très rapide, marqué par Bud, et infusé de la fragilité d’une grande
dame du jazz de 87 ans. Tout au long de la soirée, elle joue des standards
(«It Could Happen To You», aussi du Gershwin), une composition
originale, son emblématique «The Village» en solo. Bien que directive
avec ses sidemen, elle donne toute sa place à Naturel et à Soirat, qui
l’accompagnent avec émotion et solidité. L’accord est total. MP
Les Yellowjackets (Bob
Mintzer, ts, Russell Ferrante, p, Dane Alberson, b, William Kennedy, dm) passaient au Petit Journal Montparnasse le 21
juillet, et c’est peu dire que d’affirmer qu’il s’agissait d’un véritable
évènement. Les influences rythm and blues du groupe, combinées à des sonorités plus synthétiques générées par
l’«Electronic Wind Instrument» de Bob Mintzer, permettent
aussi bien d’évoquer l’héritage de grands musiciens de l’ère classique que des
épisodes plus erratiques, caractéristiques des expériences menées autour du
free jazz et de la fusion. La première référence qui vient à l’esprit, lorsque
le concert débute, est celle de Wayne Shorter et Weather Report. Le fait
d’assortir sonorités de piano classiques avec les possibilités offertes par les
claviers électroniques y est bien sûr pour beaucoup. La combinaison des sons de
clavinet et de l’EWI de Mintzer ajoute encore un peu de crédibilité à cet
apparentement, bien que le groupe ne touche pour ainsi dire jamais aux
rendements échevelés et anarchiques dont se sont fendus tant de formations
rongées par les excès lysergiques. Il y a un esprit très smooth jazz ainsi
qu’une ambiance typiquement west coast dans le son des Yellow Jackets. « Spirit
of the West » tiré de l’album Club
Nocturne, dont les arrangements étaient conçus à l’origine pour donner la
parole aux chanteurs, augure bien d’un set frappé à tous égards d’une certaine
modération, dans le fond comme sur la forme. Un passage par l’album Politics ne fera que confirmer cette
primo-impression, mettant en valeur le formidable interplay dont les musiciens savent faire montre. De lents
développements atonaux, interprétés dans une optique très progressive,
jalonnent le set des Yellowjackets, avec une alternance de parties jouées à
l’unisson et de jeu hors phase. L’emploi de frisés et de double beats par le
batteur, couplés à un usage particulier de la charleston, parachève la
sensation d’avoir affaire à une musique empreinte d’intellection. Le piano
Yamaha de Russell Ferrante assure un équilibre sans faille à l’ensemble,
insufflant juste ce qu’il faut de sonorités acoustiques à un son qui, à la
base, est comme empreint de retenue et bridé intentionnellement. Le solo
basse-batterie du second set porte indéniablement cette marque de sobriété,
l’instrument à cordes se taisant brusquement lorsque Will Kennedy décide
d’accuser puissamment le tempo sous-jacent à la prestation du duo. Au passage,
on perçoit ce qui est sans doute le secret du son des Yellowjackets, cette
rigueur rythmique assumée brillamment par Russell Ferrante, avec un jeu très
polyvalent qui restitue aux touches noires et blanches le rôle majeur qu’elles
peuvent jouer en matière de métrique savante. Avec un public entièrement acquis
à sa cause, c’est non pas un mais deux rappels à la tonalité plus intimiste qui
nous attendent, les amateurs de jazz ne souhaitant pas que la fête se termine
aussi tôt. C’est finalement un Bob Mintzer presque timide qui nous annonce au
micro qu’il leur faut rompre là nos échanges, le groupe se devant de reprendre
un avion dans à peine cinq heures. Un bien beau concert de jazz contemporain. JPA
Pour ceux qui le savaient en y allant, David Sauzay (ts) donnait le 23 juillet, avec son sextet, le dernier concert du Petit Journal Montparnasse, lequel fêtait, il y a peu, ses 30 ans
d’existence. Pour ceux qui le découvrirent une fois sur place, ce fut un
choc. Après l’Atelier Charonne et le 45° Jazz-Club (place du Colonel Fabien) voilà encore
un club de jazz qui ferme cette année dans l’indifférence, et un lieu en moins
où les musiciens peuvent s’exprimer. On se dit et on se répète que le
jazz, c’est fragile, que tout ça ne tient qu'à un fil... Ce soir-là, il
n’y a pas grand-monde. Peu d’amateurs, à peu près aucun musicien dans la
salle. Sur ces compositions originales du ténor («Straight Forward»), ces
reprises de Dizzy Gillespie ou d’Eric Alexander (« Straight Up »),
Sauzay, Fabien Mary (tp), Michael
Joussein (tb), Alain Jean-Marie (p), Michel Rosciglione (b) et Mourad Benhammou (dm) donnent tout, et les accompagnent de solos
enflammés dans deux sets ultra solides. Ils font comme si de rien
n’était. Toujours au service de cette musique. C'est à ça qu'on
reconnait les grands musiciens. MP
Mike Stern venant d'être victime d'un
accident, il ne pouvait participer à la tournée européenne en cours, montée
avec Bill Evans. Le concert du 26 juillet au New Morning a donc été maintenu, mais avec un jeune guitariste américain
du nom de Bryan Baker. Ancien du
groupe de Miles Davis, tout comme Mike Stern, Bill Evans s’est doté pour ce
quartet d'une section rythmique composée de Darryl Jones (b) et Keith Carlock (dm). Animé d’une certaine
ferveur, le jazz fusion vigoureux qui nous était proposé ce soir était
catapulté par le jeune Bryan Baker dans la sphère du rock. Il faut dire que le
jeune homme a débuté sa carrière comme enfant prodige, à l'âge de 12 ans, et
qu’il donne parfois dans l’excès, ainsi qu’en témoignent ses plans
pyrotechniques à la guitare. Il revendique aussi bien les harmonies d'Ornette
Coleman que Jimi Hendrix ou l’influence de groupes de metal, et ça s’entend. Comment s’étonner, dans ces conditions,
qu’il donne une dimension par trop spectaculaire à un répertoire qu’il a dû, il
est vrai, apprendre au débotté et dans une certaine urgence. Soyons justes, il
ne dénature pas totalement l’esprit jazz-rock de la formation, particulièrement
sur les morceaux chantés, mais il change indéniablement la forme de certaines
interventions de Mike Stern, en leur conférant une dimension « shredder »
exempte du vocabulaire de son illustre ainé. Dans un quartet avec une si forte
concentration d’anciens du groupe de Miles Davis, on s’attend bien sûr à
écouter de la bonne fusion, et de ce point de vue, le public qui a répondu
présent suite à la démission de Mike Stern n’aura pas été déçu du voyage. La
Telecaster de Bryan Baker est une dynamo qui propulse dans une autre dimension
le répertoire du band dont Bill Evans apparaît, comme malgré lui, le leader. En
vue d’adouber le guitariste aux yeux du public, le saxophoniste multiplie les duets humoristiques avec lui, conférant
une allure presque free à des compositions aux arrangements à l’origine bien
plus sophistiqués. L’énergie du guitariste oblige Evans à des interprétations
débridées, avec une marge de sécurité réduite. Sur le plan harmonique, l’usage
de nombreux accords de quinte brouille encore un peu plus les cartes, mais parfois le groove y gagne quelque chose, sans que la section rythmique ait à en
rajouter outre mesure. Bassiste de scène des Rolling Stones, Darryl Jones sait
comment soutenir un rythme sans le phagocyter, et le parti pris sonore de ce soir
limite le sustain des instruments en
vue de préserver la cohésion du son. Les phrasés sont plus rapides, mais
peut-être aussi moins précis et surtout moins legato que ceux de Mike Stern. Le
solo de batterie, solaire et communicatif, nous amène au cœur de l’esthétique
de groupes west coast comme Steely Dan et Toto, et le chant de Bill Evans est
étonnamment orné de passages « scat que
n’auraient pas renié les Manhattan Transfert. Il faut dire que le leader, peu
avare de ses efforts pour assurer la réussite du spectacle, cumule à la fois
parties vocales, saxophone ténor et claviers (il jouera même quelques notes de
saxophone soprane). Si le concert se perd parfois dans les méandres de la
virtuosité gratuite, le rappel « Jean-Pierre» remet tout le monde d’accord et
conclut le deuxième set d’une joie communicative. Un tout de même bon moment,
qui aura au moins prouvé que le son, le style de Mike Stern sont uniques en
leur genre. JPA
Le 28 juillet, le New Morning affichait complet pour Roy Ayers (vib, voc). Celui qui brille par ses concerts survoltés était en toute petite forme. Est-ce l’effet d’un
décalage horaire dévastateur et/ou d’une tournée épuisante? Le
vibraphoniste a perdu sa verve ce soir-là, jouant peu de titres
(«Searchin’», «Running Away», «We Live in
Brooklyn Baby», «Sweet Tears»), même si ses sidemen – John Pressley (voc), Donald Nicks (b), Jamal Peoples (key),
Larry Peoples (dm) –, se démenaient pour tenir le cap du groove. Ayers s’est
fait voler la vedette par le jeune et impressionnant Jamal Peoples, débordant
d’énergie et aux nombreux solos. Il ne manquait que le leader charismatique
pour atteindre les sommets. MP
Benny Golson (ts) fait
progressivement son retour sur la scène. Il jouait le 10 août au Duc des Lombards.
Le maître du ténor n’a rien perdu de son élégance de jeu, de sa bienveillance à
l’égard de ses musiciens et de sa fidélité en amitié. Accompagné de
l’exceptionnel Antonio Farao (p), de l’ultra solide et musical Gilles Naturel
(n) et de Doug Sides (dm) au gros son, le gentleman du jazz compose chacun de
ses sets comme un recueil d’histoires et d’anecdotes, de portraits et
d’hommages à ses amis disparus. A la fin d’un set, il a donc joué peu de
titres, mais a su créer une telle intimité qu’en interprétant avec émotion
«Whisper Not», «I Remember Clifford», «What Is This
Thing Called Love» ou «Mr PC», le public bouleversé brûle de
reprendre cette conversation avec Benny Golson, lors de son prochain passage à
Paris. MP
Le 18 août, César Pastre
(p) se produisait, pour la première fois sous son nom, au Caveau de La Huchette, avec Enzo Mucci (b), Olivier Robin (dm) et,
en invité, Claude Tissendier (as). Si, face à ces musiciens d’expérience, le
leadership du jeune pianiste doit encore s’affirmer, celui-ci a démontré une
nouvelle fois ses qualités musicales, en particulier un swing très naturel. On
retiendra notamment sa très jolie introduction de «Tea for Two»,
pleine de subtilité. Tissendier, quant à
lui, à déployé sa belle sonorité, notamment sur «I’m Beginning to See the
Light» et «Cheek to Cheek». Un relais de génération prometteur. JP
Le 29 août, Julien Coriatt
(p) présentait son nouvel album, Jingle
Blues, à la Cave du 38 Riv’,
dont il assurait, avec son trio (Adam Over, b, et David Paycha, dm),
l’animation de la jam du lundi pour la dernière fois après plusieurs années de
bons offices. La jam en question fut donc reléguée au troisième set pour
permettre au trio de dérouler le répertoire du disque: de bonnes
compositions, notamment «Fear the Artist», très swing,
«Penelope’s Quilt», une jolie ballade, ou encore «Jingle
Blues», titre qui emprunte quelques mesures de «Epistrophy». JP
Textes: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez Photos: Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez © Jazz Hot n°677, automne 2016
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Paris en clubs Juin 2016
Le Petit Journal Montparnasse accueillait le 1er juin
le quartet de Géraldine Laurent (as). Accompagnée d’Antonio Farao (p), de
Dominique Di Piazza (elg) et de Lenny White (dm), cette formation nous a
régalés d’un jazz virtuose empreint d’un certain classicisme dans
l’interprétation, avec une pincée de jazz fusion et d’influences afro-cubaines
qui affleurent sporadiquement, au gré notamment des improvisations de Di Piazza. Lenny White a affiché un jeu plus enraciné, brouillant
les cartes au moyen de son jeu de caisse claire, marquant le tempo avec la
cymbale ride plutôt qu’avec la Charleston, plus proche en cela de Kenny Clarke
que de Billy Cobham. Avec l’âge, il met l’accent sur la technique et la finesse
de jeu, troquant volontiers les baguettes contre des balais lors de pièces plus
intimiste. Seules quelques mesures en 4/4, introduites comme en rupture avec
les mesures ternaires, sont là pour rappeler qu’il fut aussi le batteur de
Return to Forever. Le premier set a débuté dans un esprit très Carla Bley, avec
«Softly». Les prestations du quintet sont habituellement organisées autour de
standards («What Is This Thing Called Love»), entrecoupés de compositions
personnelles («Foot Prints»). La formation éclectique d’Antonio Farao confère à
ce groupe une assise sur laquelle les musiciens peuvent s’appuyer pour
s’affranchir de leur rôle rythmique. Sa main gauche ajoute des harmonies riches
et souples à la mélodie, jouant une série de block chords tandis que les notes aiguës du clavier sont visitées avec puissance et délicatesse. Géraldine
Laurent construit ses chorus en développant des volutes sonores qui ne sont pas
sans évoquer les fameuses «sheets of sound» lors d’une substitution d’accords
aventureuse. Elle ne craint pas de se mettre en retrait, voire d’utiliser les
silences pour mieux suggérer, mettre en valeur des interventions lumineuses et
harmoniquement élaborées qui laissent deviner, au hasard d’un changement de
clé, une dette jamais démentie à l’égard de Charlie Parker. Le concert se clôt
sur «Wolfbane», un titre de Lenny White qui ranime l’esprit des années fusion
par l’intermédiaire d’un drumming prolixe qui constitue le véritable fil
conducteur des deux sets assurés par le groupe. JPA
Le 24 juin, Rhoda Scott (org) présentait son nouvel album, Live au Jazz Club Etoile (Black &
Blue) sur la scène du club de l’hôtel Le Méridien Etoile, dont l’espace a été
remanié cet hiver. L’ex-Jazz Club Lionel Hampton est à présent dissimulé par de
grandes portes (alors qu’on y accédait auparavant directement par le hall de
l’hôtel) et son bar a été déplacé à l’extérieur pour augmenter le nombre
de places assises. Dans le club même, on ressent finalement peu de différences,
en dehors des espaces «cosy» qui sont apparus. Les conditions d’écoute
demeurent excellentes et, surtout, le jazz reste au rendez-vous, du jeudi au
samedi, avec Jean-Pierre Vignola aux manettes. L’organiste avait ainsi mis à profit la large scène du club
pour s’entourer d’une formation comprenant deux ténors (Carl Schlosser et
Philippe Chagne) et deux batteries (Lucien Dobat et Julie Saury, qui ont joué
tantôt alternativement, tantôt conjointement), avec également Christophe Davot
(g) et Leslie Lewis (voc) en invitée. Une bien belle machine à groove! On ainsi
pu apprécier les nuances apportées à Rhoda par chacun des batteurs (Dobat
davantage dans la rondeur et Saury plus nerveuse) tandis que le duo de sax
renforçait la puissance du son de l’orgue. Dans les moments plus apaisés,
Christophe Davot a su glisser quelques belles interventions. Mais le petit plus
de la soirée a été apporté par Leslie Lewis, notamment entendue sur «Love for
Sale» et «The Man I Love». Assurément, il y avait du spectacle, ce soir-là au
Jazz Club Etoile. JP
Le 29 juin, Chris Cody (p) était au Cercle
Suédois (Paris 1er) en compagnie de Jon Handelsman (ts) et Bruno Rousselet (b).
L’Australien, qui après une vingtaine d’années de vie parisienne est retourné à
Melbourne, était de passage dans l’Hexagone pour présenter son nouvel album, Not My Lover (voir notre chronique),
lequel évoque Paris au travers de morceaux qui sont essentiellement des
originaux. Cody expose les thèmes de façon dépouillée, minimaliste, mais avec
une grande mélodicité. L’accompagnement impeccable de Rousselet, qui met
joliment en relief les motifs, comme le dialogue avec le ténor ont ajouté à la
qualité de la prestation. Dommage que le public, d’abord venu pour
« bruncher », n’ait pas été plus attentif. JP
Le 30 juin, l’immense Randy Weston était au New Morning
avec son African Rhythms Quintet. A 90 ans, le
pianiste ne faiblit pas, toujours en tournée dans le monde entier. Accompagné
ici des excellents Billy Harper (ts), T. K. Blue, alias Talib Kibwe (fl, as),
Alex Blake (b) et Neil Clarke (perc), il a livré deux sets particulièrement
riches, ne jouant que ses compositions, comme «African Sunrise»
(dédiée à Dizzy Gillespie et Melba Liston),«The Healers», «High-Fly»,
«Blue Moses». Quelques jours auparavant, alors
qu’il dédicaçait son autobiographie à la librairie Présence Africaine (Paris 5e),
quelqu’un lui demandait ce qu’il restait de Monk dans son jeu actuel. Impossible
pour le musicien d’expliquer par le verbe ce qui relève du «mystère de la
musique» (voir notre interview dans notre n° 673). Ce soir-là, l’esprit de
Monk planait au-dessus du pianiste, au jeu percussif, puissant, plein de
surprise. Le premier set,
dominé par les flamboyants Blake et Clarke, à l’expression africaine et latine, nous a transportés
en Afrique. Le second était un
voyage dans ce que le jazz afro-américain fait de plus spirituel, avec les duos
profonds des saxophonistes, le lumineux Kibwe et Harper, au gros son, majestueux,
bouleversant. Ces musiciens-là sont des conteurs. L’histoire se poursuit à Montreux
et à Jazz à Vienne. MP
Le 30 juin également, au Petit
Journal Saint-Michel, Ahmet Gülbay (p) – qui assure désormais la programmation
du club – avait réuni autour de lui Esaïe Cid (as), Nicola Sabato (b) et
Germain Cornet (dm) pour un hommage à Duke Ellington. L’affiche était prometteuse et
l’on n’a pas été déçu: Gulbäy, au jeu percusif, a donné tout leur relief
aux célèbres pièces du Duke («In a Mellow Tone», «Just
Squeeze Me»), magnifiquement soutenu par un Sabato très en verve – en
particulier sur le blues – et un Cornet très inventif qui a livré sur «Caravan»
un solo mains nus évoquant les percussions africaines. Tout en mélodicité, Esaïe
Cid apporta quant à lui sa poésie bop. Venu en spectateur, Frederick Tuxx (voc) s’est
joint à ce bel attelage sur «You
Don’t Know What Love Is» et «Everyday I Have the Blues». Quel
régal! JP
Textes: Jean-Pierre Alenda, Jérôme Partage, Mathieu Perez Photos: Jérôme Partage, Mathieu Perez © Jazz Hot n°676, été 2016
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Paris en clubs Mai 2016
Kenny Werner
se produisait le 2 mai au Duc des Lombards, avec
Johannes Weidenmueller (b) et Ari Hoenig (dm). Dans une soirée
aérienne, le trio a joué essentiellement des titres extraits de son
dernier album The Melody, dont les deux superbes
compositions du pianiste, «Voncify the Emulyans» et «Who?». Il y
avait aussi «26-2» (Coltrane), «In Your Own Sweet Way» (Brubeck)
et «Peace» (Silver). Ces trois excellents musiciens, à la palette
de jeu vertigineuse, jouent ensemble depuis près de quinze ans, et
cela s’entend. Le rapport est alchimique. Au jeu sensible,
poétique, élégant, complexe du pianiste répondent la subtilité
du contrebassiste et la passion du batteur. Plus qu’un son
individuel qui se détache de chacun, c’est une véritable
atmosphère qui ne ressemble à aucune autre.
Le lendemain, Werner donnait une master
classe à l’ Union des Musiciens de Jazz (Paris 13 e)
sur le thème «Effortless Mastery», inspiré de son best seller
(publié en français sous le titre La maîtrise sans effort,
chez Uncle Jazz Productions, 2003).
Sa méthode pour libérer le musicien de ce qui retient sa créativité
rappelle, par moment, celles de Ran Blake ( Jazz Hot n°667)
et de Lennie Tristano ( Jazz Hot n°668).
Devant une vingtaine de musiciens, en grande partie des pianistes, il
a expliqué comment la pensée, le jugement de soi et l’attente
conditionnent la créativité et l’étouffent. Il a souligné
l’importance de laisser les mains courir sur le clavier et la
nécessité de déprogrammer sa façon de jouer pour atteindre une
véritable expérience musicale créative. La master classe d’une
heure et demie, suivie d’un échange avec les musiciens présents,
s’est achevée par une improvisation au piano de Werner. MP
Le
8
mai,
le brunch dominical Aux
Petits Joueurs
était assuré par le collectif Désorientés,
créé par Jaafar Aggiouri (s, cl) et Mathias Levy (voc) qui,
inspirés par le mythe de Dionysos, dieu de la musique, de la danse,
du théâtre et du vin, ont tenté d’imaginer la musique
tourbillonnante que ce dernier aurait pu composer. La formation, aux
identités et influences plurielles (musiques classiques, jazz,
orientale, traditionnelle, actuelle), compte également dans ses
rangs David Poteaux-Razel (elg), Eric Groleau (dm), Olivier Lorang
(b), Theo Girard (b) ou Emrah Kaptan (eb) comme aujourd’hui.
Inspiré, entre autres, par Charles Mingus, John Coltrane, Ornette
Coleman, et Yussef Lateef, le premier set présentait les différentes
compositions du groupe: «Rue Myhra» (Levy), «Beyrouth-descente aux abris»
(Aggiouri), «Encore une fois» (Groleau), «#2»
(Poteaux-Razel), «La Voix de la lune» (Aggiouri), sauf «Lonely Woman» (de Ornette Coleman) et «Zeynebim
Zeynebim» (traditionnel). Le deuxième set était une jam ouverte où
les musiciens pouvaient passer d’un instrument à l’autre, au
gré́ de la musique et des envies, où l’interaction,
l’improvisation et l’écoute étaient au cœur de la scène. On
attend avec impatience la sortie de leur premier album. PM
Le 10 mai, Sébastien
Troendlé présentait son spectacle Rag’n Boogie au
Petit Journal Montparnasse. Seul en scène durant une heure
trente, devant un décor de théâtre et un écran où passent
quelque images d’archives, le pianiste alsacien (qui a étudié la
musique à Bâle) raconte avec passion l’histoire du ragtime et du
boogie-woogie, ces deux ancêtres du jazz apparus à la fin du XIX e
siècle, illustrant son propos en interprétant des pièces
appartenant à ces deux genres. Le résultat est à la fois ludique
et didactique: Troendlé rapporte des anecdotes significatives – et
souvent drôles – qui éclairent le spectateur sur l’environnement
qui a vu naître la musique afro-américaine mais évoque aussi, avec
sérieux et sensibilité, le phénomène de l’esclavage et de la
ségrégation (ce qui, en ce jour de commémoration de l’abolition
de l’esclavage, tombait plus à propos que les habituelles et
hypocrites cérémonies officielles). Un spectacle à recommander aux
néophytes, notamment aux enfants qui ne s’y ennuieront pas, comme
aux amateurs plus chevronnés qui apprécieront ce voyage plein de
poésie, d’humour et se régaleront d’écouter un excellent
pianiste, habité par son sujet ( Rag’n Boogie est programmé
au festival off d’Avignon du 7 au 31 juillet). JPLe 10 mai
toujours, Clara Brajtamn (voc) interprétait chantait pour
première fois le répertoire de Boris Vian, sur la péniche Le
Marcounet. Elle était en duo et avec Vladimir Medail (g), choisi
pour son expression sobre qui soutient particulièrement le texte. La
chanteuse avait choisi des œuvres bien connues mais aussi quelques
perles méconnues : «Cinématographie» avec une intro swing en
hommage à Duke Ellington (une des idoles de Boris) et «La Java des
bombes atomiques» donnèrent le ton de la soirée. Clara enchaina
avec beaucoup d’à-propos les titres à la suite comme «Sans
blague» et «Je bois» ou encore «Pas encore» et «Ne vous mariez
pas les filles» mettant ainsi en perspective les textes de Bison
Ravi. Sur «Les Chaussettes à clous», le guitariste nous offrit un
superbe solo avant d’enchaîner avec «Le Déserteur», puis
finissant le premier set avec «J’suis un monstre de perversité».
A noter que Clara Brajtamn lisait un extrait d’un livre ou une
poésie de Vian pour introduire chaque chanson. «Mozart avec
nous» cha-cha-cha sur l’air fameux de «Rondo alla Turca» ouvrit
le deuxième set avec les éclats de rire de Clara qui se transmirent
au public. «Wispering» fut suivi de sa version «francisée»: «Ah,
si j’avais un franc cinquante», puis du «Tango des bouchers» et
du fameux «Fais-moi mal Johnny». Le récital s’est terminé sur
«Une bonne paire de claques», administrée au public,
particulièrement attentif. PMLe 12 mai, le Duc des
Lombards accueillait Billy Hart et son quartet. De ses
groupes précédents, c’est sans doute celui-ci qui inspire le plus
le batteur. Réunis autour de lui depuis 2005, Mark Turner (ts),
Ethan Iverson (p) et Ben Street (b) à la formidable maîtrise et
virtuosité ont créé une identité musicale, originale à part.
Leur musique est exigeante, complexe, intense et ambitieuse. Si
Hart joue sa composition «Amethyst», les titres sont surtout signés
de Turner, comme «Lennie’s Groove» (hommage à Tristano) ou
«Sonnet for Stevie», ou d’Iverson, avec «Maraschino».
Chaque instant de leurs sets est un moment précieux. Chaque
touche, une petite œuvre d’art. MPLe 13 mai, Christian Brenner
(p) officiait au Café Laurent avec Matyas Szandai (b) et Pier
Paolo Pozzi (dm). Un trio au swing élégant – à l’image de cet
Hôtel d’Aubusson – qui a donné, avec finesse, talent et
simplicité, un beau récital de standards: «Bye Bye Blakbird»,
«Well You Need’nt», «A Child Is Born», etc. Il faut rappeler
que les concerts du Café Laurent sont sans droit d’entrée et
qu’ainsi pour le prix, à peine majoré, d’une consommation, on
peut venir y écouter d’excellents musiciens dans un cadre plus
qu’agréable, chic mais pas guindé (et qui résonne encore des
solos de trompinette de l’ami Boris). Une belle sortie jazz dont on
aurait tord de se priver. JPLe 13 mai également, dans un
tout autre genre, le tonitruant Austin O’Brien (voc) donnait
son show au Caveau de La Huchette, accompagné par Damien
Argentieri (org), Christian Brun (g) et François Laudet (dm). Vêtu
d’un improbable costume vert à carreaux (le «bon goût»
irlandais assumé), le chanteur a enchaîné standards et pitreries
en tous genres. Au programme, un très bon «All of Me», tout en
puissance et en maîtrise, un «Night and Day» sur tempo rapide ou
encore un «It Had to Be You» très suave. A noter le soutien
swinguissime de François Laudet: un spectacle à l’intérieur du
spectacle. Mais la performance de l’Irlandais ne s’arrête pas
là: au beau milieu d’un titre, il se lance dans un medley à
rallonge où il aligne les tubes de variétés à la mitraillette,
balance quelques blagues aussi délicates qu’une pinte de bière,
interpelle le public. Un vrai Zébulon à qui l’ont pardonne
beaucoup, car c’est une nature qui s’exprime, avec aussi beaucoup
de sensibilité. JPLe 18 mai,
le Sunside recevait Romain Vuillemin (g, voc) pour une
évocation de Django Reinhardt: un retour aux sources avec des
morceaux courts comme Django les signaient; un hommage rajeuni, épuré
et non démonstratif. Le leader avait réuni un quartet dynamique:
Stéphane Nguyen (g), Edouard Pennes (b) et Guillaume Singer (vln).
En ouverture, «Swing 41» (avec une pensée pour le festival de
Salbris qui n’a pas lieu cette année) suivi de «Topsy» et
«Ninouche». «Embraceable You» de George Gershwin joliment
réarrangé juste pour interrompre le cycle qui reprit de plus belle
avec le traditionnel «Joseph Joseph» en duo de guitares et un
morceau peu connu de Django «Chôti». Romain raconte des histoires
entre les chansons, qui s’ajoutent aux échanges pleins d’humour
avec les musiciens et avec le public, le tout dans une salle bondée.
Reprise du deuxième set avec «Exactly Like You» de Jimmy McHugh,
«Charleston» et «Tea for Two» de Vincent Youmans, puis une
reprise de Charles Trenet «Vous qui passez sans me voir» et enfin
«Gyspy Swing» de Samson Schmitt. La soirée s’est achevée dans
une ambiance surchauffée avec «The Word Is Waiting for the
Sunrise» de Ernest Seitz, «I love You» de Harry Archer, et une
composition de Romain «Renouveau». PM
Michel Legrand jouait le 24
mai au Petit Journal Montparnasse. Le club était plein,
bien sûr. Entouré de Pierre Boussaguet (b) et François Laizeau
(dm), il a livré devant un public conquis d’avance un set unique,
contrasté, d’une heure et demie. Le meilleur étant la première
partie, à base d’improvisation. Sans doute victime de son
répertoire et de ses titres incontournables, il n’a pas échappé
à la restitution décevante des thèmes de Demoiselles de
Rochefort ou d’ Un été 1942, ou de chansons («Ton
copain des jours de pluie») accompagnées par son fils Benjamin
Legrand. Une soirée qui s’est rapidement éloignée du continent
jazz. Si Laizeau s’est démené pour propulser le jeu du pianiste,
Boussaguet a livré un jeu impeccable. MP
Textes: Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez Photos: Patrick Martineau, Jérôme Partage © Jazz Hot n°675, printemps 2016
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Sylvain Beuf Quartet Studio 11, Toulon (83), 27 mai 2016
Sylvain Beuf (ts) va
quitter son poste au Conservatoire de Toulon (CNNR). Le COFs (Comité
officiel des fêtes et du sport de la ville de Toulon) avait à cœur
d’inviter cet éminent saxophoniste qui pour la circonstance avait
réuni trois de ses amis musiciens, au sein de cet Acoustic Quartet
(Henri Florens, p, Sam Favreau, b, Thierry Larosa, dm) qui tous ont
joué les uns avec les autres, mais jamais les quatre ensemble.
C’était donc une grande première, et disons-le tout de suite une
grande réussite. Dans la descendance de Stan Getz, Sylvain Beuf
s’est forgé un jeu qui ne doit plus qu’à lui-même; une musique
dans laquelle prévaut la mélodie, le swing, la maîtrise du
discours, avec parfois des emportements, une véhémence qui évoque
John Coltrane. Il fit merveille, tant le plaisir de jouer avec ses
amis était patent. Le bonheur se lisait sur son visage, si bien que
le concert dura pratiquement une heure de plus que prévu. Henri
Florens est de la même veine jazzistique, il y a un peu toute
l’histoire du piano jazz dans son jeu; lui aussi est un mélodiste
qui sait aussi se jouer des subtilités harmoniques. Il est également
un compositeur intéressant, comme le démontra son morceau «Missing
Chass» en mémoire du trompettiste niçois François Chassagnite
décédé en 2011. Grand moment d’émotion, avec ce morceau dans un
arrangement très monkien. Sam Favreau est un contrebassiste
remarquable. Pas d’esbroufe, une pompe déliée, chaleureuse qui
booste la rythmique dans le swing; des notes pures, une attaque nette
et ronde à la fois, de l’inspiration dans les impros: que demander
de plus. Mais le plus ébouriffant de la soirée fut Thierry Larosa,
vraiment de la trempe des grands de la batterie. Je ne l’avais
jamais entendu jouer aussi diaboliquement. Une décontraction absolue
pour un swing radical, de l’élégance, de l’inspiration,
déroulant un tapis de luxe au saxophoniste. Il fut sublime aux
balais, tout de délicatesse et de force à la fois; on sait que
rares sont les batteurs qui triomphent dans cet accompagnement. La
première partie fut dédiée à des grands standards propres à
libérer les musiciens, puis on attaqua des démarquages de Mingus,
Horace SIlver, etc…ainsi que des compostions du leader. Voilà
un quartet qui mord à fond dans le jazz, dès la première note; ça
joue, ça swingue, et il y a le plaisir du partage, entre les
musiciens tout heureux d’être là ensemble, et avec nous les
auditeurs-spectateurs. Et puis, ce petit caveau qu’est le Studio 11
est le lieu idéal pour ce genre de prestation. Un quartet d’un
soir, mais on en gardera un long souvenir.
Texte et photo: Serge Baudot © Jazz Hot n°675, printemps 2016
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Fabrizio Bosso Quartet L'Astrada, Marciac (32), 21 mai 2016
Fabrizio Bosso (tp) était le 21 mai en concert à L’Astrada avec Julian Oliver Mazzariello (p), Luca Alemanno
(b) et Nicola Angelucci (dm). Quel dommage qu'il y eut aussi peu de
monde pour autant de talent! Sans doute le point culminant du concert fut une
version anthologique de «Do You Know What it Means to Miss New Orleans » non
seulement pour la superbe trompette du leader, mais aussi pour les
"garnerismes” bien venus du pianiste. Une cadence de Bosso avec citation de «Take
the A Train» et passage en coups de langue a achevé ce grand moment qui dans
les inflexions n'était pas sans évoquer Nicholas Payton. Il y eut aussi un « Caravan »
démonstratif avec un batteur qui ne charge pas trop. Nous avons remarqué que
Fabrizio Bosso a changé d'embouchure (pour une plus profonde) afin d'obtenir un
son proche du bugle dans la ballade. Globalement, doté d'une belle dextérité,
de bons aigus, du sens des nuances et d'inspiration, c'est sa sonorité
séduisante qui interpelle. Sa performance en duo avec la contrebasse (beau son)
avec le plunger n'a guère d'équivalent aujourd'hui sinon Wynton Marsalis. Le
groupe est bien soudé et sait swinguer. Le pianiste est de qualité (block chords,
beaucoup de variété dans le jeu, et cohérence du propos qui n'est pas qu'un
déluge de notes). On regrette par contre le comportement très actuel qui
consiste à entrer en scène et enfiler les morceaux sans dire un mot, même pas
le titre des morceaux. Mais, au total, ce fut un moment de grâce. Michel Laplace © Jazz Hot n°675, printemps 2016
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International Jazz Day à Bruxelles Jazz Station, Bruxelles (Belgique), 30 avril 2016
Le mois
d’avril s’est conclu par quatre soirées organisées dans quatre clubs bruxellois
pour célébrer les quarante ans des Lundis d’Hortense: à la Jazz Station,
au Bravo, au Music Village en deuil de son propriétaire Paul Huygens et au
Sounds de Sergio Duvaloni et Rosy Merlini qui fêtent, eux, trente années de
concerts. Une fois de plus, nous n’avons pas eu le courage, samedi soir,
d’affronter la foule qui se bousculait au Sounds Jazz Club pour écouter et voir
Michel Herr diriger ses œuvres avec le Bravo Big Band (retransmission en direct
sur les ondes de Musique 3/RTBF). Mais, le 30 avril, nous étions à la Jazz
Station pour un International Jazz Day rassemblant les Violons de
Bruxelles: Tcha Limberger (vln, voc), Renaud Crols (vnl), Alexandre Tripodi
(avln), Sam Gerstmans (b) et Renaud Dardenne (g). Le répertoire revisite les
canons manouches de Django («Black And White», «Ultra
Fox», «Impromptu»,) mais aussi Boris Vian:
«Barcelone»; des standards, comme «Fascinating Rhythm»,
«In A Sentimental Mood» (Duke Ellington), «I Surrender
Dear» et «Avalon». Citons encore un très joli «Pixinginhza
a Lisbo » de Renaud Dardenne (g) et des originaux de Tcha Limberger:
«I.J.D» et un «Patchagonia» en mode tango. Les
arrangements tournent la plupart du temps en harmonies conjointes des deux
violons et de l’alto («Black And White»), le lead passe de l’un à
l’autre sans négliger d’offrir un ou deux chorus au guitariste et au bassiste
(long et excellent solo de Sam Gerstmans sur «Everybody Loves»). Le
deuxième set fut, à ce titre, encore plus démonstratif de la qualité des
solistes: Alexandre Tripodi (avl) sur «How About You?»,
Renaud Crols (vl) sur «Everybody Loves» et «I’m in Love
Again», Renaud Dardenne (g) avec sa composition et sur un «Impromptu»
qui osa mélanger quelques dissonances. Tcha Limberger (vl) est
incontestablement le leader, attentif aux justes répartitions, n’oubliant pas
de rappeler que l’album reste en vente à l’entrée et que la deuxième galette du
quintet ne va pas tarder à éclore. Le jeune manouche malvoyant s’amuse beaucoup
à chanter de sa voix forte et
cristalline («In A Sentimental Mood», «I’m In Love
Again») imitant la trompette et scatant mais sans excès. Ce concert "rassembleur" est
inhabituel dans la programmation de la Jazz Station, mais il est nécessaire
en cet I.J.D. pour bien marquer les styles qui émaillèrent le jazz de Broadway
à Bruxelles en passant par Liberchies et Paris. Texte: Jean-Marie Hacquier Photo © Pierre Hembise © Jazz Hot n°675, printemps 2016
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A Great Day in Paris Paris, 30 avril 2016
Le 30 avril 2016, pour
célébrer «l’International Jazz
Day», la chanteuse Denise King et le danseur chorégraphe Brian Scott Bagley avaient organisé sur l’esplanade du
Trocadéro «A
Great Day in Paris», en miroir à la fameuse photo
d’Art Kane prise à New York en 1958 «A Great Day in Harlem».
Bravant la pluie et le froid une vingtaine de
musiciens se sont déplacés pour poser devant l’objectif de "notre" Patrick
Martineau. Cette séance fut l’occasion de joyeuses retrouvailles et de
nouvelles rencontres.
En 2008, Ricky Ford avait pris la même initiative (pour les 50 ans du célèbre
cliché, voir Jazz Hot n°668), mais
avec davantage de participants.
L’amie Denise compte reconduire l’opération chaque année et ainsi en faire un
événement annuel. Avec l’énergie qu’on lui connait, on ne doute pas que son appel va faire boule de neige!
Les artistes sur la photo:
Trompette à gauche:
Josiah Woodson.
Front line
Donna Lorraine Verzaro, Sylvia Howard, Ursaline
Kairston, Denise King, Patrick Sedoc, Patrick Chenais, Joan Minor, Joniece
Elessie, Michele Hendricks, Tarani Joy.
Back line
Mv Guilmont, Chris Henderson, Awa Timbo, FiFi Chayeb,
Boney Fields, Aldrich Hansberry.
Texte: Patrick Martineau et Jérôme Partage Photo ©
Patrick Martineau © Jazz Hot n°675, printemps 2016
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Paris en clubs Avril 2016
Le 1er
avril, c’est un beau poisson des Caraïbes qui se produisait au Petit Journal St Michel: Gérard Naulet (p) entouré de la fine
fleur des Cubains de Paris: Irving Acao (ts), Felipe Cabrera (b), Lukmil
Perez (dm) et Coki (perc). Entre standards du jazz à la sauce Havana
(«Song for My Father», «Well You Needn’t»…) et morceaux
traditionnels insulaires, la joyeuse équipe a donné à entendre une musique
aussi chaleureuse qu’énergique et cultivée avec naturel par ses interprètes. A
noter également, une jolie composition de Monsieur Gégé: «Danzon
para dos corazones». Celui-ci
s’est par ailleurs payé le luxe de se faire remplacer, coup sur coup, par deux
excellents «confrères» pianistes: Harold Lopez Nussa et Piti
Cabrera. On reste saisi par l’authenticité de l’expression musicale cubaine,
cousine de celle de New Orleans, et comme elle très enracinée; de toutes
les expressions musicales d’Amérique latine, elle est sans doute celle qui a le
mieux opéré la rencontre avec le jazz. L’ami Gégé nous en convainc, en tous
cas, en toutes occasions. JP
Depuis trente-deux ans, le Bab-Ilo propose, du mercredi au dimanche, des soirées jazz mais
aussi des musiques du monde, des lectures, des spectacles d’humour, des
projections, des expositions. C’est un «pub» élégant des années 30, à
l’ambiance de bistrot de quartier, et dont la spécialité maison est un couscous
kabyle, le Makfoul. De quoi accommoder idéalement un jazz aux saveurs
généralement free. C’est un club à l’aura discrète, planté au pied du
Sacré-Cœur, loin des «spots» de la rue des Lombards ou de la Rive
Gauche. Le 2 avril, il y avait là de
quoi ravir les amateurs avec le quartet de Steve
Potts (ts, ss), composé de Jobic Le Masson (p), Peter Giron (b) et John
Betsch (dm), des habitués du lieu. La complicité des musiciens est évidente et
participe grandement au plaisir que le public, qui se serre dans la petite
salle en sous-sol, a à les écouter. Ils jouent ensemble depuis longtemps (le
trio Le Masson-Giron-Betsch a onze ans, et a intégré le saxophoniste il y a
quatre ans) et on su créer un son, une unité. Le tout cimenté par une bonne
humeurcommunicative: entre deux solos aériens de Potts, ça rigole, ça
plaisante. On n’en apprécie que mieux leur jazz d’une grande densité, sous
tension. La musique est excellente et se déguste sans chichi. Bravo le Bab-Ilo!
JP
Le 4 avril, le Cabaret Jazz Club de l’Espace Carpeaux à
Courbevoie recevait Ninine Garcia (g), accompagné par son
fils Rocky Garcia (g) et Gilles
Barikosky (ts); ce dernier, passionné
par la musique Django,
accompagne souvent les musiciens de cette tradition, ajoutant dans ce
répertoire modernité et
créativité. Après «Out of
Nowhere»
(Green/Hayman), deux compositions de Ninine, «Caporal Swing» et «Paquito» permettent au
saxophone d’affirmer sa présence et quelquefois de jouer à l’unisson de la
guitare. Puis «La Belle
vie» de Sacha
Distel» est comme un clin d’œil à son nouvel album, Laissez-moi tranquille, sorti
en 2015, où Ninine chante d’une belle voix de crooner ses propres compositions
jazz et bossa qui rappellent l’univers de Henri Salvador et de Sacha Distel. Le club rempli d’habitués est toujours bien calme ce
soir. Ninine enchaîne les
titres de référence – «Les Yeux noirs», «Minor
Swing» - et ses compositions «1940», «Ninine» jusqu’au rappel, un «Sweet
Georgia Brown» très swing qui
parvient à faire applaudir le public en rythme. Ninine Garcia nous a offert un show simple et sans
fioritures, avec feeling et modestie. Pour rappel, il
était à l’affiche du film
Les Fils du vent, réalisé
par Bruno Le Jean et
retraçant la vie des quatre meilleurs guitaristes de jazz Django (Ninine Garcia, Angelo
Debarre, Tchavolo Schmitt, Moreno). PM
Le 5 avril, Leslie Lewis (voc) était au Caveau de La Huchette, accompagnée
d’Olivier Defaÿs (ts), Guillaume Naud (org) et Yves Nahon (dm). Cela fait
quelques années que la chanteuse s’est installée en France, avec son pianiste
de mari, Gerard Hagen, où elle mène une carrière discrète. On l’entend
effectivement plus souvent dans des soirées privées, des grands hôtels et
restaurants que dans les clubs parisiens (mais c’est une réalité du métier de musicien
de jazz aujourd’hui) et c’est bien dommage car c’est une excellente interprète,
dotée d’un swing très naturel et une personnalité agréable. L’association avec
Defaÿs fonctionne impeccablement sur «It Had to Be You» ou «I
Got You Under My Skin» avec le soutien groovy de Naud et Nahon. Au
deuxième set, le groupe a accueilli deux invités: Esaïe Cid (as) – beau
duo de sax avec Defaÿs – Jean-Philippe O’Neil (dm) dont le renfort a donné un
excellent «Night & Day». JP
Place des Abbesses (Paris 18e), Le Saint Jean affichait une terrasse
bondée et joyeuse, en ce 7 avril.
Mais il y avait également du monde à l’intérieur du bar pour écouter un jeune
chanteur new-yorkais, d’origine portoricaine, Marcos Adam (Marcos Adam Negron de son nom complet), encadré par l’ami
Sean Gourley (g) et l’excellent Sud-Africain George Wolfaardt (elb). Nanti
d’une jolie voix soul et d’une belle présence scénique, c’est sur la chanson
populaire américaine qu’il est le plus convainquant: «Hit the Road
Jack» (Ray Charles), «Stand By Me» (Ben E. King),
«Killing Me Softly With His Song (Charles Fox) ou encore
«Rehab» (Amy Whinehouse). Des titres qui fonctionnent d’autant
mieux que la guitare bop de Gourley leur fournit un très bel écrin.
L’interprétation de titres plus jazz («Take the A Train») ne
conviennent en revanche pas aux accents pop du chanteur. Mais, compte-tenu de
son âge, il a une marge de progression certaine. D’autant que la fréquentation
assidue du Don LaRue Combo – avec
Gourley, Wolfaardt, Tim Puckett (ts) – l’amène à travailler (et en bonne
compagnie) le répertoire jazz et son langage. Affaire à suivre. JP
Le 11 avril,
Céline Bonacina présentait son dernier album, Crystal Rain, sur la
grande scène du Petit Journal
Montparnasse et devant
une salle comble. Elles ne
sont pas nombreuses nos saxophonistes: Géraldine Laurent (as)
et Sophie Alour (ts, ss)pour
les plus connues. Céline, c’est la virtuose des extrêmes du baryton
au soprano. Elle était ce soir
accompagnée par Gwilym
Simcock (p) qui signe aussi deux compositions, Chris Jennings (b) et Asaf Sirkis (per). Céline,
en bottes et blouson doré
nous entraîne avec elle le long de l’album ; on est conquis par la profondeurs
des graves de «Trails
in the Sky»,
captivés par la ligne de basse de «Crossing Flow», par la légèreté de «Smiles for
Serious People» (premier
titre de l’album),
séduit par la délicatesse des percussions sur «Two Sides», subjugués
par l’énergie la générosité des graves sur «Cyclone», surpris
par la fluidité de «Vantan» et les souffles chauds de
«Cristal Rain» jusqu’ au rappel avec «Song For Everyone»
autre composition de Gwilym Simcock. Non! Ce soir Céline Bonacina n’était
là que pour nous. PM
Ellen Birath
(voc) et ses Shadow Cats (Manuel Faivre, tp,
Benjamin Blackstone, elg, Marten Ingle, elb, Thomas Join-Lambert, dm) ont donné, en début
de soirée, un petit set de soul électrique, place de la République, qui s’insérait dans une programmation
spéciale d’artistes solidaires du mouvement
«Nuit Debout». En début de soirée, le 15 avril (ou plutôt le 46 mars selon le comptage en vigueur sur la
place), un petit camion régie avait déployé une scène. La Suédoise a attaqué
bille en tête sur «Lollypop», captant d’emblée un groupe de
badauds. Très vite rejointe par Adélaïde Songeons (tb), venue faire le bœuf,
elle a enchaîné sur «The Lovecats» où l’on a particulièrement
apprécié ce renfort de cuivre. La prestation était en tous cas nettement plus
énergique que bon nombre des occupants de la place, sous les effets du cannabis
et de la musique techno. Ceux qui étaient là dans une perspective plus politique
que festive, se trouvaient assis en cercle autour de discussions thématiques,
siégeant en «commission» (il est amusant de voir comment un
mouvement «citoyen» génère de fait un embryon de bureaucratie). On croisait
sinon, place de la République, des curieux ou des représentants de causes
diverses (personnel médical, sans-papiers…). Quelques mois après les attentats
de 2015, l’occupation de l’espace public par une petite foule en demande
d’alternative politique et sociale est plutôt sympathique. Elle le reste tant
qu’elle n’exclue ni ne discrimine pas ceux qui portent un discours alternatif à
leur propre alternative. JP
Le 15 avril,
toujours, Agathe Iracéma était au Duc des Lombards avec son
quartet: Leonardo Montana (p), Juan-Sébastien Gimenez (b) et Pierre-Alain
Tocanier (dm). A peine âgée de 25 ans, la chanteuse a déjà plusieurs années de
carrière derrière elle et une maîtrise certaine de la scène. Ses compositions
(«Absurdo Natural», «Feeling Alive») s’insèrent bien
dans le répertoire de standards ou de morceaux brésiliens. Soutenue par une
bonne rythmique – en particulier Juan-Sébastien Gimenez qui a livré quelques
jolis solos – Agathe, pleine de fraîcheur et de naturel, swingue avec beaucoup d’aisance et, entre deux
morceaux, se raconte (un peu trop, c’est
le revers de sa spontanéité). Quoi qu’il en soit, le charme opère toujours. JP
Le 15 avril,
enfin, à Autour de Midi…, Dominique Lemerle (b), accompagnateur
fort apprécié, était, chose rare, en position de leader au sein d’un quartet
composé de Michel Perez (g), Manuel Rocheman (p) et Tony Rabeson (dm). Un peu
plus tendu qu’à l’accoutumée, le contrebassiste a donné à entendre un bop de
haute volée, parcourant le répertoire de Monk ou de Miles. Le jeu de Michel
Perez, tout en sensibilité, aura été l’un des atouts de ce concert. Lemerle
n’étant pas en reste, avec une belle intervention à l’archet sur «Manoir
de mes rêves». On espère pouvoir le réécouter bientôt dans cette
configuration. JP
Au Caveau de La
Huchette, le 18 avril, Pablo Campos (p, voc) était en trio
avec ses deux compères de la côte basque: Patrick Quillart (b) et Jean
Duverdier (dm), par ailleurs dessinateur de grand talent, auxquels s'était joint un invité: David
Blenkhorn (g). Excellent pianiste,
plein de swing, le jeune Pablo (un des rares jazzmen diplômé de Sciences Po:
il aurait pu mal tourner et devenir énarque…) et également un bon chanteur (de
charme), tendance crooner. On l’a ainsi entendu très à son aise sur les
ballades: «Blue Moon», «These Foolish Things»,
etc. La venue d'un autre "guest" a donné un peu plus de piquant à la
soirée: Germain Cornet (dm) – encore un «jeunot» –, qui en
prenant les baguettes a insufflé un groove réjouissant. Pas de doute, la nouvelle génération assure! JP
Le 21 avril, le New Morning accueillait un all stars de haut niveau avec le virtuose mais toujours
discret Biréli Lagrène (g) qui a convié le très talentueux Antonio Faraò (p), le créateur Gary Willis (b), et
l’éclectique Lenny White (dm) pour une tournée européenne. Salle comble pour
écouter leurs compositions dont les remarquées «The Opener» de Willis, «For Four» de Faraò, «Dedication» de White
ou «One Take» de
Biréli. PM
Le 22
avril, Stochelo Rosenberg (g) s’installait en famille
au Duc des Lombard avec Moze (g), Johnny (voc, g) et Nonnie (b) – il manquait malheureusement Nous’che. Fait
rarissime car le quintet passe
rarement en club à Paris. Par
ailleurs, ce soir, Johnny
chantait pour la première fois en club des morceaux du nouvel album La
Famillia, avec de belles reprises
comme le thème du film «Le Parain» ou encore «Les Plaisirs démodés de Charles Aznavour»
en anglais. Les guitares virevoltent de plaisir autour de ces standards mais
toujours en finesse. Petite
surprise en rappel, le rock’n roll d’Elvis termine le concert sur une note
joyeuse. Stochelo a également enregistré la B.O. du biopic sur Django Reinhardt
d’Etienne Comar et prépare un nouveau projet en trio. PM
Le
29 avril au Petit Journal Montparnasse, Michele
Hendricks (voc) présentait son album A
Little Bit of Ella, un hommage à la First Lady of Swing enregistré avec
Tommy Flanagan, son fidèle pianiste, en 1998 à New York, et sorti seulement
cette année. Entourée par Arnaud Mattei (p),
Bruno Rousselet (b) et Philippe Soirat (dm) Michele a ouvert le concert avec
«Airmail Special» avant d’être rejointe sur scène par une belle ligne de
soufflant: Olivier Temime (ts), Ronald Baker (tp) et Denis Leloup (tb), pour «Oh, Lady Be Good» (Charlie Christian).
«A Little Bit of Ella» composition en dialogue avec le contrebassiste
et «Sweet Georgia Brown» – un des morceaux préférés d’Ella – ont clôt la
première partie du concert devant une salle déjà conquise. Le deuxième set commença
de manière plus enlevée avec «It Don't Mean a Thing» où la chanteuse a démontré
son aisance dans le scat, puis «Our Love Is Here to Stay». Toujours avec humour
et même avec de grands éclats de rire, Michele a enchainé sur «Honk, if Ya Want
It» – composition très bebop inspirée des étiquettes collées sur les pare-chocs
aux US – avant de revenir à Ella avec «How High the Moon», et son délicat
arrangement piano/bass/batterie, puis «I Keep Goin' Back To Joe's» où elle a scaté
en duo avec Ronald
Baker. Michele a ensuite accueilli deux chanteuses, Carole Perera et Valérie
Duperey, sur «Things Ain't
What They Used to Be» et «Yeh-Yeh» (un grand succès dont les paroles sont de son père, Jon
Hendricks).
«That's Enough»,
gospel enregistré par le Buddy Rich Orchestra, et enfin, un original, «Mama,
You Told Me» ont conclu la soirée. PM
Le 30 avril, grâce à Denise King, la Journée Internationale du Jazz a pris les allures
d'une vraie fête: l'initiative individuelle de la chanteuse ayant donné lieu à
un événement authentiquement jazz, quand l'Unesco célèbre complaisamment un
jazz souvent déconnecté de ses racines, qui devient ainsi une world music fongible dans n'importe
quelle tradition musicale. Rien de tout cela au Très Honoré (à proximité de la place Vendôme), très belle brasserie
Art Nouveau. En robe du soir, plus diva que jamais, Denise, devant un parterre d’admirateurs
et d'amis, Français et Afro-Américains, jeunes et vieux, a donné deux sets
absolument épatants. Entourée de l'excellent Julien Coriatt (p), de Gabriel
Midon (b) et de Baptiste Castets (dm), la jazzwoman de Philadelphie a déployé
les standards avec énergie et conviction («April in Paris», «Fever»,
etc.). Mais les amis n'étaient pas que dans le public, ils se sont également
succédés sur scène: Marvin Parks (voc, qui a donné un très beau «I Have a
Crush on You»), Ursuline Kairson et Sylvia Howard qui ont formé avec
Denise un trio vocal détonnant sur «Take the A Train», morceau sur
lequel elles ont été rejointes par Josiah Woodson (tp) et qui a donné lieu un
époustouflant numéro de tap-dance de la part d’Asha Thomas! L'ambiance Années
Folles du bar et la ferveur du public, heureux d'autant s'amuser, donnait
l'impression d'être transporté ailleurs dans le temps. Pourtant, il n'y avait
rien d'artificiel dans cette soirée de fête: juste du bon jazz et une
interprète à la tonicité hors pair. Le dernier morceau, «Watermelon Man»,
a clôt la soirée en apothéose, le public se mettant à danser en formant une
"Soul Train Line", y compris Julien Coriatt, remplacé au piano par
Karim Blal. Devant le succès de cette Denise
Party, la direction du Très Honoré a décidé de lui offrir une soirée par
mois. On ne saurait trop conseiller d’aller s’y encanailler. JP
Texte: Patrick Martineau et Jérôme Partage Photos ©
Georges Herpe, Patrick Martineau, Jérôme Partage © Jazz Hot n°675, printemps 2016
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Paris en clubs Mars 2016
Le 5 mars le Petit Journal
Montparnasse offrait sa scène et une salle comble à Benny
Golson (ts), l’une des dernières légendes vivantes du hard
bop. En polo gris et coiffé de son traditionnel béret il s’est
trouvé entouré par une belle rythmique: Antonio Faraò (p), Gilles
Naturel (b) et Doug Sides (dm). «Horizon Ahead» et «Pierre's
Moment» ouvrent le concert suivis de «Whisper Not», l’un de ses
plus célèbres compositions, datant de 1956. La salle est
étonnamment calme devant l’artiste qui, à 87 ans, possède
toujours le souffle pour faire vibrer les graves de son ténor et un
phrasé inchangé. Entre ses chorus, Benny Golson s’assoit et se
tourne au fur et à mesure vers ses musiciens. «Mr P.C. Blues»
écrit par John Coltrane en hommage à Paul Chambers clos le premier
set. La reprise de «Tiny Capers» de Clifford Brown reconnecte le
public un peu distrait par la pause et qui redevient attentif avec
«Take the "A" Train», suivi de «Dominique», une
composition de Faraò. Benny Golson aime raconter des histoires,
comme celle de la création d’un autre de ses titres les plus
fameux: «et pourquoi pas une marche?» dit-il à Art Blakey? «Oui
comme les militaires», répond le batteur. «Attends quinze minutes
et je te compose ça». Et c’est «Blues March», qui est introduit
par un beau solo de Doug Sides. «Killing Joe» clôt le concert
devant un public enthousiasmé. Après les saluts, le patron du Petit
Journal Montparnasse, André Robert, est tellement conquis qu’il
monte congratuler l’artiste sur scène. L’émotion, la
sensibilité et l’expressivité étaient au programme. PM
Le samedi soir, chez Charlie
(notamment connu pour sa «bière à 2 balles»), rue Cotte (12e
arrdt.), c’est jam-session Django, animée par Arsène Charry
(g). Au premier set, celui-ci ouvre la soirée avec un groupe, dont
la composition varie chaque semaine, puis, après la pause, la
minuscule scène du Charlie s’ouvre à tous les musiciens. Le 5
mars, Arsène Charry avait convié Thomas Renwick (g) et
Esaïe Cid (as). Une configuration inédite pour notre altiste
qui a toutefois ses aises dans le répertoire djangolien. De «Swing
48» à «Sweet Sue», la rencontre entre le sax délicat d’Esaïe
et les cordes a fait merveille. Une relecture très plaisante du
grand Manouche. On regrette juste le public un peu bruyant et pas
très à l’écoute des trois excellents solistes. C’est la bière
qui vaut 2 balles chez Charlie, pas la musique! JP
L’Espace Carpeaux, l’imposant
complexe culturel de Courbevoie, propose une programmation jazz
régulière: les têtes d'affiche sont pour l'auditorium,
tandis que les musiciens intéressant davantage les aficionados ont les
honneurs de son Cabaret Jazz-Club, salle de taille plus
modeste mais très bien agencée. Et les amateurs de jazz n’ont pas
été déçus le 7 mars en venant écouter Jeb Patton
qui était pour l’occasion très bien accompagné par Fabien Marcoz
(b) et Bernd Reiter (dm). Elève de Sir Roland Hanna et de Jimmy
Heath, le pianiste américain de 41 ans se produit depuis vingt ans
avec les meilleurs musiciens: les Heath Borthers, Jon Faddis, Jimmy
Cobb, Etta Jones, etc. Sa tournée européenne, la première en
leader, nous permet de découvrir un soliste brillant, virtuose, au
swing élégant. Patton vient de la musique classique (il a
enregistré des ballades de Chopin) et rappelle parfois ses origines
musicales (époustouflants aller-retour entre stride et classique sur
«Century Rag» de Sir Rolland Hanna). Mais loin de tenter quelque
synthèse hasardeuse, il joue jazz et bien jazz, donnant des
interprétations lumineuses de «Make Believe» ou «Cool Eyes».
Somptueux. JP
Une foule exceptionnelle – la file
s’étendait de l’entrée du New Morning jusqu’à la rue
du Faubourg-St-Denis sur plusieurs rangs – était venue le 10
mars apporter la reconnaissance des grands soirs à l’un des
très grands artistes du jazz encore en pleine activité, Kenny
Barron, à l’occasion de la sortie de son bel enregistrement,
Book of Intuition, paru sur le célèbre label Impulse!, qui,
malgré son glorieux passé (9 Grammy Awards, il a côtoyé le gotha
du jazz, de Dizzy à Stan Getz, en passant par Freddie Hubbard, Milt
Jackson, une liste sans fin…), s’enrichit encore de telles
productions et de tels artistes. On a du mal à comprendre ce qui a fait
soudain passer ce pianiste, au sommet de son art depuis trente ans,
du statut second en notoriété à celui de musicien pour lequel les
billets se revendent à prix d’or à Paris. Mais ne boudons pas
notre plaisir et le sien de voir un New Morning refuser du monde pour
un artiste de jazz de la première à la dernière note. Et comme d’habitude avec Kenny
Barron, les présents ont eu raison. Au sein du trio qui a enregistré
Book of Intuition, avec des excellents Kiyoshi Kitagawa (b) et
Johnathan Blake (dm), Kenny Barron a donné un concert de haut niveau
avec la maestria dont il a le secret, toujours sobre et modeste sur
scène et produisant une musique qui brille de mille feux et d’idées
à chaque détour de phrase.Kenny Barron a joué la musique de son
enregistrement, pas dans le même ordre, et avec des variantes sur le
plan de l’exécution, plus quelques thèmes : au programme
donc et dans cet ordre, «Magic Dance», «Shuffle Boil» (de
Thelonious Monk), puis trois thèmes qui ne figurent malheureusement
pas sur le CD dont «The Very Thought of You» dans une version
extraordinaire, «Calypso», «Beautiful Love», puis un
brillantissime «Bud Like», déjà enregistré en solo à Maybeck,
«Nightfall» un thème intense dédié à Charlie Haden, «Cooks
Bay», un «Uncle Baba» ludique (de Gary Bartz, pas sur le CD),«In
the Slow Lane», «Lunacy», et on en a peut-être oublié «Dreams». Kenny Barron, c’est l’homme de la
plénitude, celle de l’expression servie par une virtuosité à la
hauteur, celle de l’espace qu’il remplit sans redondance avec la
légèreté et la sobriété d’un grand concertiste, celle d’un
lyrisme accepté, celle du blues toujours présents de ses accents,
celle d’un art d’une exceptionnelle perfection, beauté, aussi
bien quand il est le leader qu’accompagnateur. Tout est parfait
chez Kenny Barron, ce qui en fait l’égal des plus grands, d’Oscar
Peterson en particulier dont il n’est pas si éloigné par l’esprit
et le type de carrière (grand leader et grand accompagnateur), avec
bien entendu sa touche personnelle car il est de la génération
suivante, et qu’il est Kenny Barron. Dans le répertoire de Kenny Barron,
Thelonious Monk est toujours présent, comme ce soir-là et il y a
deux titres sur le disque de la main de Monk. Le bassiste choisi par Kenny Barron,
Kiyoshi Kitagawa, est idéal, brillant technicien à l’écoute de
la musique, complice, auteur de beaux chorus lyriques. L’imposant
Johnathan Blake, dont les cymbales occupent une disposition
horizontale peu conventionnelle, est d’une délicatesse qui
contraste avec sa puissance. Sur disque pas de longs chorus, plus en
live, c’est normal, il sait se faire musical quand la musique le
demande. Autre signe de l’art de Kenny Barron, il a toujours su
trouver les musiciens qui conviennent à son expression, et dans sa
proximité, les musiciens atteignent une dimension exceptionnelle.
Kenny Barron est un Maître dans tous les sens de ce terme. Kenny Barron est aujourd’hui sans nul
doute une légende du jazz, et voir un club de jazz, bondé et
épanoui, lui rendre hommage, est une double sensation de bonheur
quand on s’occupe d’une revue de jazz, même si une bonne
conjonction lunaire doit y être pour quelque chose. Nous avions le
plaisir de pouvoir être présents grâce à Tom Woods, du New
Morning, et à Casa qui officie depuis des années à l’entrée du
New Morning, ce qui n’allait pas de soi étant donné la foule
présente ce fameux soir. Pour un tel concert, c’était un cadeau
exceptionnel! Qu’ils en soient remerciés. YSLe 11 mars, dans la péniche Le
Marcounet, refaite à neuf, The Scarlet Swing Band – composé
de Clara Brajtman (voc), Sylvain Hamel (cl), Vladimir Médail (g),
Alexandre Perrot (b) et Clément Brajtman (dm) –, présente son
répertoire avec pour mission d’animer le bal du Social Swing System (association qui organise des bals jazz dans Paris): «My
Heart Belongs to Daddy», «I've Got You Under My Skin»,
«Ac-Cent-Tchu-Ate the Positive», «Stormy Weather», «Between the
Devil and the Deep Blue Sea» (arrangé par Clara Brajtman) ou encore
«On the Street Where You Live» (arrangé par Frederick Loewe). La
cale de la péniche est pleine à craquer et le roulis ne semble pas
perturber les danseurs qui s’arrêtent pour faire une ovation sur
le dernier morceau, «Love Me or Leave Me». Nous
on aime. C’est gagné pour le Scarlet Swing Band, ce premier bal
swing est très réussi. PM
Le
14 mars,
quelques mois après son grand retour à
Paris, en novembre dernier, après une longue absence des scènes
françaises, le formidable pianiste Johnny
O’Neal, accompagné de Luke
Sellick (b) et Charles Goold (dm), était de nouveau au Duc
des Lombards. En pleine tournée
européenne, le trio fêtait son nouvel album, O’Neal
is Back (Abeat Records For Jazz). Dans un set
éblouissant, débordant de sensualité, le pianiste a puisé dans
toute sa palette de couleurs avec une élégance et une classe
infinies. Qu’il joue de grands standards («Looking at Me», «It
Don’t Mean A Thing», «It’s Too Late»), des titres moins joués
(«Down Here on The Ground» ou un bouleversant «A Hundred Years
From Today»), un blues épatant ou un hommage à Oscar Peterson, son
héros de toujours, Johnny O’Neal transpire un swing et un groove
fiévreux, dans la veine virtuose de Erroll Garner, Fats Waller ou
Nat King Cole, avec ce répertoire de titres vertigineux, ce naturel,
cette voix chaude qui sent le vécu, cette générosité et la
modestie des géants. Alors qu’il pourrait avoir les plus grands
musiciens en sidemen, le pianiste s’entoure de jeunes, insistant
sur la transmission du swing aux prochaines générations. Et ses
deux musiciens sont ici très attentifs, entièrement dédiés à
soutenir le leader, avec un sens du timing impeccable. On attend le
retour de Johnny O’Neal avec impatience! MPLe 18 mars a été l’occasion
d’une double découverte. Un lieu, tout d’abord, la Cave du 38
Riv’ (sise au 38 rue de Rivoli, à deux pas de l’Hôtel de
Ville), un club des plus sympathiques, doté une salle exiguë mais
très agréable (une belle cave voutée du XIII e siècle),
tenu avec passion depuis 2008 par Vincent Charbonnier. Il s’y
donne des concerts de jazz le mardi, le mercredi, le vendredi et des
jam-sessions le lundi et le jeudi. L’autre découverte a été
celle d’un chanteur américain de 39 ans, Marvin Parks,
originaire de Baltimore et installé à Paris depuis 2013. Formé au
gospel par sa mère et ayant pour premier modèle Nat King Cole, il
lui rendait justement hommage ce soir-là, ainsi qu’à Frank
Sinatra. Ce qui frappe chez ce garçon d’un abord doux et souriant,
c’est le naturel avec lequel il swingue. Il chante sans
affectation, sans forcer la voix, aussi simplement que d’autres
vous demandent de leur passer le sel. Soutenu par l’excellent
Julien Coriatt (p, qui anime régulièrement les jams du 38 Riv’),
accompagné d’Adam Over (b) et Lucio Tomasi (dm), Parks s’est
baladé avec aisance sur les «hits» des deux immenses crooners, de
«Unforgettable» à «Fly Me to the Moon». Un régal. JPLe 20 mars
au Marcounet, Jean-Yves Dubanton (g) et Jean-Claude
Laudat (acc) nous offraient avec Paname Swing (Laurent Fradelizi,
b, et David Georgelet, dm) et son invité, Olivier Zanot (as) un
concert entre swing, musette, tradition Django et groove. Dès le
premier titre («The Turnaround», Hank Mobley) on ressent la
présence du saxophone comme essentielle ce soir, tout comme dans
«Midnight Creeper» (Lou Donaldson) puis on enchaîne avec
«L’Indienne» et «Valse Anthracite» deux compositions de nos
compères. Du bar tout en hauteur de la péniche on peut avoir une
vue d’ensemble d’un public charmé par le touché tout en douceur
Jean-Claude Laudat, que certains ont comparé au son de l’orgue
Hammond, et la délicatesse des chorus de Jean-Yves Dubanton. Le
groupe donne également la «Danse norvégienne» d’Edvard Grieg ou
encore «Besame Mucho». Et ça danse, ça danse… PMLe 21 mars,
le Théâtre du Châtelet offrait une carte blanche à Patrice
Caratini (b), un jubilé pour ses 50 ans de carrière. Entouré
de compagnons de longue date, comme Martial Solal (p) et Marcel
Azzola (acc), ainsi que des jeunes musiciens qui forment son Caratini
Jazz Ensemble, il a donné un répertoire très varié. La première
partie de soirée a débuté avec «Saint-Louis Blues», puis «Chofé
biguine la» avec Alain Jean Marie (p) et Roger Raspail (djembé).
S’en suivent plusieurs compositions du contrebassiste avant qu’il
ne soit rejoint par Martial Solal sur son «Textes et prétexte». Le
cinéma était également à l’honneur avec «Dry Bones in the
Valley» et des extraits du film Body and Soul d’Oscar
Micheaux projeté simultanément sur un écran géant. La deuxième
partie de soirée, davantage axée sur la variété, a vu se succéder
sur scène l’Orchestre régional de Normandie, Hildegarde Wanzlawe
(voc), Marc Fosset – (uniquement au chant), émouvant invité sur
«C’est tout», adaptation de «That’s all» – Sara Lazarus
(voc) ou encore Maxime Le Forestier (voc). Ces trois heures de
concert se sont conclues par deux rappels que Caratini a achevé seul
en scène avec une composition, «La Mouche». PM«The real deal!» Comment mieux
qualifier la musique de The Cookers que par cette exclamation
de l’ami Rasul Siddik venu en spectateur (à l’instar de Kirk
Lightsey) au New Morning le 22 mars. Un tel alignement
de virtuosité est en effet impressionnant. Une rythmique de rêve –
George Cables (p), Cecil McBee (b), Billt Hart (dm) – et une front
line époustouflante: Billy Harper (ts), Eddie Henderson (tp) et le
leader, David Weiss (tp) – à laquelle manquait juste Donald
Harrison (as). Côté répertoire, on a beaucoup entendu les
compositions de chacun des membres du groupe (dont le très beau
«Peacemaker» de Cecil McBee). Un jazz incandescent, foisonnant,
qu’on prend en pleine figure! Et qui nous a permis, ce soir-là,
d’échapper quelques instants à l’écho de la barbarie
islamiste qui venait de frapper nos cousins bruxellois. JP
Champian Fulton (p, voc) était
de passage au Duc des Lombards le 23 mars. Aller
l’écouter est toujours l’assurance de passer un bon moment.
Souriante et débordante d’énergie, elle s’attaque aux standards
avec gourmandise. Joliment soutenue par Gilles Naturel (b) et Bernd
Reiter (dm), elle a présenté un répertoire en hommage à Dinah
Washington: «The Boy Next Door», «Mad About the Boy», ou encore
un «Tenderly» joué sur un tempo rapide, ainsi qu’un très joli
«All of Me», introduit par un duo voix-contrebasse. Un vent de
fraîcheur sur le songbook américain. JPLe 23 mars, toujours, Alain
Bédard (b, par ailleurs patron du label québécois Effendi)
fêtait au Sunside les 20 ans de son Auguste Quartet, lequel
vient d’ailleurs de sortir un album anniversaire: Circum
Continuum. Entouré de Samuel Blais (as), Félix Stussi (p) et
Michel Lambert (dm), Bédard a proposé un ensemble de compositions
lié au nouvel opus du groupe. On retrouve là l’esthétique
Effendi: un jazz très intériorisé, presque méditatif, qui ne
recherche pas les exercices de virtuosité ni les expérimentations
trop «borderline». JPLe 26 mars, Drew Davies
(ts, voc) était au Caveau de La Huchette. A la tête d’un
sextet charnu – Thomas Mestre (tp), Jean-Marc L’Abbé (bs), César
Pastre (p), Stephen Harrison (b), Kevin L’Hermite (dm) – le
Gallois a passé en revue quelques standards du blues et du
rock’n’roll («I Know Your Wig Is Gone» de T-Bone Walker, «Going
Home» de B.B. King, etc.) et même de bonnes compositions comme
«Loosing My Mind». Un concert roboratif, au gros son de cuivre,
agrémenté de la touche boogie de César Pastre. Drew Davies a un
talent d’ entertainer certain et connait la recette pour
porter le Caveau à ébullition! JPLe 27 mars, le Petit Journal
Montparnasse et le Sunset-Sunside s’étaient associés
pour inviter Avishai Cohen (b). Pour cette soirée spéciale,
le PJM avait modifié sa disposition habituelle, supprimant les
tables, et affichait complet. Avec son trio (Omri Mor, p, et Daniel
Dor, dm) Avishai Cohen a présenté des morceaux issus de son nouvel
album, From Darkness, en débutant par «Beyond».
Arrangements fluides, solos de contrebasse en introduction, pianiste
avec une belle technique, batteur démonstratif, de «Abie» au
mélancolique «Almah Sleeping». Le concert s’est achevé sur un
premier rappel endiablé («Steven Seas») lors duquel le leader a
fait des percussions sur son instrument, puis sur le piano, jouant
même avec ses cordes. Pour le second rappel, le public avait réclamé
«Alsfonsina Y El Mar» qui a été l’occasion de rappeler les
talents de chanteur du contrebassiste. PMLe 30 mars, au Sunside,
Frederic Borey (ts) fêtait la sortie de son disque Wink
(Fresh Sound New Talent) en compagnie de Michael Felberbaum (g),
Leonardo Montana (p), Yoni Zelnik (b) et Fred Pasqua (dm), avec
lesquels il revisite les standards parmi les plus populaires (les
thèmes de Gershwin notamment) à l’aune d’un modernisme qui
n’est pas un accessoire de mode mais le terreau fertiles
d’arrangements fort subtils. Doté d’un très beau son de ténor,
Borey ne cherche pas à en faire trop. Il joue, tout simplement. Et
la présence de Felberbaum participe largement à la beauté de sa
musique. JP
Texte et photos: Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez, Yves Sportis © Jazz Hot n°675, printemps 2016
Le Baton Rouge. Jazz Ô Bar Granville (50), 4-5-6 mars 2016
Joyeuses
propositions de Roland Girard pour un grand week-end célébrant
l’anniversaire du club qu’il a créé dans la Monaco du Nord. Les
formations invitées résumaient une année de swing offerte par cet
entrepreneur déterminé et lucide qu’est Roland Girard. Rien ne le
prédestinait à cette aventure qu’il mène selon son propre tempo,
guidé par ses envies d’honorer un jazz authentique qui relie les
origines néo-orléanaises au bop contemporain, musique qu’il
pratique à ses heures à la clarinette.
Vendredi,
les festivités ont démarré vraiment hot, car Jean Ade et son
Bourbon Street Jazz Band ont l’art de perpétuer à nulle autre
pareille la Louisiane chère au boss de Baton Rouge. Samedi,
moments tout aussi festifs en compagnie de Lucie Girard, la fille
cadette de Roland! Alliée de circonstance aux Normands de Café
Calva, tout à la dévotion de son répertoire, la violoniste
démontre à chaque apparition la richesse de son jeu joint à un son
vibrant: dans le sillon fertile de Grappelli. A
l’heure du thé, dimanche, un trio inédit conduit par le
saxophoniste Nicolas Leneveu, incluant la belle personnalité de
Priscilla Valdazzo, contrebasse & chant latino-espagnol sur une
assise rythmique du fort prometteur Adrien Faure au piano. Soit des
standards boppisants revisités par la nouvelle vague de la
richissime scène caennaise.
Grâce
à un public aussi nombreux que fidèle, on sent que bien des choses
sont envisageables au Baton Rouge et les semaines à venir devraient
être source de nouvelles & bonnes vibrations. Prochain
rendez-vous à cocher sur les agendas, un quartet des émérites
messagers du Camion Jazz emmené par le saxophoniste Guillaume
Marthouret. Ce sera le dimanche 27 mars, jour de Pâques!
Texte et photo: Christian Ducasse © Jazz Hot n°675, printemps 2016
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Bruxelles en mars (et toujours en vie!) Les Lundis d'Hortense, Flagey, Jazz Station, mars 2016
En mars, on n’est pas encore sorti
des frimas mais on peut se réchauffer les mains en applaudissant quelques beaux
concerts. Le mercredi 9 d’abord, à
la Jazz Station, où les Lundis
d’Hortense avaient convié Laurent
Blondiau (tp) et son quintet Määk.
Le groupe, totalement acoustique est non-statique. Jeroen Van Herzeele (ts, ss),
Guillaume Orti (as, ss), Michel Massot (tuba) et Laurent Blondiau (tp) se
déplacent en jouant, cherchent les résonances et d’autres timbres. La musique
remplit l’espace; l’écriture est denseet les structures:
riches, variées, inusitées. Le tubiste initie le tempo, le change, le double,
suivi par Joao Lobo (dm). La phrase rythmique est courte, répétitive, hallucinante;
elle monte à la tierce et puis revient. La libération n’apparait qu’au travers
des improvisations, en solos. Laurent Blondiau change de trompette, passe au
bugle puis au cornet, module les sons de la main, percute l’embouchure, souffle
conjointement dans deux instruments. Tout bouge: les hommes, les
instruments, les sons et les rythmes. Avec cette fanfare, résidu de
l’avant-garde, Blondiau et les siens ont cherché et ils se sont trouvés. Un collectif
créatif! Jouissance assurée!
Le
mercredi suivant, le 16, nous étions à Flagey pour redécouvrir Christian
McBride (b): un musicien trop rare qui nous plait vraiment beaucoup
depuis plus de vingt ans. L’imposant bassiste de Philadelphie joue de la
contrebasse comme s’il avait un violon sous les doigts. Aisance, volubilité,
justesse. Respect pour le public et pour ses accompagnateurs: Chris Sands
(p) et Ulysses Owens JR (dm). Respect pour l’héritage aussi, avec un répertoire
à l’image de son dernier album enregistré au Village Vanguard. «Tangerine»,
«Caravan», «East of The Sun, West of The Moon». La
Stature nous rappelle Charles Mingus, mais le jeu est autre; léger sur une chanson de la comédie «The King
And I», inventif sur «The Lady In My Life» de Michael
Jackson, appuyé sur «Mash». Le concert, magnifique, se terminera en
standing ovation par un «Car
Wash» jubilatoire. Chez les disciples contemporains de la grand-mère, on est en droit d’aimer les
singeries d’Avishaï Cohen. Les musiciens talentueux brillent aussi par leur
humilité! Merci Christian McBride d’avoir illuminé cette soirée!
Jérémy
Dumont (p) était le 19 à la Jazz Station en suite logique de son premier album
autoproduit Resurrection. Avec Victor Foulon (b) et Fabio Zamagni
(dm) le trio a pris une belle assurance au fil des mois. Le programme annonçait
Fabrice Alleman (ts, ss) en invité.
Nous nous imaginions donc qu’il viendrait jouer deux ou trois morceaux en fin
de second set. Heureuse surprise: il souffla sur tous les thèmes,
professeur protecteur hier, compagnon de route aujourd’hui. Toutes les
compositions sont de la plume du jeune pianiste. Les mélodies sont jolies
(«One Day»); les rythmes: variés, de la valse jouée en
crescendo («Since That Day») au swing appuyé
(«Excitation»). «Blues For Tilou» : un original
fortement inspiré des Jazz Messengers, permit à Fabrice Alleman (ts) de featurer Benny Golson. Sur «In
Between», et l’ostinato du pianiste il s’envole, coltranien, au
soprano. A la fin du premier set, «Resurrection», enjoué, donna la parole à tous les apôtres:
soprano, piano, ténor, puis l’inévitable solo de batterie. «Hébreu» ouvrira la deuxième
partie soulignant une certaine filiation. Les œuvres de Jeremy Dumont sont très
bien structurées. Homogènes, elles sont rigoureusement mises en placepar
la rythmique. La consistance des compositions et la solidité des arrangements privilégient
un son de groupe, ce qui n’est pas fait pour déplaire au saxophoniste montois.
Pour
clôturer le premier trimestre des «Gare au Jazz», Les Lundis
d’Hortense proposait le 30 mars: le trio de Jean-Paul Estiévenart (tp).
La formule pianoless appelle une
grande attention de tous, musiciens et public. Les compositions du trompettiste
montois sont évolutives ou changeantes, comme sur «Blade Runner»
qui passe en two beats;
«Lix Feeling» débute legato
pour déboucher sur un solo d’Alain Pierre (dm); «S.D.»
surprend par une finale note pour note, trompette/basse;
«M.O.A.» entamé à la trompette bouchée ouvre sur un solo de Sam
Gerstmans (b) astructuré puis construit; «Wanted» en wa-wa repose sur une basse continue
snappée. Les thèmes sont diversement colorés: trompette bouchée et jeu en mi-pistons sur «Les
Dons»; «Behind The Darkness» entamé en mode ballade est temporisé à l’archet avant
un solo de drums; «Deep Hart» est joliment arrangé par Sam
Gerstmans (b). L’unité des trois musiciens est fusionnelle et complémentaire.
Alain Pierre (dm) est une nouvelle fois éblouissant sur «La Danse des
Sorcières», «Asphalte» et sa composition «Loft
End». En coda, Steven Delannoye (ts) est venu faire un petit coucou à ses
amis («Asphalte» et «Yako» de Wayne Shorter). Un
concert de grande qualité qui met un léger baume sur un printemps bruxellois
bien trop noir!
Jean-Marie Hacquier Photo © Pierre Hembise et Roger Ventilt, by courtesy
© Jazz Hot n°675, printemps 2016
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Paris en clubs Février 2016
A St-Germain-des-Prés, s’il reste des jazz clubs, le pluriel
cache mal la désertification culturelle actuelle sous le rouleau compresseur de
la consommation de mode et de masse. Pourtant, c’est sur les fonts baptismaux
du jazz, à l’angle des rues Dauphine et
Christine, où venaient jadis Boris Vian et les amateurs de jazz de l’ère
existentialiste, au Tabou puisqu’il faut l’appeler par son nom, que le Café Laurent (33, rue Dauphine) propose
ses soirées jazz en fin de semaine dans le cadre du bel Hôtel d’Aubusson. Renseignements pris sur place, c’est l’ancien propriétaire
d’un autre club de jazz au passé prestigieux, La Villa, également d’un Hôtel de
St-Germain, qui a poursuivi ici ce qui est sans doute pour lui une vocation
authentique, et on ne peut que lui rendre grâce de défendre l’histoire et la
culture avec autant d’opiniâtreté et de bon goût dans ce quartier encore d’une
beauté remarquable malgré l’époque tout fric et chiffons. Dans le cadre aristocratique du bel hôtel de charme,
l’atmosphère est accueillante, confortable et propice à une écoute de qualité.
La programmation ne fait pas de folie comparable à celle qui a illustré
l’histoire de La Villa, mais reste exigeante, jouant la carte locale sous la
férule de l’excellent Christian Brenner, pianiste maison et programmateur du
lieu. Paris reste un vivier de musiciens de jazz toujours très intéressants
d’horizons les plus variés. Ce samedi 6 février,
le trio de Christian Brenner (p),
avec Yoni Zelnik (b) et Pier Paolo Pozzi
(dm) avait invité le saxophoniste transalpin Luigi Grasso, installé depuis quelques années en France –avec
quelques excursions nord-américaines. Cela faisait de cette formation une
illustration très parisienne du jazz puisqu’on retrouvait à la basse un natif
d’Haïfa en Israël, et à la batterie un Romain qui a depuis de nombreuses années
adopté la Capitale. Christian Brenner, l’âme du lieu, est lui parisien depuis
1968, où il a fait toutes ses gammes jazz dans la veine du beau piano jazz de
Bill Evans à Fred Hersh parmi d’autres inspirations. Les soirées du Café Laurent proposent, du mercredi au samedi,
des formules allant du duo piano-contrebasse au quartet. C’était donc un
quartet sous l’impulsion de l’invité Luigi Grasso, qui a proposé deux heures
d’un excellent jazz conjuguant standards mainstream
et manière bop devant un auditoire à l’écoute et ravi d’une belle soirée.
La surprise fut de découvrir Luigi Grasso, le volubile
saxophoniste alto, opter ce soir-là pour l’instrument de Gerry Mulligan, un vieux
baryton Conn à la belle sonorité. Ce qui n’a pas changé la personnalité toute
italienne de notre saxophoniste, alliant volubilité et dextérité de l’alto et
son profond du gros instrument, avec ce brin d’exubérance et de légèreté qui le
rend si sympathique, jusque dans le choix «très improvisé» des thèmes. Il avait
ainsi l’air parfois de jouer du ténor («Saint Thomas»), une sorte de compromis
à l’italienne… Il a rivalisé d’aisance avec son compatriote, beau batteur, au
drive et à la nervosité bienvenue dans ce registre. Pier Paolo Pozzi est en
effet un talent de la batterie jazz. Il possède une musicalité qui relève aussi
de la grande tradition italienne. On fait chanter les instruments, avec swing
comme ici –parfois à même les peaux avec les mains– mais toujours avec un sens
profond de la mélodie et du récit, un souci premier de la musique. Cette complicité naturelle autant que culturelle entre Luigi
et Pier Paolo a trouvé chez Yoni Zelnik un soutien attentif, sans faille,
répondant à toutes les sollicitations. Inutile de dire que Christian Brenner,
de son clavier et en connaisseur, a apprécié et soutenu le quartet avec à
propos et la réserve modeste de l’hôte qui laisse beaucoup de place à ses
invités, en les mettant dans les meilleures conditions pour leur expression.
Ses chorus ont été sobres, empreints de délicatesse et nuancés, dans l’esprit
de sa personnalité. Luigi Grasso a donc bougé son gros baryton, lui faisant
exécuter des cascades de notes, sans effort apparent sur «What’s New»,
«Isfahan» (Ellington-Strayhorn), «Saint-Thomas» (Sonny Rollins), un splendide
«Stablemates» (Golson, référence également à Dexter Gordon), «It Don’t Mean a
Thing» (Ellington), et en seconde partie «Yesterday», «Darn That Dream», «I Remember April», «These Foolish Things» traité en ballade,
«There Is No Greater Love», «Someday My Prince Will Come», «I Remember
You», etc., et, à chaque set, un blues,
traité à la façon Grasso, comme chacun des thèmes. Il y a eu des tempos lents, médium ou rapides,
mais la musique est restée toujours du jazz d’un excellent niveau, dans le cadre
très agréable du Café Laurent, un beau lieu du jazz dans le St-Germain-des-Près
de Paris, France, 2016, beaucoup de raisons qui doivent inciter les amateurs de
jazz à faire le détour. YS
Le 7 février, la Philharmonie de Paris, au cœur de la Cité de la Musique, affichait
quasiment complet pour la venue du trio de l’organiste américain Larry Goldings. Un lieu démontrant à la
fois un profond respect pour les musiciens et les auditeurs part sa qualité
acoustique, forme un véritable écrin musical. Le trio (Peter Bernstein, g, et Bill Stewart, dm) est à l’image de la forte
personnalité du leader, classique dans son approche et aventureux dans son
discours tout en cultivant une bonne dose d’humour. Originaire de Boston Larry
Goldings est d’abord un pianiste ancien élève de Jacki Byard et Sir Roland
Hanna et Fred Hersch développant un style profondément ancré dans la tradition
au sens large d’où son attachement à l’éclectisme des idiomes et son sens de la
musicalité et de l’esthétique du beau piano propre aux pianistes de Détroit. Son
approche de l’instrument reste celle d’un pianiste jouant sur les climats avec
un souci permanent de swinguer. Débutant sur un thème bop de Bill Stewart, le
trio s’oriente d’emblée sur un dialogue ouvert enchainant avec «Mr
Meagles» du leader faisant la part belle au répertoire de l’excellent
album Ramshackle Serenade (Pirouet Records). Une superbe version de «Hi-Fly» avec une
introduction mystère du guitariste qui nous démontre qu’il est bien l’un des
musiciens les plus intéressant de sa génération tout en sobriété avec de
remarquables lignes mélodiques qu’il exploite avec une sonorité évoquant Kenny
Burrell. Sa composition «Jive Cofee» sur les harmonies de
«Tea fo Two» est l’un des sommets du concert avec un phrasé fluide
et élégant sans oublier un sens du swing et du blues exceptionnel. Ce
raffinement harmonique, qu’il partage avec Larry Goldings, se vérifie sur la
ballade de Cole Porter «Ev'ry Time We Say Goodbye». Sa version de «Night Mist Blues» d’Ahmad Jamal, tout
en retenu, met en exergue la facilité qu’a le trio de faire swinguer le blues à
merveille. En rappel, le classique du trio «The Acrobat» (immortalisé
en 1998 sur l’album de Peter Bernstein, Earth Tones, CrissCross), sur les harmonies «d’Afro Blue»,
donne un côté modal à l’ensemble. Bill Stewart développe un jeu très aérien
ayant une conception non fonctionnelle de l’instrument même si sa personnalité
neutre freine sa capacité à imposer une signature originale. DB
L'ambiance se veut joviale à
l'entrée du Duc des Lombards en ce 8 février et la file d’attente est
aussi longue qu’impatiente. Michel
Pastre (ts) y présente son Charlie
Christian Project (distingué dans notre Hot Five 2015). «Wholly Cats»
pour débuter avec une mise en place impeccable due à l'entente parfaite entre
«La Section Rythmique» (David Blenkhorn, g, Sébastien Girardot, b, Guillaume
Nouaux, dm) – auteur d’un excellent disque chez Frémeaux – et le jeune Malo
Mazurié (tp) que beaucoup ne connaissent pas encore. Fidèle à Charlie Christian
sans être dans l’imitation, le guitariste australien alterne les passages
rythmiques où il plaque les accords avec swing et ses développements dans un
jeu tout en souplesse, délié et souvent en single note. Les arrangements
superbes mettent en avant chaque soliste encadré par des contre chants. Malo
Mazurié est dans cet univers proche d'un Roy Eldridge dans sa façon d'attaquer
la note et dans sa sonorité growlée
notamment sur «Breakfast feud». Les riffs font la part belle au
swing développé par le leader Michel Pastre dont le puissant vibrato le
rapproche désormais plus de l'école Hawkins tout en gardant l’expressivité d'un
Illinois Jacquet sur un thème comme «On the Alamo». Lorsqu'il
utilise la sourdine, Malo Mazurié se veut plus raffiné et affirme également une
filiation avec Buck Clayton dans un jeu plus souple et linéaire. Le blues de
Walter Page «Pagin' the Devil» enregistré la première fois sur la
scène du Carnegie hall lors du fameux concert de 1939 par les «Kansas
City Six» où l'on retrouvait Lester Young, Charlie Christian, Buck
Clayton et la rythmique de Basie laisse ici s'exprimer la contrebasse du solide
Sébastien Girardot avec une superbe intro en walkin'. L'absence de piano ouvre de
nouvelles perspectives au quartet sur le plan harmonique et laisse une place
importante au ténor qui excelle dans le développement de ses chorus débordant
de citations dont celui d'Illinois Jacquet sur «Flying Home» sur
«Seven Come Eleven» ou le fameux «West End Blues»
d'Armstrong sur la sublime version de «Memories of You». Guillaume
Nouaux poursuit son exploration des batteurs de la période pré-bop en faisant
une excellente synthèse de Gene Krupa à Sid Cattlet avec un sens du tempo
irréprochable et une belle qualité de frappe. La proximité des musiciens avec
le public donne une ambiance particulière au lieu, permettant une forme d’interactivité
rare. Michel Pastre échangeant à de nombreuses reprises par le biais
d’anecdotes. Un régal de swing et de musicalité! DB
Après des années d’absence, le pianiste Ramsey Lewis se produisait le 10
février au New Morning, qui affichait
complet. Arrivé seul en scène pour un solo, jouant «Maria», de West Side Story, en leitmotiv, il était
rejoint par Henry Johnson (g), Joshua Ramos (b) et Charles Heath (dm), peu
inspirés ce soir-là. Le pianiste a livré un set jazz, avec des titres comme «Satin
Doll» ou «Dear Lord» de Coltrane, et n’a joué que deux de ses
compositions, «Blessings» et «Crowd». Comme pour les
Jazz Crusaders, les fans étaient plus intéressés par les années fusion du
musicien et ont accueilli très chaleureusement «Wade In The Water»,
«Livin’ In The City» et «Wayo», en hommage à Maurice
White, décédé le 6 février, avec qui il avait enregistré l’album culte Sun Goddess (1974), les meilleurs
moments de cette soirée. MP
Le 10 février
toujours, l’Anglo-australienne Hetty
Kate (voc) était de retour au Caveau
de La Huchette, entourée de La Section Rythmique, soit les excellents David
Blenkhorn (g), Sébastien Girardot (b) et Guillaume Nouaux (dm). Bien qu’un peu
souffrante, la chanteuse a animé la soirée avec swing, charme et humour. De «Sweet
Sue» à «Blue Sky», en passante pas un très beau «All of
Me», très sensible, la chanteuse nous a fait passer un agréable moment.
Au deuxième set, Michel Pastre (ts) est venu faire le bœuf, formant un duo très
suave sur «Tender Eyes». JP
Ce fut un grand moment que de retrouver sur la scène du Petit Journal Montparnasse Denise King qui nous présentait, le 16 février, en avant-première son nouveau
répertoire, embrassant le jazz du gospel à la soul. L’excellent trio de Tony
Match (dm) – avec Chris Culpo (p) et Peter Giron (b) – introduit la soirée avec
«Blue Moon» et «Someday» pour mieux accueillir la
chanteuse en robe noire à paillette, chaussures rouge vif et regard malicieux. C’est
Horace Silver qui est d’abord mis à l’honneur avec «Song for My Father», puis Miles
Davis avec «All Blues». La grande salle du Petit Journal ne s’est
malheureusement guère remplie mais un trio de fans afro-américains, au premier
rang, se fait remarquer, parmi lesquels le danseur et chorégraphe Larry Vickers
qui invite Denise à danser sur «Besame Mucho». Il n’en fallait pas
plus pour réveiller la salle qui bouge enfin. Plus loin, «L’Hymne à
l’amour» d’Edit Piaf (en anglais), permet à la Diva de clore le premier
set avec un feeling et un charme bien à elle. A la reprise, nouvelle introduction du trio avec «Wave»
et «Blackbird» sont l’occasion d’apprécier les soli de Culpo et
Giron. Puis, Tony Match invite seul Denise King à revenir sur scène pour
reprendre «Caravan» de Duke Elington. La chanteuse aime aussi
raconter des histoires et interpeler son public au détour d’un gospel en duo contebasse
/ voix ou d’une ballade simplement accompagnée du piano. Et la soirée de s’achever
sur «Watermelon Man». Le public est debout et en redemande. PM
C’est un nouveau lieu ouvert au jazz où Katy Roberts (p) se produisait le 19 février: le 45°
Jazz Club, place du Colonel Fabien (Paris 10e), a installé son
activité dans un local associatif pourvu d’une mezzanine qui abrite la scène. C’est
en soi une originalité d’assister à un concert de jazz, à Paris, en ayant une
vue plongeante sur la rue, plutôt que dans une cave! La pianiste avait constitué
un bien beau quintet: Ricardo Izquierdo (ts), Dominique Lemerle (b), Ichiro
Onoe (dm) et bien sûr, son compagnon à la scène comme à la ville, Rasul Siddik
(tp). Alignant de subtiles compositions signées par Katy («Carole’s
Caprice») ou Rasul («Song for Tomorrow») ainsi que des
morceaux du répertoire («Self Portrait in Three Colors» de Charles
Mingus), le quintet a produit un jazz de grande qualité, d’une sensibilité
extrême où les émotions se bousculent entre joie et mélancolie. Chaque soliste
était excellent: Katy Roberts qui swingue du bout des doigts, Rasul Siddik au
spleen volubile, Izquierdo ténor solide, Lemerle en soutien délicat et Onoe au
jeu coloré. Beaucoup d’amis musiciens s’étaient déplacés: John Betsch,
Ursuline Kaison (voc), Mra Oma, Sylvia Howard, Denise King… Une vraie fête du
jazz. Longue vie au 45° Jazz Club! JP
Le 24 février, la
tournée européenne du quintet mené par Eric
Alexander et Vincent Herring, débutée
au début du mois, s’est finie au Duc des Lombards qui, curieusement,
n’était pas plein à craquer. Le quintet se composait de cinq musiciens
étincelants: Alexander (ts), Herring (as), Milan Nikolic (b), Victor
Gould (p) et Joris Dudli (dm). Il s’était produit au Sunset, en novembre 2012, avec
une formation similaire (Harold Mabern (p), Joris Teepe (b)) pour deux soirées,
aussi exceptionnelles. Les saxophonistes Alexander et Herring, qui jouent ensemble
depuis des années, avec trois albums live au compteur, font partie des grands
duos aujourd’hui incontournables. Par leur jeu passionné, leur swing gorgé de
blues, la complémentarité de leur style, entre la fureur de l’alto et la clarté
du ténor, leur connaissance de la tradition et proximité avec les anciens, ces
deux géants exaltent le hard bop dans des sets épatants, sans concession ni nostalgie. Qu’ils jouent des standards («Love Walked In», «Firm
Roots», «Limehouse Blues», «On The Sunny Side Of The
Street»), des titres moins joués («You Leave Me Breathless»,
«The Beehive» de Mabern) ou des compositions personnelles («Timothy»
d’Herring, «Nemesis» et «Eddy Harris» d’Alexander), ils
sont rodés à toutes les situations. Ils pouvaient aussi compter sur une rythmique
soudée et très solide, entre Dudli, injectant des rythmes brésiliens, Nikolic, aux
mille nuances, et le jeune Victor Gould, au toucher délicat, aux solos pleins
d’énergie, révélation de cette formation, par ailleurs membre du groupe de
Wallace Roney. Sans aucun doute, une des plus belles soirées de l’année. MP
Texte et photos: David Bouzaclou, Georges Herpe, Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez, Yves Sportis
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016
Nicole Taylor Hôtel de Talleyrand, Paris 8e, 17 février 2016
Dans le cadre du Black History Month, qui célèbre chaque année, au mois de février, le
rôle des Afro-Américains dans l’histoire américaine, l’Ambassade des Etats-Unis
de Paris invitait, le 17 février, la soprano Nicole Taylor et le pianiste Daniel
Ernst, par ailleurs attaché de presse à l’Ambassade, en poste à Prague, à se
produire pour un récital de spirituals
à l’Hôtel de Talleyrand. Quelques heures avant le concert, en début
d’après-midi, un atelier était organisé avec Taylor et l’association Voix en
Développement, fondée par la chanteuse lyrique Malika
Bellaribi Le Moal, et en sa présence, dont l’action «Une diva dans les
quartiers» favorise la pratique de l’art lyrique dans les quartiers
défavorisés.
Après
s’être présentés, dix-huit participants, résidant à Créteil, Bondy, Nanterre, ont
expliqué la place que tenait la musique dans leur vie quotidienne, soulignant
ses vertus curatives. Sous la conduite de Taylor, ils se sont livrés pendant
deux heures à divers exercices de respiration avant de travailler le refrain de
deux chants, «Couldn’t Hear Nobody Pray» et «Fix Me,
Jesus». Pour le récital, Taylor, accompagnée de Ernst depuis
cinq ans, a choisi des spirituals
écrits par des compositeurs afro-américains. Si le choix des chants est
personnel, il est aussi, pour Taylor, l’occasion de replacer la place de ces spirituals dans un contexte historique,
dans le répertoire de la musique américaine et d’insister sur l’importance de
ces compositeurs afro-américains, dont certains, comme H. Leslie Adams, sont
vivants. Le programme se composait donc de compositions
de Florence Price, William Grant Still, Robert MacGimsey, Margaret Bonds, H.
Leslie Adams et d’arrangements de Moses Hogan («Deep River»), H. T.
Burleigh («Little David Play On Your Harp», «My Lord What A
Mornin’»), Lawrence Brown («Joshua Fit De Battle Ob Jericho»),
John Work («This Little Light of Mine»), Hall Johnson («Couldn’t Hear
Nobody Pray») et de «Lord, How Come Me
Here?» et «Amazing Grace». Au cours de la soirée, l'émotion était palpable, le chant articulé, sincère de Taylor, et le jeu clair d'Ernst. On ne pouvait mieux célébrer la mémoire afro-américaine.
Texte et photo: Mathieu Perez © Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016
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Wynton Marsalis & Jazz at Lincoln Center Orchestra Paris, 3 et 4 février 2016
Début de tournée pour le big band de
la célèbre institution new-yorkaise qui depuis maintenant 30 ans a décidé de
consacrer une partie de son énergie et de ses moyens au jazz, un art musical
natif des Etats-Unis. Bientôt 30 ans également que Wynton Marsalis est à la
direction du paquebot Jazz at the Lincoln Center. C’est dire l’importance
de Wynton Marsalis dans le développement
du département de la prestigieuse institution qui jouit aujourd’hui de moyens
considérables et a un rayonnement planétaire. Le Lincoln Center for the
Performing Arts, c’est 19 salles, 8000 salariés, 5 millions de spectateurs par
an, et un budget de 450 millions de dollars. Le Lincoln Center, c’est la maison
du Metropolitan Opera, de la Chamber
Music Society, du Lincoln Center Theater, de la Juilliard School, du New York
City Ballet, du New York Philarmonic… C’est aujourd’hui la maison de Jazz at
Lincoln Center, et il ne fallait pas moins que la personnalité hors norme de
Wynton Marsalis pour faire franchir au jazz, en trente ans, l’étape de la
reconnaissance institutionnelle, sans en affaiblir ou dénaturer le message. Il
y a chez cet homme non seulement une grande personnalité artistique mais
également politique, au sens noble, car construire avec autant de pression et
de responsabilité un tel édifice relève de l’impensable quand on se souvient de
la situation du jazz à la fin des années 1980. Le siècle du jazz avait besoin
de cette reconnaissance non pour la mondanité et la mode mais pour sa mémoire,
pour sa place au cœur d’une institution très représentative sur le plan
artistique et de l’histoire des Etats-Unis.
Cette personnalité polymorphe, nous avons pu encore l’apprécier, aussi bien dans une réception très musicale par l’actuelle Ambassadrice des Etats-Unis à Paris, la sémillante Jane Hartley, aussi douée que Wynton Marsalis pour la communication, que par le concert du big band du Lincoln Center, à l’Olympia.
Take I. The American Embassy, 3
février 2016
Le 3 février,
Wynton Marsalis était l’invité d’honneur
d’une réception donnée à la résidence de l’ambassadrice des Etats-Unis, Jane
Artley, à la veille de son concert à L’Olympia avec le Jazz at Lincoln Center Orchestra.
Un peu plus tôt dans l’après-midi, l’Ambassade avait organisé une masterclass
avec deux membres du big band: Walter
Blanding (ts) et Marcus Printup
(tp), à La Courneuve (93). Un atelier à destination d’adolescents qui ont
débuté depuis septembre dernier l’apprentissage d’un instrument au sein de la
Fabrique Orchestrale Junior de Bruno Wilhelm (s), lequel prodigue un
enseignement oral tel que pratiqué à l’école Landry Walker de New Orleans. Ce
moment a été riche et émouvant pour les jeunes musiciens qui ont eu également
le privilège d’assister, le lendemain, à la répétition du LCJO à L’Olympia.
Le soir,
Wynton Marsalis était donc reçu dans les salons de l’ambassadrice. Il a pris la
parole pour rappeler les liens historiques et culturels étroits entre la France
et les Etats-Unis, liens qui ont participé de l’identité du jazz: de la
possibilité donnée par les Français de La Nouvelle-Orléans aux esclaves noirs d’utiliser
les percussions (qui a été l’un des conditions ayant permis l’élaboration du
jazz à Crescent City), à la reconnaissance artistique donnée par la France, dès
l’après Première Guerre mondiale, et en particulier par Jazz Hot, nommément cité par Wynton. Après quoi, le directeur de
Jazz at Lincoln Center n’a pu s’empêcher de sortir sa trompette pour un petit
bœuf tout à fait épatant avec les musiciens (Camille Grillon, g, Ghali Hadefi, g, Hugo Afettouche, as) venus animer avec talent la
soirée, auxquels s’est joint l’excellent Dan Nimmer (p). Un véritable
bonheur pour l’assistance où se trouvaient quelques musiciens, dont Joan
Minor, Darryl Hall et Olivier Hutman. JP
Take II. L’Olympia, 4 février 2016
Devant une
salle comble, ce qui n’avait rien de surprenant, malgré les fouilles
inacceptables à l’entrée qui ternissent le savoir-vivre démocratique à la
française, quoi qu’en dise notre état d’urgence sans discernement, la soirée
fut excellente de bout en bout, avec un Wynton Marsalis, confiné modestement à
son pupitre de trompette, et qui anima
de sa place, avec clarté et simplicité, une soirée où le jazz de répertoire fut
mis en valeur dans toutes ses dimensions.
Signalons
d’abord la grande place accordée à George Gershwin: il y avait dans
chacune des deux parties plusieurs de ses compositions dans des relectures
jazziques: le «Summertime» de Sidney Bechet, revisité par Victor Goines,
dans ce lieu, l’Olympia, siège du fameux concert du grand saxophoniste
néo-orléanais, célébré à l’automne dernier en ce même lieu, montre que Wynton
ne laisse rien au hasard, ni le jazz, ni l’histoire du jazz, celle de France en
particulier. Il est savant. Il y eut encore à l’orée de la seconde partie, le Rhapsody in Blue arrangé par Billy
Strayhorn et relu ici par Ryan Kisor, Victor Goines, Sherman Irby et Dan
Nimmer. Il y eut enfin le «I Got Rhythm» arrangé par Don Redman. Dans ces
thèmes, l’orchestre, d’une souplesse et versatilité absolue, se plie aux
nécessités de la musique, avec toujours de grands solistes, au son très
personnel, d’un niveau artistique exceptionnel et d’une musicalité dans l’esprit.
Une performance que Wynton Marsalis a favorisé en choisissant la stabilité et
le travail de fond de l’orchestre plutôt que le clinquant du all stars.
Les autres
«classiques» interprétés, cela ne surprendra pas, se nomment Thelonious Monk
(«We See», en ouverture, un beau «Ugly Beauty» par la section de saxophones,
d’une suavité extraordinaire), Duke Ellington. Parmi les inattendus, un bel
arrangement d’un thème de Stevie Wonder avec un chorus de Marcus Printup. Et, bien
sûr, une conclusion dans l’esprit néo-orléanais avant un rappel triomphal où
Wynton Marsalis fit apprécier ses qualités hors norme d’instrumentiste virtuose
et de musicien explosif.
Mais le
Lincoln Center Jazz Orchestra est un collectif, et il laisse beaucoup de places
aux compositions et arrangements de ses musiciens: Ted Nash, Chris Crenshaw,
Carlos Henriquez (pour la tendance latine) ont ainsi pu mettre en valeur leurs
compositions et arrangements au sein du big band.
Il y eut des
thèmes dédiés à de beaux ensembles de trombones, de trompettes, de saxophones,
avec une section rythmique parfaite, où Ali Jackson impose ses qualités de
puissance et de nuance. Carlos Henriquez est un bassiste parfait, puissant et
essentiel. Quant à Dan Nimmer, il alterne les références à l’histoire du piano
jazz de big band, les clins d’œil à Erroll Garner et les fulgurances
modernistes, parfaitement à son affaire dans ce big band historique autant dans
son approche que dans sa qualité. La section de saxophones est très équilibrée
avec le très spirituel Walter Blanding. Les trombonistes sont des virtuoses et
Vincent Garner a fait admirer son expressivité quand Chris Crenshaw a chanté le
blues, une permanence du Lincoln Center Jazz Orchestra. On ne dira rien d’une
section de trompette où les instrumentistes atteignent une telle virtuosité
tout en restant si modestement au service de la musique. Du grand art.
Le Lincoln
Center Jazz Orchestra, en alliant la
maîtrise d’un directeur savant1 qui
construit une œuvre et d’une formation régulière et exceptionnelle2 dans toutes ses composantes, restitue la magie
des grands big bands historiques où chaque moment de musique étonne et affole,
car on en prend plein les yeux, les oreilles et le cœur. Il y a des concerts
comme ça. Parfait! C’est sans doute ce qui dérange chez Wynton Marsalis. Il est
maintenant là depuis si longtemps et toujours si exceptionnellement parfait
dans tout ce qu’il fait… presque surhumain. YS
1. Le 6 février, Wynton Marsalis a justement été fait
Docteur Honoris Causa de l’Université de Lyon, cf. jazz-rhone-alpes.com n°590 du 8 février 2016 et notre "Hot News" du 8 février. 2. Le Lincoln Center Jazz Orchestra: Wynton Marsalis (tp,
dir), Ryan Kisor tp),Kenny Rampton (tp), Marcus Printup (tp), Chris
Crenshaw (tb, voc, soubassophone), Vincent Gardner (tb), Elliot Mason
(tb), Paul Nedzela (ss, bar, bcl), Walter Blanding(ss, ts, cl),
Sherman Irby (as, ss, fl, cl), Ted Nash (as, ss, fl, cl), Victor
Goines(ss, ts, cl, bcl), Dan Nimmer (p), Carlos Henriquez (b),
Ali Jackson (dm)
Jérôme Partage et Yves Sportis Photo © Sylvain De Gelder by courtesy of Ambassade des Etats-Unis, Georges Herpe, Yves Sportis
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016
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Paris en clubs Décembre 2015 et janvier 2016
Le 11 décembre,
Amnesty International organisait au Centre
Cerise (Paris 2e) un concert de soutien à Albert Woodfox, un ancien militant des Black Panthers, condamné
sans preuve pour meurtre en 1972 et détenu depuis à l’isolement dans le
pénitencier d’Angola, en Louisiane (voir notre Hot News du 10/12/15). Le blues
s’imposait pour une telle soirée et il fut donné par le groupe Cotton Belly’s, venu jouer amicalement
pour la cause. Habituellement en quartet, c’est sans leur batteur que Yann
Malek (g, hca, voc), Jérôme Perraut (elg) et Christophe Etienne (b) se sont
présentés devant un public réceptif à l’énergie envoyée. Avec un subtil
équilibre entre blues acoustique et électrique, le trio a déroulé un set de
reprises bien réarrangées («I Got a Woman» de Ray Charles et
«Superstition» de Steevie Wonder bluesifié et finalement meilleur
que la version originale plutôt soul-disco) et des compositions de bonne tenue
comme «Shy Boy» ou «Hard Times». On espère que dans sa cellule de 9m2, Albert Woodfox recevra
lettres, photos du concert et même le disque de Cotton Belly’s, autant de
témoignages de sympathie, et peut-être une petite source de réconfort. JP
Le 19 décembre, Rachel Gould était au Sunset. La chanteuse américaine, qui vit aujourd’hui en Hollande, a
chanté avec les plus grands jazzmen: Chet Baker, Phillip Catherine,
Horace Parlan. Elle avait réuni autour d’elle Renato D’Aiello (ts), qui a déjà
fait une tournée en Europe avec elle en 1996, Laurent Epstein (p), Fabien
Marcoz (b) et Stéphane Chandelier (dm). Après un scat d’ouverture, suivi d’une
prise de parole de chaque musicien,Rachel a enchaîné «More Than You
Know» et «Empty Room». Mais c’est avec un duo entre voix et
sax, sur une composition explorant le thème de «All of Me», que
l’on entra vraiment dans le concert: «Birthday», «There Is no
End», «Do You Feel Xhat I Feel»… L’ambiance était posée et il
ne nous restait plus qu’à déguster en silence, une saveur exotique sur «At the
Mambo » (Benson) en guise de final. PM
Le New Morning affichait complet le 10 janvier pour Cécile Mc Lorin Salvant (voc), soutenue par le trio d’Aaron Diehl (p). Le premier morceau,
«Jeepers Creepers» (Nina Simone) est l’occasion pour les musiciens
– Aaron Diehl, Paul Sikivie (b) et Lawrence Leathers (dm) – de se présenter à
travers leurs solos et d’enchainer sur une première ballade «So in Love»
(Cole Porter), avant de poursuivre par«Mad About the
Boy». L’ambiance est intimiste et le piano envoûtant pour l’introduction
de «Fog» composition de son dernier album For One to Love. Puis Cécile nous emporte sur «La Route
Enchantée de Charles Trenet» et celle des «Wifes and Lovers»,
chanson écrite en 1960. Après la superbe reprise issue de West Side Story («Something’s Coming») qui enthousiasme
le public, elle laisse le trio seul sur
scène pour mettre fin au premier set. «Personne
ne veut de moi, personne n’entend ma voix» interprétation de la chanson
de Damia à la reprise: mais qui pourrait la croire devant une telle
démonstration de son talent! L’artiste aime aussi à raconter des
histoires comme en introduisant «Never Will I Marry» qu’elle
traduit elle-même en riant devant un public aux anges. Aaron Diehl et Lawrence
Leathers se partagent les solos sur «Let's Face the Music and Dance»
avant «Somehow I Never Could Believe» tiré de l’opéra de Kurt Weill,
sur un arrangement d’Aaron Diehl, morceau qui confirme la liberté vocale de
Cécile McLorin, qui lui vient sans doute de sa formation lyrique. La chanteuse
termine sur «Je ne pourrai jamais vivre sans toi» reprise des Parapluies de Cherbourg, preuve que l’on
peut swinguer en français. Après quatre rappels, dont un a capella, Cécile McLorin
quitte la scène devant un public définitivement conquis. PM
Le Caveau de La Huchette, rendait hommage, le 12 janvier, au regretté Marc Thomas qui devait initialement se
produire ce soir-là. C’est donc son groupe qui a célébré son souvenir:
Jean-Christophe Vilain (premier trombone chez Bolling), Guillaume Naud (p),
Jean-Luc Arami (b) et Vincent Frade (dm). On retiendra, pour le premier set,
une belle version de «Too Close for Comfort» sur laquelle on
croyait presque entendre la voix Marc Thomas. Quelques musiciens étaient également
venus jammer en l’honneur de leur copain disparu: Larry Browne (tp, voc),
et un autre crooner, habitué des lieux, Austin O’Brien, qu’on a entendu sur
«All of Me». JP
Le 21 janvier, le trio Boulou Ferré-Elios Ferré-Christophe Astolfi
donnait à l’Atelier Charonne deux
sets très puissants. Jouant des titres de son nouvel album, intitulé Quand le jazz rencontre la chanson française,
ce nouveau trio nous promène dans ses quartiers de prédilection à Paris, de
Montparnasse à Montmartre, et à travers l’histoire de sa famille, de sang et de
cœur. On y croise donc Gainsbourg, Brassens, Bachelet. Qu’il joue en solo ou accompagné, Boulou Ferré est la perfection musicale, avec
sa voix artistique aiguisée et son immense culture musicale, du jazz à la
musique baroque et contemporaine. Elios, le son qui sent le vécu, avec cette
chaleur et ce naturel irrésistibles, nous prend par son savoir-faire pour les
belles mélodies. Au milieu de ces deux fauves, Astolfi trouve sa place, avec
ses interventions sensibles et justes, dans un trio où on s’écoute et
s’accompagne.
Si les frères Ferré s’inscrivent dans la lignée des grands guitaristes de jazz,
qui pulvérisent les frontières musicales, il est dommage qu’ils soient
aujourd’hui cantonnés à ce restaurant où on respecte plus les plats que les
artistes. MP
Le 22 janvier, au Caveau de La Huchette, Michel
Pastre (ts) était accompagné de César Pastre (p), Raphaël Dever (b) et
Laurent Bataille (dm) venu effectuer un remplacement de dernière minute. Le
Caveau, rempli de joyeux noctambules et de nombreux danseurs, dont certains
couples impressionnants de technique (on a tout de même déploré une bière
renversée), a réservé un accueil chaleureux à ces quatre excellents musiciens
qui ont attaqué le premier set avec un«Perdido» nerveux. Un
beau dialogue s’est instauré entre père et fils sur «Ain’t
Misbehavin», donnant l’occasion à César d’exprimer un swing ample et
naturel. Michel, à la fois en puissance et en finesse, a également trouvé un
soutien impeccable auprès de Dever, contrebassiste solide, et de Bataille qui a
donné quelques solos réjouissants. Une affaire
(de famille) qui tourne rond! JP
Alain Jean-Marie se produisait le 25 janvier au Duc des Lombards, plein à craquer, pour un set composé de
standards. Avec son trio, composé de deux musiciens supérieurs, Gilles Naturel
(b) et Philippe Soirat (dm), il jouait, avec excellence et une approche très
personnelle, un répertoire nourri de blues et de swing (comme « ‘Round About
Midnight »), dont la beauté surgit à chaque intervention. Bien trop peu présent
sur nos scènes en leader, il serait temps que les clubs et les festivals
présentent ce pianiste au sommet de son art. MP
Le 26 janvier, Le Petit Journal Saint-Michel accueillait Marcel Zanini (cl, ts, voc) qui, à 92 ans, est apparu en bonne forme
et entouré de son fils Alain (alias Marc-Edouard Nabe, g), de Patrick
Bacqueville (tb), Patrice Authier (p), Pierre Maingourd (b) et Michel Denis
(dm). Le son de Zanini au ténor ou à la clarinette reste clair. Et c’est sur son mode
humoristique habituel qu’il a interprété ses morceaux fétiches: «Did I Do», «Do
You Want to Dance Mam’zelle?», «Rosetta» ou encore «Limbo Jazz» de Duke
Ellington. Bacqueville a apporté un soutien bienvenu au leader, tandis que la
rythmique «faisait le boulot» en s’amusant de ses facéties. Au second set, à la
fin du premier morceau (un «Que reste-t-il de nos amours» assez
émouvant), Zanini a décidé de prendre congé, laissant l’orchestre terminer la
soirée, mais non sans s’être assuré que tout le monde dans la salle avait bien
à manger et à boire! JP
Cela fait sept ans que le Sunset-Sunside,
propose, un dimanche après-midi par mois, ses « Jazz et Goûter», un formule qui a pour vocation de faire
découvrir le jazz aux plus jeunes (et à leurs parents) et qui fait un
tabac! Le 31 janvier, Manu Le Prince (voc) présentait à la
jeune assistance le répertoire de Billie Holiday. Accompagnée de son fils
Julien Le Prince Caetano (p), de Gilles Naturel (b) et de John Betsch (dm), la
chanteuse a su captiver l’attention des petits en leur faisant reprendre les
paroles («Blue Moon» qui a donné lieu en fin de concert à un duo
avec un jeune fille d’un dizaine d’années) ou ses scats («Lullaby of
Birdland», «All of Me»). Un concert didactique (quelques
démonstrations de Gilles Naturel à l’appui) à l’issu duquel les enfants se sont
pressés nombreux autour du batteur, fascinés à la fois par l’instrument et par
son allure de bonze. Always the very
Betsch! JP
Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez Photos © Patrick Martineau et Jérôme Partage
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016
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L'Astrada Marciac (32), 10 octobre 2015 et 30 janvier 2016
C’est la reprise de la
saison culturelle, le 10 octobre, à
L’Astrada de Marciac avec un artiste qui n’abuse pas des lieux, puisqu’il n’est
pas revenu ici depuis sept ans. Pas moins de deux remplaçants par rapport au
personnel annoncé, le bassiste et le pianiste. Wallace Roney, en quintet, présente ses musiciens au début et à la
fin du set, laissant place pendant presque deux heures à une musique dense
menée tambour battant. C’est avec sa trompette (une superbe Martin) que Wallace
Roney communique. Et il raconte une histoire celle de Miles Davis, plus
spécialement celui de la deuxième moitié des années 1960. Non seulement le
maintien, pavillon dirigé vers le sol, mais aussi le timbre et le phrasé sont
ceux de Miles (la sonorité est un peu moins large). Même les rares notes «
accrochées » dans l’aigu font authentiques. Le groupe ne connait que les
nuances mezzo-forte et forte, et un climat tendu qui fonctionne grâce à un
excellent pivot rythmique, le jeune bassiste Rahsaan Carter et l’implacable
batteur Lenny White. Pas de standard bop (en dehors du bis, « Milestones »,
vite mené et où pour la seule fois, Wallace Roney a utilisé la sourdine harmon
sans tube placée contre le micro, comme son modèle). Le troisième morceau se
voulait être une détente, une ballade (bien commencée ainsi par Wallace Roney,
seulement soutenu par le pianiste Anthony Wonsey dans son meilleur moment de la
soirée), mais il y a vite un changement de tempo (médium). L’ordre des solos
est toujours le même, la trompette en premier, sauf pour le cinquième morceau
devant terminer le set, un thème-riff simple et effica ce laissant d’abord la « parole» au
bassiste Rahsaan Carter (jeune et prometteur), puis au piano, au sax (Ben
Solomon, ts, son instant le plus coltranien), à la trompette très brièvement
(problème de résistance ?) et au batteur (technique de gaucher sur un
agencement de droitier). Les amateurs de Miles Davis ont renoué avec leurs
souvenirs.
A nouveau une salle
insuffisamment remplie, le 30 janvier,
pour une «star» américaine. Le swing ne semble vraiment plus faire
recette. James Carter et son Organ
Trio - Django Unchained n'en a
pas semblé affecté. Au ténor sur lequel il dispose d'un beau son ample (que
pour « Le Manoir de mes rêves» et en bis, « Nuages »), à l'alto et au soprano,
il nous a proposé un spectacle (aussi par son comportement en scène, débridé et
pas morose) centré sur Django (et, pour un thème, Babik). Une vision parfois
lyrique (« Douce Ambiance »), toujours swing, mais "libérée”. Pas de récitation
à la lettre. Django n'est ici que l'auteur de thèmes. James Carter n'a aucune
inhibition sur le saxophone ce qui lui permet d'en tirer l'«impossible» (ou
presque), toujours avec imagination et...fantaisie. Gerard Gibbs (né en 1967),
disciple de Richard Groove Holmes, venu de Detroit, est un complice efficace
pour James Carter. Le jeune Alex(ander) White, ex-complice de Marcus Belgrave,
également de Detroit, ne nous était pas connu. Il fut mis en valeur dans « Troublant
Boléro » et surtout dans « Impromptu ». Il a assuré tout au long du concert
avec technique et swing. Au total, un bon concert.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016
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Lemmy rencontre Sinatra & Django Théâtre du Marais (Paris 3e), 26 janvier 2016
Cela fait quelques années que Lemmy Constantine est connu des
lecteurs de Jazz Hot (voir son
interview dans le n°640) qui n’ignorent pas sa double dévotion à Frank Sinatra
et à Django Reinhardt. Acteur, chanteur, guitariste, fils d’Eddie Constantine
(vedette américaine de la France des années 50 et 60), Lemmy, né aux Etats-Unis
mais élevé en France, a parfaitement assimilé sa double culture qui prend chair
aujourd’hui dans un joli spectacle: Lemmy
rencontre Sinatra & Django (mis en scène par Caroline Loeb) dans
lequel, seul en scène et guitare à la main, il passe en revue le répertoire de
«Frankie» à la sauce Django. En évoquant ces deux figures , appartenant, à première vue, à des univers assez
éloignés (en fait, il est surtout question du personnage de Sinatra: Django restant plus lointain, plus fantasmé, une figure de
son rêve gitan), Lemmy raconte entre chaque morceau des souvenirs d’enfance, des
anecdotes (vécues ou rapportées) où se croisent son père, Sinatra bien sûr,
mais aussi Aznavour ou Sophia Loren.
Les paroles anglaises, interprétées sur un ton de crooner,
se marient naturellement avec la guitare swing: «Night & Day», «Nuages»,
«The Lady Is a Tramp», «Old Man River», etc. La rencontre Sinatra / Django
trouvant une belle conclusion sur «Fly Me to the Moon», introduit par les
premières mesures de «Minor Swing». Au final, Lemmy Constantine démontre avec
talent le lien entre les deux artistes, appartenant à une même civilisation,
celle du jazz, dans ses dimensions multiples. Lui-même se situant sur ce trait
d’union.
Une rencontre à ne pas manquer, qui se joue chaque mardi à
19h au Théâtre du Marais (37 rue Volta, Paris 3e), au moins jusqu’à
fin mars.
Jérôme Partage Photo © Rémi Loca, by courtesy
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-201
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Le Baton Rouge. Jazz Ô Bar Granville (50), 16 et 23 janvier 2016
A
Granville, le jazz se vit toute l’année depuis bientôt un an
(anniversaire en mars prochain) grâce à l’initiative heureuse de Roland
Girard, le boss du bistro baptisé «Le Baton Rouge», en référence bien
sûr à la ville sur le Mississippi, capitale de la Louisiane.
Pour
ses soirées Jazz O’ Bar (deux sets à 19h et 21h, généralement le samedi
voire plus quand c’est possible) cet amoureux du jazz a fait appel aux
forces vives du beau port de pêche et plus précisément pour l’épauler
dans la programmation et la communication à Christian Ducasse,
photographe émérite, dont on attend impatiemment une exposition sur
place, et pourquoi pas pour l'anniversaire.
Installé
non loin de l’Eglise St-Paul, le club est central, et un public local
vient renforcer les amateurs du département pour encourager un Roland
Girard très dynamique. Le club est chaleureux, respectueux de la
musique sans que personne ne soit brimé, et les efforts de décoration et
d’organisation donnent chaque jour plus de corps à ce projet fort
sympathique. Parmi les concerts importants de ce début de vie, on a eu
la venue de Ronnie Lynn Patterson en 2015.
Le
samedi 16 janvier de cette nouvelle année, l’excellente Marie-Ange
Martin (g) était l’invitée et la directrice d’un trio local composé
d’Isabelle Verguet (p) et d’Eddy Charni, contrebassiste prometteur,
conducteur de train à d’autres heures (ligne Granville-Paris), et
habitué du lieu. C’est le disciple et le fils spirituel du grand
contrabassiste Wayne Dockery, installé depuis quelques années dans la
Manche. Eddy est un élément régulier de la section rythmique maison ; il
accompagnait d’ailleurs Ronnie Lynn Patterson.
Au
programme de cette rencontre improvisée du 16 janvier –jam session par
l’esprit– avec Marie-Ange Martin, dont les cordes ont été inspirées
aussi bien par Django Reinhardt que par Pierre Cullaz, des standards
comme «Out of Nowhere», «Freddie the Freeloader» (Miles Davis), «Have
You Met Miss Jones», «Blue Bossa» (Kenny Dorham), «Bye Bye Blackbird»,
«C Jam Blues» (Duke Ellington).
On
retiendra d’un ensemble honorable, un beau «Along Came Betty» du grand
Benny Golson, où ces dames furent très inspirées, un beau «Nuages» de
qui vous savez en duo contrebasse-guitare où Marie-Ange fit plaisir à
tous et un «Bye Bye Blackbird» où Eddy tint le rôle du soliste inspiré
avec le soutien aux petits oignons de ses dames. Un moment de jazz sans
prétention, où tous les présents, auditeurs compris, d’une salle pleine
comme un œuf, ont été attentifs, et ont vécu une bonne soirée, jazz,
c’est-à-dire prolongée par une dose de convivialité et d’humanité
indispensable à l’atmosphère du jazz. C’est la récompense de Roland
Girard.
La semaine suivante, le programme proposait un beau
trio avec en vedette l’excellent David Sauzay (ts), qui a publié en 2015
un hommage à Frank Sinatra (centenaire), Nice & Easy, en
compagnie du bon chanteur italien, Walter Ricci. David était brillamment
secondé ce 23 janvier par Jérémy Bruger (p), un musicien du cru (Caen)
qui vit maintenant entre sa Normandie et Paris où il a déjà son réseau.
Son premier disque en trio, Jubilation, a été enregistré en compagnie de Raphaêl Dever et Mourad Benhammou (pour les chroniques: www.jazzhot.net).
A
la contrebasse, Christophe Berthéas a tenu avec efficacité le rôle du
gardien du temps, s’autorisant quelques excursions en chorus. Le
répertoire était composé de beaux standards, comme «Gone With the Wind»,
«All the Things You Are», «Satin Doll», «Speak Low»… mais la présence
de David Sauzay nous valut un magnifique «Amsterdam After Dark» en
référence au grand George Coleman et un «Misty» d’Erroll Garner dans sa
lecture coltranienne. David Sauzay, utilisant au mieux le cadre du Baton
Rouge, s’est fait plus intime, avec un son filé parfois, avec ces
doubles sons du Coltrane première manière, avec de belles envolées et un
petit passage en soliste tout à fait remarquable. Jérémy Bruger
était pour nous la découverte du jour. Il a parfaitement intégré dans
son jeu ce qui fait de lui un vrai pianiste de jazz: nuances de blues,
swing, accent, écoute et toujours des moments de virtuosité dans
l’esprit, sans démonstration, qui sont le signe d’une sagesse certaine
bien qu’il soit encore jeune.
Pour
terminer la soirée sur une joyeuse note d’espoir, David a invité ses
deux fils, Gabriel (cb) et Gaspard (tp), sur deux standards du jazz, et
tout le monde s’est bien tiré de cette affaire de famille, dans un
moment de pur esprit jazz: rencontre et transmission.
C’est
ce qui est précieux dans ce bar intimiste où le public, sur le modèle
de Roland Girard, est à l’écoute, discret. Ce pourrait être un nouveau
modèle du jazz pour nos provinces qui manquent si souvent de cette
proximité chaleureuse avec le jazz, une musique pourtant adaptée à cette
échelle très humaine.
Et
il y a beaucoup de très bons musiciens de jazz en France qui
n'attendent que ça! Beaucoup de jeunes et de toujours jeunes, car le
jazz conserve, qui peuvent avantageusement enrichir les soirées du
samedi soir, particulièrement pauvres par ailleurs… A ce sujet, le
public pourrait s’inspirer de l’exemple de David Sauzay, et venir avec
les enfants, les adolescents en particulier, pour écouter du jazz, une
manière d’apprendre que les décibels ou la foule ne font pas la qualité.
Pour
la recette de ce gumbo granvillais très réussi, adressez-vous au boss,
il aime partager son amour du jazz, il vous la donnera certainement. A
bientôt donc pour un bel anniversaire, le premier, avec trois concerts
sur trois jours. Au menu encore secret, mais il y a eu des fuites: du
jazz new orleans par le gratin des musiciens de ce style en Normandie,
du jazz de Django, avec une violoniste à découvrir, et du bebop qui
déménage… Il est recommandé de réserver. Des précisions sur le programme
bientôt!
Baton
Rouge, soirées Jazz O’Bar. 21, rue Saint-Paul. Tél. 06 03 93 32 96 ou
09 73 57 55 15 www.facebook.com/batonrougejazzgranville
Yves Sportis Photos © Christian Ducasse, by courtesy
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016
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Bruxelles en janvier (et en chansons) Jazz Station (Bruxelles), 9 et16 janvier 2016
L’année dernière, le Théâtre Marni,
l’Espace Senghor et la Jazz Station se sont alliés pour présenter en janvier un éventail de concerts qui
visitent «les» jazz et les musiques cousines: le River Jazz
Festival était né; une manière de pallier à la désaffection d’un public
tenté de privilégier, le même mois, les grandes productions (Flagey, Bozar, AB
ou Djangofollies). Il ne faut toutefois pas voir dans cette démarche l’unique
souci d’être compétitif; ces acteurs et d’autres (Sounds, Music Village,
Archiduc…) se retrouvent ailleurs,
réunis sur le site www.jazzbrussels.be
initié par la Ville. La promotion commune (affiches, oriflammes, programmes,
site web….), enrichie et plurielle, profite à tous, touchant un public large
qui découvre de nouveaux acteurs du jazz national et international. Le succès
magistral du premier festival a généré une seconde édition, avec, au
choix: Dick Annegarn (voc, g, har), Natacha Wuyts (voc), Nikolas Anadolis
(p), Bai Kamara Jr., le Jazz Station Big Band, Tutu Puoane (voc) et Tineke Postma (as, ss), Roby Lakatos (vl)
et Biréli Lagrène (g), une carte blanche à Stephan Pougin (perc) avec Steve
Houben (as) et Alexandre Cavaliere (vl) ea., Macha Ghariban (p, voc), Toine
Thys For Kids et un «coup de chapeau» à Laurent Blondiau (tp) qui occupe
les trois salles, le même soir, de 18h à minuit; trois concerts avec trois
formations différentes. Accrochées, dans les trois salles aussi: trois
fois quinze œuvres magnifiques du dessinateur Herb Cells; des illustrations qui mêlent taches de café et
encre de Chine.
La Jazz Station affichait complet dès le
début du mois pour les cinq concerts programmés. Soit: cinq fois une
centaine d’entrées sur réservations. Nous n’avons malheureusement pas pu tout
voir! Le samedi 9, la chanteuse Natacha Wuyts était très bien accompagnée
par Sabin Todorov (p) Victor Foulon (b) et Jérôme Baudart (dm). Même si le jeu
du batteur m’est apparu manquant parfois de légèreté, j’ai vécu un excellent
concert, bien en place. Natacha Wuyts est une artiste bourrée de swing, à
l’égale du meilleur instrumentiste et elle scatte à tout va. Ce soir-là, le
répertoire rendait hommage à la grande Anita O’Day avec une quinzaine de
standards: «Tenderly», «Sweet Georgia Brown»,
«Night Bird» d’Al Cohn, «Bewitched» de Rogers &
Hart, «Whisper Not» de Benny Golson, «Just One of Those
Things» de Cole Porter, «S’Wonderful» et «But Not For
Me» de George Gershwin… Le pianiste Bulgare (Bruxellois d’adoption) est
un parfait accompagnateur et un soliste inspiré qui alterne sa palette colorée
au chant vigoureusement rythmique de Natacha Wuyts. La chanteuse, biberonnée
dans une famille de musiciens, formée au célèbre Jazz Studio d’Anvers, mérite à
coup sûr une renommée qui devrait aller bien au-delà des frontières du royaume. Mais, à 37 ans, le désire-t-elle vraiment? (écouter
Natacha Wuyts et Charles Loos: «Nature» (Quetzal QZ 142).
Le samedi 16, ce fut une autre chanteuse pour un
autre hommage d’une toute autre couleur. Je vous ai sans doute déjà raconté
tout le bien que je pense de Tutu Puoane. Arrivée en Hollande en 2002 en
provenance de son township de Pretoria, Nonthuthuzelo Puoane a étudié à La Haye
avant de se fixer à Anvers, où elle épouse Ewout Pierreux (p). Très vite, on
est impressionné par la puissance de sa voix,
son articulation parfaite, son sens du rythme et ses modulations africano-jazz.
Elle chante Billie Holiday, Nina Simone et, bien sûr: Myriam Makeba. Elle
enregistre «Song», «Quiet Now» (Safrane), «Mama
Africa», mais aussi: avec Bert Joris (tp), le Brussels Jazz
Orchestra et l’Orchestre Philharmonique de Flandre. A 37 ans (comme Natacha
Wuyts), la jeune femme awardée dans
son pays d’origine, connait en Belgique et en Europe un succès à la mesure de
ses grands talents, ce qui ne l’empêche pas de laisser place à des prestations
plus intimistes comme celle qu’elle avait réservé à la Jazz Station. Cette
fois, avec son quintet belgo-batave – Ewout Pierreux (p), Tineke Postma (as,
ss) Clemens van der Feen (b) et Jasper van Hulten (dm) – elle avait choisi de
rendre un hommage appuyé à Joni Mitchell (voc, CDN): une passionaria souvent reprise au répertoire des
jazzmen. Outre le célèbre «Clouds» de la Canadienne, nous avons
relevé: «God Must Be a Boogieman» (beau solo de Tineke au
soprano), «My Old Man»: un blues qui valut à Tineka Postma
(ss) le qualificatif de My Sister From
Another Continent; suivirent: «Big Yellow Taxi» puis:
«Hejira» qu’avait enregistré Joni Mitchell en compagnie de Jaco
Pastorius. Aucune faute ne fut à relever au cours de ce splendide
concert; chaque musicien dévoila ses plus beaux atours. Nous ne
connaissions pas Jasper van Hulten; son drumming souple et précis est
digne de son compatriote Van Oosterhout.
Quant à Tineke Postma: c’est une des meilleures altistes européennes. Clemens
Van der Feen, à la guitare, nous offrit un duo minimaliste avec la chanteuse.
Nous le préférons à la basse! L’organisation générale du répertoire (à
l’initiative sans doute d’Ewout Pierreux) était très recherchée avec des intros
sax-voix, des enchaînements de solos au piano puis à la batterie, des chorus
scat & piano, des passages à l’archet … Tutu Puoane vit ses paroles; sa
voix est vraiment exceptionnelle. En second bis, elle nous offrit un chant
traditionnel afrikaans-zoulou du plus bel effet.Jean-Marie Hacquier Photo © Pierre Hembise
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016
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Bruxelles en novembre (et en vie) Studio 4 de Flagey, Jazz Station (Bruxelles), 17 et 28 novembre 2015
Paris-Bruxelles: l’horreur!
Touché au cœur de ses valeurs de
partage, le jazz pleure! Les artistes, les promoteurs et les
organisateurs ont hésité avant de choisir la vie. En cette seconde moitié de
novembre, nous avons vécu nos projets, jour après jour dans un mélange de
tergiversations, d’annulations et de confirmations. Le degré «4» d’alerte maximale
avait aussi touché Bruxelles mais Aznavour a chanté l’amour à Forest-National, Joshua
Redman et son quartet James Farm ont illuminé le Studio 4 de Flagey. Annulés
toutefois: Roberto Fonseca et Chano Dominguez (p)ou encore la
soirée consacrée au jazz luxembourgeois à la Jazz Station.
Quelques sièges restèrent vides
au concertdu quartet James Farm (Joshua Redman, ts, ss, Aaron
Parks, p, Matt Penman, b, eb, Eric Harland, dm) au Studio 4 de Flagey, le 17
novembre. Malgré la fouille corporelle à l’entrée, nous étions présents,
recueillant tout ce que cette musique possède d’énergie positive. Fort
intelligemment, Joshua Redman
attendit la fin du concert pour rappeler l’importance de la musique pour la
paix, mais aussi: l’empathie des musiciens et du peuple américain pour
l’Europe endeuillée. Quant au concert: ce fut une
merveille! Le groupe parle d’une seule voix; la construction est
limpide, la musique coule, légère. Le répertoire visite le dernier opus avec quelques incursions dans le précédent. Les
structures vont du néo-classicisme aux incursions libertaires («It’s
Night Here»), jusqu’aux modalités («City Folk») en passant
par des songs («Otherwise»).
Redman est loin de tirer la couverture à lui; chaque musicien a sa part
de gloire: Aaron Parks (p) avec les harmonies délicates d’une
ballade-cantique: «Farms»; Matt Penman (b): en un
solo inventif et souple sur «North Star» avant d’ouvrir en ostinato pour lancer son confrère
pianiste. Remarquables aussi: l’unisson ténor & basse ou l’échange
entre Eric Harland (dm) et Aaron Parks aux keyboards («Unknow»).
Impressionnant: le jeu fin de Harland, continuellement soutenu par la
charleston en accompagnement comme en solo. Visiblement heureux d’être là avec
nous, Joshua Redman déclarait à la suite
du troisième thème:«J’adore
Bruxelles pour l’animation de la ville, ses nombreux clubs de jazz et son
ouverture à toutes les cultures (traduction libre)!» En rappel,
un chaleureux «Ornithology» communiait en «merci».
Le 28 novembre, Greg Houben
(tp, flh) retrouvait la Jazz Station;
un bail qu’on ne l’avait plus écouté dans cette formule néo-bop, post-Baker,
occupé qu’il était par sa face théâtreuse d’heureux cueilleur de miel (entendez: «Happy Culture»,
son groupe avec Fabien Fiorini). Heureux, nous l’étions aussi de pouvoir
retrouver ce quartet presqu’entièrement liégeoisavec Pascal Mohy (p), Antoine
Pierre (dm) et Cédric Raymond (b). Une fois de plus, Pascal Mohy nous est
apparu lyrique, envoûté («I Remember You», «I Mean
You»), investi dans ses interventions jusqu’à en oublier de passer le
relais au bout du nombre de choruses
convenus («All The Things You Are»). Avec Greg, ils ont écrit
«Mademoiselle Croissant»: une composition qui sera le seul
morceau joué à la trompette bouchée. Antoine Pierre (dm), en assurance
croissante, est sollicité par tous; discret, il attendit patiemment qu’on
l’invite en solo («I Remember You») ou en 4/4 (All The Things You
Are»).
J’avais écouté Cédric Raymond
(b) avec des groupes d’obédiences diverses; ce samedi-là, j’ai été
subjugué par la justesse de son jeu et la finesse de ses lignes
(«Avarandado», «I Mean You», «Mademoiselle
Croissant»). Multi-instrumentiste - il joue aussi du piano et de la
batterie, sa modestie cache un très grand talent qui doit éclater, être reconnu.
Un peu court en lèvres sur le premier thème («Without The Sound»),
Grégory Houben est monté en puissance au long du répertoire. Avec
«Avarandado» de Caetano Veloso, il a tenu à réaffirmer son amour du
Brésil. Nous attendions qu’il chante l’un ou l’autre thème; ce fut peine
perdue. L’arrière-petit-cousin de Jacques Pelzer, arrière-petite-pupille de
Chet Baker nous avait habitués à séduire par l’embouchure du bugle. Il fallut
attendre «All The Things You Are» et «Misty» - joué en
bis – pour retrouver ce velouté qui plait à nos oreilles. Nonobstant une belle
attaque sur un blues de Kenny Dorham, Greg ne joue pas toujours straight ahead; on apprécie, par exemple: ses
étranglements sur «A Flower As A Love Song End» de Billy Strayhorn.
A coup sûr, ce beau quartet mérite des engagements plus nombreux.
Jean-Marie Hacquier Photos © Pierre Hembise
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016
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Jorge Pardo Trio Roche de Palmer, Cenon (33), 5 novembre 2015
Ce 5 novembre était à marquer d’une pierre blanche
avec la venue au Rocher de Palmer à Cenon du trio du saxophoniste madrilène Jorge
Pardo (voir notre interview dans ce numéro 674), tant sa présence est rarissime dans l’hexagone. Jorge Pardo débute ce
concert seul à la flûte avec deux belles
versions de «La Danse du Feu» de Manuel de Falla et du
«Bolero» de Ravel. De la créativité, de la personnalité, un souffle
-puissant pour un flûtiste- permettent dès les premières notes de mesurer
l’envergure du musicien. L’entrée du jeune percussionniste Juan Manuel El
Bandolero Ruíz - entendu un temps avec
Dave Holland - au cajón donne une assise gitane mais moderne à l’interprétation
des variations sur ces deux thèmes et
marque le début d’un dialogue entre Pardo et ses partenaires. Le flûtiste
s’efface le temps d’un thème pour introduire Jose Mi Carmona, magnifique
guitariste de la grande famille des Habichuela.
Il improvise sur la
«Granaina» et la «Pavane» de Ravel et, en hommage à la
Tia Habichuela, une pièce du même nom. Débutent
ensuite les créations de Pardo - création au sens où l’apport de Jorge à un thème existant
transcende totalement celui-ci. Le flûtiste-saxophoniste
use d’une virtuosité sans outrance, ciselant ses compositions en osmose
parfaite avec ses partenaires; Carmona, inspiré, rapide, brillant; «Bandolero»
utilisant essentiellement et avec discrétion, caisse claire, grosse caisse et
charleston et à profusion son cajón. Passé au saxophone ténor Pardo offre Por alegría le thème que Camarón a dédié
à La Perla de Cádiz puis Por soléa, «La
Historia de un amor» introduit par le duo guitare et cajón. Dans cette interprétation
le bolero se parfume de jazz dans le
solo de saxophone. Le trio, plein de
spontanéité, poursuit dans cette veine se déplaçant imperceptiblement à partir
d’un rythme tango-flamenco vers une
version personnelle de «Caravan» que les puristes du jazz ne
peuvent qu’apprécier. Il traverse au
passage deux autres thèmes «Tangroove» (de Carmona) et «Yo no
quiero dinero» (J. Pardo). Le soniquete
que l’on retrouve tout au long de la prestation fait office de swing et doit
attirer les jazzophiles autant que les amateurs de flamenco. Pardo reprend sa
flûte pour une ultime suite por buleria,
un medley au sein duquel on retrouve des compositions de Jorge et de Paco de
Lucía s’achevant sur une standing ovation du public et un rappel offrant une
fois de plus une prestation aflamencada d’un grand classique de
Mancini «Moon River». Ecrit
pour Audrey Hepburn le thème sied parfaitement ce soir à la flûte de Jorge
Pardo. Très belle soirée! Texte et photo: Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016
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Le Petit Journal Montparnasse Paris 14e. Festival des 30 ans. Novembre 2015
En novembre, le festival des 30 ans du
Petit Journal Montparnasse s’est poursuivit avec quelques jolies
dates. Tout d’abord, le 3 novembre, David Sauzay (ts, fl)
présentait son nouvel album avec le chanteur italien Walter Ricci,
Nice & Easy. Nous avons récemment brossé le portrait du
Napolitain dans la chronique du disque. La performance live joue à
son avantage, le charme du crooner opérant sur scène avec un grand
naturel. Plutôt qu’à Frank Sinatra, son idole à qui le
répertoire choisi était consacré (« Dance With Me »,
« Nice ’n’ easy », etc.), Ricci fait penser à Harry
Connick Jr. dont il est le quasi sosie vocal. Un bon interprète en
tous cas, entre swing et bel canto italien (avec un « Buona
sera signorina » en version originale). Signalons enfin qu’il
figure parmi les onze demi-finalistes de la Jazz Vocals Competition
2015 du Thelonious Monk Institute. Un client sérieux donc… Du côté
de l’équipe emmenée par l’excellent David Sauzay, que du beau
monde : Pierre Christophe (p), Michel Rosciglione (b) et Bernd
Reiter (dm). Un quartet impeccable qui réarrange Sinatra à la sauce
bebop. Le pied ! JP
Le 6 novembre Aurore Voilqué (vln,
voc) donnait un premier concert avec son septet. Un nouveau projet et
un nouveau répertoire en vue d’un enregistrement en avril 2016.
Aurore était entourée de ses fidèles compagnons de scène, Thomas
Ohresser (g), Basile Mouton (b) et Jerry Edwards (tb) ainsi que de
deux nouveaux soufflants – François Biensan (tp) et Thomas Savy
(ts) – et de Romain Sarron (dm). Tout en noir, ses trois cuivres
en première ligne, la leader a d’abord dédié ce concert à
Charlie Christian avant d’enchainer avec « Gone With That
Draft » de Nat King Cole ; Django et sa « Place de
Broukere » fut le lien vers « Quand je monte » et
« Une Blonde en or » de Henri Salvador. « Black
trombone » de Gainsbourg a permis à Basile Mouton de réaliser
un solo spectaculaire. Au deuxième set, Hugo Proy (cl) est invité à
jouer sur le classique « Bei Mir Bist Du Shoen ». Plus
tard, sur le titre « Plus je t'embrasse » de Jacques
Hélian, j’ai cru entendre le public murmurer « plus on
t’écoute Aurore et plus on aime t’écouter »… Le concert
s’est terminé sur un « Fais-moi mal Johnny » endiablé.
On a toujours autant de plaisir à écouter Aurore Voilqué. Tant
mieux, ce ne sont pas les dates qui manquent… PM
Le 7 novembre, le sextet Gilles Seemann
(p), « Formule Bop », (avec Fabien Mary, tp, Esaie Cid,
as, Philippe Pilon, ts, Olivier Rivaux, b, et Sylvain Designe, dm)
nous a entrainé dans une esthétique jazz marquée par les années
50 et 60, sans que les morceaux joués soient tous précisément
datés de cette période : de « Third Time Around »
(Hank Mobley) à « Phrasing » (Roy Hargrove), en passant
par « The Tokyo Blues » (Horace Silver), cette formation
dotée d’excellents solistes s’est mise au service des
arrangements de Seemann. A noter une belle ambiance jazz-club ce
soir-là : jolies robes, couples superbes, public très en
écoute et salle comble. Le bonheur. PM
Textes et photos : Patrick Martineau et Jérôme Partage © Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016
Paris en clubs Novembre 2015
Le 9 novembre, fut l’occasion de
découvrir un nouvel asile pour le jazz à Paris : la péniche
Le Marcounet, amarrée à proximité du métro Pont-Marie. Le lieu
chaleureux et convivial, où se presse un public plutôt jeune,
est animé par Arnaud Séité, un authentique jazzfan. Ce soir-là,
Le Marcounet accueillait le quintet de Frederic Borey (ts), composé
de Michael Felberbaum (g), Pierre De Bethmann (p), Yoni Kelnik (b) et
Fred Pasqua (dm), pour la sortie de son dernier album, Wink (Fresh
Sound New Talent). Borey, franc-comtois d’origine, est installé
dans la capitale depuis quelques années. Son beau son de ténor
commence à rencontrer de l’écho. Produisant un bop élégant,
très joliment soutenu par De Bethmann, le groupe a alterné
compositions et standards (dont « Get Out of Town » de
Cole Porter). Du jazz d’excellente tenue. JPLe 10 novembre, Ellen Birath était au
nouveau rendez-vous qui s’est installé depuis septembre, « Mardi
mondain », un apéro jazz (plutôt chic) qui se tient en plein
cœur du « triangle d'or » : le bar Hexagone (Paris
8e). Superbement accompagné par les deux musiciens résidents,
Jean-Baptiste Franc (p) et Thomas Racine (dm,) Ellen Birath (voc) a
habité la soirée de sa belle présence et de son dynamisme si
attachant. Particularité du lieu, des cocktails sont élaborés
spécifiquement et au nom des artistes. PM
Le 13 novembre, la New-Yorkaise Ayo
Awosika (voc, key), accompagnée de Jeremy Lauwrence (elg), était de
passage à L’Etage (Paris 10e) pour un set de soul électrifiée
mâtinée de jazz. La musicienne possède un univers original, servie
par une voix puissante et claire. Le soutien du guitariste, très
sobre, confirmant l’ambiance dépouillée, voire mélancolique,
dégagé par ce concert.
A la fin du set, nous avons pris un
verre. Jeremy avait été mon guide à Philadelphie (Jazz Hot n°658).
On a alors entendu dire qu’il y avait eu une fusillade dehors. J’ai
rassuré Jeremy. Ce n’est pas un quartier dangereux, tout le monde
sort ici pour boire un coup. Et j’ai quitté les lieux en longeant
les cordons de police jusqu’au canal Saint-Martin. Les fêtards
continuaient de s’amuser dans les bars. Puis, des bribes de
conversations inquiètes me sont parvenues. Les restaurants du canal
baissaient leur rideau. Tout paraissait si calme vu de là.
Etrangement calme pour un vendredi soir… C’était le 13 novembre
2015. JP
Le Duc des Lombard accueillait le 17 novembre le trio du
pianiste de Detroit Johnny O’Neal en cette période de post-attentat. L’ambiance est pesante mais le public
parisien s’est quand même déplacé comme une réponse citoyenne au nihilisme des
assassins. Johnny O’Neal fait partie de ces musiciens pour musiciens qui
subliment le soliste que ce soit derrière Milt Jackson, Joe Pass, Ray Brown,Clark
Terry ou lesJazz Messengers. On se souvient de ses débuts comme pianiste
attitré du club E.J.’s à Atlanta, à la fin des années 70 où il côtoya Zoot Sims
ou Scott Hamilton. Après une éclipse de quelques années, il nous revient avec
cette superbe tournée qui prolonge l’excellent Live at Smalls avec le même trio. Débutant sur une superbe version
de «Uranus» de Walter Davis
Jr, le leader démontre son attachement au bop le plus orthodoxe dans la lignée
des pianistes du Michigan. On pense également au trio d’Oscar Peterson dans sa
façon d’orchestrer la formule du trio avec une grande palette de nuances dans
les climats. Sa prestation vocale, bien que limitée, déborde d’expressivité que
ce soit sur des standards ou le blues qu’il maîtrise à merveille comme cette fameuse
version de «Blues for Sale». Sa jeune rythmique est une véritable
horloge suisse dévouée au swing avec un Charles Goold (dm) tout en maîtrise
dans la mise en place et Paul Sikivie (b) à la belle sonorité boisée et ronde.
Le sommet étant cet arrangement du leader de «Sudan Blue» du
saxophoniste Billie Pierce avec ses passages en bloch chords et cette capacité à faire sonner son clavier toujours
avec swing. Un pianiste a (re)découvrir, un de ces artisans du jazz qui font de
cette musique un art au quotidien. DB
Le 18 novembre, Goran Kajfeš (tp) se
produisait à l’Institut Suédois. A la tête de son Subtropic
Arkestra (un septet comprenant trois cuivres), il a donné une
prestation intéressante, proposant un jazz « fusion »
imagé avec de belles couleurs. On n’est certes pas dans une
expression swing, néanmoins les talents d’arrangeurs de Kajfeš,
imprégnés de ses racines balkaniques, parviennent à mêler avec
bonheur les influences les plus variées : latines, orientales,
rock, aboutissant à un musique improvisée psychédélique. Les
mélanges improbables sont souvent indigestes, mais Goran Kajfeš est
un fin cuisinier. A l’issue, le trompettiste a exprimé sa fierté
de jouer à Paris, devant un public assez nombreux, attentif, bien
qu’en fait pas vraiment disponible pour recevoir sa musique. JP
Le même soir, un peu plus tard, en
passant la Seine, c’est un tout autre remède à la mélancolie
qu’on pouvait s’administrer : du lourd, du brutal prescrit à
grosse cuillère par le docteur Boney Fields (tp, voc) ! Invité
du groupe de Sweet Screamin’ Jones (as, voc) au Caveau de La
Huchette, l’homme au chapeau melon s’est démené pour dérider
l’assistance. Passant d’une évocation de Satchmo (« If
You're a Viper »), à celle de Miles (beau son de sourdine sur
« I Want a Little Girl ») en passant par le blues (« Come
Back Baby »). Côté show, Screamin’ Jones n’est pas en
reste (ce n’est pas un excellent chanteur, mais le personnage est
plein d’humour). Et les deux cabots de « s’affronter »
sur la piste, délaissée par les danseurs, pour une savoureuse
« battle » instrumentale. Le deuxième set a démarré
avec la seule section rythmique : Patrick Filleul (dm,
excellent) et Pierre Le Bot (p, une belle découverte !) et
Philippe Dardelle (b). Puis, les deux acolytes ont repris le pouvoir,
invitant, pour notre plaisir, l’amie Sylvia Howard (voc) venue
elle-aussi à La Huchette chasser les idées noires. Au final, il
faut bien l’avouer, le remède de cheval du Dr Fields est le plus
efficace ! JP
Tous les jeudis, un chouette petit
bistrot de la rue Oberkampf, La Petite Mercerie, programme du jazz
Django. Le 26 novembre, dans un quartier encore convalescent, Aurore
Voilqué (vln, voc) nous avait convié à un concert qui
s’apparentait plus à une soirée entre copains. Entourée de ses
complices Thomas Ohresser (g) et Basile Mouton (b), ce fut pour
chacun l’occasion de se retrouver, de s’étreindre, de rigoler
autour d’un verre et de faire le bœuf ! Fidèle à ses habitudes,
Aurore a alterné le répertoire Django, les standards jazz et le
chanson française : « Mélodie au crépuscule »,
« After You’ve Gone », « La Belle vie »
(dédiée au regretté Marc Thomas)… Au deuxième et au troisième
sets, plusieurs invités se sont joints au trio : dont le jeune
et talentueux Hugo Proy (cl) qui a délivré quelques très bons
solos, notamment sur « Swing 39 », Sarah Thorpe (voc) qui
a interprété « Love Me or Leave Me » avec conviction et
Ellen Birath (voc) qui a apporté son énergie swing sur « Exactly
Like You », « Swing Brother Swing » et sur un
pétillant « Nagasaki ». Le chant gouailleur d’Aurore,
l’émotion de son violon, l’impeccable accompagnement de Thomas
et Basile, les belles couleurs d’Hugo et Ellen, la chaleur des amis
autour, tout était bon à prendre pour en finir avec novembre. JP
David Bouzaclou, Patrick Martineau, Jérôme Partage Photos : Patrick Martineau et Jérôme Partage © Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016 |
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