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Au programme des chroniques
ALouis Armstrong: Intégrale Vol. 14 Louis Armstrong: Live in Paris Ben Adkins Jean-Paul Amouroux/Jean-Pierre Bertrand/Frank Muschalle BDmitry BaevskyEmmanuel BailyKenny BarronJohn BeasleyDaniel Bechet & Olivier Franc Quintet Marc Benham Airelle BessonBig Noise Ellen Birath Bojan Z/Nils Wogram Claude Bolling Big Band Céline BonacinaItamar BorochovBrass Messengers Claude Braud/Pierre-Louis Cas/Philippe Chagne/Carl Schlosser Buddy Bolden Legacy BandKatie Bull • CJean-Yves CandelaEva CassidyJoe CastroFrank CatalanoPhilippe Chagne/Olivier Defays Chris CodyNat King ColeJohn ColtraneSam CoombesLaurent Coq/Walter Smith III Laurent Coulondre Laurent CourthaliacDRenato D'AielloGuy DavisSteve DavisRaul de SouzaBart DefoortLorenzo Di MaioRoberta DonnayHubert Dupont • EEchoes of Swing Eli & The Hot SixTeodora Enache/Theodosii Spassov Duane EubanksOrrin Evans • FJosé FallotDominick FarinacciThe Fat BabiesFranck FilosaClare FischerDominique Fitte-DuvalElla FitzgeraldGeorge Freeman & Chico FreemanGMelody GardotErroll GarnerGeorges V Stan GetzSebastien Girardot/FélixHunot/Malo MazuriéGuitar Heroes • HRich HalleyScott Hamilton/Karin KrogHard Time BluesThe Harlem Art Ensemble Heads of StateEddie HendersonHouben/Loos/Maurane Sylvia Howard • IIordache: One Life Left Iordache: Garden Beast Iordache: Two Hours in June Chuck Israels J Ahmad Jamal Jazz Cookers Workshop JCD 5tet Nicole Johänntgen Jessica Jones L Fapy LafertinOlivier Le GoasDavid Linx/BJO David Linx/Paolo Fresu/Diederick Wissels Jean-Loup Longnon • M Christian McBride Les McCann Kirk MacDonald: Symmetry Kirk MacDonald: Vista Obscura Harold Mabern Perrine Mansuy Delfeayo Marsalis Tina MayBrad MehldauDon Menza Jason Miles/Ingrid Jensen Bob Mintzer Wes Montgomery Ed Motta Moutin Factory Quintet  N Yves Nahon Fred Nardin/Jon Boutellier Guillaume Nouaux • O Austin O'Brien Jean-Philippe O'Neill P Emile Parisien Charlie Parker Yves Peeters Alain Pierre Antoine Pierre Enrico Pieranunzi Valerio Pontrandolfo R François Raulin/Stephan Oliva Cecil L. Recchia Herlin Riley François Ripoche/Alain Jean-Marie George Robert Olivier Robin Sonny Rollins Jim Rotondi • S Julie Saury/Carine Bonnefoy/Felipe Cabrera John Scofield Jimmy Scott Rhoda Scott Steve Slagle/Bill O'Connell Slavery in America Florent Souchet Emil Spányi/Jean Bardy Spirit of Chicago Orchestra Al Strong T Lew Tabackin Jacky Terrasson/Stéphane Belmondo Ignasi Terraza Virginie Teychené Samy Thiébault Romain ThivolleDavid Thomaere Tiberian/Bahlgren/Betsch Mircea Tiberian/Toma Dimitriu Jean-My TruongSteve Turre U Phil Urso V Jacques Vidal Aurore Voilqué Heinrich Von Kalnein/Michael Abene • W Terry Waldo Muddy Waters Big Daddy Wilson Anne Wolf Michael Wollny/Vincent Peirani


Des extraits de certains de ces disques sont parfois disponibles sur Internet. Pour les écouter, il vous suffit de cliquer sur les pochettes signalées par une info-bulle.


© Jazz Hot 2017


Ellen Birath
& The Shadow Cats

Pull Me In, Feel the Beat, Sunday Night*, Like a Virgin, A Boy That I Know, Trooper, One Minute Man, Problem°, Oh Babe, So Low
Ellen Birath (voc), Matthieu Bost (as, cl, key), Manuel Faivre (tp), Thomas Ohresser (g), Marten Ingle (b), Thomas Join-Lambert (dm) + Paddy Sherlock* (tb), César Pastre° (elp)
Enregistré à Ris-Orangis (91) et Paris, date non communiquée
Durée: 37' 50''
Autoproduit (www.facebook.com/EllenBirath)

Amis lecteurs, nous vous donnons régulièrement des nouvelles d’Ellen Birath, chanteuse suédoise de 26 ans, installée à Paris depuis quelques années. Révélée par le zébulonesque et néanmoins pygmalion Paddy Sherlock (qui n’en est pas à son coup d’essai: Brisa Roché, Aurore Voilqué…), Ellen se produit chaque semaine – et depuis quelques saisons déjà – avec ou en alternance avec le tromboniste irlandais dans les pubs où ils trouvent un refuge accueillant pour le jazz (depuis octobre dernier, le Long Hop, dans le 5e arrondissement, les dimanche soirs). Après un premier album coloré et éclectique – sobrement intitulé Ellen Birath Band –, sorti en 2013, Ellen prend davantage de distance avec le jazz. Et vous savez quoi? On ne lui en veut même pas! Si la dominante de ce disque est plutôt rythm’n’blues, on passe par différentes ambiances: country, laquelle évoque le Pulp Fiction de Tarantino («Pull Me In»), reggae («Sunday Night»), rock’n’roll («Oh Babe») et aussi jazz («The Boy That I Know»). Ellen recycle même avec habileté un tube pop de Madonna («Like a Virgin») – on connaissait déjà sa version très plaisante de «The Love Cats» de The Cure, issu du précédent opus. En fait, Ellen Birath et ses Shadow Cats glissent d’un style à l’autre avec beaucoup de naturel tout affirmant un son très personnel qui doit autant à la belle guitare de Thomas Ohresser qu’à la prégnance des cuivres. Enfin, et surtout, le groupe se construit autour de la personnalité de sa chanteuse dont la voix racée imprime du relief sur chacun des titres. Excellente dans le registre sur lequel elle a bâti ce disque, Ellen est également une interprète de jazz talentueuse: il suffit pour s’en convaincre d’aller l’écouter, un mercredi par mois, au Tennessee (Paris 6e), avec l'indispensable Paddy et César Pastre, dérouler pour notre plus grand plaisir le répertoire d’Ella & Louis. Au demeurant, si l’idée ne trottait pas déjà dans la tête de nos trois amis, nous ne saurions trop les encourager à graver très vite ce même répertoire sur une galette. En attendant, on peut égayer le quotidien de sa platine avec Ellen Birath & The Shadow Cats, voire aller applaudir cette joyeuse formation au désormais cultissime Caveau de La Huchette (où elle est programmée chaque mois) si on a des fourmis dans les pieds.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Rhoda Scott Lady Quartet
We Free Queens

We Free Queens, I Wanna Move, Que reste-t-il de nos amours, One by One, Rhoda’s Delight, Valse à Charlotte, Joke, What I’d Say
Rhoda Scott (org), Sophie Alour (ts), Lisa Cat-Berro (as), Julie Saury (dm) + Géraldine Laurent (as), Anne Paceo (dm), Julien Alour (tp)

Enregistré en 2016, Paris

Durée: 43’

Sunset Records (L’Autre Distribution)

Ce disque inaugure le label lancé par le club de la rue des Lombards, le Sunset-Sunside, lequel accueille régulièrement d’ailleurs des enregistrements live, notamment ceux de Gérard Térronès pour Futura-Marge. Le patron des lieux, Stéphane Portet, ne se contente donc plus de recevoir les musiciens –qui trouvent chez lui des conditions propices pour graver leurs sessions–, et passe ainsi à la production avec le Lady Quartet de Rhoda Scott et un titre, We Free Queens, qui est certainement en clin d’œil au We Free Kings de Roland Kirk. Sur ce disque se trouve ainsi réuni le gratin du jazz féminin en France, toutes générations confondues, emmenée par son aînée Rhoda Scott (née en 1938), française d’adoption depuis 1967. On continue d’admirer Rhoda pour le ballet qu’elle effectue sur la pédalier: elle reste l’une des rares joueuses d’orgue Hammond à pouvoir ainsi se passer de contrebasse. Par ailleurs, ces ladies s’entendent à merveille. On sent le plaisir d’être ensemble, c’est la fête, ça joue et ça swingue. Julie Saury, fille de Maxim (en souvenir duquel elle vient de sortir un disque-hommage) sait d’où vient le jazz et tient le fil de la tradition du bout des baguettes. La batteuse invitée, Anne Paceo, plus connue du public, se situe quant à elle dans un registre plus contemporain. Les trois saxophonistes renouent avec la bonne vieille habitude de «se tirer la bourre», pour le meilleur. Il faut les écouter sur «I Wanna Move»: ça déménage! Sur le soutien incendiaire de l’orgue, un solo de la ténor Sophie Alour explose. Cette dernière mène d’ailleurs la danse sur sa composition «Joke», une véritable fête. «Que reste-t-il de nos amours», la belle chanson de Charles Trenet, est distillée avec une délicatesse mélancolique, toujours par Sophie Alour, qui colle parfaitement aux paroles qu’on a l’impression d’entendre susurrer. Et la reprise à l’orgue n’est pas sans évoquer Erroll Garner avec ce léger décalage basse main gauche. «La Valse à Charlotte», thème de Rhoda Scott, est magnifiquement arrangé pour deux saxes et interprétée façon valse swing-musette. Le frère de Sophie Alour, Julien, est le seul homme de l’affaire; il intervient discrètement, mais avec à-propos, sur deux morceaux. Le disque baigne ainsi dans une atmosphère funk-blues et même rythm’n blues sur le tube de Ray Charles, «What I’d Say», sacrément enlevé, avec quelques «Oh Oh, Ah Ah» de rigueur pour terminer ce concert, d’une belle homogénéité.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Delfeayo Marsalis/Uptown Jazz Orchestra
Make America Great Again!

Star Sprangled Banner, Snowball, Second Line, Back to Africa, Make America Great Again, Dream On Robben, Symphony in Riffs, Put Your Right Foot Forward, All of Me, Living Free and Running Wild, Skylark, Java, Fanfare For the Common Man, Dream on Robben
Delfeayo Marsalis (tb), Uptown Music Theatre Choir, Uptown Jazz Orchestra : Andrew Baham, Scott Frock, John Gray, Jamelle Williams (tp), Brice Miller (tp, voc), Terrance Taplin, Charles Williams, Jeffrey Miller, T.J. Norris, Maurice Trosclair (tb), Khari Allen Lee (as, ss), Jeronne Ansari (as), Roderick Paulin (ts, as), Gregory Agid (cl, ts), Scott Johnson (ts, bs), Roger Lewis (bs), Kyle Roussel, Meghan Swartz (p), David Pulphus (b), Herlin Riley, Peter Varnado (dm), Joseph Dyson Jr (dm, perc), Alexey Marti (perc) + Dee-1 (rap), Wendell Pierce (narration), Cynthia Liggins Thomas (voc), John Culbreth (tp), Jeff Alpert (btb), Branford Marsalis, Victor Goines (ts), Oliver Bonie (bar)

Enregistré les 29 novembre, 29-31 décembre 2015, New Orleans (Louisiane)
Durée: 1h 02' 48''
Troubadour Jass Records 103016 (www.dmarsalis.com)

Nous n'aborderons pas ici les connotations politiques de ce disque, ni le fait que Delfeayo Marsalis ne s'attendait peut-être pas à ce que son titre soit le slogan du 45e président des Etats-Unis... Bref, après l'hymne américain joué par la section de sax dans un style identique à celui du Quatuor de Saxophones de la Garde Républicaine, l'album nous présente une façon de jouer hot dès l'ostinato de sax baryton (Roger Lewis) sur des percussions dans «Snowball» (le clarinettiste devant être Victor Goines ou Gregory Agid). Bonne intervention de Roderick Paulin (ts). Cette «Second Line» n'a rien à voir avec celle de Paul Barbarin et elle nous plonge dans l'univers ellingtonien, introduit par Gregory Agid (cl) proche de Jimmy Hamilton. Tout l'orchestre sonne superbement, soutenu par le maître, Herlin Riley. Andrew Baham (tp) prend un solo très jazz. On retiendra aussi le travail avec plunger de Terrance Taplin (tb). Introduction mingusienne dans «Back to Africa», puis le chœur et le rappeur (supportable grâce au tempo de Joseph Dyson) précèdent des solos à la J.J. Johnson de Delfeayo, coltranien (pas le son) de Branford. Orchestration luxuriante (et assez complexe). Narrateur de bla-bla politique naïf dans «Make America Great Again!» avec joyeuse réponse du chœur. Bref c'est le solo wyntonien d'Andrew Baham que nous apprécions. Superbe drumming d'Herlin Riley derrière Khari Allen Lee (as) genre Wess Anderson. Cynthia Liggins Thomas chante (bien) dans «Dream on Robben», genre de composition simple dont Pharoah Sanders était capable. Delfeayo prend un solo pouvant évoquer Lawrence Brown. A noter qu'il joue un trombone Courtois AC402TR, comme Taplin et Jeffrey Miller. Justement la section de trombones intervient au début de «Symphony in Riffs». La section de sax y sonne bien aussi. Baham pend un solide solo (nous avions apprécié ce trompettiste à Ascona, festival qui nous permit aussi de découvrir Taplin, Agid, Kyle Roussel et autres de ces instrumentistes qui n'intéressent pas les médias jazz en France). Bon solo de Khari Allen Lee, et un peu timide de Meghan Swartz. «Put Your Right Foot Forward» nous amène dans l'univers des brass bands funky de New Orleans (Peter Varnado, dm). Brice Miller (parolier) et le chœur interviennent, puis en solo Roger Lewis (bs), gloire du Dirty Dozen fortement évoqué ici. L'alternative de trombone sent bon la parade (Charles Williams, Jeffrey Miller) tout comme les riffs. Agid (cl) plane au-dessus de la masse sonore. Du jazz orthodoxe par Kyle Roussel en trio dans «All of Me» (Pulphus, b, Riley, dm) puis le relais est pris par tout l'orchestre qui swingue un excellent arrangement. Retour du chœur et de l'envahissant rappeur dans «Living Free and Running Wild» richement orchestré par Phil Sims. Le solo de Branford fait un peu remplissage. La section de sax amène (et accompagne) la ballade «Skylark», orchestrée par Delfeayo qui en est le charmant soliste (beau jeu de balais d'Herlin Riley). Les sax sont encore à l'honneur dans «Java» où Roderick Paulin est l'excellent soliste au son épais. Très pompeuse l'introduction de cuivres pour la «Fanfare for the Common Man», orchestrée par Delfeayo, puis la solennité fait un peu musique de film. Vient ensuite le solo de Delfeayo, seul moment swing. Le bonus track est la version instrumentale de «Dream on Robben» (orchestration Kris Berg) avec Khari Allen Lee (ss), qui a écouté Coltrane, et le drumming superlatif d'Herlin Riley. Bref, il y a de tout dans ce nouvel album de Delfeayo Marsalis, notamment du bon.

Michel Laplace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueEchoes of Swing
Dancing

Hipsters Hop, Gavotte I (English Suite n°6), Charleston, Dream Dancing, Diplomata, Lion's Steps, Ballet of the Dunes, All You Want to Do Is Dance, Sandancer, Carioca, Premier Bal, Ragtime Dance, Moonlight Serenade, Salir a la luz, Original Dixieland One-Step, Dancing on the Celling
Colin Dawson (tp, voc), Chris Hopkins (as), Bernd Lhotzky (p), Oliver Mewes (dm)
Enregistré les 26-28 mai 2015, Kefermarkt (Autriche)
Durée: 1h 01' 43''
Act 9103-2 (Harmonia Mundi
)

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueEchoes of Swing
Bix. A Tribute to Bix Beiderbecke

CD1: Ol' Man River (intro), At the Jazz Band Ball, Everything That Was, I'm Coming Virginia, Thou Swell, In the Dark (tango), At Children's Corner, Happy Feet, I'll Be a Friend With Pleasure, Nix Like Bix, Singin' the Blues, The Boy from Davenport, Jazz Me Blues, Ol' Man River
CD2: At the Jazz Band Ball, I'm Coming Virginia, Singin' the Blues, Jazz Me Blues, Blue River, Thou Swell, Clarinet Marmalade, Way Down Yonder in New Orleans; Royal Garden Blues, In a Mist
CD1: Colin Dawson (cnt, tp), Shannon Barnett (tb, voc), Emile Parisien (ss), Chris Hopkins (as), Mulo Francel (C mel, g), Bern Lhotzky (p), Henning Gailling (b), Oliver Mewes (dm), Pete York (dm, perc, voc) ; CD2: Bix Beiderbecke (cnt, p), Fred Farrar, Ray Lodwig (tp), Bill Rank, Miff Mole, Lloyd Turner (tb), Izzy Friedman (cl), Don Murray, Jimmy Dorsey (cl, as), Doc Ryker (as), Frank Trumbauer (s), Adrian Rollini, Min Leibrook (bs), Joe Venuti (vln), Frank Signorelli, Irving Riskin, Roy Bargy, Paul Mertz (p), Eddie Lang (g), Howdy Quicksell (bjo), Steve Brown (b), Chauncey Morehouse, Hal McDonald (dm), Lewis James (voc)
Enregistré les 1-3 août 2016, Munich (Allemagne) + du 4 février 1927 au 17 avril 1928, New York
Durée: 1h 01' 09'' + 30' 17''
Act 9826-2 (Harmonia Mundi)

L'hommage à Bix, proposé par Echoes of Swing, se présente en deux CDs: un premier, enregistré par le groupe allemand et ses invités, un second qui regroupe des enregistrements originaux de 1928. De ce dernier nous ne dirons rien, sinon que tout le monde devrait connaître au moins «I'm Coming Virginia» et «Singin' the Blues» (celui-là fit impression, dès sa sortie en 1927 sur les deux communautés de musiciens dits jazz). Le livret de ce projet nous affirme: «Our perceptions of major figures in music from previous epochs tend to change over the course of time». C'est juste. Bix fut d'abord adulé et mis au même rang que Louis Armstrong par les premières générations de musiciens blancs américains, anglais, français (Philippe Brun), etc. Puis, dès que le premier théoricien (Hugues Panassié) sentit ce qu’était le hot et le swing, Bix et ses confrères furent placés au purgatoire. Aujourd'hui, où l'on n'a plus aucune notion de ce qui est jazz ou non, Bix a repris une place au rang des incontournables. Les Bix, Trumbauer et Lang ont de toute façon eut une influence respectable. L'équipe d'Echoes of Swing avait le choix entre épouser le style rythmique et expressif de ces anciens ou de reprendre leur répertoire à une manière d'aujourd'hui. Or le répertoire n'est rien, seule la façon de le jouer importe. Il n'y a donc rien de Bix et Trumbauer dans ces reprises (augmentées de quelques originaux). Ce n'est pas moins intéressant pour autant. L'arrangement de Bernd Lhotzky d'un «At the Jazz Band Ball» à peine reconnaissance, a plus de swing que les équipes de Bix. La sonorité de Colin Dawson au cornet Schilke dans «Ol' Man River» est chaude avec un vibrato qui n'évoque en rien Bix, mais c'est aussi beau que court. Colin Dawon peut évoquer Chet Baker dans le quartet sans piano sur «Thou Swell» où Shannon Barnett fait penser à Bob Brookmeyer. Mulo Francel utilise un vieil instrument, le C melody sax, emblème de Trumbauer, pour une expressivité bien différente : belle sonorité chaude dans l'exposé de «Everything That Was» qu'il a signé, puis des fantaisies dans le développement qui rappellent James Carter. Son arrangement d'«In the Dark» n'évoque Bix que dans le piano en coda. «At Children Corner» composé par Lhotzky fait plus clairement référence à Debussy et Bix, avec changements de tempo. Très belle musique par Echoes of Swing sans invités, où chacun a soigné la sonorité (cornet clair de Colin, alto léger de Chris, piano délicat de Bernd, et variété rythmique d'Oliver). Le traitement rythmiquement funky d'«Happy Feet» est réjouissant! Excellents solos de Francel, Barnett, Hopkins, Dawson et des deux batteurs! Bravo à Mulo Francel pour l'arrangement. Traitement bossa de «I'll Be a Friend With Pleasure» avec un excellent alto carterien de Chris Hopkins et une partie chantée bien venue de Pete York. Absence du drame qu'on perçoit dans le sublime solo de Bix dans la version d'origine (regrettablement absente de la réédition); d'ailleurs pour mettre à mort toute comparaison, le présent arrangement ne fait pas appel au cornet! Shannon Barnett joue en duo avec Henning Gailing (b) sa composition «Nix Like Bix» (d'après «Blue River») ; du très bon trombone, très mobile avec parfois un caractère vocal dans la sonorité. Version swing du «Singin' the Blues» revu par Colin Dawson (tous les solos sont bons). Le «Jazz Me Blues» est abordé sur un tempo inhabituel. Après l'excellent solo de Barnett, Emile Parisien s'exprime de façon bien intégrée. Pas une seconde de passéisme et de la musique de qualité.
Il en va de même de l’albumDancing, qui s'en prend à la danse («Charleston» décortiqué ; «Carioca» virtuose etc). Dans le dansant «Diplomata» de Pixinguinha, Colin Dawson a une excellente sonorité appropriée, sans et avec sourdine. Il chante à la Chet Baker notamment dans «Dream Dancing» (beau son d'alto de Chris Hopkins). Relevons la «Gavotte» de Bach (Colin Dawson s'en sort bien avec le phrasé classique) et «Ragtime Dance» de Joplin. «Lion's Steps» évoque parfaitement Willie Smith, et la prestation de Bernd Lhotzky est délicieuse. Le traitement de l'«Original Dixieland One-Step» sonne un peu comme du John Kirby. Enfin, il y a de bonnes compositions personnelles («Ballet of the Dunes» de Chris Hopkins…). De quoi vous surprendre et v
ous satisfaire.

Michel Laplace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

 


Bob Mintzer
All L.A. Band

El Caborojeno, Havin' Some Fun, Home Basie, Ellis Island, Original People, New Rochelle, Runferyerlife, Latin Dance, Slo Funk, Tribute
Bob Mintzer (ts, arr), Wayne Bergeron, James Blackwell, John Thomas, Chad Willis, Michael Stever (tp), Bob McChesney, Erik Hughes, Julianne Gralle, Craig Gosnell (tb), Bob Sheppard (as), Adam Schroeder (bar), Russ Ferrante (p), Larry Koonse (g), Edwin Livingston (b), Peter Erskine (dm), Aaron Serfaty (perc)
Enregistré à Los Angeles (Californie), date non précisée
Durée: 1h 02' 24''
Fuzzy Music PEPCD022 (www.bobmintzer.com)

 

La collaboration entre Bob Mintzer et Peter Erskine ne date pas d'aujourd'hui. L'expérience de Bob Mintzer dans l'orchestre de Buddy Rich l'a amené à comprendre que le batteur est le socle du big band. C'est l'œuvre collective plus que les solos qui comptent ici étant donné la qualité superlative des sections de cuivres! Wayne Bergeron est l'un des meilleurs lead trompettes du moment. Bob Mintzer fait une place, et c'est inévitable de nos jours, à l'influence cubaine dans trois titres : «El Caborojeno» (solo bop standardisé de Michael Stever, tp, qui a une solide technique), «Ellis Island» (en 6/8 d'où un phrasé orchestral biscornu incompatible avec le swing; bon travail des sections de trombones et trompettes, solo d'Adam Schroeder, bar), «Latin Dance» (solo de Mintzer sur des motifs complexes et répétitifs de trombones et trompettes, solo Bob McChesney, très technique comme toujours, retour au sax ténor puis passage Erskine-Serfaty). Touche reggae dans «Original People» qui vaut pour le travail de la section de trombones au son ample. Notez le passage en 4/4 ternaire pour que les solos swinguent (écoutez le solo swing de trompette et juste après les constructions des sections de souffleurs sans swing). Tout cela est évidemment rythmique ce qui n'est pas synonyme de swing. Fanfare classique pour trompette (Wayne Bergeron) et section de trombones avant le thème «New Rochelle» sur un drumming binaire, à l'origine écrit par Mintzer pour les Yellowjackets. Solo de Russ Ferrante, puis belle écriture superposée des trois sections de souffleurs et un bon solo de Bob Mintzer dans la lignée Stanley Turrentine, Hank Mobley. Aussi bien que ce soit, ça tranche avec le «Runferyerlife», en tempo rapide, typiquement bop. Bon solo de Bob Mintzer, puis incroyable de virtuosité de Bob McChesnel et enfin de Peter Erskine. Wayne Bergeron assure une partie pas évidente. Une influence directe de Count Basie se trouve dans «Havin' Some Fun». Placé juste après «El Caborojeno», on a l'illustration (involontaire) de ce qui swingue par rapport à ce qui est bien mais sans swing. Solos de Bob Mintzer et Adam Schroeder, mais c'est le travail des sections de trompettes (surtout), de trombones et saxophones qui fait l'intérêt de ce titre, ainsi que la partie de Peter Erskine aux balais! «Home Basie» se veut le mariage du big band swing et du R&B. En fait c'est un rythme funky sur lequel on greffe un travail superlatif de précision des sections de trompettes (Wayne Bergeron!) et saxophones. Bob Mintzer prend un solo charnu qui se veut dans la lignée de King Curtis et Junior Walker (ce qui me laisse perplexe). «Tribute» est dédié aux musiciens sortis de l'école Basie et plus spécialement à Thad Jones. Il y a d'abord le piano sobre et swing de Russ Ferrante avant l'entrée parfaitement swing de l'orchestre! Bob Mintzer propose un solo lyrique et robuste. Amusant passage sur un rythme de marche pour les trompettes, avant le retour de tout l'orchestre à un swing bien extériorisé (bon drumming de Peter Erskine) et un solo bop de Michael Stever que n'aurait pas renié Thad Jones (Erskine pousse bien). «Slo Funk» fut écrit pour le big band Buddy Rich, c'est l'occasion d'un solo de Bob Sheppard (as), puis du leader. Gros travail du lead trompette comme pour tous les arrangements destinés à Buddy Rich. Au total c'est un disque remarquable de la conception plurielle que l'on a aujourd'hui du big band. Pour les musiciens, sachez que des play-along et les partitions sont disponibles sur le site internet du leader.

Michel Laplace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueBen Adkins
Sal-ma-gun-di

Lucky, Fungii Mama, Let's Dance (The Night Away), You and the Night and the Music, When You Smile at Me, That Jambalaya, Five in Time, Chelsea Bridge, Cheryl, When You Smile at Me
Ben Adkins (dm), Alphonso Horne (tp, fgh ), Joshua Bowlus (p, elp), Paul Miller (g), Stan Piper (b) + Michael Emmert (ts), Chris Adkins (elg), Linda Cole (voc )
Enregistré en 2016, New Orleans (Californie)
Durée: 57' 04''
Ben Adkins Music 190394498177 (www.benadkinsmusic.com)

Le titre veut dire pot-pourri et c'est bien d'un mélange de genres dont il s'agit. L'ambition: «keeping alive the tradition of jazz and being wrapped in a cellophane of modern sounds». En tout cas, c'est le premier album sous son nom du batteur Benjamin Adkins, originaire de Jacksonville, ex-élève en Floride de Danny Gottlieb (2009) et Leon Anderson (2011). La plupart des titres sont joués en quartet sans trompette. Hélas, Joshua Bowlus utilise le plus souvent le Rhodes, alors qu'il sait faire sonner le piano de belle façon comme dans «Cheryl» de Charlie Parker (excellent jeu de balais du leader) et dans l'une des meilleures plages de l'album, la version chantée de «When You Smile at Me» avec l'émouvante Linda Cole (inflexions à la Billie Holiday). Paul Miller est un guitariste pop («When You Smile at Me», trop long; «Five in Time»). Stan Piper a un son ample de qualité. Le leader a des qualités aux balais («You and the Night and the Music»). Curieusement, le thème rollinsien «Fungii Mama» de Blue Mitchell est joué sans trompette. En dehors de Linda Cole, l'intérêt de cet album c'est qu'il permet d'entendre, dans quatre titres, le jeune trompettiste Alphonso Horne, natif de Jacksonville, diplômé de la Florida State University, protégé de Marcus Roberts. Dans «Lucky», thème un peu monkien de Ben Adkins, Alphonso Horne intervient d'abord en duo avec Stan Piper, puis dans un solo bop avec la rythmique. On apprécie sa sonorité chantante dans «Let's Dance (The Night Away)». Les deux meilleurs titres sont «That Jambalaya» sur un rythme de parade (petits riffs de Horne derrière le Rhodes et la guitare, solo de trompette avec le plunger et growl: toutefois la forme est supérieure au contenu) et la ballade «Chelsea Bridge» de Billy Strayhorn (où Horne démontre sa classe potentielle; bon solo de basse aussi)
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Michel Laplace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueAl Strong
Love Strong. Volume 1

Getaway 9, Itsy Bitsy Spider, Lilly's Lullaby, CI's Blues, My Favorite Things, Fond of You, Liquid, Voyage, Was, Blue Monk
Al Strong (tp, fgh), Alan Thompson (ss), James Gates (as), Bluford Thompson (ts), Shaena Ryan Martin (bar), Ryan Hanseler (p, elp), Lovell Bradford (p, org), Charles Robinson, Joel Holloway (org), J.C. Martin (g), Lance Scott (b), Jeremy Clemons (dm, clavinet), Lajhi Hampden (dm), Brevan Hampden (perc) + Ira Wiggins (fl), Lummie Spann Jr (as), Brian Miller (ts), Joey Calderazzo (p), Devonne Harris (elp), Ameen Saleem (b), KidzNotes Mozart Chorus
Enregistré le 17 décembre 2014, les 6 et 7 février 2015, Kernersville (Caroline du Nord)
Durée: 1h 00' 19''
Al Strong Music (www.alstrongmusic.com)

Love Strong
est un disque «pour se sentir bien» («a feel good record»), ce qui implique qu'il y en ait (sans doute moins volontairement avoué) pour se sentir mal (nous ne citons personne). Albert Strong, élevé à Washington, a rencontré ce qu'on appelle «jazz» à l'âge de 15 ans. Il est un produit de la Duke Ellington School for Performing Art. C'est Michael Hackett qui lui a enseigné l'émission des notes sur une trompette. Un grand-père l'a initié à Ray Charles, Jimmy Smith, Donald Byrd. Depuis, Al Strong qui émerge à partir de 1998, a joué avec Aretha Franklin et Branford Marsalis. Et en effet on est surpris à l'écoute du premier titre, «Getaway 9» d'entendre du (hard) bop sur tempo rapide parfaitement assimilé par Al Strong («strong» en effet), Bluford Thompson et le trio rythmique (bon solo de Jeremy Clemons)! «Itsy Bitsy Spider» est un solo de trompette (démarquage de « Au clair de la lune») en dehors de l'intervention de voix d'enfants au début et à la fin. Al Strong a un son charnu, robuste et chantant avec un léger vibrato en fin de phrases. Cette qualité se retrouve dans «Lilly's Lullaby». Al sait utiliser les émissions de son voilée pour donner de l'émotion aux notes. C'est la guitare bluesy de J.C. Martin qui introduit un «CI's Blues» deuxième moment de pur (hard) bop. Al Strong joue avec autant de classe qu'un Roy Hargrove, avec des attaques à la Lee Morgan! Coda très blues. Il est impossible aujourd'hui d'éviter la touche latine qui surgit dans cet intéressant arrangement de «My Favorite Things». Effets électroniques dans le solo de trompette. Utilisation bien venue de l'orgue (Lovell Bradford). Climat Jazz Messengers dans «Fond of You». Bluford Thompson y trouve des accents à la Benny Golson. Bon drumming de Lajhi Hampden, remarquable lignes de basse de Lance Scott, piano soul de Ryan Hanseler. Le reste n'est pas de la même veine. Al Strong diversifie pour ne pas passer pour un ringard (et il a le droit d'aimer ça aussi). Passe encore pour le funk festif qui prend «Blue Monk» pour otage, comme l'avait déjà fait le Dirty Dozen Brass Band (auquel on pense), avec sa guitare à pédale (bon solo hargneux de Bluford Thompson). Les trois autres titres, avec piano bla-bla (Lovell Bradford) sans swing dans «Voyage», sont des pièces de «climat» qui permettent malgré tout d'apprécier la sonorité de bugle et de trompette avec sourdine harmon du leader. Au total tous ceux qui restent à aimer leur bop hard devraient s'intéresser à Al Strong et à ce disque
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Michel Laplace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Houben/Loos/Maurane
HLM

Enfance, Potion magique, Overloos, Peccadille, Incantation pour les Etoiles, Morceau en forme de Nougarose, Savapapapa, Les chevilles de Valery
Steve Houben (fl, as, ss), Charles Loos (p, key), Maurane (g, voc)
Enregistré en novembre 1985, Bruxelles (Belgique)
Durée: 40' 23''
Igloo Records 043 (Socadisc)

Après un beau premier galop au Québec et avant Starmania, Maurane est revenue à Bruxelles poser sa voix puissante et son feeling jazz mâtiné de «Nougarose» en 1985. Dans les mois qui suivent, sa rencontre avec les musiciens qui gravitent autour des dix ans d’âge des Lundis d’Hortense n’est pas une surprise. La chanteuse qui est aussi guitariste («Savapapapa») et compositrice («Overloos») se fait instrumentiste par onomatopées inclusives («Incantation pour les étoiles»). On appréciera son talent d’improvisatrice, notamment sur «Morceau en forme de Nougarose». C’est surtout la «manière» de Charles Loos qui est affirmée ici; sa musicalité, l’approche mélodique de ses composition. Par sa sensibilité et sa maîtrise, Steve Houben, qui a déjà enregistré «Steve Houben And Strings» en 1983, s’allie avec évidence aux harmonies de Charles Loos («Peccadille»). Sa composition «Enfance» est devenue un grand classique du jazz belge. Puisqu’aujourd’hui la chanteuse qu’on a dans l’oreille masque le talent initial de Maurane, cette réédition faite par Igloo se faisait essentielle. A noter: un supplément par rapport au 33 tours originel (Igloo 038): le duo Loos-Houben sur «Les Chevilles de Valéry».

Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Big Noise
Live

What’ Cha-Call-‘Em Blues, Down by the Riverside, Make Me a Pallet On the Floor, Carry Me Back to Old Virginny, Big Chief, Old Stack O’Lee Blues, Jesus on the Mainline, Oh, Didn’t He Ramble, Cornet Chop Suey, Savoy Blues, Forty Second Street, Mardi Gras Mambo, My Indian Red, (I’ll Be Glad When You’re Dead) You Rascal You, Black and Blue
Raphaël D’Agostino (cnt, voc), Johan Dupont (p, voc), Max Malkomes (b, voc), Laurent Vigneron (dm)
Enregistré les 10 et 11 janvier 2016, Bruxelles (Belgique)
Durée: 1h 18' 50''
Igloo Records 274 (Socadisc)

Déjà sept ans que ce quartet wallon reprend le vieux répertoire du Delta, surprenant les festivaliers le plus souvent habitués aux expériences créatives et autres amalgames ethniques. Ils nous ont fait danser à Brosella, à Comblain ou Rossignol. Avec ce troisième album, enregistré au Théâtre des Riches Claires (Bruxelles), c’est une sorte de travelling entre Canal Street et Jackson Square qu’ils recréent, rappelant à qui voudrait l’oublier que notre musique est née dans la rue. La démarche de ces jeunes musiciens est essentiellement festive. A côté d’un cornettiste-chanteur («Black and Blue») qui privilégie les accents et le vibrato à la Buddy Bolden, on écoute un contrebassiste essentiel («Old Stack O’Lee Blues») et un batteur qui, avec ses wood-blocks, ses cow-bells, ses bass-drums, ses roulements, et son tempo inébranlable paie tribut à Baby Dods, Chick Webb et Gene Krupa («Oh, Didn’t He Ramble», «Forty Second Street»). Plus surprenante est la présence dans ce quartet d’un pianiste protéiforme: Johan Dupont. On peut l’écouter comme concertiste classique, accompagnateur de chanteurs, sideman bop ou résolument impliqué dans les expériences contemporaines. Avec Big Noise, vous apprécierez autant sa délicatesse sur «Black And Blue» que sa vélocité sur «Big Chief». Big Noise parcourt les origines en chant-chorales («My Indian Red»), de l’église au bordel, de «Jesus on the Mainline» jusqu’au très païen «Mardi Gras Mambo». Cette formation minimale, sans clarinette ni trombone, transpire le swing et la vieille tradition, mais surtout la joie d’être ensemble, de jouer sans fards, en amitié, modestie et partage.

Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Jean-Pierre Bertrand/Frank Muschalle
Piano Brotherhood

Lucky Shuffle, Rhythm Boogie, Blues O'Clock, Midnight Boogie, If You're Not Mine, Boogie Woogie Blues, Sixth Avenue Express, Piano Brotherhood, Why Did You Do That to Me, A Fred's Smile for the Boogie Man, Funny & Uprising, Blues with a Feeling, Swanee River Boogie, Searing Blues, Ammons Warlock Boogie
Jean-Pierre Bertrand, Frank Muschalle (p), Dani Gugolz (b, voc), Peter Müller (dm)
Enregistré les 1er et 2 décembre 2014, Dijon (21)
Durée: 47' 51''
Black & Blue 801-2 (Socadisc)

Frank Muschalle
Live in Vannes

Blue Mor-Bihan, Arradon Arrival, More Sweets Darling, Slotcar Boogie, Mr Freddie Blues, Cooney Vaughn's Stremblin' Blues, Born's Boogie, Vannes'n Waltz, Nod to Wilson, Sheik of Araby, If I Didn't Love You Like I Do, Spooky'n Blue, Bass Goin' Crazy, Hmm? What?, Pastry, Mama You Don't Mean Me no Good, Splashin' Around with the Kids
Frank Muschalle (p)

Enregistré les 22 et 23 avril 2015, Vannes (56)

Durée: 1h 03' 18''

Styx Records 1078 (www.styxrecords.com)

Jean-Paul Amouroux
Plays Rock'n Roll Hits in Boogie Woogie

I'm Walking*, Wild Cat, You Never Can Tell*, Be-Bop-a-Lula, Lucille*, Memphis Tennesse, Dim Dim the Lights*, School Days, Pony Time*, A Mess of Blues, Rock Around the Clock*, I Gotta Know, Tutti Frutti*, Dirty Dirty Feeling, Jambalaya*, No Particular Place to Go, Rock the Bop*, Johnny B Goode, You Talk Too Much*, C'mon Everybody, I'm Ready*, Rock and Roll Music, I Want to Walk You Home*, Don't Be Cruel, Ya Ya*, Happy Baby*
Jean-Paul Amouroux (p), Claude Braud (ts*), François Fournet (g), Enzo Mucci (b), Simon Boyer (dm)
Enregistré les 16 et 17 juin 2015, Draveil (91)
Durée: 1h 04' 59''
Black & Blue 791-2 (Socadisc)

Malgré tout le savoir-faire de ces pianistes, le boogie woogie peut générer une certaine lassitude. Pour la rompre, le duo Bertand-Muschalle, disciple du tandem Pete Johnson-Albert Ammons («Sixth Avenue Express») sollicite parfois un bassiste genre Willie Dixon («Why Did You Do That to Me» de Big Bill Broonzy), d'ailleurs chanteur capable («Blues with a Feeling») et un batteur efficace («Blues O'Clock»). On n'est pas loin du rock'n roll («Midnight Boogie»). Alterner avec du blues low down («Piano Brotherhood») est donc bienvenu. Le «If You're not Mine», excellent thème de Lafayette Leake compte parmi les bons moments de ce CD qui à côté de reprises propose aussi des compositions originales.

Celles-ci sont très présentes dans le dur exercice du solo qu'assume Frank Muschalle sur son Live in Vannes. Elles sont souvent excellentes («Blue Mor-Bihan», «Vannes'n' Waltz», «Hum? What?»). L'album ne comprend donc pas que du boogie. Muschalle est un excellent pianiste qui joue très plaisamment des morceaux qui ne méritent pas l'oubli comme «Mr Freddie's Blues» de Freddie Shayne, «Bass Goin' Crazy» d'Albert Ammons, «Pastry» de Sonny Thompson-Henry Glover et du Little Brother Montgomery, «Cooney Vaughn's Tremblin' Blues» et «Mama, You Don't Mean Me no Good». Un des sommets du CD est «Nod to Wilson», démarquage du «Blues in C Sharp Minor» de Teddy Wilson : du piano incontournablement jazz, et de classe! On retiendra aussi, dans ce disque, plus que plaisant, le bon thème «If I Didn't Love You Like I Do» de Julius Dixon (1913-2004) qui donna aussi avec la parolière blanche Beverly Ross, «Dim, Dim The Lights» rendu célèbre en 1954 par Bill Haley et que l'on trouve dans le troisième CD, celui signé par Jean-Paul Amoureux en petit combo.
L'idée de ce Plays Rock'n Roll Hits in Boogie Woogie est donc d'utiliser les succès du rock'n roll pour en faire du boogie. Ce n'est pas l'exercice le plus difficile, puisque le boogie est une composante essentielle du rock'n roll des années 1945-64 («Lucille» de Little Richard). Cette fois, l'astuce pour entretenir l'attention est d'alterner une interprétation avec sax ténor avec une, sans. Claude Braud a un style «velu» tout à fait adapté au rock'n roll («Tutti Frutti», «Jambalaya»). François Fournet est parfait dans cet exercice du guitariste dérivé de T.Bone Walker, d'avant l'ère de la suramplification des Jimi Hendrix & co. («I'm Walking» de Fats Domino-Dave Bartholomew, «A Mess of Blues», «Dirty, Dirty Feeling», «Don't Be Cruel», évidemment «Johnny B Goode»). Simon Boyer génère un shuffle parfait («Wild Cat») et aussi un drumming plus rentre dedans («Pony Time») dans une entente efficace avec Enzo Mucci (bon slappeur : «Be-Bop-a-Lula», «Rock Around the Clock», «Happy Baby»). Pas ici de désarticulation des thèmes, ils sont bien identifiables. Jean-Paul Amouroux qui est passé de la musique dite classique à Pete Johnson via une période rock'n roll, rend ici un très plaisant hommage aux célébrités du genre qui ont marqué son adolescence : Chuck Berry, Little Richard, Fats Domino, Chubby Checker, mais aussi Jerry Lee Lewis, Gene Vincent, Bill Haley, Eddie Cochrane, Elvis Presley. Jean-Paul Amouroux a un style simple et direct parfait pour ce divertissement qui en réjouira plus d'un.
Charles Chaussade
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Georges V
Joue Brassens

Marinette, Le Parapluie, Pénélope, Brave Margot, Hécatombe, Histoire de Faussaire, Je suis un voyou (intro), Je suis un voyou, Je me suis fait tout petit, L'Orage, Les Copains d'abord, Le Temps ne fait rien à l'affaire, Les Passantes
Pierre Guicquéro (tb), Daniel Huck (as, voc), Jean-Marc Montaut (p, arr), Pierre Verne (b), Marc Verne (dm)
Enregistré les 1er et 2 mai 2015, lieu non précisé
Durée : 58' 22''
Black & Blue 805-2 (Socadisc)


Le principe de prendre une chanson pour tremplin à jazzer est une constante. Solliciter les compositions de Brassens est chez nous assez fréquent surtout depuis «Les Copains d'abord» par les Haricots Rouges. A noter qu'on trouve ici une belle version de «Les Copains d'abord» bien différente, sur tempo lent (excellents solos de Guicquéro et de Pierre Verne). Bref, nous avons là des arrangements bien originaux. Signalons la créolisation de «Le Parapluie», «Je suis un voyou» (mais l'intro est un pastiche amusant du piano concertant). La plupart des exposés du thème sont par Pierre Guicquéro comme dans la funky «Marinette» (Jean-Marc Montaut cite brièvement «Now's the Time» dans son solo). Dans «Brave Margot» (qu'enregistra déjà Sidney Bechet), Daniel Huck prend un accent parkerien (excellent solo technique de trombone, bonne prestation aux balais de Marc Verne). «L'orage» n'est pas sans évoquer «Tea for Two» dans l'introduction de piano, Daniel Huck y chante en scat avec le talent qu'on lui connais (ce n'est pas la seule intervention dans cette spécialité dans ce disque). Dans «Je me suis fait tout petit», Daniel Huck chante les paroles, puis nous donne du scat après le très bon solo de Jean-Marc Montaut. Pierre Guicquéro expose à la Bill Watrous «Histoire de faussaire», titre où nous avons des solos bluesy de piano et d'alto fort bien venus. Bon solo autour du thème de Pierre Verne dans «Le temps ne fait rien à l'affaire», et Daniel Huck y swingue résolument! Le scat dans «Les Passantes» est joyeusement déjanté (bon solo de Marc Verne, introduction qui intrique «Stranger in Paradise»). Bref, de bons moments garantis avec ce CD
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Charles Chaussade
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Claude Bolling Big Band
60 ans. From CB to CB with Love

From CB to CB with Love (part 1-2-3), The Key, Oncle Benny, Nuances, Sax Specialties, Sunday Mornin Shuffle, Lorraine Blues
Christian Martinez, Guy Bodet, Michel Delakian, Patrick Artero (tp), Fabien Cyprien, Denis Leloup, Jean-Christophe Vilain, Philippe Henry (tb), Philippe Portejoie, Claude Tissendier (as), André Villéger (ts, cl), Carl Schlosser (ts, fl), Claudio de Queiroz (bs), Philippe Milanta (p), Nicolas Peslier (g), Pierre Maingourd (b), Vincent Cordelette (dm), Faby Médina (voc)
Enregistré les 10-12-17-26-28 novembre et 3-20 décembre 2015
Durée: 50' 09''
Frémeaux & Associés 8523 (Socadisc)

Saluons d’abord un livret avec les informations utiles (nom des solistes)! Toutes les compositions sont signées Claude Bolling, mais c'est sans lui que ses musiciens œuvrent en son nom. Entrés dans cet orchestre entre 1974 et 2013, tous font honneur au fondateur de l'orchestre, par ailleurs bien enregistré dans le studio de Vincent Cordelette. Un bon big band c'est un excellent batteur pour l'assise et un premier trompette précis comme colonne vertébrale. Pas de soucis ici avec Cordelette et Christian Martinez dont la mise en place, la maîtrise du registre aigu et du vocabulaire (shakes) s'épanouissent dès le premier titre bien venu, «From CB (Claude Bolling) to CB (Count Basie) with Love» (composé en 1987) qui présente le successeur de Claude au piano, Philippe Milanta, un choix tellement pertinent (un régal de virtuosité et swing). Pour beaucoup, le big band est un défilé de solistes. En fait, c'est avant tout un choix de compositions aptes à être swinguées dans des orchestrations qui sont autant de surprises, palettes sonores, alliages et qui sont l'intérêt premier. Viennent ensuite la mise à disposition d'espaces d'expression pour des solistes adaptés à l'esthétique de l'orchestre qui constituent un plus et non une fin. Et là, pas de déception. Dans la partie 2 de ce «From CB to CB with Love», Patrick Artero joue splendidement (quel son ample à la Armstrong dans le solo sans sourdine!). On retrouve Patrick Artero, impérial, à la fin de «Lorraine Blues», version ici précédée par un duo devenu célèbre, André Villéger-Philippe Milanta. A noter une inexactitude dans le livret, ce thème low-down a été enregistré avant 1961 (Philips), le 28 mai 1956 par Claude mettant en vedette Fred Gérard (tp), Claude Gousset, Benny Vasseur et Bernard Zacharias (tb) (Jazz Club 6004). Dans ce CD, Damien Verherve (tb) s'inscrit dans la même lignée. Puisque nous sommes dans le trombone, «Oncle Benny» évidemment dédié par Claude à Benny Vasseur est ici admirablement joué par Denis Leloup avec la sûreté technique qu'on lui connait. On notera dans ce morceau l'alliage sonore trombone et flûte (Carl Schlosser), ainsi que trompettes et flûte dans «Route d'Azur» (1961, pour le film Les Mains d'Orlac) où l'on remarque aussi les solos de Pierre Maingourd et de Michel Delakian (avec sourdine harmon), ainsi que le jeu aux balais de Cordelette. Trombone encore, Jean-Christophe Vilain dans un «Sunday Morning Shuffle», bien shuffleen effet. Du côté des saxophones: belle version de «Nuances» bien sûr ellingtoniennes (Claude Tissendier, alto chantant) et «Sax Specialties» dédié à Tissendier qui valorise le moelleux de la section de sax, après une vive secousse de trompettes. Merci à Vincent Cordelette, nouveau chef d’orchestre, et à tous ces admirables musiciens
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Charles Chaussade
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Claude Braud/Pierre-Louis Cas/Philippe Chagne/Carl Schlosser
Tenor Battle

Stolen Sweets, My Delight, My Full House, After Supper, Shiny Stockings, Moten Swing, Cristo Redentor, Robbin's Nest, In a Mellow Tone
Claude Braud, Pierre-Louis Cas (ts), Philippe Chagne (ts), Carl Schlosser (ts, fl), Franck Jaccard (p), Laurent Vanhée (b), Stéphane Roger (dm)
Enregistré : le 19 avril 2014, Paris
Durée: 1h 14' 17''
Ahead 828-2 (Socadisc)

Philippe Chagne/Olivier Defays
Men in Bop

Naomi's Back!, Emile Saint-Saëns, You and the Night and the Music, Mon suricate au chutney (portrait of P. Chagne), I Remember Frank Wess, Mérou's Bounce, Sweet Swing, Caravan, Walkin' Easy, Calcutta Cuite
Olivier Defays (as, ts), Philippe Chagne (ts), Philippe Petit (org), Yves Nahon (dm)
Enregistré les 19, 20 et 21 octobre 2015, Droue-sur-Drouette (28)
Durée: 53' 30''
Ahead 829-2 (Socadisc)


Ce qui réunit ces disques du même label, c'est la présence de Philippe Chagne, qui, comme c'est rappelé, a une vaste expérience en big bands (Claude Bolling, Ray Charles, Gérard Badini, Michel Pastre, François Laudet, le Splendid). Et aussi l'idée de ne réunir que des sax sur un soutien rythmique. Ils sont un total de quatre et non des moindres dans Tenor Battle, sur des arrangements bien conçus d'un répertoire varié (Ellington, Illinois Jacquet mais aussi Roland Kirk et Duke Pearson). Le livret donne les indications de solistes qui permettent de se mettre dans l'oreille le son et style de chacun. Tous ces arrangements sont de premier ordre! «Stolen Sweets» swingue bien sur tempo médium, mené par Chagne à l'alto (pas mentionné dans le livret), les solos de ténor opposent amicalement Chagne et Carl Schlosser (approche la moins sage). Sur tempo plus vif, «My Delight» fait intervenir successivement Schlosser, Claude Braud (léger growl), Pierre-Louis Cas (son épais) et Chagne. Un riff de section ou des breaks de batterie séparent les interventions individuelles. Dans les ensembles comme en solo Schlosser opte pour la flûte dans le très dansant «My Full House» ce qui contraste bien avec le solo hargneux de Pilou Cas. Franck Jaccard y va aussi d'un solide solo. Jaccard amène avec délicatesse le «After Supper» sur tempo très lent. Ce thème de Neal Hefti nous conduit dans l'univers basien. Solo «méchant» de Pilou (à noter la parfaite ligne de basse de Laurent Vanhée), ensuite Claude Braud n'est pas moins véhément. L'entrée de solo de Schlosser a la vérilité d'une trompette, puis son phrasé a le même genre d'exhubérence qu'un James Cater. En comparaison la sonorité de Philippe Chagne est plus légère mais pas moins expressive. On reste un moment dans l'univers basien avec «Shiny Stockings» (belles relances de Stéphane Roger) et «Moten Swing» (version funky et bon chase Schlosser-Chagne). Soulignons au passage que c'est du live (au Méridien), pas de triche. Très bel arrangement de «Cristo Redentor» avec l'alto lancinant et lyrique de Philippe Chagne. Le piano soul de Franck Jaccard est le seul soliste, de classe. L'arrangement de «Robbin's Nest» avec une partie de flûte et un piano économe n'est pas moins enthousiasmant (remarquable solo de flûte de Schlosser, suivit des ténors pulpeux de Cas, Chagne et Braud). Le programme se termine par une bonne version de «In a Mellow Tone». Les amateurs de sax qui swingue seront aux anges!
Dans le second CD, il y a plus de compositions personnelles (ou bons démarquages comme «Naomi's Back!», kentonien) que d'adaptations de standards. Olivier Defays revendique d'être bop. L'alliage sax-orgue-drums fut pour Blue Note puis en France chez Black & Blue lors des années 1970, un gisement de couleurs bluesy. C'est l'esthétique défendue ici avec talent. Philippe Petit est non seulement un organiste qui connait les racines du genre, mais aussi un compositeur de thèmes de qualité : «Emile Saint-Saëns», «Walkin' Easy». Philippe Chagne a signé une jolie ballade pensive, «I Remember Frank Wess», où la qualité des sonorités de ces deux sax est bien en valeur (et indispensable sur tempo très lent!). Son «Sweet Swing» est aussi un thème plaisant joué paisiblement par l'alto et ténor entourés des «couleurs Blue Note» de Philippe Petit. On appréciera le style parkero-cannonballien d'Olivier Defays dans son «Mérou's Bounce» (breaks d'Yves Nahon). Dans les standards, on relève un bon stop chorus par les sax dans «You and the Night and the Music». Yves Nahon, par ailleurs aussi discret qu'adapté, est mis en valeur (sans excès) dans «Caravan» et «Calcutta Cutie». Qu'Olivier Defays se rassure, ce style n'a pas pris, ici, une ride, et, porté à ce degré de qualité, sans sacrifier le swing, c'est une démonstration qu'on peut être «créatif» sans rien renier des fondements essentiels du genre. Un album inespéré par les temps confus qui courent.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Yves Nahon Quartet
Jour après jour

This Way, Contemplation, Get Out of Town, Westwood Walk, Jungle Juice, Azure, Lime Light, What The World Needs Now Is Love, Lean Years, Just Squeeze Me
Yves Nahon (dm), Hiroshi Murayama (p), Serge Merlaud (g), Pierre Maingourd (b)
Enregistré les 11 et 12 décembre 2013, lieu non communiqué
Durée: 56' 19''
Black & Blue 793-2 (Socadisc)

Professionnel depuis 1987, Yves Nahon a joué pour Ted Curson, Peter King, Pierre Michelot et Sylvain Boeuf notamment. Il annonce son «ambition de trouver un son ensemble». En effet le groupe a un son magnifique et la couleur est donnée par Serge Merlaud, guitariste de formation classique qui à l'évidence a parfaitement assimilé l'approche des meilleurs guitaristes bop. Sa sonorité attire l'oreille notamment dans «Contemplation» de McCoy Tyner. Dans «This Way», composé par Serge Merlaud et joué avec swing, le piano du Japonais Hiroshi Murayama (né en 1970), de formation classique, est d'une belle musicalité. Dans le beau thème de Cole Porter, «Get Out of Town», c'est au tour du leader de se mettre en valeur (jeu de balais, solo), mais Pierre Maingourd n'est pas en reste car ses lignes de basse derrière les solos de guitare et piano sont parfaites. Dans «Westwood Walk», la prestation aux balais d'Yves Nahon comme l'entrée de solo de Murayama sont impressionnants. Superbe solo de Pierre Maingourd dans «Azure» d'Ellington. Le «Lime Light» de Mulligan est délivré avec un swing réjouissant (belle alternative piano-guitare). Même qualité de swing dans «Just Squeeze Me», notamment le solo de piano soutenu par la qualité de son de la contrebasse et le drumming inventif du leader. Maingourd prend là aussi un excellent solo. J'ai souligné des qualités individuelles. C'est la somme de celles-ci qui donne un beau son de groupe. Ceux qui aiment la guitare dans la lignée Kenny Burrell, Wes Montgomery, etc. sauront apprécier ce disque.

Charles Chaussade
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Marc Benham
Fats Food. Autour de Fats Waller

Viper's Drag, Black and Blue, Boxing Day, Carolina Shout, I've Got a Feeling I'm Falling, Ain't Misbehavin, Madreza, The Trolley Song, My Fate Is in Your Hands, La Petite plage, The Sheik of Araby, Les Barricades mystérieuses, Tes zygomatiques, Ain't Misbehavin (alt. take)
Marc Benham (p)
Enregistré le 3 novembre 2015, Malakoff (92)
Durée: 48' 13''
Frémeaux & Associés 8527 (Socadisc)


Marc Benham est un pianiste «rare». Tous ceux qui ont assisté à ses concerts ou écouté Herbst, son précédent album solo en conviennent. Une technique accomplie, un toucher précis (qui l'autorise à jouer sur les redoutables pianos Fazioli), un sens aigu de la mise en place et une culture phénoménale de l'histoire du piano jazz (Thelonious Monk compris) ne sont que quelques-unes de ses qualités. Au répertoire de Fats Waller annoncé par le titre, (mais aussi de James P. Johnson), il ajoute quelques-unes de ses compositions personnelles et même un extrait d'un thème de François Couperindont il donne une interprétation «stride» tout à fait dans le ton malgré son anachronisme... mais Marc Benham a aussi le sens des surprises inattendues et le culte du mystère (ainsi le logo du pingouin en loden qui figurait déjà sur Herbst, lui-aussi très réussi). Chapeau (melon...) l'artiste
!

Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueLaurent Courthaliac
All My Life

He Loves and She Loves, Strike up the Band, All My Life, Everyone Says I Love You, Looking at You, But not for Me, You Brought a New Kind of Love to Me, I’ve Got a Crush on You, Just You, Just Me, Embreacable You
Laurent Courthaliac (p, arr), Fabien Mary (tp), Bastien Ballaz (tb), Dimitri Baevsky (as), David Sauzay (ts), Xavier Richardeau (bar), Clovis Nicolas (b), Pete Van Nostrand (dm)
Enregistré en avril 2015, Meudon (92)
Durée: 44' 04''
Jazz and People 816004 (Harmonia Mundi)


La musique qui sert de base au dernier album de Laurent Courthaliac est tirée des films de Woody Allen Manhattan (1979) et Tout le monde dit I love you (1996), seule comédie musicale à l’actif du cinéaste new-yorkais. Le pianiste célèbre ici davantage l’amour du jazz de l’illustre réalisateur que son esthétique cinématographique, même si des accents de sincérité absolue émaillent cette déclaration enflammée à la ville berceau du bebop. Dès le premier titre, «He Loves and She Loves», le pianiste annonce la couleur avec une relecture de Gershwin dans la plus pure tradition swing. L’orchestration façon big band de Jon Boutellier (Amazing Keystone Big Band) est le sésame qui permet d’entrer de plain-pied dans un univers qui ressuscite une époque chérie de la plupart des amateurs de jazz. «Strike Up the Band» permet à Laurent Courthaliac de déployer toute sa science des arrangements, et le tempo vif, les accents roboratifs produits par les cuivres, achèvent de convaincre l’auditeur qu’il a ici affaire à une musique de grande qualité. «Everyone Says I Love You» ramène le temps d’une piste cette saveur particulière aux grandes comédies musicales américaines, et «Looking at You» est peut-être le morceau sur lequel le talent du leader s’avère le plus évident, son toucher atteignant ici un niveau de délicatesse et de sensibilité inouïs, avec des silences aussi éloquents que les notes de musique les plus inspirées. «I’ve Got a Crush on You» suscite à son tour l’adhésion du mélomane, avec ses contrastes profonds et les couleurs sépias apportées par Bastien Ballaz. Un hommage appuyé doit bien sûr être rendu au mixage et à la masterisation hors pairs de Julien Bassères, qui s’avèrent essentiels pour restituer toute la cohésion de l’octet en studio. Le disque se termine sur «Embraceable You», un mid-tempo très séduisant qui met en évidence le talent de Xavier Richardeau. Grâce soit rendue, sur ce disque, à la section de cuivres, dont les interventions confèrent un caractère inoubliable aux compositions de George Gershwin. Un bien bel album, déployant une approche toute de transparence et de pureté, et prouvant que la musique la plus enracinée n’est pas incompatible avec l’approche d’une certaine modernité
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Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Jacky Terrasson/Stéphane Belmondo
Mother

First Song, Hand in Hand, Lover Man, La Chanson d'Hélène, In Your Own Sweet Way, Pic Saint-Loup, Mother, Fun Eyes, Les Valseuses, Souvenirs, You Don't Know What Love Is, Pompignan, You Are The Sunshine of My Life, Que Reste-t-il de nos amours?
Jacky Terrasson (p), Stéphane Belmondo (flh, tp)
Enregistré en septembre 2015 et avril 2016, Pompignan (82)
Durée: 48' 12''
Impulse! 0602557049466 (Universal)


Ce disque est le résultat de la quasi fusion artistique entre Stéphane Belmondo et Jacky Terrasson. Ils se connaissent depuis longtemps. Ils ont joué ensemble pour Dee Dee Bridgewater dans les années 1990. A partir de 2010, ils se sont retrouvés pour jouer en duo. Une trentaine de morceaux a été enregistrée, mais à l'écoute du résultat, ils ont choisi de ne garder que les tempos lents pour donner un climat particulier à l'album. J'avais une appréhension avant d'écouter ce disque, car Jacky Terrasson comme la plupart des pianistes bavards de notre époque, n'est pas ma tasse de thé. J'aurai dû me souvenir que j'avais déjà chroniqué positivement le duo Tom Harrell-Jacky Terrasson de 1991 (JAR 64007). Et dès la première écoute j'ai été touché par la qualité musicale de cette sélection.
«First Song» de Charlie Haden, hors tempo et lent, ouvre le programme: le bugle de Stéphane Belmondo est bien enregistré et ses émissions de son, volontairement voilées, génèrent une belle émotion que l'accompagnement de Terrasson respecte. A tempo, plus médium, «Hand in Hand» est magnifiquement joué par Stéphane Belmondo à la trompette avec une sourdine harmon. Jacky Terrasson a une solide main gauche qui donne l'assise au duo et il joue avec sobriété et une grande musicalité! Belle quiétude dans l'introduction à ce qui devient «Lover Man» avec l'arrivée de Stéphane Belmondo au bugle. Ce n'est pas qu'un accompagnement mais l'intrication parfaite de deux voix, avec une complicité en écho (reprise de la phrase de bugle ou court commentaire par la main droite de Jacky Terrasson). Le son de bugle est généreux. Ici et là quelques effets à la Miles Davis. On sait que Stéphane aime «La Chanson d'Hélène» de Philippe Sarde qu'il joue avec son trio. Voici une version au bugle avec piano qui traduit quiétude et mélancolie. Phrasé bop à la trompette avec sourdine harmon dans «In Your Own Sweet Way» de Dave Brubeck (ici c'est le Terrasson qui me lasse vite, mais son solo est court). Le début du très court «Pic Saint-Loup» (0'40'') fait penser au Miles Davis de L'Ascenseur pour l'échafaud. Jacky Terrasson est le compositeur du très mélancolique «Mother», dédié à sa mère (décédée). Stéphane Belmondo, au bugle, donne du poids, de l'affect à chaque note. Il sollicite là un vibrato de bon aloi. Beaux effets de crescendo, et discrets appels-réponses entre les deux musiciens. Comme pour rompre avec cette intensité dramatique, le morceau suivant «Fun Keys» est plus enjoué, plein de dynamisme. Terrasson y est ...funky. Belle coda vive et tranchante. Puis surprise, «Les Valseuses» de Grappelli est du jazz qui balance comme l'aimait le violoniste. Stéphane Belmondo y joue avec le plunger. Terrasson y est...parfait. Retour à la tendresse avec «Souvenirs» de Stéphane Belmondo au bugle. Dans les quatre titres suivants Stéphane Belmondo joue de la trompette, notamment cette version recueillie de «Que reste-t-il de nos amours?». Bref, un CD intimiste qui est une belle étape artistique de Stéphane Belmondo et de Jacky Terrasson
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Michel Laplace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueIordache
One Life Left

Triangle, One Life Left, Peace, Suriname, Pyramid, I Guess, It’s Love, Stranger on a Train
Iordache (ts, bar, as, fl), Lucian Nagy (ts, ss), Petre Ionutescu (tp), Toni Kühn (key), Dan Alex Mitrofan (g), Utu Pascu (b), Tavi Scurtu (dm)
Enregistré les 23 août et 4 septembre 2011, Timisoara (Roumanie)

Durée: 1h 05'
Fiver House Records
160706-2 (www.fiverhouse.com)

Iordache, est un des grands animateurs de la scène jazz roumaine, en tant que musicien, leader et producteur; il multiple ainsi les activités indispensables pour pouvoir vivre de sa musique en indépendant. Avec «One Life Left», il nous propose un voyage sur les rives de la fusion où il utilise toute la palette de ses saxophones, épaulé par un second soufflant aux anches, Lucian Nagy. La combinaison fonctionne et le guitariste Dan Alex Mitrofan joue le troisième larron, ultra présent sur toutes les compositions. Un jazz électrique semble-t-il plus inspiré de la scène anglaise des années 70 que de la fusion dévastatrice d’Outre-Atlantique. L’enregistrement a été réalisé en live, en prise directe et le feeling sans effet de studio se reflète très bien sur «Suriname» où les claviers de Toni Kühn se marient aux multiples anches et à la trompette de Petre Ionetescu. Un mélange funky et jazz qui incite à la danse. Chaque musicien a sa place et la polyvalence des soufflants leur permet d’assurer de belles parties de flûte et de baryton. L’utilisation de claviers bizarres (synthétiseur Vermona) colore étrangement le son de «I Guess It’s Love»; et de même sur «Stranger on the Train» le groupe invente une sonorité très étonnante.
Une bonne surprise que ce musicien qui ne tourne jamais en France
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Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueIordache
Garden Beast

Garden Beast, Captain Rabbit, Summer Rain, Spider’s Diner, My Dog Zorro, Pond Relections, Magnolia, Earthworm
Iordache (ts, bar, as, fl), Garden Beast (as, voc, arr), Sebastian Burneci (tp), Florian Radu (tb),Toni Kühn (key, g), Dan Alex Mitrofan (g), Utu Pascu (b), Tavi Scurtu (dm, perc) + Sanem Kalfa (voc)
Enregistré en 2013, Iasi (Roumanie)
Durée: 45'
Fiver House Records 004 (www.fiverhouse.com)

Iordache réunit ici une partie de l'équipe de One Life Left pour un répertoire qui commence comme celui d’un groupe de rythm'n'blues avec le titre éponyme de l’album, et toujours un super son étonnant et détonant du pianiste. Une musique alerte, joviale, pleine d’humour, soutenue par une section de cuivres parfaitement en place. Un jazz grand public de qualité qui ravira aussi les puristes aux idées plus larges. L’album se poursuit par un «Captain Rabbit» qui gambade dans la prairie sur la rythmique cadencée du guitariste avec une exubérance de cuivres sautillants. «Summer Rain» arrangé à la façon d’un Lalo Schiffrin de série télévisée continue dans l’allégresse pour introduire un étrange repas de l’araignée «Spider Diner». Distorsions de claviers, guitare brésilienne et cuivres habaneros nous embarquent sur les traces de «My Dog Zorro» qui permet au guitariste de prouver de nouveau ses capacités à swinguer et rigoler à la fois. La voix de Sanem Kalfa voltige sur «Magnolia» orchestré à la façon d’un Frank Zappa dont l’orchestre semble avoir adopté l’humour et la dérision sans oublier la justesse d’interprétation. L'ultime titre prend un début rock’n roll: les musiciens se veulent grand orchestre et accélèrent le tempo pour un final débridé où éclate une joyeuse cacophonie salutaire.

Bref, un album qui ne manque pas d’originalité et d’un certain entertainment.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueIordache/Alex Harding
Two Hours in June

Spider’s Diner, Triangle, Space Loneliness, Dissipaten, Fiare Vechi Luām
Iordache (as, ts), Alex Harding (bar), Stefan Burneci (tp), Florian Radu (tb), Toma Dimitriu (key), Michael Acker (b), Tavi Scurtu (dm), Ghassan Bouz (perc)
Enregistré le 11 juin 2015, Bucarest (Roumanie)
Durée: 39'
Fiver House Records 015 (www.fiverhouse.com)

Deux heures. C’est le temps qu’il a fallu pour enregistrer cet album dans un studio de Bucarest. Iordache avait déjà écouté Alex Harding avec l’orchestre Blutopia du pianiste roumain Lucian Ban. Puis au sein du Tuba Project (Lucian Ban, Sam Newsome, Bruce Williams Derek Philips et le légendaire Bob Stewart) et au sein de Defunkt. Lors d’un passage par hasard au club Green Hours, il le rencontre et les deux saxophonistes décident aussi sec d’enregistrer dès la fin de la tournée de l’Américain. Iordache réunit sa bande habituelle au studio Star One et en deux heures l’affaire est bouclée. Le répertoire choisi sera quatre titres de ses compositions et un thème de Sun Ra «Space Loneliness», son compositeur favori. Album d’urgence qui sonne comme un live de club, sans concession laissant la part belle aux solistes et dès le premier titre Alex Harding nous emporte sur son baryton. Idem sur «Space Loneliness», où l’ami américain commence l’offensive avec un long solo entrecoupé de celui du pianiste, la section de cuivre suit le mouvement. Avec «Dissipaten» et «Fiare Vechi Luām» chaque musicien a droit à sa courte intervention, les deux sur un tempo ralenti et l’invité refait preuve de belles interventions. Un disque témoignage d’une rencontre non préparée et qui se solde par un moment fort agréable
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Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Tiberian/Dahlgren/Betsch
Both Sides of the River

The Crossing, So Simple, Both Sides of the River, Passcaglia, Stretto, Tuscarora, Never Been to Alabama
Mircea Tiberian (p), Chris Dahlgren (b), John Betsch (dm)
Enregistré le 21 janvier 2011, Bucarest (Roumanie)
Durée: 56’
Autoproduit (mircea_tiberian@yahoo.com)


Mircea Tiberian mène une carrière internationale, il a notamment joué avec Larry Coryell, Thomas Stanko, Jean-Jacques Avenel, Daniel Erdmann et ses compatriotes: Johnny Răducanu, Anca Parghel, Dan Mîndrilă… Il est également le coordinateur du département jazz de l’Université Nationale de Bucarest et a signé une vingtaine d’albums. Chris Dahlgren, originaire de Cincinnati, a étudié la composition avec Monte Young, Anthony Braxton… et la contrebasse avec Barry Green, François Rabbath et Dave Holland. Durant les années 80, il est le bassiste maison du Blue Wisp Jazz Club de Cincinnati et joue avec Herb Ellis, Red Rodney, Charles Tolliver et Joe Lovano, puis s’installe à New York en 1993 où il dirige et enregistre avec ses groupes et joue aux côtés d’Anthony Braxton (2001/2009). Depuis 2006 il réside à Berlin et se produit avec de nombreux musiciens notamment d’Europe centrale. Quant à John Bestch, installé à Paris on connaît sa carrière et ses multiples collaborations, dont la plus longue avec Steve Lacy. L’univers des trois compères semble défini mais sur cet album dédié en grande partie à l’improvisation et gravé en un jour, l’intensité et l’urgence donne lieu à d’agréables surprises.
Après un premier titre «The Crossing», issu d’une improvisation collective sur les sentiers d’un Cecil Taylor, le trio nous suggère un chemin tranquille, rempli de sagesse avec «So Simple» signé par Mircea Tiberian. Jean-Sébastien Bach est l’inspirateur de «Passacaglia» qui déroule un paysage nostalgique où le trio développe un sens de l’écoute et de l’échange permanent. Mircea Tiberian en exprime toutes les nuances en une sensibilité à fleur de peau qui séduit l’auditoire. «Stretto» et «Tuscarora» signés par Chris Dahlgren enfoncent le clou d’une musique libertaire qui se veut la plus ouverte possible. «Never Been to Alabama», dont l’introduction pourrait être jouée lors d’une messe de gospel, nous va droit au cœur, des larmes sur chaque touche pour libérer les ailes de l’ange gardien qui veille sur notre musique. Les tintements des cymbales et les balais soulignent le doux dialogue du piano et des cordes de la contrebasse comme un moment paisible après la bataille des improvisations précédentes. Un groupe à découvrir en concert.

Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Mircea Tiberian/Toma Dimitriu
The Pale Dot

Dragonfly Blues, Time Capsule,Lydian Glow, Habanera, The Pale Dot, Like a Thief in the Night, Restless Needle, Sangha, Slow Motion (Masina Vie)
Mircea Tiberian, Toma Dimitriu (p)
Enregistré en Roumanie, date non précisée
Durée: 43'
Fiver House Records 013 (www.fiverhouse.com)

Toma Dimitriu est un jeune pianiste roumain (23 ans) diplômé du Conservatoire George Enescu de Bucarest et du Conservatoire de Gröningen au Pays-Bas. Inconnu en France il a joué avec le trompettiste Nicolas Simion, le batteur Gene Jackson ou le trompettiste Eamon Dilworth. Sur ce dialogue, que l’on aurait pu imaginer de maître à élève, leur évidente complicité est une heureuse surprise. La majorité des compositions sont signés par l’aîné, Mircea Tiberian, dont la diversité et la qualité ne peuvent que séduire. Tour à tour soliste et accompagnateur, à l’écoute l’un de l’autre, le duo nous livre un album plus qu’intéressant qui s’écoute d’une traite et sans état d’âme; une musique sincère qui va droit aux oreilles et au cœur. Le titre éponyme de l’album «The Pale Dot», de courte durée (1' 52''), résume bien cet album ouvert aux esprits. Ancré dans un jazz novateur, cet album se distingue de la majorité d’une production roumaine qui reste dans un domaine trop académique. Mircea Tiberian, personnage d’une forte personnalité et qui ne mâche pas ses mots entend défendre un jazz contemporain pas assez reconnu d’après lui dans les instances officielles et certains festivals nationaux, ni dans les éditions discographiques.

Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueDavid Linx/Brussels Jazz Orchestra
Brel

Quand on n’a que l’amour, La Chanson des vieux amants, Vesoul-Amsterdam, Ces gens-là, Mathilde, Ne me quitte pas, Le Plat pays, Bruxelles, Isabelle, La Valse à mille temps
David Linx (voc), Brussels Jazz Orchestra (dir. Frank Vaganée), personnel détaillé dans le livret
Enregistré du 24 au 26 juin 2015, Gand (Belgique)
Durée: 1h 07’
Jazz Village 570125 (Harmonia Mundi)

A la différence de Charles Trenet ou Georges Brassens, les chansons de Jacques Brel ont rarement intéressé les jazzmen. David Linx, après avoir chanté Nougaro, s’y colle. Il faut bien sûr oublier les interprétations de Brel, et se focaliser sur ce que Linx fait de ce répertoire avec sa façon si particulière de chanter. Il est épaulé par un Brussels Jazz Orchestra en grande forme, sur des arrangements remarquables de différents auteurs (voir livret). Linx a donc là un appuis solide et peut interpréter les chansons de Brel avec son art de moduler la mélodie, en traînant sur les syllabes, surtout à la fin des vers, étirant la note et partant certaines fois dans des volutes volubiles qui tordent la mélodie, ou encore s’envolant sur des scats légers. Chaque morceau offre un long solo à l’un des musiciens de l’orchestre, et ça swingue bien! Emergent ainsi la voix de l’orchestre et un solo de ténor (Kurt Van Erck) sur «Quand on n’a que l’amour»; un solo d’alto (Frank Vaganée) sur «Bruxelles», bien servi par Linx; un solo de trombone (Marc Godfroid) sur «La Chanson des vieux amants» où là, Linx ne dégage pas du tout l’émotion que demande le thème; c’était l’un des chefs-d’œuvre d’interprétation de Brel, insurpassable bien sûr. En revanche, Linx réussit une gageure sur «Ne me quitte pas», rendu avec retenue et tendresse dans sa première partie démarrée sur tempo lent, en compagnie du pianiste, puis en forte avec tout l’orchestre. Autre belle réussite «Vesoul-Amsterdam»: Linx en trio avec basse et batterie, puis après le solo de trompette (Nico Shepers), reprend en anglais sur fond d’orchestre: chauffe, Marcel! «Isabelle» est interprété complètement en anglais, ce qui n’apporte rien mais plaira au monde anglo-saxon! Le disque se termine sur «La Valse à mille temps» démarrée, comme il se doit, en valse ralentie, sur une rythmique des anches, qui va s’accélérant et crescendo avec tout l’orchestre sur un splendide arrangement de Lode Mertens; là, Linx articule presque à la Brel. Somme toute un disque réussi et très plaisant, qui donne l’occasion d’entendre l’excellent BJO au sommet.

Serge Baudot
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

David Linx/Paolo Fresu/Diederick Wissels
The Whistleblowers

As One, December, This Dwelling Place, The Whistleblowers, Traiblazers, Paris, Contradiction Takes Its Place Part 1 & 2, O grande kilapy, Le tue mani, Dredge up, Shake up Your Trust, Confusion
David Linx (voc), Paolo Fresu (tp, flh, electronics), Diederick Wissels (p, synth), Christophe Wallemme, Helge Andreas Norbakken (b) + Quartetto Alborada (strings)
Enregistré en 2015, lieu non communiqué
Durée: 55'
Bonsaï Music 151101 (Harmonia Mundi)


Voici revenu, quinze ans après, le groupe Heartland qui avait tant séduit tout un public. David Linx se retrouve avec son trio habituel, plus quelques invités. Ce disque devait entrer en promotion avec des concerts, juste au moment des attentats du 13 novembre 2015, et tout fut ajourné. Ironie du sort, The Whistleblowers, ce sont les lanceurs d’alerte!
La voix de David Linx a pris du grave et de l’ampleur. Dans ce disque, il chante – on pourrait dire normalement –, c’est à dire sans moduler, comme à son habitude, et son chant y gagne énormément en force et en profondeur; on s’en aperçoit dès «As One». Dans l’ensemble les morceaux sont pris sur tempo lent. Il y a de belles réussites comme «December» sur tempo rapide avec des accents rythmiques parfois à la Gregory Porter de Liquid Spirit. Une autre belle réussite «Contradiction Takes its Place» en deux parties, la première voix/piano rubato; la deuxième sur rythme soutenu batteur/ basse et contrechant du piano. La trompette bouchée rêveuse en écho, puis en broderie, c’est parfait. «Le tue mani» chanté en italien est d’un charme absolu avec encore un beau partage voix-trompette, ouverte cette fois, et des ponctuations des cordes. «Dredge Up» sort aussi du lot avec un caractère funky, avec cette fois une vraie et belle mélodie. C’est le meilleur morceau du disque, avec un groupe qui colle à fond à la voix, et des envolées de Fresu en temps dédoublé. Dommage que tout le disque ne soit pas de ce tonneau. «Confusion» est une sorte de samba avec un splendide unisson voix-trompette-piano-basse. Les paroles sont de David Linx, sauf «Le tue mani» de Machel Montano. Les musiques sont essentiellement de Diederick Wissels.
Il est évident que les inconditionnels de David Linx se régaleront. Le groupe est parfait, les arrangements collent bien aux chansons, la plupart des solos sont de haut niveau, mais c’est peut-être plus un disque de chansons que de jazz…

Serge Baudot
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Don Menza Quintet
First Flight. Complete Recordings

Don Menza (ts, ss, fl), Frank Rosolino (tb), Alan Broadbent (p, synth), Tom Azarello (b), Nick Ceroli (dm), Paulinho, Claudio Slon (perc) + Frank Strazzeri (p), Mayo Tiana (btb)
CD1: Bones Blues, Mz. Liz, April’s Fool, Magnolia Rose, Intrigue, Spanish boots, Groove Blues, Samba de Rollins, Collage, Ballad of the Matador; CD2 : Bones Blues, Mz. Liz, Intrigue, Magnolia Rose, Spanish Boots, Groove Blues
Enregistré en juillet 1976, Hollywood, Los Angeles (Californie)
Durée: 1h 12' + 51'
Fresh Sound Records 891 (Socadisc)


A quarante ans de distance, cette réédition (plus trois inédits et six prises alternatives) de First Flight du saxophoniste Donald Menza sera certainement une découverte pour de nombreux amateurs. Et quel plaisir d’écouter ou réécouter un jazz dynamique, swinguant, débordant d’enthousiasme, interprété par un musicien et un quintet qui ne s’occupent que de jazz et ne cherchent jamais à épater la galerie, à inventer une quelconque variante du jazz … C’était évidemment le milieu des années soixante-dix, une époque à laquelle le mot jazz avait un sens encore assez précis. Sans être vraiment west coast, le son, fluide, témoigne de la présence de Menza en Californie («a cultural shock for me»). Peut-être aussi que son court passage antérieur chez Kenton a joué un rôle. La présence dans ce disque de Frank Rosolino, lui aussi bien ancré à Los Angeles, n’est pas non plus anodine; le tromboniste ayant été longtemps son partenaire dans l’Ouest. L’enregistrement offre un véritable festival de dialogues entre Don et Frank, s’appuyant sur une rythmique plus que solide. En ce sens l’inédit «Bones Blues» (par lequel s’ouvrent les deux CDs) est révélateur. Un puissant swing de Nick Ceroli lance et appuie en permanence le ténor qui passe la parole au tromboniste. S’en suit une alternance questions-réponses entre les deux instrumentistes.
«April’s Fool», avec les percussionnistes brésiliens en soutien (clave de samba sur la campana), débute par un long show de Don Menza avant le dialogue ténor/trombone. Restons avec les plages pour lesquelles interviennent encore les deux "Latinos", «Spanish Boots» et «Samba de Rollins». Le premier (inédit) débute avec un remarquable duo Menza-Rosolino. Ce dernier a ensuite la part belle, avec de longues interventions, et les percussions, discrètes, sont plus à l’honneur en fin de thème avant le retour du ténor. Si le son du Pacifique est sensible chez Menza, il ne faut pas minimiser l’influence de ses maîtres, les saxophonistes boppers et autres tels que Hawkins, Lester Young, Stitt ou Sonny Rollins à qui il rend hommage dans sa «Samba de Rollins» – qui n’a de samba que l’apport des percussions sur un court passage. C’est le Rollins de la jeunesse de Menza qui est à l’ordre du jour. Le saxophone, puissant et très agressif est à l’unisson avec le trombone et le tempo endiablé. On relève la participation d’un trombone basse (Mayo Tiana). Un invité spécial, Frank Strazzeri (p), interprète tout en douceur sa propre composition «Ballad of the Matador». Menza y joue de la flûte. Exit Rosolino. L’autre ballade, «Magnolia Rose», débute par un très beau solo de ténor avant l’entrée cool du trombone. «Intrigue» (inédit) déborde de swing tout comme «Groove Blues» dont le titre est justifié. Menza y fait preuve de virtuosité, joue vite et lance des appels à Rosolino alors que la section rythmique est de toute évidence à la hauteur des attentes du saxophoniste. «Mz Liz» met en valeur le travail du pianiste Alan Broadbent, son compositeur. L’esprit de cette composition est différent du reste du disque et les deux cuivres se coulent dans cet esprit.
S’il convient d’apprécier l’inclusion de trois inédits dans cette réédition, on aurait préféré les voir renvoyés sur le second disque qui rassemble des prises alternatives de six des thèmes du premier. Ces prises sont toutes plus développées que celles retenues mais globalement n’en diffèrent pas sur le plan de l’interprétation. Mais y ajouter les trois inédits aurait permis de conserver sur le premier volume la structure exacte du LP original. Un musicien ne choisit pas au hasard les compositions offertes au public (du moins les grands jazzmen d’hier!). Il a une idée, un concept en tête. Si Don Menza ne met pas l’excellent «Bones Blues» sur le LP, c’est sans aucun doute parce qu’à cet instant il n’est pas dans la logique de son projet. Et si «Collage» est le morceau qui introduit celui-ci, c’est bien parce qu’il constitue, par son dynamisme, l’engagement personnel du saxophoniste, de son partenaire Rosolino et de tout le groupe, la rampe de lancement du disque. Comme une introduction, «Collage» contient en germe (germe un peu avancé même) ce que le quintet va dire par la suite. On peut donc suggérer au jazzophile d’écouter les thèmes dans l’ordre du LP original (9, 2, 7, 10, 8, 4, 3) et d’apprécier les autres à la suite
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Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Moutin Factory Quintet
Deep

Love Stream, Hope Street, Fat's Medley, Exploded View, A Soothing Thrill, Hell's Kitchen, Shift, Bliss, In the Name of Love
François Moutin (b), Louis Moutin (dm), Jean-Michel Pilc (p), Manu Codjia (g), Christophe Monniot (as, sopranino sax), Thierry Péala, Axelle du Rouret (voc)
Date et lieu d'enregistrement non précisés
Durée 1h 03' 53''
Jazz Family 009 (Harmonia Mundi)


Mis à part un medley de thèmes de Fats Waller (que d'ailleurs les frères jumeaux jouent en duo), toutes les compositions sortent de «l'usine/cuisine du diable» familiale. Complexes et d'une élégance un peu brutale, elles donnent des ailes aux cinq musiciens dont l'osmose est totale. L'ajout de backgrounds vocaux sur le premier titre seulement n'ajoute pas grand-chose à la force assez redoutable de cette musique jouée de bout en bout avec un enthousiasme énergique. D'ailleurs, les trois ballades que contient le CD n'échappent pas non plus à un traitement plutôt vigoureux. Amateurs exclusifs de «music for lovers», passez votre chemin... Dans la musique des Moutin, pas de place pour les chuchotements.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueLaurent Coq/Walter Smith IIIl
The Lafayette Suite

Comte de Broglie, Baron Johan De Kalb, Pasajes de San Juan, Charleston, South Carolina, June 19, 1777, Major Benjamin Huger, General George Washington, The Battle of Brandywine, Valley Forge, Comte de Rochambeau, Yorktown
Laurent Coq (p), Walter Smith III (ts), Joe Sanders (b), Damion Reid (dm)
Enregistré les 1er et 2 septembre 2014, Paramus (New Jersey)
Durée: 49' 39''
Jazz & People 815003 (Harmonia Mundi)


Laurent Coq est un homme qui place au premier plan de ses valeurs artistiques une certaine intégrité jugée indispensable pour nourrir les meilleures ambitions musicales. Ses prises de position, incisives et plutôt tranchées, sont connues des amateurs de jazz pour tenter de traduire dans les faits le développement d’une démarche toute personnelle. Il nous propose ici un concept-album structuré autour des pérégrinations de Lafayette, ce qui lui permet d’interroger de manière inquiète les rapports qu’entretient la culture américaine avec le jazz européen. Bénéficiant du programme FAJE (French American Jazz Exchange) et publiées chez le tout jeune label participatif Jazz & People, les compositions qui émaillent cet album, conçues en partenariat avec le saxophoniste américain Walter Smith III, sont autant de jalons qui retracent le parcours de l’illustre personnage français. Dix thèmes correspondants à des lieux, des personnages et des événements importants des huit années d’engagements de Lafayette. Au fil des titres, on voyage avec les musiciens tout au long de compositions empreintes de complexité, qui se tiennent à distance du jazz mainstream. Il faut dire que l’album, de ce point de vue, prend le risque de se détourner d’une démarche plus grand public, au risque de restreindre sensiblement son audience. Il s’agit en somme d’un pari, prouver que l’art authentique se nourrit autant d’individualisme que d’universalité. La musique, en elle-même, est organisée autour d’une segmentation, sous forme de breaks inattendus et d’expérimentations inédites, qui s’aventurent hors des chemins balisés («The Battle of Brandywine»). Elle brille aussi par son art des structures, des liaisons, les compositions étant agencées de telle sorte qu’elles s’enchainent sans temps mort. En acceptant ce parti pris, il devient possible d’apprécier le côté organique de la collaboration entre Laurent Coq et Walter Smith, les notes charnues du saxophoniste qui viennent serpenter autour des structures imaginées par le pianiste, les mélodies entêtantes serties sur des trames rythmiques denses, le caractère irréprochable des fondations offertes par Joe Sanders et l’élève de Billy Higgins, Damion Reid. Percevoir les rapports existant entre le personnage de La Fayette et l’œuvre enregistrée n’est pas vraiment indispensable, en dépit des aperçus supplétifs offerts par la lecture des notes de pochette, mais il faut tout de même, pour l’apprécier, faire l’effort d’entrer dans le projet de l’artiste, ce qui suppose finalement un investissement conforme aux convictions personnelles de Laurent Coq, qui voit dans l’apprentissage de la musique un accomplissement comparable à celui qui permet une existence digne de ce nom.
Un album à l’intérêt artistique incontestable, qui devrait faire la joie des amateurs éclairés.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Eddie Henderson
Collective Portrait

Sunburst, Dreams , Morning Song, You Know I Care, Beyond Forever, Collective Portrait, First Light, Together, Ginger Bread Boy, Spring, Zoltan
Eddie Henderson (tp), Gary Bartz (as), George Cables (p), Doug Weiss (b), Carl Allen (dm)
Enregistré le 12 mai 2014, New York
Durée: 1h 08' 25''
Smoke Sessions Records 1501 (www.smokesessionsrecords.com)


Un all stars exceptionnel entoure l’excellent Eddie Henderson qu’on a pris l’habitude de voir sur la scène de nos festivals d’été, le plus souvent en sideman (Billy Harper) ou en coleader de all stars (Cookers, Leaders). Eddie Henderson, excellent technicien de la trompette, fait en effet partie de cette belle génération de jazzmen, une vraie famille, réunie en partie ici, qui a permis, sans que les amateurs en aient une claire conscience, que le jazz poursuive son évolution, son histoire, sans céder au tout jazz rock ou pop et à toutes les complaisances que nous promettaient les années 1965-1985 (promesses tenues d’ailleurs car ça continue). Au demeurant, ces musiciens ont aussi participé parfois (Bartz, Henderson et Cables) à cette époque fusion sans perdre les repères essentiels du jazz (Eddie Henderson avec Herbie Hancock), en utilisant même les nouveaux sons de l’époque pour personnaliser leur expression (George Cables, pianiste exceptionnel), et on les retrouve aujourd’hui toujours avec plaisir sur les scènes ou en disque. Eddie Henderson, une personnalité originale dans le jazz, puisqu’il a mené de front une carrière musicale de haut niveau et une carrière de médecin, n’a jamais cessé de côtoyer les grands musiciens du jazz (Art Blakey, Elvin Jones, Dexter Gordon, Roy Haynes…).
Dans ce Collective Portrait, il évoque justement cette époque des années 1970, avec deux compositions personnelles («Sunburst», «Dreams»), et deux de George Cables («Morning Song», «Beyond Forever»), puis il rappelle trois trompettistes admirés, Freddie Hubbard («First Light»), Miles Davis («Ginger Bread Boy») et Woody Shaw («Zoltan»), qui l’ont, à n’en pas douter, inspiré, Miles Davis en particulier pour la sonorité et les atmosphères, les deux autres pour les développements plus virtuoses. C’est bien à un voyage dans le temps sous forme de portraits successifs que nous propose Eddie Henderson, c’est aussi une belle rencontre entre des musiciens toujours inventifs, originaux, un excellent moment de jazz.

Yves Sportis
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueBojan Z/Nils Wogram
Housewarming

Good Wine, N°9, Parents, Storks, TNT, Broke, Think Thrice, Hooked, Off to the Train Station, Old Song for a New Day
Bojan Z (p, elp), Nils Wogram (tb)
Durée: 59'
Enregistré à Lubrza (Pologne), date non précisée
Nwog Records 016(www.nwog-records.com)

Le premier thème «Good Wine» signé par Bojan Z, révèle sa connaissance pour la bonne vigne, le trombone s’exprime comme une voix, comme un chanteur accompagné de son pianiste, sobriété et clarté, une invitation au plaisir de l’esprit et du corps. La totalité des compositions sont des originaux signés par les deux musiciens. Il est évident que la réussite d’un tel projet résulte de la complicité et de la compréhension mutuelle des duellistes. Spécialiste du Fender Rhodes, Bojan Z, nous en offre toutes les subtilités sans jamais tomber dans la démonstration clinquante. «TNT» porte bien son nom et nous dépote allégrement suivi d’un «Broke» où la brillance scintille avec l’intensité du trombone. Dix compositions qui nous amènent dans un monde enchanté mais qui nécessite une certaine ouverture d’esprit et d’oreille, car le dialogue ne laisse pas de place à la facilité. En conclusion un «Old Song for a New Day» qui marie le passé et le futur dans une harmonie des cœurs.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueSamy Thiébault
Rebirth

Abidjan, Raqsat Fès, Chant du Très Loin, Canciòn, Laideronnette, Impératrice des Pagodes, Enlightements Suite (Part. 1: From Sky, Part. 2: In Between, Part. 3: From Earth), Nafassam, Laideronnette, Impératrice des Pagodes (alt), Nesfé Jahân
Samy Thiébault (st, ss, fl, al.fl), Jean-Philippe Scali (as, bs), Manu Domergue (mellophone), Adrien Chicot (p, elp), Sylvain Romano (b), Philippe Soirat (dm), Meta (perc), + Avishai Cohen (tp)
Enregistré les 8, 9 et 10 février 2016, Paris
Durée: 58'
Gaya Music Gaya 030 (Socadisc)

Avec cet album, le septième, Samy Thiébault, très présent sur la scène actuelle et très visible dans sa communication nationale, détient tous les éléments pour affirmer son identité. Pour ce nouveau répertoire il a opté pour des titres assez courts épaulés, par des musiciens régulièrement à son service et incontournables de la scène française et un guest de luxe, le trompettiste Avishai Cohen. Deux premiers titres inspirés de l’Afrique (bien que le premier sonne aussi brésilien) au soprano pour introduire une atmosphère légère et donner le tempo suivi «D’un chant très loin» invitant la trompette d’Avishai dans un agréable mariage coloré par le Fender Rhodes d’Adrian Chicot. Sa suite «Enlightments», en trois parties offre l’occasion à chacun de ses acolytes de s’exprimer brièvement et sa flûte vient souligner une certaine mélancolie. On trouve sur «Nesfé Jahân», dédié à son fils, une évocation très coltranienne installant le climat nécessaire à une longue balade laissant la part belle à son invité enthousiaste. «Rebirthest fait de mélodies qui me décrivent, musicalement et personnellement» explique le leader. Aucun clinquant ni redondance dans cet album, Samy Thiébault pour une renaissance, malgré son jeune âge, signe un album de bonne qualité, peut être un manque de folie mais ce sera pour plus tard.

Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueOlivier Robin
Jungle Box

The Next One, Eizy, Exoget, Jungle Box, Nickel Chrome, I Remember Max, Kalame, Bis Répétitae, Before Yoy’ve Gone
Olivier Robin (dm), Julien Alour (tp), David Prez (ts), Vincent Bourgeyx (p), Damien Varaillon (b)
Durée: 53'
Enregistré le 12 mars 2014, Paris
Fresh Sound Records/Swing Alley 026 (Socadisc)


Olivier Robin, sans fioriture, lance immédiatement la machine qui nous rappelle les «Jazz Messengers». De plain-pied dans le propos, les thèmes suivis de courts solos de chacun donnent l’esprit du groupe. Ambiance hard bop qui se développera tout au long de l’album sur des compositions signées par le batteur, épaulés par des jeunes "cats", Julien Alour et Damien Varaillon, et de solides routiers, Vincent Bourgeyx et David Prez. Le pianiste a notamment accompagné Al Grey, Jane Ira Bloom, Ravi Coltrane, Steve Grossman… a enseigné au Koyé Conservatory de Kobé (Japon). Dans cette tradition qui intègre la jeune garde au savoir faire de plus anciens, tel Art Blakey, Olivier Robin nous invite à découvrir son univers qui s’inscrit dans la tradition d’un jazz moderne. On connaissait son quintet avec Sébastien Jarrousse qui a travers leurs concerts et deux albums avait reçu multitudes de prix, ici il poursuit de façon encore plus personnelle son parcours. Sa qualité n’est plus a démontrer car à travers ses collaborations (Kenny Wheeler, Georges Arvanitas, Steve Coleman, André Villéger, Alain Jean-Marie, Olivier Hutman, Stéphane Belmondo…) il a prouvé sa capacité à soutenir les musiciens les plus exigeants. Un album en rien révolutionnaire mais très agréable à écouter, qui aurait pu paraître chez l’ancien Blue Note.

Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueFrançois Raulin/Stephan Oliva
Correspondances

Cher Martial, Lettre à Emma Bovary, Telegrammes, A Randy Weston, Hermeto En-Tête, Lettre à Jean-Jacques Avenel, Tango Indigo, Conversations sur Dutilleux, Sometimes I Feel Like a Motherlesschild, Nancarrow Furioso, Jimmy, In a Mist
François Raulin, Stephan Oliva (p)
Durée: 58''
Enregistré les 16, 17 et 18 mars 2016, Pernes-les-Fontaines (83)
Abalone Productions 026 (L’Autre Distribution)


«Cher Martial» une dédicace au maître qui permet aux pianistes ce premier dialogue autour de trois titres de Martial Solal («Accalmie», «Unisson», «Séquence Tenante») donnant le la d’un album
d’hommage et de complicité. Francois Raulin signe la majorité des titres (deux sont de Stephan Oliva): on remarquera que les pianistes ont choisi d’enluminer des aînés forts différents mais qui leur sont tous très chers. Un monde de pianistes aux idées larges qui reflètent la richesse et la variété des formes du jazz. Dialogues, échanges, lettres, correspondances autant de mots et d’idées pour aller à la rencontre de Ligetti et Paul Motian avec «Télégramme», de Randy Weston, Hermeto Pascoal, Jean-Jacques Avenel ou Dutilleux avec des titres éponymes. Entre compositeurs contemporains «Tango Indigo» de Stephan Oliva pour Stravinsky et Ellington, «Nancarow Furioso» de Raulin, pour le moins connu Conlon Nancorow, ou encore «Jimmy» dédié à Paul Bley, les citations vont bon train et permettent de se confronter à des pianistes qui s’inscrivent de façon particulière dans l’histoire. De même, ils ne veulent pas oublier le légendaire trompettiste Bix Bederbecke a qui Raulin dédicace «In a Mist » et le chant avec le traditionnel «Sometimes I Feel Like a Motherlesschild» gravé pour Linda Sharrock et Jeanne Lee. Les parties écrites versifient avec l’improvisation et le jeu intense paraphrase les délicates notes bleues. «Lettre à Emma Bovary» signé par François Raulin semble échappé au contexte à moins que Flaubert auteur d’une longue correspondance (5 tomes, La Pléiade) n’est glissé dans l’oreille de François qu’il avait oublié de signer un mot d’amour à Emma, voici chose faite mais en musique.

Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Bart Defoort Quintet
Inner Waves

Aftermath Late Night Drive, Light Red to Dark Blue, No More Church, Bright Side, The Yearning Song, Make That Move, Too Late to Tell You, Inner Waves, Still
Bart Defoort (ts), Hans Van Oost (g), Ewout Pierreux (p), Christophe Devisscher (b), Toni Vitacolonna (dm)
Enregistré les 2 et 3 novembre 2015, Osnabrück (Allemagne)
Durée: 1h, 04',41''
W.E.R.F. Records 137 (www.dewerfrecords.be)


Ce nouvel album de Bart Defoort est l’accomplissement d’un parcours exemplaire entrepris depuis près de trente ans. On y retrouve Christophe Devisscher, compagnon de longue date du saxophoniste gantois («The Yearning Song», «Bright Side», «Inner Waves»). Toni Vitacolonna, élève de Bruno Castellucci (dm), est, comme Bart, titulaire d’un pupitre au sein du Brussels Jazz Orchestra. Il est devenu, à l’image de son maître un modèle de rigueur rythmique («Too Late to Tell You»). Le malinois Ewout Pierreux («Late Night Drive», «Make That Move», «Inner Waves», «Still») restait relativement méconnu au sud du Royaume jusqu’à ce qu’il accompagne puis épouse la chanteuse Sud-Africaine Tutu Puoane; il a trouvé sa place auprès de nombreux solistes flamands; le gospel «No More Church» lui colle aux doigts. J’avais perdu de vue Hans Van Oost (g). Il m’avait beaucoup impressionné dans les années 80 par son vibrato chaleureux et une tonalité proche de Tal Farlow; c’est plaisir de le retrouver en si bonne compagnie («Light Red to Dark Blue», «Bright Side», «Still»).
La complicité des musiciens au sein du quintet témoigne d’un grand respect mutuel: personne ne tire la couverture à soi. La mise en place est impeccable, les thèmes sont exposés en harmonies-synchrones sax/guitare («The Yearning Song»). Bart Defoort s’est déjà essayé aux formules trios ou quartet. Ici, en quintet, il ne renie pas l’admiration qu’il a pour Dexter Gordon et ses fils spirituels («Light Red to Dark Blue», «Bright Side»). La ballade «Inner Waves» est exposée ténor et piano et continuée par le contrebassiste qui signe un beau solo. Au milieu de tous ces créatifs hors sol, cette musique remet les pendules à l'heure! «Too Late to Tell You»? Pas d’accord, je rétorque avec force: never too late!
Cet album est le couronnement d’une carrière exceptionnelle. La présence de Bart Defoort au centre de l’histoire belge du jazz est un peu comme celle d’Eden Hazard chez les Diables Rouge!

Jean-Marie Hacquier
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Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueJimmy Scott
I Go Back Home

Motherless Child, The Nearness, of You, Love Letters, Easy Living, Someone to Watch Over Me, How Deep is the Ocean, If I Ever Lost You, For Once in My Life, I Remember You, Everybody Is Somebody’s Fool, Folks Who Live on the Hill, Poor Butterfly

Jimmy Scott (voc), Till Brönner (tp), Arturo Sandoval (flh), Bob Mintzer, James Moody (ts), Grégoire Maret (hca), John Pisano (g), Oscar Castro Neves (g, voc), Joey de Francesco (org), Kenny Baron, Mark Joggerst (p), Martin Gjakonovski, Michael Valerio (b), Hans Dekker, Peter Erskine (dm), Joe Pesci , Renée Olstead, Dee Dee Bridgewater, Monica Mancini (voc) + HBR Studio Symphony Orchestra avec Ralf Kemper (arr, producteur et sans doute chef d’orchestre)
Enregistré en 2009, Los Angeles
Durée: 1h
Eden River Records CD-01(www.eden-river-records.com)


En 2009, ce vieux jeune homme de Jimmy Scott a 84 ans quand il enregistre ce disque qui sera en fait un hommage de son vivant à sa carrière. A 13 ans, il est atteint du syndrome de Kallmann qui arrête sa croissance et la mue de sa voix laquelle restera celle d'un adolescent. Voix étrange et unique qui dès son arrivée à New York, à l’âge de 20 ans, le singularise dans le monde du jazz. Sa carrière professionnelle démarre en 1940, quand il intègre l’orchestre de Lionel Hampton. Son parcours, en raison de son physique et parfois de sa voix connaît bien des bas et il se retire de la scène durant deux décennies (70/80) pour faire un come back au début des années 90.
Cet album est enregistré après une pause discographique de douze ans et sans aucun doute ce retour est dû à la volonté de Ralf Kemper qui lui prépare un écrin pour des séances de première classe. Tout est au rendez-vous, grand orchestre de cordes, sidemen de renom: De Francesco, Peter Erskine, Kenny Barron… et des invités triés sur le volet, que ce soit les vocalistes (Joe Pesci , Renée Olstead , Dee Dee Bridgewater, Monica Mancini) ou des solistes invités sur un ou deux titres (Grégoire Maret, Arturo Sandoval, Bob Mintzer, James Moody). D'emblée, le traditionnel «Motherless Child» nous rappelle les orchestrations de Ray Charles, bien que la voix soit totalement différente. Chaque titre porte sa dose d’émotion et les ballades nombreuses sont mises au service de cette étrange personnalité. On pourrait tout citer, tant la nostalgie nous presse le cœur. On s’arrêtera à une version bossa nova de «Easy Living» (souvent raté par les Américains) qui l’associe au guitariste brésilien, Oscar Castro Neves qui en plus chante, moment rare, le tout sur un fond d’orgue et d’harmonica: une vraie réussite même pour les puristes du genre. Ou encore «If I Ever Lost You» avec un son de trompette susurrée de Till Brönner dans un esprit proche de celui de Chet Baker. Dee Dee Bridgewater, soutenue par Bob Mintzer, donne la réplique puis chante à l’unisson avec Jimmy sur «For Once in My Life». Arturo Sandoval accélère le tempo pour «I Remember You», sous titré «Tribute to Jimmy Scott» où Monica Mancini vient poser délicatement sa voix. Avec un court «Everybody Is Somebody’s Fool », façon comédie musicale, il invite, pour un petit tour, le souffle de James Moody et l’album se conclut par un «Poor Butterfly» qui lui colle si bien à sa peau. Ce titre, murmuré entre le chant et le récit autobiographique, résume un peu la fragilité de sa vie qui malgré ses vicissitudes aura duré 89 ans. Grégoire Maret tire le rideau sur une magnifique ambiance où le son de son harmonica continue d’accompagner vers un long voyage ce petit monsieur qui a marqué de son empreinte le jazz vocal. Tout au long de l’album Kenny Baron, tel un enlumineur, apporte les touches de sa palette harmonique
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Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueDavid Thomaere Trio
Crossing Lines

Aftermath vs. Freedom, Dancing With Miro, Braddict, Lions Mouth, Barcelona, Default, Mr. Infinity, Alive, Rebirth, Night Wish
David Thomaere (p, key), Felix Zurstrassen (b, elb), Antoine Pierre (dm) + Steven Delannoye (ts), Jean-Paul Estievenart (tp)
Enregistré en janvier 2015, Bruxelles
Durée: 58' 10''
W.E.R.F. Records 134 (www.dewerfrecords.be)


Premier album pour David Thomaere (né en 1988): après un parcours initiatique dès 6 ans, académique et classique à 9, jazzique à 17 (Koninklijk Conservatorium Brussel) avec entre autres profs Diederik Wissels (p), de master-classes en stages il étudie à Leipzig avec Richie Beirach et termine en 2012 sous la conduite de Nathalie Loriers (p). Dès le printemps 2013, il reçoit le Toots Thielemans Award. Pour son premier enregistrement fortement teinté ECM («Night Wish»), le jeune anversois s’est entouré de jazzmen de sa promotion: Antoine Pierre et Félix Zurstrassen. Les mélodies aux couleurs chaudes concourent au climat général de l’opus. Le jeu est souvent retenu, économisé au service du mood («Lions Mouth»). Faut-il en déduire que le compositeur-pianiste se limite aux ballades sirupeuses? Que nenni! Il le prouve dès le deuxième titre avec un arrangement qui ouvre sur des envolées libres et chorales des souffleurs avec backings aux keyboards («Dancing With Miro»). Avec «Mr. Infinity», le deuxième titre en quintet, on sent un petit quelque-chose des Messengers; l’écriture et la mise en place sont intéressantes (contrastes conjugués piano et basse). L’osmose entre David et Félix Zurstrassen est un grand plus pour l’album. La jolie mélodie «Braddict» aurait pu s’exposer à l’archet et le morceau entier se développer en duo piano/contrebasse en évitant les interventions superflues du batteur. «Barcelona», plus appuyé, lui convient mieux. Sur «Default», en revanche, on aurait aimé qu’Antoine Pierre se fasse plus créatif; cette chanson du groupe Atoms For Peace reste rtyhmiquement trop pop (3/4) alors qu’elle est colorée et se déploie sur un beau solo du pianiste. «Alive» en pur solo fait la démonstration du grand talent de David avec une juxtaposition main droite/main gauche en deux lignes qui se mêlent et se complètent. Du grand art! Juste en tempo mais trop ou pas assez discret (c’est selon), Antoine Pierre apparait mal intégré! Toutefois, Félix Zurstrassen est épatant à la contrebasse comme à la basse électrique («Braddict», «Barcelona»). David Thomaere fera sans doute beaucoup parler de lui à l’avenir. Sa sensibilité à la Chopin va au-delà du marquage ECM
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Jean-Marie Hacquier
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Renato D'Aiello
Satori. The Angel

The Angel*, Giovanna’s Requiem°, Sea Goddess, Alfie**, I Wish***, The Dreamer, Alfie
Renato d’Aiello (ts, voc°), Bruno Montrone (p), Nicola Muresu (b), Gaspar Bertoncelj (dm) + Solstice Strings Quartet: Jamie Campbell, Violeta Barrena (vln), Meghan Cassidy (avln), Greg Riddell (cello) +
Michael Demarco (voc)*, Deelee Dubé (voc)**, Jeff Otto (voc)***
Enregistré en août 2014, Luton (Royaume-Uni) et en octobre 2014, Paris
Durée: 42'
33 Jazz Records 251 (www.33jazz.com)

Ce Satorioffre une musique qui n'appartient pas vraiment à la sphère du jazz; mais comme aujourd’hui on confond universalisme de l'art et culture de masse et que les frontières d'une expression passionnent moins que celle des Etats, ne doutons pas que beaucoup classeront ce disque dans la catégorie «jazz»... Car si les musiciens sont ici de qualité, leur jeu est académique et leurs soli peu imaginatifs. Le produit n'en est pas moins agréable à l’oreille. Sur «The Angel», on assiste à un bel échange entre le saxophone et la contrebasse sur lequel se superpose une partie vocale par Michael Demarco. Solo de piano, de ténor, puis de contrebasse. «Giovanna’s Requiem» est introduit par le quartet à cordes et Renato en personne enchaîne une intervention au chant, en italien, et poursuit au saxophone. Le trio piano/drum/bass est le moment le plus proche du jazz. Renato joue cool en fin de thème. «Sea Goddess» est délicat, classique, comme le montrent le solo de contrebasse et le travail du pianiste. Quelques courtes mesures semblent annoncer le swing mais, fausse alerte, D’Aiello ramène tout le monde dans le droit chemin. «Alfie» est proposé en deux versions. L’une est instrumentale et l’autre chantée. La première débute avec les cordes et une belle introduction de musique dite classique. Renato y propose une ballade sympathique. La seconde est identique, la voix de Deelee Dubé remplaçant le saxophone qui se permet de prendre un relais avant de rendre la parole à la chanteuse. «I Wish» fait l’impasse sur l’introduction des cordes, remplacées par la contrebasse, et ça a de l’allure. Jeff Otto, auteur du texte, chante en portugais. Le trio swingue lorsqu’il a la parole et c’est le meilleur moment du disque. «The Dreamer» porte bien son nom. Le trio anime la deuxième moitié du thème et offre un bel accompagnement au saxophoniste. On apprécie encore une fois le travail de Nicola Muresu à la contrebasse.
Si l'on apprécie Renato d’Aiello, il ne parvient pas à convaincre avec ce projet, qu'il a certes dû porter avec ambition. On attend donc de le réécouter dans le registre du jazz, où il sait s'exprimer avec talent.

Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueGeorge Robert
Plays Michel Legrand

The Watch What Happens (The Umbrellas of Cherbourg), How Do You Keep the Music Playing (Best Friends), What Are You Doing the Rest of Your Life (Happy Ending), The Summer Knows (Summer of 42), Once Upon a Summertime, You Must Believe in Spring (The Young Girls of Rochefort), The Windmills of Your Mind (The Thomas Crown Affair), I Will Wait for You (The Umbrellas of Cherbourg), The Way He Makes Me Feel (Yentl), Brian's Song (Brian's Song), Papa, Can You Hear Me (Yentl)
George Robert (as), Torben Oxbol (arr, performer)
Enregistré le 26 juillet 2014, Vancouver (Canada)
Durée: 55' 09''
Claves 50-1607 (www.claves.ch)

Voici un enregistrement très spécial: c’est l’un des derniers, sinon le dernier de George Robert, l’excellent saxophoniste alto qui a malheureusement disparu le 14 mars 2016, prématurément, à l’âge de 55 ans (cf. Jazz Hot n° 615, n°630 et n°675 pour la nécrologie). George Robert a enregistré avec le gotha du jazz, et en particulier Kenny Barron à plusieurs reprises, en duo: de beaux albums. Si George Robert a bien sûr écouté le résultat de cette musique qui combine plusieurs rêves, il n’est pas certain qu’il l’ait vu édité; il nous avait parlé de ce projet quelques semaines avant son décès, et cela confère également à cet album un caractère très spécial.
Pour un émule et ami de Phil Woods, pour un admirateur de Benny Carter et Charlie Parker, pour un grand saxophoniste alto, quoi de plus naturel de rêver d’enregistrer un album avec des arrangements symphoniques? Le projet devient particulier quand il se combine avec l’amour des belles mélodies de Michel Legrand dont la plupart de celles qui sont reprises ici ont illustré, enrichi des films, au point d’en devenir parfois plus célèbres et immortelles que les films eux-mêmes.
George Robert partage cette passion pour Michel Legrand avec un grand arrangeur, Torben Oxbol, un Danois, musicien classique de formation, installé plus tard au Canada, et qui a la particularité d’avoir travaillé avec des musiciens de jazz: Freddie Hubbard, Frank Rosolino, Carl Fontana, Wynton Marsalis… Le résultat est digne de tous les éloges, chacun des musiciens restant totalement lui-même, le seul enjeu étant au fond la mise en valeur à un degré supérieur de la beauté des mélodies. Les arrangements symphoniques de Torben Oxbol sont somptueux, d’une ampleur et d’une sérénité extraordinaire, Michel Legrand en est lui-même abasourdi dans les notes de livret; et sur ces arrangements, George Robert, avec la tranquillité d’un Benny Carter, d’un Charlie Parker ou d’un Phil Woods, trois de ses inspirations majeures, se promène, nous entraîne dans son rêve, dans son univers avec un son d’une clarté absolue, une épure jazzique, la musique. Inutile de dire pour qui a approché George Robert, un gentleman en tous points, que dans ce cadre et avec ce souvenir de l’artiste qu’il fut, la musique est très émouvante. On ne parlera pas de testament, car lorsqu’il a fait ce disque, George Robert avait d’autres nombreux projets, et cette musique éclaire. L’une des délicatesses de l’édition est de ne faire aucune référence au décès mais d’avoir laissé paraître le disque comme George Robert l’avait conçu avec son ami et coauteur Torben Oxbol, qui a eu lui, l’autre délicatesse de laisser la paternité et la couverture de ce disque à son ami, George Robert. Un autre gentleman.
Une telle rencontre, pleine du bel esprit de ces deux personnages aussi sensibles, est rare. Ça s’entend et ça s’écoute
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Yves Sportis
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueJazz Cookers Workshop
Loose Togetherness

Fable of Faubus, Jump Monk, Pussy Cat Dues, Remember Rockefeller at Attika, Duke Ellington's Sound of Love, Orange Was the Color of Her Dress Then Blue Silk, Self Portrait in Three Colors, Flowers For a Lady*, Wee, Gunslinging Bird*
Matchito Caldara (dm), Fred Burgazzi (tb), Maxime Jaslier (as), Pierre Carvalho (ts), Laurent Dumont* (tb), Clément Prioul (p), Arthur Henn (b), Maria Popkiewicz (voc)
Enregistrés les 26-27 novembre 2015, Mantes-la-Jolie
Durée: 1h 08' 53''
Autoproduit JCW 078 (www.jazzcookersworkshop.com)


Un véritable plaisir que ce disque, autant pour la musique que pour ses partis pris. Ils sont nombreux, et d’abord celui de rendre hommage à la grande, la magnifique musique de Charlie Mingus à une époque ou pour des raisons de droits d’auteur le plus souvent ou d’égo mal placé, trop de musiciens, dans le jazz aussi, se pensent investis de la nécessité d’écrire de la musique sans en avoir le talent, alors que le jazz a tant produit de matière splendide, à toutes les époques, et parfois encore aujourd’hui. Alors voilà un album consacré à la musique de Charlie Mingus qui rappelle la richesse, la beauté, la puissance de cette écriture extraordinaire, pétrie de blues. L’installation en France de Ricky Ford y est pour beaucoup si on en juge par la présence de Fred Burgazzi (Ze Big Band), et par les remerciements.
Un autre parti pris est ce respect de la musique, jouée dans l’esprit d’origine, avec les qualités de chacun, et avec âme, naturel, ce qui donne tout de suite la sensation de vie. Si on y ajoute le parti pris de garder les notions de blues et d’expressivité dans l’esprit du compositeur, on comprend déjà que cette musique doit être vivifiante en live, et, performance, elle reste en relief dans cet enregistrement réalisé à Mantes-la-Jolie. Si on comprend que les moyens sont limités par le côté spartiate bien que précis de la pochette, les remerciements à Charles Mingus, Ricky Ford, Bobby Few et toute la fratrie des musiciens américains de Paris, parmi tout un ensemble de musiciens, dénote aussi du dernier parti pris, celui de la solidarité. C’est d’ailleurs grâce à une souscription que cet album a été édité.
Quand on pense à cette musique foisonnante de Charles Mingus, on ne peut que féliciter ces musiciens, Matchito Caldara, le leader du groupe, en premier, mais aussi Fred Burgazzi (bons chorus), l’excellent Clément Prioul au piano, un contrebassiste, Arthur Henn, à la hauteur de l’enjeu, un bon Laurent Dumont au sax baryton sur deux thèmes, et plus largement tout le groupe, de restituer l’esprit et la dimension collective, indispensable à l’univers de Charles Mingus, avec respect, avec la dimension blues, mais aussi avec une énergie et un drive qui font plaisir, avec une liberté aussi organisée qu’inattendue de nos jours («Gunslinging Bird»). Une mention spéciale pour le beau thème de Sy Johnson, «Wee» et pour le thème de George Adams «Flowers for a Lady». Une très belle découverte qu’on souhaite retrouver souvent sur les scènes festivalières. Le Jazz Cookers Workshop, c’est autre chose!

Yves Sportis
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Scott Hamilton/Karin Krog
The Best Things in Life

The Best Things in Life Are Free, I Must Have That Man, Will You Still Be Mine, How Am I to Know, Don't Get Scared, Ain't Nobody's Business, We Will Be Together Again, Sometimes I'm Happy, What a Little Moonlight Can Do, Shake It, But Don't Break It!
Scott Hamilton (ts), Karin Krog (voc), Jan Lundgren (p), Hans Backenroth (b), Kristian Leth (dm)
Enregistré les 1, 2 et 5 juillet 2015, Copenhague
Durée: 51' 54''
Stunt Records 15192 (Una Volta Music)


Enregistré au Danemark, cette coproduction des deux leaders est un bel enregistrement avec le toujours magnifique Scott Hamilton (Jazz Hot n°635), dont la sonorité est un archétype du ténor en jazz – un disciple de Lester Young – réunissant originalité, puissance et suavité dans une forme de classicisme toujours renouvelé par une inventivité et un swing permanents, cela pour le plus grand plaisir des amateurs de jazz dont nous sommes. A ses côtés, une légende, aujourd’hui, du jazz vocal norvégien, Karin Krog, née en 1937 à Oslo, qui s’est fait une spécialité de rencontres de haut niveau dans le jazz (et parfois hors jazz) avec notamment Dexter Gordon, Kenny Drew, NHØP, Steve Kuhn, Don Ellis, Archie Shepp, Red Mitchell, John Surman, Paul Bley, Jan Garbarek… D’une lignée très ancienne de chanteurs-musiciens, elle a au cours de son riche parcours abordé tous les registres du jazz, des standards à la musique improvisée, avec un bonheur certain. Elle a naturellement côtoyé les musiciens scandinaves, et on retrouve ici une belle rythmique avec l’excellent Jan Lundgren au piano (directeur artistique par ailleurs du festival de jazz d’Ystad), toujours aussi adaptable à tous les contextes – ici mainstream – un vrai talent de grand accompagnateur (Jazz Hot n°666).
Le contrebassiste Hans Backenroth est né lui à Karlstad, en Suède en 1966, et a accompagné les nombreux grands musiciens de jazz qui parcourent la Scandinavie depuis ses 20 ans. A son palmarès: Harry Sweets Edison, Clark Terry, Warren Vaché, Harry Allen, Ernie Watts, Kenny Barron, Benny Green, Horace Parlan, Roger Kellaway, Doug Raney, Svend Asmussen, Toots Thielemans, Ed Thigpen, Butch Miles… Il fait partie de la belle tradition de contrebassistes de jazz qui sont une des richesses de la scandinavie et plus largement européenne. Kristian Leth, né à Copenhague en 1980, le benjamin, est un batteur très musical, sans doute parce qu’il est également chanteur. Il accompagne régulièrement les formations de Scott Hamilton lors des tournées en Scandinavie et celles de Jan Lundgren. On constate d’ailleurs que la Scandinavie est bien représentée dans ses composantes et que les liens entre musiciens de jazz y sont étroits.
Le répertoire est constitué de standards, avec ce qu’il faut de blues et de chaleur (hot) dans l’expression pour faire un excellent album de jazz, in the tradition
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Yves Sportis
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Steve Davis
Say When

Pinnacles, What Is This Thing Called Love, Shortcake, Mr. Johnson, Lament, Say When, Kenya, Shutterbug, Village Blues, There Will Never Be Another You, When the Saints Go Marching In
Steve Davis (tb), Eddie Henderson (tp), Eric Alexander (ts), Harold Mabern (p), Nat Reeves (b), Joe Farnsworth (dm)
Enregistré à New York, le 1er décembre 2014
Durée: 1h 07' 04''
Smoke Sessions Records 1505 (www.smokesessionsrecords.com)

Steve Davis a collaboré avec Art Blakey et Jackie McLean. Musicien expérimenté, il a joué sur plus de cent disques, notamment avec Joe Farnsworth au sein de One For All, et au côté de Chick Corea pour Origin. Il rend ici hommage au légendaire J.J. Johnson, mort en 2001, un exercice d’admiration servi par la complicité trombone-saxophone-trompette au sein d’un sextet à la cohésion jamais prise en défaut. Six compositions de J.J. Johnson forment le corpus de l’album. La section de cuivres est parfaite, avec des interventions tantôt énergiques et inspirées, tantôt intimistes et apaisées. On remarque la maîtrise du timbre de Steve Davis évoquant parfois la voix humaine lors d’interventions en solo et son souci d’équilibre au service de la mélodie.
Enregistrée live, l’œuvre est en connexion intime avec la culture jazz par sa vigueur d’ensemble, une sensation de plénitude qui défie les clivages de génération. Les arrangements sont brillants et les idées mélodiques affluent avec naturel, bien mis en valeur par une excellente prise de son, trademarkdes productions Smoke Sessions Records. Dès «Pinnacles» au tempo vif, au swing intense, on assiste à un échange de solos brillants dans la tradition hard bop. «What Is This Thing Called Love» de Cole Porter, fournit l’occurrence d’un travail sur la progression harmonique et semble avoir été enregistré par une formation plus imposante. La reprise du célébrissime «Lament» est certainement le moment fort de l’album, une ballade qui figure ici dans une version fidèle à l’esprit de J.J. Johnson. Ce rare sentiment d’osmose se retrouve aussi sur le classique et bien senti «There Will Never Be Another You» tandis que «When the Saints Go Marching in» démontre l’étendue des compétences du sextet, interprété tout en tension, et dans une autre perspective que l’original. Le soutien de Joe Farnsworth, qui forme avec Harold Mabern et Eric Alexander une solide et prolifique formation new-yorkaise, renforce la connexion télépathique existant entre leader et pianiste, mais c’est sans doute la trompette avec sourdine d’Eddie Henderson qui étonne le plus sur le motif ostinato de «Kenya». Ses expériences antérieures avec Herbie Hancock lui permettent en effet de générer des atmosphères décalées, pas très éloignées du Miles Davis du début des années soixante
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Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Olivier Le Goas
Reciprocity

Corners, Main Street, Since I Know, Curves and Colors, Day Home, Call, Cécile, Evision
Olivier Le Goas (dm), Nir Felder (g), Kevin Hays (p), Phill Donkin (b)

Enregistré le 12 et 13 octobre 2015, Ludwigsburg (Allemagne)
Durée: 58'
Neuklang 4139 (www.neuklangrecords.de)

Le batteur Olivier Le Goas s’est assuré d’une solide section de musiciens new-yorkais pour enregistrer en Allemagne son nouvel album. Il avait déjà pu s'adjoindre, sur ces précédents enregistrements, les collaborations prestigieuses de John Abercrombie et Kenny Wheeler. Ici ce sont des musiciens plus jeunes mais déjà fort connus notamment Kevin Hays (Sonny Rollins) qui assurent le service. Nir Felder, fer de lance des nouveaux guitaristes peine à s’affirmer de ce côté de l’Atlantique pourtant son quartet tourne régulièrement en Europe. Olivier Le Goas signe toutes les compositions où sa pulsion illumine tous les solos. Le guitariste dialogue avec le pianiste dans des thèmes très écrits sans jamais se perdre. Un disque très technique où les entrelacements des notes de guitares raviront les spécialistes mais qui lasse un peu au fil des titres. Les arrangements se rassemblent et la guitare et le piano souvent joués à l’unisson dans les introductions donne une sorte de monotonie. L’ensemble est parfaitement maîtrisé mais si l’urgence de l’interprétation qui caractérise
la quasi totalité des titres on pourra s’attarder sur «Day Home» et «Cécile» sur lesquels un peu de respiration nous laisse plus rêveur.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°677, automne 2016

The Harlem Art Ensemble
Live in New York

Keep Talkin', All in Love Is Fair, Invitation, That's When We Thought of Love, Four, Blues For Beth, Strollin', Bumpin on Sunset
Bruno Carr(dm), Lonnie Smith (org), Jimmy Ponder (g), Harold Ousley (ts)
Enregistré les 15-17 août 1990, New York

Durée: 48' 54''
Explore Records 0027 (www.explorerecords.com)


Voici une nouveauté déjà ancienne ou une réédition de 1990, peut-être éditée à l’origine chez Hip Bop, sans certitude. Quoi qu’il en soit, c’est de l’excellente musique, avec quatre magnifiques musiciens: Bruno Carr, le batteur né à New York en 1928 et décédé en 1993, a accompagné Ray Charles, David Newman, Aretha Franklin, chez Atlantic, avant d’accompagner Sarah Vaughan et Betty Carter (1963), Lou Donaldson et Shirley Scott (1964), ce qui permet d’évaluer sans peine le niveau d’un magnifique instrumentiste. Il était d’ailleurs le cousin de Connie Kay (le batteur du Modern Jazz Quartet) et avait débuté sa vie comme boxeur.
Lou Donaldson est un fil conducteur pour cet enregistrement. On ne présente plus Dr. Lonnie Smith (né en 1942), un fantastique organiste très proche de la tradition de Jimmy Smith, et qui, avec son magistral turban et son jeu spectaculaire, accompagne depuis de nombreuses années le vétéran Lou Donaldson dans des échappées où le blues est roi. Sa longue carrière depuis les années 1960 lui a fait croiser la route des Supreme, de Jack McDuff, Lee Morgan, King Curtis, Frank Foster, George Benson, Gladys Knight, Dionne Warwick parmi beaucoup d’autres (cf. Jazz Hot n°580).
Jimmy Ponder (né en 1946) est un splendide guitariste habitué à cette configuration avec orgue dans la tradition. Il a côtoyé Charles Earland, Joe Thomas (voc), Grassella Oliphant (dm), Stanley Turrentine (ts) dans les années 1970-80. Son jeu prend sas racines dans le blues et dans l’esprit impulsé par Wes Montgomery.
Enfin, Harold Ousley est un contemporain du leader Bruno Carr, né en 1929 à Chicago. Il a accompagné Billie Holiday, King Kolax et Gene Ammons, Dinah Washington, Brother Jack McDuff (1966), Clark Terry, Howard McGhee, Joe Newman, Lionel Hampton (1970), Count Basie (1973-74), Machito, sans oublier ses propres groupes dans les années soixante; un parcours qui fait de lui un de ces musiciens familiers qui ont apporté une belle contribution au jazz sans fanfares ni trompettes.
Autant dire que ce groupe et ce disque respirent le blues, l’expression, le swing et la tradition d’un jazz de culture dont aucune note n’est jouée par hasard. Le répertoire n’est pas que blues mais le traitement est marqué par cet esprit. Ils sont des incarnations de ce que le jazz est par essence: une expression artistique d’une culture populaire par des artistes authentiques. Pour ceux donc qui aiment le jazz qui respire le blues.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueMichael Wollny/Vincent Peirani
Tandem

Song for Untitled, Adagio for Strings, Hunter, Bells, Did You Say Rotenberg?, Sirènes, Uniskate,Vignette, Fourt for July, Travesuras

Michael Wollny (p), Vincent Peirani (acc)
Enregistré les 4 et 5 mai 2016, Montreuil (93) et le 17 février 2016, Krün (Allemagne)

Durée: 52'
Act 9825-2 (Harmonia Mundi)


Les deux premiers titres nous plongent dans une profonde mélancolie, s’agit-il de jazz ou tout simplement de musique européenne d’inspiration classique, très climat pour musique de film intello dans un paysage peint par Peter Greenaway? «Hunter» (le chasseur) de Björk est revisité dans un climat tempétueux sur fond de paso doble andalou pour introduire «Bells» de Wolny. Ensuite Peirani nous entraîne avec «Did You Say Rotenberg» dans une de ces compositions qui vous font se perdre dans les brumes du nord, comme celles de Jacques Brel dans le plat pays. Un album en fait assez minimaliste qui surligne les qualités indéniables de solistes des deux compères. Il se conclut sur «Travesuras» signé, par Tomás Gubitsch, où le dialogue se conjugue dans une progression rythmique un peu plus endiablée. L’entente est parfaite entre ces musiciens couverts de prix et récompenses mais qui néanmoins échappent à la grosse tête et n’hésitent pas à partager les grandes scènes comme les espaces intimes plus propices à ce type de duo
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Michel Antonelli
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Herlin Riley
New Direction

New Direction*, A Spring Fantasy°, The Crossbar°, Shake off the Dust, Connection to Congo Square, Herlin's Hurdle°, Hiccup Smooth, Harlem Shuffle, Tutti Ma
Herlin Riley (dm, voc), Bruce Harris (tp), Godwin Louis (as, ss), Mark Whitfield* (g), Emmet Cohen (p) except 6, Russell Hall (b), Pedrito Martinez° (perc)
Enregistré à New York, date non communiquée

Durée: 1h 03' 34''
Mackavenue 1101 (www.mackavenue.com)

On peut être l’un des plus brillants batteurs du jazz actuellement en activité, être bien entouré, sur un bon label et produire un disque sans intérêt. C’est ici le cas, et quelle que soit la virtuosité d’Herlin Riley, c’est consternant de fadeur quand on a vu tout ce que ce musicien est capable d’apporter à la musique des autres. La New Directiond’Herlin Riley ressemble à une grande surface du rythme, une démonstration adolescente de ses capacités à produire toutes les figures rythmiques possibles avec tous les outils du
batteur, mains comprises. Ce n’est pas spécialement l’image qu’on se faisait de ce batteur hors norme. Les musiciens qui l’accompagnent n’y sont pour rien et font correctement et sans génie ce qu’ils ont à faire, mais ça ne donne pas une âme à un patchwork sans ligne directrice, nouvelle ou pas. Un disque pour batteurs, sans doute, les seuls peut-être capables d’apprécier la puissance et les acrobaties rythmiques d’Herlin, mais le jazz, la musique dans tout ça? On pourrait isoler quelques moments de l’esprit néo-orléanais («Tutti Ma»), ou «Harlem Shuffle» de ce galimatias, où un peu de cette histoire du jazz ressurgit à la façon des Jazz Messengers, mais dans le genre, il y a bien mieux, l’original en particulier, et depuis des lustres. Mais bon, pas d’inquiétude, Herlin Riley nous rassurera bientôt, mais peut-être pas en leader.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Duane Eubanks Quintet
Things of That Particular Nature

Purple Blue and Red, As Is, Rosey, Holding Hands, Beer and Water, Anywhere's Paradise, Dance With Aleta, Aborted Dreams, Slew Footed , "P"

Abraham Burton (tp, flh), Marc Cary (p, clav), Dezron Douglas (b), Eric McPherson (dm), Steve Nelson (vib)
Enregistré le 8 juillet 2014, Paramus (New Jersey)
Durée: 53' 33''
Sunnyside 1390 (http://sunnysidezone.com)

Duane Eubanks appartient à une famille de musiciens de Philadelphie. Sa mère Vera enseigna le piano à Kenny Barron, son oncle n’est autre que le légendaire Ray Bryant, et ses frères Robin (tb) et Kevin (g) ont une réputation certaine dans le jazz depuis de nombreuses années. On n’est donc pas étonné de cet excellent disque qui réunit un all stars de la génération de Duane (1969) avec Abraham Burton (1971), Marc Cary (1967), Eric McPherson (coproducteur avec Duane de cet enregistrement). Duane, très bon trompettiste, malgré quelques recherches qui l’ont parfois détourné du jazz, revient enrichir une saga familiale où le talent est chose si courante. A ses côtés, on trouvera également un aîné, le bon Steve Nelson (1954), et un cadet, Dezron Douglas, un habitué des all stars. Cette musique, une descendance des orchestres d’Art Blakey, Woody Shaw, est parmi ce que le jazz produit de plus authentique dans ce registre post hard bop qui depuis les années 1970 a illuminé de nombreux concerts sans complaisance commerciale malgré un air du temps défavorable déjà. Le jazz y est une belle musique exigeante mais abordable où la mélodie, la poésie, le blues et le swing sont naturellement au cœur d’une expression pourtant entièrement renouvelée mais qui ne renie pas ses origines. Un seul thème n’est pas de Duane, c’est le magnifique «Holding Hands» du regretté Mulgrew Miller. Retrouver les splendides Steve Nelson, Abraham Burton et Marc Cary aux côtés de Duane Eubanks, dans un registre in the tradition, c’est l’assurance d’une belle heure de musique, car tous, jusqu’à la section rythmique sont simplement au diapason d’une culture musicale enracinée.

Yves Sportis
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017

Brad Mehldau Trio
Blues & Ballads

Since I Fell For You, I Concentrate on You, Little Person, Cheryl, These Foolish Things (Remind Me of You), And I Love Her, My Valentine
Brad Mehldau (p), Larry Grenadier (b), Jeff Ballard (dm)
Enregistré les 10 décembre 2012 et 12 mai 2014, New York
Durée: 55' 40''
Nonesuch 7559794650 (www.nonesuch.com)

Ces enregistrements qui datent de deux à quatre ans, regroupés ici, se présentent sous un titre qui en évoquent d’autres comme le splendide Ballads, Blues and Bey, d’Andy Bey; contrairement à ce chef-d’œuvre, la dénomination pose ici un vrai problème quand on se réfère au contenu. Il y a bien des Ballads, parfois un peu de swing, avec parcimonie, quant au blues, c’est la disette, tout juste une teinte délavée qui ne trompe personne («Since I Fell For You», «Cheryl»). La formule trio, avec basse et batterie, jazz de naissance, donne bien quelque illusion, mais l’écoute ne s’arrête pas à ces apparences et simulations. Le blues est en effet une composante permanente et intrinsèque du jazz et de la personnalité des jazzmen, pas une couleur ponctuelle. Il est la composante fondamentale qui permet de distinguer le jazz de culture du jazz d’exécution («These Foolish Things»), le jazz hotauraient dit nos aînés du jazz straight, une musique de variété au fond («And I Love Her», «My Valentine»).
Ce qui n’étonnera personne, quand on connaît Brad Mehldau, un pianiste, doué techniquement, mais éloigné par culture de cette racine jazz, –il a grandi dans le rock-pop– même s’il est capable, par mimétisme savant et selon le contexte, en jam par exemple, de faire illusion comme Uri Caine dans ce même contexte. Brad Mehldau est bien l’héritier de Keith Jarrett et de toute une tradition du piano jazz, de Martial Solal à Uri Caine, capable de se fondre dans le jazz qu’ils ont écouté, travaillé, côtoyé de près, mais dont ils ont, dans leur for intérieur, dans leur moi, refusé les fondamentaux. Brad Mehldau a une approche du jazz purement formelle, avec la même prétention, lui-même, comme ses producteurs, ses devanciers et ses pairs, d’en définir l’actualité, la modernité, d’en redéfinir les contours artistiques, alors qu’ils appartiennent à un autre monde. Comme ils ne sont pas portés par une tradition populaire (par exemple les cas Kenny Barron, Cyrus Chestnut, Marcus Roberts, Eric Reed, Aaron Diehl pour se limiter à quelques pianistes actuels…), qu’ils ne veulent pas, par choix, appartenir au classique dont la rigidité des réseaux, des codes et des fonctionnements reste une contrainte, qu’ils ne veulent pas appartenir aux monde des variétés, dévalué dans leur esprit sur le plan artistique, ils ont entrepris de redéfinir le jazz, la plus accueillante des cultures. Ils pourraient se contenter d’être hébergés, mieux d’en intégrer les codes comme le fond des milliers de musiciens, artisans et artistes, mais leur ego ne le permet pas.

La question reste toujours la même: pour Jarrett, Mehldau, Caine et quelques autres, où situer ces musiques à la lisière du jazz, de la variété et de la musique classique? Déjà pas dans la musique populaire et pas dans le jazz donc, car il faut des racines pour cela. On pourrait dire dans une forme de musique classique, une sorte d’exécution, plus ou moins savante, une relecture du jazz et d’autres musiques (ici les Beatles), mais une musique classique qui s’affranchirait des racines classiques également, car la musique classique suppose encore un enracinement et l’acceptation de codes multiséculaires.

Pourtant, tout l’intérêt du vocable indifférencié de «variétés», qu’il ne faut pas confondre avec la chanson populaire (un autre secteur artistique à côté du jazz et du classique), les variétés donc qu’on a tort de dévaluer car les artisans de la musique sont parfois brillants, sincères et intéressants, est de pouvoir regrouper un certain nombre de musiciens qui interprètent plus qu’ils ne créent, parce que leur biographie n’a pas déterminé de fortes racines, et cela indépendamment de la complexité et de la virtuosité, indépendamment de la sincérité, des trucs et des simulations. Ce monde incertain, où l’on peut aussi mettre Richard Clayderman, André Rieu et certains autres musiciens qui, privés de racines (une réalité de plus en plus partagée à l’échelle de la planète, ce n’est la faute de personne, juste un constat) mais plus ou moins bons techniciens, interprètent une musique légère, plus ou moins élaborée et virtuose, pas populaire pour un sou, même si beaucoup vendue parfois, car bénéficiant des réseaux de la diffusion de la variété internationale. Même si la complaisance est devenue la règle la plus répandue en matière de variétés en raison de la consommation de masse imposée, rien ne dit que les variétés doivent nécessairement être des musiques dévaluées et d’inspiration commerciale. Elles pourraient tout au contraire bénéficier d’une définition plus exigeante, y compris sur le plan de leur élaboration, déconnectée de la complaisance commerciale ou de l’abrutissement des masses comme ce fut parfois le cas par le passé.
Il y avait, naguère, sur une radio nationale une émission intitulée: «Le quart d’heure de musique légère». Ce disque de Brad Mehldau, pas désagréable sans être très profond, y aurait sa place: une heure de musique légère…

Yves Sportis
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Fapy Lafertin
Lafertin & Le Jazz. The Recordings 94-96

Swing Guitars 1994: I've Had My Moments, I Wonder Where My Baby Is Tonight, Besame Mucho, Vous qui passez sans me voir, Swing Guitars, Je suis seul ce soir, Puttin' on the Ritz, To Each his Own, Diminishing, Minor Swing, La Defense, Que reste t'il de nos amours, Swing Guitars 2, Anouman, Puttin' on the Ritz (inédit), Je suis seul ce soir (inédit), I've Had My Moments (inédit), Minor Swing (inédit), Anouman ‘live’ (inédit)
Hungaria 1996: Melancholy Baby, 12th year, Songe d'automne *, Time on My Hands, Billet Doux, Russian Lullaby, Stardust, Hungaria, Liebestraum N°3, Swing 42 *, Stockholm *, Notes Noir, What a Difference a Day Made, Viper's Dream, Black and White, J'attendrai (inédit), Loverman (inédit), What a Difference a Day Made (inédit)
Fapy Lafertin (g), Steve Elsworth (vln), Dave Kelbie (g), Pete Finch (g), Tony Bevir (b), Bob Wilber (cl)*
Enregistré du 11 au14 novembre 1994 (Swing Guitars) et du 19 au 25 août 1996 (Hungria), Avon (Royaume-Uni)
Durée: 1h 12' 59'' et 1h 00' 07''
Lejazzetal Records/Frémeaux et Associés 8521 (Socadisc)


Ces deux enregistrements, partiellement inédits (des prises d’autres thèmes déjà présents et deux thèmes supplémentaires), réalisés dans les conditions d’époque, comparables à celles des enregistrements effectués par Django Reinhardt, Stéphane Grappelli et le Quintette du Hot Club de France, avec des micros de la BBC d’avant-guerre, dans une grange du nord de l’Angleterre, voulaient restituer, au milieu des années 1990, la magie sonore du plus célèbre quintette à cordes de l’histoire du jazz. Cette ambition a été pleinement justifiée par la réussite de ces deux disques de 1994 et 1996 réunis ici, car outre la technique du son, le studio à l’ancienne, il y a une belle formation avec le grand Fapy Lafertin, l’un des très rares guitaristes qui a hérité de l’épaisseur, de l’intensité expressive du grand Django. Fapy Lafertin possède également une musicalité, un lyrisme dignes de son illustre devancier. La formation qui l’accompagne est au diapason de Fapy, et dans l’esprit du fameux Quintette, avec la puissance de trois guitares associées, et en particulier un beau violoniste en la personne de Steve Elsworth.
Le répertoire fait non seulement appel aux classiques du genre («Minor Swing», «Viper's Dream», «J'attendrai»…), des compositions que le Quintette du HCF illustra, mais aussi à la chanson française et populaire («Besame Mucho», «Vous qui passez sans me voir», «Je suis seul ce soir»…), aux standards («Stardust», «Russian Lullaby», «Loverman», «What a Difference a Day Made»…), car c’est dans ce cadre large, jazz, standards et chanson française jazzy (Trenet, Sablon…) que s’épanouit le talent de Django, faut-il le rappeler? On trouve également «Anouman» auquel le lyrisme de Fapy donne une dimension particulière, car joué avec une manière plus ancienne, plus Django acoustique d’avant-guerre, que celle à laquelle on est habitué. Il y a aussi chez Fapy Lafertin le côté sombre de la tradition tzigane, celle que Django conserva dans son jazz comme une couleur essentielle de sa tradition, qui donne une intensité particulière, comme une patine, à ces enregistrements. Le beau soutien de deux guitares, le côté chantant du violoniste, les commentaires, les harmonies sombres propres à l’entre-deux-guerre («Stockholm»), les puissants vibratos-crescendos chers à Django, tout donne à cet enregistrement nouveau et différent, une tonalité pourtant proche de l’original, et cela pour notre plus grand plaisir. Il y a enfin chez Fapy Lafertin, cette manière de poser la note, de développer le contre-chant, de commenter, d’attaquer la note qui font irrésistiblement penser à l’illustre modèle («Stardust»). Une féérie guitaristique! Sur trois thèmes, l’incomparable Bob Wilber, toujours présent dans les meilleurs groupes, apporte son oreille et son sens musical qui lui permettent de jouer avec des musiciens de tous les horizons avec naturel, en magnifiant le résultat comme ce «Songe d'automne», «Stockholm». Il y a encore ces valses manouches, incomparables comme un monde nouveau qui s’éveille, une composition splendide de Fapy Lafertin («Notes noir») qui vous emporte dans ses tourbillons de notes et dans sa manière de faire rouler les notes.
Fapy Lafertin est un indispensable de la tradition de Django Reinhardt, un de ceux dont on ne peut se passer, en disque ou en live, si on a la musique de Django chevillée à l’âme, ce qui est forcément le cas à Jazz Hot. Du très grand Art!

Yves Sportis
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Rich Halley 4
Creating Structure

Analog Counterpoint, Rain Percolates Laterite, Riding the Trade Winds, Angular Momentum, The Shadow of Evening, Metal Buzz, Street Rumors, View through the Ellipse, Echoes of the South Side, The Tumbled Lands, Small Perturbations, Working the Interstices, Quiet like Stone, Pushing Breath, The Shove, The Respond
Rich Halley (ts, perc.), Michael Vlatkovitch, (tb, perc, acc.), Clyde Reed (b), Carson Halley (dm)
Enregistré les 30 et 31 mai 2014, Portland (Oregon), le 19 mai 2012 et le 26 mai 2013, Corvallis (Oregon)
Durée: 1h 01'
Pine Eagle 007 (www.richhalley.com)

Rich Halley 4
Eleven

Reification suite, The Dugite Strikes, The Creep of Time, Glimpses Through the Fog, Adjusting the Throughput, Dead of Winter, Convolution, Slider, The Animas
Rich Halley (ts), Michael Vlatkovich (tb), Clyde Reed (b), Carson Halley (dm)
Durée: 1h
Enregistré les 30 et 31 mai 2014, Portland (Oregon)
Pine Eagle 008 (www.richhalley.com)


Rich Halley n’est pas un novice si l’on se réfère à son assez longue discographie. Toutefois, il atteint un âge (il est né en 1947) auquel il devrait être davantage connu. Ses qualités d’instrumentiste le permettraient mais il a choisi de composer et jouer un jazz (?) tellement cérébral qu'il n'est plus lié à cette musique que marginalement.
Creative Structure est ainsi formé de seize compositions du leader (en fait une succession d'improvisations) que d'aucuns qualifieraient peut-être de free jazz. Les musiciens entrent en studio sans feuille de route et tout est spontané. A moins d’être un grand amateur, il faut du cran pour écouter d’une traite les 61 minutes du disque! La basse et la batterie, solides, assurent imperturbablement le cadre aux improvisations débridées du saxophone et du trombone. La fin de «Riding the Trade Winds» et dans une certaine mesure «Echoes of the South Side» et quelques passages d’autres compositions marquent une différence car mieux construits, avec une certaine logique et un lien avec le jazz. Ces thèmes permettent de valoriser Rich Halley. Le son et le style du saxophoniste - finalement assez brillant - s’ancrent chez Rollins, Coleman et Ayler et les acteurs de l’AACM de Chicago.
Eleven est dans le même esprit. Sauf que même le souffle des improvisations paraît ici rigide. Un disque qui n'a d'intérêt que si l'on considère la musique avant tout comme une affaire de technique. En somme, on aimerait entendre le son de Rich Halley sur de vrais standards de jazz!

Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueRaul de Souza
Brazilian Samba Jazz

Bossa eterna, Rio Loco, Brazilian Samba Jazz, Descendo da mangueira, Saudade do Franck, Violão quebrado, Ilha do mel, Luminosa manhã, Oito e meia, Amigo JJ
Raoul de Souza (tb), Mario Conde (g), Julien Lallier, Leo Montana (p), Glauco Solter (elb), Maurio Martins, Zaza Desiderio (dm)

Durée: 47’
Enregistré en France, décembre 2015
Encore Merci 001483 (https://rauldesouza.net)


Fidèle à la terre de ses racines, le Brésil, où il réside toujours, le tromboniste Raul de Souza (1934) se présente fréquemment en France (il y a vécu un temps) et c’est ici qu’il a enregistré Brazilian Samba Jazz. Malgré une très longue trajectoire qui lui a permis de traverser toute la MPB en côtoyant ses plus grands artistes, de Souza livre pour la première fois un album sur lequel ne figurent que ses propres compositions. Imprégné de sa culture musicale brésilienne – antérieure à la naissance de la bossa nova - il est très tôt attiré par le jazz et on l’entend avec ceux qui le sont aussi au Little Club ou au Bottle’s. La plupart écriront avec lui l’histoire de la musique brésilienne des années suivantes: Sérgio Mendes, Paulo Moura, Som Um Romao, Bebeto, Durval Ferreira, Airto Moreira, Baden Powell... Dès 1955, il enregistre avec ce dernier un des tous premiers albums de musique instrumentale brésilienne, Turma da Gafieira. Son intérêt pour le jazz est grandissant et il rejoint Airto aux Etats-Unis ce qui lui offre la possibilité de côtoyer des jazzmen de premier plan et d’inviter Cannonball Adderley et Jack DeJohnette pour Colors (1974) et de bénéficier des arrangements de J.J. Johnson. Ces précisions sont là pour signaler que de Souza n’est pas un de ces fusionnistes à la mode mais que jazz et musique brésilienne sont les deux rives de sa musique et que celle-ci coule déjà depuis quelques lustres.
C’est dans cette perspective qu’il faut apprécier ce Brazilian Samba Jazz. Qui marque ses 60 ans de carrière. Pour celui-ci, le tromboniste a fait appel à de bons musiciens brésiliens installés en Europe ou venus du Brésil. Un petit frenchy s’y est joint, Julien Lallier. Ils fournissent un environnement d’une grande qualité qui permet à de Souza de montrer qu’il est sans doute l’un des meilleurs spécialistes latins de l’instrument. Sa sonorité est très personnelle. C’est du jazz mais il s’en dégage un parfum carioca. On apprécie en ce sens plus particulièrement la «Bossa Eterna», «Ilha do mel» pleines de swing; «Brazilian Samba Jazz» ou encore «Amigo JJ» qui met aussi en valeur le guitariste. «Rio Loco» avec l’intervention de l’harmonica est original. L’artiste sait transmettre par son instrument l’indéfinissable atmosphère du saudadebrésilien («Saudade do Franck»). L’écoute de ce disque doit inciter à rechercher les bons moments offerts par Raul de Souza dans sa discographie et notamment ce Colors mentionné ci-dessus.

Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueRomain Thivolle Big Band
Django Revisited

Féérie, When Day Is Done, Mabel, Tears, Troublant Boléro, Django Jones, Nuages, Night and Day, Minor Blues, Belleville
Romain Thivolle (dir, arr), Lois Coeurdeuil (g solo), Thierry Amiot (tp lead), Gabriel Charrier (tp), José Caparros (tp), Fabrice Lecomte (tp), Romain Morello (tb lead), Michael Steinman(tb), Igor Nasonov(tb), Jean-Philippe Langlois (btb), Gérard Murphy (as, ss, cl), Julian Broudin (as), Jean-François Roux (ts), Pascal Aignan (ts, ss), Yannick Destree (bar, fl), Florent Py (fl), Franck Pantin (p, clav), Serge Arese (b-eb), Philippe Jardin (dm), Sébastien Lhermitte (perc)
Enregistré le 5 août 2015, Pertuis (Vaucluse)
Durée: 1h 17’ 55”
RTBB 03 (www.romainthivolle.com)

Vous en savez beaucoup déjà sur ce disque si vous avez parcouru le compte rendu détaillé de ce festival en 2015 et si vous avez lu l’intéressante interview de Romain Thivolle paru dans notre n°676 (été 2016). Et sinon, il est encore possible de le faire car cela reste disponible sur notre site et c’est un bon accompagnement pour cette écoute. Il s’agit donc d’un concert enregistré lors du Festival de Big Bands de Pertuis en 2015, autour de la musique de Django Reinhardt, arrangée avec autant d’originalité que de respect par Romain Thivolle, mise en valeur par un soliste de haute tenue, Lois Coeurdeuil, brillant soliste à l’origine de cette belle idée de relire la musique de Django, et par un bel orchestre mêlant jeunes et anciens, où œuvrent de bons solistes, comme Thierry Amiot, Romain Morello, Gérard Murphy entre autres. Le répertoire est lui aussi choisi avec sagacité, avec des compositions de Django et Stéphane Grappelli, bien entendu, deux standards et un original de Romain Thivolle.
L’enregistrement en live est aussi une autre performance, dont il faut féliciter tout le monde, musiciens et techniciens; combiné avec un orchestre très impliqué et des solistes dont un guitariste leader exceptionnel, Lois Coeurdeuil, en état de grâce («Minor Swing»), cela donne un bel enregistrement qui nous fait dire qu’il est urgent que les programmateurs de festivals et concerts sortent des sentiers battus pour aller à la rencontre de tels projets. Celui-ci est original tout en étant ancré dans la tradition du jazz, aussi bien celle de Django Reinhardt et Stéphane Grappelli d’ailleurs que celle des big bands, de tous les âges du jazz (l’arrangement de «Nuages» avec un beau chorus de trombone de Romain Morello, «Django Jones»…). Encore une fois, si vous lisez l’interview de Romain Thivolle, vous trouverez beaucoup de clés utiles à l’écoute dont une bonne culture jazz, et si vous écoutez attentivement ce disque, vous constaterez que ça swingue («Night and Day») avec ce qu’il faut de blues, que ça joue et que ça improvise avec originalité et talent dans toutes les sections. Un bel enregistrement qui sort de l’ordinaire des relectures sans trahir l’esprit!

Jérôme Partage
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Aurore Voilqué Septet
Machins choses et autres trucs très chouettes

Mr William, Cocek, Russian Lullaby, The Mooche, Machins choses, En route, Clopin clopant, A chacun son problème, Miss Celie’s Blues

Aurore Voilqué (vln, voc), Olivier Defays (ts), Jérôme Etcheberry, François Biensan (tp), Jerry Edawards (tb), Jean-Baptiste Gaudray (g), Thomas Ohresser (g, bjo), Basile Mouton (b), Julie Saury (dm, perc)
Enregistré entre le 22 et le 24 mai 2016, Droue-sur-Drouette (28)
Durée: 49' 37''
Arts & Spectacles 160502 (www.aurorequartet.com)


Pour son nouveau projet, Aurore Voilqué a mis des cuivres dans son moteur. Après avoir revisité le répertoire de Django Reihardt en quartet avec Rhoda Scott (Djangolized) et donné de la voix sur quelques fameuses chansons françaises (Live à La Fabrique), la violoniste confirme son goût de l’éclectisme et surtout son envie de jouer toujours plus de ses cordes… vocales! En effet, le violon d’Aurore se fait ici plutôt discret (sauf sur «Cocek» et «The Mooche», seuls morceaux instrumentaux) alors que la formation, qui se caractérise par la présence de trois soufflants (Olivier Defays, Jerry Edwards et, en alternance selon les titres, Jérôme Etcheberry et François Biensan), donne à chaque titre l’ampleur que pourrait lui conférer un big band (saluons au passage les bons arrangements de Biensan, Defays et Mouton). Aurore aime chanter et, sans être devenue chanteuse de jazz, elle a trouvé sa voie (et sa voix) dans l’interprétation à la fois habitée et gouailleuse de la chanson française à texte (au sein de laquelle s’insèrent ici deux bons originaux: «En route» et «A chacun son problème»). Et, de fait, l’assemblage entre voix et orchestre (on ne peut plus jazz) fonctionne assez bien. On n’en apprécie que davantage la variété des titres: standards (excellent «The Mooche» aux accents funky), chansons françaises jazzy (c’est le «Machins choses» de Serge Gainsbourg qui inspire le titre de l’album) et même un joli traditionnel serbe, «Cocek». A noter qu’un morceau est chanté en anglais, «Miss Celie’s Blues» (tiré du film The Color Purplede Steven Spielberg), lequel est surtout l’occasion d’apprécier la qualité des musiciens qui entourent la leader: Thomas Orhesser (qui introduit ce blues au banjo) et Jérôme Etcheberry (avec sourdine wha-wha) pour la facture "vintage", Jerry Edwards, pilier de cette section de cuivres, jusqu’à Julie Saury qui semble avoir trempé ses baguettes dans le Mississippi. Au final, un disque effectivement chouette
.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Heads of State
Search for Peace

Impressions, Uncle Bubba, Search For Peace, Capuchin Swing, Soulstice, Crazy She Calls Me, Summer Serenade, Lotus Blossom, I Wish I Knew
Gary Bartz (as, ss), Larry Willis (p), Buster Williams (b), Al Foster (dm)
Enregistré le 11 janvier 2015, New York
Durée: 1h 08' 05''
Smoke Sessions Records 1506 (www.smokesessionsrecords.com)

Ce disque présente ce que le jazz a d’essentiel. Nul besoin de longues explications pour comprendre que chacun de ces musiciens possède les qualités fondatrices du jazz, ici dans l’esprit hérité de John Coltrane. L’enregistrement fait plus exactement référence à McCoy Tyner, le pianiste et dernier survivant du quartet légendaire de John Coltrane, car ces musiciens l’ont côtoyé dès les années 1970 dans ses diverses formations. Le swing, l’expression, le blues, les atmosphères coltraniennes, qui doivent tant à Tyner, un beau répertoire (John Coltrane, McCoy Tyner, Jackie McLean, Benny Carter, Billy Strayhorn, Gary Bartz…) et un naturel qui font de cette heure de musique une heure de pur bonheur. Nul doute qu’eux-mêmes prennent un grand plaisir à se retrouver dans ce monde, car ils ont écrit ensemble une belle partie de l’histoire du jazz des quarante dernières années, et de cette branche du jazz. La légèreté très musicale d’Al Foster, la profondeur de Buster Williams et le brillant de Larry Willis soutiennent parfaitement le discours post-coltranien mais en plus linéaire de Gary Bartz. Un excellent disque de jazz, comme c’est souvent le cas pour ce bon label qui présente aujourd’hui le meilleur de la scène new-yorkaise dans ce que nous appellerons le jazz de culture
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Yves Sportis
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Le Brass Messengers de Dominique Rieux
Gead Mulheran Sings Sinatra

Hello Dolly, Come Fly With Me, The Good Life, I've Got You Under My Skin, Fly Me to the Moon, As Time Goes By, Mack the Knife, Strangers in the Night, You Are the Sunshine of My Life, New York New York, My Way, The Lady Is a Tramp
Gead Mulheran (voc), Tony Amouroux, Dominique Rieux (tp, fgh), Rémi Vidal (tb), Christophe Mouly (ts, fl), Florent Hortal (g), Thierry Ollé (p), Julien Duthu (b), André Neufert (dm)
Enregistré en janvier 2016, lieu non précisé
Durée: 38' 24''
LBM 01/1 (www.facebook.com/Dominique-Rieux-Officiel)


Gead Mulheran, originaire de Rochdale dans le Grand Manchester, est un chanteur jazz et pop (il est aussi auteur-compositeur et guitariste). Nous avons là la version crooner dans la lignée du Frank Sinatra des années 1950 et ultérieures. Il aime aussi Nat King Cole et Mel Tormé. Il s'est produit dans ce créneau avec le Big Band Brass de Dominique Rieux, aujourd'hui réduit (en effectif) à ces Brass Messengers tout aussi performants comme le démontre le premier titre, «Hello Dolly» (Tony Amouroux, tp). Gead Mulheran possède une excellente technique vocale (maîtrise de la colonne d'air: «Strangers in the Night») et le phrasé de Sinatra («I've Got You Under My Skin»). La voix plus légère que celle de Sinatra n'est pas un obstacle à la réussite de cette évocation. Gead Mulheran possède la décontraction, le feeling des maîtres américains qu'il a pris pour modèles. Bref ce disque est excellent et balance bien, agrémenté, sur des arrangements de classe, par de bons solos instrumentaux de Christophe Mouly («The Good Life»), Rémi Vidal («I've Got You Under My Skin», «Lady Is a Tramp»), Dominique Rieux (bugle van Laar!: «Fly Me to the Moon»; tp: «Lady Is a Tramp»), Thierry Ollé («As Time Goes By»), André Neufert («Lady Is a Tramp»)
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Michel Laplace
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Nat King Cole & The Quincy Jones Big Band
Live in Paris. 19 avril 1960

20 titres
Nat King Cole (voc, p) accompagné par le big band de Quincy Jones et par son trio selon les thèmes (deux concerts le même soir avec un répertoire voisin)
Enregistré le 19 avril 1960, Paris
Durée: 1h 14' 59''
Frémeaux et Associés 5494 (Socadisc)


Etranges, ces coproductions de Ténot et Filipacchi avec Norman Granz, post-mortem (cf. la chronique d’Ella Fitzgerald de la même collection) car cet enregistrement est inédit et, à l’époque, Nat King Cole est sous contrat avec Capitol. Si on peut l’attribuer à la naissance de la société de consommation musicale, dont les producteurs supposés, Ténot et Filipacchi, furent d’ardents promoteurs, la dépréciation du jazz vint parfois des musiciens eux-mêmes, et parmi les plus talentueux. En cédant à la pression commerciale pour un statut de star hors catégorie, et donc hors jazz et culture, en renonçant à l’authenticité de leurs racines pour un statut social ou commercial, par conformisme, et en faisant une musique de complaisance, ils ont contribué à leur échelle à faire que le jazz perde progressivement son public, parfois ses artistes, et plus largement son indépendance.
Ce mouvement, apparu très tôt dans l’histoire aux Etats-Unis, plus concentrés sur l’entertainment, terre natale du jazz, mais pas celle de sa reconnaissance et de son identification culturelle, a depuis gagné tous les continents, et nous en subissons aujourd’hui les derniers développements caricaturaux avec le retour de l’étiquette jazz dans le giron des musiques commerciales, comme avant le jazz hot.
Ce disque de Nat King Cole, qui fut le premier des artistes de jazz afro-américain à atteindre ce statut de star hors catégories à un tel niveau de notoriété, est l’illustration d’un grand débat entre amateurs de jazz. Soutenu ici par un big band dirigé par Quincy Jones, avec des arrangements du même, très jazz, servis par des solistes de haut niveau (Julius Watkins, Phil Woods, Budd Johnson, Jerome Richardson, Sahib Shihab, Melba Liston, Jimmy Cleveland, Quentin Jackson, Benny Bailey, Roger Guérin qui remplaçait selon le livret Clark Terry, etc.), Nat King Cole (au piano également) sucre certaines de ses interprétations jusqu’au coma diabétique, avec complaisance et/ou un mauvais goût absolu, alors qu’il bénéficie d’un splendide ensemble de jazz très professionnel, les quelques instrumentaux («Tickle Toe», «Blues in the Night» par exemple) le démontrent.
L’auteur des notes de livret s’étonne, avec superficialité, de l’accueil parfois mitigé que reçut le chanteur de la part des amateurs de jazz lors de ces tournées. La question n’est pas le purisme d’amateurs de jazz "intégristes" (comme sous-entendu), plutôt plus passionnés qu’ils ne le sont aujourd’hui, mais le manque d’authenticité, de sincérité d’un chanteur qui porte un masque commercial qui se craquelle parfois («Welcome to the Club», «Joe Turner’s Blues», «Thou Swell» qui sont bien meilleurs) quand il se souvient qu’il a été Nat King Cole, le jazzman.
Les musiciens de jazz défendent toujours Nat King Cole car, outre l’aspect communautaire, ils savent quel musicien a été Nat King Cole, comme Norman Granz le savait. Mais Norman Granz comme Quincy Jones, le texte du livret le rappelle, n’ont pas hésité à demander à King Cole de jouer du jazz pour faire passer le sirop de sucre. Ils avaient donc conscience, l’un et l’autre, d’un problème et d’un public pour se permettre une telle inconvenance. Des amateurs connaisseurs pas encore soumis au conformisme de l’opinion du plus grand nombre et des médias, c’est plutôt un bon public, possédant encore un sens critique. Le jazz comme l’opéra, parce que musiques populaires, ont eu un tel public, et ce public n’a pas eu toujours tort. C’est mieux que le public consensuel et suiviste des messes médiatiques et des soirées mondaines de notre début de siècle. Au moins, il y avait débat et écoute.
Pour éviter toute mauvaise interprétation de ce qui est écrit, Frank Sinatra peut chanter ce qu’il chante, parce que c’est sa culture, et qu’en dehors de son talent artistique d’interprète (car c’est un bon acteur), il est en harmonie avec son expression. Dans ce registre, il chante d’ailleurs avec plus de vérité que Nat King Cole sur le plan de l’expression parce qu’il n’est pas maniéré… Pour éclairer encore le propos, la question n’est pas le répertoire, mais l’expression. Louis Armstrong peut chanter «La Vie en rose» ou «Hello Dolly» parce qu’il reste lui-même, Billie Holiday «My Man», pour la même raison, etc.
Il y a d’autres exemples de même nature au fond que cette perdition de King Cole, prenant toutes les formes selon les modes et les pressions du temps, comme pendant la période jazz rock, pour la musique d’avant-garde, pour la musique improvisée, le hip hop… Le résultat est au fond le même: le manque d’authenticité de l’expression et la perte des racines sous la pression d’un quelconque conformisme, commercial, social et/ou esthétique.

Yves Sportis
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Sebastien Girardot/Félix Hunot/Malo Mazurié
Three Blind Mice

Persian Rug, Black Bottom Stomp, Polka Dot Stomp, When Your Lover Has Gone, Rockin' in Rhythm, Changes, Echoes of Harlem, Maple Leaf Rag, Bogalusa Strut, I'm Coming Virginia, Weary Blues, I May Be Wrong, Jubilee
Malo Mazurié (cnt, tp), Félix Hunot (g, voc), Sébastien Girardot (b)
Enregistré les 15 décembre 2015 et 28 janvier 2016, Paris
Durée: 51'
Autoproduit (www.malomazurie.com)

Dans le territoire dit jazz on a connu ou on connait encore le trio de ce type, d'un bord considéré traditionnel avec l'excellent Alvin Alcorn (Alcorn, tp, Justin Adams, g, Frank Fields, b, New Orleans Jazz Brunch, Sandcastle LP 1030 – très rare!) à l'autre, avec Stéphane Belmondo qui a porté la formule et l'ombre de Chet Baker à travers les festivals de l'été 2016. Cette formule orchestrale a le double avantage d'être économique (ce qui aujourd'hui n'est pas à négliger) et d'être très musicale (mieux vaut pas de batteur qu'un mauvais). Bien sûr, le climat de ce trio n'est pas sans évoquer la musique aussi fine que pleine de swing du quartet Ruby Braff-George Barnes et de sa regrettée réplique française sous la houlette d'Alain Bouchet (finalement avec Félix Hunot, un guitariste suffit). Les arrangements sont biens tournés («Rockin' in Rhythm», «Echoes of Harlem», etc). Malo Mazurié utilise beaucoup les sourdines. Bien sûr, «I'm Coming Virginia» présente les trois artistes en solo. Sébastien Girardot, bon slappeur (« Black Bottom Stomp », « Weary Blues ») mais pas seulement, est fréquemment soliste, toujours excellent (« Maple Leaf Rag », « Bogalusa Strut»). Il est aussi l'assise solide du groupe. Félix Hunot, formé par Jean-François Bonnel, chante à la Bing Crosby dans un titre («Changes»), mais démontre surtout ses qualités d'accompagnateur et de soliste (introduction très fine dans « When Your Lover Has Gone »). Malo Mazurié est le jeune trompettiste (plus souvent au cornet ici) qui monte. Bien sûr, il évoque ici Ruby Braff («When Your Lover Has Gone», «I May Be Wrong», «Jubilee»). Mais inconsciemment peut-être, grâce à sa solide culture jazz, on entend, sans copie à la lettre, ici où là des traces de Bix («Changes», «I'm Coming Virginia»), George Mitchell (exposé de «Black Bottom Stomp»), Jabbo Smith («Polka Dot Stomp») et la volubilité de Rex Stewart («Persian Rug», stop chorus de «Black Bottom Stomp», «Rockin' in Rhythm»). Bref ce CD est un rayon de soleil dans l'affligeante production dite musicale de nos jour
s.

Charles Chaussade
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Phil Urso
The Philosophy of Urso

Titres détaillés dans le livret
Phil Urso (ts, bs), Bob Brookmeyer (tb), Julius Watkins (flh), Ron Washington (ts), Walter Bishop Jr., Horace Silver, Bobby Timmons (p), Bobby Banks (org), Percy Heath, Jimmy Bond, Oscar Pettiford, Charles Mingus (b), Kenny Clarke, Peter Littman (dm)
Enregistré entre 1953 et 1959 à Hackensack, Hollywood, New York et Louisville
Durée: 1h 08’ + 1h 02’
Fresh Sound Records 889 (Socadisc)


Le saxophoniste Phil Urso (1925-2008) est peu connu du public. Né à Jersey City mais ayant grandi à Denver, sa carrière (commencée en 1948) a été avant tout celle d'un accompagnateur, notamment aux côtés de Woody Herman, Miles Davis et surtout Chet Baker (1954-1972). Il est par ailleurs retourné vivre à Denver dans les années 60. Il a peu enregistré en leader: outre les sessions rééditées ici, il a sorti en 2002 un Salute Chet Baker avec Carl Saunders (tp). Signalons d’emblée la qualité du livret de la présente production (mais intégralement en anglais) qui contient un bon texte de Jordi Pujol, les notes de tous les disques originaux, ainsi que la reproduction des pochettes. Les deux CDs reprennent des titres que Phil Urso a enregistrés en trio, quartet et quintet, ainsi qu’au sein du Jomar Dagron Quartet et du sextet d’Oscar Pettiford. Notons que cette livraison ne contient pas de plages avec Chet Baker (se reporter au Fresh Sound 457).
Cette intégrale des années 1953 à 1959 est une belle pièce pour découvrir le saxophoniste. Un premier bloc est constitué par huit thèmes édités auparavant sous le titre The Philosophy of Urso. Quatre d’entre-eux ont été enregistrés en quartet en 1953. On y trouve notamment une composition de Phil, «Little Pres». Le travail des trois partenaires permet de mettre le saxophone en valeur et de bien découvrir le son, la technique et la personnalité de Phil Urso. Quatre autres – des compositions du saxophoniste – édités originellement sous le titre Phil Urso & Bob Brookmeyer sont enregistrés un an plus tard en quintet avec Brookmeyer au trombone à pistons mais aussi Horace Silver, Percy Heath et Kenny Clarke. S’il a pu, un moment, avant ces enregistrements, sonner un peu west coast (époque avec Woody Herman), c’est bien chez les boppers que s’alimente Urso. Ça swingue sur tous les titres, notamment «Chiketa», ça dialogue en permanence avec Brookmeyer. Pour ne rien gâcher, les trois autres partenaires s’en donnent à cœur joie. Mentionnons aussi la belle ballade «Ozzie’s Ode».

Deux titres sont issus de compilations éditées sur la Côte Ouest. Pour «It’s Only a Paper Moon», le quartet de Phil n’est autre que la formation de Baker avec qui Urso joue à ce moment (1956)… mais sans le trompettiste! Pour «Too Marvelous for Words» un trombone est adjoint à la formation. Les deux thèmes swinguent. Evidemment, le saxophoniste se hisse à une hauteur qu’il ne peut avoir aux côtés de Chet Baker. Ceux qui le connaissent avec le trompettiste découvrent ici un autre Urso.
Un autre bloc de huit thèmes figure sur ce premier CD. Phil Urso est pour ceux-ci le saxophoniste ténor et baryton du «Jomar Dagron Quartet» (nom correspondant aux premières syllabes des membres fondateurs de la formation: Jo Jo Williams, Marvin Holladay, Dag Walton, Ron Washington). Ce n’est pas un grand groupe qui entoure ici Urso mais celui-ci en émerge suffisamment pour que l’on puisse goûter son travail au saxophone baryton sur les standards «Squeeze me», «Satin Doll», «Pent-up House», «Star Eyes»… Sans doute pour éviter la comparaison avec Mulligan c’est au ténor qu’il interprète «Line for Lyons» ainsi que sa bonne composition «Extra Mild».
Le CD2 débute avec les autres thèmes de The Philosophy of Urso. Changement total d’ambiance avec ce très mélodique duo saxo ténor-Hammond pour les cinq – très courts – titres de la session de 1954, rejoint par un batteur pour les dix autres – à peine plus longs – de celle de 1956. C’est encore contemporain du début de la période Chet Baker mais le saxophoniste a pris pour ces enregistrements un tout autre chemin. «Sentimental Journey» pourrait symboliser l’ensemble des quinze plages. La grande discrétion du batteur tout comme celle de l’orgue dans la plupart des cas, permet d’apprécier la technique de Phil Urso, et le son cool qui tranche avec la vigueur des autres thèmes du disque, mentionnés plus haut. On se régale également avec le très beau phrasé du saxophoniste. «My Heart Stood Still» et «Easy Out» remporte notre adhésion pour le duo tandis que le trio brille sur la composition de Ozzie Cadena «Blues to Remember Her by», «They Can’t Take Away from Me» de George et Ira Gershwin, «Moonlight Serenade», dans une interprétation plus enracinée dans le jazz que celle bien connue de Glenn Miller…

Le disque s’achève sur la participation de Urso avec le sextet de Oscar Pettiford. Ce dernier, signataire de quatre des cinq titres, est au violoncelle et Mingus à la contrebasse. Urso, plus que Watkins (fhn) donne le ton et assume quasiment un rôle de leader à côté du violoncelle de Petittford qui prend la basse dans «Tamalpais». Chronologiquement ces cinq plages font suite aux quatre premières du CD1 (avec le même W. Bishop Jr. au piano) et le saxophoniste y distille le même style sauf sur cet étrange «Tamalpais» dépourvu de dynamisme et d’un swing que l’on trouve dans «Jack the Fieldstalker» ou «The Pendulum at Falcon’sLair».
Au final, ce double CD aura sa place dans la discothèque d’un jazzophile un peu curieux
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Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Florent Souchet/Pierre Bernier/Ilfat Sadykov/
Anders Ulrich/Corentin Rio
Talkin' About John

What About, Le John, Bouncin’with John, Jeanne, L’Audière, Etatique, T.C., Dunes, Château Rouge, Chief Dalton
Florent Souchet (g), Pierre Bernier (ts, ss), Ilfat Sadykov (ts), Anders Ulrich (b), Corentin Rio (dm)
Enregistré les 16-17-18-20 Avril 2014, Paris
Durée: 1h
Parallel 001 (Absilone)


Ce quintet parisien peu connu dans l’hexagone (il a toutefois joué au Sunset-Sunside) est composé de jeunes musiciens et semble vouloir s’inscrire dans un jazz digne de ce nom. Les compositions sont toutes de Flo
rent Souchet et ne sont pas dépourvues de qualités. Elles permettent l’improvisation et le dialogue entre la guitare du compositeur et les saxophonistes. Il n’y a pas de trompette mais on sent l’influence du Miles Davis de la deuxième moitié des années 60. Florent Souchet – qui, par ailleurs, a des connaissances sur plusieurs instruments – maîtrise brillamment la guitare. Celle-ci, sans écraser les partenaires, est judicieusement mise en valeur tout au long des dix morceaux. On l’apprécie dans «Jeanne», les soli dans «What About», «Etatique», «Dunes»… et finalement sur tous les thèmes!
Les partenaires du guitariste le valent bien. Pierre Bernier n’a pas trente ans et ses prestations tant au ténor qu’au soprano sont superbes. Il faut particulièrement relever «What About», «Bouncin’ With John», «Chief Dalton», la virtuosité au soprano dans «Etatique». Les soli de Ilfat Sadykov sont un peu plus rigides et dans l’ensemble les thèmes sur lesquels il est convié en soliste swinguent moins. Le batteur, qui évite toute démonstration superflue, et le bassiste soutiennent parfaitement le quintet. Le groove de la basse est parfait dans «Boucin’ With John». Du bon jazz. Prometteur
!

Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Spirit of Chicago Orchestra
Singin' in the Train

Singin' in the Rain, Fit as a Fiddle, Temptation, Dream of You, I've Got a Feelin' You're Foolin', The Wedding of the Painted Doll, Should I?, Beautiful Girl, You Were Meant for Me, Good Morning, Singin' in the Rain (arr. 1936), Broadway Melody, Broadway Rhythm, You Are My Lucky Star, Sing Before Breakfast
Alexis Bourguignon (tp1), Jérôme Etcheberry (solo tp), Hervé Michelet (tp), Pierre Guicquéro (solo tb), Bruno Durand (tb), Stéphane Guillaume, Nicolas Fargeix (solo sax, cl), Bertrand Tessier, Stéphane Cros, Dominique Mandin (cl, sax), Raphaël Gouthière (tu), Mathilde Feber, Virginie Turban, Martin Blondeau (vln), Bastien Stil (p, perc), Remi Oswald (g, bjo), Raphaël Dever (b), Jean-Bernard Leroy (dm), Scott Emerson (voc: solos, trios, quartets)
Enregistré les 31 août, 1er et 2 septembre 2015, lieu non précisé
Durée: 59' 15''
Klarthe Records 008 (Harmonia Mundi)

Les choses sont claires puisqu'on peut lire dans le livret que c'est «un orchestre de danse des Années Folles qui présente dans leur orchestration d'origine les arrangements publiés d'époque». Le programme s'attache au parolier Arthur Freed (1894-1973) et au compositeur Nacio Herb Brown (1896-1964) qui travaillaient pour la MGM. Le livret prend également soin de nommer l'arrangeur de chaque morceau et le titre du film d'où il est tiré, avec sa date de réalisation. Et en effet dès la première version de «Singin' in the Rain», sautillant à souhait, l'orchestre restitue, à la lettre, le son d'orchestre de 1929. Ces musiques de variétés américaines, on le sait, sont fortement influencées par le jazz (et donc, ici, les clins d'œil sont par exemple les solos de Jérôme Etcheberry, bixien, Guicquéro et Bastien Stil dans «I've Got a Feelin' You're Foolin'»; celui de sax de Stéphane Guillaume dans «Should I?»). L'orchestre joue bien ces arrangements, dans l'esprit de l'époque, à s'y méprendre (il doit faire un tabac dans les festivals off) et il est bien enregistré. C'est donc un disque de variétés, délectable, qui sort du cadre de la revue Jazz Hot, ou alors c'est qu'Hugues Panassié et Charles Delaunay n'avaient rien compris.

Charles Chaussade
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Terry Waldo's Gutbucket Syncopators
The Ohio Theatre Concert

Introduction, Some of These Days, Anything for You, The Letter, Maple Leaf Rag*, 12th Street Rag*, How Could Red Riding Hood?, Sweet Georgia Brown*, My Man Ain't Good for Nothing but Love*°, Am I Blue, I'm a Great Big Baby*°, There'll Be Some Changes Made*°, To Keep From Twiddling Their Thumbs*°, Black and Blue*°, St Louis Blues°, Pastime Rag n°1°, The Entertainer, Atty. Gen. William Saxbe Comments, Ace in the Hole, The Mooche, At the Jazz Band Ball*
Terry Waldo (p, voc), Roy Tate (tp), Jim Snyder (tb), Frank Powers (cl, as, ts), Bill Moorhead (bjo), Mike Walbridge (tu), Wayne Jones (dm, voc), Atty. Gen. William Saxbe (voc), Edith Wilson° (voc)
Enregistré le 13 avril 1974, Columbus (Ohio)
Durée: 1h 09' 00''
Delmark 251 (www.delmark.com)


C'est la réédition de l'albumHot House Rag (Delmark 239) avec neuf inédits en plus (*). La vedette est la chanteuse Edith Wilson (1896-1981) qui, dès septembre 1921, enregistra avec le cornettiste Johnny Dunn (réédition RST 1522-2). A 15 ans, elle fut la troisième chanteuse de «vaudeville blues» à graver des disques. Retirée en 1966, elle débute une seconde carrière en 1972. En 1973-76, elle enregistre d'excellentes faces pour Delmark (CD 637) avec des vétérans recrutés par le remarquable pianiste Little Brother Montgomery (Preston Jackson, tb, Ikey Robinson, g-bjo, Truck Parham, b, Franz Jackson, cl, ss, ts, etc). Elle fait même un superbe show TV en France (1974). La participation à ce concert donné à Columbus fait partie de son come-back. La co-vedette aurait dû être Eubie Blake ; tombé malade, c'est Terry Waldo qui le remplace en piano solos (excellents «Maple Leaf Rag», «Pastime Rag n°1», «The Entertainer»). L'orchestre réunit par Terry Waldo n'a pas la saveur de ceux de Little Brother Montgomery. C'est du bon dixieland comme l'atteste «The Letter» (bonne introduction de trombone de Jim Snyder, Waldo est bon, bien soutenu par Wayne Jones, et Frank Powers oscille entre Pee Wee Russell dans le solo et Johnny Dodds en collective finale). Frank Powers, responsable des arrangements, a de bons moments («Sweet Georgia Brown»). Le cornettiste est vulgaire sans le panache d'un Wild Bill Davison mais bon avec le plunger («The Mooche»). Le tuba, enregistré trop fort, a de bons états de service (Art Hodes, Albert Nicholas, Lil Hardin, Ted Butterman) et donne une fondation solide et souple («St Louis Blues»). Mais c'est Edith Wilson qui "brûle les planches" par sa façon émouvante et sobre d'interpréter rendant l'orchestre meilleur («My Man Ain't Good For Nothing But Love»). Il est probable que Carol Leigh se soit inspirée d'Edith Wilson, Doc Cheatham aussi («Black and Blue»). A 78
ans, elle contrôle moins bien sa voix, mais ça n'a pas d'importance. C'est une comédienne («I'm a Great Big Baby») et elle a une diction claire (lignée Ethel Waters). Pas négligeable sans être indispensable.

Michel Laplace
© Jazz Hot n°677, automne 2016

 

Slavery in America
Redemption Songs 1914-1972

Titres et interprètes communiqués sur le livret
Enregistré entre le 11 septembre 1914 et 1972, Congo, Haïti, Trinidad, Guadeloupe, Jamaïque, Brésil, Cuba, Etats-Unis
Durée : 3h 23' 26''
Frémeaux & Associés 5467 (Socadisc)


Né en 1960, l'auteur du livret, Bruno Blum, est le reflet des comportements actuels : des "connaissances" cumulées (les pages 4-5 sont un bon résumé sociologique) vierges de toute réflexion (l'actuelle société est ainsi faite et on voit les glorieux résultats : enseignement, économie, social, politique, etc): un fatras! Vouloir croire à une survivance à travers les siècles de caractéristiques africaines immuables traduit cette absence de rigueur intellectuelle. Il serait plus utile (mais le veut-on?) d'analyser pourquoi avec des ascendants communs les résultats sonores venus à maturité plusieurs siècles plus tard sont si différents. Ce qui amène au principe d'acculturation (cité une fois, page 4, sans définition) puis à la notion de «double acculturation» connue des ethnologues mais ici ignorée (fait de «réinventer» l'Afrique-mère hors du territoire, plusieurs générations après les premiers transplantés). Rien ne prouve que cet enregistrement de 1938 à Brazzaville («chant d'invitation à la danse») «donne une idée...cent ans avant». C'est du romantisme, pas une approche scientifique. La portion "étiquette jazz" dans ces 3 CDs est mince: 7 morceaux sur 72 (Louis Armstrong, Duke Ellington, Red Saunders, Ornette Coleman, John Coltrane, deux Max Roach). «Song of the Cotton Field» de Percy Granger enregistré en 1926 par Duke Ellington est une évocation artistique qui ne reflète pas la réalité de la vie des premiers esclaves 300 ans plus tôt! Pas de doute sur la politisation des artistes Max Roach et Abbey Lincoln (nom très symbolique puisque c'est Abraham Lincoln qui a mené la lutte pour l'abolition de l'esclavage aux Etats-Unis) dans «Freedom Day», mais franchement le «Free» d'Ornette Coleman (ici, version 1958 avec Paul Bley) a un autre sens (se libérer du carcan harmonique). Concernant les racines/cousins du jazz, environ 8 titres blues/rock'n roll/R'n B/Soul (Bo Diddley, Tennessee Ernie Ford, Josh White, Pr Longhair, Sam Cooke,..) et, on s'en doute, c'est plus copieux pour le spiritual/gospel, 16 titres (Mahalia Jackson, Golden Gate Quartet, Rev. J.M. Gates, Ebony Three avec Sammy Price et Buster Bailey, Blind Boys of Alabama, les Charioteers, ...). A noter qu'à notre sens c'est Billy Butterfield plutôt que Joe Wilder le trompette solo dans «Work Song» par Oscar Brown Jr (1960). Tout cela est de l'excellente musique. A noter une bonne version de «Bamboula» de Gottschalk par Eugene List (p) très chopinesque. Un coffret pour les curieux.

Michel Laplace
© Jazz Hot n°677, automne 2016

The Fat Babies
Chicago Hot

Snake Rag, London Cafe Blues, San, Alexander's Ragtime Band, I Surrender Dear, Dardanella*, Black Snake Blues, Here Comes the Hot Tamale Man, Froggie Moore, Willow Tree, Weary Blues°, Liza, Please, Susie, Tight Like This, Stomp Off Let's Go
Beau Sample (b), Andy Schumm (cnt), Dave Bock (tb), John Otto (cl, as*, ts°), Mike Walbridge (tu), Jake Sanders (bjo), Paul Asaro (p), Alex Hall (dm)
Enregistré les 19 et 20 juin 2012, Chicago
Durée: 1h 00' 34''
Delmark 253 (www.delmark.com)


Il s'agit d'un groupe de jazz traditionnel dirigé par Beau Sample comme il n'en manque pas. Deux membres dominent, Andy Schumm et Paul Asaro. J'ai souvenir de Paul Asaro en compagnie de Wendell Brunious et Orange Kellin à Ascona. On a ici confirmation de son talent, principalement dans «Stomp Off, Let's Go» (avec partie de cornet à la Armstrong), «Willow Tree» (Alex Hall est plaisant aux balais, trop court et délicieux passage cornet-piano en duo), «Liza» (duo piano-drums). Le jeune Andy Schumm est connu comme un cornettiste bixien, ce qu'il sait être en effet (solo dans le chapeau : «Dardanella»), sans ignorer Red Nichols («Alexander's Ragtime Band»). Dans ce créneau, on retiendra ce «San» (également bonne clarinette version Noone, piano et basse en slap du leader). Sa prestation sweet avec sourdine dans «Please» est de qualité. Mais on découvre aussi son côté armstrongien dans «Weary Blues» (bons stop chorus) et «Tight Like This» (où son solo est dans l'esprit, pas dans la stricte copie). Il est plaisant de retrouver ici «Here Comes the Hot Tamale Man» bien connu des fans de Freddie Keppard (bon solo de basse du leader). L'introduction de trombone dans «Susie» est bien. Globalement tous ces musiciens jouent de façon experte ce qu'ils ont choisi d'interpréter ici.

Michel Laplace
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueRoberta Donnay
Bathtub Gin

Bathtub Gin, Why Don't You Do Right, If You Want The Rainbow, Wake Up and Live, Just What Me Doctor Ordered, When I Take My Sugar to Tea, Shake Sugaree, Throw Your Heart, Put The Sun Back In the Sky, Happy Feet, Bye Bye Blackbird, Kitchen Man, Smile, Horizontal Mambo, I Gotta Right to Sing the Blues
Roberta Donnay (voc, arr), Rich Armstrong (tp, cnt, fgh, voc), Wayne Wallace (tb, arr), Danny Grewen (tb, voc), Shelon Brown (cl, ts, bs, voc), Steve Malerbi (hca), John R. Burr (p), Sam Bevan (b, arr), Michael Barsimento (dm), Deszon Claiborne (dm, voc), Nicolas Bearde, Annie Stocking, Eddy Bee (voc)
Date et lieu d’enregistrement non précisés
Durée: 1h 03' 08''
Motéma Music 166 (www.motema.com)


Roberta Donnay (née en 1966) signe là un album intéressant. Elle a commencé à 16 ans. A San Francisco, elle se produit pour Dick Oxtot (sans doute une bonne école puisque Janis Joplin s'y frotta au blues en 1963-65). Elle fréquente divers genres (premier disque en 1989) pour revenir au "jazz" en 2005. Ce disque est une bonne surprise. Roberta Donnay a beau afficher son amour pour les vieilles chansons et pour les stars du passé, elle nous offre une musique qui ne sonne pas datée, soit en big band, soit avec trio. Elle chante certes d'une façon maniérée qui n'est pas l'essence expressive de Bessie Smith, Sippie Wallace, Victoria Spivey, Ida Cox ou même Ethel Waters et Billie Holiday auxquelles elle fait référence. C'est léger, pas de drame. Les arrangements en big band sont percutants. Rich Armstrong fait du bon travail de lead trompette (mais, sans doute à cause d'un choix d'embouchure, sa sonorité n'est pas séduisante). L'orchestre "envoie” dans «Bathtub Gin» (bon solo de Sheldon Brown, bs), «Happy Feet» (bon solo de Sheldon Brown). On pense à Peggy Lee dans «Why Don't You Do Right?», une réussite de l'album, mais Robeta Donnay ne copie pas (bon maniement du plunger par Rich Armstrong et Wayne Wallace). L'orchestre et le sax ténor sont bons dans «Wake Up and Live», «Sugar to Tea» et «Bye Bye Blackbird» (alternative piano-batterie). Le tempo est bien lent pour «Smile» où Sam Bevan, Rich Armstrong, Steve Malerbi prennent de bons solos. Touche dixie dans «Throw Your Heart» (clarinette et plunger du trompette). L'«Horizontal Mambo» est de la bonne variété. Les titres en trio sont d'un niveau variable. On oubliera «If You Want the Rainbow» (bon solo de Sam Bevan) et «Shake Sugaree» (tendance folk). En revanche, le swing est présent dans «Just What the Doctor Ordered» (duo vocal avec Nicolas Bearde), «Put the Sun Back in the Sky» (chœur genre Boswell Sisters), «Kitchen Man» et «I Gotta Right to Sing the Blues» (excellents contre-chants et solo de trompette bouchée en plus). Le pianiste John R. Burr est excellent dans tous les titres. Si ce n'est pas du jazz actuel satisfaisant, ça y ressemble dans le contexte d'une médiocrité générale.

Michel Laplace
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Eli & The Hot Six
Live. Contemporary Jazz Classic

Honeysuckle Rose, St James Infirmary, Oh By Jingo, Perdido, Chinatown My Chinatown, Body and Soul, I Can't Give You Anything But Love, Bei Mir Bist Du Schoen, Just Squeeze Me, Them There Eyes, Charlie on the MBTA, Tiger Rag*
Eli Newberger (tu), Bo Winiker (tp), Herb Gardner (tb), Ted Casher (cl, ts, ss, voc), Bob Winter (p), Jimmy Mazzy (bjo, voc), Jeff Guthery (dm), Rebecca Sullivan (voc), Randy Reinhart* (cnt)
Enregistré les 3 décembre 2013, 5 et 14 janvier 2014, 2-3 avril 2014, Sherborn (Massachusetts)
Durée: 1h 07' 15''
Autoproduit (www.elinewberger.com)


C'est un groupe dixieland dirigé par le tubiste Eli Newberger. Le premier titre (en public, 2013), «Honeysuckle Rose», puis «Perdido» donnent une impression défavorable: ça ne swingue pas et les minauderies de la chanteuse sont fastidieuses. En revanche, le pianiste, membre du Boston Pops, est bon (il joue en piano solo «Oh By Jingo”). Jimmy Mazzy (bj, voc) est vedette d'un «St James Infirmary» très mou, et de «Chinatown, My Chinatown» (avec sympathique solo de tuba), dans lesquels l'orchestre n'est pas fameux (le soprano est une épreuve). Ted Casher, chanteur épouvantable, est au mieux de ses possibilités au ténor, non sans copier Coleman Hawkins («Body and Soul»). L'excellent Randy Reinhart n'apparait que dans un titre, pas le plus favorable («Tiger Rag»). Ce disque a un public (américain) qui se satisfait de reconnaître les morceaux. Le jazzfan tirera plus de profit à (ré)écouter les disques de Louis Armstrong, Duke Ellington, Ella Fitzgerald et Coleman Hawkins
.

Michel Laplace
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueOrrin Evans
The Evolution of Oneself

All The Things You Are (prelude), For Miles, Genesis I, Autumn Leaves, Wildwood Flower*, Sweet Sid, Genesis II, Jewels & Baby Yaz, Iz Beatdown Time, Spot It You Got It, Genesis III, Feb 13th, A Secret Place*, Ruby Red, Tsagli’s Lean, Professor Farworthy, All The Things You Are (Spring Feathers)°, All The Things You Are
Orrin Evans (p), Christian McBride (b), Karriem Riggins (dm), Marvin Sewell* (g), JD Walter° (voc)
Enregistré le 17 décembre 2014, New York
Durée: 1h 18' 21''
Smoke Se
ssions Records 1507 (http://smokesessionsrecords.com)

Ayant pris des cours à deux pianos avec Kenny Barron (Jazz Hot n°673), Orrin Evans avoue une influence majeure du Philadelphia sound sur son œuvre - Larry Carlton (g) a évoqué le versant soul de ce son, par un hommage aux producteurs Kenny Gamble et Leon Huff, dans Plays the Sound of Philadelphia (335 Records, 2010). Représentant d’un jazz moderne ouvert aux autres formes d’expression musicale, il s’est inspiré de musiciens comme Eddie Green et Bobby Watson, à l’instar de Christian Mac Bride également originaire de la scène de Philadelphie. Après avoir publié sept disques chez Criss Cross, et conduit deux autres formations, Tarbaby et Captain Black Big Band, Orrin Evans réunit sur The Evolution of Oneselfun trio à la cohésion irréprochable, qui ne craint pas d’allier post-bop, néo-soul et jazz-funk, sans jamais perdre le sens du swing. L’unité sonore de ce patchwork musical est assurée par la production impeccable de Paul Stache, qui met particulièrement en valeur les interventions des solistes. Il s’agit curieusement de la première collaboration enregistrée sur disque entre Christian Mac Bride et le leader alors qu’ils jouent ensemble depuis longtemps, et le plaisir de l’écoute réside en partie dans cette complicité évidente, servie par une riche expérience commune.
Au niveau du style, le pianiste se distingue par l’usage de motifs répétitifs qui confèrent un aspect presque hypnotique à certains gimmicks, tandis que l’apport de Christian Mac Bride s’avère essentiel dans la texture sonore et l’architecture des morceaux. Karriem Riggins s’illustre tout particulièrement par son art des liaisons, qui culmine au travers d’un magnifique solo de batterie sur «Professor Farworthy». Les interludes hip-hop de «Genesis», l’hommage soul jazz rendu à Grover Washington Jr, «A Secret Place» ou l’épisode country folk de «Wildwood Flower» sont quelques-uns des moments marquants de l’album, des références qui témoignent du parcours très personnel retracé sur The Evolution of Oneself. A cet égard, la relecture de «Jewels and Baby Jaz», de Jafar Baron, constitue certainement le véritable point d’orgue de l’enregistrement, faisant du néo soul d’Orrin Evans une composante à part entière du jazz moderne.

Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Anne Wolf
Wolf in the Wood

Ladies in Mercedes, Estamos aï, Overjoyed, Wild Flower, Caminhos Crueados, On Green Dolphin Street, Mambo influenciado, Theme for Ernie, Saint Thomas, Growlin’Face, Cantabile
Anne Wolf (p, arr), Stefan Bracaval (fl), Chris Joris (perc), Sal La Rocca (b)
Enregistré les 17 et 18 décembre 2015, Saint-Josse-Ten-Noode (Bruxelles, Belgique)
Durée: 1h 13' 36''
Mogno Music j0532 (www.mognomusic.com)


Pari osé pour Anne Wolf qui a choisi de laisser son compagnon (Théo De Jong, bg) sur la touche pour ce nouveau quartet. Pari osé pour le choix de thèmes qu’elle n’a pas composés. Pari osé aussi pour avoir préféré enregistrer live. Mais pari justifié par le choix de ses accompagnateurs: Stefan Bracaval («On Green Dolphin’ Street»), Sal La Rocca («Wild Flower») et Chris Joris («Mambo Influenciado», «Saint Thomas»). Ne refusons pas ce parfum d’authenticité avec ses essoufflements et ses accélérations («Estamos aï»); les tensions/détentes font partie de l’esthétique. Anne Wolf n’est pas une virtuose au sens strict du terme, mais c’est une personne sensible, gentille. Son jeu apparait parfois un peu raide, mais enduite elle vous prend la main, puis le bras et dépose un baiser pudique sur votre joue. On connait son attachement pour la samba, les chansons brésiliennes («Caminhos Cruzados» de Jobim) et la latin-attitude en général («Mambo influenciado» de Chucho Valdès). Son répertoire passe aussi par la valse («Wild Flower»), les belles mélodies: «Overjoyed», «Cantabile» de Michel Petrucciani et «Growlin’Face» de son mentor Charles Loos. Anne Wolf se love avec délectation (nous aussi) dans «Theme For Ernie» de Fred Lacy. Avec «On Green Dolphin Street»,tous les solistes tournent, très à l’aise. Sonny Rollins aimerait-il cette version "caravanisante" de «Saint Thomas»? Stefan Bracaval et Chris Joris se font trop rare sur nos scènes. Une raison de plus pour aimer cet album joliet qu’on écoute un mojito à la main, dans un transat à la plage ou au jardin
.

Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Sonny Rollins
The Quintessence: 1957-1962

CD1: Old Devil Moon, Theme From Tchaikovsky's Symphony Pathetic, Freedom Suite, Body and Soul, Manhattan, Grand Street, Who Cares?, You Are Too Beautiful, Doxy, I'll Follow My Secret Heart; CD2: In The Chapel in the Moonlight, How High the Moon, The Bridge, God Bless the Child, Don't Stop the Carnival, The Night Has a Thousand Eyes, Jungoso, Doxy
Sonny Rollins (ts) et diverses formations
Enregistré de 1957 à 1962, New York, Lenox, Los Angeles
Durée: 1h 11' 48'' + 1h 09' 44''
Frémeaux & Associés 3064 (Socadisc)


Une sélection du Sonny Rollins de cette période autour de son retrait provisoire de la scène, entre l’été 1959 et 1962, est forcément indispensable, pas forcément pour les raisons communément avancées de l’histoire mythologique du doute qui envahit l’artiste face à la concurrence, car Sonny Rollins est déjà un grand. Comme le souligne Alain Gerber, l’auteur de la sélection et des notes de livret, Sonny Rollins a profité de son retrait pour continuer à approfondir son art. Le contrebassiste Henry Grimes, présent sur quelques pièces de cette époque, connaîtra lui-aussi une éclipse autrement plus longue et profonde. Comme tout créateur, Sonny Rollins en a profité pour s’enrichir intérieurement, pour réfléchir sur le sens de sa vie, sur l’articulation entre les racines et son besoin de novation, d’affirmation de sa personnalité en ces temps où tout semble aller très vite dans le jazz.
Cette interrogation s’impose à lui dans l’âge d’or d’un jazz encore jeune, malgré quelques disparitions d’importance (de Bessie Smith et Fats Waller à Billie Holiday et Lester Young en 1959, en passant par Clifford Brown, Art Tatum et Charlie Parker). Les grands courants sont actifs, et la création bat son plein –ce n’est rien de le dire. Les enregistrements exceptionnels de toutes les générations et styles s’accumulent. Les échanges intergénérationnels s’intensifient (pour Charlie Parker comme pour John Coltrane), malgré une «nouvelle» critique avide de rupture (qui contribua à une scission artificielle), de nouveauté obligée (qui participa de la négation des racines), de phénomènes de mode liés au développement commercial d’une industrie de la musique à l’échelle internationale (qui déboucha sur la dérive consumériste dont le jazz souffre aujourd’hui). Sonny Rollins est aussi probablement concerné par le statut de l’artiste afro-américain aux Etats-Unis, dans cette période charnière (New York est une fenêtre de reconnaissance pour le jazz aux Etats-Unis), et bien qu’ayant dix ans de carrière, ne peut pas être insensible à ce bouillon de culture, pour évoquer l’un des titres («The Night Has a Thousand Eyes») qui servit de générique sonore, valorisant et indissociable, à l’émission de Bernard Pivot vingt ans après.
Donc, pour ce deuxième volume de cette collection consacrée à Sonny Rollins, on a de splendides thèmes d’avant et d’après les promenades solitaires de Sonny Rollins et de son saxophone sur le pont. Compte tenu de la beauté de l’expression, il n’était pas très difficile de trouver matière à cette compilation: on peut s’arrêter avec plaisir sur chacun des thèmes, mais il faut remarquer une production plus essentielle dans les années cinquante. Que ce soit dans le registre post-parkérien («Old Devil Moon») ou dans l’évocation des racines et de la tradition du saxophone («Body and Soul» en solo en référence à Coleman Hawkins), ou encore pour la dimension «recherche et développement» («Freedon Suite»), tout Sonny Rollins est déjà là, pour toujours, et ce n’est pas pour rien qu’il est un ténor majeur des années 1950, et qu’il le restera pour les six décennies suivantes. Une sonorité épaisse et veloutée, une dextérité parkérienne, une manière unique de traîner sur le temps, de rouler les notes, une inspiration et un lyrisme certains, confirme l’une des personnalités fortes du jazz des années cinquante, malgré son jeune âge (moins de 30 ans). Ses rencontres avec Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Max Roach, Art Blakey, Miles Davis, Thelonious Monk, John Coltrane en témoignent plus que des discours.
Le retour de Sonny Rollins en 1962 n’apporte rien de vraiment nouveau aux qualités d’un artiste d’exception, si ce n’est une sensibilité plus grande aux trompettes de la renommée ou aux sirènes de la critique, ce qui rend parfois moins profonde, moins naturelle et moins libre (malgré l’étiquette d’époque) son expression. Il n’est que d’écouter les deux «Doxy» proposés ici, peut-être avec malice par Alain Gerber, pour constater que celui de 1958 avec la rythmique du Modern Jazz Quartet (John Lewis, Percy Heath, Connie Kay) est à notre sens plus essentiel, enraciné et novateur, que celui de 1962 qui sacrifie à quelques clichés du temps, y compris en matière de mise en place, et qui a moins bien vieilli. On confirmera Alain Gerber dans son intuition, à savoir que Sonny Rollins était à la recherche du génie de Sonny Rollins, sans savoir qu’il était déjà là. Et quand Sonny Rollins reste simplement lui-même, naturel, en 1962 («God Bless the Child») comme en 1958 («Body and Soul»), il est simplement l’un des plus grands ténors de l’histoire du jazz, un digne descendant du grand Hawkins et le second père de centaines de saxophonistes de par le monde: un idéal, un absol
u.

Yves Sportis
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Stan Getz
Moments in time

Summer Night, O Grande Amore, Infant Eyes, The Cry of the Wild Goose, Peace, Con Alma, Prelude to a Kiss, Morning Star
Stan Getz (ts), JoAnneBrackeen (p), Clint Houston (b), Billy Hart (dm)
Enregistré du 11 au 16 mai 1976, San Francisco
Durée : 1h 15’
Resonance Records 2021 (www.resonancerecords.org)



Stan Getz/João Gilberto
Getz/Gilberto '76

Spoken Intro by Stan Getz, É Preciso Perdoar, Aguas de Março, Retrato Em Branco E Preto, Samba da Minha Terra, Chega de Saudade, Rosa Morena, Eu Vim Da Bahia, João Marcelo, Doralice, Morena Boca de Ouro, Um Abraço No Bonfá, É Preciso Perdoar (Encore)
Stan Getz (ts), João Gilberto (g), JoAnne Brackeen (p), Clint Houston (b), Billy Hart (dm)
Enregistré du 11 au 16 mai 1976, San Francisco
Resonance Records 2020 (www.resonancerecords.org)

Comme toujours chez Resonance, le livret est exemplaire: on trouve dans celui de Getz (28 pages) de superbes photos de Tom Copi, des textes de Feldman, Barkan, Ted Panken, Steve Getz, des interviews de Hart, Brack
een, et des citations de Branford Marsalis et Joshua Redman. Dans celui de Getz/Gilberto (32 pages), il compte, en complément, un texte de James Gavin et Carlos Lyra sur la bossa nova. On y lit, entre autres, que Stan Getz était l’un des saxophonistes préférés de Coltrane (avec Earl Bostic, Lester Young, Sonny Stitt et Dexter Gordon). Ces deux albums confirment assurément cette lignée dans laquelle Getz s’inscrit, si certains en doutaient encore. Moments in Time est un enregistrement, passionnant, émouvant, par la qualité de la musique qui y est jouée, par son exigence aussi, et parce qu’il est l’unique trace de ce groupe de Getz,composé de JoAnne Brackeen (p), Clint Houston (b) et Billy Hart (dm), qui dura d’octobre 1975 à février 1977. L’engagement au Keystone Korner (mai 1976) correspond aussi aux retrouvailles de Getz et Gilberto, qui enregistrèrent The Best of Both Worlds (Columbia) un an plus tôt (en mai 1975), dont l’album sortit en septembre 1976.
Dans cette sélection, composée de standards, Stan Getz, en très grande forme, joue avec un son énorme, riche, plein d’âme et une rythmique du tonnerre. On lit d’ailleurs dans le livret qu’il ne s’était jamais senti aussi soutenu que par ces sidemen-là. On peut le comprendre. Brackeen, Houston et Hart donnent tout et sont des accompagnateurs incomparables.
«Summer Night» commence très fort et annonce la couleur avec le groove de Houston (b) et le jeu très musclé de Brackeen (p), dont on sent à la fois l’influence de McCoy Tyner et une expressivité très personnelle. Après la samba «O Grande Amor» (Jobim, Moraes), Getz joue «Infant Eyes» (Shorter), un des plus beaux titres de cette sélection, une ballade gorgée d’émotion, avec un long solo poignant de Getz, avant de laisser la place à la pianiste au jeu tout aussi profond, pendant le dernier tiers du morceau. Sans doute pour casser un peu le rythme, «Cry of the Wild Goose» sonne avec ses accents jazz-funk, pleins d’énergie. Les deux titres suivants comptent aussi parmi les plus beaux: dans «Peace» d’Horace Silver, le ténor y montre sa maîtrise, son expérience, ses mille talents. Son interprétation est bouleversante. Le morceau le plus long (12 minutes) est «Con Alma». On y entend un long solo du ténor qui gagne en intensité. Puis deux autres ballades, « Prelude To A Kiss» et «Morning Star», aussi superbes. Si dans cette sélection, Stan Getz est au sommet de son art, elle rend justice à la pianiste JoAnne Brackeen, mettant en lumière son immense musicalité, sa technique, son jeu complexe, très franc au son très personnel. Rappelons qu’elle joua autour de ces années avec Art Blakey et les Jazz Messengers (1969-1972) et Joe Henderson (1972-1975). A l’inverse, l’excellent Houston – Roy Haynes (1969-1970), Roy Ayers (1971-1973), Charles Tolliver (1973-1975) – souffre un peu de la sélection. Il n’en reste pas moins très présent et son jeu épatant. Tout comme Hart, magnifique, rompu à toutes les situations.
Avec Getz/Gilberto '76, on change d’atmosphère, à l’image de la pochette de l’album: une peinture de l’artiste portoricaine Olga Albizu (1924-2005), pionnière de l’expressionnisme abstrait aux Etats-Unis, dont les œuvres ont illustré d’autres disques de Stan Getzdans les années 1960 (Jazz Samba, Verve, 1962; Big Band Bossa Nova, Verve, 1962; Jazz Samba Encore!, Verve, 1963; Getz/Gilberto, Verve, 1964; Getz/Gilberto Vol. 2, Verve, 1966). Disons-le tout de suite, le titre est trompeur. Si Getz et son quartet sont bien présents, c’est avant un tout un album de Gilberto. Sur ces douze titres, la voix chaude, délicate, sensible du chanteur, son jeu si naturel et son immense technique à la guitare sont un enchantement. Après une introduction de Getz, qui salue l’excellence de son camarade mais regrette qu’il ne joue pas davantage, le ténor devient un accompagnateur impeccable. Il est d’ailleurs frappant de voir combien le quartet s’efface au profit du Gilberto. Hormis «Retrato Em Branco E Preto» et «Doralice» sur lesquels Getz joue un solo, un peu fort peut-être, comparé à la fragilité du chanteur-guitariste, et «Chega de Saudade» et «Eu Vim Da Bahia» en quartet, Gilberto joue seul, passionnément sur «E Preciso Perdoar», «Aguas de Marco», «Samba da Minha Terra», «Rosa Morena», «Morena Boca de Ouro», «Um Abraco No Bonfa», et un instrumental, «João Marcelo». Tous l
es titres sont des merveilles, de véritables œuvres d’art.

Mathieu Perez
© Jazz Hot n°677, automne 2016

 

Frank Catalano
Bye Bye Blackbird

Chicago Eddie, Bye, Bye Blackbird, Sugar, All Blues, At Last, Shakin
Frank Catalano (ts), David Sanborn (as), Nir Felder, (g), Demos Petropoulos (org),Jimmy Chamberlin (dm)
Durée: 31’
Enregistré en 2015, Chicago
Ropeadope LLC 2014 (www.ropeadope.com)


La trilogie du saxophoniste de Chicago Frank Catalano s’achève sur ce Bye Bye, Blackbird qui fait donc suite àGod’s Gonna Cut You Down et à Love Supreme Collective (Jazz Hot n° 674). A l’hommage à Coltrane succède celui à Miles Davis; inévitable reconnaissance au trompettiste qui a su donner sa chance à Frank à ses débuts. Hommage aussi à Eddie Harris, à travers «Chicago Eddie», saxophoniste de Chicago dont la sonorité a marqué Catalano, ainsi qu’à son mentor Von Freeman avec «Sugar» thème que celui-ci a joué dans son album At Long last George.
Pas plus que Love Supreme Collectiven’était une reprise de l’œuvre de Coltrane, l’intention de Catalano n’est de faire une cover des deux thèmes rendus célèbres par Miles: «Bye Bye Blackbird» et «All Blues». Catalano s’est entouré de partenaires dont le style s’éloigne de celui du trompettiste, reflète leur personnalité et se fond avec celle du saxophoniste. L’absence de piano rompt évidemment avec les quartets et quintets de Miles et l’introduction du B3 change la donne, offrant un caractère particulier à l’ensemble du disque. Pas de bassiste non plus mais la guitare de Nir Felder est beaucoup trop discrète à notre goût. «Bye Bye Blackbird» prend un air de jouvence. Si l’introduction est moins sèche que dans la version de Miles, le thème est plus dynamique. Présent sur ce thème David Sanborn et son alto dialoguent avec le ténor. L’excellent et énergique solo de Jimmy Chamberlin – à travers lequel on perçoit l’influence rock de celui-ci – rompt avec le travail plus délicat de Philly Jo Jones. C’est aussi ce thème qu’avait choisi Keith Jarrett pour son hommage personnel au trompettiste. C’est de nouveau le B3 qui lance un «All Blues» bien plus court que l’original. Le saxophone ténor prend le rôle de la trompette de Miles mais Frank ne peut pas s’appuyer sur le back ground de Coltrane et Cannonball comme le faisait Davis. Seul face au thème, Catalano montre ses aptitudes, son talent, et sa sonorité est mise en valeur. De nouveau, Chamberlin s’illustre dans un style évidemment à cent lieues de ce que proposait Jimmy Cobb qui n’offrait pas de solo, Miles devant juger cela inutile pour ce thème. Frank voit les choses autrement et celui proposé par Chamberlin s’insère bien dans la version présente. Le saxophoniste aurait pu aussi sur ce thème inviter Sanborn mais on a du pur Catalano.
Pour quelle raison Frank Catalano a-t-il choisi «At last»? Mystère. Le thème existe sur un disque sur lequel figurent Miles et Chet Baker mais c’est en réalité Chet qui joue. Originellement le thème est joué très cool mais débute ici avec un Catalano à cent pour cent, donc débordant de puissance avant de donner de la souplesse à son jeu et de revenir vers une ambiance (un peu) plus cool. Exit Sanborn. Frank joue de bout en bout et peut s’appuyer sur un excellent groove de Chamberlin et un travail discret du B3. «Chicago Eddie» est un peu répétitif mais la prestation au saxophone est de qualité et Jimmy autant que Petropoulos et Nir Felder à la guitare sont valorisés. Revenons sur «Sugar» ou de nouveau Catalano échange avec Sanborn, par moment dans un véritable dialogue. Le tempo permet d’apprécier le détail du jeu de Catalano qui montre toute la richesse de son style. Le B3 est encore à son avantage. Von Freeman peut être satisfait de son influence!
«Shakin» est une reprise du thème initial du disque God’s Gonna Cut You Down. Chamberlin et Petropoulos étaient déjà présents sur la première mouture. Pas vraiment de grosses différences avec celle-ci. Le thème dure le même temps, l’introduction au B3 est identique, précédant l’entrée du saxophone, de la batterie et des autres partenaires. Catalano laisse la place à Petropoulos qu’on trouvait plus percutant dans la version initiale et à un solo démoniaque de Chamberlin. Nir Felder dans son intervention surpasse en qualité le guitariste de la première version. Il a aussi la possibilité de s’exprimer plus longuement. Le thème s’achève avec un excellent retour du saxophoniste.

Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°677, automne 2016


Emil Spányi/Jean Bardy
Very Blue

Very Blue, I Love You Porgy, I’ve never Been in Love Before, Comme Sunday, Nothing Like You, Three Clowns, Walkin’, Sa Majesté César II, Black Smoke, Anton’s Journey, Autumn Nocturne
Emil Spányi (p) Jean Bardy (b)
Enregistré les 24 et 25 avril 2014, lieu non précisé
Durée: 1h 06'
Parallel 002 (Absilone)

Ce disque est musicalement un beau disque. Toutefois, malgré une solide formation et une remarquable maîtrise de l’instrument, le Hongrois Spányi lui n’a su (ou voulu) greffer que rarement ses connaissances du jazz - certes un peu froides - acquises en côtoyant de bons jazzmen. La composition qui donne le titre à l’album «Very Blue» se charge de swing et est sans aucun doute la meilleure pièce du disque. Son autre apport, «Black Smoke», très belle œuvre, ne relève pas du jazz ni l’interprétation du classique «Autumn Nocturne» du compositeur russo-américain Josef Myrow.
Son partenaire de duo, Jean Bardy, n’a rien à lui envier au point de vue de la formation musicale.  Il se révèle un accompagnateur particulièrement à l’écoute du pianiste. Jean Bardy offre lui aussi deux compositions sur lesquelles il montre sa virtuosité personnelle. Il débute à l'archet «Sa Majesté César II», puis c’est Spányi qui lui sert l’accompagnement. C’est beau mais là encore ce n’est pas du jazz, pas plus que «Anton’s Journey». Le duo a pioché dans les standards à trois reprises ainsi que chez Gershwin. Pour «I loves You Porgy» on  reste un peu sur sa faim. Le toucher délicat du pianiste sur «Come Sunday» d’Ellington nous rapproche de la version du duo Mulgrew Miller/NHOP.  « Three clowns » reste joué dans le même esprit classique et il est peu probable que Wayne Shorter, son auteur en soit ravi. Reste le «Walkin» que Carpenter avait offert à Miles Davis. Cette fois le duo est vraiment dans le jazz et si l’interprétation n’a rien à voir avec celle du trompettiste, elle est excellente tant de la part de Spányi que de Bardy qui montre là son bagage jazzistique acquis dans les clubs parisiens depuis quelques
lustres.

Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueEmile Parisien Quintet
Sfumato

Préambule, Poulp, Le Clown Tueur de la Fête Foraine I*, Le Clown Tueur de la Fête Foraine II, Le Clown Tueur de la Fête Foraine III*, Duet for Daniel Humair, Brainmachine, Umckaloabo, Balladiza I, Balladiza II
Emile Parisien (st, ss), Joachim Kühn (p), Manu Codjia (g), Simon Tailleu (b), Mario Costa (dm) + Michel Portal* (bs cla), Vincent Peirani* (acc)
Enregistré les 16, 17 et 18 mai 2016, Pernes-les-Fontaines (83)
Durée: 59'
ACT 9837-2 (Harmonia Mundi)

Avec ce nouveau groupe en quintet, Emile Parisien, nous propose un album (le septième) moins évident que ses précédents mais qui confirme désormais sa stature de leader. «Sfumato» signifie nuancé en italien et l’artiste s’en inspire pour en définir tel un peintre les contours de cette nouvelle toile. Album plus grave, plus adulte et moins enjoué, il faut entrer dans les méandres embrumées d’un jazz bien européen, la suite «Le Clown Tueur de la Fête Foraine I, II , III» donne le ton où chaque partie, servie avec des invités, met en valeur ses propos originaux. Mélancolie, fin d’une adolescence rieuse, le propos paraît plus grave, la plupart des compositions sont signées par Emile Parisien. Pas de conflit de génération entre Joachim Kühn (72 ans) et le jeune Emile (34 ans), Joachim est le pianiste du groupe et non simplement un invité, et chaque musicien apporte sa solide contribution à une œuvre sérieuse. Maîtrise parfaite du soprano et du ténor pour une expérimentation plus alambiquée et ambitieuse réussie, cet album marque sans aucun doute une nouveau tournant pour cet artiste qui triomphe sur la scène mondiale. Une nouvelle référence du jazz portée par cet ancien élève de l’école de Marciac. On pourra préférer l’instrumentiste facétieux et tout aussi inventif en concert où son tempérament s’exprime avec sérieux, fougue, humour et folie.

Michel Antonelli
© Jazz Hot n°677, automne 2016


Hubert Dupont
Golan Al Joulan Vol. 1

Haifa la Nuit - Pt.1, Haifa la Nuit - Pt.2, Turquoise, Tust –Pt. 2, Morning Promise, Pass Pass
Hubert Dupont (b), Youssef Hbeisch (riq, bendir, derboukas, perc), Ahmad Al Khatib (oud), Zied Zouari (vln), Matthieu Donarier (cl)
Enregistré en octobre 2015, Fontenay-sous-Bois (94)

Durée: 46'
Ultrabolic 1004 (Musea)


Hubert Dupont a toujours su emprunter une voie particulière dans le jazz et ce dès son premier groupe de jeunesse, Kartet. La genèse de ce nouveau groupe et album remonte en 2013 quand Ahmad Al Khatib et Youssef Hbeisch invitent Hubert Dupont pour un concert à l’Institut du Monde Arabe, qui sera suivi par une tournée en Palestine, puis, en 2014, par des concerts en France et en Finlande. Les musiciens se présentent alors sous le nom du Trio Sabil. Dès le premier titre «Haifa la Nuit-Pt.1», l’horizon musical est révélé par l’introduction au oud d’Ahmad Al Katib; ce devrait être un voyage oriental, mais Zied Zouari, jeune tunisien (23 ans), introduit une certain changement à la tradition, percussions et ligne de basse maintiennent et illustrent le tempo qui donne une entière liberté au violoniste. La caravane poursuit son voyage au levant sur la seconde partie du même titre et ce sera Matthieu Donarier qui s’illustrera en particulier avant de laisser place aux percussions de Youssef Hbeisch. «Turquoise» rappelle qu’Hubert Dupont est un de nos contrebassistes de haut niveau et dans une introduction brève et claire invite la compagnie à se joindre à la mise en valeur de sa ligne mélodique développée en un long solo soutenu essentiellement par la derbouka. Cet album s’inscrit plus dans l’esprit du jazz que dans sa forme et nous charme par sa pureté et par l’entente et l’écoute commune de musiciens formés à différentes écoles. N’oublions surtout pas la flûtiste, Naïssam Jalal qui s’illustre sur le dernier morceau «Pass, Pass». L’album a été enregistré durant la manifestation Musiques au Comptoir, à Fontenay-sous-Bois, devant un public plus qu’attentif. La totalité des compositions est signée par Hubert Dupont qui a aussi réalisé le mixage, très équilibré, de l’album, pour son label et structure de production Ultrabolic, qui défend aussi de nombreux projets menés par cet artiste.

Michel Antonelli
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueItamar Borochov Quartet
Outset

Pain Song, Samsara, Bgida, Boston Love Affair, Ovadia, Opening, One For Uzi
Itamar Borochov (tp), Hagai Amir (as), Avri Borochov (b), Aviv Cohen (dm)
Enregistré en mai 2011, Tel Aviv (Israël)

Durée: 58’
RealBird Records (www.itamarborochov.com)



Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueItamar Borochov
Boomerang

Tangerines, Shimshon, Eastern Lullaby, Jones Street, Adon Olam, Jaffa Tune, Avri’s Tune, Ça va Bien, Wanderer Song, Prayer

Itamar Borochov (tp), Michael King (p), Avri Borochov (b, oud, voc, sazbush), Jay Sawyer (dm) + Ysraël Borochov (jumbush, voc)
Enregistré du 6 au 12 décembre 2015, Malakoff (92)

Durée: 52' 16''
Laborie Jazz 36 (Socadisc)


Plus de quatre ans séparent ces deux enregistrements lesquels confirment le talent de ce jeune trompettiste de 32 ans, originaire d’Israël, qui depuis 2007 vit à Brooklyn. Cet ancien élève de Junior Mance, Charles Tolliver et Cecil Bridgewater, a choisi de raconter son histoire qui relie Lower Manhattan à l’Afrique du Nord, l’Israël moderne (Jaffa, Tel Aviv) et l’antique Boukhara (mythique route de la soie). Son inspiration et son style viennent du hard bop mais revisité par de multiples influences puisées dans une enfance passée à Jaffa (ville judéo-chrétienne-musulmane) au sein d’une famille de musiciens où l’on écoutait Edith Piaf comme Weather Reaport. La musique sacrée juive, fondée sur les gammes arabes, a complété son initiation. Mais c’est sa confrontation à la scène new-yorkaise qui lui a amené l’aisance du propos et un professionnalisme tout américain. Les deux albums se partagent entre son inspiration traditionnelle – pour les titres «Samsara, Bgida» sur Outset et «Adon Olam», «Jaffa Tune» sur Boomerang–, et des titres bien marqués, tirés de sa confrontation urbaine américaine «Pain Song», «Boston Love Affair», mais aussi «Eastern Lullaby», «Jones Street», «Prayer» l’ensemble toujours joué dans une ligne bop moderne. Nul besoin de choisir un album plutôt que l’autre, tout est bon il n’y a rien à jeter. Son jeu parfois acrobatique révèle une maîtrise de vieux briscard et sait jouer avec mille nuances. La clarté du propos lui permet de n’user d’aucun artifice et sa sonorité très mate se distingue parmi celle de ses contemporains. On peut relever le talent de ses accompagnateurs, en particulier du pianiste Michael King. Itamar avait participé cet été à la nouvelle création du danois Lars Danielsson, European Sound Trend, y jouant un rôle principal de soliste. Le trompettiste sera en tournée en France en novembre 2016 avec à ses côtés l’excellent pianiste Shai Maestro. Décidément la scène jazz israélienne nous livre de nombreux talents.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueJohn Beasley
MONK'estra Vol. 1

John Beasley (p, elp, synth), Reggie Hamilton, Ricky Minor (b), Gary Nova (dm), Joey de Leon (perc), Bob Sheppard, Danny Janklow Justo Almario, TomLuer, Thomas Peterson, Jeff Driskill (anches), Wendell Kelly, Ryan Dragon, Eric Miller, Steve Hughes, Paul Young (tb), Bijon Watson, Jamie Hovorka , Brian Swartz, Gabriel Johnson, Mike Cottone (tp), Alex Budman (s),
Epistrophy, Skippy, Oska T, Monk’s Procession,’Round Midnight, Ask Me Now, Gallop’s Gallop, Little Rootie Tootie, Coming on the Hudson

Enregistré en 2015, Los Angeles, New York, Miami, Venice

Durée: 55’
Mac Avenue Mac 1113
(www.mackavenue.com) 


Encore du Monk! Mais dès les premières notes d’«Epistrophy» on sait qu’avec son big band est ses arrangements John Beasley a gagné son pari. C’est qu’il n’est pas le premier venu: à 56 ans il signe une carrière des plus intenses. Parmi ses collaborations on compte des arrangements et supervisions de séances d’enregistrement pour Miles Davis, Steely Dan, James Brown, Sergio Mendes, Freddie Hubbard ou encore Chick Corea… Il travaille aussi pour la télévision (Star Trek, Disney) et pour Hollywood, notamment Carmine Coppola pour Le Parrain III

En 2015, il réalise un vieux rêve, diriger un big band consacré à la musique de Thelonious Monk et signe ainsi son neuvième album personnel. Chaque titre revisité mérite un traitement spécial et aucun n’a jamais sonné de cette façon. Dès le premier morceau, l’introduction est fabuleuse et le soliste ici mis en valeur sera un vibraphone, plutôt rare chez Monk. Pour «Skippy», la bataille des cuivres ravage l’arrangement pour laisser place à un saxophoniste alto puis une trompettiste plus qu’inspirés. «Oska T» introduit par un son électronique et la voix de Monk himself, qui termine sur un «merci beaucoup», vole d’éclat sous un tempo de la contrebasse pour laisser place, une nouvelle fois, à un dialogue trompette – big band époustouflant. Chaque titre est une pépite à découvrir où les solistes nous émerveillent, il n’est pas précisé qui prend les solos mais on saluera tous les musiciens pour leur fougue et leur travail d’ensemble. John Beasley très discret ne manque pas de se mettre juste en valeur sur le solo de piano de «‘Round Midnight». Charlie Mingus n’aurait pas renié l’arrangement d’un long «Little Rootie Tootie» ou l’effervescence fait place à de subtiles mignardises pour mettre en valeur la section des saxophones. Un dernier double souhait, la suite par un second album et l’écoute prochaine en concert de cet orchestre lors d’une tournée en France
.

Michel Antonelli
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Jean-My Truong
Secret World

11 titres: détail sur le livret
Jean-My Truong (dm), Nicolas Calvet (voc), Sylvain Gontard (tp, flh), Leandro Aconcha (p), Pascal Sarton (b) + Neyveli Radhakrishna (vln), Dominique Di Piazza (b), Balakumar Paramalingam (Mridangam) + String Quartet
Enregistré à Meudon (78)
Durée: 54’ 35’’
ODL 171649 (www.jeanmytruong.com)

On connaît les qualités de batteur de Jean-My Truong: drumming fin, sobre, joli toucher des baguettes, élégance des cymbales, pulsation exemplaire, à l’écoute et au service du collectif et des solistes; toutes qualités qui servent ce Secret World qui manifeste une volonté d’abolir les frontières musicales Occident-Orient. Soit, mais les musiques d’Occident et d’Orient sont variées et multiples. Ceci posé, les intentions, les inspirations, et le résultat concret sont des choses aléatoires et pas toujours réalisables ou réalisées. Jean-My Truong s’est tourné vers les musiques indiennes et bengalis, avec la complicité de musiciens de ces régions. Le violoniste indien Radhakrishna, qui joua avec Ravi Shankar, est remarquable sur «Bengali Friend» et encore plus sur «Indian Journey» avec un formidable et diaboliquement virtuose solo de basse de Dominique Di Piazza, qui, on s’en souvient, joua avec John McLaughling; d’ailleurs le meilleur du disque est dans ces morceaux qui rappellent le fonctionnement du Mahavishnu Orchestra. Pour le reste on est dans une sorte de fusion années 70-80 avec un chanteur qui s’appuie sur de longues vocalises à l’unisson avec divers instrument sur des onomatopées majoritairement en ou. On retrouve la belle sonorité du trompettiste, qui produit un long et beau solo sur «A New Soul», très volubile comme dans toutes ses interventions ici. Autant j’avais apprécié «The Blue Light», un hommage particulièrement réussi à Miles Davis, autant on l’aura compris, je n’adhère que du bout de l’oreille à cette musique. Les compositions et les arrangements sont du leader. Dans l’ensemble le déroulement des morceaux est par trop semblable, et je trouve que le chanteur emmène trop les morceaux vers une sorte de world music, qui hélas affecte de plus en plus les musiciens de jazz. Ce qui n’entache pas la sincérité des musiciens de ce disque.

Serge Baudot
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Fred Nardin/Jon Boutellier Quartet
Watt's

Watt’s, Round Twenty Blues, The Gentleman is a Dope, Hope, Highlanders’s Walk, East of the Sun, Not so Cold, Yatchan, Stevie the Great, Chinoiserie
Fred Nardin, (p), Jon Boutellier (ts), Patrick Maradan (b), Romain Sarron (dm) + Cécile McLorin Salvant (voc), David Enhco (tp), Bastien Ballaz (tb)
Enregistré, les 28 et 29 juillet 2013, Meudon

Durée: 55’
Gaya Music Productions 023 (Socadisc)


Il se peut que parmi le «grand public» du jazz beaucoup ne connaissent pas vraiment Fred Nardin et Jon Boutellier. Auquel cas ce disque, Watt’s, est le bienvenu car loin des «recherches» de certains pour inventer ce qui serait un «nouveau» jazz, un «jazz du XXIe siècle», les deux compères et leurs partenaires jouent vraiment LE jazz. Celui qui remonte de ses racines, s’alimente des années 50-60, et poursuit sa route sans s’égarer en intégrant l’histoire et le moment présent. Les membres du quartet se connaissent parfaitement, chacun est attentif à l’autre et la formation nous  régale au long des thèmes, pour la plupart œuvres de trois membres du groupe: Nardin, Bouteiller et Maradan. Tout est équilibré, délicat, distillé pour le plaisir des sens. L’unité du disque n’empêche pas l’éventail d’atmosphères.
On se rend vite compte que Jon Bouteiller est un saxophoniste qui a travaillé à l’écoute de ses prédécesseurs et possède une maîtrise parfaite -de l’instrument c’est évident- mais aussi du jazz. Fred Nardin, qui n’a rien à lui envier, est brillant, avec un plus sur les tempi  lents. Un morceau joué en quartet est particulièrement beau: «Not so Cold» pour lequel  le piano disparaît au profit d’un Fender. Le batteur Romain Sarron est détenteur d’une connaissance de tous les styles et ça swing! Patrick Maradan offre deux thèmes rythmiquement différents mais restant dans l’esprit du disque. Pour les trois morceaux puisés dans le répertoire du jazz le quartet a fait appel à des invités. Cécile McLorin chante sur «The Gentleman is a Dope». On peine à croire qu’elle n’est pas la chanteuse permanente du groupe tant elle s’y intègre aisément. Je ne reviens pas sur ses qualités; Cécile fait aujourd’hui partie des grande voix du jazz. Elle récidive sur «East of the Sun». Dans les deux cas se joignent aussi à la formation la trompette de David Enhco et le trombone de Bastien Ballaz. Tous deux  donnent de l’éclat à l’ensemble et la chanteuse en profite aussi pour apporter de la puissance. Les deux instrumentistes sont aussi invités sur la «Chinoiserie» de Duke Ellington et s’en donnent à cœur joie.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueYves Peteers Gumbo
The Big Easy Revisited

My Gumbo’s Free, This Time, New Orleans by Dawn, Force of Nature. Part 1, Force of Nature. Part 2, Lighthouse, 24 Hours Later, Masquerade, No Hero, True Love Pie, Street Parade
Yves Peeters (dm), François Vaiana (voc), Bruce James (p, voc), Nicolas Kummert (ts), Dree Peremans (tb), Nicolas Thys (b, eb)
Enregistré en juin 2015, Bruxelles (Bruxelles)
Durée: 57’ 54’’
W.E.R.F.Records 136 (www.dewerfrecords.be)

Si vous vous êtes promené dans les rues de New Orleans, comme l’ont fait Yves Peeters et Pierre Vaiana, vous aimerez cet album qui goûte le jambalaya. La musique est celle d’aujourd’hui, là-bas: un mélange de marching bands, de  blues et de jazz, groovy, funky. «This Time», «True Love Pie» et «New Orleans by Dawn» sur lesquels apparait Bruce James (p, voc) illustrent parfaitement ce feeling du Delta. Son jeu de piano évoque Dr. John; sa voix: Joe Cocker.  Sur les autres plages, on épinglera le soin mis à l’écriture des lyrics par François Vaiana. Au chant, le fils de Pietro (ss, avec L’Ame des Poètes)  est plus réservé que l’américain (tessiture); on perçoit l’influence de David Linx («24 Hours Later»). «No Hero», écrit par Yves Peeters, arrangé par Dree Peremans , est un authentique gospel  qui se clôture par une belle fin chantée en choral (chorale aussi sur la fin de «Street Parade»).  La rythmique (b/eb-dm) est autoritaire, volubile, hallucinante; vaudou sur «Force of Nature. Part 2». Comment pourraient-ils se passer du feeling de Nicolas Thys à la basse électrique sur le gospel «No Hero», sur «Street Parade», «My Gumbo’s Free» et ailleurs? Les solistes – Nicolas Kummert (ts, «Force of Nature. Part 1») et Dree Peremans (tb) – impriment une étiquette plus jazz, plus contemporaine. Ne jetez pas cette carte postale avec un parfum de Bourbon! Il est permis de danser!

Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Teodora Enache-Aisha & Theodosii Spassov
Incantations

Romanian Dance No. 4, Dance in Bulgarian Rhythm 2, Romanian Dance No. 2, Romanian Dance No. 3, Dance in Bulgarian Rhythm 1, Romanian Dance No. 1, Dances in Bulgarian Rhythm 4 and 5, Romanian Dances No. 5 and 6

Teodoara Enache-Aisha (voc), Theodosii Spassov (kaval), Miroslav Turiyski (key), Attila Antal (b), Oleksandr Beregovsky (perc)
Enregistré entre juin et septembre 2015, Cluj-Napoca (Roumanie)

Durée: 43’ 07’’
E-Media/Autoproduit (http://teodora.arts.ro)


Pour ceux qui ont vu chanter Teodora Enache en France, en club, ce disque sera une découverte, une surprise, car le jazz n’y a qu’une place accessoire –une couleur– loin de ce que nos oreilles l’ont entendu produire au sein de formations de jazz, et elle a en effet côtoyé beaucoup de musiciens de jazz: Stanley Jordan, Eric Legnini, Billy Cobham, Johnny Raducanu…
La découverte s’explique par l’absence et l’ignorance, car depuis ses rares passages en France, l’élégante chanteuse a fait beaucoup de chemin, aux Etats-Unis, dans sa vie et dans sa carrière en général, et cela l’a conduit, comme souvent pour les artistes, à une redécouverte et un approfondissement de ses racines, de ce qui a été à la base de sa culture, musicale entre autres dimensions. Cet enregistrement se place dans un cycle de redécouverte des racines, dont c’est le quatrième volet, précédés par plusieurs autres depuis 2002 (Back to My Roots, Shorashim, Doina…).
Teodora est roumaine, et si le jazz a son histoire en Roumanie (Jazz Hot a eu un correspondant roumain dès 1935), c’est aussi un pays riche de plusieurs traditions musicales, un carrefour historique entre l’Orient et l’Occident, où musiques traditionnelles (juive, tzigane, traditionnelles, orientales…) et musiques savantes, locales ou d’importation, classique et jazz, s’entremêlent dans un écheveau inextricable. Parmi les musiciens roumains, eux-mêmes de toutes les sensibilités, on trouve souvent des virtuoses, des savants, car la musique est la vie, en Roumanie aussi.
Teodora Enache (Jazz Hot n°587) livre ici un hommage à Béla Bartók (1881-1945), né en Roumanie au temps de l’Empire austro-hongrois, compositeur qui a exploité avec autant de conviction que d’assiduité le grand répertoire des musiques populaires. Teodora a réuni pour cet enregistrement une formation où l’instrumentation traditionnelle –notamment la magnifique flûte traditionnelle (kaval) de Theodosii Spassov, coleader de cet enregistrement– mais aussi la conception des percussions contribuent à un climat très nettement oriental. Tous les thèmes sont inspirés de
Béla Bartók. C’est ainsi que sont ici reprises et réarrangées les «Danses roumaines» et «Danses en rythme bulgare» du pionnier de l’ethnomusicologie. Dans le livret, la chanteuse exprime son attachement à l’œuvre de Bartók. Teodora ne jazzifie pas Bartók, elle prolonge simplement sa recherche de racines, à travers une inspiration majeure, Bartók, en y intégrant une couleur jazz par moment qui fait aussi partie de sa formation, de ce qu’elle est. Mais la tonalité générale de l’album, une belle musique, reste orientale, populaire et traditionnelle, proche finalement de ce que désirait la chanteuse roumaine, une musique mêlant de nombreuses influences mais faisant d’abord référence aux racines roumaines. Sa voix cristalline, acrobatique, envoûtante, et son mariage avec la flûte traditionnelle de Theodosii Spassov, donne chair à un projet honnête, une sorte d’autoportrait de ce qui a constitué, produit Teodora Enache. La conviction de la voix de la chanteuse ne trompe pas. Ce n’est un disque de jazz mais c'est un beau voyage…
rôme Partage
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Harold Mabern
Afro Blue

The Chief*, Afro Blue (Gregory Porter)*°, The Man From Hyde Park (Gregory Porter), Fools Rush In (Norah Jones)*°, Don't Misunderstand (Norah Jones), I'll Take Romance (Jane Monheit)*, My One and Only Love (Jane Monheit), Billie's Bounce (Kurt Elling)*, Portrait of Jennie (Kurt Elling), You Needed Me (Kurt Elling), Such Is Life (Alexis Cole)*°, Do It Again (Peter Bernstein), Mozzin', Bobby/Benny/Jymie/Lee/Bu
Harold Mabern (p), Jeremy Pelt (tp)*, Eric Alexander (ts), Steve Turre (tb)°, John Webber (b), Joe Farnsworth (dm) + selon les thèmes : Gregory Porter, Norah Jones, Jane Monheit, Kurt Elling, Alexis Cole(voc), Peter Bernstein (g)
Enregistré les 21 et 29 août 2014, New York

Durée : 1h 09' 32''
Smoke Sessions Records-1503 (http://smokesessionsrecords.com)


Harold Mabern, c’est la générosité sur scène et hors scène; c’est aussi la modestie. Ajouté à ses qualités artistiques de pianiste d’exception, leader autant qu’accompagnateur, dans la lignée esthétique de la grande tradition du piano jazz, de la famille esthétique de McCoy Tyner, cela donne un artiste archétypique du jazz de culture; celui qui ne se récite pas, mais celui qui se vit, pas seulement dans le contenu musical proprement dit, mais au quotidien, dans tous les instants. Quand il joue tout est donc naturellement du jazz, c’est son langage.

On le retrouve ici dans une formation qui évoque les Jazz Messengers d’Art Blakey (tp, ts, tb, p, b, dm), mais dans une formule proposant des rencontres, de différents chanteurs, pour 10 des 14 thèmes, plus 1 en ouverture en quintet (« The Chief ») dédié à John Coltrane, dont c’était un surnom, 2 thèmes en trio en final qui relèvent pour le premier de l’univers tynérien-coltranien (« Mozzin »), et pour le dernier de celui plus funky des Messengers auxquels il est dédié («Bobby, Benny, Jymie, Lee, Bu», soit Bobby Timmons, Benny Golson, Jymie Merritt, Lee Morgan et Buhaina Art Blakey, «Bu» pour les intimes).

Pour la partie consacrée aux chanteurs/ses, aux côtés d’un bel orchestre, et d’un pianiste d’une élégance et d’une écoute exceptionnelle, on retrouve avec plaisir un excellent Gregory Porter, qui possède tous les arguments pour se mettre au niveau spirituel de cet ensemble, comme le «versatile» Kurt Elling, à sa manière, d’abord dans le registre d’Eddie Jefferson puis dans une manière, plus pop, puis plus soul, pour un thème sortant du champ esthétique de ce disque («You Needed Me»), Kurt Elling, dont on connaît l’excellent esprit, la grande culture et les qualités de dynamisme, pour trois thèmes   avec un leader qui se met au diapason des variations esthétiques (Harold colore son jeu et sa formation en fonction des thèmes).
Côté chanteuse, on apprécie l’intervention de Jane Monheit, qui possède une réelle profondeur, et profite pleinement, avec autant de métier que d’esprit, de cette belle rencontre avec des musiciens de haut niveau, dont elle partage l’esthétique, Harold Mabern en particulier. Alexis Cole intervient aussi sobrement, sur un beau thème écrit par Harold Mabern. Reste la rencontre, problématique pour nous dans ce disque, de Norah Jones, personnalité qui relève d’un autre monde, du show business, et pas à la façon d’un Sinatra qui pouvait s’intégrer n’importe où, mais à la façon d’une personne dont l’expression reste artificielle et superficielle, malgré le cadeau que lui fait Harold Mabern d’un duo piano-voix; et malgré ses commentaires.
En guise de notes de livrets, Harold Mabern donne une interview à Damon Smith et commente ce disque, d’ailleurs agréablement pour l’auditeur, les thèmes et les protagonistes, et a un commentaire élogieux et parfois précis pour chacun d’eux.
Dans ce disque, aussi varié qu’une soirée d’anniversaire, il faut encore signaler la présence de Steve Turre (4 thèmes), Jeremy Pelt (6 thèmes), venus compléter, sans se forcer, l’habituel combo d’Harold Mabern (Eric Alexander, John Webber, Joe Farnsworth), et un autre invité sur un thème («Do It Again»), l’excellent Peter Bernstein, qui ne s’est pas non plus fait prier pour faire partie de cette scène new-yorkaise très active.

Car Harold Mabern, c’est aussi la joie de jouer, de faire de la musique, et son entrain, son drive sont de ceux qui électrisent les musiciens de jazz, et ça se ressent pour l’auditeur, les deux dernières pièces étant, à notre avis, la nougatine la plus appréciable de cette pièce montée
.

Yves Sportis
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Steve Turre
Spiritman

Bu, Lover Man, Funky Thing, Trayvon's Blues, It's Too Late Now, With a Song in My Heart, ’S Wonderful, Peace, Nangadef,* Spiritman-All Blues
Steve Turre (tb), Bruce Williams (as, ss), Xavier Davis (p), Gerald Cannon (b), Willie Jones III (dm), Chembo Corniel (congas)*
Enregistré le 1er juin 2014, New York

Durée: 1h 09’ 55”
Smoke Sessions Records 1502 (http://smokesessionsrecords.com)


De toute la série récente des disques de ce label new-yorkais qui propose des enregistrements toujours très intéressants d’un jazz de culture, le plus souvent enraciné dans l’héritage du bebop-hard bop, celui des Messengers, d’Horace Silver, voire coltranien, cet opus de Steve Turre est parmi les plus intéressants. Steve Turre (Jazz Hot n°604) aime toujours le jazz comme s’il avait 20 ans, et il conserve dans son jeu très élaboré le feu et l’enthousiasme de son jeune âge. On retrouve ici en ouverture, comme dans le disque d’Harold Mabern sur le même label, un hommage à Art Blakey («Bu»), figure essentielle de la biographie de Steve Ture, aux côtés de Woody Shaw et Roland Kirk. C’est Art Blakey, que lui présenta Woody Shaw, qui emporta à New York, dans ses valises, lors d’un passage à San Francisco, le jeune tromboniste en l’intégrant sur le champ à ses Messengers, comme il le raconte dans les notes de livret, et Steve Turre confie qu’il n’a pas peur de swinguer, car il sait que c’est le fondement du jazz.
Ici, le tromboniste revient à son jeu virtuose de trombone, et s’il parle de Curtis Fuller dans le livret, on ne peut s’empêcher de penser aussi à J. J. Johnson par sa manière sur les ballades («It’s Too Late Now»). Bien sûr, les tempos enlevés et les ensembles évoquent aussi l’univers d’Art Blakey-Horace Silver, et donc Curtis Fuller. Cela dit car Steve Turre connaît ses racines, mais il est par lui-même un formidable instrumentiste, original autant par certaines atmosphères, par l’utilisation des conques et d’effets très expressifs, que par un drive qui le rapproche de son maître Blakey.

A propos de batteur, il y en a un formidable, Willie Jones III, qui en dehors d’avoir fait la couverture de Jazz Hot n°669, dirige aussi un label, et joue ici avec ses qualités de finesse et d’énergie qui le rendent essentiel pour le jazz aujourd’hui. Le reste de la formation est également excellent, avec les brillants Bruce Williams, Xavier Davis et Gerald Cannon, et comme le répertoire, mêlant beaux standards et originaux, a été parfaitement choisi et construit, cela donne un de ces disques qu’on peut passer sans s’en lasser pour écouter toute la richesse musicale, des arrangements, des instrumentistes, les chorus que chacun délivre sans faiblesse.
Le «Lover Man» sur tempo rapide est très beau, Bruce Williams parkérien comme il se doit; le swing et le blues, parfois funky («Funky Thing»), ont toujours la part belle tout au long de cet enregistrement; il y a un bel hommage à Horace Silver («Peace») qui venait de disparaître au moment de l’enregistrement, où Bruce Williams expose le thème avec le beau contrechant du trombone, avant de s’adjuger un beau chorus, et le dernier thème, «All Blues» de Miles Davis, introduit par «Spiritman» de Turre, est une pure merveille, les conques rappellent en effet l’univers de Roland Kirk. Un beau thème est dédié à Trayvon Martin («Trayvon»), l’adolescent abattu en 2012. Gershwin Bros. (’S Wonderful») sont présents pour un thème, de même que Rodgers & Hart («With a Song in My Hart») pour un magnifique up-tempo où brille particulièrement Willie Jones III. «Nangadef» associe un percussionniste, Chembo Corniel,  et le résultat n’en est que meilleur, avec de beaux chorus et une couleur latine en sus.

Tout semble très naturel, très enraciné dans cette musique, savant sans étalage, et c’est pourquoi on parle d’un jazz de culture, celui pour lequel on ne se pose pas la question de savoir si ça swingue, si le blues est présent, si l’expression est au rendez-vous, car ce jazz  à de fertiles racines, et il se sent et se vi
t de l’intérieur autant pour les musiciens que pour l’auditeur.

Yves Sportis
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Jean-Loup Longnon
L'Ours

L'Ours, conte symphonique pour quintette de cuivres et orchestre (1), La Grèce en Automne (2)
(1) Concert Arban : Thierry Caens, Jean-Paul Leroy (tp, fgh), Eric Vernier (h), Yves Favre (tb), Michel Godard (tu) & Orchestre Symphonique Ephémère direction Dominique Rouits : Philippe Slominski, Patrick Fabert, François Chassagnite (tp), François Lemonnier, Jean-Louis Pommier, Denis Leloup (tb), Patrice Petit-Didier (h), Vincent Guyot, Philippe Leloup, Rémy Duplouy (cl), Sylvie Dambrine, Bernard Labiausse, Daniel Martinez, Georges Alirol, Nicole Libraire (fl), Christian Moreau, Gérard Gaudillère (ob), Jean-Claude Montac, Jean-Paul David, Philippe Grech (bsn), strings, Laurence Cabel (hp), Philippe Legris (tu), Emmanuel Roche (tymp), Bertrand Maillot, Didier Sutton, Franck Tortiller (perc) ; (2) Sinfonietta Ephémère direction Jean-Loup Longnon : Jacques Peillon (h), Sylvie Dambrine, Gérard Auger (fl), Rémy Duplouy (cl), Vincent Friberg (ob), Jean-Pierre Gayet (bsn), Nathalie Prouteau (hp), Yvon Kerouanton (celesta), strings, Philippe Macé (tymp), Didier Sutton (perc)

Enregistré (1) décembre 1984, Paris; (2) novembre 1992

Durée: 37' 46''

JLLBB2016 (UVM Distribution)


Il ne s'agit pas là du Jean-Loup Longnon trompettiste, mais du compositeur. «La Grèce en Automne» (4' 39'') est une bonus track(extraite de l'album Cyclades). L'évènement est la réédition de L'Ours, conte symphonique, dédié à Henri Dutilleux (37' 02''). L'Ours (éditions Robert Martin) est une commande de Thierry Caens. Depuis toujours les jazzmen sont fascinés par la «musique classique» (Louis Armstrong vouait une admiration pour Tchaikovsky) : «durant trois ans, la composition de cette pièce avait représenté pour moi, échappant au jazz, l'occasion unique de revenir vers l'indispensable musique "classique", celle ayant imprégné mon enfance et que, d'année en année, je chérissais davantage» (Jean-Loup Longnon). Il se trouve que j'ai participé comme troisième trompette à la création de cette œuvre à Dijon le 12 août 1982 au sein de l'Orchestre Symphonique de l'Académie d'Eté dirigé par Roger Toulet. Il y avait aussi Charles Loerher (tp1), Claude Bonnet (tp2), Joël Vaïsse (tb1), Philippe Renault (tb2), Eric Vernier (h), Marc Dullion (cl1), Martine Cappozzo (fl1). Le Concert Arban, quintette de cuivres, comprenait à cette date Camille Leroy (h) et Gérard Buquet (tu). Il s'agissait d'une première version et je me souviens de la fébrilité de Jean-Loup Longnon, anxieux de savoir si tel passage de violon ou autre est difficile ou non. Ce fut pour nous un étonnement, un ravissement, mais aussi beaucoup de travail. Jean-Loup Longnon a révisé le score pour la forme définitive enregistrée ici (1984) au célèbre studio Davout avec des musiciens bénévoles. Il avait, à juste raison, peur que ce travail connaisse l'oubli après la création ce qui est le lot des "d'œuvres" modernes commandées pour des congrès, colloques, conférences et autres manifestations commises "entre musiciens".
L'autre obstacle est que L'Ours s'écoute sans déplaisir, enfantée à une époque où régnait le terrorisme avant-gardiste des adeptes du sériel qui condamnaient à l'ombre les tenants d'un degré de mélodie et rythme comme Jolivet, Tomasi, Dutilleux, etc. Ces résistants ont gagné, les compositeurs actuels reviennent au sens mélodique et rythmique. L'ombre redevient lumière et l'œuvre symphonique de Jean-Loup Longnon a légitimement droit à une nouvelle vie! Voici L'Ours remixé et remasterisé. Bien sûr, le rôle de l'ours est tenu par le tuba (Michel Godard). C'est lui qui introduit le 1ermouvement, relayé par le quintette de cuivres en fanfare. On notera la belle phrase mélodique du cor (Eric Vernier) reprise par les trompettes. L'entrée de l'orchestre avec la partie de harpe évoque Ravel plus que le développement qui suit (cordes de caractère romantique). Fôret, clairière sont l'argument pour d'intrigantes parties de hautbois, basson, clarinette. Les cuivres se signalent dans la troisième partie du 1er mouvement avec même un solo de bugle (Jean-Paul Leroy, je crois me souvenir) qui l'espace d'un moment swingue. Le tuba ouvre le 2e mouvement. La flûte est sollicitée dans ce nocturne. Percussions et cuivres ouvrent le 3e mouvement de façon virile et rythmique. Jean-Loup Longnon a complété l'œuvre par des variations autour de la note mi et par un mouvement «souvenirs,…, apaisement». La bonus track s'inscrit dans la même esthétique. Longue vie à L'Ours
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Michel Laplace
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Buddy Bolden Legacy Band
Back and Forth The King's Fath

Makin' Runs, Make Me a Pallet On Your Floor, High Society Rag, Down By The Riverside, Jelly Roll Blues, My Bucket Got a Hole in It, Buddy's Habits, Careless Love, Buddy Bolden Stomp, Turkey in The Straw-St James Infirmary, Creole Song-If You Don't Shake It You Don't Get no Cake, Basin Street Blues, Buddy Bolden Blues, Get Out of Here*
Fabrizio Cattaneo (tp), Luca Begonia (tb), Marcello Noia (cl), Stefano Guazzo (ss, cl), Roberto Colombo (g), Egidio Colombo (bj), Alberto Malnati (b, voc), Robert Lopez (dm), Elena Ventura (voc)

Enregistré les 23 janvier* et 12 juillet 2015, Varese (Italie)

Durée: 1h 03' 25''

Riserva Sonora 2015/08 (www.riservasonora.com)


Alberto Malnati, musicien d'obédience "moderne" longtemps imperméable au "jazz traditionnel", qui eut l'occasion de jouer avec Plas Johnson et Jesse Davis, n'est tombé sous le charme du feeling néo-orléanais qu'à partir de sa première visite à la Cité du Croissant (1992). Dans le livret il précise:
«I don't know if this record should be defined as Dixieland, or New Orleans revival or New Orleans today's style, I call it JAZZ». En fait, la majorité des titres sonnent «dixieland» principalement du fait du soprano de Stefano Guazzo (préférable à la clarinette qu'il joue rarement). Le programme est assez recherché et détaillé dans le livret (des points sont discutables). Comme le Bechet-Spanier Quartet de 1940, il y a des titres selon cette formule (tp, ss, g, b) qui ne sont pas les moins intéressants: «Make Me A Pallet on Your Floor», «Jelly Roll Blues», «My Bucket Got A Hole In It», «Creole Song», «Basin Street Blues» et «Buddy Bolden Blues» dans lesquels Fabrizio Cattaneo confirme ses qualités de trompettiste issu de la lignée Armstrong. Alberto Malnati est bon bassiste qui sait manier l'archet («Turkey in the Straw»), mais quel fâcheux chanteur! Elena Ventura est préférable dans ce bon «Careless Love». En formation complète (batteur un peu raide), en plus de Cattaneo, on peut apprécier le talent de Luca Begonia (tb) notamment dans «Makin' Runs» de Bunk Johnson, «High Society» et «Buddy's Habits». Belle coda de Fabrizio Cattaneo dans «St James Infirmary». Sympathique, sans plus.

Michel Laplace
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueDominick Farinacci
Short Stories

Bamboleo, Senor Blues, Soldier's Things, Doha Blues, Sunshine Of Your Love, Tango, Somebody That I Used to Know, Afternoon In Puebla, Black Coffee, Parlour Song
Dominick Farinacci (tp, fgh, arr), Mark Mauldin (tb), Heidi Ruby-Kushious, Brianne Sharkey (fl), Thomas Reed (bcl), Larry Goldings (p, org, celesta), Gabe Bolkosky (vln), Leah Ferguson (vla), Sawyer Thomson (cello), Gil Goldstein (accn, arr), Dean Parks (g), Christian McBride (b), Steve Gadd (dm), Jamey Haddad (perc), Jacob Collier (voc, instr. électroniques), Mike Massy (voc)

Enregistré à Cleveland, date d’enregistrement non précisée

Durée : 55' 04''

Mack Avenue 1112 (www.mackavenue.com)

Dominick Farinacci (né en 1983) nous a été présenté par Wynton Marsalis en 2000 en compagnie de Brandon Lee et Troy Andrews. Ce dernier est le seul à être devenu une star, ce qui n'implique pas une absence de talent chez les deux autres. Farinacci avait déjà neufs albums à son actif avant de signer avec le label Mack Avenue dont voici le premier produit. Il y a trois titres qui, jazzistiquement, dominent: «Bamboleo», un blues low down lent comme le titre ne le laisse pas supposer, où il y a un stop chorus de trompette de grande classe, le langoureux «Black Coffee» (avec sourdine wa-wa) et le funky «Sunshine of Your Love», sur fond d'orgue avec d'excellents solos de Dean Parks (g) et Christian McBride (b), où le leader a quelques inflexions à la Miles Davis (comme dans «Somebody That I Used to Know», avec effets électroniques pour évoquer le Miles dernière manière). L'album se veut par ailleurs très varié, voir mondialiste (très tendance donc). Avec cordes et accordéon, le bien nommé «Tango» est finalement de la variété... de luxe, mais quel superbe son de trompette! Dans «Doha Blues», signé Farinacci, où l'on trouvera un solo de Steve Gadd, Mike Massy donne au début un climat "arabisant", mais le résultat n'a rien à voir avec Ibrahim Maalouf (dont le timbre est arabe) grâce à Dominick Farinacci qui s'exprime avec le lyrisme de Wynton Marsalis. Le seul reproche que l'on puisse faire à ce trompettiste très qualifié c'est d'être trop proche de Wynton Marsalis (en dehors des clins d'œil à Miles cités): «Soldier's Things» le démontre, non seulement le timbre de son est le même, mais aussi les inflexions. Larry Goldings est excellent dans «Afternoon in Puebla»; sa composition «Parlour Song» est aussi adorable que courte. Les cordes quand elles sont là, le sont très discrètement. Bref, dans le contexte d'aujourd'hui du tout et n'importe quoi, c'est là un très bon disque.

Michel Laplace
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Sam Coombes Trio
Pace of Change

Perpetual e-motion, Contagion, In the interstice, Mondeville juillet 2013, Interfacing you, Altered asymmetries, Fault lines, Go re-configure, Pace of change, perpetual e-motion (alternate take)
Sam Coombes (as, ss), Yoni Zelnick (b), Julien Charlet (dm)
Enregistré le 5 décembre 2013 et le 7 janvier 2014, Paris
Durée: 58'36''
Pol-e-Math Recordings SCPR01 (Socadisc)


Un saxophone (alto ou soprano) une contrebasse, une batterie, voilà bien la forme de trio la plus audacieuse et la plus exigeante. Si le choix délibéré et le mélange de métriques impaires ne facilitent pas la perception du swing, en revanche, ceux-ci subliment celle du groove, omniprésent. Très dynamique, la section rythmique donne le tournis à l'auditeur et des ailes au soliste. Servie par des virtuoses de leur instrument et, affranchie de tous les codes habituels, cette musique riche, pleine de surprises et de ruptures ne manque ni d'originalité, ni d'énergie. Complexe, elle exige toutefois une écoute très attentive pour être appréciée à sa juste valeur.

Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°676, été 2016

Charlie Parker
Intégrale. Volumes 7 à 11

Intégrale Vol. 7, Just Friends, 1949-1950
Intégrale Vol. 8, Laura, 1950
Intégrale Vol. 9, My Little Suede Shoes, 1950-1951
Intégrale Vol. 10, Back Home Blues, 1951-1952
Intégrale Vol. 11, This Time The Dream’s on Me, 1952
5 coffrets de 3 CDs avec livrets et discographies détaillés par Alain Tercinet
Enregistrés de 1949 à 1952
Durée: environ 18h d’enregistrement
Frémeaux & Associés 1337-1338-1339-1340-1341

La maison Frémeaux, avec le concours d’Alain Tercinet à la plume et à l’érudition, poursuit avec talent et conviction cette intégrale essentielle, et on s’en réjouit, bien qu’elle précise toujours avec modestie les limites de l’exercice. Il est en effet très étonnant de constater que Charlie Parker, mort à 35 ans, a laissé une telle profusion d’enregistrements, qu’ils soient officiels, pirates ou quasiment clandestins. Quelle que soit la qualité sonore, toute note de Charlie Parker, comme on peut le dire de Louis Armstrong, est précieuse. Autre paradoxe d’ailleurs, car si Louis Armstrong les distillaient avec une économie certaine, l’art de Charlie Parker plonge ses racines esthétiques dans la profusion tatumesque, autant dire qu’il remplit l’espace et que les silences sont rares, l’intensité trouvant curieusement son compte dans la profusion de l’un et l’économie de l’autre, le mystère et la diversité du génie.
Dans le septième coffret, on débute par les concerts au Carnegie Hall, placés toujours sous l’égide du blues. Le constat est fait dans ce cadre, dès 1949, qu’il n’y a aucune rupture et révolution, puisque se côtoient les générations fondatrices et nouvelles (de Lester Young à Charlie Parker), sans aucun hiatus, le langage est celui d’un jazz hot où le swing, le blues sont les maîtres mots, même si le grand enfant provocateur, Charlie, affirmait le contraire comme le raconte Alain Tercinet. L’ajout que Lester ne l’avait pas influencé, relaté par Tercinet, étant sans doute l’habituel petit jeu avec la critique de dire le contraire de ce qu’on pense pour alimenter une provocation dont les racines sont particulières au monde afro-américain. Ce type de relation avec les médias, plus attentif au sensationnel qu’à l’essentiel, ne s’arrêtera pas là. Nous, oui. Parlons plutôt de ces quatre premiers thèmes qui ont l’avantage de nous présenter des enregistrements longs où le blues est roi, comme toujours chez Parker, et bien entendu les Lester, Roy Eldridge, Buddy Rich, Flip Phillips, et les jeunes Ray Brown et Hank Jones ne s’en laissent pas conter. C’est splendide!
On passe ensuite à ce qui fera polémique pour les amateurs de jazz tant qu’il y en aura… Le jazz est-il compatible avec les violons? Ce n’est pas une question de système ou de technique, mais de personne. Charlie n’est d’ailleurs pas le premier à l’avoir tenté, et il ne sera pas le dernier. On ne reprendra pas la polémique, et on répondra oui, quand le musicien s’appelle Charlie Parker (ou Ben Webster, ou Wynton Marsalis…), mais il n’est pas donné à tous les musiciens de pouvoir survoler des cordes, magnifiquement arrangées ici, avec beaucoup d’intelligence. C’est parfois aussi une question de moment ou de production. Charlie Parker a cette liberté extraordinaire de ne pas altérer son discours, et de savoir imposer son discours avec un lyrisme serein, pour cette fois, mais aussi avec la maestria du soliste d’exception, qualité qui en impose à tous, musiciens classiques en particulier. C’est sans nul doute un chef-d’œuvre de l’histoire de la musique tout court. Parce que Charlie Parker est sans doute un génie naturel, comme Django, de l’histoire de la musique, et qu’il s’impose à tous les langages. Son «Summertime» est digne de celui de Sidney Bechet qui a en a fait une autre merveille de l’humanité dès 1939 – avec Meade Lux Lewis (p) Teddy Bunn (g) Johnny Williams (b) Sidney Catlett (dm) et en 1947 avec James P. Johnson (p) Danny Barker (g) George Pops Foster (b) Warren Baby Dodds (dm). Années des Dieux donc! Ceux du jazz, en l’occurrence. Mais ce disque avec cordes est dans son ensemble un bonheur absolu, un événement musical. Le problème avec Charlie Parker, c’est que le reste de ce coffret est aussi essentiel, et toujours à cause de lui, même s’il est toujours bien entouré dans les petites formations, de jeunes (Roy Haynes, Art Blakey, Red Rodney…) ou moins jeunes (Bud Powell, Fats Navarro, Al Haig…). Il faut aussi remarquer ses thèmes: «Ornithology», «Cheryl», et malgré l’avalanche de notes, tout est mélodieux, clair, intense, parfait!… età base de blues qu’il grave sur mille facettes comme un diamantaire. Sur le blues, Charlie Parker semble inépuisable, et il se permet de citer l’introduction de Louis Armstrong de «West and Blues» dans le cours de son chorus, histoire de provoquer sans doute… ou de rappeler à quel monde il appartient pour ceux qui ont des oreilles. Le jeune Red Rodney est un sacré musicien pour suivre le torrent sur «Koko». Le lyrisme à la Lester reprend parfois le dessus, mais les idées de Charlie se bousculent, et sa façon de les exploiter impose un discours plus foisonnant et débridé que celui de son aîné.
Pour la suite, avec Fats Navarro, un autre extra-terrestre, de la trompette, le métronome est définitivement mis de côté. Conserver, comme Tatum, un tel sens de la mélodie, sur un tel tempo, avec un tel débit, relève de la prouesse mais aussi du génie musical. Fats Navarro ne refuse pas le challenge, et il ne faut pas moins que Bud Powell, Curley Russell et Art Blakey pour suivre ce train d’enfer sans lasser. L’un des facteurs qui rend cette musique si spéciale est aussi l’intensité. Les grandes voix du jazz, de Louis à Hawkins, en passant par Duke, Basie, Ella, Billie, Bessie, Mahalia, Lester, Benny Carter, Bud Powell, Dizzy, Monk, Mingus, Coltrane, ont en commun cette sur-intensité qui attire tous les publics, même profanes.
En ce début des années cinquante, Parker alterne donc entre la formation avec Fats Navarro, Bud Powell, Blakey et celle avec Al Haig, Red Rodney et Roy Haynes et, égal à lui-même, il exploite un répertoire assez balisé de ses compositions, celles de Thelonious Monk ou les standards. Du grand art!

Yves Sportis
© Jazz Hot n°676, été 2016

Lorenzo Di Maio
Black Rainbow

Back Home, Détachement, No Other Way, Black Rainbow, Lonesome Traveler, September Song, Inner Peace, Open D, Santo Spirito
Lorenzo Di Maio (g), Jean-Paul Estiévenart (tp), Nicola Andrioli (p, key), Cédric Raymond (b), Antoine Pierre (dm)

Enregistré en Novembre 2015, Bruxelles

Durée: 55' 47''

Igloo Records 273 (Socadisc)


Né dans une famille de musiciens, Lorenzo Di Maio a choisi la guitare à l’âge de 15 ans. Il a suivi des cours avec presque tous les guitaristes qui font autorité en Belgique: Paolo Loveri, Paolo Radoni, Jacques Pirotton, Peter Hertmans… En 2009, diplômé du Conservatoire de Bruxelles, remarqué par ses pairs, il joue aussi bien du dixieland avec ses oncles(Jo et Santo Scinta) que de la soul avec Laurent Doumont (ts, voc). Initialement influencé par Aaron Parks, John Scofield et Pat Metheny («Open D»), son jeu s’est enrichi au contact des musiciens de sa génération. C’est avec Fabrice Alleman (cl, sax) et le groupe 4in1 de Jean-Paul Estiévenart (tp) qu’il se fit particulièrement remarquer. Black Rainbow est le premier disque à son nom; il y signe toutes les compositions. Elles sont le reflet de ses acquis. Alors qu’on s’imaginait découvrir neuf plages énergiques, le guitariste dévoile une sensibilité pour les harmonies délicates (solo de guitare sèche en coda de «Santo Spirito»)et un feeling tout en couleurs et nuances («Black Rainbow», «Lonesome Traveler»). Les mélodies sont agréables et structurées rigoureusement («September Song»). Les sidemen, attentifs aux riches arrangements, fusionnent dans l’écriture du leader, y puisant leur propre force créative. Ils sont tous majestueuxen solos ! Nicola Andrioli (p/«Detachement» & «September Song») et Jean-Paul Estiévenart (tp/«No Other Way», «Lonesome Traveler») occupent des places de choix. Mention spéciale aussi pour les ponctuations originales d’Antoine Pierre (dm) à la cymbale cloutée («Lonesome Traveler») et les solos dans «September Song» et «Santo Spirito». Outre le fait qu’on découvre un nouveau et séduisant compositeur-arrangeur, le plus remarquable: c’est que nous sommes à l’écoute d’un travail de groupe. Ecoutez, par exemple: l’accompagnement du guitariste (plusieurs guitares) sur le solo de basse de «Black Rainbow»; l’exposé et les questions-réponses trompette/guitare de «Santo Spirito». Ce quintet est la réunion de ce qui se joue le mieux à Bruxelles aujourd’hui. Notez bien leurs noms, vous allez les retrouver un peu partout, individuellement ou en groupe, de New York à Tokyo, de Reykjavik à Cape Town dans les années qui suivent… Parce qu’ils le valent bien!

Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°676, été 2016

Sylvia Howard
Sings Duke Ellington with the Black Label Swingtet and Friends

It Don’t Mean a Thing*, Sophisticated Lady°*, I’m Beginning to See the Light*, Perdido, Rocks in My Bed, Love You Madly°, In a Sentimental Mood, Don’t Get Around Much Anymore, Duke’s Place**, Come Sunday, Just Squeeze Me, Caravan**
Sylvia Howard (voc), Christian Bonnet, Antoine Chaudron (ts), Georges Dersy (tp), Jean-Sylvain Bourgenot (tb), Jacques Carquillat (p), Jean de Parseval (b), André Crudo (dm) + Claude Carrière° (p), Jean-Jacques Taïb* (cl), Didier Vétillard** (ss)
Enregistré en 2014, Ermont (95)
Durée: 52’ 06’’
Black & Blue 797.2 (Socadisc)


Paris possède peu de chanteuses de la trempe de Sylvia Howard. Il est d’autant plus dommage qu’on l’entende si peu en club et qu’elle n’en soit, à ce stade de sa carrière, qu’à son deuxième disque sous son nom (après Now or Never, Black & Blue, 2012), toujours accompagnée par le Black Label Swingtet de Christian Bonnet. Mais les personnages comme Sylvia, aussi talentueux que fantasques, ont des natures mal adaptées à notre époque normative qui a laissé les professionnels de la culture et du showbiz prendre le pas sur les grands producteurs à l’oreille avertie. On sait donc gré à Christian Bonnet d’avoir permis une nouvelle fois à la chanteuse de s’exprimer, qui plus est sur le plus beau des répertoires: la musique de Duke Ellington. Ellingtonien passionné, le ténor signe d’ailleurs les arrangements (sans fioritures) de cet album. La performance de Sylvia Howard est évidemment à la hauteur de nos attentes: son swing, ses belles intonations blues, sa voix légèrement rauque font merveille et l’on attrape des frissons avec «Come Sunday» où elle livre une interprétation aussi sensible que puissante. Le Black Label Swingtet et ses invités soutiennent honorablement Miss Howard, mais pour tout sympathique qu’il est, cet orchestre, essentiellement composé de musiciens non professionnels, ne parvient pas à se hisser au niveau de l’interprète principale. Hormis Jean-Jacques Taïb – qui est excellent à la clarinette –, aucun soliste ne retient vraiment l’attention.
On rêve encore que Sylvia Howard fasse l’objet d’un véritable projet construit autour de sa personnalité et réunissant des musiciens capables d’entrer en dialogue avec elle. Il n’en manque pas, notamment à Paris. Reste à savoir s’il reste des acteurs du jazz suffisamment imaginatifs pour s’emparer de l’idée
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Jérôme Partage
© Jazz Hot n°676, été 2016

Jim Rotondi
Dark Blue

In Graz, BC, Biru Kirusai, Dark Blue, Highline, Pure Imagination, Monk's Mood, Le Crest, Our Day Will Come, Going to the Sun.
Jim Rotondi (tp, flh), Joe Locke (vib), David Hazeltine (p, elp), David Wrong (b), Carl Allen (dm)

Enregistré le 15 juillet 2015, New York

Durée : 1h 04’ 13’’

Smoke Sessions Records 1602 (www.smokesessionsrecords.com)

Voilà, un excellent disque bop de Jim Rotondi (Jazz Hotn°663). L'atmosphère n'est pas sans faire penser aux séances Blue Note avec Bobby Hutcherson, rôle ici tenu par Joe Locke. C'est le cas dans «Monk's Mood», la meilleure plage de l'album où David Hazeltine swingue bien. Ce pianiste a un bon feeling et sait rester sobre quand il faut, notamment dans «Dark Blue» où le bugle du leader est dans la lignée lyrique de Freddie Hubbard. On notera la courte citation du «Vol du Bourdon» dans le solo de piano de «In Graz» (dédié à la ville autrichienne où enseigne Rotondi). Hazeldine est l'auteur du bon thème, «Highline», la majorité des autres est signée Rotondi. Joe Locke est partout excellent et cette séance avec vibraphone au lieu d'un sax donne une couleur sonore très plaisante. Jim Rotondi a, outre l'inspiration, une excellente maîtrise du bugle et de la trompette avec une belle qualité de timbre (sombre). Il est très proche de Freddie Hubbard («BC» – pseudo blues de 16 mesures –, «Our Day Will Come», etc), c'est dire le niveau. Tout le monde s'exprime en solo, même Carl Allen («Highline») et David Wong («Le Crest»). Le texte du livret est une interview de Jim Rotondi. Bref, les amateurs de Jim Rotondi et... Freddie Hubbard ne seront pas déçus
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Michel Laplace
© Jazz Hot n°676, été 2016

Louis Armstrong
Intégrale Vol. 14. Constellation 48

Titres détaillés dans le livret
Louis Armstrong (tp, voc), Jack Teagarden (tb, voc), Barney Bigard (cl), Dick Cary, Earl Hines (p), Arvell Shaw (b), Sid Catlett (dm), Velma Middleton (voc)

Enregistré entre le 16 octobre 1947 et le 2 mars 1948, New York, Nice, Paris

Durée : 3h 49’ 22’’

Frémeaux & Associés 1364 (Socadisc)

Le nom de Louis Armstrong est désormais attaché à celui de son «All-Stars». Il s'engage dans le rôle de l'ambassadeur international du jazz le plus indiscutable dans ses ingrédients. On débute par une séance de 4 titres pour RCA, versions différentes de thèmes joués dans le film A Star is Born. Les deux meilleurs sont «Please Stop Playing Those Blues» et surtout «A Song was Born» (le drive foudroyant de Louis à la trompette prouve qu'il n'était pas l'instrumentiste fini que voulaient faire croire les tenants du progressisme). Bien sûr le maître est en train de roder une stratégie de concert et une routine de répertoire illustrée par la retransmission depuis Carnegie Hall (le 15 novembre 1947) où après un indicatif (pour l'heure : la trompette massive de Satchmo dans le blues, «Back O'Town Blues»), il y a les fameuses «spécialités» des membres du groupe («Body and Soul» par Barney Bigard, «Stars Fell of Alabama» par Mr Tea). La présence et puissance de Louis Armstrong balaye tout dans «Rockin' Chair». L'éditeur a choisi de ne pas inclure l'intégralité de ce concert pour ne pas faire trop de doublons (le but est pourtant celui de l'intégrale). Cette réédition documente bien le retour triomphal de Louis Armstrong en France, d'abord au Festival International de Jazz de Nice puis en concert à Paris. Double indispensabilité donc, puisque, outre la splendeur de Louis Armstrong bien entouré, ces documents sonores immortalisent (pour ceux qui s'y intéressent encore) une manifestation nouvelle en jazz, promise (on ne le sait pas encore) à un avenir (qui contribuera à la perte du genre par buts trop lucratifs) : le festival de jazz, célébration sur plusieurs jours. Nous sommes donc de plein pied dans l'histoire. Michel de Bry et Paul Gilson se sont occupés de la Radiodiffusion Française, Paris-Inter, Poste Parisien et autres (BBC, Radio Monte-Carlo, RTB, des radios suisses, scandinaves, tchèques, d'Autriche et Hongrie), ce qui permit de préserver des moments essentiels de l'évènement. Hugues Panassié fut chargé de la programmation et pour lui, Louis Armstrong s'imposait (à juste titre) pour une manifestation de ce genre. En dehors des salons de l'hôtel Negresco pour la finale, Nice a mis à disposition l'Opéra et le Casino. La fin du CD1 aborde le «Gala Constellation 48» (référence à l'avion, fleuron d'Air France, partenaire du festival) donné par le All-Stars redevenu Hot Five, à l'Opéra, le 22 février 1948. Louis Armstrong est étourdissant de puissance dans «Rockin' Chair». Des «spécialités» encore comme ce remarquable «Boogie Woogie on the St. Louis Blues» par Earl Hines et Arvell Shaw très en forme, «Rose Room» par Barney Bigard, modèle de sonorité de clarinette, et Sid Catlett. Le CD2 débute par le désormais incontournable indicatif, mais ici joué en entier, «When It's Sleepy Time Down South» et un problème technique de prise de son (la trompette de Louis est impériale et généreuse!). La qualité de son est inégale d'un titre à l'autre, par exemple le 23, entre «Mahogany Hall Stomp» (Louis repend avec classe son solo historique avec note tenue) et «Royal Garden Blues», mais il est hors de question de chipoter l'histoire, on s'incline! Tout le groupe est en forme, galvanisé par l'ambiance, donc tout est du jazz d'envergure. Le CD3 propose des extraits du concert du 2 mars à Paris retransmis par Paris-Inter (à noter la note loupée de Louis dans «Dear Old Southland», rendant le génie humain). A suivre.

Michel Laplace
© Jazz Hot n°676, été 2016

Les McCann Trio
Live in Paris. 28 juillet 1961

A Little 3/4 Time for God & Co, Vacushna, I Am Love, Everything Happens to Me, The Truth, Little Girl Blue, They Can't Take That Away from Me, Vacushna (Reprise), How High the Moon, I'll Take Romance, Unidentified, Out of This World, Oh Them Golden Gaters, Red Sails in the Sunset, Someone Stole My Chitlings, Deed I Do, Dorene Don't Cry, Come on and Get That Church
Les McCann (p), Herbie Lewis (b), Ron Jefferson (dm)

Enregistré le 28 juillet 1961, Paris

Durée: 2h 07' 19’’

Frémeaux & Associés 5635 (Socadisc)

Les McCann (né en 1935) qui a débuté au tuba dans une fanfare, est vite devenu à partir de 1958 un pianiste populaire à la tête d'un trio porté par la mode dite «funky» et «soul» en réaction à la précédente dite «cool». On disait aussi «churchy» à l'époque (le dernier titre est explicite : «Come on and Get That Church»). Comme le rappelle le livret, ce trio fut la «révélation» du deuxième festival d'Antibes, en juillet 1961, peu de temps avant cet enregistrement réalisé en club, au Caméléon. L'ambiance en club est bien présente ici, avec la tendance qu'on y trouve d'y faire durer le plaisir : un «How High the Moon» de 11'33» et un «Out of This World» de 10'29» qui comptent parmi les bons moments de ce double CD. Il est difficile de placer Les McCann au même niveau qu'un Bud Powell, vedette du Blue Note, et d'un Memphis Slim, star des Trois Mailletz, mais sa musique s'écoute sans déplaisir. Du «easy listening». McCann peut être low down et répétitif («A Little ¾ Time for God & Co»), et il sait swinguer («Vacushna», «Oh Them Golden Gaters», «Someone Stole My Chitlings»). Il n'est pas sans évoquer Ray Charles («The Truth») ou Erroll Garner, non seulement par des grognements et un certain sentimentalisme ici ou là (longue introduction à «Red Sails in the Sunset»). Les «fabricants de musique» qui l'entourent sont louables : Ron Jefferson est notamment en valeur dans «Unidentified», et Herbie Lewis dans «Out of This World» et «Deed I Do». Le programme, comme souvent, alterne standards et compositions personnelles de Les McCann. Un trio beaucoup plus concerné par le cœur du jazz que la quasi-totalité des groupes actuels de ce type
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Michel Laplace
© Jazz Hot n°676, été 2016

Hard Time Blues 1927-1960
Political and Social Blues Against Racism at the Origin of the Civil Rights Movement

Titres et personnels détaillés dans le livret
Enregistré entre le 17 décembre 1927 et le 5 octobre 1960, New York, Chicago, Oakland, Houston, Aurora, Los Gatos, Los Angeles, Cincinnati, Detroit, Englewoods Cliffs

Durée : 2h 08’ 58’’

Frémeaux & Associés 5480 (Socadisc)

Partir d'un fait social pour une compilation musicale donne des résultats aussi discutables qu'hétérogènes comme Bruno Blum sait le faire pour le même label. Là, à l'inverse, comme le genre musical est clairement circonscrit, le résultat musical est homogène et cohérent. Le fil conducteur n'est qu'un prétexte à la sélection des titres. Les paroles de blues ne sont pas les seules à véhiculer la «contestation» puisque le «country (folk)» a milité aussi, ainsi que la bonne chanson en général (on pense à Boris Vian). Les paroles de blues sont bien plus diverses comme le livre Le Monde du Blues de Paul Oliver (1962, Arthaud) le démontre, abordant tous les sujets (inondations, etc). Le thème choisi n'était pas simple. A l'exception tardive de Lead Belly (qui cite Bunk Johnson dans «Jim Craw Blues», 1944), Josh White, Sonny Terry qui fréquentaient les chanteurs folk engagés (Woody Guthrie) soutenus par une fraction blanche «libérale», puis Big Bill Broonzy («Black, Brown and White») et J.B. Lenoir, «aucun Noir ne se serait avisé de protester» (Paul Oliver). Donc, la sélection faite pour illustrer ces «temps difficiles» n'est pas le commentaire socio-politique auto-censuré (pour le disque), mais l'expression de ses conséquences ressenties (discrimination – Jim Craw –, pays ingrat – Uncle Sam –, chômage, prison, etc.) et de ses espoirs (Roosevelt). Les auteurs du livret, Jean Buzelin et Jacques Demêtre, commencent par citer LeRoi Jones (peu recommandable comme la nécrologie de Jazz Hot l'a démontré): «Le blues...c'est en premier lieu une forme poétique et en second lieu une façon de créer de la musique». Pour le signataire le premier rôle du blues est celui présenté comme second : musical. Et de ce point de vue, ce coffret est un régal. Outre ce que nous avons cité, signalons : «Uncle Sam Says» (guitare de Josh White), «Uncle Sam Came And Get It» (Sammy Price, p!), «The Number of Mine» (pianiste et la basse de Ransom Knowling), «Cell no13 Blues» (Big Maceo, p, Buster Bennett, as), «County Jail Blues» (Tampa Red, g), «I'm Prison Bound» (Lowell Fulson, g/voc), «Penitentiary Blues» (Lightnin' Hopkins, g,voc), «Jim Crow Train» (Sonny Greer, dm), «Back-Water Blues» (Bessie Smith), «Florida Hurricane» (Sunnyland Slim, p, Muddy Waters, g), «Don't Take Away My PWA» (Horace Malcolm, p), «Walfare Store Blues» (Joshua Altheimer, p), «Back to Korea Blues» (Sunnyland Slim, p), «President's Blues» (J.T. Brown, ts, Sammy Price, p!), «The World Is In A Tangle» (Ernest Cotton, ts), «The Big Race» (Memphis Slim, p), les trois titres par Champion Jack Dupree (dont «Warehouse Man Blues» avec un très bon bassiste), plus encore «Crazy World» (Julia Lee, p/voc, Baby Lovette, dm avec Vic Dickenson et Benny Carter en duo de trombone!) et ««Hard Time Blues» (Edmond Hall, cl, J.C. Higginbotham, tb, Hot Lips Page, tp)! Choix arbitraires car tout est bon.

Michel Laplace
© Jazz Hot n°676, été 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueVirginie Teychené
Encore

Jolie Môme, Elle ou moi, Madame rêve, Eu sei que tu amar, Allée des brouillards, Before the Dawn, Oralice, Both Sides Now, C’était bien, A bout de souffle, But not for Me, Encore, 13 septembre

Virginie Teychené (voc), Stéphane Bernard (p), Gérard Maurin (b, g), Jean-Pierre Arnaud (dm), Olivier Ker Ourio (hca)
Enregistré en décembre 2014, Pompignan (30)
Durée: 53’ 10’’
Jazz Village 570081 (Harmonia Mundi)


Virginie Teychené s’attaque avec bonheur à un répertoire de chansons; gageure comportant toujours le risque de s’engluer dans une interprétation «variété». Mais le pari gagné car ces chansons reprennent vie, deviennent autres par la grâce de la chanteuse et les arrangements du tandem Maurin-Bernard. Virginie chante d'ailleurs à la perfection en brésilien et en anglais.
Voyons d'abord les chansons françaises. Sur «Jolie môme» de Ferré elle démarre seule, et là on peut goûter la pureté, la tendresse de sa voix, la délicatesse du vibrato, la perfection de la diction, et des inflexions dont elle a le secret, et qui amènent tout naturellement la chanson au jazz. «Madame rêve» du regretté Bashung nous emmène effectivement dans un rêve éveillé, et l’harmonica de Ker Ourio fait merveille; il est certainement le plus grand harmoniciste d’aujourd’hui. Dans «Allée des brouillards» de Nougaro et Galliano elle se promène dans cette allée précédent un somptueux solo de Ker Ourio, avant de revenir au tableau. Un formidable «A bout de souffle» écrit par Nougaro sur le «Blue Rondo a la Turk» de Brubeck. Virginie s’en sort avec une apparente facilité, chaque syllabe éclate, avec entre autres un magnifique contrechant main gauche du pianiste et une riche partie de contrebasse. «C’était bien» le petit bal perdu de Bourvil; Virginie nous fait oublier, ou plutôt non, son chant se superpose à la douce nostalgie de la voix de Bourvil dans notre mémoire. Tant de tendresse et de saudadeet puis le solo d’harmonica. La chanson est devenue une valse-jazz, un chef d’œuvre. Le «Septembre» de Barbara, toute la douceur de l’automne teinté de regrets s’avance par l’harmonica seule, puis juste la chanteuse et la contrebasse qui s’enrichit d’un contrechant de l’harmonica: on est dans le sublime. Le morceau respire le bonheur malgré l’adieu à l’amour qui s’en va, car on sait qu’il reviendra. En français encore «Elle ou moi» de Gérard Maurin et Marcus Malte, un joli texte avec un beau travail du batteur sur un rythme latino, et un arrangement aux petits oignons. «Encore» qui donne son titre au disque, de Virginie Teychené et Gérard Maurin voit celui-ci à la guitare dans une belle intro sur tempo médium lent avec le piano. Entendre comment Virginie tient la note, chose qui se perd chez les chanteuses aujourd’hui. L’hiver peut bien venir dit la chanson, oui, avec une telle musique on sera au chaud.
Les deux titres en brésilien «Eu sei que tu amar» de Moraes et Jobim avec intro guitare-harmonica est une bossa de la meilleure tradition avec le charme caressant de la voix; «Doralice» d’Almeida et Caymmi est une samba prise vocal batterie, du pur brésilien, un bijou. «Before the Dawn», en anglais, de Bernard et Teychené nous vaut une longue et splendide introduction du piano très Chopin où prévaut la délicatesse et le romantisme du pianiste, puis la chanteuse se mêle au piano: émotion garantie. Le standard des frères Gershwin «But not for Me» repose sur une belle partie basse-batterie sans piano. C’est le seul morceau vraiment scatté; Viriginie passe de l’aigu au grave avec une rapidité et une facilité confondantes, en fait elle chante comme si elle jouait du saxophone, avec une décontraction à la Sinatra.
Du grand jazz.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°676, été 2016

JCD 5tet
In! Out! Side!

9 titres (voir livret)

Adrien Varachaud (ts,ss), Rasul Siddik (tp), Tom McClung (p), Harry Swift (b), Jean-Charles Dejoie (dm)
Enregistré les 2 et 3 décembre 2014, lieu non précisé
Durée: 58’ 02’’
Autoproduit (jcdejoie@aol.com)


On a affaire ici avec cinq musiciens de diverses nationalités mais qui tous se produisent souvent en France et ont déjà joué les uns avec les autres, et avec les meilleurs jazzmen qui passent par Paris. Ils se sont réunis pour ce quintet très homogène d’essence hard bop. McClung qui fut marqué par Monk et Ellington a fait une forte impression an 2015 avec son disque Burning Bright. C’est un réel plaisir de le retrouver dans le partage avec ses quatre compagnons. Il faut l’écouter sur «Spirit» en tempo médium, où l’on entend qu’il a assimilé toute l’histoire du piano jazz. Rasul Siddick a joué avec David Murray, Lester Bowie, Christian Brazier et autres pointures. C’est un trompettiste volubile avec des attaques au scalpel; il aime à parcourir toute la tessiture avec un son «écrasé» très pur faisant preuve de beaux développements comme par exemple sur «Silver»; probablement un hommage au célèbre pianiste. D’ailleurs, le quintet sonne très Horace Silver dans les arrangements, pour les expositions et les finals. Adrien Varachaud est très mordant au ténor, assez dans la tradition des ténors ellingtoniens pour le fond. On peut admirer des growls impressionnants dans le grave du ténor sur «To B or not to B». L’Anglais Harry Swift est venu à la contrebasse par Mingus; il est le piler du groupe de Bobby Few. Il met en place le groupe avec un accompagnement discret dans une bonne entente avec le batteur.
Un bon quintet dont la prestation repose sur des thèmes écrits par les musiciens, avec de longs solos, encadrés par des arrangements qui donnent un véritable son de groupe.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°676, été 2016

Dominique Fitte-Duval Quartet
Solisation

You Fly Around My Skin, Quand se dévoile l’abîme où veut mon cœur t’emprisonner, The Most Beautiful Day of Our Life Could Be Now, L’Etrange réunion, Les Mains dans les poches, La Parisienne, Pirate
Dominique Fitte-Duval (ss), Benoît Martin (key), Yoann Godefroy (b), Jean-Baptiste Palies (b)

Enregistré en 2015, Paris

Durée: 1h 15’

BBO JAZZ 0002 (dominiquefitteduval.com)


Le saxophoniste Dominique Fitte-Duval est venu assez tard au jazz, jouant du sax ténor en autodidacte; il étudie sérieusement la musique à 37 ans, en 1996, suit un cursus d’instrument, orchestre et arrangement à L’ARPEJ, tout en jouant dans les clubs. En 1999, il lance une jam session hebdomadaire au club Les 7 Lézards, qui devient un concert à part entière. Deux ans plus tard, il crée le Big Bœuf Orchestra. En avril 2004, il crée l'association BBO JAZZ, reprenant les initiales de son orchestre, en en changeant le sens, lequel devient le Le Bien Bel Orchestra. En 2005, il enregistre Night Harmony en grand orchestre avec vingt-deux musiciens. Et le voici à la tête de son quartet.
Au soprano, il a un son droit, sans vibrato, tirant vers le hautbois; un jeu sobre, sur toute la tessiture, sans effets ni envolées gratuites. Avance par petites phrases qui s’enchaînent dans la poursuite du discours, soutenu par une inspiration solide. Sur des tempos médium-rapides pour la plupart des morceaux. «The Most Beautiful Day…» ou encore «La Parisienne» sont assez emblématiques de ses qualités de saxophoniste et de compositeur-arrangeur, avec de beaux enchevêtrements sax-clavier.

Le pianiste s’exprime avec un jeu élégant et riche harmoniquement. Le contrebassiste possède un gros son avec attaques canon, il assoit le groupe de belle façon, si bien que les trois autres n’ont qu’à se laisser porter. Le batteur, d’un grand classicisme, connaît parfaitement son affaire, discret et efficace, toujours là où il faut.

Certes rien de révolutionnaire. On a affaire avec un jazz parfaitement dans la tradition et bien d’aujourd’hui, en ce sens que les musiciens s’expriment avec les canons de la modernité, sur des arrangements solides qui leur permettent de s’exprimer, d’aller au bout de leur chant en longs solos, dans une mise en place parfaite
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Serge Baudot
© Jazz Hot n°676, été 2016

Airelle Besson / Nelson Veras
Prélude

Ma ion, Pouki Pouki, O grande amor, Neige, Lulea’s Sunset, Full Moon in K., Vertiges, Body and Soul, Birsay, Time to Say Goodbye
Airelle Besson (tp), Nelson Veras (g)

Enregistré en 2014, Arles (13)

Durée: 47’ 47’’

Naïve 624911 (Naïve)



Airelle Besson
Radio One

Radio One, All I Want, The Painter and the Boxer, La Galactée, Around the World, Candy Parties, No Time to Think, People’s Throughs, Titi
Airelle Besson (tp), Isabel Sörling, Benjamin Moussay (p, key), Fabrice Moreau (dm)
Enregistré en 2015, Pernes-les-Fontaines (84)

Durée: 52’ 55’’

Naïve 625911 (Naïve)


Ceux qui ne la connaissent pas encore, pourront découvrir Airelle Besson dans ce Jazz Hot n°676: une musicienne de formation académique mais au parcours éclectique, ce qui l’amène, selon les occasions, à fréquenter avec le même talent le jazz comme des univers musicaux plus personnels.

Alors qu’elle présente un nouveau disque en quartet, Radio One, revenons d’abord sur le précédent opus, Prélude, en duo avec Nelson Veras, lequel avait échappé à nos radars. Comme Airelle Besson l’explique, ce disque est le produit d’une longue collaboration avec le guitariste brésilien et cette complicité s’entend. Le souffle sensible d’Airelle s’accorde joliment aux cordes délicates de son alter ego. Une douce poésie traverse cet album – à l’ambiance de musique de chambre –, dominé par les compositions de la trompettiste (Veras signant «Vertiges»), dont la plus marquante est «Neige», qui se distingue de l’ensemble par sa densité. Le seul standard abordé, «Body and Soul», confirme que le duo sait mettre ses qualités, et notamment sa grande finesse musicale, au service du jazz et de son patrimoine. Le principal reproche qu’on puisse faire à ce disque – valable également pour le suivant – est l’absence de notes de pochette. L’élégance de l’objet n’est pas tout…

Cinquième album en leader d’Airelle Besson, Radio One plante un univers très éloigné de Prélude. La formation est bien entendu différente mais c’est surtout la musique (dont la trompettiste est encore l’auteur) qui change de nature et rompt avec l’idiome du jazz. Le traitement électrique (le Fender Rhodes de Benjamin Moussay) comme les psalmodies d’Isabel Sörling amènent une sophistication quelque peu artificielle. Certains titres ont un caractère méditatif («Around the World»), d’autres sont plus rythmés («Radio One»), mais l’ensemble aboutit à un discours musical impressionniste, parfois déconcertant. Il correspond en tous cas bien aux conceptions défendues par la trompettiste, définissant le jazz d’abord par l’improvisation (et non par le rythme) et le souhaitant ouvert aux influences les plus diverses (plutôt qu’enraciné).

Jérôme Partage
© Jazz Hot n°676, été 2016

Cecil L. Recchia
Songs of the Tree

Volga Boatmen, Naked City, Minor Moods, You’re Blase, The Breeze and I, Time on My Hands, Autumn Leaves, Ahmad’s Blues, The Party’s Over, Poinciana
Cecil L. Recchia (voc), Vincent Bourgeyx (p), Manuel Marches (b), David Grebil (dm)

Enregistré en juin 2013, Le Pré-Saint-Gervais (93)

Durée: 41’ 36’’

Black & Blue 804.2 (Socadisc)


Si un album-hommage à Ahmad Jamal est un projet naturel et légitime pour un pianiste, il est plus inattendu et audacieux de la part d’une chanteuse. C’est une sacrée bonne idée au vu du résultat, et c’est surtout se souvenir de ce beau disque chez Cadet, Ahmad Jamal With Voices (1967). Sans l’avoir entendue en live, ce qu’on ne manquera pas de faire le plus tôt, on peut donc déjà mettre au crédit de Cecil L. Recchia l’originalité du choix et la curiosité culturelle.
Elle a de plus posé des paroles sur des thèmes composés par le maestro et reprend également des standards ou traditionnels («Volga Boatmen») qu’Ahmad Jamal a immortalisé à sa façon si particulière.
Le livret, sans notes de pochettes (paroles de quelques morceaux), c’est dommage pour un premier disque, ne nous apprend rien de la jeune femme. Sur la toile, on apprend que la littérature américaine l’a conduite au jazz, confirmant la curiosité dont nous parlions, et qu’elle a étudié au CIM, à Paris, dont elle est originaire, qu’elle a monté son premier quartet en 2007. Deux ans plus tard, elle a participé à une série de concerts qui ont abouti sur le disque collégial Jazz à la récré (EMI). Enfin, Cecil L. Recchia, qui a suivi des master-classes avec Michele Hendricks et Barry Harris, est professeur de jazz vocal, ce qui suppose déjà une maîtrise certaine de cet art.

Dotée d’une jolie diction, d’une voie expressive et nuancée, d’un swing indéniable, elle s’est également parfaitement appropriée la musique d’Ahmad Jamal, comme interprète et comme arrangeuse, partageant la direction artistique du disque avec David Grebil. Il est à noter que le trio qui l’accompagne est dans l’esprit, notamment Vincent Bourgeyx qui a la délicate mission de prendre place au piano pour évoquer un Maître.

On apprécie bien sûr ce «Volga Boatmen» qui rappelle le Ahmad Jamal historique de 1956, y compris dans le tempo et la manière de Bourgeyx, mais le disque dans son ensemble fait référence aux interprétations du grand artiste, avec un respect certain des tempos, de l’esprit des interprétations d’origine. Bien entendu, il n’y a pas lieu de comparer (bien que ce soit nécessaire à la chronique), mais de chercher ce qui est original et bien approprié. L’original, c’est la voix et le projet en lui-même, et le mérite est d’exploiter un si beau répertoire pour lui redonner une vie somme toute très agréable.

Voilà donc un premier album de bon goût et d’une évidente maîtrise. Cecil L. Recchia n’est pas pour l’instant un projet marketing mais une musicienne de jazz. On apprécie!

Yves Sportis
© Jazz Hot n°676, été 2016

Muddy Waters
The Blues. Vol. 2. King of the Chicago Blues 1951-1961

CD1: Long Distance Call, Too young too Know, Honey Bee,Howlin’ Wolf, Country Boy, She Moves Me, My fault, Still a Food, They Call Me Muddy Waters, All Night Long, Stuff You Gotta Watch, Lonesome Day, Please Have Mercy, Who’s Gonna Be Your Sweet man, Sytanding Around Crying, Gone to Main Street, Iodine in my Coffee, Flood, My Life Is Ruined, Sad Sad day.
CD2: Baby Please Don’t Go, Blow Wind Blow, Mad Love, (I’m Your) Hoochie Coochie Man, I Just Want to Make Love With You, I’m Ready, Smokestack Lightning, Mannish Boy, I Got to Find my Baby, Sugar Sweet, Trouble No More, Forty Days and Forty Nights, All Aboard, Got my Mojo Working, Evil, She’s 19 Years Old, Close to You, Walking Thru the Park, Blues Before Sunrise, Mean Mistreater

CD3: Crawling Kingsnake, Hey Hey, Lonesome Road Blues, Southbound Train, Just a Dream, I Feel so Good, Woman Wanted, I’m Your Doctor, Deep Down in my Heart, Meanest Woman, I Got my Brand on You, Soon Forgotten, Tiger in Your Tank, I Feel so Good, Got my Mojo Working, Rock Me, Blow Wind, Blow, Real Love, LOnesome Room Blues, Messin’ with the Man

Muddy Waters (g, voc), Little Walter (hca, g), Junior Wells (hca), Big Walter Horton (hca), James Cotton (hca), Otis Spann (p), Jimmy Rogers (g), Hubert Sumlim (g), Pat Hare (g), Robert Jr. Lockwood (g), Luther Tucker (g), M.T. Murphy (g), Big Crawford (b), Willie Dixon (b), Andrew Stephen (b), Milton rector (b), Len Chess (dm), Elgin Evans (dm), Willie Nix (dm), Fred Below (dm), Francis Clay (dm), S.P. Leary (dm), George Hunter (dm), Al Duncan (dm), Marcus Johnson (ts),

Dates et lieux d’enregistrement précisés dans le livret

Durée: 1h02’ 07’’ + 57’ 49’’ + 1h 05’ 10’’

Frémeaux & Associés 273 (Socadisc)


Sous la direction de Gérard Herzhaft et Patrick Frémeaux, la maison Frémeaux & Associés poursuit son œuvre encyclopédique en proposant un second volume consacré à Muddy Waters, accompagné d’un livret de vingt-quatre pages. Le premier volume retraçait la période 1941-1950 et la première partie de la carrière de McKinley Morganfield,évoquant la plantation de Stovall, sa rencontre avec Alan Lomax jusqu’à son arrivée à Chicago et sa rencontre avec les frères Chess et leur label «Aristocrat». A cette époque, le format guitare, basse, batterie et harmonica était déjà bien installé. Avec l’électrification de sa guitare, Muddy Waters mettait le Chicago blues en route. En agrégeant le piano à son combo, il constituait la matrice de sa forme d’expression.
C’est en 1951 qu’apparaît Otis Spann (p) dans le paysage sonore de Muddy Waters. Le premier CD de ce nouveau volume expose ainsi le travail de l’ancien fermier avant l’arrivée du pianiste. Les quatre premiers titres présentent le trio organisé autour de la guitare avec Little Walter à l’harmonica et Big Crawford (b). Le blues du Delta que produit alors Muddy prend grandement appui sur la dextérité de l’harmoniciste et intègre enfin le Top Ten des meilleures ventes de blues («Long Distance Call»,«Honey Bee»). Il poursuit dans la voie du succès avec «She Moves Me», un morceau qui n’a pas perdu de sa saveur intrinsèque. Au cours de cette période, la guitare de Waters brûle de plus en plus de distorsion pour évoquer ses passions au rang desquelles celui des femmes («Still a Fool»). C’est le moment où apparaît aussi Junior Wells (hca) qui succède à Little Walter après que celui-ci a lâché le groupe pour une carrière solo.
C’est donc sur le deuxième CD que nous retrouvons Otis Spann qui apporte une nouvelle énergie au groupe. Il permet au maître du blues de Chicago d’élargir son audience. Une autre rencontre accélère le succès du King of Blues, c’est celle avec Willie Dixon. Elle a lieu au club Zanzibar lors d’une répétition dans les toilettes pour ce qui allait devenir un des titre les plus dévastateurs de l’histoire de la musique dans son ensemble(«Hoochie Coochie Man»). Les chansons créées à cette époque ont marqué les musiciens du British Blues, comme les Rolling Stones, Fleetwood Mac, Chiken Shack («Mannish Boy», «I’m Ready») et même au-delà comme les Doors («I Just Want to Make Love to You»). La complicité entre le pianiste et Muddy se développe aussi avec les guitaristes Jimmy Rogers, puis Hubert Sumlim («Trouble no More»). C’est encore le chanteur natif du Mississippi qui va faire éclore un autre harmoniciste en la personne de James Cotton («Close to You»). A cette époque, Muddy Waters effectue sa première tournée en Angleterre avec les conséquences que cela va avoir sur de nombreux musiciens du Royaume Uni. Le troisième CD correspond un peu au chant du cygne de cette période avec des titres qui n’obtiennent pas le succès des morceaux précédents («I’m Your Doctor», «Woman Wanted»). C’est aussi l’ère d’un changement de public avec la passion des étudiants blancs et des vieux fans de jazz qui redécouvrent l’essence du blues. Il ne reste plus qu’à l’amateur de musique en général et de blues en particulier à attendre la livraison d’un troisième volume sur la vie de Muddy.

Michel Maestracci
© Jazz Hot n°676, été 2016

James Burton / Amos Garrett / Albert Lee / David Wicox
Guitar Heroes

That’s All Right (Mama), Susie Q, Sleep Walk, You’re The One, Comin’ Home Baby, Flip, Flop and Fly, Only the Young, Polk Salad Annie, Bad Apple, Country Boy
James Burton, Albert Lee, Amos Garrett, David Wilcox (g), John Greathouse (key, voc), Will Mac Gregor (b), Jason Harrison Smith (dm)

Enregistré le 12 juillet 2013, Vancouver Island (Canada)

Durée: 1h 02’ 01’’

Dixiefrog 8774 (Harmonia Mundi)


Un petit album hors des sentiers du jazz, mais qui comprend des guitaristes de qualité. James Burton a officié aux côtés de Rickie Nelson, Elvis Presley, Emmylou Harris ou Gram Parsons. Albert Lee a accompagné Eric Clapton et les Everly Brothers, Amos Garrett Bonnie Raitt et Paul Butterfly, enfin David Wilcox a joué avec Maria Muldaur et de nombreux artistes canadiens. L’album, capté live lors du festival de Vancouver Island se concentre donc sur la guitare et les enchevêtrements des quatre musiciens sont du plus bel effet. «You’re the One». Le jeu tout en slide d’Amos Garrett sur «Sleep Walk» est particulièrement délicieux, «Only The Young» d’une pureté incroyable et «Comin’ Home Baby» un moment revigorant qui reprend bien cet esprit des sixties. Les autres morceaux sont plus dans une veine plus country blues, quand ça n’est pas purement country avec une mention particulière pour «Polk Salad Annie» du grand Tony Joe White. Un album d’une grande qualité artistique qui fera le bonheur des fans de la six cordes
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Michel Maestracci
© Jazz Hot n°676, été 2016

Big Daddy Wilson
Time

Time to Move, Bullfrog, She Loves Me, Mississippi John, Some Say, Time, Dead End Road, Would Ya Look at That Xar, Like a Sunny Day, New Zealand, Miss Dorothy Lee, Mama’s Words, We’re Ready, Daisy
Big Daddy Wilson (voc, fingersnaps), Eric Bibb (bjo, g, b, voc) + personnel détaillé sur la pochette

Date et lieu d’enregistrement non précisés

Durée: 51’34’’

Dixiefrog 8775 (Harmonia Mundi)


Avec Big Daddy Wilson nous nous trouvons en présence d’un ardent défenseur du blues dit rural. Quand, en plus Eric Bibb se joint au projet, le doute n’est plus permis. Time est un album de blues apaisant, entièrement acoustique, rondement mené par Big Daddy et sa voix profonde comme une entaille dans la terre du Deep South. Il est accompagné par les habituels partenaires suédois d’Eric Bibb (Staffan Astner, Olli Haavisto, Petri Hakala, elg), son ami de dix ans. En ce sens, pas de fioritures ni d’excès dans l’expression. Comme on peut l’entendre dans le délicat «Mama’s Words». Une douce ballade qui évoque une mère d’une voix feutrée agréablement soutenue par Ulrika Ponté. «Like a Sunny Day», se positionne dans une veine plus énergétique, avec le soutien de Bibb à la guitare acoustique et Astner sur l’électrique. Les chœurs donnent à la composition une couleur très seventiesdans l’esprit gospel qui lui colle si bien. C’est donc en fin de partie, avec New Zealand» et «Miss Dorothy Lee», que les décibels augmentent, toujours par la magie des phrases du guitariste suédois. Big Daddy et son ami Bibb nous offrent ainsi une belle virée dans le pays de «Mississippi John».

Michel Maestracci
© Jazz Hot n°676, été 2016

Guy Davis
Kokomo Kidd

Kokomo Kidd*, Whish I Hadn’t Stayed Away So Long, Talking Just a Little Bit of Time, She Just Wants to Be Loved, Like Sonny Did, Lay Lady Lay, Little Red Rooster°, Maybe I’ll Go, Blackberry Kisses, Have You Ever Loved Two Woman°°, Cool Drink of Water, Bumblebee Blues, Wear Your Love Like Heaven
Guy Davis (voc, g, bjo, hca, perc, key), Professor Louie (org, p), John Platania (g), Mark Murphy (b, cello), Gary Burke (dm), Chris James (mandolin, g) Davis Helper, Miss Marie Spinosa, Audrey Martells, Zhana Roiya (voc), Charlie Musselwhite (hca)°, Fabrizio Poggi (hca )°°, Ben Jaffe (tuba)*

Enregistré à Hurley (New York)

Durée: 1h 01’ 55’’

Dixiefrog 8779 (Harmonia Mundi)


Guy Davis n’est pas un débutant. A 63 ans, il possède déjà une bonne dizaine d’albums au compteur. Ce bluesman dans l’âme continue de perpétuer la musique de ses glorieux aînés. Il opte pour une veine plus acoustique qu’électrique en usant de banjo, guitare et harmonica mais les instruments électriques ne lui déplaisent pas non plus. Ainsi sur Kokomo Kidd, on entend aussi bien l’orgue Hammond de Professor Louie, que la guitare électrique de Chris James ou John Platania. En parlant de ses partenaires, il est bon de préciser que l’organiste fut membre de The Band qui accompagnât Dylan en son temps. John Platania pour sa part, s’est fait la main aux côtés de Van Morrison pendant une longue période, il est notamment présent sur les albums Astral Weeks et Moondance. Ces deux informations donnent un éclairage précis sur le contenu de cet album. Que ce soit à la guitare ou au banjo, Guy Davis nous plonge au cœur du blues. Ses références portent sur Howlin’ Wolf, Mississippi John Hurt, Willie Dixon ou Sonny Terry. La couleur de l’album est très rurale, même sur des chansons pop-rock comme le très beau «Lay Lady Lay» de Dylan.L’artiste bénéfice de deux guestssur l’album et notamment Charlie Musselwhite («Little Red Rooster»), le grand moment de cet album.Fabrizio Poggi (hca), se fait entendre sur un titre original «Have You Ever Loved Two Women» où il reste bien dans l’esprit des Sonny: Terry et Boy Williamson. «She Just Want to Be Loved» avec orgue et chœurs constitue l’autre moment agréable de l’opus du bluesman de New York. Sa voix évoque Elliott Murphy, qui s’exprime lui aussi avantageusement dans ce registre. Enfin, sa reprise de Donovan, aux accents reggae, termine de nous convaincre de la qualité de son expression artistique («Wear Your Love Like Heaven»). Guy Davis un artiste qui plonge dans ses racines et qui n’a pas peur de rafraîchir son idiome. Pour info, le bluesman sera en concert en France au mois d’août
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Michel Maestracci
© Jazz Hot n°676, été 2016

Guillaume Nouaux Trio
Here Comes the Band

In a Mist, Five, Buddy Bolden Blues, Here Comes The Band, Zutty's Memories, Bethena, Bush Street Scramble, Russian Rag, Wrap Your Troubles In Dreams, Dark Eyes
Jérôme Gatius (cl), Didier Datcharry (p), Guillaume Nouaux (dm)

Enregistré les 29-30 janvier 2016 (77)
Durée: 40’ 49’’
Enregistré les 29-30 janvier 2016, Soignolles-en-Brie (77)

Autoproduit GN2016 (www.guillaumenouaux.com)

Michel Laplace vous a déjà parlé des réussites discographiques récentes du clarinettiste Jérôme Gatius (Echoes of Spring en duo avec Alain Barrabès, p) et de l'incontournable Guillaume Nouaux en trio (La Section Rythmique avec David Blenkhorn et Sébastien Girardot): la rencontre de ces deux-là pour un nouvel opus, Here Comes The Band ne pouvait être que du même niveau. Avec la complicité pour compléter le «Band» de Didier Datcharry, pianiste (bien connu grâce aux frères Chéron), Gatius et Nouaux nous donnent un voyage musical où la qualité d'interprétation n'a d'égal que l'originalité du répertoire choisi. «In a Mist» débute le CD, avec un piano bixien à souhait, puis l'inattendu et joli vibraphone de Guillaume Nouaux avant d'évoquer Wilson-Hampton-Goodman grâce à la contribution de Jérôme Gatius. Inutile de préciser la «modernité» de Bix qui vaut celle du Bill Evans de «Five» qui suit et où notre clarinettiste n'est pas sans nous évoquer Buddy de Franco. Gatius nous avait déjà servi une composition de Willie The Lion Smith («Echoes of Spring»), en voici une autre, «Here Comes the Band» et Didier Datcharry démontre sa maîtrise du sujet. Remontant dans le temps, nous redécouvrons «Bethena» de Scott Joplin (avec le vibraphone de Guillaume) ; le classic rag ayant beaucoup pris à la musique dite «classique» occidentale, ceci explique le style polissé adopté par nos trois artistes. Et Guillaume Nouaux? Toujours l'égal de Gene Krupa («Dark Eyes») et de Zutty Singleton («Zutty's Memories»). Dans le monde musical d'aujourd'hui, ce CD est d'une fraîche "indispensabilité".

Charles Chaussade
© Jazz Hot n°676, été 2016

Daniel Bechet & Olivier Franc Quintet
Sidney Bechet, ses plus grands succès

New J.B., Jacqueline, Montmartre Boogie Woogie, Sweet Louisiana/I'll Be Proud of You, Jojo, Buddy Bolden Stomp, Si tu vois ma mère/as-tu le cafard, Madame Bécassine, Wild Cat Blues, On the Sunny Side of the Street, Anitra's Dance, Song of Songs, Dans les rues d'Antibes, Summertime, Drums Fantasy, Petite Fleur, Sidney's Wedding Day, Les Oignons
Daniel Bechet (dm), Olivier Franc (ss), Benoît de Flamesnil (tb), Jean-Baptiste Franc (p), Gilles Chevaucherie (b)
Enregistré à Draveil (91)

Durée: 1h12’ 33’’
Autoproduction
(bdfjazz@hotmail.com)


Cette autoproduction est à l'évidence destinée aux ventes d'après concert et, n'en doutons pas, les admirateurs de ces prestations éphémères seront heureux de garder ce souvenir. Il ne faut pas confondre ce CD avec celui du même groupe, portant le même titre, Sidney Bechet, ses plus grands succès, produit en février 2014 par Frémeaux & Associés et où figure sept titres identiques. Le problème est un peu le répertoire déjà bien exploité, et il est douteux que le jazzfan chevronné s'intéresse à une version de plus de «Petite Fleur» ou «Dans les rues d'Antibes», aussi bien enregistrée fusse-t-elle. Certes, l’amateur aura en mémoire la même heureuse instrumentation avec Sidney Bechet et Vic Dickenson (tb) qui sont le fondement du style d'Olivier Franc et Benoît de Flamesnil. On est surpris de trouver ce «New J.B.» (J.B. pour Jean-Baptiste Franc, compositeur de ce bon thème-riff) au nombre des plus grands succès du maître. Mais ce n'est pas le moins intéressant et comme tout le monde y joue (très bien) en soliste c'est une bonne entrée en matière. L'autre réussite est le thème-riff «Drums Fantasy» d'Olivier Franc où toute l'équipe est en valeur en solo, notamment bien sûr Daniel Bechet. On écoutera aussi les moindre succès de Sidney, mais pas moins plaisants : «Jacqueline» (parfait pour la qualité lyrique d'Olivier Franc), «Montmartre Boogie Woogie» (belle sonorité de Benoît de Flamesnil!) et «Sidney's Wedding Day» (bon solo enslap de Chevaucherie). Bonne idée de reprendre en Franc duo, «Song of Songs» (si délicatement enregistré en 1947 par Sidney avec Lloyd Phillips et qu'il avait joué déjà en 1919 pour George V). Il y a des imperfections («Sweet Louisiana/I'll Be Proud of You») ou du presque hors sujet (très sympathique «Jojo» de Daniel Bechet en trio, d'esprit Pr Longhair-James Booker...mais la très créole «Madame Bécassine» de Sidney annonce ce gumbo; l'excellent piano stride à la Donald Lambert, en solo, sur «Anitra's Dance» de Grieg... mais Sidney aimait «le classique»). A l'actif, il règne un enthousiasme galvanisant dans tout le disque
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Charles Chaussade
© Jazz Hot n°676, été 2016

Joe Castro
Lush Life: A Musical Journey

Coffret de 6 CDs (titres et personnels détaillés dans le livret)

CD1: Joe Castro’s Jam Sessions/Abstract Candy
CD2: Joe Castro’s Friend/Falcon Blues, Teddy Wilson’s Jam Sessions
CD3: Joe Castro’s Jam Sessions/Just Joe
CD4: Joe Castro/Feeling the Blues, The Quartet Sessions
CD5: Joe Castro Big Band, Reflection
CD6: Teddy Edwards Tentet/Angel City
Enregistré de l’été 1954 à Mai 1966, Beverly Hills/Los Angeles (Californie), Somerville (New Jersey), Hollywood, Los Angeles (Californie)
Durée: 1h 08' 53'' + 1h 18' 20'' + 1h 06' 13'' + 1h 14' 15'' + 58' 25'' + 1h 01' 21''
Sunnyside 1391(www.sunnysiderecords.com)


A l’origine de ce projet discographique, on ne peut plus original, il ne fallait pas moins que le fils de Joe Castro lui-même, James Castro, et la curiosité insatiable de Daniel Richard, ex-disquaire indépendant, puis dépendant, puis ex-grand manitou du département jazz d’Universal Jazz France et depuis donc toujours producteur de disques et de bonnes idées réalisées avec une perfectionnisme qui dénote le grand amateur de jazz qu’il est resté au fond.
L’histoire de Joseph Armand Joe Castro (15 août 1927, Miami, Californie-13 décembre 2009, Las Vegas, Nevada), excellent pianiste, né sur la Côte Ouest, est tout sauf banale, et la restituer, à travers cette collection d’inédits récupérés at home, ainsi que l’iconographie d’origine familiale, rappelle que l’histoire du jazz s’est écrite de mille façons, dont parfois les plus improbables, comme cette rencontre romantique à Hawaï entre un pianiste qui s’y produisait, dont les parents sont d’origine mexicaine, qui vit par et pour le jazz depuis son plus jeune âge, et une riche héritière d’un empire du tabac des Etats-Unis, Doris Duke, qui cherchait sans doute un sens à sa vie, et qui le trouva, au moins dans cette belle histoire. Le déroulement de leur vie ne pouvait être ordinaire, et, pour cette fois encore, la poésie de l’une et de l’autre a été rendu possible par l’aisance qu’apporta à leurs projets artistiques l’empoisonnement de la collectivité. Tout n’est jamais totalement négatif.
Tous ces disques ont été édités à partir d’un matériel enregistré privé, conservé sans doute avec soin, mais aussi patiemment choisi et retravaillé sur le plan technique pour une belle mise en valeur, et il faut donc féliciter James Castro qui a lui même effectué les transferts et les restaurations. La proximité du son de ses sessions at home(il y a aussi des enregistrements studios), et quelle maison! (Falcon Lair, où a été aménagé un véritable espace dédié à la musique et au jazz, a été précédemment la résidence de Rudolph Valentino) est un vrai bonheur, et ça s’entend même sur CD… Et quand ce n’est pas Falcon Lair, c’est Duke’s Farm, dans le New Jersey, et le cadre n’est pas moins exceptionnellement enchanteur. Un rêve américain, celui d’une culture partagée, transposé dans le jazz.
Quand on entend Oscar Pettiford, Leroy Vinnegar, Teddy Wilson, Lucky Thompson, Zoot Sims, Stan Getz, Teddy Edwards, Chico Hamilton, Billy Higgins, Buddy Collette, comme si on était assis à un mètre, c’est exceptionnel! James Castro est particulièrement à féliciter pour cette réussite sonore.
Le concept maison est bien entendu la jam session, et il ne faut pas le regretter car il y a une vie et une énergie sereine qu’on retrouve rarement hors de ce cadre, une véritable joie de jouer. Il y a aussi dans ce matériel deux disques (5 et 6) édités à partir du matériel non édité prévu pour le label Clover Records, également créé par Doris Duke et Joe Castro (il y eut également une maison d’édition musicale, Jodo). Une vie mise véritablement en musique, avec la proximité des amis-invités, les musiciens de jazz d’abord, au premier rang desquels Louis Armstrong et Duke Ellington, avec une prédominance des musiciens de la Côte Ouest (Teddy Edwards, Buddy Collette…).
Joe Castro possède un talent réel de pianiste, dans l’esprit des grands classiques de ce temps quand on écoute attentivement, d’Oscar Peterson à Ray Bryant en passant par Erroll Garner, dans l’esprit de ces années cinquante si fertiles en pianistes exceptionnels, c’est-à-dire avec un swing évident, toujours la référence au blues. Le disque en big band, dans l’esprit Basie, nouveau testament mâtiné de Côte Ouest, arrangé par Joe Castro, définit assez bien son approche du jazz, avec un exceptionnel Leroy Vinnegar. Les musiciens sont splendides (Al Porcino, Conte Candoli, Frank Rosolino, Teddy Edwards…), et Joe Castro y démontre le caractère explosif de son jeu de piano, une belle technique (blocks chords en particulier) au service du jazz et une volonté d’originalité sans esbroufe. Malgré toutes ses qualités, Joe Castro n’a pas une grande discographie, essentiellement chez Atlantic (Mood Jazz et Groovy Funk Soul). Ses disques en leader sont rares, et il a joué tout au long de sa vie, depuis l’âge de 15 ans, accompagnant souvent (June Christy, Anita O’Day), aux côtés de Teddy Edwards (Sunset Eyes, Pacific, Teddy’s Ready, Contemporary), puis plus tard poursuivant une carrière d’accompagnateur à Las Vegas.
Ces six disques sont donc particulièrement bienvenus pour nous rappeler cette belle histoire du jazz que fut celle de Joe Castro, et pour nous donner à écouter ces magnifiques enregistrements inédits, car en dehors de Joe Castro, artiste généreux, lui-même à découvrir pour de nombreux amateurs, il a été à l’origine, dans le cadre d’une histoire très romantique, d’une belle aventure du jazz dont les protagonistes sont essentiels au jazz, et dont chaque note compte.
Pour illustrer l’esprit de ce beau coffret, on passera volontiers le «Sweet Georgia Brown», douzième thème du disque 4 (Teddy Edwards, Joe Castro, Leroy Vinnegar, Billy Higgins) ou le disque 3 pour la présence démesurée d’Oscar Pettiford, mais comme on vous l’a dit, chaque disque mérite qu’on s’y arrête.
Une petite idée en cas de réédition: une iconographie mieux traitée. Il y a sans doute de belles images à chercher chez CTS/Images dont les archives sont riches pour la Côte Ouest. Un petit mystère: ce coffret, intitulé «Lush Life», ne propose pas de version de ce thème, pourtant enregistré par Joe Castro pour Clover (331) en mars 1966, à notre connaissance le dernier enregistrement en leader de Joe Castro.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°676, été 2016

John Coltrane
A Love Supreme: The Complete Masters

Part I-Acknowledgement, Part II-Resolution, Part III-Pursuance, Part IV-Psalm (alternate takes et version live: 22 plages au total)

John Coltrane (ts), McCoy Tyner (p), Jimmy Garrison (b), Elvin Jones (dm) + Archie Shepp (ts) et Art Davis (b) sur 6 alternate takes du CD2
CD1 et CD2: enregistré le 9 décembre 1964 (Impulse! A-77 et alternate), Englewood Cliffs (New Jersey); CD3: enregistré le 26 juillet 1965, Antibes-Juan-les-Pins
Durée: 50' 32'' + 1h 03' 33'' + 49' 17''
Impulse! 0602547489470 (Universal)


L’un des albums les plus célèbres et vendus du quartet de John Coltrane trouve ici une énième vie et prolongement, qu’on espère intégral, des versions parues sur ce label, avec les alternate takes de l’enregistrement studio, y compris deux versions mono, et par ailleurs la version live enregistrée au Festival d’Antibes/Juan-les-Pins de juillet 1965 (plus longue que la version studio), à l’origine éditée par l’INA en 1987 (l’institut national de l’audiovisuel) en version CD (Esoldun-INA FCD 106) et non pas en 2002 comme le note la partie discographique d’un livret dû à Ashley Kane, le spécialiste actuel de John Coltrane. Abondamment illustré, avec le texte manuscrit du texte accordé par la succession John Coltrane, de belles photos de Jean-Pierre Leloir, dont les archives sont en cours de dispersion malheureusement, de Bob Thiele, de Rudy Van Gelder, et peut-être d’autres… l’ensemble n’étant pas très lisiblement crédité.
C’est un objet original, contenant trois disques dans un format DVD, dépliant.
Notons pour la description que le Festival International d’Antibes/Juan-les-Pins/Le Cap (à l’époque), est rebaptisé improprement «festival mondial» sur le livret, et que ce même jour, le quartet joua également «Impressions» qui figure sur l’édition de l’INA de 1987, bien que la voix d’André Francis, présentateur à demeure à Juan, nous fait penser le contraire.
Pour les amateurs qui possèdent leLove Supreme édité ou réédité comme l’enregistrement de l’INA, ils ont déjà l’essentiel. Les autres ont donc la chance d’avoir une nouvelle édition enrichie de prises supplémentaires et d’un livret correct bien illustré.
Sur le quartet de légende, dans sa composition classique (Tyner, Garrison, Jones), il faut noter que la musique, pour être modale et incantatoire, n’en reste pas moins très accessible, dans ce registre inspiré de la musique religieuse afro-américaine qui est une clé essentielle de la compréhension du quartet, avec cette puissance de la conviction autant que du souffle du quartet. Pas seulement du saxophoniste, car les quatre musiciens sont véritablement inspirés, puissants et lyriques, comme en état de transe. C’est peut-être encore plus sensible à Antibes qu’en studio. Le leader est bien entendu essentiel, mais le quartet est vraiment en symbiose et au meilleur de son expression dans cette période, avec une telle intensité que le public en est parfois saisi autant que surpris, découvrant que le jazz n’est pas que ludique.
Avec le décalage du temps, la force de cet enregistrement reste, mais ce qui étonne le plus est que cette conviction a été possible à une époque, et on la retrouve aussi dans d’autres disques d’un jazz plus «classique», dans le blues, mais que cela paraisse presque impossible aujourd’hui dans les cadres qui sont les nôtres, aussi bien dans nos festivals normalisés et mondialisés que dans nos maisons de disques trop rares et si peu aventureuses d’aujourd’hui.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°676, été 2016

François Ripoche / Alain Jean-Marie
The Peacocks

Manhã De Carnaval, Take the 'A' Train, You and the Night and the Music, Jazz Voyage, Body and Soul, Bright Mississippi, Central Park West, Trane's Slow Blues, Infant Eyes, Joy Spring, The Peacocks
François Ripoche (ts), Alain Jean-Marie (p)
Enregistré le 1er juin 2014, Nantes (44)
Durée: 47' 05''

Black & Blue 795 (Socadisc)

François Ripoche et Alain Jean-Marie aiment les beaux standards et le choix fait pour cet enregistrement est un all the best du jazz. Comme dirait Brassens: «il n’y a rien à jeter, sur l’île déserte, etc.». Compte tenu des excellents musiciens et de cette formule assez intimiste, cette conversation propose un beau voyage dans un répertoire d’exception mais aussi dans le jazz, car ces standards font référence à ce que le jazz a de mieux (Brown et Roach, Coltrane, Monk, Getz et Barron, Wayne Shorter, Ellington et Strayhorn, etc.), où les musiciens se sont fait un plaisir, partagé avec les auditeurs sur cet enregistrement. Il n’y a pas d’urgence dans cette musique, plutôt une sorte de sérénité, de plénitude, de dialogue attentif, avec une recherche d’authenticité jusque dans la méthode d’enregistrement (prises cohérentes sans retouche ou montage). De la musique de jazz pour le plaisir, comme le disait un célèbre label.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°676, été 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueChristian McBride Trio
Live at the Village Vanguard

Fried Pies, Band Introduction, Interlude, Sand Dune, The Lady in My Life, Cherokee, Good Morning Heartache, Down By The Riverside, Car Wash

Christian McBride (b), Christian sands (p), Ulysses Owens Jr. (dm)
Enregistré les 12-14 octobre 2014, New York
Durée: 1h 08' 29''
Mack Avenue 1099 (www.mackavenue.com)


Les lieux historiques du jazz, comme le Vanguard, ont cet avantage indéniable d’inspirer les musiciens de jazz, même les plus jeunes, et Christian Sands (22 mai 1989) est aussi jeune que brillant à son piano («Interlude»), et il serait injuste de ne pas en dire autant de beau batteur, Ulysses Owens, Jr. (6 décembre 1982). L’aîné Christian McBride (1972), le leader de cet enregistrement live, bassiste d’un talent hors norme («Good Morning Heartache»), retrouve dans cet environnement stimulant une veine jazz très classique dans un registre contemporain, loin de ses échappées électriques et binaires, qui montrent que le jazz reste ce terrain d’excellence de la musique auquel tiennent, quoi qu’ils disent et quoi qu’ils jouent, les musiciens qui font ou ont fait leur parcours au sein de cette entité culturelle qu’on appelle toujours le jazz parce qu’au fond elle correspond à l’un des mouvements artistiques majeurs du XXe siècle, et poursuit sur sa lancée, malgré les obstacles dressés sur sa route par les marchands de lessive et les fautes de culture dont se rendent parfois coupables, y compris les musiciens.
Rien de cela ici, du grand et du beau jazz, joué avec originalité et pourtant enraciné dans un siècle de musique. Ça swingue, le blues est là, les mélodies sont magnifiées (aucune recherche obligée, des standards, un traditionnel et quelques originaux), le public se fond dans l’atmosphère, tout concourt à une belle heure de musique en live. Cela peut paraître simple et naturel, mais c’est à la fois exigeant, complexe et léger comme la culture. Du jazz.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°676, été 2016

Tina May
My Kinda Love

My Kinda Love, Lazy Afternoon, S'posin', Where Were You in April, I Wish I Knew, Si tu partais, A Sunday Kind of Love, An Occasional Man, You Came a Long Way From St. Louis, Haunted Heart, Manhattan in the Rain, I'm Through With Love

Tina May (voc), Freddie Gavita (tp, flh), Janusz Carmello (tp), Nicol Thomson (tb), Sammy Mayne (as), Frank Griffith (ts, cl), John Pearce (p, elecp), Ian Laws (g), Dave Green (b), Winston Clifford (dm, voc) + Doffidle String Quartet
Enregistré les 10-11 mai 2014, Londres
Durée: 1h 00' 53''
HepJazz 2101 (www.tinamay.com)

Tina May
Home Is Where the Heart Is

Home Is Where the Heart Is, Don't Forget The Poet Please, A Nameless Gate, The Night Bird, With Every Smile of Yours (O! Le feu dans les yeux), Within the Hush of Night (Within The House of Night), I Took Your Hand in Mine (Fellini's Waltz), Day Dream, Home Is Where The Heart Is (Distance From Departure), This Is New
Tina May (voc), Enrico Pieranunzi (p), Tony Coe (ss)
Enregistré en novembre 2014, Luton (Angleterre)
Durée: 40’ 54”
33 Records 250 (www.tinamay.com)

Sous ses dehors de jolie parisienne à l’œil pétillant – bien qu’elle soit anglaise; sans doute, ses bérets et casquettes –, Tina May possède une vitalité et une curiosité toujours étonnante qui la conduisent à rechercher l’aventure du jazz dans ses rencontres et enregistrements, et cela depuis ses débuts où elle côtoyait déjà avec l’audace de la jeunesse le gotha de la scène britannique, les invités des festivals (Egberto Gismonti) et la scène parisienne avec les Roger Guérin, Kenny Clarke (Slow Club).Elle n’hésite pas ainsi à aborder les sensibilités du jazz les plus variées, les modernes souvent dans son association régulière avec Nikki Iles (p), mais aussi l’ensemble des musiciens qui ont fait le bonheur de la scène anglaise de Ronnie Scott, Stan Tracey à Peter King, Tony Coe, un autre compagnon de sa route, qu’on retrouve ici dans quelques thèmes avec Enrico Pieranunzi.En France, c’est dans un autre contexte, plus mainstream, qu’on la retrouve récemment, notamment au Méridien et au Caveau de La Huchette, où son énergie et son swing font le bonheur des danseurs.Elle a encore eu le privilège d’enregistrer un disque en compagnie du légendaire Ray Bryant, The Ray Bryant SongBook, arrangé par Don Sickler, avec le non moins célèbre Rudy Van Gelder aux manettes.Elle chante également la musique sacrée de Duke Ellington (Académie royale de musique de Londres), le répertoire de Broadway et elle a participé un peu partout en France à de nombreuses expériences musicales avec toutes sortes de formations.La retrouver ici dans deux contextes assez différents, d’un côté les standards et les beaux arrangements (avec une introduction d’Eric Satie sur «Lazy Afternoon») et de l’autre le registre plus dépouillé et improvisé d’Enrico Pieranunzi et Tony Coe, ne surprendra plus. Tina May aime les challenges, les découvertes, le changement; elle aime le jazz et plus largement la musique, en véritable musicienne. Sa solide formation depuis son jeune âge (à Cardiff), sa voix très juste, bien placée, ses qualités de respect des différents univers, aussi bien que son drive sont de solides arguments pour son expression et sa capacité à s’adapter à différents univers. C’est donc une belle musicienne, touche-à-tout du jazz et parfois même au-delà, car l’univers d’Enrico Pieranunzi se situe parfois au-delà, sans aucune faiblesse d’ailleurs, car lui aussi est un excellent musicien. Sa rencontre, très jazz, avec Tina May fait penser à celle du feu et de l’eau, bien entendu. On sent bien d’ailleurs dans leur rencontre que l’eau se réchauffe parfois («Day Dream») au contact de Tina May, mais le feu se fait aussi parfois braise avec sensibilité pour profiter des atmosphères que développent le pianiste et son ami de toujours, Tony Coe.Tina May, française de cœur (elle chante deux chansons en français), mérite d’être connue sous toutes ses facettes, nombreuses et attachantes, et la conjonction de ces deux enregistrements en offre l’occasion.

Yves Sportis
© Jazz Hot n°676, été 2016

Enrico Pieranunzi
Tales From the Unexpected

Improtale 1, The Waver, Anne Blomster Sang, Improtale 2, B.Y.O.H., Tales From the Unexpected, Improtale 3, Fellini's Waltz, Improtale 4, The Surprise Answer, Interview with Goetz Buehler

Enrico Pieranunzi (p), Jasper Somsen (b), André Ceccarelli (dm)
Enregistré le 29 août 2015,Gütersloh (Allemagne)
Durée: 1h 16' 26''
Intuition Records 71315 (Socadisc)


Enrico Pieranunzi est un pianiste délicieux qui côtoie parfois le jazz dont il possède, par héritage familial, des racines anciennes, presqu’aussi profondes que ses racines romaines. Pourtant, et cela peut varier selon les enregistrements, il est aujourd’hui souvent dans le registre de la musique improvisée très marquée par ses origines européennes, parfois loin de l’expressivité afro-américaine, très lyrique comme ici («The Waver», «Anne Blomster Sang»…). Ses qualités d’instrumentistes, d’invention, son trio avec d’excellents musiciens au service de ses compositions, font de cet enregistrement un moment de belle musique où la mémoire de ses inspirations de jeunesse fait plus appel à Bill Evans qu’à McCoy Tyner, voire à l’apprentissage du piano classique parfois.
Contrairement à ce que dit le texte du livret, voire Enrico lui-même, il ne semble pas que le swing soit l’une des cordes principales de son expression ici, à l’exception de deux thèmes («Improtale 4», «The Surprise Answer») où le feu tynérien se réveille, mais il est indéniable qu’Enrico Pieranunzi est un vrai lyrique doublé d’un pianiste exceptionnel, un beau conteur d’histoires. Son évocation de Fellini, dans une valse evansienne, est une très belle mélodie qui montre que les arts peuvent parfaitement communiquer sous la forme d’inspirations réciproques, surtout quand un artiste romain se souvient du Romain d’exception qu’était Federico Fellini. Les balais d’André Ceccarelli sont magiques sur ce thème, comme le bassiste, emportés par l’expression plus relevée d’Enrico Pieranunzi sur cette évocation.
Quoi qu’il en soit, nous avons là un excellent opus du pianiste romain, avec un André Ceccarelli brillant et judicieux par les nuances et couleurs qu’il apporte à ce trio, et avec un solide bassiste allemand.
Curiosité et bonne idée, une interview d’Enrico Pieranunzi est en conclusion de cet enregistrement où Enrico revendique avec humour l’italianité de la Corse, Nice et… de Ceccarelli (mais pas de Napoléon), puis Bach – nous sommes en Allemagne…, avant que la conversation s’oriente vers le Cinéma, Fellini, Rome et la Dolce Vita, vue comme une inspiration pour le jazz. Enrico y dit aussi l’importance de raconter des histoires, ce qu’il fait excellemment avec son piano, et il établit à ce sujet une analogie avec le cinéma, une analogie aussi entre l’improvisation dans le jazz et dans la commedia dell’arte. L’Italie reste un pays de grande culture… Ça fait aussi plaisir.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°676, été 2016

Jessica Jones Quartet
Moxie

Moxie, In a Sentimental Mood, Haitian Cotillion, Soft Target, Dear Toy, Clapping Game, Tag on the Train, Manhattattan
Jessica Jones (ts), Tony Jones (ts), StomuTakeishi (b), Kenny Wollensen (dm)
Enregistré le 12 janvier 2014, Brooklyn, New York

Durée: 52’ 16”
New Artists 1062 (www.newartistsrecords.com)


The Jessica Jones Quartet est une belle découverte. Né dans la mouvance de la musique d’avant-garde new-yorkaise, cette formation est dans la droite ligne de la musique des lofts des années 1960-1970. Elle conserve la fraîcheur de la conviction dans une histoire particulière du jazz, mais sans esprit de système, donc avec un vrai pouvoir créatif dénué, dans cet enregistrement, des clichés habituels, y compris ceux qu’on retrouve dans l’avant-garde. Ainsi est conservé dans ce disque, certains des aspects les plus fondateurs du jazz, comme la recherche d’une belle sonorité in the tradition, que ce soit celle de Sonny Rollins ou d’Ornette Coleman, non par mimétisme mais en référence. Tony Jones («Dear Toy») et Jessica Jones possèdent de beau sons et en usent («Tag on the Train»). Il n’y a pas non plus de refus systématique des structures traditionnelles du jazz, la mélodie, le thème et ses improvisations, la recherche de la beauté du son ou de l’idée («Moxie», «In a Sentimental Mood», «Dear Toy»), avec un respect des mélodies, de bons arrangements originaux, même si par ailleurs se font jour des recherches structurés dans l’esprit avant-gardiste qui n’ont justement aucune fadeur car elles ne sont plus gratuites mais enracinées. Le jazz free est aussi une musique de culture, et c’est ce qui le sépare des musiques improvisées, savantes ou actuelles.
Difficile d’en savoir beaucoup sur le plan biographique, si ce n’est que Jessica Jones, la directrice de ce groupe, a rencontré Don Cherry en Californie où elle résidait avant de s’intaller à Brooklyn depuis bientôt 20 ans et qu’elle adore le Wayne Shorter qui jouait chez Art Blakey. La cinquantaine, elle a travaillé avec Joseph Jarman, Cecil Taylor, Steve Coleman, Don Cherry, Peter Apfelbaum etConnie Crothers qui dirige le label New Artists de cet enregistrement.
Tony Jones, la soixantaine, est son époux. Il a côtoyé, entre autres Joseph Jarman, Muhal Richard Abrams, Cecil Taylor et Don Cherry. Excellent arrangeur et compossiteur, il a de son côté produit récemment un enregistrement en trio (Pitch, Rhythm and Consciousness).
Les deux ténors sont très complices, dans la vie au sens large, et la musique en est un résultat, fort bien construite autour de cette osmose entre les deux beaux sons de ténor et des idées partagées ou échangées. Les improvisations, loin de tout esprit bruitiste, propose une belle musique de jazz, qui nous rappelle tout ce que le jazz de l’époque dite «free» a pu et peut encore apporter de beauté authentique, avec ses retours parfois à des racines plus anciennes, loin de toute volonté systématique de surprendre ou de provoquer, de tourner en dérision par simple absence de projet.
Ce bon quartet – le batteur Kenny Wollesen (John Zorn) est aussi très musical, le bassiste Stomu Takeishi (Randy Brecker, Dave Liebman, Henry Threadgill) est original – propose une véritable musique affirmative, construite, originale, qui reprend les caractères essentiels de l’histoire du jazz, swing et blues compris, jusqu’à nos jours, avec une volonté de recherche qui ne se prive pas des racines, sans tomber dans la reprise aussi d’une esthétique unique que ce soit celle du new orleans, mainstream, du bebop ou, ici, du free, empruntant simplement des influences, pour développer la musique de leur époque, au tronc commun du jazz tout entier.
Du jazz, en somme, comme on l’aime, authentique, sincère, direct et à la recherche de la beauté, intérieure et extérieure, et c’est de cette manière que cette esthétique free a le plus de chance de se renouveler, comme les autres esthétiques du jazz.

Cette formation joue surtout dans les lieux et cadres répertoriés avant-garde (du Knitting Factory Festival au Vision Festival). C’est dommage que les grands festivals de jazz aujourd’hui en Europe, en particulier, ne soient plus en capacité, par ignorance ou esprit de chapelle ou mercantilisme-consumérisme, de proposer des programmes qui réunissent toutes les esthétiques du jazz – et seulement du jazz, c’est déjà un gros chantier – pour permettre aux musiciens les rencontres et découvertes mutuelles; pour permettre aux amateurs de comprendre cette histoire fabuleuse, les filiations, la lente maturation et le renouvellement de la culture, loin de la nouveauté médiatisée et éphémère; pour permettre enfin aux festivals de reconstruite un vrai public de jazz, connaisseur et respectueux de toute l’histoire du jazz sans esprit sectaire et sans superficialité consommatrice.
Quoi qu’il advienne, et nous sommes raisonnablement pessimistes sur ce dernier chapitre (Roland Kirk ne pourrait pas exister aujourd’hui autrement que dans un cirque ou dans une émission spécialisée), il reste ce type de bonne formation et ces bons musiciens pour prolonger l’histoire du jazz dans toute son épaisseur. Bravo et merci à eux. Puissent-ils résister longtemps et nous donner d’autres bons enregistrements et concerts en conservant le même esprit qui règne dans ce disque
!

Yves Sportis
© Jazz Hot n°676, été 2016

Ahmad Jamal
Live in Marciac

Sunday Afternoon, The Shout, Dynamo, The Gypsy, Strollin', Silver, All of You, Blue Moon, Autumn Rain

Ahmad Jamal (p), Reginald Veal (b), Herlin Riley (dm), Manolo Badrena (perc)
Enregistré le 5 août 2014, Marciac
Durée: 1h 12' 51'' + DVD 1h 25' 05''
Jazz Village 570078.79 (Harmonia Mundi)


Pour ceux qui ont manqué ce concert ou qui étaient trop loin de la scène, ou encore qui ont adoré cette soirée, voici restitué en CD et DVD le concert du légendaire Ahmad Jamal à Marciac en 2014. Il y a même un bonus sur le DVD («Morning Mist» qui fait la part belle à Reginald Veal). Entouré de magnifiques musiciens, Ahmad Jamal fait le show, comme il en est capable, car sur scène, il reste spectaculaire par sa manière d’orienter la musique, de diriger ses musiciens, comme par son jeu de piano, et malgré son grand âge.
Pour autant, c’est un homme de scène et de métier, et il sait faire la différence entre une assistance à l’écoute et une assistance à grand spectacle, et selon sa perception, il ne produit pas la même musique, le même spectacle, la même atmosphère. C’est très curieux mais pas si étonnant quand on y réfléchit. Ainsi ce concert donne-t-il à voir si on le compare par exemple avec un concert donné, un an avant, dans un petit théâtre, non loin de là, à Foix, devant une assistance plus jazz par l’intimité, qui donnait à écouter.
Evidemment, la musique d’Ahmad Jamal ne change pas fondamentalement, mais elle est dans ce cadre de Marciac comme plus spectaculaire et moins «naturelle», avec un petit côté «star» qui n’est pas pour lui déplaire. Le show est là très cadré, minuté, alors qu’à Foix, il avait été plus improvisé dans le choix du répertoire, avec des références nombreuses à l’histoire, avec une place plus grande du pianiste qui n’hésita pas à se lancer dans de longues improvisations sur son répertoire historique et fit de nombreux rappel pour cela.
Les amateurs de jazz préfèrent bien entendu la version en petit comité restituant la dimension historique et instrumentale d’Ahmad Jamal. Mais la vocation de Marciac étant de faire découvrir, même une légende aussi connue, à un grand public, ce concert reste parmi ce qui se fait de meilleur dans le genre, et si on veut parler de jazz, et nul doute que pour beaucoup ce fut une étonnante découverte.
L’idée donc d’ajouter un DVD, pour Ahmad Jamal en particulier, est excellente, car la scène mérite le regard autant que l’audition et de fait, le DVD paraît plus intéressant que le disque (c’est frappant pour «Sunday Afternoon») car il donne une meilleure idée de la construction du spectacle, de l’interaction des musiciens, indépendamment de la musique; c’est un vrai spectacle!
On connaît les caractéristiques de l’art du pianiste de Pittsburgh, un héritier original du grand Erroll Garner (un sens orchestral, du spectacle et du brillant, le choix de la petite formation, avec des fidélités, avec percussionniste parfois, avec une pulsation soutenue) mais avec un sens de la découpe du discours très différent (ruptures dans l’expression) convulsif a contrario des torrents du grand Erroll, plus nerveuse et moins lyrique, pour affirmer sa différence, sa marque; ce qui était indispensable alors, même si ce n’est pas la seule raison.
Donc au total, une belle production, d’un musicien à nul autre pareil, et d’une musique aussi spectaculaire qu’originale, choisissant toujours d’apporter sa marque aux thèmes les plus connus comme ici «The Gypsy» sans jamais renier la mélodie. On apprécie l’hommage double d’Ahmad Jamal à Horace Silver, disparu en 2014 («Strollin’»), joué pour cette fois avec le classicisme certain du Ahmad Jamal historique, et qui lui dédie aussi une composition originale «Silver», plus dans la manière actuelle.
Pas indispensable sur le seul plan musical dans l’œuvre d’Ahmad Jamal, il reste de cette soirée des images d’un spectacle musical qui, elles, le sont car elles dévoilent des aspects de la savante alchimie du grand Ahmad Jamal, brillamment entouré comme à son habitude.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°676, été 2016

John Scofield
Past Present

Slinky, Chap Dance, Hangover, Museum, Season Creep, Get Pround, Enjoy the Future!, Mr. Puffy, Past Present

John Scofield (g), Joe Lovano (ts), Larry Grenadier (b), Bill Stewart (dm)
Enregistré les 16 et 17 mars 2015, Stamford (Connecticut)

Durée: 52' 18''

Impulse! 0602547485106 (Universal)


Voici donc John Scofield de retour après un passage aux côtés des rockers de Gov’t Mule pour un album endiablé (Sco-Mule), comme il sait si bien le faire. Depuis Überjam, Sco s’est fait une spécialité de délivrer des disques décoiffants loin des reposants (Quiet ou I Can See You House from Here). Pour Past Present, l’ancien guitariste de Miles opte pour un format qu’il adore: le quartet avec basse, batterie et saxophone. Une formule qu’il a souvent éprouvée au cours de sa carrière s’adjoignant les services de Dave Liebeman, Kenny Garrett et Joe Lovano. Nous retrouvons ce dernier une nouvelle fois en compagnie, ici, de Larry Grenadier et Bill Stewart. Après de multiples expériences, John Scofield revient aux fondements d’un format qu’il maîtrise parfaitement. Chercher une pièce originale dans ce bel ensemble n’est pas chosé aisée. «Get Pround» possède un léger côté Beatles que le guitariste crée avec force avant de laisser Lovano glisser une dimension plus «getzienne» dans le propos («Get Pround»). Aussi surprenant que cela puisse paraître, cette couleur se retrouve aussi sur «Enjoy the Futur». «Past Present» est l’occasion pour Scofield de se défouler un peu plus en bénéficiant de l’excellent travail de Bill Stewart sur les fûts. Une impression de vouloir terminer l’album sur une vision du présent. Pour le passé, «Chap Dance» démarre fort façon bebop, puis le thème se complexifie avec les interventions de Lovano et se transforme en feu d’artifice. Du bel ouvrage.
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°676, été 2016

Wes Montgomery
The Quintessence

CD1: Finger Pickin’, Far Wes’, Old Folks, Hymn for Carl, Falling in Love with Love, Jingles, Yesterdays, ‘Round Midnight, Airegin, Four on Six, West Coast Blues, In Your Own Sweet Way, D-Natural Blues, Work Song; CD2: West Coast Blues, Yours Is My Heart Alone, Movin’ Alone, Body and Soul, Tune-Up, While We’re Young, Twisted Blues, Cotton Tail, Repetition, Delilah, Full House, Blue’N’ Boogie

Wes Montgomery (g), Nat Adderley (tp), Joe Gordon (tp), Harold Land (ts), Johnny Griffin (ts), Julian Cannonball Adderley (as), James Clay (fl), Buddy Montgomery (p), Tommy Flanagan (p), Bobby Timmons (p), Victor Felman (p), Hank Jones (p), Winton Kelly (p), Melvin Rhyne (org), Joe Bradley (p), Monk Montgomery (b), Percy Heath (b), Ray Brown (b), Sam Jones (b), Paul Chambers (b), Paul Parker (dm), Tony Hazley (dm), Albert Heath (dm), Louis Hayes (dm, vib), Philly Joe Jones (dm), Jimmy Cobb (dm), Milt Jackson (vib), Lex Humphries (dm), Ray Barretto (cga), Sam Jones (cello)
Dates et lieux d’enregistrement: 30 décembre 1957, Indianapolis, 18 avril 1958 & 1
er octobre 1959, Los Angeles, 5-6 octobre 1959, 26-27 janvier 1960, New York, 18 mai, 5 juin, 11 octobre 1060, Los Angeles, 4 août, 19 décembre 1961, 25 juin 1962, New York
Durée: 1h 15' 49'' + 1h 11' 04''

Frémeaux Associés 3062 (Socadisc)


Les morceaux ici réédités ont fait les heures de gloire du guitariste d’Indianapolis à ses débuts. The Quintessence regroupe des pièces enregistrées entre 1957 à 1962, soit la période Riverside. Sur ce double CD, tout débute dans la ville natale de Wes avec ses frères pour un «Finger Pickin’» savoureux. Dès le début, le guitariste charme par son phrasé. Il n’y a rien de plus normal quand on connaît la qualité d’un gars qui passait ses soirées à travailler son instrument en jouant avec le pouce pour ne pas déranger ses voisins. Ce travail porte ses fruits dès «Far Wes» extrait de l’albumMontgomery Land, qui plonge l’auditeur dans une ambiance feutrée à souhaits. C’est lorsqu’il signe avec Riversideque le guitariste montre tout son savoir faire. Sur cette compilation, on l’entend en trio avec Melvin Rhyne (org) et Paul Parker (dm). Il y a bien sûr «Jingles», une composition du guitariste qui orne magistralement ce premier opus, mais aussi et surtout «Round Midnight» tout en délicatesse. Les notes de la six cordes sont comme des étoiles qui se détachent de la voûte céleste tandis que les accords de l’orgue le transporte sur la voie lactée pour un beau moment de jazz. Ensuite les classiques s’enchaînent («Four on Six», «West Coast Blues», «D Natural Blues») et avec eux les partenaires: Tommy Flanagan, Percy et Albert Heath. La première galette se termine avec «Work Song» écrit par Nat Adderley, un morceau majeur de cette deuxième moitié du XXesiècle. La guitare de Wes répondant à l’appel de la trompette de Nat sur les incantations de Louis Hayes (dm) tandis que Bobby Timmons apporte les clés du dialogue, un excellent moment.
Le second disque débute avec un morceau gravé en compagnie de Harold Land, alors leader qui donne à son album le titre de la compo de Wes. Avant de revenir aux autres productions du guitariste d’Indianapolis pour Riverside, le concepteur de la compilation offre un détour sur les rives de Julian Cannonball Adderley, le frère de Nat, accompagné des Poll Winners, dont Ray Brown à la contrebasse. Puis c’est Moving Alone et la flûte de James Clay qui titille les envies dechoruses de Wes («Movin’ Alone»). Ce morceau marque une pause dans l’œuvre du guitariste qui passe la surmultipliée avecSo Much Guitar où Wes retrouve Ron Carter et bénéfice de la présence d’Hank Jones (p) pour offrir un magistrale blues («Twisted Blues») et un déboulé hyper speed pour l’époque, ainsi qu’une reprise du maître Ellington («Cotton Tail»). Après un nouvel album de rencontre en la personne de Milt Jackson, alias Bag pour un «Delilah» décoiffant, le coffret se termine en présentant Wes Montgomery live at Tsubo (Full House) en compagnie de Wynton Kelly, Johnny Griffin, Paul Chambers et Jimmy Cobb. A ce stade de sa carrière, Wes Montgomery est un modèle pour tous les guitaristes. Il a joué avec les meilleurs pianistes du moment et bénéficié d’une rythmique de qualité. Dans ce coffret, il manque les oeuvres avec cordes qui feront leur apparition dès Fusion. Peut-être une deuxième étape de Frémeaux qui pourra poursuivre l’œuvre de mémoire du grand Wes à travers des enregistrements jugés plus commerciaux à l’époque, mais qui conservent une saveur indicible dans le chaos musical que nous offrent certains musiciens du XXIe siècle. Affaire à suivre?
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°676, été 2016

Alain Pierre Tree-Ho!
Aaron & Allen

Aaron & Allen, Seul compte l’instant présent, Piazza Armerinia, Present Times, Lost Roadnook, Le Vin noir, L’Etang des iris, Coming Times, Joyful Breath

Alain Pierre (g), Félix Zurstrassen (b), Antoine Pierre (dm)
Enregistré en juillet 2014, avril et juillet 2015, Belgique
Durée: 49' 23''
Spinach Pie Records 101 (www.spinachpierecords.com)


On retrouve ici Alain Pierre, entouré de son fils Antoine et de Félix, le fils de Pirly Zurstrassen (p). L'occasion de réécouter le guitariste, avec toute la sensibilité qui le caractérise. Formé au Conservatoire de Liège en guitare classique et en musique de chambre, il a toujours cherché à séduire par le velouté du son. Le choix qu’il fait des différentes guitares et cordes (acoustiques, électriques, douze cordes, cordes nylon…) est significatif. On pourrait rattacher ses choix mélodiques à ceux de Philip Catherine; la filiation avec Ralph Towner est plus perceptible («Seul compte l’instant présent», «L’Etang des iris»). Le picking naturel aux doigts et le soin prit à coller les voix (rerecording) témoignent d’un compositeur qui aime les belles harmonies («Lost Roadbook»). Derrière le soliste on aurait préféré entendre une contrebasse, ce qui n’enlève rien à la musicalité de Félix Zurstrassen: un musicien qui s’affirme de mieux en mieux au fil de ses collaborations («Seul compte l’instant présent»). Le choc des générations, en contraste, est particulièrement marqué lors du solo d’Antoine sur «Piaza Amerina». Ecouter «Tree-Ho!» puis revoir Alain Pierre en concert c’est approcher la zénitude – sa zénitude («Lost Roadbook»)!
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°676, été 2016

Antoine Pierre
Urbex

Coffin for a Sequoia, Litany for an Orange Tree, Who Planted This Tree°, Les Douze Marionettes, Urbex*°, Matropolitan Adventure, Walking On a Vibrant Soil, Wandering #1, Metropolitan Adventure (reprise), Moon’s Melancholia, Ode to My Moon*

Antoine Pierre (dm), Jean-Paul Estiévenart (tp), Toine Thys (ts,ss), Steven Delannoye (ts, bcl), Bert Cools (g), Bram De Looze (p), Félix Zurstrassen (eb), Frédéric Malempré (perc) + Lorenzo Di Maio* (g), David Thomaere° (key)
Enregistré les 12, 13, 14 septembre 2015, Belgique

Durée: 1h 12' 45''

Igloo Records 268 (Socadisc)


Antoine a la chance d’être bien né d’un papa musicien (Alain Pierre). Un avantage dont il a su tirer parti. Béni des dieux, Antoine Pierre a écouté, appris et compris. A 17 ans, il s’est fait remarquer au festival de Comblain-la-Tour avec Igor Gehenot (p) et le Metropolitan Jazz Quartet; à Dinant avec le même Gehenot et le LG Jazz Collectif; au Gaume Jazz derrière Enrico Pieranunzi (p). A 19 ans, alors qu’il étudie encore au Conservatoire de Bruxelles, Philip Catherine l’engage en tournées et en studio pour son Côté Jardin. La mouvance bouillonnante des nuits bruxelloises lui laisse un petit manque; il décide alors de passer un an à New York, à la New School For Jazz And Contemporary Music. Au contact de cette autre scène, fort de ses enseignements multiples (Antonio Sanchez), il revient en Europe avec en tête «son» projet musical. Sabam Award 2015, il voit dans les vestiges industriels de la Wallonie et le futur fictionnel des bétons new-yorkais (cf. La Guerre des Mondes): l’homme décadent, impuissant; mais aussi la renaissance de la nature au milieu du béton. C’est Urbex, contraction de Urban Exploration!
Le jeune prodige de la batterie a maintenant 23 printemps; il écrit ses visions en musique entouré de ceux qui, comme lui, ont vu la lumière au travers des ruines. Résolument contemporaine, la musique de l’octet poursuit les chantiers débroussaillés avant lui par Charles Mingus («Walking on a Vibrant Soil») ou le Thad Jones-Mel Lewis Orchestra. Le drive d’Antoine Pierre est sûr, autoritaire (influence de Peter Erskine sur «Metropolitan Adventure»). Les œuvres, solidement charpentées et bétonnées sont enjolivées par les solistes pré-trentenaires («Who Planted This Tree?»). On retrouve le désormais incontournable Estiévenart à la trompette (espagnolisant sur «Litany for an Orange Tree»), mais on apprécie aussi les déboulés de Steven Delannoye (ts) sur «Urbex». Bram De Looze (p) étonne par l’assurance qui lui vient («Coffin for a Sequoia»); Bert Cools (g), qu’on voit plus souvent en Flandre, impose l’ouverture trans-régionale qui manque trop souvent au royaume de la discorde («Litany for an Orange Tree»). Les invités ne sont pas en reste (présence et créativité de Lorenzo Di Maio sur «Ode to My Moon»). Les œuvres sont écrites comme des suites, des travelings en images sonores. Dans cet esprit, «Les Douze Marionnettes» illustre une déambulation au travers de friches industrielles où s’infiltre la pluie. Poète romantique avec «Moon’s Melancholia» et «Ode to My Moon», Antoine Pierre captive par la densité et la maturité de son œuvre. Une première déjà si grande qu’elle appelle des lendemains.
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°676, été 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueEva Cassidy
Nightbird

Blue Skies, Ain't Doin' too Bad, Ain't no Sunshine, Fields of Gold, Baby I Love You, Honeysucckle Rose, Route 66, Bridge Over Troubled Water, Chain of Fools, Fever, Autumn Leaves, Fine and Mellow, Cheek to Cheek, It Don't Mean a Thing, Late in the Evening, Next Time You See Me, Waly Waly, Take Me to the River, Nightbird, People Get Ready, The Letter, Son of a Preacher Man, Stormy Monday, Tall Trees in Georgia, Something's Got a Hold Me, Time After Time, Over the Rainbow, You're Welcome to the Club, Caravan, You've Changed, What a Wonderful World, Oh, Had I a Golden Thread

Eva Cassidy (voc, g), Chris Biondo (elb), Keith Grimes (g), Lenny The Ringer Williams, (p), Hilton Felton (org), Raice McLeod (dm)
Enregistré le 3 janvier 1996, Washington
Durée : 1 h 08' 27'' + 1h 11' 42'' + DVD 55'
Blix Street Records G2-10209 (Universal)


Disparue en 1996, à l'âge de 33 ans, quelques mois après cet enregistrement, la chanteuse Eva Cassidy n'aura hélas connu qu'une gloire posthume (plus de 10 millions d'albums vendus depuis sa disparition, et la reconnaissance de quelques fans célèbres tels Eric Clapton ou Paul Mc Cartney).
Sa carrière n'en étant alors qu'à ses débuts, elle n'avait pas encore définitivement opté pour un genre particulier, et s'exprimait avec la même aisance dans différents modes, du country au blues en passant par le jazz ou le rock and roll, grâce à des qualités vocales exceptionnelles et un swing sans faille. Il ne lui manquait plus guère que la pratique du «scat» dont ses qualités de guitariste lui donnaient sûrement les capacités.
A l'heure où de nouvelles chanteuses au joli minois apparaissent chaque semaine comme autant de «rosés des prés» insipides, les trente-deux morceaux enregistrés pour la plupart en «live» de ce double CD (et les 12 versions contenues dans le DVD qui les accompagnent), démontrent l'ampleur du talent gâché d'Eva Cassidy (et accessoirement, la nécessité du dépistage généralisé du mélanome). Un album bouleversant.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°676, été 2016

Franck Filosa
My Soul, My Sol

My Soul My Sol, When You Are with Us, Lover Come Back to Me, Sud, Origin Drum Solo, Lady Sings the Blues, SMS, Song for Anne, Jeudi 12, The Man I Love

Carine Bonnefoy (p), Mathias Allamane (b), Franck Filosa (dm), Sofie Sorman (voc)
Enregistré les 18 et 19 octobre 2015, Issy-les-Moulineaux (92)
Durée: 47' 01''
Great Winds 3179 (Musea)


Dix ans après son premier disque, Franck Filosa continue sa route et développe sa musique, toujours avec l’excellente pianiste Carine Bonnefoy pour ancrer son âme dans le sol: belle idée en ces temps d’incertitudes diverses. Dès le premier morceau, justement «My Soul, My Sol», délicieux jeu de mot, sur un rythme assez bossa dans lequel la pianiste se montre très à l’aise et à son avantage sur ce type de rythme. Suivi sur un tempo lent par «When You Are with Us» avec une intro très nostalgique du contrebassiste ponctuée par des accords de piano; piano qui s’échappe dans un solo très inspiré en osmose avec le batteur très mélodique.
En invitée la jeune chanteuse suédoise Sofie Sörman qui vient d’un pays où dit-elle «Chanter est un moyen d’expression essentiel». Elle en fait ici une belle démonstration: «Lover Come Back to Me» prit sur tempo rapide avec une belle intervention du batteur qui suit là encore l’articulation de la mélodie sur les toms; Sofie chante avec une telle énergie que son Lover ne peut que lui revenir. Elle se frotte au blues avec une solide personnalité sur «Lady Sings The Blues», qui nous vaut un solo de piano très senti et un trio parfait. Après une prenante entrée du piano Sofie s’empare de «The Man I Love» en chantant les mots avec un lyrisme ad hoc, soutenue à merveille par la pianiste.
On a plaisir à retrouver les belles attaques à la fois nettes et ouatées de Mathias Allamane sur sa contrebasse, à le goûter particulièrement sur «Song for Anne» où le piano se fait rêveur, ou encore en un accrochant duo avec la batteur sur «Jeudi 12». Le batteur travaille à merveille le son de ses toms, intervenant assez peu aux cymbales, ce qui donne beaucoup de chaleur au trio; à apprécier sur son solo absolu sous le tire «Origin»: un signe!
Art du trio qui repose sur de belles compositions et d’efficaces arrangements de la plume du leader pour la plupart des morceaux, ainsi que sur une intrication des trois voies très réussies, avec, et c’est notable, une construction globale du disque; c’est à dire que les morceaux, bien que différents, restent dans la même atmosphère, y compris avec la chanteuse.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°676, été 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueChris Cody
Not My Lover

This Thing, Scatter, Pop It, Into the Gloaming, For Satie, Seven Below, Not My Lover, Clem’s Key, I love Paris, La Javanaise

Chris Cody (p), Karl Laskowski (ts), Brandan Clarke (b), James Waples (dm)
Enregistré les 24, 26 avril et 11, 12 juin 2015, Australie
Durée: 1h 05'
Wave Music 1 500 1 (www.chriscody.com)


Originaire de Melbourne, le pianiste Chris Cody (Jazz Hot n°613) a appartenu à la scène jazz parisienne pendant plus de vingt ans où on l'a entendu aux côtés de Rick Margitza, Rhoda Scott, Stefano di Battista, Glenn Ferris, Marcel Azzola et beaucoup d'autres. Il est récemment retourné vivre en Australie où il a enregistré cet album, le neuvième sous son nom, et qui est un hommage à Paris et à la France. Outre «I Love Paris» et «La Javanaise», les thèmes sont de sa plume.
Un jeu de piano enthousiasmant, lumineux, qui respire, avec des attaques tranchantes, une main gauche en appui avec des accords très personnels, sur une main droite qui chante. Assez à la façon de Paul Bley. Un sax ténor au jeu sobre, élégant, délicat, inspiré. Un batteur coloriste qui sait s’entremêler dans le discours en s’appuyant sur la contrebasse. Celle-ci joue souvent des motifs répétés comme sur «Scatter» sur un emballant solo de piano. Belle intro piano solo sur «Pop It», piano rejoint par la contrebasse qui place une note sur chaque accord main gauche, effet garanti. Puis les cymbales viennent enrichir le chant. Et pour finir le ténor s’ajoute à l’œuvre en marche. «Into The Gloaming» est un modèle d’échange rubato à 4 voix. Quant à «For Satie» en piano solo, qui se présente comme une relecture de la Gnossienne N°3, n’est pas loin non plus des Gymnopédies, c’est une merveille de Satie revisité par le blues et les Balkans. Un petit chef d’œuvre. Il est vrai qu’il y a de l’impressionnisme dans la musique de Cody. Pour «Not My Lover» Cody nous dit que le morceau est basé sur un thème de Michael Jackson, une splendide façon de s’approprier le rock avec un sax bien dans la danse. En fait pas grand chose à voir avec le rock; on est dans du pur jazz d’aujourd’hui. Et c’est l’expression qui fait tout. «Clem’s Key» est un joli sourire à sa fille née à Paris. L’hommage à Paris prend toute sa saveur avec le célèbre thème de Cole Porter «I Love Paris», en trio, où le pianiste fait merveille avec un sacré contrechant de la basse sur le thème de base, un collier de perles à notre Capitale. Et le plus beau pour la fin, c’est le morceau qui clôt le disque, «La Javanaise» de Gainsbourg, en trio, prise sur un tempo très lent comme suspendu, le pianiste et un contrebassiste très inspirés nous jouent «a waltz for lovers to fall in love at first sight».
Un beau et solide quartet, et surtout un pianiste remarquable, comme un poisson dans l’eau en trio basse-batterie.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°676, été 2016

Jason Miles / Ingrid Jensen
Kind of New

Interlude, The Faction of Cool, Super City, Shirley, Film noir Interlude, Ferrari, Seeing Through the Rain, Close the Action, Kats Eye, Street Vibe, Twilight Interlude, Sanctuary

Jason Miles (key), Ingrid Jensen (tp), Jay Rodriguez (ss, ts, bs, bcl) Jeff Coffin (ss, ts, bs), Nir Felder (g), James Genus, Jerry Brooks, Amanda Ruzza, Adam Dorn (b), Gene Lake, Mike Clark, Jon Wilson (dm)
Enregistré en septembre 2014, New York
Durée: 53' 09''

Whaling City Sound 073 (www.whalingcitysound.com)


Mis à part le dernier thème signé Wayne Shorter, toutes les compositions ont été écrites par le pianiste et la très virtuose trompettiste, disciple enthousiaste de Miles Davis. De forme harmonique assez basique elles se caractérisent pour la plupart par un enchaînement de «motifs d'ambiance» (on n'ose dire de riffs) flirtant souvent avec des suraigus très maîtrisés ou des sonorités voilées de trompette bouchée. La section rythmique soutient l'ensemble façon jazz rock/funky pour beaux quartiers.
Aucune bavure, aucune faute de goût, travail de studio remarquable. Cela évoque l'esthétique de la première époque électrique de Miles Davis (dont Jason Miles, en tant qu'expert en programmation informatique et autres «bidouillages de son», a été le collaborateur). La copie est certes très réussie, mais l'original demeure insurpassable.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°676, été 2016

Clare Fischer
Out of the Blue

Love's Walk, Tema do Boneco de Palha, When You Wish Upon a Star/Someday My Prince Will Come, Starbright, Two for the Road, Cascade of the Seven Waterfalls, Out of the Blue, Millbrae Walk, Amor en paz, Squatty Roo, Nuages, Novelho, 49 (Larry Ford), Carnaval/A felicidade/Samba de Orfeu

Clare Fischer (key, arr.), Brent Fischer (perc, b), Peter Erskine, Mike Shapiro (dm), Denise Donatelli, John Proulx (voc)
Date et lieu d'enregistrement non précisés
Durée: 1h 11' 20''
Clavo Records 201509
(www.clarefisher.com)


Plus qu'à sa qualité de jazzman, le pianiste Clare Fisher, décédé en 2012, doit sa notoriété et sans doute sa fortune, à ses talents d'arrangeur pour la pop et la variété (The Jackson Five, Prince, Céline Dion, etc.). Cité par Herbie Hancock comme étant l'une de ses principales influences, le créateur de «Pensativa», est souvent comparé au pianiste Bill Evans qui a immortalisé ce thème. Il s'en défendait pourtant, se réclamant plutôt de l'arrangeur Gil Evans (son syndrome «Evans Brothers» disait-il). Attentif, parmi les premiers aux musiques latines, la bossa nova en particulier, et adepte, parmi les premiers encore, des claviers électriques, il eut aussi une carrière de pur jazzman. Auteur d'arrangements pour Donald Byrd, Dizzy Gillespie ou Branford Marsalis, il avait aussi joué avec Gary Peacock, Joe Pass et Cal Tjader.
Dans ce disque, Brent Fisher, contrebassiste et arrangeur, publie quelques enregistrements privés inédits et miraculeusement retrouvés, dont une bonne moitié de compositions personnelles de son père (avec la présence de Cal Tjader, sur un titre). Avec beaucoup de respect et de tact, il y ajoute parfois, et sans rien dénaturer, une partie apocryphe de vocaux, de contrebasse et de batterie. Un vrai miracle de studio. Voici une occasion inespérée de profiter du réel talent de pianiste, aujourd'hui injustement oublié, de Clare Fisher.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°676, été 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueLaurent Coulondre Trio
Schizophrenia

Prelude to Schizophrenia, Schizophrenia, Palma's Waltz, Sunny Road Trip, Spring Bloom, Parallel Spaces, Bouncing Peanuts, Fun Keys

Laurent Coulondre (p, org), Rémi Bouyssiere (elb, b), Martin Wangermée (dm)
Enregistré en décembre 2014, Vannes
Durée: 44' 48''
Sound Surveyor 1509 (L'
Autre distribution)


A moins de 30 ans Laurent Coulondre a remporté plusieurs prix, joué à Marciac et à Vienne, assuré des premières parties prestigieuses (Jacky Terrasson, etc.) et, déjà, publié trois albums.
Aussi à l'aise au piano qu'à l'orgue, il mène un trio où Rémi Bouyssière passe brillamment de la basse électrique à la contrebasse et où le batteur Martin Wangermee se montre particulièrement efficace sur les rythmiques les plus complexes. Compositions dynamiques et subtiles, traits d'orgue Hammond (ou de synthé de la marque suédoise Nord?) fulgurants. Beau toucher de piano, tantôt lyrique, tantôt tranchant comme un coup de cymbale. Swing convaincant, superbe technique, belles idées que la fougue de la jeunesse (et aussi une belle expérience et une sacrée culture jazzistique) transcendent. Tout est là pour assurer un beau succès à ce CD qu'on peut écouter en boucle sans lassitude et, qui donne, de plus, fortement envie d'écouter les précédents.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°676, été 2016

Ed Motta
Perpetual Gateways

Captain's Refusal, Hypocondriac's Fun, Good Intentions, Reader's choice, Héritage déjà vu, Forgotten Nickname, The Owner, A Town in Flames, I Remember Julie, Overlown Overweight

Ed Motta (p, voc), Hubert Laws (fl), Cecil McBee Jr, Charles Owens, Ricky Woodyard, (s), Curtis Taylor (tp) Patrice Rushen, Greg Phillinganes (key), Tony Dumas (b), Marvin «Smitty Smith» (dm)
Enregistré en septembre 2015, Pasadena
Durée: 49' 32''
MustHaveJazz/Membran (Harmonia Mundi)


Pianiste et chanteur, Ed Motta, surnommé le «Barry White» brésilien, n'a pas fini de nous surprendre. Eminent amateur de jazz, et grand collectionneur de disques (on parle de plus de 300 000...), c'est un véritable «melting pot musical» à lui tout seul. Il a déjà tâté avec brio de tous les styles: funk, disco, bossa nova, reggae, rock. Et voilà qu'il se met au jazz pop/rock le plus élégant...
Dès le premier titre, on pense à Steely Dan, au deuxième à Stevie Wonder, au troisième à Raul Midon...et ainsi de suite. Tous gens de bonne compagnie.
Le disque étant sous titré «Soul Gate/Jazz Gate», on l'attendait un peu à ce dernier tournant. Mais c'est gagné! Car la partie instrumentale, grâce aux nombreux et généreux solos des sidemen, s'inscrit parfaitement dans la tradition de notre musique préférée. Energie, inventivité, swing, exigence de qualité et références tutélaires bienvenues (à Dizzy Gillespie, Art Blakey ou Horace Silver, quelques courts instants décisifs...), tout y est. Ed Motta a du succès, il plait aux «jeunes». Et c'est tant mieux. On ne va quand même pas lui en faire le reproche, car il a tout l'air d'être une personne très respectable.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°676, été 2016

Kirk MacDonald
Symmetry

Symmetry, Eleven, Common Ground, Mackrel's Groove, Shadows, Brazil Like, Labyrinth, Greenwich Time, Contemplation, Bop Zone

Kirk MacDonald (ts), Tom Harrell (tp, flh), Brian Dickinson (p), Neil Swainson (b), Dennis Mackrel (dm)
Enregistré les 8-9 juin 2013, Toronto, Canada
Durée: 1h 16’

Addo Records 018 (www.addorecords.com)

Voici donc un second opus qui date de l’année précédent l'enregistrement de Vista Obscura. On peut dire qu’il choisit bien ses invités, puisqu’il est ici entouré de Tom Harrell et Denis Mackrel, toujours avec le soutien de haute volée de Neil Swainson et, pour ce disque, de son ami de longue date Brian Dickinson, absent du suivant puisque l’invité était Harold Mabern.
Autre qualité de Kirk, en connaisseur du jazz, il respecte la différence d’univers de ses invités, et il plie sa musique, y compris ses compositions, à l’univers de chacun d’entre eux. L’album avec Harold Mabern était coltranien, celui-ci est shorterien, cela pour situer rapidement l’atmosphère qui prévaut dans cet enregistrement. Cela permet aussi d’apprécier les qualités de ces différents enregistrements, savoir que la mélodie et l’expression sont plus importantes dans l’enregistrement avec Mabern, que l’harmonie et la construction d’ensemble le sont davantage dans celui avec Harrell.
De ce fait, ce disque de 2013 est conçu comme un tout. A l’exception du dernier thème, «Bop Zone», plus accentué «à l’ancienne», on a une sorte de suite tissant une œuvre entièrement composée par Kirk MacDonald, élégante et nuancée comme l’impose la présence de Tom Harrell, où les harmonies savantes créent une véritable bulle de beauté dans laquelle on s’immerge, musiciens comme auditeurs. Pour les amateurs de ces atmosphères, c’est un très bel enregistrement, dans la lointaine lignée de Booker Little, qui était plus dramatique, du Wayne Shorter d’après Art Blakey.
Tom Harrell est comme un poisson dans l’eau dans ce cadre, donnant la pleine mesure de ce son si limpide; Dennis Mackrel est remarquable dans sa manière de colorer cette musique sans jamais imposer une pulsation rythmique pourtant présente; Neil Swainson, est, comme le dit lui-même le leader dans les notes de livret, l’un des meilleurs bassistes qui soient, sans faiblesse. Les deux amis Brian et Kirk sont parfaitement à leur aise dans cet univers où Kirk est à l’écoute, moins brillant que dans l’album avec Mabern, mais tout aussi musical. Ses compositions le disent aussi. Ces hommes aiment le jazz et la musique, et ça s’entend! Il n’y a aucune démonstration, juste la musique, le plaisir et l’exigence. On vous le confirme, Kirk MacDonald, au centre de ces projets made in Canada, est un musicien à découvrir de ce côté de l’Atlantique.

Yves Sportis
© Jazz Hot n°676, été 2016

Kirk MacDonald
Vista Obscura

Lonnie's Lamment, Vista Obscura, There But For the Grace of..., Calendula, You See But You Don't Hear, Naima, The Mill Dam, Walkaround, Mira Nights

Kirk MacDonald (ts), Pat LaBarbera (ts) 5, 6, 7, Harold Mabern (p), Neil Swainson (b), André White (dm)
Enregistré les 27-28 juillet 2014, Toronto
Durée: 1h 16' 33''
Addo Records 025 (www.addorecords.com)


Le nom de ce saxophoniste canadien ne dira pas grand-chose à beaucoup d’amateurs de jazz européens, bien qu’il ait côtoyé Dave Young, Kenny Wheeler, Eddie Henderson, Harold Mabern, Walter Bishop Jr., Pat LaBarbera, John Taylor, Ron McClure, Mike Stern, Jim McNeely, Vince Mendoza, John Clayton, Chris Potter, James Moody, Rosemary Clooney, et d’autres encore. C’est dommage, car voici un magnifique ténor, doué d’une sonorité exceptionnelle et d’une virtuosité instrumentale peu commune, dans un registre hard bop-coltranien, autrement dit le mainstream d’aujourd’hui. Son répertoire, dans ce bel enregistrement fait d’ailleurs explicitement référence à John Coltrane («Lonnie's Lament», «Naima»), sans faiblesse aucune par rapport à l’original, car l’explosif Harold Mabern, qu’on ne présente plus, est à la hauteur du modèle Tynérien et que la section rythmique est des meilleures. Kirk est aussi un bon compositeur («Walkaround»), le reste du répertoire sur cet enregistrement est d’ailleurs magnifique.
Il est brillamment soutenu par le très beau son de contrebasse de Neil Swainson, le benjamin de cette réunion (1955, Canada), le plus connu parmi ces Canadiens de qualité, doué d’un swing réjouissant, qui côtoya dès son jeune âge Sonny Stitt, Herb Ellis, Barney Kessel, Tommy Flanagan, James Moody, Jay McShann, Lee Konitz, George Coleman, Woody Shaw (deux enregistrements), Slide Hampton, Joe Farrell et beaucoup de musiciens de jazz de haut niveau.
Enfin la pulsation nerveuse et très musicale d’André White, autre trésor encore plus caché du Canada, batteur mais aussi pianiste et enseignant, vraiment excellent, donne à cette formation une allure de all star de haut niveau.
En invité, le «frère» de Kirk, Pat LaBarbera (1944, Canada), lui aussi ténor de haut niveau, et à écouter les trois thèmes où joue Pat, en particulier «Naima», il y a plus qu’une complicité entre ces deux ténors canadiens, de la connivence fraternelle. Pat a joué avec Buddy Rich, Louie Bellson et a tourné avec Elvin Jones en 1975, en europe en particulier. Il a également fait partie de l’orchestre de Carlos Santana, grand amateur de Coltrane, et on comprend son choix de Pat LaBarbera.
Les sexagénaires (Neil, André et Kirk), septuagénaires (Pat), octogénaire (Mabern) produisent une musique d’une intensité, d’une puissance, d’une inventivité qui font plaisir à écouter.
Leur discographie en leader reste modeste, et n’embarrasse pas les bacs des disquaires, Ils ont peu tourné en Europe et s’ils ont une bonne notoriété au Canada, nous aurions mérité d’en savoir plus sur leur musique, sur eux. Les scènes du monde s’honoreraient de ces dignes représentants d’un jazz de qualité plutôt que ce que nous voyons souvent. Il faut croire aussi que le jazz n’est pas aussi international qu’il pourrait l’être, et que le Canada ou le Pôle Nord en matière de jazz, c’est un peu pareil pour nos directeurs artistiques européens. C’est peut-être ce que voulait dire Kirk avec son titre énigmatique Vista Obscura
Ce bel enregistrement dirigé par Kirk MacDonald, lui aussi enseignant depuis trente ans, et ces beaux musiciens qui l’accompagnent, méritent un indispensable. Nous serions heureux qu’une tournée européenne nous permette de découvrir bientôt en live cette splendide énergie.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°676, été 2016

Emmanuel Baily
Night Stork

Aria, East Coast West Coast, Les Feuilles Mortes, Night Stork, Goma, Sahel Al Mumtanah, Bossa de l’Hiver, Letter From Home, Bron-Yr-Aur

Emmanuel Baily (g), Lambert Colson (cornet à bouquin), Jean-François Foliez (cl), Xavier Rogé (dm), Khaled Aljaramani (oud, voc)
Enregistré en mars 2015, Bruxelles

Durée: 41' 06''

Igloo Records 265 (Socadisc)


En totale adéquation avec les objectifs des Jeunesses Musicales du Luxembourg Belge, de Jean-Pierre Bissot et du Gaume Jazz Festival le projet d’Emmanuel Baily prône la mixité. Nous aurions pu nous passer de chroniquer cet album dans une revue spécialisée «jazz». Toutefois le projet d’Emmanuel est tellement original par les couleurs qu’il développe qu’il nous apparait intéressant d’attirer votre attention. Dès l’écoute d’ «Aria», l’étonnante association de la clarinette et du cornet à bouquin interpelle pour l’évidence harmonique. Avec «East Coast West Coast», qu’il aurait pu intituler «Nord-Sud», on sent déjà l’appel des grandes dunes sahariennes (l’oud). Le chant de Khaled Aljaramani sur «Sahel Al Mumtanah nous impose l’humilité; le solo d’oud est joliment porté par l’accompagnement du guitariste ouvrant sur les entrelacs des souffleurs. Un peu plus au Sud, sur l’équateur, il nous invite à onduler du popotin congolien, comme un message d’espoir parmi les viols et le génocide («Goma»). Le poétique «Night Stork» s’inspire des battements d’ailes d’une cigogne … noire, d’après l’auteur; majestueuse, quoi qu’il en soit (re-recording de guitares)! L’originalité des «Feuilles mortes» réside d’abord dans une longue intro à la gratte à laquelle succède l’union des vents. Xavier Rogé (dm) poursuit par des rythmes mats qui ouvrent sur un solo bien inspiré du clarinettiste. Avec «Bossa de l’Hiver» et le druming hypnotique et binaire de Rogé, Emmanuel Baily se sent pousser des ailes. Le délicieux «Letter From Home» vient nous rappeler d’où il les tient! Pour conclure sur un country sound, Emmanuel Baily fait un tributeà Jimmy Page («Bron-Yr-Aur»). Ce sera l’ultime témoignage (pour cette fois) d’un guitariste doué, d’un musicien ouvert et d’un arrangeur d’une grande sensibilité. Non, mais! On n’a pas d’œillères, nous, Monsieur!
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueValerio Pontrandolfo & Harold Mabern Trio
Are You Sirius?

Twenty, You, Touched, Tongue Out, Recado Bossa Nova, Make Believe, Are You Sirius?, Rakin' & Scrapin, Tune Up

Valerio Pontrandolfo (ts), Harold Mabern (p), John Webber (b), Joe Farnsworth (dm)
Enregistré le 11 septembre 2014, Vignola (Italie)
Durée: 40' 22''
In Jazz We Trust 001 (www.valeriopontrandolfo.it)


Ce n’est pas sur le livret (à quoi servent-ils aujourd’hui) que vous apprendrez quoi que ce soit sur Valerio Pontrandolfo. Ce natif (24 avril 1975) de Potenza (Basilicata), dans le sud de l’Italie, installé depuis 20 ans à Bologne, a étudié le saxophone avec Piero Odorici puis a suivi l’enseignement si recherché de Barry Harris, et pris des cours avec Steve Grossman et George Coleman. Il a côtoyé sur scène (festivals européens, clubs) beaucoup de beaux musiciens de jazz comme Steve Grossman, Alvin Queen, Andrea Pozza, et bien sûr beaucoup de la scène italienne du jazz. Le parcours est donc jalonné de références solides, et d’une certaine manière on l’entend dans cet enregistrement très jazz, c’est-à-dire pétri dans le blues, le swing et l’expression hot. Comme le remarque l’auteur des quelques mots d’introduction du livret, le ténor Eric Alexander, habituel compagnon du trio très new-yorkais qui accompagne la découverte de ce disque, Valerio puise aux meilleures sources, celles de Sonny Rollins souvent ou de ses maîtres successifs. Nul doute qu’il aime le jazz, et qu’il s’est fait un énorme plaisir à jouer avec une section ryhtmique de rêve ou l’evergreen Harold Mabern est soutenu par la paire complice et puissante de John Webber et Joe Farnsworth. Beaucoup de standards, les bonnes compositions sont recommandées quand il s’agit d’un disque de présentation, et les quatre originaux sont très «classiques», dans le même esprit. Valerio est d’ailleurs très concentré sur son sujet, il ne se laisse pas aller (les thèmes tournent autour de 4 minutes dans un disque de 40 minutes), et on peut le comprendre, un maître du jazz l’accompagne. Un introduction donc sympathique qui s’écoute avec plaisir d’un musicien qui n’a pas la prétention d’inventer le jazz, même s’il a l’audace d’être le leader d’un trio qui habite à l’étage supérieur.
A suivre..
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Yves Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Erroll Garner
The Quintessence

Just You, Just Me, The Petite Waltz Bounce, Honeysuckle Rose, The Way You Look Tonight, It's the Talk of the Town, Caravan, Cheek to Cheek, Look Ma-All Hands!, (There's) No Greater Love, Lullaby of Birdland, I've Got My Love to Keep Me Warm, Groovy Day, A Cottage For Sale, That Old Feeling, Misty, Afternoon of an Elf, I'll Remember April, Autumn Leaves (Les Feuilles Mortes) , Mambo Carmel, The Man I Love, Time on My Hands, Passing Through, The Way Back Blues, Soliloquy, You'd Be So Nice to Come Home to, French Doll, The French Touch, Mack The Knife

Erroll Garner (p) et selon les thèmes: Oscar Moore (g), Nelson Boud (b), Teddy Stewart (dm), John Simmons (b), Shadow Wilson (dm), Wyatt Ruther (b), Eugene Fats Heard (dm), Eddie Calhoun (b), Denzil Best (dm), Al Hall (b), Specs Powell (dm), Kelly Martin (dm)
Enregistré de 1948 à 1962, New York, Carmel, Los Angeles
Durée : 1h 12' 24'' + 1h 11' 55''
Frémeaux et Associés 3063 (Socadisc)


Dans The Quintessence, la collection des compilations de grande consommation (on l’espère pour la maison Frémeaux, c’est mérité), voici le deuxième volume consacré à Erroll Garner qu’on retrouve ici en solo, trio, quartet. Un bon texte d’Alain Gerber raconte toute l’incompréhension du cas Garner qu’on peut résumer par un génie «naturel» et modeste. Par «naturel», il faut entendre «culturel», car toute la force de Louis Armstrong, Fats Waller ou Erroll Garner était bien de donner naturellement à entendre l’essence d’un jazz inspiré par des siècles de culture.
Alain Tercinet s’occupe de la sélection retenue et de son commentaire, et remarque (en les citant) que la plupart des pianistes ont adoré Erroll Garner. Il rappelle que son talent fut apprécié par Boris Vian et Charles Delaunay en France. Il faut aussi se souvenir que, parfois, son plaisir de plaire au public le privait de celui de plaire à une critique faussement «intellectuelle». La variété du répertoire, l’absence de barrière (technique, de tonalité, d’a priori stylistique et autres) ont fait d’Erroll Garner un pianiste universellement apprécié, d’abord des producteurs (il n’avait pas besoin de plusieurs prises) et pas seulement des amateurs de jazz. Beaucoup ont fredonné ses interprétations sans avoir de notions très précises de ce qu’était le jazz, ce qui le rapproche à nouveau de Louis Armstrong.
Erroll Garner se place bien entendu dans un ensemble culturel identifié, notamment par son lieu de naissance, Pittsburgh, Pennsylvanie, une ville bénie pour le piano jazz (de Mary Lou Williams à Ahmad Jamal), dans un moment où l’art du piano atteint des sommets d’expression et de virtuosité, mais la préexistence de Fats Waller, Earl Hines, Teddy Wilson, Art Tatum, Nat King Cole et quelques autres, qui l’ont tous inspiré, ne l’empêche pas de développer son style à nul autre pareil: un style orchestral avec ses introductions légendaires, ses développements sur tempos doublés («The Man I Love»), un délié et une attaque puissante du clavier et de chacune des notes, avec ses redoublements, un jeu en blocks chords légendaire, avec ce petit décalage-retard qui détermine un jeu d’une souplesse extraordinaire et qui est sa marque de fabrique, une musicalité rhapsodiante, une gamme de nuances sans limite du lento-pianissimo au forte-allegro et un swing qui, comme celui de Basie, pourrait servir d’exemple parfait d’une des composantes essentielles du jazz. Le piano de Garner, c’est le jazz en cinémascope. Pianiste de culture, son oreille était capable de tout saisir (y compris chez ses contemporains de Bud Powell à Oscar Peterson) et d’en faire du Erroll Garner. Le génie du jazz est aussi là. De fait, Erroll Garner a influencé, même à leur insu, tous les pianistes de jazz (comme le remarque Jimmy Rowles dans une des citations du livret) et au-delà.
Bon, les amateurs auront déjà dans l’oreille beaucoup de ces chansons qu’il a fait siennes ou qu’il a composées («Misty», «Mambo Carmel»), mais pour les plus jeunes ou les moins spécialisés, cet enregistrement sera une ouverture sur un monde merveilleurx, si l’auditeur est capable, lui aussi, d’écouter ce musicien extraordinaire sans les a priori sonores du jour.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Melody Gardot
The Currency of Man

It Gonna Come, Preacherman, Morning Sun, Same to You, Don’t Misunderstand, Don’t Talk, If Ever I Recall Your Face, Bad News, She Don’t Know, Once I Was Loved + Palmas da Rua, No Man’s Prize, March for Mingus, After the Rain, Burying My Trouble (sur la version The Artist’s Cut)
Melody Gardot (voc, p, g), Gary Grant (tp), Irwin Hall (as), Dan Higgins (ts, bs), Andy Martin (tb), Pete Kuzma, Larry Goldings (org), Mitchell Long, Dean Parks, Jesse Harris, Reese Richardson (g), Chuck Staab, Vinnie Colaiuta (dm), Pete Korpela (perc), Heather Donavon, Clydene Jackson, Julia Waters, Maxine Waters (bck voc)
Enregistré à Los Angeles, date non communiquée
Durée: 48' 52''

Decca 4724682 (Universal)

Quatrième pépite pour la native de Philadelphie et une nouvelle fois la finesse et la profondeur de sa musique sont au rendez-vous. Melody Gardot joue un jazz qui puise aux sources du blues et de la soul en y apportant ses couleurs faites d’esthétique, de fashion week et de joaillerie. Sur la galette cela se traduit par des compositions toujours aussi fortes en émotion, une instrumentation sophistiquée avec des cuivres et des cordes à volonté et un line-up de haute qualité. En plus d’Irwin Hall (as), Mitchell Long (g) et Chuck Staab (dm), ses musiciens habituels, Larry Goldings (org), Dean Parks (g) et Vinnie Colaiuta (dm) apportent leur expérience et leurs connaissances à la formation constituée pour l’occasion. La jeune femme, pour qui la musique a été une thérapie, conduit son navire vers les destinations qui lui correspondent tout à fait. L’album est à la fois hot, tendre et spicy avec un clin d’œil au free qui mérite d’être souligné. Currency of Man (version longue) ouvre avec «Don’t Misunderstand», comme si l’artiste voulait nous extraire des champs de coton du Delta profond pour nous amener sur la route d’une certaine libération, avec l’orgue en soutien d’une voix gorgée de sensualité. La Gardot dit des choses fortes sur une musique suave («Don’t Talk») ou plus funky («It Gonna Come»). Aux détours de l’album, on retrouve le Philly Sound qui constitue la base principale de la production de Larry Klein, qui avait produit My One and Only Thrill, ainsi que Herbie Hancock et Joni Mitchell. «Preacherman» est le morceau déclencheur de cette direction. Lors de la tournée 2013 pour son album The Absence, Miss Gardot jouait déjà cette pièce, dédiée à Emmett Till, jeune Afro-Américain assassiné en 1955. Un désir de parler d’une période qui est malheureusement toujours d’actualité outre-Atlantique. Le son est à présent plus rond, un choix esthétique qui se combine fort bien avec les autres morceaux franchement soul («Same to You») et cette référence à sa ville natale. Sur «She Don’t Know», Melody Gardot joue avec les mots. En fait, sur ses chansons elle parle de la vie qu’elle perçoit à travers sa propre existence. En cela elle est jazz et le témoigne par certaines orchestrations et certaines interventions de son fidèle Irwin Hall. Ce dernier devenant par instants un Roland Kirk du présent avec ses deux saxos en bouche («Bad News»). Enfin, comment ne pas évoquer «March for Mingus», un extrait d’à peine une minute, pour rendre hommage au grand contrebassiste, mais qui sur scène se transforme en plus de dix minutes d’intenses échanges jazziques. Un choix défendu par la chanteuse, malgré les réticences de la maison de disques.
Au final, on stage, le public peut être pas forcément féru de la note bleue, découvre une musique qui peut lui paraître lointaine grâce à l’excellent travail de la guitariste signée par Gibson. Pour les fans, il y a encore «Burying My Trouble», et cette sensation que Melody vous parle en direct pour vous dire l’essence de son existence. Ce dialogue ne peut vous laisser insensible. C’est la magie de Melody. Rendez-vous pour un nouvel opus qui semble-t-il pourrait avoir la couleur du Brasil d’Astrud, Antonio et Stan?

Michel Maestracci
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

The Katie Bull Group Project
All Hot Bodies Radiate

The Crazy Poet Song, Venus on the A Train, Koko's Can Do Blues, Ghost Sonata, The Drive to Woodstock, If I Loved You/ What if?, Torch Song to the Sub, Love Poem for Apollo, I Guess This Isn't Kansas Anymore, Some Perfume Home, Ding Dong the Witch Is Dead, Rapture for the David, The Sea Is Full of Song
Katie Bull (voc) Jeff Lederer (ss, ts), Landon Knoblock (p), Joe Fonda (b), George Schuller (dm)
Enregistré en avril 2013, Paramus (New Jersey)
Durée: 1h 04’ 54’’
Corn Hill Indie (www.katiebull.com)


Katie Bull, poétesse d'avant-garde, compositrice et arrangeuse, est fortement impliquée dans la défense de la nature et est très préoccupée par les changements climatiques. Dans ce CD sous-titré «Love-Nature-The Nature of Love», elle psalmodie (plus qu'elle ne les chante) ses textes sur fond d'une musique de jazz tout aussi intransigeante, car, l'engagement musical est total, et plus proche des véhémences du free jazz que des candeurs du «flower power».
Si la section rythmique ne mérite que des éloges, Jeff Lederer, le saxophoniste, magnifique musicien, fortement influencé par Ayler, sideman occasionnel de Buster Williams ou de Gunther Schuller et conseiller pédagogique du Jazz at Lincoln Center est, quant à lui, digne d'encore plusde compliments. Ce disque étant avant tout un manifeste militant et ne conviendra pas vraiment à une écoute familiale apaisée de fin de week-end.... Mais il rappelle à bon escient, s'il en est encore temps, que le jazz a aussi une dimension politique
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Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Eric Séva
Nomade sonore

Graffiti Celtique, Guizeh, Rue aux fromages, Nomade sonore, Monsieur Toulouse, Popa, Kamar, Matin rouge, Sur le pont de Gazagou, Cheeky Monkey
Eric Seva (ss, bs), Daniel Zimmerman (tb), Bruno Shorp (b)
Enregistré à Maison Alfort, date non communiquée
Durée: 59' 33'
Gaya Music Production ESGCD001 (Socadisc)


Le saxophoniste Eric Seva a le sens des titres qui font mouche pour décrire sa démarche. Après Folklores imaginaires (en 2005 avec Didier Malherbe au doudouk) et Espaces croisés (en 2009, avec Lionel Suarez au bandonéon), voici Nomade sonore, son dernier album. Ayant grandi dans un milieu très concerné par le bal musette, il eut le privilège d'être initié au jazz dès l'enfance par un grand expert en la matière, son voisin Jean, l'immense (et si tendre) dessinateur Cabu. Oui, celui là-même qui nous manque tant. Enfin, après de solides études musicales, Eric Seva eut, la chance d'être choisi comme élève par Dave Liebman. Alors, question métissages, il en connait un rayon. D'autant que ponctuée de rencontres miraculeuses, sa carrière l'a conduit àenregistrer avec l'ONJ, Khalil Chahine, Didier Lockwood, Sanseverino, Maxime Leforestier, Dick Annegarn ou... Céline Dion (pour faire court).
Difficile de décrire sa musique tant elle déborde d'influences diverses mêlant, parfois au sein d'un même morceau, un folklore désuet revitalisé par les«notes bleues»,au jazz le plus swinguant. Ecriture précise, larges plages d'improvisations, climats et rythmiques combinant moments de tension et de plénitude dans un tourbillon frénétique rempli de rebondissements, ne cessent de surprendre. Les très beaux sons de soprano et de sax baryton s'accordent à merveille avec la variété des timbres du trombone (la prise de son est remarquable), tandis que la basse et la batterie tiennent avec légèreté et une grande complicité leur rôle indispensable de gardien du cap. C'est tout simplement captivant!
Ce disque est dédié aux douze victimes de l’attentat de Charlie Hebdo. On comprend pourquoi
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Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Julie Saury/Carine Bonnefoy/Felipe Cabrera
The Hiding Place

Harufe, Laissez-moi, Through the Clouds, Desde Abrit, Samuel, The Hiding Place, Horns and Horses, Vertigo, Un p'tit moi, Stars Fell on Alabam
Julie Saury (dm), Carine Bonnefoy (p), Felipe Cabrera (b)
Enregistré les 3, 4 et 5 octobre 2013, Videlle (91)
Durée: 1h 00' 42''
Gaya Music Production 021 (Socadisc)

Quel est donc ce lieu évoqué par le titre de l'album? Si c'est celui de l'origine géographique des membres de ce trio "mixte" (deux filles et un garçon) venant d'horizons si différents, il faudra se plonger dans un atlas et se livrer à de sacrés calculs... Car si Julie Saury est parisienne et Felipe Cabrera cubain (ou parisien?), Carine Bonnefoy a des origines polynésiennes, mais a grandi en Provence... Quel casse-tête! Peu importe, ils se sont trouvés et bien trouvés. Chacun a apporté ses compositions, et le choix du seul standard (dédié à Maxim... dont le nom de famille n'est pas un vrai secret et qui est joué avec beaucoup de tendresse), n'a pas dû faire débat tant l'entente de ce trio semble totale. Thèmes d'une grande qualité, mises en place découpées au scalpel (en trio on ne peut guère parler «d'arrangements»), écoute de tous les instants, respect de la parole de l'autre, changements de climats soudains et inattendus, interactions éclairs, ostinatos furtifs, choix harmoniques audacieux et surprises rythmiques diaboliquement maîtrisées. Bref, tout ce qu'il est normal d'attendre d'un trio de "vieux briscards", rompus par des années de tournées est là. Evident.
Ce CD est un prodige d'invention de grâce et d'authenticité. Enregistré dans le confort d'un studio on dirait presque un live. Une vraie réussite!
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Jean-Yves Candela
Lucie

Baiao loco, Quel chic, Blue Samba, Il pleut bergère, Astor, Lucie, Aria pour Michèle, Anatelius, Petite valse, Suite pour piano et quatuor à cordes, Like a child
Jean-Yves Candela (p), François Arnaud, Bertrand Cervera (vln),Vincent Aucante (avln), Thierry Amadi (cello), Marc Bertaux (b), Realcino Lima Filho dit Nenê (dm)
Enregistré en mai 2006, Paris
Durée: 51’ 58’’
JMS 111-2 (Sphinx Distribution)


La guimauve n’étant pas son fort, c’est toujours avec un peu d’appréhension que le chroniqueur reçoit un disque de jazz «avec cordes». Mais à l’écoute de celui-ci, les craintes sont vite dissipées. Malgré un penchant certain pour le côté fluide et nostalgique des harmonies de la musique brésilienne, le pianiste, Jean-Yves Candela y signe des compositions énergiques et des arrangements dénués de mièvrerie. Le trio piano, contrebasse, batterie emporte l’enthousiasme par le dynamisme, la précision, et la richesse harmonique de cette musique élégante et lyrique. Thèmes de toute beauté, improvisations pertinentes et mises en place redoutables de finesse ne souffrent aucunement de la présence des cordes, celles-ci n’étant pas, comme si souvent, placées en renfort ou en fond de scène. Mais, postées à point, et parties prenantes du discours, elles participent pleinement à sa réussite.
Signe des temps, malgré les références de son auteur (Les Etoiles, Elisabeth Kontomanou, Babik Reinhardt, Christian Escoudé, Sylvain Luc, Richard Galliano, André Ceccarelli, JM Jafet, les frères Belmondo…), remarqué par André Francis dès 1989, son disque sort presque dix ans après avoir été enregistré… Dur dur de faire carrière quand on vit en province...

Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Céline Bonacina Crystal Quartet
Crystal Rain

Smiles for Serious People, Cyclone, Child's Mood, Crystal Rain, Shanty Trails in the Sky, Crossing Flow, Two Sides, On the Road, Vantan
Céline Bonacina (bs, ss), Gwilym Simcock (p), Chris Jennings (b), Asaf Sirkis (dm) 
Enregistré du 25 au 27 août 2015, Meudon (92)
Durée: 55’ 07’’
Cristal Records 245 (Harmonia Mundi)

Céline Bonacina, saxophoniste baryton et soprano de 40 ans, originaire de Belfort, s’est formée dans les conservatoires, cursus dont elle est sortie diplômée et qui lui a permis d’enseigner pendant sept ans sur l’île de la Réunion. De retour dans la métropole en 2005, elle crée son propre trio jazz et autoproduit un premier album, Vue d’en haut. Suivent deux disques en trio parus chez ACT, Way of Life (2010, avec la participation de Nguyên Lê) et Open Heart (2012, avec en invités Mino Cinelu, perc, et Pascal Schumacher, vib). Trois opus marqués par la volonté d’intégrer au jazz des influences world music.

Avec Crystal Rain elle nous présente son nouveau quartet acoustique, formation qui conserve une teinte world, et qui porte une musique essentiellement écrite par son leader. Les accents boisés du baryton de Céline Bonacina sont mis au service de compositions aériennes, comportant des préoccupations esthétiques et une tonalité qu’on pourrait qualifier de contemplatives et spirituelles (référence au cristal qui dans la mouvance New Age est le prisme permettant une certaine ouverture au monde). Si les notes chaleureuses du baryton prédominent, Céline Bonacina utilise aussi le soprano au travers de contrastes plus appuyés sur des plages atmosphériques mettant en valeur le jeu inspiré des cymbales d’Asaf Syrkis. L’imaginaire est fortement sollicité à l’écoute de cette musique dont l’onirisme ne se dément pas, mais l’apparentement au jazz s’exprime ici principalement par les arrangements et l’interplay présent entre les instrumentistes. 

Ce Crystal Quartet utilise des mesures composées, et bien qu’un véritable sens du collectif anime l’album, la pulsation rythmique ne permet que sporadiquement la mise en valeur des contributions propres à un musicien en particulier. Du coup, l’univers des joutes instrumentales est à peu près absent du vocabulaire usité sur ces pistes, remplacé par l’ambition d’élaborer un discours musical inédit, basé sur les émotions. On ressent d’ailleurs clairement la présence d’autres courants musicaux que le jazz parmi les influences de la saxophoniste (d’où une quasi absence de swing), et surtout un véritable sens de l’ornementation qui ne relève jamais de l’enluminure gratuite, de plus assorti de breaks bienvenus, qui émaille les titres les plus audacieux de ce Crystal Rain.

Le CD se clôt joliment sur «Vantan», une ballade mémorable du contrebassiste, et paradoxalement c’est peut-être sur ce titre (en dehors, bien sûr, de «Crystal Rain») qu’on ressent le plus l’âme d’enfant sous l’égide de laquelle Céline Bonacina a voulu placer son œuvre.

Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Jean-Philippe O'Neill Quartet
Willie'O

Emile Saint Saëns, Willie’O, The Stalker, You Make Me Feel so Crazy, Latina, Billy Hart, Brook, Studio 16, Be Bop à Lulu
Jean-Philippe O’Neill (dm), Ronald Baker (tp, voc), Philippe Petit (p), Peter Giron (b)

Enregistré du 1erau 4 février 2014, Paris
Durée: 48’ 39’’
Black & Blue 798.2 (Socadisc)

A tous ceux qui n’entendent la créativité en jazz qu’en le dénaturant de son essence, Jean-Philippe O’Neill oppose un démenti incontestable. Soit Willie’O, un album uniquement constitué d’originaux, dans une tonalité globalement bop. Ceux qui fréquentent les clubs parisiens, en particulier le Caveau de La Huchette, on pu repérer ce joyeux gaillard aux côtés de Ronald Baker. Une enfance au Mexique, une adolescence à Paris et une dizaine d’années à New York (il est diplômé de la Rutgers University) ont par ailleurs donné au batteur des horizons larges et une solide maîtrise du swing. Et c’est justement de cette rencontre avec l’ami Ronald – nous explique-t-il dans la (trop) courte notice du CD – qui a jeté les bases de ce quartet (ce qui ne nous étonne guère, tant ce projet paraît cousin des albums de l’excellent Ronald Baker Quintet), lequel est fort bien complété par l’une des Rolls parisiennes de la contrebasse, Peter Giron, et le groovissime Philipe Petit.

Outre la qualité des interprètes, celle des compositions – signées par les trois sidemen – et des arrangements sont à souligner. Les ambiances sont variées, allant de l’évocation de la musique d’Horace Silver (excellent «Emile Saint Saëns» de Petit) à un détour par Cuba («Latina» de Baker), tandis que l’on compte quelques jolies ballades portées par la sensibilité aiguë du trompettiste, en particulier sur les deux meilleurs titres de cet opus: «Billy Hart» (un hommage bienvenu sur un disque de batteur!) et «Brook», tous deux écrits par Peter Giron.

Willie’O
est ainsi une œuvre collégiale dans laquelle le leader ne se met pas en avant: à peine nous gratifie-t-il d’un solo en ouverture de «Latina» (où le duo avec Philippe Petit, tout aussi percussif, fonctionne à merveille). Un excès de modestie peut-être. Mais on ne va pas se plaindre que la belle cohésion du groupe ni des couleurs subtiles que Jean-Philippe O’Neill distille du bout des baguettes.

Jérôme Partage
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Austin O'Brien Big 5 Band
My Time Is Now

My Time Is Now, Ride On, Ballade for Kele, What Do You See?, Dirty Old Town, Happy, Main Street, She Moves Through the Fair, D’iazz Song, That’s True, Now and Then, My Dear Friend, And I Ask You Why, Love for Two
Austin O’Brien (voc), Michel Pastre (ts), Christian Brun (elg), Philippe Petit (org), François Laudet (dm)
Enregistré en 2014, Meudon (92)
Durée: 56’ 39’’
Autoproduit (www.austinobrienmusic.com)


Les habitués du Caveau de La Huchette ont forcément déjà croisé sa haute silhouette au bar, dans le public et évidemment sur scène. Car cela fait dix ans que cet Irlandais à la forte personnalité fréquente le club de Dany Doriz. Entertainer se réclamant de la tradition des Harry Connick Jr, Frank Sinatra et Tony Bennett, Austin O’Brien propose un album qu’il présente avant tout comme un compagnonnage amical et musical avec Michel Pastre, François Laudet, Christian Brun et Philippe Petit, ce dernier étant l’auteur des arrangements. La qualité du groupe qui entoure le chanteur n’est effectivement pas le moindre des atouts de ce projet (le son hawkinsien de Pastre est tout simplement magnifique) comprenant à une large majorité des originaux, ce qui n’est pas le cas le plus fréquent pour un disque de swing. Ces compositions sont toutes signées ou cosignées par le leader avec Petit, Brun, Michel ou César Pastre (on doit notamment au jeune fils du ténor  – par ailleurs, excellent pianiste – une jolie ballade: «D’iazz Song») et elles sont de bonne facture (avec une mention spéciale pour «That’s True», concoctée par O’Brien et Petit). Côté reprise, on retiendra une surprenante version du tube R’n’B de Pharrell Williams,
«Happy», – si bien jazzifié qu’on le prendrait pour un standard –, alors qu’avec le traditionnel irlandais, «Dirty Old Town», l’opération paraît artificielle. Résultat des courses: un disque fort sympathique porté par un interprète qui mérite de l’attention.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Kenny Barron Trio
Book of Intuition

Magic Dance, Bud Like, Cook's Bay , In the Slow Lane, Shuffle Boil, Light Blue, Lunacy, Dreams, Prayer, Nightfall
Kenny Barron (p), Kiyoshi Kitagawa (b), Johnathan Blake (dm)
Enregistré les 4 et 5 juin 2015, New York
Durée: 1h
Impulse! 477 0129 (Universal)


Kenny Barron en trio, c’est un classique du jazz, l’un des meilleurs de l’histoire. Il a aussi enregistré en solo (At Maybeck), en duo (Together avec Tommy Flanagan, Red Barron avec Red Mitchell, Two As One avec Buster Williams, People Time avec Stan Getz,Night and the City avec Charlie Haden), en quartet (la série des Sphereavec Charlie Rouse, Buster Williams et Ben Riley), voire en plus grande formation, toujours de magnifiques disques, parce que Kenny Barron est l’un des piliers du jazz d’aujourd’hui, un musicien qui a magnifié l’histoire du jazz depuis sa jeunesse, aux côtés de Dizzy Gillespie dès 19 ans pour un parcours d’excellence sans le moindre égarement.
En trio, comme dans tous les formats, c’est un géant, et la connivence entre musiciens comme la large place laissée à l’expression de chacun de ce format réduit, ont fait de cet échange à trois celui qu’il utilise le plus en tournée. On se souvient, mieux, on se les repasse fréquemment, de ses trios avec Buster Williams et Ben Riley (Green Chimneys, IMO Live), avec Ron Carter et Michael Moore (1+1+1), avec Cecil McBee et Al Foster (Landscape), avec Ray Drummond et Ben Riley, un trio au long cours avec lequel il a souvent tourné, l’une des plus belles réunions de l’histoire (Lemuria), avec Rufus Reid et Victor Lewis (The Moment), avec Charlie Haden et Roy Haynes (Wanton Spirit)… On pourrait s’étendre, mais il vaut mieux retourner à son interview du n°575 de Jazz Hot, avec la discographie détaillée qui vous donnera des idées et des envies de disques de Kenny Barron.
L’essence du jazz y est dans toutes ses dimensions: la qualité de l’expression (plénitude, nuances, récit), le blues, un swing jamais contraint, l’originalité absolue et un sens rare de la mise en place, une sorte de perfection harmonique et rythmique qui ne se départit jamais d’un langage naturel, accessible. En homme de la mémoire du jazz, il n’oublie jamais ceux qu’il admire (Thelonious Monk, représenté dans ce disque par deux thèmes) ou qu’il a côtoyés: un beau thème très nostalgique («Nightfall») est dédié à Charlie Haden, et bien entendu Kiyoshi y a une partie réservée.
Kenny Barron a, derrière sa science infinie du jazz et du clavier, l’ouverture et l’humilité de servir le jazz, la musique avec naturel, de mettre à la disposition de toutes les oreilles, même les plus profanes, la beauté de cette musique avec son talent d’artiste accompli. Comme les plus grands du jazz, Kenny Barron rend le jazz accessible à tous, et toujours avec une modestie, une allure anti-star qui incarne l’esprit du jazz dans ce qu’il a de meilleur. L’idéal artistique.
Dans ce disque, avec des partenaires triés sur le volet et qu’il élève au sommet de l’expression, Kiyoshi Kitagawa (1958, Osaka) et Johnathan Blake (1976, Philadelphie), il délivre encore une œuvre parfaite. Il suffirait d’écouter le seul «Lunacy» pour s’en persuader, mais chaque thème est une merveille, et le disque est d’une certaine manière encore plus abouti que la prestation en concert à Paris (cf. nos comptes rendus), car chaque thème profite d’une forme d’économie et de rigueur (de temps et d’espace) qui confère plus d’intensité, comme dans «Prayer» où Kiyoshi Kitagawa nous gratifie d’un très beau jeu à l’archet et Johnathan Blake de ses nappes aux cymbales comme des voiles jetés sur les notes perlées d’un Kenny Barron extatique.
On devrait encore s’arrêter sur ce «Bud-Like», sur chacun des thèmes, sur la construction du disque qui alterne thèmes aériens et intense, tempos médiums et tempos rapides, originaux et classiques, avec l’art consommé de Kenny Barron de savoir faire respirer la musique et l’auditeur, pour la beauté de l’une et l’attention de l’autre. Kenny Barron est un sommet de l’art du trio aujourd’hui, tant mieux pour le jazz et pour nous!
Yves Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Ella Fitzgerald
Live in Paris. 1957-1962

64 titres
Ella Fitzgerald (voc) avec:
8 mai 1957: Don Abney (p), Herb Ellis (g), Stuff Smith (vln), Ray Brown (b), Jo Jones (dm)
30 avril 1958: Lou Levy (p), Max Bennett (b), Gus Johnson (dm)
23 février 1960: Paul Smith (p), Jim Hall (b), Wilfred Middlebrooks (b), Gus Johnson (dm)
28 février 1961 et 11 avril 1961: Lou Levy (p), Herb Ellis (g), Wilfred Middlebrooks (b), Gus Johnson (dm)
16 mars 1962: Paul Smith (p), Wilfred Middlebrooks (b), Stan Levey (dm)
Enregistré à Paris
Durée: 1h 16’ 03” + 1h 14’ 21” + 1h 17’ 39”

Frémeaux & Associés 5476 (Socadisc)


Dans le cadre de la collection «Live in Paris: la collection des grands concerts parisiens», dirigée par Michel Brillié –qui rédige le texte du livret– et Gilles Pétard, le directeur de feu la bonne collection Classics (intégrales chronologiques du jazz, par musicien), voici le volume consacré à Ella Fitzgerald, après Miles Davis, Quincy Jones, Ray Charles, Count Basie, et d’autres sont à venir sans doute, sous le parrainage bienveillant du label de Patrick Frémeaux, qui continue son œuvre. Puisse-t-on trouver la solution pour le conserver au jazz dans la glace, mais actif, pour le siècle entier.
En particulier, parce que ce coffret de trois disques est un événement majeur du jazz et de l’art –puisqu’on parle d’Ella Fitzgerald– même si personne d’autre que Jazz Hot ne le dit. On espère quand même, après cette chronique, que les lignes bougeront… Les enregistrements sont indiqués comme étant dus à l’équipe d’Europe 1 et crédités comme produits par Norman Granz, Frank Ténot et Daniel Filipacchi. A ce propos, si l’essentiel des titres du volume consacré à Count Basie était déjà paru à un titre près (chez Magic-Awe et Laserlight, cf. discographie), cette mention d’une coproduction pour Ella est mystérieuse car deux des trois sont morts et ne nous le diront pas, et que ce volume semble intégralement inédit pour tous les discographes, ce qui en fait un diamant pour tous les amateurs de jazz et de chant et de la First Lady, et ils sont nombreux.
En effet, la consultation des discographies d’Ella, alors qu’elle mentionne beaucoup des concerts européens enregistrés lors de ces tournées de 1957 à 1962 (Berlin, Rome…), produits par Verve, et donc enregistrés avec l’aval de Norman Granz à l’époque, ne mentionne aucun des enregistrements d’Ella à Paris inclus dans ces trois disques. Il est d’ailleurs douteux autant pour Ella que pour le Count que l’enregistrement des concerts de 1957 soit dû aux techniciens d’Europe 1. A cette époque, Europe 1, dont l’émetteur est au-delà de la frontière française, en Sarre qui a choisi l’Allemagne (en raison du monopole des ondes en France), vient à peine de commencer à émettre depuis 1955, et non sans difficultés car le message est brouillé (cf. Dictionnaire de la Radio, Pug), étant à l’époque une radio-pirate (sans accord formel d’émission et attribution d’une longueur d’onde). La sulfureuse Europe 1, en 1960-1962, bien qu’émettant alors, est encore au centre d’un conflit juridique interne sur le nom même de son propriétaire qui provoquera un conflit entre la France et la Principauté de Monaco (Histoire de la Radio en France de René Duval, Alain Moreau). Une «guerre» que la France gagnera (pour une fois) mais qui n’est pas plus à son honneur que celle d’Algérie.
Frank Ténot, dans son histoire Radios Privées-Radios Pirates (Denoël), qui reprend souvent les informations telles quelles de René Duval, élude cette fois l’épisode de 1960-62, et signale en forme d’épitaphe que le fondateur d’Europe 1, Charles Michelson, un industriel juif, mourut ruiné en 1970. Notre imagination et quelques informations indiquent qu’il fut doublement spolié de sa création (qui tire des racines lointaines en 1936), d’abord en 1940 par Laval, en personne, puis en 1962, lors de ces épisodes juridico-rocambolesques qui ont bercé la naissance d’Europe 1, qui mêlèrent en dehors de Michelson, Sylvain Floirat, industriel au passé sulfureux, les Etats français et allemands, la Principauté de Monaco, le monde de la finance de cette époque, l’Assemblée nationale française, et brassèrent quelques milliards au total. C’est une vieille histoire, aujourd’hui oubliée, qui dépasse l’imagination, et nous en rappelle d'autres, plus actuelles.
Pour revenir donc à notre disque, qui nous a permis de replonger dans une histoire à la Dumas-père, mais qui se termine, selon notre imagination, moins bien pour le bon que pour le truand, on peut imaginer que les actifs Ténot et/ou Filipacchi, amateurs de jazz et activistes de la radio, pionniers du show business et à l'orée d'un empire des médias (Pour ceux qui aiment le jazz, et Salut les copains sur Europe 1), aient enregistré, avec leur Nagra III (apparition déterminante en 1958 d’un petit enregistreur à bande de haute qualité entièrement transistorisé) ces concerts d’Ella Fitzgerald, en se passant du consentement de Norman Granz qui veillait jalousement sur sa perle rare et sur tous ses enregistrements. Le livret rappelle justement l’attention extrême que Norman Granz portait à Ella Fitzgerald. Cela expliquerait, on peut aussi l’imaginer, que Norman Granz n'ait pas publié lui-même cet enregistrement, et qu’on ait attendu la disparition de Norman Granz et plus de 50 ans de délai pour voir apparaître ces enregistrements précieux.
L’auteur d’un livret sympathique mais insuffisant vu la réalité exceptionnelle de cet enregistrement – qui a pu aussi circuler entre collectionneurs, n’en doutons pas, dans des éditions pirates non connus des discographes – raconte d’ailleurs, en trouvant succulente l’anecdote, que l’un des jeux du 28 février 1961 consista à berner Norman Granz qui réclamait pour Ella, sous peine d’annulation – Ella à qui on avait réservé pour toute loge un coin des coulisses et un paravent – une loge équivalente à celle d’Edith Piaf, la sauveuse de l’Olympia, alors en difficulté sur le plan économique. On trouva l’astuce d’un faux panneau Edith Piaf sur une porte de placard. L'histoire fait «sourire jaune».
On imagine (encore) que les relations d’alors avec Norman Granz n’étaient pas à la coproduction d’un enregistrement d’Ella, comme l’indique le livret plus de 50 ans après. Et si tel avait été le cas, on suppose que ces enregistrements auraient fini dans les archives de Verve, comme ceux des autres pays d’Europe, et seraient disponibles depuis cinquante ans.
Mais bon, tout ça n’est que de l’imagination, et le résultat est là…
On découvre avec bonheur, la grande, la splendide, la surnaturelle Ella Fitzgerald, au sommet de son art, pour plus de trois heures trente minutes de musique inédite, au moins pour la plupart des amateurs. Merci à ceux qui ont dévoilé ces merveilles du jazz.
La First Lady, non pas du jazz, mais of Song, au singulier, mérite ce titre. Elle reprend non seulement quelques blues, avec autant de grâce que de gouaille, Ellington, Monk, Strayhorn, Ray Charles, etc., mais encore le grand livre de la chanson populaire américaine (Irving Berlin, George Gershwin, Cole Porter, Johnny Mercer, Rodgers & Hart…) que justement Norman Granz l’a incité à explorer dans le courant des années cinquante. Elle est en ce début des années soixante et restera jusqu’à son décès en 1996, une icône du jazz, un absolu du chant, l’équivalent de Maria Callas dans l’art lyrique classique.
Il ne sert à rien d’isoler un thème dans cet ensemble d’un niveau exceptionnel. Il suffit simplement de se rendre compte qu’un inédit d’Ella Fitzgerald, trouvé dans la poussière du temps, doit être un événement artistique majeur de la planète, comme le serait la découverte d'inédits de Maria Callas, ou la découverte d’un tableau de Van Gogh dans un grenier.
Ce serait alors un événement médiatique, un best-seller… Avec notre imagination, on peut le souhaiter à la maison Frémeaux, elle le mérite pour ce travail exceptionnel autour de la mémoire du jazz.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Steve Slagle & Bill O'Connell
The Power of Two

Good News, One Life, Peri's Scope, I'll Wait and Pray, A New Day, KD JR. (In Memory of Kenny Drew, Jr.),The Power of Two, The Duke, Circle Into Your Grace, Whistling Spirits
Steve Slagle (as, fl), Bill O’Connell (p)
Enregistré le 12 septembre 2014, Paramus (New Jersey)
Durée: 53’ 23”
Panorama Records 005 (
www.steveslagle.com)

Cet album a vu le jour à partir de l’idée d’un hommage de Steve Slagle à son ami Kenny Drew, Jr., pianiste de grand talent, prématurément décédé, à 56 ans, en 2014. Steve et Kenny ont partagé plusieurs aventures musicales ensemble, dont celle du Mingus Big Band, et Kenny avait participé à des enregistrements de Steve (Reincarnation, 1994, chez SteepleChase). C’est l’occasion également pour Steve de retrouver un autre vieux compagnon de route, Bill O’Connell, et de permettre aux amateurs d’écouter cette musique de la nuance, de la profondeur, intime mais également puissante et émouvante comme l’évoque le titre.
Dans le jazz, la musique en duo laisse beaucoup de place à l’expression de chacun et permet un dynamisme et une grande spontanéité par le dialogue et bien sûr par la légèreté de la formule. Sur un répertoire majoritairement de Steve Slagle, avec deux compositions de Bill, un standard du jazz et deux compositions de Miles Davis et Dave Brubeck, Steve et Bill se répondent avec complicité, vérité, et c’est tout l’intérêt de la rencontre.Du beau jazz, où l’émotion est omniprésente, joué par deux excellents musiciens.
Steve Slagle alterne la flûte et l’alto – cela enrichit la palette du duo d’autant que Steve Slagle y excelle –, et donne la pleine mesure de ses qualités expressives qu’on apprécie depuis tant d’années (belle sonorité). Bill O’Connell est à l’écoute, soutient ou intervient avec un sens mélodique confirmé, un toucher très fin dans la grande tradition du beau piano jazz si riche et élaborée. Un plaisir de disque de jazz (avec tous les accents swing et blues) pour nous rappeler le regretté Kenny Drew, Jr., qui partageait avec ces deux musiciens le sens de la musicalité. Des musiciens au service de la musique et du jazz: excellent!
Yves Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Lew Tabackin
Soundscapes

Afternoon in Paris, Garden at Life Time, B Where It’s At, Minoru, Yesterdays*, Day Dream, Sunset and the Mockingbird, Three Little Words
Lew Tabackin (ts, fl), Boris Kozlov (b), Mark Taylor (dm)

Enregistré les 20 mars* et 20 avril 2015, New York

Durée : 1h’

Autoproduit (www.lewtabackin.com)


S’il enregistre peu, joue à Paris une fois par an, à peu près jamais en régions ni dans les festivals de jazz, Lew Tabackin est pourtant bien présent. Il revient avec un excellent album, autoproduit et enregistré dans les conditions du live au Drum Shop de Steve Maxwell (le 20/04/15), à New York, avec le photographe/ingénieur du son Jimmy Katz à la coproduction (un titre, «Yesterdays» ayant été enregistré un mois plus tôt à son domicile).
Pour ce trio sans pianiste, le format qu’il préfère, le ténor s’est entouré de ses fidèles compagnons de route, Boris Kozlov et Mark Taylor, présents aussi sur Tanuki's Night Out (2002) et Live in Paris (2008). Il joue depuis une dizaine d’années avec le bassiste et plus de trente ans avec le batteur. C’est donc ici l’album d’un vrai groupe de jazz, avec une complicité musicale très solide.

Les standards choisis par Tabackin et ses compositions personnelles ont une histoire et racontent une histoire:
«Afternoon in Paris» est un titre de John Lewis avec qui il jouait régulièrement, et enregistra l’album Duo en 1981. C’est aussi une composition qu’il interprète souvent, en tournée, et c’est l’hommage à Paris après les deux attentats, ville avec laquelle il a noué de fortes attaches, et dont il ne manque jamais de saluer en concert l’importance historique dans l’histoire du jazz. Pour sa «trilogie» japonaise, «Garden at Life Time» évoque la fois où le patron du club de jazz Garden Cafe Lifetime, à Shizuoka, avait demandé au musicien d’accompagner à la flûte le spectacle «Hagoromo», une des plus célèbres pièces de théâtre Nô ; «B Where It’s At» est un hommage au club de jazz B Flat, à Tokyo, où il joue depuis des années;«Minoru» salue la mémoire de Minoru Ishimari, réparateur de saxophones qui «sauva la vie» du musicien à de nombreuses reprises lors de ses tournées au Japon.
Cette sélection de titres et ce va-et-vient entre le ténor et la flûte ressemblent bien à un des puissants sets de Tabackin qu’on peut entendre en club. Comme il nous le racontait dans son interview (dans ce numéro 675), son approche des deux instruments change du tout au tout. Et c’est bien deux voix qu’on entend, deux personnalités distinctes: un ténor qui rugit, au gros son qui envahit la salle, nourri de Coleman Hawkins, Ben Webster, Sonny Rollins, Zoot Sims (son «grand frère»), avec ses improvisations intenses, brûlantes, et un flûtiste, au son très personnel, qui apporte d’autres textures, d’autres couleurs, dans un mélange de jazz et de tradition orientale, japonisante, classique. Si le jeu du musicien est élégant, intègre et sans concession, il a d’autant plus de charisme et de présence qu’il joue en totale confiance, soutenu par deux excellents musiciens, très swing, toujours mis en valeur par le leader.
Si les interprétations au ténor suffisent à elles seules à faire de cet album une réussite, celles jouées à la flûte poussent le niveau d’un cran supérieur: «Garden at Life Time» est plein de cette tension dramatique qu’on peut imaginer sur la scène d’une pièce Nô, et son superbe «dérangement» de «Sunset and the Mockingbird», s’il est, dit-il, sa façon de taquiner les puristes de Duke Ellington en incorporant autant de Charlie Parker que possible, il est surtout l’affirmation profonde d’un musicien complet, inspirant, bouleversant et la preuve que le jazz est un art bien vivant.
Mathieu Perez
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Chuck Israels Jazz Orchestra
Joyfull Noise: The Music of Horace Silver

Sister Sadie, Moonrays, Creepin’ in, Doodlin’, Cool Eyes, Opus de Funk, Strollin’, Cookin’ at the Continental, Peace, Home Cookin’, Room 608
Chuck Israels (b, dir), Charlie Porter (tp), John Moak (tb), Robert Crowell (as, bar, fl), John Nastos (as), David Evans (ts), Dan Gaynor (p), Christopher Brown (dm)
Enregistré les 1-2 septembre 2014, Portland (Oregon)
Durée: 1h 09’ 37”
Qoulsatch Music 7827724472 (www.soulpatchmusicproductions.com)


Pour ceux qui se souviennent du beau parcours de Chuck Israels depuis les années cinquante entre Eric Dolphy, George Russell, Cecil Taylor et Bill Evans durant les années soixante avec qui il enregistra beaucoup de disques remarquables, cet hommage à Horace Silver pourrait paraître curieux. Pourtant, à y regarder de plus près, il n’étonne pas. Chuck Israels avait parlé de jazz dans une interview accordée à Jazz Hot (n°654), en 2010, et raconté comment il était né dans une époque extraordinaire, peuplée de musiciens d’une intensité remarquable, et il raconte dans le texte de livret comment lui et ses copains, dans cette époque, se précipitaient pour acheter les premiers le dernier disque d’Horace Silver, toujours entouré de la génération dorée de hard boppers, Art Blakey, Curley Russell, Lou Donaldson, Clifford Brown, etc.
Sa discographie, surtout en sideman, a aussi montré qu’il a enregistré avec Coleman Hawkins, Stan Getz, Barry Harris, Herb Ellis, et il a joué avec tant de musiciens de jazz extraordinaires… Il raconte sa première rencontre avec Horace Silver, comme auditeur d’un enregistrement de studio à la fin des années cinquante, et sa profonde admiration pour le grand compositeur, dont il reprend ici un florilège, et pour l’homme, une nature ouverte, joyeuse et généreuse, d’où le titre de cet album, Joyful Noise. Et on ne peut qu’acquiescer, car si un musicien a autant donné à la fois par son rôle de transmission au sein de ses splendides orchestres, et par son talent de magnifique compositeur et arrangeur, c’est bien le grand Horace Silver (cf. Jazz Hot n°528, 1996, avec une discographie) disparu en 2014. Sa musique très personnelle, swingante («Room 608»), joyeuse («Doodlin’», «Sister Sadie») et parfois si émouvante («Peace»), a tellement été reprise que cet hommage à l’un des très grands compositeurs du jazz est évident pour tout amateur de jazz, et Chuck Israels en reste un, au-delà de sa grande carrière.
Le bassiste natif de New York, installé à Portland dans l’Oregon, a fait appel à des musiciens de la scène locale, soit qu’ils y soient nés comme Robert Crowell (McMinnville, à côté de Portland), John Nastos, Christopher Brown, Dan Gaynor (Portland) ou installés comme John Moak (Oklahoma),Charlie Porter (New York), David Evans (Alabama). Les arrangements sont très respectueux de l’original (Gaynor respecte lui-même le jeu de piano de Silver dans son phrasé), et le disque est excellent avec ce qu’il faut de dynamique pour cette musique, et des instrumentistes de qualité. John Moak est un beau trombone qui donne ici d’excellents chorus; Charlie Porter, qui a suivi les enseignements de la Juilliard (jazz et musique classique) est un trompette percutant, et chacun des saxophonistes apporte sa couleur. Mais cette musique, conçue comme une sauce de grand chef étoilé, vaut par la couleur des arrangements.
Chuck Israels remarque un des attributs essentiels du jazz dans les années cinquante, l’intensité des musiciens d’alors. Il est certain que c’est aujourd’hui difficile de la retrouver dans une revisite, mais on passe plus d’une heure de plaisir à l’écoute de ces belles musiques fort bien réinterprétées, avec exigence, et nul doute que Chuck Israels s’est fait et nous a fait un grand plaisir avec cette relecture de grande qualité.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

George Freeman & Chico Freeman
All in the Family

Dark Blue, Interlude V-2, Latina Bonita, Interlude V-6, My Scenery, Interlude V-9, Five Days in May, Vonski, Interlude, Inner Orchestrations, Percussion Song Two, Chico, Interlude V-5, What's in Between, Essence of Silence, Interlude V-4, A Distinction Without a Difference, Interlude V-10, Angel Eyes, Percussion Song One, Marko*, Chico & George Introductions
George Freeman (g, voices*), Chico Freeman (ss, ts), Kirk Brown (p, clav), Harrison Bankhead (b, voc), Hamid Drake (dm), Reto Weber (hang, perc), Mike Allemana (g), Joe jenkins (dm), Joannie Pallatto (voices)*
Enregistré de septembre 2014 à janvier 2015, Chicago
Durée: 1h 18’ 55”
Southport 0143 (southport@chicagosound.com)


Un album de famille sans nul doute, et plus encore si on étend cette notion de famille à la ville qui a vu naître l’oncle et le neveu, George et Chico, car on retrouve dans cette production exceptionnelle, l’ensemble des composantes musicales qui font de Chicago l’équivalant, au bord des Grands Lacs du nord des Etats-Unis, du Gumbo néo-orléanais au sud, au bord du Mississippi. Ici, à Chicago, les influences, musicales et plus largement humaines, culturelles, viennent de loin: de New Orleans justement et de toute cette vallée fertile du grand fleuve (le Delta) que les hommes ont remonté peu à peu pour vivre, apportant leur joie de vivre, leurs peines, leurs traditions, leur culture. Chicago, la Cité du vent, est aussi celle du blues, mais encore celle des grands orchestres, d’une tradition du jazz qui remonte aux débuts du jazz, quand King Oliver, Freddie Keppard, Earl Fatha Hines et Louis Armstrong en étaient déjà les rois, et peu après de Benny Goodman. La descendance est riche. Chicago est enfin, sur le plan musical, la ville qui compte une centaine de chorales religieuses, avec un nombre d’obédiences sans égal aux Etats-Unis. Le fait religieux y est fort, quelle que soit la religion; l’Islam, en particulier, y a son plus fort développement.
La dureté de la vie, du travail, y a aussi créé une tradition de révolte, de force, qui a fait de ce pôle, l’un des plus remuants politiquement, culturellement, religieusement des Etats-Unis, et des plus radical en matière de combats pour les droits civiques. C’est un représentant de l’’Illinois, Barack Obama, qui est le premier Président des Etats-Unis d’origine africaine et américaine.
La vie culturelle est protéiforme, et toujours particulière, avec une importante marginalité acceptée, et dans le jazz-blues, très tôt dans l’après-guerre, des musiciens ont privilégié leur ville plutôt que New York, encore à l’instar de ce qui s’est passé pour New Orleans, un signe d’une forte identité culturelle au sens large de la mégapole du nord. Chicago est toujours restée une étape importante de la reconnaissance artistique aux Etats-Unis, en particulier sur le plan musical.
C’est dans ce contexte qu’ont vécu les Freeman, et la famille Freeman, dans son ensemble peut être choisie comme exemplaire de cette ville (George Freeman vient de faire la couverture du Chicago Tribune). Le grand-père, George, policier de son état, joue du piano et chante dans le registre de Bing Crosby; la grand-mère joue de la guitare et chante parfaitement. A la maison, on héberge Louis Armstrong, l’ami de la famille, lors de son arrivée puis de ses passages; on reçoit Earl Hines, Fats Waller et Art Tatum… George amène le premier disque de Charlie Parker à la maison. Les enfants vont évidemment en retirer le goût de la musique. Bruzz devient batteur, Von saxophoniste et George Jr., ici présent, guitariste. Plus tard, la troisième génération donne Chico Freman, le fils de Von, et on ne connaît pas le reste de la famille, bien qu’on sache par ce disque que Mark Freeman, le frère de Chico, n’est pas étranger au jazz. Cela rappelle encore cette tradition familiale néo-orléanaise, et cet enregistrement Fathers & Sons réunissant Ellis et Wynton Marsalis, Von et Chico Freeman. Comme Ellis, Von et George sont restés dans leur ville de naissance, jouant le rôle de passeur, de conservateur de la mémoire, mais également d’innovateur, de professeur pour la nouvelle génération. Ils ont accueilli Charlie Parker que toute la fratrie (Bruzz, Von et George) a accompagné, comme la plupart des grands musiciens de passage, Lester Young, Coleman Hawkins, Coltrane, sans aucun distingo générationnel. Chico, dans l’interview du Jazz Hot n°675 nous raconte sa détermination à jouer avec Elvin Jones, McCoy Tyner.
Leur manière d’aborder le jazz n’est pas celle de New York ou de New Orleans. C’est un condensé de cette ville où les racines les plus profondes (le blues, l’Afrique) jouxtent la modernité la plus radicalement décalée (de Sun Ra à toutes les composantes de l’AACM créée en 1965). On retrouve chez Von et George, et par ailleurs Fred Anderson (même génération) qui n’ont jamais fait partie de l’AACM par choix, les caractères d’une musique de recherche qui va devenir à l’AACM (à laquelle adhère Chico) un élément d’un discours, parfois même d’un système pour certains. Ils sont dans l’esprit nécessairement free de ce temps des Droits civils et de cette ville rebelle, sans adopter l’esprit de système dont Chico est lui-même distant. Leur musique vient toujours des racines, le blues y est une donnée essentielle, ce qui n’empêche pas la liberté individuelle et la recherche de ce qui différencie, de ce qui fait que chacun est unique.
Ce disque, construit comme une rencontre familiale sur un trimestre (les photos dans la cuisine le disent aussi), est ainsi une sorte de réunion de tout ce qui fait le caléidoscope chicagoan, le beau son, les racines blues, africaines, la novation, le jeu, la recherche, la famille au sens large, et la présence d’Harrison Bankhead (qui nous gratifie d’un interlude à la Slam Stewart, basse et voix à l’unisson), d’Hamid Drake, de Reto Weber indique encore que la famille chicagoane à l’esprit large, et est toujours capable de se réunir, de proposer une synthèse musicale, sans esprit de chapelle et avec ce grain d’originalité qui la rend si précieuse (George est une rareté du jazz).
Le répertoire est composé d’originaux de George (4), Chico (7), d’un standard («Angel Eyes») et d’interludes (9) où la tension alterne avec la gravité, la sérénité ou la bonne humeur, avec un thème ludique sans doute dédié à Mark Freeman, le frère («Marko») avec les voix de George et de la productrice en toute familiarité.
Une synthèse aussi de professionnalisme et de vie quotidienne qui évoque encore le pôle sud du jazz, New Orleans.
Au-delà de la musique, cet album, dédié par George à toute sa famille, et par Chico à Von et Ruby (sa mère), est essentiel pour la leçon de sociologie musicale, ce qui ne nous étonnera pas de ce personnage étonnant qu’est Chico Freeman qui cache derrière son art de musicien, une joie de vivre et un rire éclatant, les attributs d’un excellent professeur. Ses interventions lors de l’anniversaire de Jazz Hot, en mars 2015, comme en de nombreuses autres occasions depuis 40 ans, témoignent toujours d’un esprit aiguisé et particulièrement brillant, en matière de jazz en particulier. Bon sang ne saurait mentir!
Yves Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

José Fallot & Friends
Another Romantic. Volume 2

Jumeaux, Mister Jazz*, No Blues°, Limelight, Old Trip, Argot, D’une étincelle, Atmosphère, Chuiquita
José Fallot (b), Pierre Olivier Govin (s), Franck Avitabile (p)°, Renaud Palisseaux (p), Mike Stern (g)*, Etienne Brachet, (dm), Carole Sergent (voc)

Enregistré dans l’été 2014, Vannes (56)

Durée: 47’08’’

Sergent Major Company 130 (EMI/The Orchard)

José Fallot est un stakhanoviste de la musique. Né en 1955, il baigne très tôt dans l’univers musical : son grand-père maternel pratiquait le cornet à pistons, ses parents jouaient du piano. Au début des années soixante-dix, attiré par les sonorités du British Blues il opte pour la six-cordes. Sa première formation joue le répertoire des Stones et des Beatles, avec un goût affirmé pour le jeu de Paul McCartney. Il commence à s’intéresser au jazz, suit des cours avecYvon Gardette (org) et Pierre Urban (g).C’est avec ce dernier qu’il commence à «tourner». En 1987, il fait ses premiers clubs parisiens, passe à la basse cinq puis six cordes, frettée ou non. Les tournées et festivals s'enchaînent, notamment en compagnie de la chanteuse Carole Sergent, avec qui il enregistre trois albums. Dans la foulée, il produit des spectacles dont un Tribute to Duke Ellington, avant de devenir le bassiste du cirque Gruss. Il rajoute une nouvelle corde à son arc en devenant programmateur (les Lundis Jazz et au Théâtre Montansier à Versailles). Avec une telle expérience il se lance enfin comme musicien leader et enregistre en 2009, Another Romantic. Le bassiste revient à la production discographique avec un deuxième volume à son opus de 2009. Entouré de ses fidèles musiciens de tournée, Pierre Olivier Govin (s), Renaud Palisseaux (p) et Etienne Brachet, (dm), il s’adjoint aussi les services de Carole Sergent (voc), Franck Avitabile (p) et Mike Stern (g). Le guitariste américain apporte sa touche particulièrement flottante sur «Mister Jazz», dans la foulée de la prestation de Pierre Olivier Govin, omniprésent. La chanteuse se fait entendre de façon très subtile sur trois titres dont le très doux «D’une étincelle». Quand au pianiste invité, il excelle dans l’art de raconter une histoire («No Blues»). Le maître de Another Romantic vol.2 reste tout de même le bassiste qui charpente bien son projet par une présence forte et mélodique de tous les instants. Renaud Palisseaux (p) maintient un haut degré de prestation («Old Trip). L’entente avec son batteur reste de très bonne facture tout au long des neuf plages qui constituent un bel album, dans une veine très traditionnelle aux légers accents «fusion».
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Heinrich Von Kalnein/Michael Abene
Dreamliner

8 titres: voir livret
Heinrich Von Kalnein (ts-afl), Michael Abene (p)

Enregistré les 12 et 13 décembre 2014, Udine (Italie)

Durée: 57’ 30’’

Natango Music 613-2 (www.natangomusic.com)


Le saxophoniste-flûtiste Heinrich Von Kalnein a poursuivi une carrière pas tout à fait jazz, mais il a travaillé avec le Vienna Art Orchestra de 1996 à 2004, Le Jazz Big Band Graz et quelques pointures.Le pianiste américain Michael Abene, né en 1942, est surtout compositeur et arrangeur, ayant été le Chefdirigent du WDR Big Band of Cologne. Il a fourni des arrangements à une foule de grosses pointures du jazz.
Les voici réunis en duo. Ils se sont rencontrés il y a une quinzaine d’années et ont pensé qu’ils feraient un duo dans les vingt années à venir. Voilà, c’est fait! Que dire? Les deux musiciens s’entendent bien, ont manifestement du plaisir à partager leur musique, ils sont parfaits du point de vue technique, mais de l’uniformité naquit l’ennui. Tous les morceaux ou presque sont pris sur tempo moyen avec le même déroulement. Le saxophoniste possède un son ample et chaud, il reste dans le médium et le grave, joue sans fioritures, sans frime, mais hélas sans flamme, sans passion: c’est très plan-plan. A la flûte il est d’essence classique. Seuls deux morceaux sortent du lot: ««Sippin’ at Duke’s» avec un parfum Duke Ellington, et «The Wind Cries Mary» d’influence blues et le pianiste qui décolle un peu
.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Perrine Mansuy
Rainbow Shell

Dîner flottant, Danse avec le vent, Fly On, Magic Mirror, The River of No Return, Rainbow Shell, Tomettes et plafond haut, Paying My Dues to the Blues, Three Rivers and a Hill to Cross, Ending Melody, Le Songe du papillon
Perrine Mansuy (p), Jean-Luc Difraya (perc, voc), Rémi Décrouy (g), Eric Longworth (cello), Mathis Haug (voc)

Enregistré en 2015, Solignac (87)

Durée: 48’ 06’’

Laborie Jazz 28 (Socadisc)


Revoici Perrine Mansuy pour son onzième disque avec un nouveau groupe plutôt original et de très bionne facture. On retrouve les qualités de la pianiste, un son de cristal où pointe la sonorité de Keith Jarrett, un phrasé limpide et aéré, la richesse harmonique, et par dessus tout l’amour de la mélodie. La nouveauté vient surtout de l’emploi du violoncelle, souvent à l’archet d’inspiration baroque-romantique, ou pizzicato façon Oscar Pettiford, très sage ici, mais essentiel. Dès le premier morceau «Dîner flottant» on entre dans le nouveau son de groupe, avec toujours une belle mélodie au piano sur contrechant de violoncelle, puis guitare et batterie occupent l’espace.
Des interventions vocales avec Mathis Haug sur «Fly on» plein de charme, et Perrine dans les chœurs, le classique «The River of No Return» pris rubato lent par le chanteur très crooner à la belle voix grave, accompagné avec délicatesse par le piano; et encore «Paying My Dues To The Blues» version personnelle du blues de la part de Perrine, où le chanteur dévoile toutes ses possibilités vocales, un beau solo de piano puis la guitare entre en jeu, ils finissent tous en chœur avec claquements de mains et quelques vocalises de Difraya. Ils ont très bien payé leur dette au blues.

«Rainbow Shell» beau duo piano violoncelle à l’archet puis percussions et guitare, un texte dit, tenues de guitare, le tout dans une riche et belle harmonisation: morceau très prenant. L’art du trio n’est pas oublié avec «Ending Melody» où l’entente et le partage piano, violoncelle et batterie est parfait. Le disque se termine sur un duo piano violoncelle de toute beauté.
Un disque plein de charme, réjouissant, qui brise un peu les frontières avec une fraîcheur roborative.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueNicole Johänntgen
Moncaup

Donnerwetter, Fragile, Sunday Pony Blues, Waves, Flugmodus, Hello, Cocaine, When You Breathe, The Owl, Flying Leaves, Nicha’s Blues
Nicole Johänntgen (as, ss), Marc Méan (p), Thomas Lähns (b), Bodek Janke (dm), Nehad El Sayed (oud), Amro Mostafa (duff, riq), Robertson Head (voc, g)

Enregistré en 2015, Allemagne

Durée: 1h 03’ 34’’

Household Ink Records 149 (www.nicolejohaenntgen.com)


Pour son nouvel album, la jeune saxophoniste allemande (voir notre interview dans ce n°675) frappe fort et joue dans la cour des grands. Son mentor, Dave Liebman, ne tarit pas d’éloge sur son exceptionnelle énergie ajoutant qu’elle joue comme si sa vie en dépendait. Egalement compositrice elle est l’auteur de tous les morceaux de ce CD sauf «Sunday Pony Blues».
Le pianiste, né en Suisse en 1985 n’est pas un inconnu chez nous, ayant participé au Concours de la Défense en 1997 avec le groupe No Square; il fut à la tête d’un très bon trio à partir de 2009. Le bassiste, né en Suisse en 1981, a joué avec Dave Liebman, Greg Osby, Wolfgang Puschnig, Glenn Ferris. On le voit assez souvent en France. Le batteur percussionniste est né en 1979 en Pologne dans une famille de musiciens, il commença par le piano à l’âge de 3 ans, étudia la percussion au conservatoire de Karlsruhe, et obtint un master au City College de New York. Lui aussi a joué avec Dave Liebman, et beaucoup d’autres à travers le monde, dont Olivier Ker Ourio (hca) en France. Voilà donc un quartet européen avec des musiciens de la même génération, pour le meilleur.

Dans son jeu de saxophone Nicole Johänntgen est à la croisée de Charlie Parker, John Coltrane et Jan Garbarek, pour la situer, non pour la comparer. A l’alto elle a un jeu de ténor avec un gros son. Une maîtrise technique absolue, arrivant même à jouer à l’alto la mélodie dans le suraigu comme sur «When You Breathe». Au soprano c’est un son ample et généreux également, avec une souplesse de phrasé remarquable. Le thème qui ouvre le disque «Donnerwetter» (un orage avec des éclairs, en allemand) est très coltrannien avec le pianiste endossant les habits de McCoy Tyner, d’ailleurs le thème aussi est d’inspiration Coltrane, par contre le jeu du bassiste est très personnel. Et puis une musicienne qui joue le blues comme ça, il faut la promouvoir. Elle est fabuleuse en duo avec le contrebassiste sur «Nicha’s Blues», à la fois dans la tradition et sa conception du genre, et un autre blues qui décoiffe «Sunday Pony Blues» du guitariste invité Robertson Head, inspiré de Charley Patton et J.J.Cale, arrangé par la saxophoniste: en plein dans la tradition blues, mâtinée rock, déviée jazz, et mené tambour battant par le guitariste chanteur; et la saxophoniste ne laisse pas sa place. Robertson Head est né en Ecosse en 1956 (le vieux de la bande!); il a fait partie de Thin Lizzy et Motörhead.

On trouve une série de morceaux très aérés, dans lesquels la musique respire, prend son temps, laisse passer le lyrisme des mélodies comme sur «Cocaine», «When You Breathe», «Flying Leaves», «The Owl» avec pour ce dernier un épatant solo de piano les deux mains en contrepoint.

A noter un morceau particulier, un peu en dehors du jazz, avec en invité Nehad El Sayed, au oud dont il apprit à jouer au Caire; il a obtenu un master de composition et jazz à Berne. Il a beaucoup joué dans tout le Moyen Orient et en Afrique du Nord, il fut l’invité de l’institut arabe à Paris. Ici, dans ««Flugmodus» il intervient magnifiquement, assez à la façon d’Anouar Brahem; là encore la saxophoniste et la rythmique assistée par Amro Mostafa au Duff et au Riq (des tambourins), font merveille; et ça chauffe d’enfer.
On l’aura compris, ce quartet devrait faire parler de lui, pour le meilleur du jazz.

Serge Baudot
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Jacques Vidal
Cuernavaca

Better Git Hit in Your Soul, Wednesday Night Prayer Meeting, Cuernavaca, Devil Woman, Eclipse, Strange Man, O.P., Ecclusiastics, For Lester, Goodbye Porkpie Hat
Jacques Vidal (b), Isabelle Carpentier (voc), Pierrick Pedron (as), Daniel Zimmermann (tb), Xavier Desandre-Navarre (dm, voc), Nathalie Jeanlys (ss), Stéphanie Bowring (voc alto), Allen Hoist (voc ténor), Thierry François (voc basse)

Enregistré les 2, 3, 6 et 9 mai 2014, Paris

Durée: 45’ 34’’

Soupir Editions 227 (Abeille Musique)


On connaît l’amour et les affinités du contrebassiste Jacques Vidal pour la musique de Mingus. On peut dire qu’il lui rend ici un bel et grand hommage avec six thèmes de contrebassiste sur les neuf, les trois autres étant du leader. «Better Git Hit…» joué façon blues/gospel nous met tout de suite dans l’ambiance. Un autre morceau «Devil Woman» est pris avec bonheur lui aussi blues-gospel avec le chœur des quatre chanteurs. Le contrebassiste possède un gros son bien rond, et des attaques nettes et tranchantes: un régal. Le tromboniste est de la race des trombonistes d’Ellington avec quelque chose de Gary Valente, c’est dire! L’altiste et le batteur sont au-dessus de tout soupçon. «Eclipse» chanté par Isabelle Carpentier sur contrechant de trombone mélange les couleurs Mingus/Ellington. «Strange Man» de Vidal, introduit par lui-même à l’archet, mélange aussi les atmosphères Mingus/Ellington avec un solo d’alto qui semble faire en passant un petit clin d’œil à Johnny Hodges. «Ecclusiastics» sur un arrangement qui mélange Carla Bley et Mingus est un chef d’œuvre avec l’échange trombone-altosur rythmique basse/batterie pour terminer sur le chœur scat dans un chasede grand cru, le tout là encore dans une ambiance gospel. Le disque se termine par un hommage à Lester Young sur «For Lester» de Vidal avec une intro basse archet de facture classique très expressive, une voix féminine dit en français sur contrechant à l’archet un texte profond sur Lester «Lester est mort et Mingus joue son dernier chorus…» qui s’enchaîne avec un «Goodbye Porkpie Hat» (le chapeau de Lester) plein de nostalgie, et un magnifique solo de l’altiste qui se termine avec le chœur très Double-Six.
Voilà comment il faut interpréter la musique des anciens et le blues quand on veut les faire revivre, et être soi-même
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Serge Baudot
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Ignasi Terraza
Imaginant Miró

Imaginant Miró, El Segador, Nocturn, Polaritats, Noia, Jacints i Futbol, Van Gogh, Improvisació Serial, Dança Tribal, Caricies Sinusoidals, Espirals Cósmiques
Ignasi Terraza (p, comp, arr), Horacio Fumero (b), Esteve Pi (dm)

Enregistré les 27 et 28 février 2014, El Vendrell (Espagne)

Durée: 46’ 59’’

Swit Records 17
(www.switrecords.com)


A l’occasion de l’exposition Joan Mir
óà Washington (DC) en 2012, Ignasi Terraza reçut la commande d’une composition évoquant l’œuvre du peintre catalan. Etant aveugle depuis l’âge de 9 ans, avec l’assistance Carlota Polo, qui lui décrivit l’exposition, il en transposa l’imaginaire dans sa musique. Il proposa ses Tableaux d’une exposition Miro en une poésie amoureuse imaginée par Ellington. Cet album, Imaginant Miró, présente un contenu musical très abouti de cette Suite de huit pièces avec introduction, «Imaginant Mirò», transition, «Van Gogh», et conclusion, «Duke’s Visit». Le livret fournit les explications qui, selon le compositeur et le critique d’art, fondent sa création. La progression des pièces comme l’agencement formel des mouvements en deux parties obéissent à un souci de mise en cohérence à la fois esthétique et chronologique. Son langage à mutilpes sens fait référence à l’univers poétique du peintre qui, depuis son arrivée à Paris au début des années 1920, s’était rallié au Surréalismetriomphant dans les cercles intellectuels de la capitale française; il invoquait le registre de l’imaginaire comme fondement de sa création.
Les cinq premières pièces obéissent rythmiquement aux exigences du swing stricto sensu et harmoniquement au jazz d’avant la mutation modale coltranienne; toutes ces pièces traitent de tableaux réalisés avant 1940. Les cinq dernières, toujours très ellingtoniennes, sont plus libres et commentent des tableaux réalisés ultérieurement ou de facture plus abstraite que surréaliste. «
Duke’s visit», une mélodie pleine de Duke, est le terme de la visite solitaire, aussi nostalgique que déférente, du Maestro au Maître de l’exposition. Elle prit souvent des allures de voyages dans le temps. Réflexion musicale inspirée, ce chant superbe joué presque ad libitum en piano solo est le retour méditatif du poète qui clôt sa ballade.
La musique de Imaginant Mir
óest très belle. C’est même de la grande musique en ce qu’elle comporte d’assimilation des héritages musicaux dont elle se réclame avec justesse. C’est du jazz, du très beau jazz avec tous les ingrédients qu’on est en droit d’attendre d’un compositeur et d’un musicien qui s’en réclame: swing, feeling… et connaissance de la grande littérature de la musique afro-américaine. Tous les musiciens sont à la hauteur de la tâche. Esteve Pi (dm), que nous avons entendu très bon dans d’autres contextes, révèle ici des qualités qu’on ne soupçonnait pas: énorme écoute et belle sensibilité au service d’un art consommé des nuances. Le bassiste Horacio Fumero est la découverte de l’album. Lui aussi contribue grandement à la réussite de cet album. Quant à Ignasi Terraza… il est tout simplement exceptionnel. C’est un vrai musicien, qui possède un art consommé de la composition. Cet artiste ne se contente pas d’écrire la musique; il lui donne vie en l’interprétant avec tout le talent que nous lui connaissions déjà pour celle des autres. Le pianiste possède la technique et la musicalité des grands concertistes: mise en place, clarté du toucher, respiration dans l’articulation du discours.
Après avoir enregistré Imaginant Mir
ó, au mois d’août 2014 à Jazz in Marciac, Ignasi Terraza avait tenté de faire partager au public de l’Astrada, son expérience de l’écoute de la musique dans le noir absolu. Jazz in the Dark avait bouleversé de nombreux spectateurs qui en étaient ressortis bouleversés. Je ne doute pas que la beauté de ces Tableaux d’une exposition de Miro, qui invitent au voyage en poésie surréaliste, ne vous émeuve tout autant.

Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Louis Armstrong
Live in Paris. 24 avril 1962

When It's Sleepy Time Down South, Indiana, A Kiss to Build a Dream on, My Bucket's Got a Hole in It, Tiger Rag, Now You Has Jazz, High Society Calypso, When I Grow too Old to Dream, Tin Roof Blues, Yellow Dog Blues, When the Saints, Struttin' With Some Barbecue, Nobody Knows the Trouble I've Seen, Blueberry Hill, The Faithful Hussar, Saint Louis Blues, After You've Gone, Mack the Knife
Louis Armstrong (tp, voc), Trummy Young (tb), Joe Darensbourg (cl), Billy Kyle (p), Bill Cronk (b), Danny Barcelona (dm)

Enregistré le 24 avril 1962, Paris

Durée: 1h 16’ 02’’

Frémeaux et Associés 5612 (Socadisc)


Ces plages ne sont pas inédites: en 1999, Europe 1 avait donné une première édition (RTE 1001); et en 2002, Laserlight (17438) avait proposé en Allemagne une réédition de cet enregistrement public. Elles n’en sont pas moins importantes à plus d’un titre. Dans sa récente chronique consacrée à Count Basie, Live in Paris. 1957-1962, Michel Laplace déplorait, fort justement, «l’abandon des rééditions, après l’âge d’or des années 1990, outils indispensables à la "mémoire”». En effet, ces faces sont le témoignage de la résistance du jazz à la tendance uniformisatrice que les phénomènes de mode tentaient de lui imposer. Depuis la fin de la guerre, au nom d’une modernité mal comprise et d’un dogme du progrès pervers plus encore, cette musique subissait les effets de la tentative hégémonique de la part d’une coterie au bénéfice d’un courant nouveau, le bebop qui, pour être de qualité, n’en était pas moins aussi excessif qu’injustifié. Ce concert enregistré établit que, résistant à cette dictature culturelle ambiante, le public n’en continuait pas moins à recevoir cet art nouveau dans toutes ses composantes et, notamment de la part d’un des ses créateurs, Louis Armstrong.

Depuis la fin des années 1940, Satchmo tournait en Amérique et dans le monde avec une petite formation, Louis Armstrong and His All Stars, qui proposait au public une anthologie de la musique qui avait fait sa renommée mais aussi et surtout un échantillon du jazz dont il était le créateur vivant. Au cours de cette période, les membres de cette formation ont changé; il y eut Earl Hines, Barney Bigard, Jack Teagarden, Cozy Cole, Arvell Shaw… Mais hormis le contrebassiste souvent différent, depuis le milieu des années 1950, Trummy Young et Billy Kyle, ici présents, furent des cadres permanents de l’orchestre; Joe Darensbourg et Dany Barcelona arrivés en 1960 renforcèrent la stabilité du groupe. Le spectacle était bien rôdé et le répertoire parfaitement maîtrisé. Sans être innovant, le concert fut de belle facture, explorant pour une large part le style Nouvelle-Orléans dont Louie était l’emblématique représentant parmi les créateurs. Car les musiciens étaient au diapason de leur leader, si tous n’avaient pas la renommée et le lustre de leurs illustrissimes devanciers. La musique est belle. Elle se suffit à elle-même. Le trompettiste de 61 ans, parvenu à une sorte de perfection classique, joua «à sa main», sans jamais en rajouter. Le chanteur avait conservé sa verve populaire authentique. C’est beau de simplicité. Dans ces conditions, point n’est besoin de longs commentaires pour découvrir et apprécier le jazz hot et le swing dont Louis Armstrong and His All Stars donnaient en ce 24 avril 1962 de si brillants exemples.

Louis Armstrong, Live in Paris. 24 avril 1962
est un superbe album que Frémeaux & Associés met à disposition de ceux qui n’eurent pas la possibilité de voir et d’entendre cet immense artiste
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Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueDmitry Baevsky
Over and Out

Poinciana, Reflection, Over and Out, Chega de Saudade, Brilliant Corners, The Feeling of Jazz, In the Know, Turquoise, Tonight I Shall Sleep With a Smile on My Face, Circus, Silver Screen, Stranger in Paradise
Dmitry Baevsky (as), David Wong (b), Joe Strasser (dm)

Enregistré le 21 janvier 2014, New York

Durée: 1h 09’ 00’’

Jazz Family 002 (Socadisc
)

Dmitry Baevsky a, depuis 2004, produit cinq albums: Introducing Dmitry Baevsky (Lineage Records, New York 2004), Some Other Spring (Rideau Rouge, New York et France 2009), Down With It (Sharp Nine Records, New York 2010), The Composers (Sharp Nine Records, New York 2011). Over and Out (Jazz Family, New York, 2014) est son dernier opus. Nous devons à Fabien Mary, qui le fréquente sur la scène new-yorkaise, d’avoir fait découvrir ce saxophoniste brillant au public français, notamment au Caveau de La Huchette au mois de septembre 2010.
Cet album est certainement le plus ambitieux de ceux qu’il a enregistrés. La formule, sax/contrebasse/batterie, fait immanquablement référence à celle, exigeante, de Sonny Rollins (ts) dans les années 1950 (avec Ray Brown, b, et Shelly Man, dm; Donald Bailey, b, et Pete La Roca, dm; Wilbur Ware, b et Elvin Jones, dm - 1957).
Cubic’s Monk (ACT 9536-2, 2012) de Pierrick Pédron avec Thomas Bramerie (b), Franck Aghulon (dm) s’inscrivait dans le même esprit. Au-delà des trois pièces originales, «Over and Out», titre éponyme de l’album, «In the Know» et «Silver Screen», compositions récentes (années 2012/2014), l’altiste se collette avec un répertoire souvent joué par des musiciens qui en ont laissé des versions de référence. Mis à part les deux titres «exotiques», «Poinciana» et «Chega de Saudade», qui lui donne l’occasion de «chanter» son improvisation comme l’y autorisent ces deux thèmes à la mélodie bien charpentée, les autres faces empruntent aux classiques du jazz: un Ray Bryant un peu oublié de 1958, «Reflection» bien venu, un de Monk «Brilliant Corners» (1956), deux d’Ellington – un cosigné par Mercer – peu souvent repris «The Feeling of Jazz» (1962) et «Tonight I Shall Sleep With a Smile on My Face» (1943), un de Cédar Walton, «Turquoise» (1967), un standard, «Circus» (Louis Alter, Bob Russell – 1949) et une pièce classique de Borodine, «Stranger in Paradise», remise au goût du jour dans les années 1950.
Le programme est équilibré. La musique est de qualité; jouée avec beaucoup d’aisance et sans effet ostentatoire par des musiciens qui se connaissent et se font confiance. Le trio tourne comme une horloge. Dmitry Baevsky possède une jolie sonorité, très personnelle, et une technique parfaite (qui évoque par la rigueur et la maîtrise le regretté Phil Woods). Le musicien connaît sa discipline: les compositions sont équilibrées et dans la forme qui convient à l’album pour sa cohérence et son unité. David Wong (b) qui travaille souvent avec le leader joue un rôle essentiel dans la réussite de l’album; sa mise en place est un plaisir tant il permet au soliste de liberté. Ses soli, de vraie contrebasse dans la tessiture de l’instrument, sont simples et bien construits; ça chante quand et comme il convient. Joe Strasser (dm) est d’une grande discrétion tout en étant très présent et relançant avec beaucoup de finesse le saxophoniste.
L’album, peut-être un peu austère pour le public actuel peu habitué à une attention soutenue devant une musique exigeante, est de très bonne facture. C’est solide avec quelques instants très libres de récréation qui laissent respirer l’ensemble («Poinciana»). Ça swingue et ça chante avec les exigences de la musique de chambre, sans bruit ni fracas («Stranger in Paradise»). Over and Out comporte de vraiment beaux moments: «Turquoise», de jolies phrases dans l’improvisation sur la composition d’Antonio Carlos Jobim; et l’interprétation de «Tonight I Shall Sleep With a Smile on My Face» est remarquable. Alors que demander?
Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016