|
|
© Jazz Hot 2017
|
Bruxelles en janvier Brussels Jazz Festival, Flagey, Bruxelles (Belgique)
Trois
festivals le même mois (Flagey, Riverside, Djangofolllies): te veel is te veel! («trop c’est trop», en
néerlandais). Malgré ceci et nonobstant les frimas, nous étions le 12 janvier au Brussels Jazz Festival à Flagey
pour retrouver Roy Hargrove.Le
trompettiste est trop souvent absent des scènes européennes pour des problèmes
récurrents de santé. Nous n’étions donc pas les seuls à nous impatienter du
come-back du gamin texan de 47 ans
(déjà). La salle était fully booked dans
le «paquebot» d’Ixelles pour ce premier concert d’un festival qui en
compte dix-huit. Roy Hargrove et ses acolytes nous ont livré une sorte
d’encyclopédie de la Great Black Musicà
l’image de ses albums avec le RH Factor. Du jazz avec ses rythmes ternaires, binaires
et variés; des originaux et des standards comme «Never Let Me
Go»; mais aussi du blues, du bop parkéro-davisien, des ballades
originales, du funk, de la soul avec «Fantasy» d’Earth Wind &
Fire (chanté en duo avec le pianiste) et quelques pas de danse de la génération
hip-hop. Hargrove est apparu en assez
bonne forme, s’économisant quant à la longueur des solos. Son discours, sans
outrance, pourrait apparaître conventionnel; les notes sont choisies,
essentielles, séduisantes au bugle comme à la trompette, avec ou sans sourdine.
Aux drums, Quincy Philips appuie les rythmes, attentif, délié, juste, efficace.
Le jeu d’Armeen Saleem (b), malgré des attaques snapée, est beaucoup moins
attrayant. Justin Robinson (as), excessivement volubile et démonstratif aurait
tendance à prendre plus de chorus que ceux qui lui sont dévolus. Pour moi, la
grande révélation est à mettre sur le compte du pianiste: Sullivan
Fortner. Il joue avec une incroyable aisance, souple, disert; on
distingue ici et là les influences: Monk pour des syncopes, Art Tatum et
Oscar Peterson pour les envolées
enjouées, Ellington pour la richesse du discours, Horace Silver ou
Wynton Kelly pour le swing. Une formidable démonstration de ce qu’un pianiste
de jazz peut démontrer. Un musicien à
suivre bien certainement. Et, en plus: il chante aussi en duo avec son
leader! En
définitive: un concert attendu, excellent, clôturé en standing ovation! Nous avons
appris par la suite que la soirée s’était prolongée au Sounds pour le plus grand plaisir des
amateurs noctambules et des musiciens belges présents. Lorenzo Di Maio (g) et
Daniel Romeo (eb) garderont sans doute un bon souvenir de cette incroyable et
improbable jam session.
Le 18 janvier, c’était au tour de Tom Harrell (tp, flh) de se produire
avec son quartet «Trip» dans le cadre du festival. On attend
toujours beaucoup lui lorsqu’il se
produit en Belgique. Trop peut-être? C’est la conclusion qu’on pouvait
tirer à l’issue d’un concert livré sans le soutien harmonique d’un piano ou
d’une guitare. Pour se repérer parmi les méandres écrits par leur leader, les
musiciens avaient à disposition quelque 2,5 mètres de partitions en largeur !
Ralph Moore (ts) eut bien du mal à en faire bon usage. Non seulement il laissa
choir du pupitre des pages et des cahiers entiers, mais ses lectures
témoignèrent en plus d’une totale approximation! Quant à la créativité de
ses solos, elle était totalement absente. On peut même affirmer qu’il a gâché
le plaisir qu’on pouvait recueillir à l’écoute des autres intervenants: Ugonna
Okegwo (b)–bien en rythmes et en accord– et Adam Cruz (dm), prodigieux,
les pas bien assurés dans les empreintes de Tom Harrell, magnifique dans sa
manière de breaker puis de relancer le discours (mais un peu fort peut-être). Avec
des tempos et des moods différenciés
on était resté en éveil au cours des quatre premiers originaux, espérant que le
saxophoniste s’amenderait par la suite. Le compositeur avait choisi de
présenter ensuite une très grande suite. Cette sorte d’opéra en vingt strophes
nous a laissé quelques beaux solos de basse et de drums, mais encore et
toujours: les ânonnements de Moore! De ce concert au bord de la
crise de nerfs, nous garderons un pur bonheur: le «Body And
Soul» joué en duo bugle/contrebasse. Un peu de cran, Monsieur Harrell !
Cachez à nos oreilles ce saxophoniste qu’on ne peut plus entendre!
Texte: Jean-Marie Hacquier, Photos: Pierre Hembise © Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
|
Paris en clubs Janvier 2017
Assister
à un concert de René Urtreger (p), c'est un peu avoir
rendez-vous avec l'histoire du bebop à Paris. Le 6 janvier,
le public Sunside se bousculait pour apercevoir du fond d'un
couloir le trio d'un René Urtreger maniant à merveille l'humour
avec son auditoire évoquant un thème chanté par Danielle Darrieux
«Premier rendez-vous» en 1941, pendant l'Occupation, ou bien le
fameux «Tune Up» de Miles Davis, période désargentée. Le
pianiste cultive toujours une forme d'élégance dans son phrasé
avec ce souci permanent de swinguer comme sur ce sublime «Easy Does
it» en hommage à Count Basie. L'arrangement du thème rappelle
celui de Ray Brown avec une longue citation du fameux «Gravy Waltz»
de ce dernier. S'exprimant dans le langage du bop qu'il maîtrise
avec brio, bien qu'il ait su s'en émanciper avec le trio HUM ou bien
en solo, René Urtreger nous proposa trois sets magnifiques en
restant proche de son idiome favori.
Yves
Torchinsky (b) et Eric Dervieu (dm) sont devenus au fil du temps un
bel écrin pour le clavier du leader. Une rythmique d’orfèvre qui
évolue avec lui depuis presque trois décennies dont le dernier
album, Trio (Carlyne Music) représente une sorte
d'aboutissement. La belle sonorité ronde et boisée d'Yves
Torchinsky répond au jeu aérien d'Eric Dervieu . Avec l'âge, le
pianiste s'est assagi, en explorant que les notes essentielles comme
sur cette version de la ballade «Everything Happens to Me»
rappelant l'école de Detroit de Tommy Flanagan ou Hank Jones à
l'image d'une belle reprise de «Just One of Those Things». «Timide»
thème dédié à Agnès Dusarthe l'auteur de l’excellent livre Le
Roi René (Odile Jacob), également présente dans le club, est
une sorte de calypso en tempo médium. Le second set est plus
décontracté et les musiciens improvisent en alternant standards et
compositions originales du maître. «It Could Happen to You» (qu'il
joua certainement avec Chet Baker) précède une version pleine
d'autorité et débordante de swing de «Jordu». La délicatesse de
son jeu mélodique refuse néanmoins tout effet facile tombant dans
une certaine forme de romantisme, à l'inverse d'un Brad Mehldau. Un
thème de Parker reflète une thématique bop avec le fameux «Round
About Midnight» de Monk pour terminer le set sur un clin d’œil à
son mentor Bud Powell avec une sublime version de «Dance of the
Infidels». Le dernier set débute sur un arrangement plus intimiste
de «Con Alma» qui prépare l'incontournable mélodie de «Thème
pour un ami» avant de plonger sur un «Tea for Two» dont le tempo
d'enfer dans un langage purement bop est un modèle du genre. DB
Le
7 janvier, sur la scène du Caveau de La Huchette, Michel Pastre (ts)
de se produisait en quartet laissant pour une série de concerts sa
rythmique habituelle amenée par Pierre Christophe (p), remplacée au
pied levé par son fils César (p), l'impeccable Cédric Cailleau (b)
et l'assurance tous risques aux baguettes avec François Laudet (dm).
C'est d'ailleurs ce dernier qui s'est illustré sur la fameuse intro
de «Sing, Sing, Sing» (immortalisée jadis par Gene Krupa dans
l'orchestre de Benny Goodman) et qui a amené une version enlevée de
«Topsy». On était sinon plutôt dans un esprit de jam autour de
classiques du répertoire de Basie («April in Paris») ou
d'Ellington («Satin Doll») permettant aux solistes de s'exprimer
pour le plus grand bonheur des nombreux danseurs du Caveau. César
Pastre varie son jeu avec quelques audacieux passages en block chord
et quelques clichés à la Erroll Garner. On retiendra la
quintessence des interventions de Michel Pastre conjuguant Don Byas
avec l'expressivité de l'école Texane propre à Jacquet ou Buddy
Tate. Après son excellent disque en hommage à Charlie Christian
(Memories of You) le ténor se projette déjà à un retour au
big band pour 2018 avec pourquoi pas un nouvel album. DB
Le 8
janvier, Cecil L. Recchia (voc)
présentait au Sunside son nouveau
projet, «The Gumbo»: des compositions évoquant New Orleans qui feront l’objet
d’un enregistrement dans le courant de l’année. Pour servir ce répertoire, un
bon trio: Pablo Campos (p), Raphaël Dever (b), David Grebil (dm). On savait
déjà, depuis son dernier disque, Songs of
the Three (voir notre chronique dans Jazz
Hot n°676) consacré à Ahmad Jamal, que la chanteuse choisissait ses sujets
avec intelligence et originalité. C’est encore une fois un vrai projet de
musicienne qu’elle propose. Le choix des accompagnateurs n’est d’ailleurs pas
le fruit du hasard: on connaît leur connaissance pointue du patrimoine et leur
talent pour le faire vivre. Cecil a ainsi repris «Second Line», «Jungle Blues»
de Jelly Roll Morton (transformé en «Blues de la jungle» avec des paroles
originales), «Go to the Mardi Gras» du Professor Longhair ou encore «Basin
Street Blues». Le tout d’une voix joliment veloutée, dotée d’une belle
expressivité swing. On est sous le charme… JP
Le 11
janvier, la Mairie du 11e arrondissement avait confié à l’association
Spirit of Jazz la mise en musique de sa cérémonie de vœux à la population. C’est
Michele Hendricks (voc) qui a ainsi
investi la scène de la salle Olympe de
Gouges, entourée de Ronald Baker (tp, voc), Sean Gourley (g), Nicola Sabato
(b) et Philippe Soirat (dm). Un bel attelage, monté pour l’occasion, et qui a
délivré un swing des plus festifs autour de thèmes variés: «The Bear Necessities»,
«It Don’t Mean a Thing» ou encore quelques compositions de Michele Hendricks.
Le dialogue à deux voix ou à la trompette avec Ronald Baker a été réjouissant.
Quant à la rythmique –inédite–, elle a apporté un soutien d’une grande finesse.
Un régal. JP
Devant un parterre fourni, Pierre de Bethmann nous présentait, le 21 janvier au New Morning, son Medium Ensemble, un collectif de douze musiciens
dont il dit qu’ils ne constituent pas un big band à ses yeux, mais juste
l’occasion qui lui fut donnée de composer pour un groupe plus étoffé que ceux
qu’il avait dirigés jusqu’à présent. La plupart des titres interprétés
proviennent des deux albums de la formation, Exo et Sisyphe, mais De
Bethmann profite de l’occasion pour introduire des réminiscences de ses
formations antérieures, de telle sorte que même son trio Prysm était, d’une
certaine façon, présent ce soir-là. En
marge de ces relectures de morceaux dont les arrangements initiaux étaient
destinés à des combos plus modestes en taille, «Moderato» instaure un climax
sur lequel on repère déjà le registre très vaste couvert par le sax alto de
Sylvain Beuf et le sax ténor de David El-Malek.
«Ton sur ton» permet de relever l’excellent drumming de Karl Jannuska,
qui interprète les métriques savantes du compositeur comme en se jouant,
qualité jamais démentie durant les deux longs sets de ce concert (plus d’une
heure et demi chacun). Pour «Attention», Pierre De Bethmann nous dit
ironiquement la difficulté qu’il éprouve à trouver des titres pour ses
compositions (raison sans doute pour laquelle il se contente d’un ou deux mots
dans la plupart des cas). La première partie du concert se clôt sur «Exo», avec
une brillante démonstration de Stéphane Guillaume (fl) et le sentiment d’avoir
affaire à une prestation qui touche à la musique contemporaine se confirme. Le
second set débute par une composition antérieure, «Complexe», dans une
relecture évidemment complète par rapport à l’originale qui était enregistrée
par un quintet (et qui serait un hommage à Edgar Morin). Le pianiste alterne le
piano acoustique et le Fender Rhodes pour des sonorités plus électriques, et,
n’était l’extrême variété des timbres utilisés, seul l’état d’esprit général
qui anime le groupe témoignerait du fait que nous assistons bien à un concert
de jazz. Il faut dire que le leader intervient davantage ce soir comme
directeur musical et chef d’orchestre que comme soliste. La densité de la trame
musicale et du tapis harmonique offerts par les douze musiciens lui permet de
s’appuyer sur des voicings pour mieux
se concentrer sur le collier de notes déroulé par sa main droite, emprunt la
plupart du temps d’une inspiration mélodique remarquable. «Panser et penser»
confirme l’imprégnation d’influences classiques issues de la première moitié du
20e siècle, avec des accents tirés des pièces froides pour piano d’Erik
Satie. «76» et «Sisyphe» sont des pistes
de décollage idéales pour ceux qui aiment le Fender Rhodes et la clarinette
basse de Thomas Savy. À noter les contributions de Bastien Stil (tu) qui
parvient presque à reproduire le son d’une voix humaine lorsqu’il descend dans
les graves (un exploit qu’on croyait inhérent à l’usage du vocoder), tandis que
le trombone de Bastien Ballasz brille par ses interventions toutes de tact et
de finesse. Bien sûr, le swing n’est pas le point cardinal de ce type de
happening artistique, car la composition et l’orchestration imposent le plus
souvent de limiter l’improvisation et la fantaisie aux seuls solos des
musiciens; mais si l’on accepte le principe holiste de la forme momentanée en
filigrane des montées en puissance qui jalonnent certains titres, on se
retrouve finalement dans un territoire, certes moins dépouillé, mais pourtant
pas si éloigné de ceux jadis arpentés par le groupe Magma de Christian Vander,
que les magnifiques contributions vocales de Chloé Cailleton évoquent
d’ailleurs immanquablement. Un concert parsemé d’émotions positives, que
demander de plus en ces temps bien trop oublieux du sentiment fédérateur de la
beauté? JPA
Le 21
janvier, Christian Brenner conviait son ami Martin Jacobsen, ténor danois et
parisien d'élection, au Café Laurent
pour une formation en quartet complétée par Gilles Naturel (b) et Pier Paolo
Pozzi (dm). De «Lover Man» à «Yesterday» en passant par «There Is no Greater
Love», ces reprises permettent à Martin Jacobsen de dévoiler son jeu ample tout
en retenue qui s’accorde parfaitement avec celui de Pier Paolo Pozzi retenant
ses baguettes comme pour mieux effleurer les peaux de sa batterie. D’autres
standards sont encore donnés par ce beau quartet, tout en cohérence, dont le
dansant «Groovy Samba», «On Green Dolphin Street» de Miles Davis et un final
sur «Star Eyes» salué par des applaudissements nourris mais feutrés, à l’image
du lieu. De quoi conquérir une nouvelle fois les habitués qui étaient présents.
PM
Le
23 janvier, au Caveau de La Huchette, Dany Doriz (vib), maître de ses
lieux, était en trio avec son batteur de fils, Didier Dorise, et
l'excellent Philippe Petit (org). Belle ambiance ce soir-là, avec un
enchaînement de morceaux propices à la danse: «Tenderly» ou encore
«Vibes Boogie». La belle Australienne Wendy Lee Taylor est venue poser
sa voix de velours sur quelques titres. Si le public était ce
soir-là peu nombreux, on avait plaisir à se retrouver entre
habitués. La Caveau qui célèbre ses 70 ans cette année (dont près
de 47 sous la direction de Dany Doriz) aborde en tous les cas cette
année 2017 avec la sérénité d'un incontournable monument
parisien. GH
Chaque mercredi, depuis l’ouverture du «resto-concerts» Aux Petits Joueurs, en 2008, Daniel John Martin (vln, voc) invite un
représentant de la tradition Django Reinhardt. Le 25 janvier, c’était Romane (g), accompagné de Romain Vuillemin (g), qui partageait la scène avec le violoniste,
devant un public nombreux. Au programme, des standards évidemment, joliment
revisités par le trio («Smile», «Tea for Two»…) et
habillés par les cordes virevoltantes de Romane. Daniel John Martin, qui se
situe dans la filiation de Stéphane Grappelli et de Stuff Smith, poursuivant un
dialogue plein de poésie avec ses invités et donnant également de la voix à l’occasion.
On connait les difficultés que traverse cet endroit où le jazz se partage
en famille ou avec des amis, entre des rires, un verre et un bon petit plat. Que
nous puissions en profiter encore longtemps! JP
Textes et photos: Jean-Pierre Alenda, David Bouzaclou, Georges Herpe, Patrick Martineau, Jérôme Partage © Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
|
La La Land Comédie musicale de Damien Chaselle (128 min., USA, 2016) Sortie en France le 25 janvier 2017
La première vocation de Damien Chazelle (32 ans) était d’être batteur
de jazz. Ne s’estimant pas suffisamment talentueux, il s’orienta vers des
études de cinéma. L’apprentissage de l’instrument, parfois douloureux, il l’a
raconté dans son premier film, Whiplash
(2013) qui mettait face à face un maître abusif et son élève. Avec ce deuxième long-métrage, La La Land, Damien Chazelle (également
scénariste) place encore une fois son histoire dans un contexte jazz:
cette comédie musicale, qui se veut un hommage aux classiques du genre des
années 40 à 60, met en scène la rencontre et la relation entre Mia (la touchante
Emma Stone), actrice tentant de faire carrière à Hollywood, et Sebastian (le
fringuant Ryan Gosling) pianiste de jazz courant le cachet et dont l’ambition est
d’ouvrir un club à Los Angeles. Soit deux personnages portés par leur rêve (en
l’occurrence le rêve américain, celui qui appelle à s’élever, à accomplir), qui
vont bien entendu tomber amoureux, mais également devoir effectuer des choix
entre leurs aspirations et leur amour. A ce titre, notamment, le film – largement
salué pour ses vertus euphorisantes –, sans être véritablement profond, n’est
pas si léger. Sebastian, qui vit au milieu de ses reliques (portrait de
Coltrane, etc.), est de ces amateurs de jazz intransigeants qui n’acceptent pas
sa mise au goût du jour à des fins commerciales et fustige le grand public trop
ignare pour s’y intéresser. Il rêve d’un club où l’on joue un jazz «pur
et dur», celui de Basie, de Parker, et dont l’inévitable succès sera l’accomplissement
de son grand-œuvre: «sauver le jazz»! Cause perdue pour son
ami Keith, leader d’un groupe à la mode (interprété par le musicien de «néo-soul»
John Legend), qui lui, à l’inverse, recherche l’adhésion facile du public. Ce
décalage assumé de façon bravache (et qui rappelle le discours de beaucoup de jeunes
jazzmen parisiens jouant middle jazz) nous rend bien sûr le personnage éminemment
sympathique (l’occasion de saluer également le jeu de l’acteur qui est un authentique
musicien) tout comme le réalisateur qui parle à travers lui. On est donc d’autant
plus déçu, qu’en dehors de quelques scènes de club assez réussies, le jazz soit
absent de la bande originale signée de Justin Hurwitz. Comble du ridicule,
quand après un morceau très swing, Sebastian se met au piano et exprime ses
sentiments pour Mia, il nous inflige la bluette mièvre («Mia &
Sebastian’s Theme») qui est la
chanson principale du film. Il est fort dommage que le réalisateur n’ait pas
mis son propos en pratique en nous servant tout du long de la chanson de
Broadway (et pas la meilleure), au demeurant pas très bien chantée par les
acteurs. Exception faite du thème d’ouverture, «Another Day of Sun»,
auquel est associé une excellente scène de danse; les autres manquant malheureusement
d’ampleur. Au final, La La Land aligne
les bonnes intentions et les références pertinentes (comme la reconstitution,
dans une jolie scène finale, du Caveau de La Huchette) mais ne parvient pas à faire
aboutir les idées qui auraient constitué sa réussite. Tant pis, on peut
toujours se consoler en revoyant un chef d’œuvre de la comédie musicale jazz,
tel Stormy Weather.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
|
Jazz in Australia Sydney, Melbourne, etc.
Le pianiste Chris Cody (Jazz Hot n°613) nous adresse une carte postale
en provenance de son pays natal, l’Australie, où il est retourné vivre pour
quelques temps, après vingt-et-un ans passés à Paris (où il a effectué un court
passage, en juin dernier –voir notre compte-rendu ci-dessous– pour présenter
son dernier disque, Not My Lover –dont
la chronique est également disponible). Il est vrai qu’en dehors de quelques
musiciens, essentiellement ceux parisiens d’adoption, comme Sebastien Girardot
(b), David Blenkhorn (g), Wendy Lee Taylor (voc), ou encore Joe Chindamo (p, Jazz Hot n°596) qu’on ne connaît que par
enregistrements interposés, la scène jazz australienne nous est fort lointaine. C’est
donc un intéressant panorama qu’esquisse Chris Cody, pour se faire une petite idée
du jazz au pays des wallabies…
L’Australie est connue
pour ses magnifiques déserts, ses plages de surf, ses «cafés
culture», ses événements sportifs et l’opéra de Sydney; moins pour
sa scène jazz et ses musiciens dont beaucoup ont fait carrière en Europe et aux
Etats-Unis. Ainsi, l’amateur de jazz ne sera-t-il pas déçu par cette scène
australienne réduite mais de qualité, particulièrement à Sydney et Melbourne,
les deux plus grandes villes du pays qui comptent chacune environ 5 millions
d’habitants.
A Sydney, bien que quelques-uns de ses clubs historiques –tel El
Rocco ou le Soup Plus– soient fermés depuis longtemps ou que d’autres encore –comme
The Basement–, ne programment plus de jazz, il existe encore des lieux
spécifiquement dédiés au jazz. Par ailleurs, on peut entendre régulièrement du
jazz dans nombre de bars, pubs, restaurants et festivals. A l’image de Sydney, synonyme
de soleil et de plages, le jazz y est coloré, extraverti, original, avec
souvent une base groove.
Près du centre-ville, se
tient le Foundry 616 (ouvert en septembre
2013), au 616 Harris Street Ultimo, dans un ancien quartier ouvrier. La salle
est de forme carrée avec un bar et des tables éclairées de bougies devant la
scène où l’on peut dîner. La programmation est variée, avec une dominante de
jazz moderne et contemporain, et s’étend occasionnellement à la world music et
au hip hop. S’y produisent notamment Mike Nock (un pianiste néo-zélandais qui
après plusieurs années passées aux Etats-Unis est aujourd’hui considéré comme
le doyen de la scène australienne), Dale Barlow (ts, ancien membre des Jazz
Messengers d’Art Blakey), Vince Jones, Virna Sanzone et Emma Pask (voc). Le 505 Club était originellement situé dans un entrepôt (2004-2009),
appartenant à un contrebassiste, où le public devait s’asseoir par terre. Début
2010, le club déménageait dans des locaux plus adaptés –où l’on peut boire et
manger–, au 280 Cleveland Street, à Surry Hills, un quartier populaire qui, à
la manière de Soho, s’est couvert de petits restaurants et de bars branchés.
L’atmosphère du 505 Club est résolument underground: vieux canapés,
lampes, graffitis sur les murs extérieurs. C’est un espace d’expression
artistique où l’on entend du jazz moderne, du funk, du groove, mais également
un blues enraciné. Du lundi au mercredi se tiennent les jam-sessions et les
concerts le reste de la semaine. On peut y écouter régulièrement Matt McMahon
(p), le groupe 20th Century Dog, Carl Dewhurst, and Carl Morgan (g), Andrew
Gander (dm) et quelques autres formations. La Sydney Improvised Music Association (SIMA) –en bas des escaliers de
l’espace bar du Seymour Center, un grand complexe dédié au théâtre et à la
musique, en bordure du campus universitaire – est financée par l’Australia Council for the Arts (le fonds culturel du
gouvernement australien), elle a ainsi toute latitude pour programmer un jazz
contemporain original. Toutefois, ces dernières années, le budget alloué à la
Culture a subi des coupes franches qui rendent incertain l’avenir des artistes
australiens (qui ne connaissent pas le statut d’intermittent). Mais la SIMA,
qui se maintient à flot depuis plus de trente ans, en a vu d’autres… Parmi les
musiciens qui fréquentent sa scène, on trouve Sandy Evans (ts, ss), Andrew Robson (as), Paul Cutlan (s, bcl…), James
Greening (tb), Mike Bukowski, Phil Slater (tp), Lloyd Swanton (b) ou encore
Mark Isaacs (p). Le public de la SIMA, assez varié, notamment en âges –mais en
diminution ces derniers temps–, prend place dans un décor de briques quelque
peu austère, heureusement enrichi de bougies et de jeux de lumières. Colbourne Avenue n’est pas un lieu habituel: cette ancienne église possède un
piano-à-queue et propose du café et du thé en self-service. Chacun paie ce
qu’il veut et la musique est essentiellement acoustique. Les plus récents
concerts ont permis de mettre en lumière des musiciens émergeants, tel Laurence
Pike (dm, samples), Simon Ferenci, Mike Majowski (tp), Matt Keegan (ts), Richard
MaeGraith (ts). Les passants se laissent facilement happer par cette atmosphère
très particulière, y compris les sans-abris du quartier. D’autres lieux à Sydney
proposent occasionnellement du jazz, comme The Camelot Lounge, à Marrickville, qui
possède une salle haute consacrée au cabaret et à la world music et une salle
basse, le Django Bar, orné d’une
grande affiche du guitariste. Dans quelques pubs du centre ville et dans le
vieux quartier des Rocks on peut entendre du middle jazz et du dixieland, ainsi
que dans des restaurants et quelques festivals de plein air. Tandis que les
quartiers de Newtown et de Surry Hills, privilégient une musique plus groovy
qui réunit souvent un chanteur, un saxophoniste et un DJ.
Moins impressionnant et
connaissant des hivers plus froids, Melbourne
abrite une scène jazz moins extériorisée et dont la sensibilité est plus proche
de la scène européenne contemporaine. Si Bennetts Lane est le plus ancien club de Melbourne –créé en
novembre 1992 par Michael Tortoni – son avenir paraît incertain depuis le
départ de son fondateur. Il n’en reste pas moins que le club a vu défiler la
crème du jazz australien: Paul Grabowski (p), Jamie Oehlers (ts,
originaire de Perth, sur la côte sud-ouest du pays), Jordan Murray, Shannon
Barnett (tb), sans compter les musiciens de renommée internationaleThe Uptown Jazz Café, dans le quartier de Fitzroy, est une petite
salle en haut d’un escalier, comprenant un piano-à-queue et pouvant accueillir
environ soixante-dix spectateurs; le dimanche, l’association Melbourne Jazz Co-Operative y programme
de la musique improvisée, notamment Julien Wilson (ts), Barney MCall (p) ou Scott
Tinkler (tp). The Paris Cat Jazz Club, à Goldie Place, est un autre club intime où l’on
peut entendre Gian Slater (voc) ou Andrea Keller (p), tandis que l’élégant Dizzy’s Jazz Club, à Richmond, propose
beaucoup du jazz vocal –telle Nichaud FitzGibbon, une véritable institution à
Melbourne–, mais également des big bands et des petites formations. De même que
le Ruby’s Music Room fait également
la part belle aux chanteurs et aux formations réduites.
Les principaux festivals
de jazz australiens sont organisés à Melbourne, Wangaratta, Perth, Thredbo,
Manly et à Stonnington, offrant un
spectre assez large. Mais le jazz est également présent au sein de festivals
plus généralistes, comme ceux de Brisbane, Perth, Sydney ou Adelaide. En dehors
des grandes cités, quelques petites villes rurales comme Bellingen, Dubbo,
Fremantle ou Berry proposent des festivals plus modestes, souvent sur un seul
week-end, avec une programmation middle jazz. Et malgré la distance qui sépare
le continent australien des Etats-Unis, on retrouve des têtes d’affiche
américaines dans les grands festivals, les grandes salles de concert, comme
l’Opéra de Sydney où se sont notamment produits Herbie Hancock, Wayne Shorter
et Sonny Rollins. C’est également le cas de certains clubs, comme le 505 où Gary
Bartz est passé en juin de l’année dernière.
Bien entendu, la société
australienne s’intéresse d’abord au sport, au rock, à la pop music et aux
grands espaces (ces endroits où vous pouvez «jeter une crevette sur le
barbecue» - «throw a shrimp
on the Barbie»). Le jazz reste donc une culture underground, animée
par des musiciens qui, comme en France et aux Etats-Unis, doivent mener de
front des activités d’enseignement, d’autopromotion, de production pour pouvoir
vivre de leur art. Mais avec passion.
NDLR: Le portail
internet Jazz Australia met à disposition de nombreux compte rendus et
interviews de musiciens qui renseignent la scène australienne.
Texte: Chris Cody Photos by courtesy of Chris Cody © Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
|
Festival Jazz'titudes de Laon Blue Rhythm Band avec Dany Doriz et Faby Médina. Maison des Arts et Loisirs, Laon (02), 20 janvier 2017
Sis dans la jolie citadelle médiévale
de Laon, le festival Jazz’titudes fête en 2017 sa vingtième
édition avec une programmation qui s’étale sur toute l’année
(du 20 janvier au 15 décembre) et dont les temps forts sont prévus
pour le mois de mars, avec notamment un «plateau anniversaire» de
dix musiciens (le 18 mars) en partenariat avec le Jazz-Club de
Dunkerque qui, de son côté, célèbre ses 35 ans. Si la plupart des
concerts se tiennent dans le bel auditorium de la Maison des Arts et Loisirs de Laon – au pied de la cathédrale –, d’autres,
parmi vingt-six annoncés, se déroulent dans divers lieux de la
ville ou dans quelques communes proches (la programmation complète
peut être consultée dans notre Agenda ou sur le site du festival:
www.jazztitudes.org).
Le 20 janvier, Jazz’titudes 2017
s’ouvrait, à la Maison des Arts et Loisirs, avec un
concert dont les bénéfices devaient être reversés pour aider à
la restauration de la chapelle des Templiers de Laon (XIIe siècle),
vestige quasi unique en France de l’ordre des Croisés, et à
propos duquel un court documentaire fut diffusé de façon
préliminaire. Mais la soirée était avant tout placée sous le
signe du swing avec le Blue Rhythm Band, formation créée à
Saint-Quentin en 1951 et qui est, à ce titre, le plus vieil
orchestre de jazz amateur en France. En plus de soixante ans, le
groupe s’est évidemment renouvelé et il ne reste plus aujourd’hui
de membres fondateurs encore actifs (un "ancien", Alain Richard, tp, flh –
né en 1935 –, était cependant venu en spectateur); bien
que la plupart des musiciens aient de nombreuses années de service,
à l’instar de leader, Serge Duftoy (p), au «BRB» depuis 1968. La
rythmique de l’octet est une affaire de famille: Didier Duftoy (b,
frère de Serge) et Armand Duftoy, dm, son neveu et benjamin du
groupe). Quant aux soufflants, se sont Jacques Verrièle (tb, le
doyen, membre de l’orchestre depuis 1956), Bruno Vilain (tp),
Philippe Holbach (tp), Xavier Wolfersberger (as, cl) et Serge
Helminiak (ts). En outre, le BRB avait à ses côtés deux invités
de marque: Dany Doriz (vib, tout juste de retour de Liverpool où il
s’était produit pour les 60 ans du Cavern Club, cave historique où
ont débuté les Beatles et qui a été aménagée sur le modèle du Caveau de la
Huchette!) et Faby Médina, que l’on connaît en particulier comme
la voix féminine du Claude Bolling Big Band.
L’octet a d’abord accueilli le
patron de La Huchette sur un des titres fétiches de ce dernier: «Air
Mail Special». Les fines harmonies du vibraphoniste habillant avec
bonheur chacun des morceaux joués. Peu après, c’est Faby Médina
qui entrait en scène avec «G. Baby» d’Illinois Jacquet. Sa
présence a constitué une belle découverte pour le public laonnois:
puissance maîtrisée, diction claire et surtout un excellent groove!
On s’est ainsi régalé à l’écouter reprendre «Lullaby of
Birdland» ou encore «I Got Rhythm» en fin de première partie.
Après un entracte au cours duquel les spectateurs ont pu partager
une coupe de champagne avec les musiciens, le concert a repris avec
un second set plus dynamique, chacun ayant eu le temps de prendre ses
marques. Délaissant son saxophone pour exposer ses talents d’artiste
lyrique, Xavier Wolfersberger a interprété «Ol’ Man River», le
thème principal de la comédie musicale Show Boat, et fait
sensation. On est cependant très vite revenu à une véritable
expression jazz, avec Faby Médina qui a donné une très belle
version de «Stormy Weather». Un autre bon moment fut «Moppin’
and Boppin’» de Fats Waller lors duquel, pour quelques mesures,
Dany Doriz s’est amusé à rejoindre Serge Dutfoy au piano pour un
quatre mains. Il est, par ailleurs, à signaler qu’au sein des
cuivres, Serge Helminiak (ts) s’est distingué par la qualité de
son jeu, notamment sur «Blues and Sentimental». La soirée s’est
achevée sur deux rappels particulièrement sympathiques: «It Don’t
Mean a Thing» et «Route 66» qui ont ravi l’assistance.
Une agréable soirée de jazz, sans
aucun doute, qui doit autant au talent des deux invités du BRB qu’à
la gentillesse de l’équipe organisatrice, le très dynamique
Dominique Capelle en tête. Jazz’titudes comptant encore parmi les
festivals où musiciens, bénévoles, journalistes et public se
côtoient avec convivialité. L’esprit du jazz, tel que beaucoup de
festivals de dimension plus importante l’ont malheureusement
oublié.
Textes et photos: Jérôme Partage © Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
|
Paris en clubs Décembre 2016
Blues! Blues! Blues!
L’édition 2016 (la 48e!) du fameux Chicago Blues Festival était assurément un excellent cru, d’autant
plus remarquable que la plupart des musiciens partageant la scène du Jazz Club Etoile, le 9 décembre, ne s’était jamais produit
en France. Quel plaisir ainsi de découvrir ces artistes délivrant un blues 100%
pur jus, tiré à la source! Eddie Cotton Jr. (elg, voc, 1970) est
originaire de Clinton (Mississippi). Fils de pasteur, il intègre tout jeune la
chorale de l’église (dont il deviendra plus tard directeur musical) tout en
apprenant la guitare à l’écoute B.B. King. Il a étudié à l’université de
Jackson. Grady Champion (hca, voc, 1969) vient également du Mississippi (Canton)
et s’est aussi formé à l’église. Il est, par ailleurs, producteur et animateur
de radio. Diunna Greenleaf (voc, 1959) est née à Houston (Texas). Venue du
gospel, elle consacre une partie de son temps à un «blues program»
destiné aux écoles. Outre ces trois têtes d’affiche, le groupe était constitué
de Darryl Cooper (p), Myron Bennett (elb) et Kendero Webster (dm). Soutenu par
cette bonne rythmique, Cotton, Champion et Greenleaf se sont succédés sur le
devant de la scène, chacun avec une énergie communicative. Entertainer bien
rôdé, Cotton a surtout brillé par sa prestance, faisant se lever un public aux
anges. Champion a lui séduit par son enthousiasme et sa façon de dégager de good wibes. Mais la personnalité la plus
marquante fut sans nul doute celle de Diunna Greenleaf, aussi imposante
physiquement que vocalement. Une diva du blues «à l’ancienne» comme
on n’a plus guère l’occasion d’en entendre, puissante et sensible, et qui a notamment
présenté quelques belles compositions personnelles. JP
Le 15 décembre, celui qui a fait équipe avec Philip Catherine venait
nous présenter, au Centre Wallonie-Bruxelles,
son dernier album, Summertime. Spécialiste
du finger picking, le Belge Fabien
Degryse, qui a étudié au Berklee College of Music de Boston, a déjà huit
disques à son actif et présente la particularité de jouer sur une guitare folk
aux cordes en acier, avec un son très naturel amplifié au moyen d’un capteur
piézo. Si le choix de privilégier une amplification généreuse peut paraître
risqué à première vue (le travail de frettes se fait davantage entendre), ce
parti pris permet à Fabien Degryse de faire ressentir les moindres nuances de
son jeu ainsi que son sens du rythme, éléments
fondamentaux qui donnent tout son relief à la prestation d’un homme seul en
scène avec sa guitare. Après de nombreuses œuvres basées sur des compositions
personnelles, Summertime semble l’album d’un retour aux sources en même
temps que celui de la maturité d’un artiste qui se fait le plaisir de célébrer
ceux qui sont à l’origine de sa vocation musicale. De fait, son set est émaillé
d’anecdotes, de petites notices d’introduction, pour lesquelles il développe un historique, une genèse, et met en exergue une
figure de l’histoire du jazz. Nous voyageons en sa compagnie éclairée sur des
relectures savantes de Shearing, de Gershwin, Porter ou Jobim. Chaque fois,
l’artiste nous propose un arrangement distinct de l’original qui est au moins
autant l’œuvre d’un amoureux de la musique que celle d’un musicien
professionnel qui ne veut pas tomber dans la redite. Le passage par le Brésil
et la bossa, «Corcovado», est justifié par des collaborations
telles que celle de Stan Getz avec Joao Gilberto, et la Belgique n’est pas
oubliée grâce au formidable «Bluesette» de Toots Thieleman. Parmi les moments forts du concert, on trouve les emprunts
au Kind of Blue de Miles Davis et
cette relecture de «Summertime» de George Gershwin, dont il nous
dira qu’elle constitue l’une des dizaines de milliers de versions déjà existantes
de ce classique parmi les classiques. Pourtant, c’est sans doute l’hommage
rendu à Duke Ellington qui, parce qu’il est inattendu de la part d’un
guitariste solo, constituera le souvenir
le plus mémorable de cette soirée. «In My Solitude» a peut-être été
composé en quelques dizaines de minutes sur un coin de table, aux dires du Dukelui-même.
Mais c’est en tout cas une façon élégante pour Fabien Degryse de souligner ce
que nous devons aux grands anciens, et combien la marque de ces génies
incontestables de la musique continue et continuera de hanter le jazz moderne.
JPA
Textes et photos: Jean-Pierre Alenda, Jérôme Partage © Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
|
Paris en clubs
Novembre 2016
Le Spirit
of Life Ensemble de Daoud-David Williams (perc) était de passage au Caveau de La Huchette, le 1er novembre. On y a
retrouvé ses membres réguliers: Rob Henke (tp), Dwight West (voc), Chip Shelton
(as, fl) auxquels se sont agrégés d’autres «habitués» parisiens: Katy Roberts
(p) et Philippe Combelle (dm). Deux nouvelles têtes cependant dans la
formation: le propre fils de Daoud, Sam Williams (perc) – plutôt discret – et
un contrebassiste venu en dernière minute: Jean-Pierre Rebillard. Une nouvelle fois, la prestance de Dwight
West a beaucoup apporté au spectacle donné par le groupe: excellent vocaliste,
il a livré une enthousiasmante version de «Everyday I Have the Blues». On l’a
également entendu sur «Night in Tunisa»
ou «Take the A Train», esquissant par ailleurs quelques pas de danse avec une
spectatrice pendant les solos de ses petits camarades. A souligner également la
direction musicale avisée de Ron Henke, ainsi que les qualités de la rythmique,
en particulier Katy Roberts. Quelques invités sont, en outre, venus se joindre
à l’orchestre, au deuxième set: Rasul Siddik (tp) et Adrien Varachaud (as),
pour un «Caravan» très fleuri. Comme dirait Daoud:«Viva le France et viva la jazz!». JP
À une heure que d’aucuns, parmi les amateurs
de jazz, qualifieraient de matinale, Ricky
Ford (ts) nous conviait, le 6
novembre, à un brunch au Dame Rose,
nouvelle appellation d’un lieu que la plupart d’entre-nous connaissaient sous
le nom de Petit Journal Montparnasse. En duo avec Dexter Goldberg (p), il nous
a interprété avec sa fougue habituelle un répertoire très vaste, avec des
versions complètement remaniées de classiques et de compositions personnelles.
On note tout particulièrement une relecture méconnaissable de «A Time for Love»
un hommage à Stan Getz déjà joué au Sunside (voir notre compte-rendu du
7/10/16) dans un arrangement très différent, et surtout un «The Sidewinder» de
Lee Morgan rutilant comme une pièce de chrome.
En écoutant le très émouvant «Naïma» de John
Coltrane, on éprouve une sorte de malaise; le décalage entre la générosité de
Ricky Ford, qui propose quelque chose de nouveau chaque fois qu’il se produit
en public, et l’absence de contours du concept «Dame Rose», dont la décoration
façon Nouvelle Orléans était pourtant censée permettre une ouverture plus grand
public, fait songer à la polémique qu’avait ouverte Laurent Coq à propos du
relooking et de la programmation du Duc des Lombards.
De fait, il y a pour l’heure un contraste
assez embarrassant entre la volonté affichée d’étrenner de nouveaux concepts,
et celle de continuer à accueillir des artistes confirmés qui ont travaillé
toute leur vie pour défendre les couleurs du jazz. Voilà donc, pour l’heure,
une enseigne qui vit sur sa légende, cherchant à renouveler son public par
l’intermédiaire d’aménagements cosmétiques. Ce sentiment ambivalent n’empêche
pas d’apprécier une prestation tout de même fort agréable du saxophoniste, qui
profitera de l’assistance clairsemée pour jouer sur un mode plus intimiste,
s’éloignant des micros pour échanger de façon très fluide avec son pianiste,
dont le talent et la parfaite dichotomie main gauche main droite ont animé
toutes les compositions proposées en cette happy hour d’un nouveau genre. JPA
Itamar
Borochov, trompettiste originaire de Jaffa vit à
Brooklyn depuis plusieurs années. De par son parcours personnel, il tente de
connecter les différentes traditions du jazz entre elles aux termes d’une
démarche empreinte d’une certaine sophistication, mélangeant aussi bien des
éléments issus du patrimoine musical africain que des influences arabes. Son
expérience d’arrangeur et de producteur, ses préoccupations spirituelles, ont
nourri tôt en lui la conviction que le bebop était intrinsèquement une sorte de
world music avant la lettre. Dans le cadre très intimiste et agréable du Studio de l’Ermitage, le musicien a pu
développer à loisir sa démarche, le 10
novembre, bien aidé par les éclairages et l’ambiance particulière du lieu,
qui lui ont permis de mettre en exergue des accents très hard bop, dans une
prestation live marquée au coin d’un certain œcuménisme. Ses deux albums Outset et Boomerang fournissent le plus clair des morceaux joués en cette
belle soirée, et l’élégance surannée avec laquelle il conduit sa formation
n’est pas sans évoquer le travail de Lee Morgan, à la spiritualité duquel il se
réfère d’ailleurs expressément. De façon évidente, la dette que Borochov avoue
à l’égard des grandes figures du jazz se transforme sur scène en quête de
dépassement personnel. Les longs traits qu’il tire de sa trompette zèbrent
l’espace de la scène, qui se métamorphose en espace onirique traversé par les
éclairs mélodiques des musiciens. Les triolets et sextolets utilisés comme
autant de boucles répétitives servent de piste de décollage à une musique
extrêmement dense sur le plan harmonique, combinant entre eux des accents
lyriques qui ne s’expriment jamais plus magistralement qu’au moment des solos
pris tour à tour par les membres du groupe. Avri Borochov a droit à un long
solo de contrebasse («Avri’s Tune»), à l’issue duquel il est salué par son
leader comme un véritable frère d’armes sur le plan musical (Michael King, p,
et Jay Sawyer, dm complétant le quartet). L’apport d’Aviv Bahar, invité de
marque ce soir, aux instruments à cordes et au chant, achève de transformer la
prestation du groupe en manifeste spirituel et en ode à l’harmonie entre les
peuples. Mention spéciale à «Ovadia», sans doute le point culminant d’un
superbe concert, dont les notes en
cascades font penser à autant de fractales illustrant la formule de Du Bouchet:
«Nous sommes ce qui a crié». JPA
Le 15
novembre, Kurt Elling (voc) se
produisait au New Morning pour un
tour de chant de saison, tiré de son dernier opus, The Beautiful Day, où il reprend des chansons de Noël, exercice on
ne peut plus classique dans le jazz (Armstrong, Ella, Ray Charles, Jimmy Smith
et beaucoup d’autres ont enregistré des albums sur le thème de Noël). Entouré
d’un excellent groupe (John Mclean, g, Gary Versace, key, Clark Sommers, b,
Kendrick Scott, dm), le chanteur a donné un show impeccable, d’un grand
professionnalisme, mais tenant davantage de la belle variété jazzy (à la
Sinatra) que du jazz à proprement parler. Une facilité qui a réjouit un public
venu nombreux mais peu exigent. JP
Sylvia
Howard (voc) était l’invitée du Cercle suédois le 16 novembre,
pour évoquer le répertoire de Duke Ellington en compagnie de Claude Carrière
(p) et de Peter Giron (b): un attelage pour le moins surprenant! Avec la
conviction et les accents blues qu’on lui connaît, la diva a mis en valeur
quelques-uns des grands titres du Duke:«Just Squeeze Me», «Duke’s Place» ou
encore «Satin Doll». Une interprétation habitée, qui bien qu’ayant bénéficié du
soutien vigoureux de Peter Giron, n’a été que distraitement suivie par
l’assistance, prisant avant tout ce rendez-vous musical pour sa dimension
mondaine. Exception faite de ceux qui avaient fait le déplacement à dessein,
comme le guitariste José Fallot ou le chorégraphe Larry Vickers. JP
Le 30
novembre, Pablo Campos (p, voc)
– qu’on entend régulièrement au Caveau de La Huchette – présentait pour la
première fois son trio (Viktor Nyberg, b, Philippe Maniez, dm) au Sunside. La parti pris de ces trois
jeunes musiciens n’est pas, comme tant d’autres, de nous abreuver de
compositions personnelles dont l’intérêt est rarement avéré et le lien avec le
jazz souvent lointain; au contraire, ils revisitent avec une fraîcheur certaine
le «Great American Songbook», serti d’arrangements bien écrits. «The Touch of
Your Lips» (Ray Noble, 1936), «Jeepers Cripers» (Johnny Mercer, Harry Warren, 1938),
«People Will Say We’re in Love» (Richard Rodgers, Oscar Hammerstein, 1943) ou
encore «That Old Black Magic» (Harold Harlen, Harry Warren, 1942) – qu’on peut
entendre dans le fameux The Nutty
Professor (Docteur Jerry et Mister
Love, en VF) de Jerry Lewis (1963) – se succèdent joliment esquissés par le
trio dont le leader interprète également les paroles au chant, d’une voix
claire. Chaque morceau est présenté au public avec un souci didactique qui
trahit l’amour sincère de Pablo Campos et de ses complices pour les belles
mélodies de Broadway dont le jazz a su faire des chefs-d’œuvre. JP
Textes: Jean-Pierre Alenda, Jérôme Partage
Photos: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
|
Bruxelles en novembre Flagey, Jazz Station, Bruxelles (Belgique),
C'est devant une salle
comble que le pianiste Ivan Paduart a fêté, le 4 novembre à Flagey, ses cinquante ans, dont
trente ans de carrière et autant d'albums enregistrés! Tout au long
de la soirée, il fut entouré d'une belle rythmique: Hans Van
Oosterhout (dm) et Philippe Aerts (b), revenu spécialement d’Inde
pour l'occasion. Le trio ouvre sur «Crush» et le pianiste, sûr de
lui, écrase les touches, percussif. Au fil des morceaux, l’approche
se développera de plus en plus souple et la structure des
compositions: de plus en plus riche harmoniquement. Dès le deuxième
thème, Ivan Paduart introduit les premiers invités: Bert Joris (tp)
et Quentin Dujardin (g). Avec «Délivrance», le trompettiste
anversois nous enveloppe de son timbre de velours. Avec «Zen»,
Quentin Dujardin affirme sa complicité avec le pianiste; son jeu de
la droite est essentiellement pratiqué pouce et doigts. Avec «Life
As It Is», Ivan appelle Toon Roos (ss), Raphaëlle Brochet (voc) et
Bert Joris. La musique s’envole, intense. Lorsqu’apparait Jan de
Haas (vib) sur «Far Ahead», on s’extasie. Le solo est superbe,
vigoureux, aisé, en place. Pour «Dreams Ago», qui est à la
conclusion de la première partie, Quentin Dujardin, Raphaëlle
Brochet et Jan de Haas magnifient cette œuvre en symphonie avec un
beau solo de contrebasse et un autre au piano. Merveilleusement
lyrique! On s’attendait à ce que
Philip Catherine (g) et Richard Galliano (acc), annoncés en affiche,
viennent tirer encore plus haut la musique d’Ivan Paduart. Pour
nous faire patienter après un entracte qui nous parut trop long, le
trio débuta en compagnie de Toon Roos (ts) et Olivier Collette (key)
(«Shivers Down My Back»). Puis vint Philip Catherine, souriant,
pour jouer «Between Us», une composition d’Ivan Paduart. Avec
«Waltz For Sonny» qui suivit, Philip, les yeux au ciel, rendit
hommage à Toots Thielemans avec des superbes envolées. Ivan lui
emboîta le pas, swinguant de même, endiablé! Pour «Bebe»
d’Hermeto Pascoal, Richard Galliano prit la place de Catherine à
l’avant-scène alors que Jan de Haas retrouvait ses quatre
mailloches. C’est Jan qui prit le premier solo, bien inspiré, avec
de belles harmonies. Avec «Illusion Sensorielle», l’une des plus
belles compositions d’Ivan nappée au keyboard par Olivier
Collette, l’accordéoniste du Midi salua celui qui l’accompagna
souvent dès 1992. On ne pouvait pas oublier la touche musette.
«Waltz For Nicky» de Richard Galliano nous fit virevolter, appuyé
en 4/4 par les tambours d’Hans Van Oosterhout. Le quatorzième
titre: «Eruption», est issu de l’album «Catharsis». Quentin
Dujardin, Olivier Collette et Raphaëlle Brochet rejoignirent le
trio pour cette dernière composition du programme. On apprécia plus
particulièrement le long solo de la chanteuse démontrant à l’envi
son encyclopédisme nouveau. Comme de bien entendu, tout ce beau
monde revint après les rappels enthousiastes et appuyés pour jouer
une dernière œuvre d’Ivan: une sorte de gospel-blues très
entrainant: «I Had A Ball». Quelle bonne idée d’avoir construit
ce programme en crescendo d’émotions avec les changements de
partenaires! C’était son anniversaire et nous fûmes à la fête.
Go far ahead, Ivan! En 2007, Toots Thielemans
accepta, pour la première fois, la proposition du Koninklijk
Conservatorium te Brussel (Conservatoire Royal de Bruxelles, section
flamande) d’utiliser son nom et sa renommée pour récompenser le
meilleur élève de l’année terminale (5 e Jazz). Cette
année, le jury n’est pas arrivé à départager deux étudiants.
Pour la première fois donc, le Toots Thielemans Jazz Award 2016,
nanti d’un chèque de 2500€, est allé conjointement au Brésilien
Fil Caporali (b) et au Luxembourgeois Pit Dahm (dm). Les chèques ont
été remis à la Jazz Station le 17 novembre à l’issue des deux
sets proposés par les lauréats.Au Brésil, Fil Caporali
possédait une solide formation classique. A Bruxelles, en 2014, il
est venu la compléter par une étude approfondie du jazz. Les
compositions du bassiste brésilien sont très marquées par son
éclectisme; les œuvres sont rigoureusement écrites avec une bonne
dose de mélancolie symphonique. Il les a présentées à la Jazz
Station à la tête d’un quartet de trois jeunes filles: Margaux
Vranken (p), Hélène Duret (cl, bcl) et Pauline Leblond (tp,
flh).Malheureusement, à l’exception de la pianiste, ses
accompagnatrices sont encore rudes de décoffrage; le bois et le
cuivre jouen t fort, sans
grandes nuances, mais aussi - et c’est plus grave - sans de bonnes
mises en place. Avec Pit Dahm en seconde
partie, on est surpris, étonnés, décontenancés par sa gymnastique
simiesque; l a tête oscille
et pivote, hallucinée; la frappe est esquissée ou assénée
laissant deviner une mélodie qu’il joue dans sa tête. Curieux
drummer! A la suite de cette intro
murmurée, quasi muette, le pianiste vient développer
de très jolies harmonies. Un regard au programme nous apprend qu’il
s’agit du pianiste hollandais Harmen Fraanje: un artiste
connu, apprécié et appréciable qui déroule de très jolies
progressions harmoniques. Il a le bon goût de les laisser résonner,
de les entrecouper de silences avant de les développer à la
tierce. Le seul élément positif que nous retiendrons de cet
évènement, c’est notre désir de retrouver bien vite Harmen
Fraanje en concert solo ou trio. Ca c’est de la musique! Ce fut un grand privilège
pour les amateurs bruxellois d’écouter, le 19 novembre à la Jazz Station, le trio de
Kari Ikonen (p). Pour ce concert unique en Belgique, l’auditoire
était moins bondé qu’à l’habitude. Les absents manquaient de
curiosité; ils ont eu tort! Le pianiste finlandais joue ses
compositions dont quelques-unes font l’objet de deux albums: Bright
et Beauteous Taleds and Offbeat Stories. La musique est
originale mais riche d’inspirations diverses: musique classique
européenne, swing et jazz scandinave éthéré, mâtinés d’épices
orientales et d’exubérances balkaniques. Dès le premier morceau
(«Septentrional») les rythmes et les harmonies fluctuent au sein
d’un même thème, parfaitement suivis par ses accompagnateurs et
compatriotes: Olli Rantala (b)et un Markku Ounaskari (dm) jouant
toutes les notes avec une stupéfiante légèreté. La musique est
dense, mais contrebasse et batterie collent si bien à la mélodie
que, malgré la richesse des arrangements, aucune ponctuation ne
sonne en-dehors. «Kouro» est d’inspiration lapone, «Pripiat»
veut nous parler de l’utilité d’un contrôle nucléaire,
«Beotamente» latinise… On apprécie le solo de basse en
harmoniques et à l’archet sur «Baboua», les changements de
rythmes sur «Lebotan», la quatrième partie de sa trilogie
«Helsinski Suite» et le feu d’artifice final avec «Armenian
Song» de Khatchatourian. C’est tellement parfait pour la mise en
place d’une musique sans cesse mouvante qu’on en arriverait à
croire que tout est écrit pour chaque instrument, pour tous les
solos. Et pourtant, lorsqu’on vit en direct cette musique
d’orfèvre, ces magnifiques arrangements, ces mélodies et ces
harmonies riches, on est transportés. Kari Ikonen est un créateur
qui compte et qu’il faudra suivre au fil d’une carrière qui ne
dépareillerait pas chez ECM! On n’avait pas encore osé
offrir le grand auditorium, en l'occurrence le Studio 1 de Flagey, à Shaïm Maistro (p), découvert aux côtés d'Avishai Cohen (b), et qui vole de ses propres ailes depuis six ans. C’était, je crois, ce 29 novembre, la première fois qu’il se
présentait en Belgique dans cette formation (un trio) soudée autour de sa
musique: une musique de climats
qui swingue et sautille à l’israélienne en s’aidant du
classique et du jazz! C’est original mais c’est une musique qui
séduit en-dehors de nos canons favoris. Ce soir-là, la plupart des
œuvres étaient issues du dernier album The Stone Skipper:
«Kunda Kuchka», et le très beau «The Message» qui fait usage de
passages enregistrés sur l’iPhone du batteur Ziv Ravitz; batteur
qui est aussi chantonneur sur un thème gospellisant qui
s’épanouit en quelques libertés. Des libertés contenues, Shaïm
Maistro en fait aussi usage en gratouillant les cordes ou en
saturant les sons de sa clavinette. Les thèmes sont construits sur
des harmonies simples suivies de variations circulaires. C’est un
procédé que nous connaissons bien mais qui n’innove pas depuis
Keith Jarrett et Brad Mehldau. Les thèmes sont parfois uniquement
joués à l’archet par le Jorge
Roeder (b). En définitive l’amateur de jazz est resté sur sa faim!
Texte: Jean-Marie Hacquier Photos: Pierre Hembise et Roger Vantilt © Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
|
Blues Station de Tournon Tournon d'Agenais (47), 7 et 29 octobre 2016
Au départ, il y a une volonté
véhiculée par la passion, au cœur du Lot et Garonne dans un presbytère qui se
donne des allures de club du «chitlin' circuit». Christian Boncour
est le chef d’orchestre de ce projet un peu fou de promouvoir le blues depuis
plusieurs années à Tournon D'Agenais sous le nom de «Blues Station».
La plupart de la scène contemporaine du blues s'y est déjà produite du Chicago
blues de Lurrie Bell, Linsey Alexander, Nick Moss, Harmonica Shah, Gerry Hundt,
John Primer,Tail Dragger, Eddie Shaw, Dave Specter à la west coast de Mitch
Woods, Duke Robillard, R.J. Misho, Gene Taylor, Rod Piazza, Sugar Ray Norcia
sans oublier le Texas avec Shawn Pittman, Anson Funderburgh et la soul de
Darrell Nullisch ou Tad Robinson.
Une programmation proche de
l'excellence qui s’est encore vérifiée le 7
octobre avec une soirée autour de la formation de Chicago, Mississippi Heat, conduite par Pierre
Lacocque (hca) et comprenant Inetta Visor (voc), Michael Dotson (elg), Brian
Quinn (elb) et Kenny Smith (dm). On notera la cohésion d'un groupe intemporel
qui propose un Chicago blues authentique depuis déjà plus d'un quart de siècle
autour de solistes et invités de hauts vols tels que Carl Weathersby, Billy Boy
Arnold, Lurrie Bell, John Primer, Billy Flynn ou Bob Stroger. Michael Dotson
(que l'on a souvent vu épauler Magic Slim), propose un jeu
direct, sans maniérisme, rappelant Jimmy Dawkins. Piliers du
fameux label Delmark, Mississippi Heat varie son répertoire entre
«Boogie» à la John Lee Hooker, shuffle propre au style du Michigan
et accents louisianais comme sur cette version de «Saint Louis
Blues». Le charisme du leader Pierre Lacocque (né en Israël qui a grandi
en Europe et réside à Chicago depuis 1969), donne à la formation une autre
dimension. Une musicalité jamais prise à défaut dans un jeu mélodique, il
explore toutes les ressources de son harmonica surtout en soliste dans un style
staccato. Ne nous trompons pas: la formation ne s'enferme pas dans un
Chicago blues traditionnel, mais le prolonge dans des thèmes aux accents du
Delta et de la Louisiane notamment par le répertoire original issu de leur
nouvel album Cab Driving Man
(Delmark). Le nombreux public de Tournon d'Agenais n'est pas prêt d'oublier une
telle soirée. Un régal!
Cultiver le paradoxe à une période
où le jazz et le blues sont devenus des musiques d'initiés; ne semble pas
être un problème pour «Blues Station» qui aura réussi ces
rencontres «Music Blues 2016». Cinq journées de stages, rencontres,
conférences et jam sessions autour de musiciens de blues confirmés européens et
américains. Autour de Michel Foizon (elg), Tonky de la Pena (elg), Nico Wayne
Toussaint (hca), Abdel 'B' Bop (b, elb), Guillaume Destarac (dm), Paul San
Martin (p) et Glady Amoros (voc) les nombreux stagiaires partagent et profitent
de l'apport également des têtes d'affiches américaines à Villeneuve sur Lot. Le
concert venant clôturer cette expérience unique, le 29 octobre, était prévu sur la scène de Tournon D'Agenais dans
l'ancien presbytère devenu l'un des lieux les plus prisés de la scène blues
hexagonale. Le nombreux public de tout âge ne
s'est d'ailleurs pas trompé pour cette soirée exceptionnelle, ouverte par un
premier set mené par les intervenants du stage, après une introduction mettant
en avant les stagiaires. Paul Saint Martin (pianiste basque de San Sebastian)
s'est ainsi illustré sur le classique «Down the Road a Piece» avec
de superbes passages en stride, avant de laisser la place à son compatriote Tonky
De La Pena (elg) sur «Big Boss Man» le thème de Jimmy Reed. Nico
Wayne Toussaint, dans un jeu d'harmonica puissant et expressif, dans la lignée
de son mentor James Cotton, répond au talentueux Michel Foizon dont le blues
lent laisse entrevoir une forte influence d'Eric Clapton jusque dans le vocal.
La présence de la Grana Louise (voc), figure locale de la scène de Chicago sur
«Little Red Rooster» a apporté une touche d'authenticité à ce set
avec sa voix puissante au registre évoquant Koko Taylor. L'attraction est
également venue de Sax Gordon Beadle, au ténor incandescent. Le natif de
Detroit, ayant passé sa jeunesse en Californie, dans la banlieue de San
Francisco, a découvert la musique dans une grange transformée en club (The Palms
Playhouse) où il écouta Etta James, John Lee Hooker, Robert Cray ou Phil Woods.
Il est aujourd'hui l'un des rares représentants d'un style Honkers, né dans les
années quarante, mêlant blues, jazz et rythm and blues, dont les précurseurs
ont pour noms Sil Austin, Curtis King, Hal Singer, Paul Bascomb, Sam The
ManTaylor; mais aussi des saxophonistes de jazz tels que Al Sears,
Jimmy Forrest, Ben Webster ou Eddie Chamblee. Ses collaborations de Jimmy
McGriff à Jay Mc Shann, en passant par Luther Guitar Johnson, ou Duke
Robillard font de lui une véritable
référence du genre. Son énorme vibrato doublé d'un sens du swing hors pair est
un régal tout comme son jeu de scène excentrique que n'aurait pas renié Sam
Butera. La superbe rythmique est amenée par l'impeccable Abdel 'B' Bop (b), spécialiste
du slap, et l'excellent Guillaume
Destarac (dm). Pour le second set, l'arrivée de Doug Deming (elg, voc) and
The Jewel Tones (Andrew
Goham, b, Sam Farmer, dm) a donné une autre dimension à la soirée avec une
impression de maîtrise tant sur le plan de la mise en place que de la
musicalité, aussi exemplaire qu’authentique. Véritable backing band auprès de Kim Wilson, Lazy Lester, A.C. Reed ou la
légendaire chanteuse de Détroit Alberta Adams, les Jewel Tones, bien
qu'originaires du Michigan orientent leur blues vers la west coast avec des
couleurs propres à T-Bone Walker, sans oublier le swing de Charlie Christian,
voire les débuts du rockabilly. La solide rythmique a assuré une assise
débordante de swing autour d'un répertoire de classiques de Lazy Lester et
autres standards du blues. Mais la véritable claque de la soirée, fut la
performance de Steve Guyger, sans aucun doute l'un des meilleurs harmonicistes
de Chicago qui depuis la fin des années soixante est une valeur sure de la
scène blues. L'illustre Jimmy Rogers ne s'est d'ailleurs pas trompé en
l'engageant de 1980 à 1994. Son jeu élégant, raffiné et concis évoque également
le phrasé Charlie Musselwhite. Un deuxième set de haute tenue porté par
l'équilibre trouvé par Doug Deming et ses deux invités, Steve Guyger et Sax
Gordon.
Texte et photos: David Bouzaclou © Jazz Hot n°679, printemps 2017
|
Ce que le djazz fait à ma djambe Théâtre Liberté, Toulon (83), 18 novembre 2016
Jacques Gamblin, acteur reconnu et
populaire (qu’on a vu dans des films de Claude Lelouch, Claude Chabrol,
Bertrand Tavernier, etc.), a monté, en collaboration avec Laurent de Wilde (p)
le spectacle Ce que le djazz fait à ma djambe, lequel lui donne la possibilité
d’être musicien sans jouer véritablement d’un instrument. De fait, il prouve
plusieurs fois qu’il est musicien, avec un solo de cuillers, à la batterie, et
en se frappant les joues et le crâne; la tête comme instrument de percussion.
Répartis sur toute la largeur de la grande scène, chacun
des musiciens, à tour de rôle, vient se placer dans un cône de lumière:
Alex Tassel (flh), Guillaume Naturel (ts), Bruno Schorp (b), Donald Kontomanou
(dm) et Laurent de Wilde, compositeur, arrangeur et directeur musical de la
pièce, Le sextet s’exprime dans un style plutôt hard bop, et c’est peu dire que
ses interventions sont un régal. DJ Alea ajoute quelques effets pour la mise en
scène, autrement il se sert de ses platines comme de percussions; il fait
ainsi une belle intervention en duo avec le batteur.
Gamblin est un fou de jazz. Il nous dit: «J’ai pu,
avec mon instrument à moi que sont les mots, écrire une histoire d’accords et
de rendez-vous, pour vous dire ce que la musique me fait, nous fait en général
et ce que le jazz en particulier fait à ma djambe et ce que ma djambe me fait,
puis par résonance, à ma hanche, à mes tripes et ainsi de suite en passant par
le cœur jusqu’à la tête et non l’inverse». Pari magistralement gagné. Pour
les mots, il a puisé dans des textes de Herbie Hancock, Laurent de Wilde, Mezz
Mezzrow, Langston Hughes, et a écrit ses propres textes qu’il dit en parler
rythmé, en slam, ou tout simplement sur le ton de la narration ordinaire avec
une diction parfaite, jouant des hésitations, buttant sur les mots, les
enfilant à toute vitesse, dans un flux incessant, à la manière d’un solo de
jazzman. Avec aisance, il occupe la scène.
Le spectacle se déroule en plusieurs actes, pourrait-on
dire. Après l'intro par le sextet, Gamblin vient nous raconter, avec un humour
décapant, ses tribulations et ses échecs pour apprendre à jouer d’un
instrument, allant jusqu’à tenir la contrebasse comme une guitare. Acte
suivant, c’est la recherche de la femme: rencontres, invitations ratées, espoirs,
tout y passe. A noter deux scènes d’extases. Quand, dans son cône de lumière,
Gamblin danse au ralenti, comme suspendu dans l’espace, allant jusqu’à planer
parallèlement au-dessus du sol, seulement soutenu sur ses mains; un grand
moment de beauté pure, du temps suspendu. Puis quand debout sur une chaise, là
encore au ralenti, il s’envole tel un grand oiseau.
Entre chaque scène dans laquelle Gamblin évolue,
l’orchestre ponctue par une intervention solo. Racines new-orleans, blues, bop,
funk, hard bop, tout y est, pour un jazz qui fait bouger la jambe, car qui n’a
pas remué au moins son pied à la vibration du jazz. Assis face au public,
Gamblin va agiter sa jambe droite, de la cuisse à la pointe des pieds, sur un
tempo rapide de l’orchestre, puis la gauche au même rythme, allant ensuite
jusqu’à les faire sautiller en contretemps. Mais les jambes s’emparent de lui
et le voilà qui se lève sur ses deux jambes frénétiques pour parcourir toute la
scène en tournoyant sur lui-même, noyé dans la musique. Du délire! Prouesses
physique, linguistique, musicale, en une osmose parfaite des sept
protagonistes, qui reflètent un plaisir palpable d’être là et de jouer
ensemble. Un vrai spectacle jazz, concocté et joué par des gens qui savent ce
que c’est, et qui en sont passionnés. Le tout devant une salle archi-comble.
Texte et photos: Serge Baudot © Jazz Hot n°677, automne 2016
|
JazzEñe Valencia (Espagne), 29-30 septembre et 1er octobre 2016
JazzEñe est une manifestation
organisée par la Sgae (équivalent espagnol de la Sacem) pour
promouvoir les artistes qu’elle gère, essentiellement espagnols
mais aussi latino-américains parmi lesquels beaucoup de Cubains. Une
sélection est faite et les jazzmen retenus sont présentés à
Valence à une bonne douzaine de directeurs de festivals européens
(dont les français de l’Ajmi, Festivals des 5 Continents, Nuits du
Sud) à travers une série de concerts. Nous avons assisté aux
prestations de Sinouj (qui nous a semblé hors du domaine du jazz),
de Marta Sánchez, jeune pianiste madrilène installée à New York.
Son quintet comptait dans ses rangs les Cubains Román Filiú (as) et
Ariel Bringuez (ts). Musique de grande qualité mais rigide et d’où,
à l’exception d’un thème, le swing était absent. On attendait
avec envie le saxophoniste valencien Perico Sambeat et son trio (dm
et g). Le projet Noesis Trio, un thème quasiment ininterrompu de
près d’une heure, avec beaucoup d’électronique et de longues
séquences à l’ewi, verse dans la musique improvisée. Lorsque
Perico abandonne le jeu au pied (moult pédales!) pour souffler dans
son alto on retrouve le grand saxophoniste au son magnifique, entendu
dans de nombreux concerts et plus de vingt disques depuis des
années. Pour clore la nuit, venus de La Havane, Ernán López
Nussa (p) avec Maikel González (tp), Jorge Reyes (b) et Enrique Plá
(dm) ont nettement fait monter la chaleur. Un répertoire éclectique
débutant avec une rumba que Ernán, a écrite il y a une bonne
vingtaine d’années et se poursuivant avec des extraits de
Sacrilegio, des compositions d’auteurs classiques y sont revisitées
et jazzifiés à souhait. Le pianiste offre aussi des thèmes inédits
puisés dans un projet où se mêlent musique cubaine et rythmes de
New Orleans cherchant à retrouver le va et vient entre les deux
musiques au début de l’ère du jazz. Une mention spéciale au
jeune Maikel et à sa trompette. Très beau concert que le public
local qui n’a pas pu écouter le pianiste in vivo depuis une
vingtaine d’années a dû apprécier. D’autres formations
intéressantes étaient programmées les deux jours suivants parmi
lesquelles celles de Ramón Díaz, Joan Monné, deux catalans; de
Luis Verde dont le quintet est formé de Cubains de Madrid… On
cherchera prochainement à écouter Ernesto Aurignac dont les yeux
sont tournés vers Parker et Ornette et à réécouter le saxophone
de Javier Vercher qui propose son Agricultural Wisdom Project! Il
restera à voir si les directeurs invités programmeront ces jazzmen…
pour voir s’il s’agissait plus qu’un voyage d’agrément!
Texte et photo: Patrick Dalmace © Jazz Hot n°677, automne 2016
|
Paris en clubs Octobre 2016
A l’initiative de l’association
Spirit of Jazz, Ricky Ford (ts) offrait avec Ronnie
Lynn Patterson (p), Darryl Hall (b) et John Betsch (dm), le 7
octobre au Sunside, un concert de haut vol, interprété
dans un tout autre esprit que celui donné avec «African Connection»
lors du festival de Toucy (voir notre compte-rendu). Avant le set,
Ricky nous confiait que cette nouvelle formation qu’il qualifiera
de blues band à l’entame du concert, traduisait sa fascination
pour la façon dont cette musique conquit en son temps les grandes
métropoles d’Amérique du Nord. Ricky saisit en outre ainsi
l’opportunité de rejouer avec un pianiste, ce qu’il n’avait
guère fait ces dernières années. Répartis sur trois sets
distincts, beaucoup de titres interprétés ce soir sont des
compositions qui rendent directement hommage à de grands musiciens,
comme celles proposées sur son opus Green Note. Dès l’abord,
la sonorité ample du leader frappe les esprits. Alors qu’on
pourrait le rapprocher de Dexter Gordon en ce qui concerne le timbre,
sa puissance de jeu ainsi que quelques phrasés free très personnels
lui confèrent un tempérament aussi léonin que celui de Sonny
Rollins. Patterson joue, quant à lui, dans un style très fluide et
délié, chose assez étonnante quand on sait qu’il met les mains à
plat sur le clavier comme Thelonious Monk. Darryl Hall, de son côté,
est certainement l’un des contrebassistes actuels les plus
polyvalents. Sa sonorité ronde et ses glissandos acrobatiques font
le show, avec des accents virtuoses souvent assumés en binôme avec
Ford. « A Maidens’ Voyage» séduit immédiatement le public
présent par son énergie. Par deux fois, Ford demandera au groupe de
reprendre un morceau à son début, insatisfait du tempo, un
perfectionnisme qui ne l’empêchera pas le moment venu de
rechercher en toute simplicité le balai tombé à terre du batteur.
John Betsch joue au fond du temps, et son drumming gagne en pouvoir
de ponctuation ce qu’il sacrifie en drive. Ce faisant, il crée des
espaces vacants qu’il s’amuse à combler lui-même avec des
frappes puissantes et un effet retard assumé en correspondance
subtile avec la palette du pianiste. Patterson chantonne ses chorus
avec une justesse confondante et amène un classicisme de belle
facture à la cohésion hors pair du quartet. Un titre inspiré par
le célèbre speach de Martin Luther King ««How long not
long», un hommage façon film noir à Ran Blake sur «Love Lament»,
popularisé par Abbey Lincoln, et force est de se rendre compte que
le groupe rompt avec le passage de témoin successif que constitue
l’articulation des solos en combinant entre eux des passages
musicaux conçus sans l’intervention du saxophoniste, ce qui donne
à Ricky Ford le temps de récupérer de ses longs chorus échevelés.
Un moment dédié à la figure de George Russell et à ses années
d’école buissonnière, puis c’est au tour de Lester Young d’être
célébré comme le styliste incomparable qu’il était. Première
surprise: la Canadienne, Jacelyn Holmes (voc), monte sur scène, pour
un «Summertime» dans une veine presque pop. Seconde surprise (et
meilleure), Ursuline Kairson (voc), originaire de Chicago, teinte
«You Don’t Know What Love Is» d’une nuance gospel, avec un
vibrato prononcé et une intégrité qui lui gagnent l’estime
instantanée de toutes les personnes présentes. « A Time for Love»,
dédié à Stan Getz qui venait écouter le saxophoniste lorsqu’il
en avait l’occasion à New York, est un sommet de sensibilité, et
constitue par ailleurs l’acmé d’un concert sans faute de goût
qui restera dans les toutes les mémoires. Un premier rappel avec
«Reggae Ford Seven», composé pour son groupe African Connection,
puis «Miles Train» viennent clore une très belle performance de la
part d’un des plus authentiques et des plus généreux colosses du
saxophone contemporain, qui confiait à Jazz Hot en 2014
(n°668): «Un bon musicien veut aider les autres, l’art nait de
cet acte». JPA
Entrer
dans le flot des idées jaillissantes du trompettiste Roy
Hargrove
(tp, flh) n’est jamais chose aisée. Cette première date à Paris,
le 10
octobre,
avec son quintet, après l’annulation du concert de mars dernier ne
fait pas exception à la règle. On disait l’artiste diminué par
des problèmes de santé, incertain quant à la poursuite de sa
carrière, et une certaine froideur marque, en effet, les premières
évolutions du quintet hard bop acoustique sur la scène du New
Morning.
Les morceaux sont enchaînés sans temps mort, ni présentation des
titres, et on sent la démarche un peu hésitante en dépit du
formidable métier des musiciens. La part d’improvisation qui
préside à l’élaboration d’une musique aussi aboutie est tout
simplement trop grande pour que l’émotion puisse s’emparer
instantanément du public. Les breaks et autres ruptures de rythme
sont légion, ce qui permet à Quincy Phillips (dm) de briller de
mille feux (il utilise même une cymbale hélicoïdale). Des
notes charnues, travaillées avec les pédales de l’instrument,
s’échappent du piano de Sullivan Fortner qui enrichit la rythmique
du combo de trilles et de chromatismes. La contrebasse d’Ameen
Saleem enracine le son du quintet en lui conférant une force
d’inertie indispensable en regard des polyrythmies développées
par Quincy Phillips. Eu
égard à l’ambiance assez laid-back développée en premier lieu
par la formation, un certain nombre de spectateurs regrettent
visiblement les gigs plus animés donnés jadis par le trompettiste.
À contrario, plus le concert se déroule, et plus on a un aperçu de
ce que peut être une musique vivante aujourd’hui. Le groove est
d’ailleurs bel et bien présent, mais de façon plus subtile, moins
immédiatement perceptible. Les phrasés sophistiqués développés
par le leader, positionné comme en retrait par rapport à ses
compagnons de scène, suggèrent qu’il est ici plus chef
d’orchestre et directeur musical que performer. Justin Robinson
(as) occupe dès lors tout l’espace laissé vacant par son leader,
multipliant les interventions virtuoses, dans une perspective
élégante, non exempte d’un certain maniérisme. Au détour d’un
titre, Hargrove fait songer à Miles Davis tant par la sobriété de
ses interventions que par la façon dont il veille à mettre en
valeur chacun des musiciens au cours du gig. Ses possibilités
techniques sont entièrement mises au service de la musique, dans un
melting-pot au sein duquel se préparent toutes sortes de décoctions
savantes. Progressivement, on s’aperçoit que des harmonies
insulaires sont intégrées à la trame musicale (Cuba, Barbade). Par
ailleurs, l’optique un peu cérébrale privilégiée ce soir ne
cache pas ce que le groupe doit à la Motown et au label Stax
(spécialement lorsque Roy Hargrove s’empare du bugle et que les
cuivres jouent à l’unisson). Earth Wind and Fire est même appelé
à la rescousse au travers d’une citation bien sentie, tandis que
Jerry Roll Morton renait de ses cendres à l’occasion d’une
improvisation dans l’esprit de la Nouvelle Orléans. Il s’agit
moins, en l’espèce, d’invoquer les mânes du jazz en
réinterprétant de vieux classiques que de les intégrer à une
maïeutique personnelle au sein des structures en perpétuelle
évolution jouées par le quintet. Les citations humoristiques,
d’ailleurs, font mouche, comme celle du thème de «L’Inspecteur
Gadget» (!) lors du second set, mais ce qui marque les esprits,
c’est l’aspect de plus en plus fluide de la musique, le fait que
les musiciens deviennent de plus en plus inspirés, de plus en plus
écoutables, à mesure que le combo déroule tout son répertoire.
Scindé en deux parties d’une heure vingt environ, l’ensemble de
la prestation semble finalement imprégnée d’une énergie hors
norme et on est soudain frappé par une émotion intense qui fait du
jeune public présent un véritable acteur du spectacle. Lorsque
qu’Hargrove poussera la chansonnette sur un titre de Nat King Cole
(«My
Personal Possession»), la confrontation entre le timbre
de voix un peu fragile de l’artiste et la conviction d’ensemble
qui anime le groupe nous fera toucher du doigt l’essentiel du
message de l’artiste. Le concert se termine et l’on n’oubliera
pas le visage de ce jeune homme bouleversé, fixant durant de longs
instants la scène désertée par les musiciens. JPA
Le 12 octobre, Lucy Dixon
(voc) était au Sunset pour présenter un show mêlant swing
et tap dance. Entourée de Vincent Somonelli (g) et des frères
Gastine (David, g, et Sébastien, b), qui lui apportent un soutien
dans l’esprit Django, la Britannique a déroulé un répertoire de
standards et de chansons de Broadway pour beaucoup issus de son
dernier disque, Lulu’s Back in Town (voir notre chronique
dans Jazz Hot n°674): «Exacltly Like You», «Fascinating
Rhythms», «Night & Day»… Pourvu d’une jolie voix et d’un
look «vintage», Lucy prend des solos au rythme des claquettes et
ponctue ses interventions de quelques pointes humoristiques (comme
lorsqu’elle explique comment elle se sert de sacs en plastique pour
imiter le son de la charley…). Il s’agit d’un vrai petit
spectacle, bien fait, avec de jolis moments comme ce duo
contrebasse-voix très réussi sur «Bye Bye Blackbird». Un moment
de charme et de légèreté. JP
Le 12 octobre encore, Mandy
Gaines (voc) faisait son retour au Caveau de La Huchette,
en compagnie d’un excellent trio: Cédric Chauveau (p), Nicola
Sabato (b) et Germain Cornet (dm). C’est toujours un plaisir de
retrouver la chanteuse de Cincinnati qui est certainement l’une des
plus grandes voix qu’il soit donné d’entendre de nos jours. Une
voix claire, naturellement puissante – rien n’est forcé – et
une expression originale qui lui permet de s’approprier les
standards: voire sa version (géniale) de «All of Me». Le plaisir
était d’autant plus grand que la rythmique était à la hauteur et
très à l’écoute de leur leader: Sabato – qui suit Mandy dans
ses tournées françaises depuis plusieurs années – apporte un
soutien solide, en bon disciple de Ray Brown; Chauveau – pour la
première fois aux côtés de l’Américaine mais vieux complice du
contrebassiste – est rompu à l’accompagnement des chanteuses
(notamment Rachel Ratsizafy rencontrée au sein du Jazzpel d’Esaïe
Cid); Cornet – également une première – démontre de concerts
en concerts ses qualités – inventivité, attitude positive… –
et une vraie maturité musicale (à seulement 25 ans, il est promis à
un bel avenir). Bref, un concert absolument épatant! JP
Issue
d’une famille de chef d’orchestre et de chef de chœur,
Marie-Laure Célisse (voc, fl) s’oriente vers le jazz
après le conservatoire en flûte
classique et les chorales, pour créer un répertoire exclusif en
français, comportant vieilles chansons françaises et standards de
jazz auxquels elle ajoute ses propres paroles. En trio ou en quartet,
comme ce 12 octobre à la Péniche Le Marcounet, les
arrangements de ses «Frenchy's», César Pastre (p) et Brahim Haiouani (b), mettent en
valeur la sensibilité de la vocaliste qui, de «Flying to the Moon»
à «La Javanaise», en passant par «Route 66», déroule toute une
palette d’émotions dans une ambiance jam session résolument
assumée. Le groupe joue régulièrement à
l’Osmoz Café (Paris 14e),
ne manquez pas d’aller les écouter. PM
Laure Donnat
(voc) que l’on sait capable de toutes les interprétations dans des
domaines musicaux très divers, nous présentait, le 13 octobre
au Sunset son dernier album, Afro Blue, accompagnée de
son fidèle quartet: Sébastien Germain (p), Lilian Bencini (b) et
Fred Pasqua (dm). En blanc et noir, les grands standards ont
été arrangés avec goût par Bencini. De «Afro Blue», comme
susurré au micro, à un «Summertime» au scat déterminé, en
passant par le profond et chaleureux «‘Round Midnight», tout le
concert nous promène dans l’univers très personnel de la
chanteuse. Les musiciens ont aussi la part belle, que ce soit lors du
duo contrebasse/voix sur «Strange Fruits», ou pour l’intro de
«Caravan» avec un solo de Pasqua, ou encore celui de Germain sur
«Old Devil Moon» en mode salsa. Une belle surprise nous attendait
pour le final avec «Alfonsina y el mar», un pur délice, à
emporter pour embellir nos rêveries. PM
Marquis Hill (tp) était pour la première
fois à Paris avec son quintet. Bien qu’il compte déjà dans sa
discographie cinq albums en leader, pleins de compositions
originales, le trompettiste, marqué par Freddie Hubbard et Woody
Shaw, nous présentait, le 14 octobre au Duc des Lombards, son
dernier album The Way We Play. Il y reprend des titres connus et
moins connus des musiciens qu’il aime, «Moon Rays» (Silver),
«Minority» (Gryce), «Maiden Voyage» (Hancock), «Beep Purple»
(Jones), «Fly Little Bird Fly» (Byrd). Il interprétait aussi deux
nouvelles compositions, «Vella», «Return of the Student».
Accompagné de Christopher McBride (as), Justin Thomas (vib), Joshua
Ramos (b), Makaya McCraven (dm), le Blacktet donne à ces titres un
souffle contemporain et frais, sans nostalgie. Ils sont jeunes,
viennent de Chicago, vivent aujourd’hui pour la plupart à New
York. Ils jouent depuis longtemps, et ça s’entend, ça swingue
dur. MP
Biréli Lagrène
(g) nous avait donné rendez-vous au New Morning, le 14 octobre, avec son
trio: Hono Winterstein (à la pompe, dans un style très épuré et
William Brunard, b) et en invité, Adrien Moignard (g). Djangologie
oblige, le premier set est résolument acoustique, avec de belles
intros de Biréli, et permet l’expression des sonorités si
particulières propres aux guitares de cette tradition. Un blues en
mineur calme le jeu et le set se termine sur «Hungaria», interprété
presque en mode country. Au deuxième set, Biréli change pour une
guitare électrique, et tout s’accélère pour le plus grand
plaisir du public qui ponctue chaque démonstration, chaque chase
avec Adrien Moignard, de cris d’encouragement. Biréli aime ajouter
dans ses solos inventifs des citations, celle de Jimi Hendrix faisant
tout particulièrement sensation. Les chorus d’Adrien Moignard
trouvent une place de choix au milieu du tapis de guitares ainsi
déployé. Un rappel dédié à Django, et la salle est debout,
espérant encore longtemps une suite possible après que les lumières
se sont rallumées. PM
Le 19 octobre nous assistions à
l’un des deux nouveaux rendez-vous que proposent, chaque semaine,
Paddy Sherlock (tb, voc) et Ellen Birath (voc) –
l’autre étant le dimanche soir au Long Hop (Paris 5e,
en alternance) –, à savoir un trio évoquant le répertoire d’Ella
et Louis (celui des fameux albums de 1956 et 1957: Ella &
Louis, Ella & Louis Again), trio complété par César
Pastre (dans le rôle d’Oscar Peterson…). Au sous-sol du pub
Tennesse-Paris (Paris 6e), se tient une toute
petite scène autour de laquelle était massé un public déjà
acquis aux interprètes et qui ressemblait davantage à une réunion
entre amis. Le premier set fut effectivement consacré à la
recréation du mythique duo («Can’t We Be Friends?», «Isn’t a
Lovely Day?», «They Can’t Take That Away From Me») mais par le
filtre des personnalités de Paddy et Ellen. On est dans l’hommage,
jamais dans l’imitation (sauf clin d’œil humoristique). On fait
surtout vivre joyeusement une musique qui donne énormément de
bonheur et de plaisir. Les trois compères sont parfaits, tout en
complicité: Paddy toujours truculent; Ellen – qu’on entend plus
souvent sur un répertoire soul – s’impose comme une excellente
chanteuse de jazz, dont le timbre est très adapté à l’évocation
d’Ella; César, sérieux comme un pape, emballe le tout dans de
belles harmonies. Pour le deuxième set, la belle équipe s’est
quelque peu éloignée de son sujet de départ, ce qui a notamment
donné une jolie version de «Dansez sur moi» (Nougaro/Neal Hefti)
par Ellen Birath, laquelle a cédé sa place sur une autre version
française, celle de «Fever» par Marie-Laure Célisse (voc) qui
s’est employée à faire monter la température d’un Paddy
Sherlock en grande forme! Une bien chouette soirée! JP
Le
superbe trio de Christian
McBride
– un des rares dirigés par un contrebassiste – au New
Morning
le 21
octobre,
a visiblement beaucoup joué, improvisé et composé. Avec Christian
Sands (p) et Jerome Jennings (dm), McBride défend un jazz enraciné
et met ses capacités exceptionnelles en pizzicato
et en jeu à l’archet au service du swing le plus pur. On pourrait
caractériser ce son par sa puissance, mais son jeu est empreint au
moins à part égale de finesse et de soul. Au cours du premier set,
on s’aperçoit que ce degré de maîtrise de la musique est
indissociable d’une certaine interchangeabilité des rôles, et que
MacBride a dû capitaliser aussi bien autour de ses expériences en
tant que sideman que de leader ou d’arrangeur. Depuis la Julliard
School et sa collaboration avec Bobby Watson, il maintient un
engagement ferme contre le racisme et pour la défense de la musique
et de l’héritage afro-américain, évoquant notamment des figures
telles que Rosa Parks ou Malcolm X, au travers d’une spiritualité
issue du gospel et des chants religieux. Cette esthétique se
prolonge d’un certain sens de la fête et du partage, ce qui nous
vaut aujourd’hui un hommage spectaculaire à Sammy Davis Jr. sur
«Who Can I Turn To». Géant débonnaire, il insuffle à son jeu une
grande force qu’il combine avec d’infinies nuances de jeu.
Souvent bâties sur des turnarounds,
ses improvisations font intervenir des substitutions d’accords
complexes qui révèlent toute la subtilité musicale du trio.
Christian Sands excelle tout spécialement dans l’art de faire
rendre à chaque triolet toute sa saveur, ce qui permet à Mc Bride
d’occuper une position centrale dans le paysage sonore sans devoir
recourir à des effets de manche par trop appuyés, dans une
étonnante économie de moyens qui sous-tend le groove plus qu’elle
ne l’énonce. Les effets de slide
sont rares, mais très appuyés, ce qui accentue leur pouvoir
d’expression naturel en les opposant littéralement au pizzicato
idiomatique de l’artiste. Privilégiant les toms plutôt que les
cymbales, Jennings orne ses beats d’un travail particulier au
charleston, utilisé de manière passive à la pédale plutôt que
joué à la baguette. Un jeu de snare drum lancinant et
volontairement répétitif confère à son jeu un caractère très
roots, avec des accents nerveux dynamiques et puissants. Sans être
aussi spectaculaire que certains virtuoses extravertis de la
batterie, il brille tout particulièrement par un décompte
quasi-mathématique des temps qui lui permet d’assurer un
soubassement stable dans les situations les plus délicates, lors des
interventions tout en tension du pianiste et du bassiste. Les
variations virtuoses de Christian Sands au clavier sont caractérisées
par un usage instable de la tonique, une dominante passagère qui
donne des couleurs inédites à l’influx vital liant les trois
musiciens au cours de leurs explorations musicales. La solidité des
fondations assurées par le bassiste et le batteur fait que les notes
jouées par sa main droite semblent animées d’une vie qui leur est
propre. De ce point de vue, d’ailleurs, les motifs ostinato qu’il
affectionne ne sont pas sans évoquer le travail de Keith Jarrett
lors des Sun
Bear Concerts,
avec un art consommé de la périphrase qui achève de rendre le
discours du groupe tout à fait passionnant. La jovialité de Mc
Bride trouve par ailleurs l’occasion de s’exprimer lorsqu’il
évoque ce qu’il nomme le «Gai Paris», qu’il dit aimer
infiniment plus qu’il ne maîtrise notre langue. Avec un sens de
l’à-propos très personnel, il cite «Dark City Nights» de Milt
Jackson en guise d’illustration de ce paradoxe. Le swing consommé
du groupe n’empêche au reste nullement qu’un titre de Stevie
Wonder ne fournisse l’argument d’un cross over créatif tout à
fait emblématique des deux longs sets proposés ici. Un très beau
concert dont on gardera en mémoire l’aspect assez cérébral de la
seconde partie, sur des progressions harmoniques sophistiquées à la
tonalité plus sombre qui tiennent du crescendo, et que le combo
choisit finalement de trahir au travers d’une improbable
célébration conclusive du disco de la fin des années 70, pour le
plus grand plaisir des membres du public qui applaudirent debout les
derniers accords joués. JPA
Le 24 octobre, Spike Wilner jouait au
Duc des Lombards. Il se présente désormais sous les couleurs de son
club new-yorkais. Son groupe s’appelle tout naturellement le
SmallsLive Allstars. En France, en Italie ou en Chine, le pianiste ne
se fait pas que l’ambassadeur de ses deux hauts lieux du jazz à
New York, le Smalls et le Mezzrow, mais porte avec lui un état
d’esprit, une culture et un hommage à ce club dans lequel Tyler
Mitchell (b), Anthony Pinciotti (dm) et lui ont fait leurs armes dans
les années 1990. Une fois lancé, le set ressemble bien à la
personnalité de Wilner avec standards («Round Midnight»), chansons
de Broadway («Fine and Dandy» et composition originale
(«Hopscotch»). Seul manquait au set de ce passionné de ragtime un
titre de Scott Joplin. Ce soir-là, le pianiste invita sur scène
deux guitaristes, Jérôme Barde, puis Yves Brouqui pour un sublime
«Polka Dotsand Moonbeams ». Wilner est un pianiste ancré dans le
bebop, dans cette philosophie (voir Jazz Hot n°667) et, comme lui,
ses musiciens sont rompus à toutes les situations. Les voir et les
entendre est un enchantement. MP
Laurent
Courthaliac,
figure éminente du piano jazz parisien, a décidé de rendre hommage
à l’un de ses cinéastes favoris, Woody Allen, également musicien
et fanatique du jazz, qu’il intègre au montage final de ses films
comme un élément à part entière de son esthétique
cinématographique. Pour ce faire, le pianiste avait réuni au
Sunside,
le 28
octobre,
un octet totalement acquis à la cause (Dmitry
Baevsky as, Fabien Mary tp, Xavier Richardeau, bar, David Sauzay ts,
Bastien Ballaz tb, Géraud Portal b, Romain Sarron, dm),
dont le répertoire et les arrangements sont basés en majeure partie
sur l’œuvre de Gerschwin, que les musiciens affranchissent du jazz
symphonique pour lui donner des ornements bebop. De «He Loves and
She Loves» à «All My Life» (qui est également le titre de
l’album né ce projet), le phrasé du leader, comme placé en
suspension sur le fil conducteur offert par la contrebasse et la
batterie, frappe les sensibilités par son élégance surannée. En
écoutant ces accords fragmentés et ces silences égrenés en
contrepoint des phrasés legato des souffleurs, on se dit qu’il
existe une vraie vision parisienne du swing. Les morceaux, comme
remis au goût du jour dans des versions revitalisées, sont la
preuve flagrante du fait qu’il est possible de combiner la
puissance d’un big band et la cohésion d’une petite formation,
dans une optique très roots qui en privilégie l’authenticité.
Paradoxalement, c’est peut-être sur les ballades que la redoutable
efficacité du band s’avère la plus évidente. Les sonorités de
trompette bouchée, les notes cuivrées produites par des instruments
vintage, ajoutent à la texture ductile des sons produits par le
groupe, et il appert bien vite que la pulsation qui transporte
l’auditeur n’est pas générée par la seule section rythmique,
qui joue toujours un petit peu en arrière du temps, comme pour mieux
suggérer une tension qu’on croyait inhérente au stride de Harlem.
C’est peut-être là le véritable dessein de Laurent Courthaliac:
il a beau être un authentique spécialiste du genre, il n’en
défend pas moins au travers d’un tel tribute
un jazz enraciné, dont la naissance est antérieure aux folles
improvisations des boppers qui souhaitaient d’abord et avant tout
«jouer quelque chose qu’ils ne puissent pas jouer». À sa façon,
il transmue la volonté de dépassement personnel des boppers en
classicisme, au service d’une musique en tout point passionnante.
Le public retiendra de ce concert hors du temps un œcuménisme et
une sensation de vie jamais démentis durant les trois sets qui ont
jalonné les évolutions du groupe. JPA
Textes: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez Photos: Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez © Jazz Hot n°677, automne 2016
|
Cécile McLorin-Salvant & Aaron Diehl Trio Théâtre municipal de Coutances, 21 octobre 2016
Evénement
d’automne, la jeune Diva du jazz, Cécile McLorin-Salvant était
l’invitée de Coutances, avec le très beau trio d’Aaron Diehl (p) –Paul
Sikivie (b), Lawrence Leathers (dm). Pour cette dernière date de la
tournée, la chanteuse et ses compagnons ont donné un beau récital, le
terme un peu désuet s’impose car il y eut une offrande de ce qu’il y a
de meilleur de l’Artiste en deux temps avec une première partie jazz par
le répertoire et une seconde chanson française, le tout naturellement
avec la manière jazz car c’est dans cette atmosphère que la chanson
française, faut-il le rappeler, a donné ce qu’elle a de plus beau, de
Charles Trenet à Georges Brassens.
Cette voix si
naturellement-culturellement virtuose et pourtant si expressive, si
imprégnée de la grande tradition, renouvelle totalement ce que peut être
le chant en jazz, comme l’avaient fait ses plus grandes devancières
(Bessie, Billie, Ella, Mahalia, Nina…), loin des surproductions
maniérées et schématiques actuelles. Tout est neuf, tout est complexe
sur le plan musical, mais tout reste si humain chez Cécile que le public
a été littéralement emporté dans ce beau voyage transatlantique (et
aussi très pédagogique, si on y réfléchit quant à la genèse de la
chanson française).
Après une ouverture sur un air de l’opéra de Kurt Weill Street Scene,
avec des paroles de Langston Hugues, qui reçut le prix Pultizer en
1929, il y eut, dans le premier temps en particulier, cette relecture si
extraordinaire des traditionnels («John Henry», un duo voix et
contrebasse jouant sur les harmoniques, comme d’une guitare acoustique),
du répertoire de Bessie Smith et de Billie Holiday («What a Little
Moonlight Can Do», 1935), Fitzgerald («I Get a Kick Out of You») par une
Cécile McLorin-Salvant toujours plus grande musicienne parmi des
musiciens de haut niveau avec un Aaron Diehl impérial de facilité et une
osmose délicate avec Paul Sikivie et Lawrence Leathers jouant de toutes
ses peaux avec délicatesse, y compris celle de ses mains.
Du
répertoire de Bessie Smith repris avec autant de profondeur que
d’intensité, comme pour un chant a capella sans micro qui laissa la
salle muette d’émotion, on passa vers une seconde partie en français,
avec «Personne ne m’aime», chanson pleine d’humour et de drame, dans la
veine de la chanson réaliste, puis une poétique «Route enchantée» de
Charles Trenet qui illustra un film de 1938 de Pierre Caron. On évoqua
ensuite Joséphine Baker (le profond texte de «Si j’étais blanche»,
magnifié par une interprétation subtile et toujours avec humour), pour
finir le tour de chant (autre terme ancien qui va comme un gant à ce
beau spectacle) très logiquement par une évocation somptueuse des Parapluies de Cherbourg
(nous sommes dans la Manche à quelques encablures de Cherbourg), avec
le bel air de «Sur le quai», une interprétation de rêve dont Michel
Legrand serait flatté.
Dans ce registre chanson
française, la perfection va jusqu’à la diction d’une chanteuse
parfaitement francophone qui arrive à phraser jazz avec la légèreté de
la Diva qu’elle est, une sorte de miracle linguistique et biographique.
Le choix, enfin, du répertoire, autant pour la partie américaine que
française, est d’une remarquable profondeur qui dénote la sensibilité de
Cécile et que confirme son accessibilité, très simple et très jazz, after hours pour un public sous le charme (rappels).
Ce
qui est aussi remarquable dans ces deux heures, c’est que l’art musical
de Cécile et du trio d’Aaron Diehl ne fait aucune concession, n’a
aucune complaisance ou faiblesse: chaque note compte, toujours jazz dans
l’esprit, toujours respectueux de la mise en valeur des textes par des
interprétations nuancées, recherchées. Aaron Diehl ne cesse par ses
contrepoints parfois étranges (jeu classique, arythmique, puis stride,
puis très jazz actuel, puis jazz de la grande histoire, commentaires
humoristiques, échanges variés avec un contrebassiste et un batteur tout
aussi inventifs…), Aaron, donc, construit avec son trio et Cécile de
belles œuvres, toujours subtiles, nuancées, accentuées.
Le
concert, qui présente toujours des pièces originales par rapport aux
enregistrements existants, aurait mérité d’être enregistré comme un
moment de perfection artistique. On le regrette pour ceux qui n’était
pas dans ce beau théâtre de Coutances, parfait en taille (à l’échelle du
jazz) et sur le plan acoustique pour l'écoute du jazz.
Yves Sportis Photos Sandra Miley
|
Paris en clubs Septembre 2016
Programmé le 1er
septembre au Petit Journal
Saint-Michel, en quartet avec Irving Acao (ts), Bruno Rousselet (b) et
Julie Saury (dm), Gérard Naulet (p)
évolue comme un poisson dans l’eau au sein d’un environnement convivial et
particulièrement propice à la communion entre public et orchestre. Le caractère
contagieux des rythmes afro-cubains lui donne la possibilité de remonter le
temps et les mélodies populaires lui servent de pistes de décollage pour des
improvisations débridées et qui entretiennent des rapports étroits avec la
danse. Le style cubain traditionnel est ordinairement assorti de percussions,
mais aujourd’hui c’est Julie Saury qui assume toutes les responsabilités en la
matière. C’est peu dire que d’affirmer qu’elle s’en sort impeccablement, glissant
comme par mégarde quelques roulements prolixes sous le tapis de notes égrenées
par les instruments harmoniques et mélodiques. Bien sûr, il y a un aspect
répétitif assumé derrière ce genre de prestation, mais la batteuse y ajoute la
vie nécessaire par un jeu de cymbales particulièrement dynamique et puissant.
Lors du second set, le quartet s’est adjoint les services amicaux de Tony Russo
(tp), qui a ponctué de quelques interventions mémorables le classique « Well
You Needn’t ». L’optique très roots du concert permet de s’apercevoir que ce
style musical s’est progressivement délesté d’une partie de son ornementation
initiale pour sortir de sa logique insulaire. Pour rester dans la bonne humeur
du moment, la partition de « Don’t Blame Me » donne lieu à un échange
humoristique entre Bruno Rousselet, un habitué du Caveau de la Huchette, et le
trompettiste. L’assise rythmique impeccable fournie par la contrebasse permet
au jeune Irving Acao de prendre son essor lors de longs chorus inspirés. Gérard
Naulet nous dira à l’issue du concert tout le bien qu’il pense de sa jeune
recrue, dont la passion transpire lors d’interventions en solo qui trouveront
un prolongement insolite, lorsqu’il continuera seul ses explorations au piano
après que le groupe a quitté la scène. JPA
Le 21 septembre, Scott Hamilton (ts) était de retour au Caveau de La Huchette, entouré de Dany Doriz (vib), Philippe Duchemin
(p), Patricia Lebeugle (b) et Didier Dorise. Au sommet de son art, le ténor
américain, porté par son évidente complicité avec le vibraphoniste, a développé
des phrases d’une grande beauté et une expression d’une remarquable intensité.
On retiendra notamment une fort jolie introduction d’Hamilton sur
«Cherokee», de même que des échanges très réussis avec Doriz sur
«Topsy» et sur «Place du Tertre» de Biréli Lagrène. Le
soutien de Duchemin, toujours excellent, achevant ce bel ouvrage. JP
Harold Mabern (p)
était de passage au Duc des Lombards
le 22 septembre, en trio avec Fabien
Marcoz (b) et Joe Farnsworth (dm). Tout en s’exprimant dans un jazz des plus
enracinés, Mabern – avec une pointe de malice – a donné une véritable leçon de
musique, multipliant les citations les plus variées (du «French
Cancan» d’Offenbach – prélude à un boogie-woogie déchaîné – à
«Eleanor Rigby» des Beatles –, objet d’un long développement à la
suite du «Daahoud» de Clifford Brown). Le maître concluant
invariablement ses démonstrations d’une sentence définitive: «There’s two sort of music: good
music, bad music… and silly music!». Respirant au contraire
l’intelligence, la musique de Mabern puise aux sources du blues
(«Georgia») pour mieux s’approprier les répertoires situés à
l’autre bout du spectre de la musique populaire américaine
(«Fantasy» d’Earth Wind and Fire). La finesse de Farnsworth et la
subtilitéde Marcoz sublimant le jeu de Mabern. Quelle soirée! JP
Le 23 septembre, China Moses (voc) se produisait au Jazz Club Etoile, entourée de Luigi
Grasso (as, dir), Joe Armon Jones (p), Luke Wynter (b, g) et Marijus Aleksa
(dm), pour présenter son nouveau disque, Whatever, un hommage aux grandes figures du jazz, du blues et de la soul qui s'inscrit dans la lignée de deux albums précédents. La chanteuse, débute son show par «Dinah’s
Blues» tiré de l’album This One’s For
Dinah (2009, composé avec Raphaël Lemonnier, p, et dédié à Dinah
Washington). «Jammin at Home» permet de présenter les musiciens et
d’enchainer sur un premier titre du nouvel opus, «Disconnected», un groove
introduit avec brio par Marijus Aleksa comme dans «Watch Out», mais cette
fois secondé par Joe Armon Jones, swing d’un soir embrumé par les vapeurs de
l'alcool, et «Whatever » - écrit en pensant aux mots inutiles en amour –, que
Joe Armon Jone orne d'un solo de piano tout en finesse. Chaque titre est
l’occasion pour China de nous raconter une histoire, prenant à part le public,
demandant sa participation active au spectacle. Puis elle prend ses idiophones
pour accompagner « Breaking Point » et Luigi Grasso son alto pour une
improvisation jubilatoire. Suit une reprise d’une des rares compositions de
Janis Joplin «Move Over» et «Blame Jerry» où China Moses voit dans chaque
instrument la traduction de l’humeur, de la voix, du souffle d’un homme le
soir. A travers « Lobby Call », China Moses
nous invite à participer à une comédie musicale imaginaire et elle
invite tout le club à chanter avec elle sur «Running» pour un moment de
partage et d’émotion, avant de remercier ses fans lors du rappel: «Niccotine». PM
Le 24 septembre, Philippe
Soirat présentait son premier album en leader au Sunset-Sunside. Il est intitulé You
Know I Care, reprenant le titre de Duke Pearson, que lui a fait découvrir
Alain Jean-Marie. Et comme ce titre correspond bien à ce batteur, rompu à
toutes les situations, qui a joué aux côtés des plus grands, disponible aux
plus jeunes, en tournée ces derniers temps avec Samy Thiébault, Michèle
Hendricks, en passant par un gig avec Jason Marsalis et Toshiko Akiyoshi l’été
dernier. Bien sûr, on espérait plus de
compositions originales (il n’y en a qu’une de lui, «Dear Jean»)
mais son choix de reprises - «Refuge» (Andrew Hill),
«Valse Triste» (Shorter), «Woody’n You» (Gillespie), «Ugly Beauty» (Monk), «Ezz-Thetic»
(George Russell) - annonce la couleur : le jazz de Philippe Soirat est aussi
exigeant qu’il est imbibé de culture. A l’image des trois excellents musiciens
qui l’accompagnent, David Prez(ts), Yoni Zelnik(b) et
Vincent Bourgeyx(p). Le feu, l’enthousiasme, la plénitude. On ne demande
qu’à les revoir. MP
Le 24 septembre toujours,
Thomas Dutronc (g, voc) célébrait
l'esprit de Django Reinhardt au Cirque
d’Hiver dans le cadre du 40e Festival d’Automne d’Ile-de-France,
avec ses invités: Aurore Voiqué (vln), Pierre Blanchard (vln), Jérome
Ciosi (g), David Chiron (b), Ninine Garcia (g), Rocky Gresset (g), Michel
Portal (bcl, acc) et Pierre Boscheron (DJ). «Are You in the Mood» suivi de «Billet doux» met le public à la mesure de cette soirée. Hommage encore avec «
Nuage » sur fond de craquements de vinyle arrangés par Pierre Boscheron avec
une remarquable intro de Rocky Gresset. Thomas enchaîne avec son propre
répertoire: «Je m’fous de tout» et avec l’entrée acclamée d’Aurore
Voilqué («Il pleut dans ma maison») qui se termine en battle entre les deux
violons. Le public est enchanté puis déchainé sur «J’aime plus Paris». Michel
Portal nous offre un prologue tout en
douceur de «Manoir de mes rêves». Retour à Django et de l’ensemble des musiciens
sur scène pour évoquer Aragon sur le poème «Est-ce ainsi que les hommes vivent». «Sweet Geogia Brown» permet de rassembler le public distrait par
l’entracte, afin d’apprécier la reprise de «Vech a no drom» de Ninine Garcia
accompagné par les effets electros du DJ. Après une séquence rock (Django est
loin), toute la troupe se retrouve sur scène pour le final de la Foire Dutronc,
comme il aime à le dire, avec le thème
des «Triplettes de Belleville». Belle soirée en famille et entre amis dans le
fabuleux décor du Cirque d’Hiver. PM
Dave Liebman
célébrait, le 28 septembre au New Morning, la musique d’Elvin Jones,
accompagné d’Adam Niewood (ts), Adam Nussbaum (batterie), Gene Perla (dm). Du groupe historique, formé au début des années 1970,
seuls restent le saxophoniste et le bassiste. Pour un tel concert, le club
n’était pas plein à craquer, et c’est bien dommage. Entre reprises («My
Ship», «Fancy Free» de Donald Byrd) et compositions
originales de Liebman («New Breed»), le
batteur était bien à l’honneur («Keiko’s
Birthday March», «Three Cards Molly»). Au ténor et au
soprano, le jeu du saxophoniste est intense et sans concession, complété par
Niewood, impeccable, Perla et Nussbaum formant un duo époustouflant
d’intensité. Cette musique, enregistrée il y a une quarantaine d’années, n’a
pas pris une ride. Ce quartet ne sonne comme aucun autre groupe. Pas de
nostalgie ici. MP
Textes: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez Photos: Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez © Jazz Hot n°677, automne 2016
|
Marseille 29 septembre et 1er octobre 2016
Pour
cet unique concert en France le 29 septembre, Joyce Moreno (g, voc), avait choisi Marseille. En
fait l’association Le Cri du Port, avait toujours souhaité la recevoir, car à
travers ses trente-six saisons de concerts intitulé «Jazz Marseille», son
programme a été ouvert aux artistes du Brésil qui empruntent des voies proches
du jazz: Egberto Gismonti, Hermeto Pascaol, Baden Powell… Joyce Moreno, à
l’allure de jeune femme, signe une carrière de près de 50 ans. Si elle a
démarré novice aux côtés de Vinicius de Moraes, elle a construit sa propre
œuvre avec à ce jour de quarante-deux albums et des collaborations originales.
Parmi ses albums on notera l’étonnant Sem
Voce, enregistré en duo avec le guitariste Toninho Horta, en une nuit de
«saudade» pour pleurer la disparition d’Antonio Carlos Jobim. Du Carnegie Hall
aux salles japonaises, sa voix s’est imposée comme une des plus authentiques du
Brésil. Pour le plaisir, on peut citer un de ses premiers albums avec Nelson Angelo
(1972) ou le tout récent Poesia avec
Kenny Werner (2015). En 2009, elle rajoute à son prénom, le nom, Moreno, celui
de son mari Tutti (dm) et compagnon de route.
Son
dernier album Cool (Far Out
Recording), enregistré avec son groupe actuel (Tutti Moreno, Helio Alves, p,
Rodolfo Stroeter, b), le même depuis des années, est consacré pour la première
fois de sa carrière à des standards de jazz, dont elle ne jouera ce soir qu’un
seul titre, «Love for Sale». Pour ce concert, elle nous a interprété une
sélection de ses titres emblématiques mais aussi quelques hommages à ses
compositeurs préférés – dont Jobim – et un merveilleux titre oublié « Canto
de Iansã » que Baden Powell composa lors de son fameux séjour avec
Vinicius de Moraes à Salvador de Bahia, séjour arrosé qui donna naissance aux
sublimes «Afro Sambas». Tous les musiciens sont parfaits, le jeu aérien,
notamment sur les cymbales de Tutti et son utilisation des balais sur plusieurs
titres font de lui un batteur des plus fins. Helio Alves, petit personnage très
discret, signa plusieurs solos inventifs. Peu connu ici, il a été notamment le
pianiste de Joe Henderson et partage sa carrière entre New York et le Brésil.
Un «brinde d’honor» à tout ce groupe et un amical salut à Rodolfo Stroeter, ici
à la guitare basse acoustique, ultra présent sur la scène de São Paulo mais
aussi comme producteur de Gilberto Gil, qui revenait jouer à Marseille après 25
ans d’absence. C’était avec le groupe Pau Brasil, groupe qui tourne toujours et
défend un jazz «made in Brasil». Cette étape Marseillaise, après une tournée au
Japon, marquait le départ de concerts en Europe de l’Est et du Nord. La fin de
l’année verra le retour du groupe dans un studio, en Uruguay, pour un nouvel
album. Le temps ne fait rien à l’affaire quand on a du talent on peut le
conserver toute sa carrière. Après un concert enthousiaste dans une salle
surchauffée (dans tous les sens du terme) le public venu nombreux fit une
ovation à Joyce digne des grandes stars dont elle fait indéniablement parti.
Le 1er octobre, à l'Alhambra CinéMarseille en première
partie, avant la projection du film A
Musica, segundo Antonio Carlos Jobim, Philippe Baden Powell (p, voc) jouait
pour la première fois à Marseille. Dans une salle comble, il assumait la lourde
tâche, devant un grand nombre de spécialistes, de perpétuer la mémoire
familiale, presque triple ce soir-là : celle évidente de son père, de
Jobim et de toute la bossa-nova. Son jeu de piano très élégant et sobre à la
fois nous révèle, dès ses premières compositions, un pianiste baigné de
l’univers du jazz qu’il a découvert en écoutant un disque d’Eddy Louiss. Très
jeune, il a dû choisir un instrument car tout le monde dans sa famille, depuis
son grand-père Lilo (premier chef noir à diriger un orchestre au Brésil), est
musicien. Malicieusement, il dit avoir pu opter pour le piano avec plus de chance
que son frère, Marcel, à qui son père imposa la guitare. Il se produit en
public dès l’âge de 13 ans et au fil de sa carrière développe son propre style
pleinement révélé lors de ce concert. Il alterne compositions personnelles et
hommages à ses pairs. Les thèmes sont à chaque fois subtilement introduits, le
pianiste empruntant ensuite sa propre voie dans une technique et une invention
sans faille. Pour lui, le fondamental de la musique moderne du Brésil, vient du
saxophoniste et compositeur Pixinguinha, né en 1897 qui jouea en 1921 en France
(Le premier groupe brésilien avec des Noirs et
des métisses à jouer hors du Brésil)1. Sa version de «Carinhoso», le plus grand succès du maître,
si souvent interprétée à toutes les sauces, redevient sous ses doigts un hymne
à l’amour viscéral et tendre, comme la chaude caresse du souffle de Xango, dieu
du feu et des tonnerres du candomblé brésilien. Pour saluer son père, il
choisit l’une de ses plus belles compositions extraite des Afro Sambas,
«Berimbão» et en livrera toutes les incantations africaines. Il ne pouvait pas ne
pas citer Jobim et ce sera «Ligea», thème moins connu que ses nombreux succès
et à l’opposé le célébrissime «Aguas de Marco». Après son père, que le Cri du
Port avait accueilli par trois fois, ainsi que son frère Marcel, Philippe Baden
Powell triomphait allégrement de l’audience venue comme dans une cérémonie commémorative.
Comme pour Joyce, le public le salua longtemps et fortement. Peut-être que
Marseille est la corne africaine qui pousse vers le Brésil.
Ces deux
concerts étaient présentés dans le cadre de Musica Popular Brasil, qui entre
autres proposa deux films sur Antonio Carlos Jobim, A casa do Tom, Mundo,
monde, Mondo réalisé par son épouse, Ana Jobim, et A Musica segundo
Antonio Carlos Jobim réalisé par Nelson Perreira dos Santos et Dora
Jobim (petite fille), des expositions de pochettes rares de la MPB, une
conférence et une rencontre avec le musicien Walter Negao.
1. Bonjour Samba – Une discographie idéale de
musique brésilienne (http://la-musique-bresilienne.fr) Texte: Michel Antonelli Photos: Florence Ducommun © Jazz Hot n°677, automne 2016
|
Paris en clubs Juillet-Août 2016
Le 9 juillet, l’Atelier Charonne mettait fin à huit ans de jazz. En ce lieu se sont
en effet produits David Reinhardt, Samson Schmitt,
Tchavolo Schmitt, Angelo Debarre, Costel Nitescu, les frères Ferré, Norig et
bien d’autres… Pour ce dernier concert, les patrons, Romain et Céline
avaient invité de nombreux amis. C’est Samy Daussat (g) qui a animé la petite
scène en compagnie de Frangy Delporte (g), Francois
C. Delacoudre (b) et Christophe Daumas (dm). Après deux classiques de Django, une calme reprise du «Jardin
d'hiver» d’Henri Salvador et un «Belleville» endiablé, Samy a
invité, dès ce premier set, les musiciens venus en nombre à faire le bœuf:
tout d’abord, la délicate Renée Garlène (voc).
Rodolphe Raffali (g) est ensuite venu accompagner à
la façon manouche les chanteuses LIiouba
puis Marina, fille et femme de Moreno Winterstein qui c’est déjà produit ici en
2013. La salle, remplie d’habitués fut particulièrement réactive. La poète Vanina de Franco et Sahel Daussat, le fils, ont rejoint à
leur tour la formation, ramenée à un trio. Après une pause tout aussi animée, les
frères Ferré (g) ont pris leur tour, Elios cédant ensuite la place à Christophe
Astolfi pour un duo de guitares des plus attachants. La soirée s’est
terminée avec Christophe Daumas (voc), soutenu par Frangy Delporte (g). Romain
et Céline quittant Paris pour la Normandie, peut-être y donneront ils naissance
à un festival…? PM
Le 12 juillet, Pharoah Sanders était de retour au New Morning, plein à craquer. Il était en très grande forme (on se
souvient du dernier concert, chaotique, donné en 2013, où il avait peu joué, se
plaignant d’un problème de retour, et avait quitté la scène de façon brutale). Brillamment
accompagné de son vieux complice William Henderson (p), on le retrouvait ici avec sa formation européenne,
composée de l’ultra solide Oli Hayhurst (b) et de l’épatant Gene
Calderazzo (dm). Après une introduction envoûtante
du ténor, qui montre qu’à 75 ans, il n’a rien perdu de puissance musicale et de
son très gros son, il poursuit avec «Greetings to Idris»,
«Say It Over Again», «The Creator Has A Masterplan» et
«High Life». Au second set, passent «The Greatest Love of
All», «Jitu», le bouleversant
«Naima»,«Giant Steps» et une variation de « The
Creator Has a Masterplan». Tout au long du concert, il enfonce sa tête
dans son saxophone, chante des incantations, esquisse des pas de danse.
Emotion, mélodie, richesse de jeu étaient au rendez-vous de cette soirée exceptionnelle. MP
Malgré un contexte difficile, il y
avait du monde pour voir jouer Toshiko Akiyoshi
le 15 juillet au Sunside. Elle était ici accompagnée de
Gilles Naturel (b) et Philippe Soirat (dm). La pianiste ne s’étant plus produite
à Paris depuis des années, elle se dévoilait plus que jamais touchante, par son
histoire qu’elle raconte au public(son arrivée aux Etats-Unis en 1956),
aussi par les titres qu’elle interprète, tels l’émouvant «Tempus
Fugit» – de son ami et mentor Bud Powell –, et le bouleversant
«Remembering Bud», qu’elle a composé pour lui, ainsi que son jeu
très sûr, très rapide, marqué par Bud, et infusé de la fragilité d’une grande
dame du jazz de 87 ans. Tout au long de la soirée, elle joue des standards
(«It Could Happen To You», aussi du Gershwin), une composition
originale, son emblématique «The Village» en solo. Bien que directive
avec ses sidemen, elle donne toute sa place à Naturel et à Soirat, qui
l’accompagnent avec émotion et solidité. L’accord est total. MP
Les Yellowjackets (Bob
Mintzer, ts, Russell Ferrante, p, Dane Alberson, b, William Kennedy, dm) passaient au Petit Journal Montparnasse le 21
juillet, et c’est peu dire que d’affirmer qu’il s’agissait d’un véritable
évènement. Les influences rythm and blues du groupe, combinées à des sonorités plus synthétiques générées par
l’«Electronic Wind Instrument» de Bob Mintzer, permettent
aussi bien d’évoquer l’héritage de grands musiciens de l’ère classique que des
épisodes plus erratiques, caractéristiques des expériences menées autour du
free jazz et de la fusion. La première référence qui vient à l’esprit, lorsque
le concert débute, est celle de Wayne Shorter et Weather Report. Le fait
d’assortir sonorités de piano classiques avec les possibilités offertes par les
claviers électroniques y est bien sûr pour beaucoup. La combinaison des sons de
clavinet et de l’EWI de Mintzer ajoute encore un peu de crédibilité à cet
apparentement, bien que le groupe ne touche pour ainsi dire jamais aux
rendements échevelés et anarchiques dont se sont fendus tant de formations
rongées par les excès lysergiques. Il y a un esprit très smooth jazz ainsi
qu’une ambiance typiquement west coast dans le son des Yellow Jackets. « Spirit
of the West » tiré de l’album Club
Nocturne, dont les arrangements étaient conçus à l’origine pour donner la
parole aux chanteurs, augure bien d’un set frappé à tous égards d’une certaine
modération, dans le fond comme sur la forme. Un passage par l’album Politics ne fera que confirmer cette
primo-impression, mettant en valeur le formidable interplay dont les musiciens savent faire montre. De lents
développements atonaux, interprétés dans une optique très progressive,
jalonnent le set des Yellowjackets, avec une alternance de parties jouées à
l’unisson et de jeu hors phase. L’emploi de frisés et de double beats par le
batteur, couplés à un usage particulier de la charleston, parachève la
sensation d’avoir affaire à une musique empreinte d’intellection. Le piano
Yamaha de Russell Ferrante assure un équilibre sans faille à l’ensemble,
insufflant juste ce qu’il faut de sonorités acoustiques à un son qui, à la
base, est comme empreint de retenue et bridé intentionnellement. Le solo
basse-batterie du second set porte indéniablement cette marque de sobriété,
l’instrument à cordes se taisant brusquement lorsque Will Kennedy décide
d’accuser puissamment le tempo sous-jacent à la prestation du duo. Au passage,
on perçoit ce qui est sans doute le secret du son des Yellowjackets, cette
rigueur rythmique assumée brillamment par Russell Ferrante, avec un jeu très
polyvalent qui restitue aux touches noires et blanches le rôle majeur qu’elles
peuvent jouer en matière de métrique savante. Avec un public entièrement acquis
à sa cause, c’est non pas un mais deux rappels à la tonalité plus intimiste qui
nous attendent, les amateurs de jazz ne souhaitant pas que la fête se termine
aussi tôt. C’est finalement un Bob Mintzer presque timide qui nous annonce au
micro qu’il leur faut rompre là nos échanges, le groupe se devant de reprendre
un avion dans à peine cinq heures. Un bien beau concert de jazz contemporain. JPA
Pour ceux qui le savaient en y allant, David Sauzay (ts) donnait le 23 juillet, avec son sextet, le dernier concert du Petit Journal Montparnasse, lequel fêtait, il y a peu, ses 30 ans
d’existence. Pour ceux qui le découvrirent une fois sur place, ce fut un
choc. Après l’Atelier Charonne et le 45° Jazz-Club (place du Colonel Fabien) voilà encore
un club de jazz qui ferme cette année dans l’indifférence, et un lieu en moins
où les musiciens peuvent s’exprimer. On se dit et on se répète que le
jazz, c’est fragile, que tout ça ne tient qu'à un fil... Ce soir-là, il
n’y a pas grand-monde. Peu d’amateurs, à peu près aucun musicien dans la
salle. Sur ces compositions originales du ténor («Straight Forward»), ces
reprises de Dizzy Gillespie ou d’Eric Alexander (« Straight Up »),
Sauzay, Fabien Mary (tp), Michael
Joussein (tb), Alain Jean-Marie (p), Michel Rosciglione (b) et Mourad Benhammou (dm) donnent tout, et les accompagnent de solos
enflammés dans deux sets ultra solides. Ils font comme si de rien
n’était. Toujours au service de cette musique. C'est à ça qu'on
reconnait les grands musiciens. MP
Mike Stern venant d'être victime d'un
accident, il ne pouvait participer à la tournée européenne en cours, montée
avec Bill Evans. Le concert du 26 juillet au New Morning a donc été maintenu, mais avec un jeune guitariste américain
du nom de Bryan Baker. Ancien du
groupe de Miles Davis, tout comme Mike Stern, Bill Evans s’est doté pour ce
quartet d'une section rythmique composée de Darryl Jones (b) et Keith Carlock (dm). Animé d’une certaine
ferveur, le jazz fusion vigoureux qui nous était proposé ce soir était
catapulté par le jeune Bryan Baker dans la sphère du rock. Il faut dire que le
jeune homme a débuté sa carrière comme enfant prodige, à l'âge de 12 ans, et
qu’il donne parfois dans l’excès, ainsi qu’en témoignent ses plans
pyrotechniques à la guitare. Il revendique aussi bien les harmonies d'Ornette
Coleman que Jimi Hendrix ou l’influence de groupes de metal, et ça s’entend. Comment s’étonner, dans ces conditions,
qu’il donne une dimension par trop spectaculaire à un répertoire qu’il a dû, il
est vrai, apprendre au débotté et dans une certaine urgence. Soyons justes, il
ne dénature pas totalement l’esprit jazz-rock de la formation, particulièrement
sur les morceaux chantés, mais il change indéniablement la forme de certaines
interventions de Mike Stern, en leur conférant une dimension « shredder »
exempte du vocabulaire de son illustre ainé. Dans un quartet avec une si forte
concentration d’anciens du groupe de Miles Davis, on s’attend bien sûr à
écouter de la bonne fusion, et de ce point de vue, le public qui a répondu
présent suite à la démission de Mike Stern n’aura pas été déçu du voyage. La
Telecaster de Bryan Baker est une dynamo qui propulse dans une autre dimension
le répertoire du band dont Bill Evans apparaît, comme malgré lui, le leader. En
vue d’adouber le guitariste aux yeux du public, le saxophoniste multiplie les duets humoristiques avec lui, conférant
une allure presque free à des compositions aux arrangements à l’origine bien
plus sophistiqués. L’énergie du guitariste oblige Evans à des interprétations
débridées, avec une marge de sécurité réduite. Sur le plan harmonique, l’usage
de nombreux accords de quinte brouille encore un peu plus les cartes, mais parfois le groove y gagne quelque chose, sans que la section rythmique ait à en
rajouter outre mesure. Bassiste de scène des Rolling Stones, Darryl Jones sait
comment soutenir un rythme sans le phagocyter, et le parti pris sonore de ce soir
limite le sustain des instruments en
vue de préserver la cohésion du son. Les phrasés sont plus rapides, mais
peut-être aussi moins précis et surtout moins legato que ceux de Mike Stern. Le
solo de batterie, solaire et communicatif, nous amène au cœur de l’esthétique
de groupes west coast comme Steely Dan et Toto, et le chant de Bill Evans est
étonnamment orné de passages « scat que
n’auraient pas renié les Manhattan Transfert. Il faut dire que le leader, peu
avare de ses efforts pour assurer la réussite du spectacle, cumule à la fois
parties vocales, saxophone ténor et claviers (il jouera même quelques notes de
saxophone soprane). Si le concert se perd parfois dans les méandres de la
virtuosité gratuite, le rappel « Jean-Pierre» remet tout le monde d’accord et
conclut le deuxième set d’une joie communicative. Un tout de même bon moment,
qui aura au moins prouvé que le son, le style de Mike Stern sont uniques en
leur genre. JPA
Le 28 juillet, le New Morning affichait complet pour Roy Ayers (vib, voc). Celui qui brille par ses concerts survoltés était en toute petite forme. Est-ce l’effet d’un
décalage horaire dévastateur et/ou d’une tournée épuisante? Le
vibraphoniste a perdu sa verve ce soir-là, jouant peu de titres
(«Searchin’», «Running Away», «We Live in
Brooklyn Baby», «Sweet Tears»), même si ses sidemen – John Pressley (voc), Donald Nicks (b), Jamal Peoples (key),
Larry Peoples (dm) –, se démenaient pour tenir le cap du groove. Ayers s’est
fait voler la vedette par le jeune et impressionnant Jamal Peoples, débordant
d’énergie et aux nombreux solos. Il ne manquait que le leader charismatique
pour atteindre les sommets. MP
Benny Golson (ts) fait
progressivement son retour sur la scène. Il jouait le 10 août au Duc des Lombards.
Le maître du ténor n’a rien perdu de son élégance de jeu, de sa bienveillance à
l’égard de ses musiciens et de sa fidélité en amitié. Accompagné de
l’exceptionnel Antonio Farao (p), de l’ultra solide et musical Gilles Naturel
(n) et de Doug Sides (dm) au gros son, le gentleman du jazz compose chacun de
ses sets comme un recueil d’histoires et d’anecdotes, de portraits et
d’hommages à ses amis disparus. A la fin d’un set, il a donc joué peu de
titres, mais a su créer une telle intimité qu’en interprétant avec émotion
«Whisper Not», «I Remember Clifford», «What Is This
Thing Called Love» ou «Mr PC», le public bouleversé brûle de
reprendre cette conversation avec Benny Golson, lors de son prochain passage à
Paris. MP
Le 18 août, César Pastre
(p) se produisait, pour la première fois sous son nom, au Caveau de La Huchette, avec Enzo Mucci (b), Olivier Robin (dm) et,
en invité, Claude Tissendier (as). Si, face à ces musiciens d’expérience, le
leadership du jeune pianiste doit encore s’affirmer, celui-ci a démontré une
nouvelle fois ses qualités musicales, en particulier un swing très naturel. On
retiendra notamment sa très jolie introduction de «Tea for Two»,
pleine de subtilité. Tissendier, quant à
lui, à déployé sa belle sonorité, notamment sur «I’m Beginning to See the
Light» et «Cheek to Cheek». Un relais de génération prometteur. JP
Le 29 août, Julien Coriatt
(p) présentait son nouvel album, Jingle
Blues, à la Cave du 38 Riv’,
dont il assurait, avec son trio (Adam Over, b, et David Paycha, dm),
l’animation de la jam du lundi pour la dernière fois après plusieurs années de
bons offices. La jam en question fut donc reléguée au troisième set pour
permettre au trio de dérouler le répertoire du disque: de bonnes
compositions, notamment «Fear the Artist», très swing,
«Penelope’s Quilt», une jolie ballade, ou encore «Jingle
Blues», titre qui emprunte quelques mesures de «Epistrophy». JP
Textes: Jean-Pierre Alenda, Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez Photos: Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez © Jazz Hot n°677, automne 2016
|
Paris en clubs Juin 2016
Le Petit Journal Montparnasse accueillait le 1er juin
le quartet de Géraldine Laurent (as). Accompagnée d’Antonio Farao (p), de
Dominique Di Piazza (elg) et de Lenny White (dm), cette formation nous a
régalés d’un jazz virtuose empreint d’un certain classicisme dans
l’interprétation, avec une pincée de jazz fusion et d’influences afro-cubaines
qui affleurent sporadiquement, au gré notamment des improvisations de Di Piazza. Lenny White a affiché un jeu plus enraciné, brouillant
les cartes au moyen de son jeu de caisse claire, marquant le tempo avec la
cymbale ride plutôt qu’avec la Charleston, plus proche en cela de Kenny Clarke
que de Billy Cobham. Avec l’âge, il met l’accent sur la technique et la finesse
de jeu, troquant volontiers les baguettes contre des balais lors de pièces plus
intimiste. Seules quelques mesures en 4/4, introduites comme en rupture avec
les mesures ternaires, sont là pour rappeler qu’il fut aussi le batteur de
Return to Forever. Le premier set a débuté dans un esprit très Carla Bley, avec
«Softly». Les prestations du quintet sont habituellement organisées autour de
standards («What Is This Thing Called Love»), entrecoupés de compositions
personnelles («Foot Prints»). La formation éclectique d’Antonio Farao confère à
ce groupe une assise sur laquelle les musiciens peuvent s’appuyer pour
s’affranchir de leur rôle rythmique. Sa main gauche ajoute des harmonies riches
et souples à la mélodie, jouant une série de block chords tandis que les notes aiguës du clavier sont visitées avec puissance et délicatesse. Géraldine
Laurent construit ses chorus en développant des volutes sonores qui ne sont pas
sans évoquer les fameuses «sheets of sound» lors d’une substitution d’accords
aventureuse. Elle ne craint pas de se mettre en retrait, voire d’utiliser les
silences pour mieux suggérer, mettre en valeur des interventions lumineuses et
harmoniquement élaborées qui laissent deviner, au hasard d’un changement de
clé, une dette jamais démentie à l’égard de Charlie Parker. Le concert se clôt
sur «Wolfbane», un titre de Lenny White qui ranime l’esprit des années fusion
par l’intermédiaire d’un drumming prolixe qui constitue le véritable fil
conducteur des deux sets assurés par le groupe. JPA
Le 24 juin, Rhoda Scott (org) présentait son nouvel album, Live au Jazz Club Etoile (Black &
Blue) sur la scène du club de l’hôtel Le Méridien Etoile, dont l’espace a été
remanié cet hiver. L’ex-Jazz Club Lionel Hampton est à présent dissimulé par de
grandes portes (alors qu’on y accédait auparavant directement par le hall de
l’hôtel) et son bar a été déplacé à l’extérieur pour augmenter le nombre
de places assises. Dans le club même, on ressent finalement peu de différences,
en dehors des espaces «cosy» qui sont apparus. Les conditions d’écoute
demeurent excellentes et, surtout, le jazz reste au rendez-vous, du jeudi au
samedi, avec Jean-Pierre Vignola aux manettes. L’organiste avait ainsi mis à profit la large scène du club
pour s’entourer d’une formation comprenant deux ténors (Carl Schlosser et
Philippe Chagne) et deux batteries (Lucien Dobat et Julie Saury, qui ont joué
tantôt alternativement, tantôt conjointement), avec également Christophe Davot
(g) et Leslie Lewis (voc) en invitée. Une bien belle machine à groove! On ainsi
pu apprécier les nuances apportées à Rhoda par chacun des batteurs (Dobat
davantage dans la rondeur et Saury plus nerveuse) tandis que le duo de sax
renforçait la puissance du son de l’orgue. Dans les moments plus apaisés,
Christophe Davot a su glisser quelques belles interventions. Mais le petit plus
de la soirée a été apporté par Leslie Lewis, notamment entendue sur «Love for
Sale» et «The Man I Love». Assurément, il y avait du spectacle, ce soir-là au
Jazz Club Etoile. JP
Le 29 juin, Chris Cody (p) était au Cercle
Suédois (Paris 1er) en compagnie de Jon Handelsman (ts) et Bruno Rousselet (b).
L’Australien, qui après une vingtaine d’années de vie parisienne est retourné à
Melbourne, était de passage dans l’Hexagone pour présenter son nouvel album, Not My Lover (voir notre chronique),
lequel évoque Paris au travers de morceaux qui sont essentiellement des
originaux. Cody expose les thèmes de façon dépouillée, minimaliste, mais avec
une grande mélodicité. L’accompagnement impeccable de Rousselet, qui met
joliment en relief les motifs, comme le dialogue avec le ténor ont ajouté à la
qualité de la prestation. Dommage que le public, d’abord venu pour
« bruncher », n’ait pas été plus attentif. JP
Le 30 juin, l’immense Randy Weston était au New Morning
avec son African Rhythms Quintet. A 90 ans, le
pianiste ne faiblit pas, toujours en tournée dans le monde entier. Accompagné
ici des excellents Billy Harper (ts), T. K. Blue, alias Talib Kibwe (fl, as),
Alex Blake (b) et Neil Clarke (perc), il a livré deux sets particulièrement
riches, ne jouant que ses compositions, comme «African Sunrise»
(dédiée à Dizzy Gillespie et Melba Liston),«The Healers», «High-Fly»,
«Blue Moses». Quelques jours auparavant, alors
qu’il dédicaçait son autobiographie à la librairie Présence Africaine (Paris 5e),
quelqu’un lui demandait ce qu’il restait de Monk dans son jeu actuel. Impossible
pour le musicien d’expliquer par le verbe ce qui relève du «mystère de la
musique» (voir notre interview dans notre n° 673). Ce soir-là, l’esprit de
Monk planait au-dessus du pianiste, au jeu percussif, puissant, plein de
surprise. Le premier set,
dominé par les flamboyants Blake et Clarke, à l’expression africaine et latine, nous a transportés
en Afrique. Le second était un
voyage dans ce que le jazz afro-américain fait de plus spirituel, avec les duos
profonds des saxophonistes, le lumineux Kibwe et Harper, au gros son, majestueux,
bouleversant. Ces musiciens-là sont des conteurs. L’histoire se poursuit à Montreux
et à Jazz à Vienne. MP
Le 30 juin également, au Petit
Journal Saint-Michel, Ahmet Gülbay (p) – qui assure désormais la programmation
du club – avait réuni autour de lui Esaïe Cid (as), Nicola Sabato (b) et
Germain Cornet (dm) pour un hommage à Duke Ellington. L’affiche était prometteuse et
l’on n’a pas été déçu: Gulbäy, au jeu percusif, a donné tout leur relief
aux célèbres pièces du Duke («In a Mellow Tone», «Just
Squeeze Me»), magnifiquement soutenu par un Sabato très en verve – en
particulier sur le blues – et un Cornet très inventif qui a livré sur «Caravan»
un solo mains nus évoquant les percussions africaines. Tout en mélodicité, Esaïe
Cid apporta quant à lui sa poésie bop. Venu en spectateur, Frederick Tuxx (voc) s’est
joint à ce bel attelage sur «You
Don’t Know What Love Is» et «Everyday I Have the Blues». Quel
régal! JP
Textes: Jean-Pierre Alenda, Jérôme Partage, Mathieu Perez Photos: Jérôme Partage, Mathieu Perez © Jazz Hot n°676, été 2016
|
Paris en clubs Mai 2016
Kenny Werner
se produisait le 2 mai au Duc des Lombards, avec
Johannes Weidenmueller (b) et Ari Hoenig (dm). Dans une soirée
aérienne, le trio a joué essentiellement des titres extraits de son
dernier album The Melody, dont les deux superbes
compositions du pianiste, «Voncify the Emulyans» et «Who?». Il y
avait aussi «26-2» (Coltrane), «In Your Own Sweet Way» (Brubeck)
et «Peace» (Silver). Ces trois excellents musiciens, à la palette
de jeu vertigineuse, jouent ensemble depuis près de quinze ans, et
cela s’entend. Le rapport est alchimique. Au jeu sensible,
poétique, élégant, complexe du pianiste répondent la subtilité
du contrebassiste et la passion du batteur. Plus qu’un son
individuel qui se détache de chacun, c’est une véritable
atmosphère qui ne ressemble à aucune autre.
Le lendemain, Werner donnait une master
classe à l’ Union des Musiciens de Jazz (Paris 13 e)
sur le thème «Effortless Mastery», inspiré de son best seller
(publié en français sous le titre La maîtrise sans effort,
chez Uncle Jazz Productions, 2003).
Sa méthode pour libérer le musicien de ce qui retient sa créativité
rappelle, par moment, celles de Ran Blake ( Jazz Hot n°667)
et de Lennie Tristano ( Jazz Hot n°668).
Devant une vingtaine de musiciens, en grande partie des pianistes, il
a expliqué comment la pensée, le jugement de soi et l’attente
conditionnent la créativité et l’étouffent. Il a souligné
l’importance de laisser les mains courir sur le clavier et la
nécessité de déprogrammer sa façon de jouer pour atteindre une
véritable expérience musicale créative. La master classe d’une
heure et demie, suivie d’un échange avec les musiciens présents,
s’est achevée par une improvisation au piano de Werner. MP
Le
8
mai,
le brunch dominical Aux
Petits Joueurs
était assuré par le collectif Désorientés,
créé par Jaafar Aggiouri (s, cl) et Mathias Levy (voc) qui,
inspirés par le mythe de Dionysos, dieu de la musique, de la danse,
du théâtre et du vin, ont tenté d’imaginer la musique
tourbillonnante que ce dernier aurait pu composer. La formation, aux
identités et influences plurielles (musiques classiques, jazz,
orientale, traditionnelle, actuelle), compte également dans ses
rangs David Poteaux-Razel (elg), Eric Groleau (dm), Olivier Lorang
(b), Theo Girard (b) ou Emrah Kaptan (eb) comme aujourd’hui.
Inspiré, entre autres, par Charles Mingus, John Coltrane, Ornette
Coleman, et Yussef Lateef, le premier set présentait les différentes
compositions du groupe: «Rue Myhra» (Levy), «Beyrouth-descente aux abris»
(Aggiouri), «Encore une fois» (Groleau), «#2»
(Poteaux-Razel), «La Voix de la lune» (Aggiouri), sauf «Lonely Woman» (de Ornette Coleman) et «Zeynebim
Zeynebim» (traditionnel). Le deuxième set était une jam ouverte où
les musiciens pouvaient passer d’un instrument à l’autre, au
gré́ de la musique et des envies, où l’interaction,
l’improvisation et l’écoute étaient au cœur de la scène. On
attend avec impatience la sortie de leur premier album. PM
Le 10 mai, Sébastien
Troendlé présentait son spectacle Rag’n Boogie au
Petit Journal Montparnasse. Seul en scène durant une heure
trente, devant un décor de théâtre et un écran où passent
quelque images d’archives, le pianiste alsacien (qui a étudié la
musique à Bâle) raconte avec passion l’histoire du ragtime et du
boogie-woogie, ces deux ancêtres du jazz apparus à la fin du XIX e
siècle, illustrant son propos en interprétant des pièces
appartenant à ces deux genres. Le résultat est à la fois ludique
et didactique: Troendlé rapporte des anecdotes significatives – et
souvent drôles – qui éclairent le spectateur sur l’environnement
qui a vu naître la musique afro-américaine mais évoque aussi, avec
sérieux et sensibilité, le phénomène de l’esclavage et de la
ségrégation (ce qui, en ce jour de commémoration de l’abolition
de l’esclavage, tombait plus à propos que les habituelles et
hypocrites cérémonies officielles). Un spectacle à recommander aux
néophytes, notamment aux enfants qui ne s’y ennuieront pas, comme
aux amateurs plus chevronnés qui apprécieront ce voyage plein de
poésie, d’humour et se régaleront d’écouter un excellent
pianiste, habité par son sujet ( Rag’n Boogie est programmé
au festival off d’Avignon du 7 au 31 juillet). JPLe 10 mai
toujours, Clara Brajtamn (voc) interprétait chantait pour
première fois le répertoire de Boris Vian, sur la péniche Le
Marcounet. Elle était en duo et avec Vladimir Medail (g), choisi
pour son expression sobre qui soutient particulièrement le texte. La
chanteuse avait choisi des œuvres bien connues mais aussi quelques
perles méconnues : «Cinématographie» avec une intro swing en
hommage à Duke Ellington (une des idoles de Boris) et «La Java des
bombes atomiques» donnèrent le ton de la soirée. Clara enchaina
avec beaucoup d’à-propos les titres à la suite comme «Sans
blague» et «Je bois» ou encore «Pas encore» et «Ne vous mariez
pas les filles» mettant ainsi en perspective les textes de Bison
Ravi. Sur «Les Chaussettes à clous», le guitariste nous offrit un
superbe solo avant d’enchaîner avec «Le Déserteur», puis
finissant le premier set avec «J’suis un monstre de perversité».
A noter que Clara Brajtamn lisait un extrait d’un livre ou une
poésie de Vian pour introduire chaque chanson. «Mozart avec
nous» cha-cha-cha sur l’air fameux de «Rondo alla Turca» ouvrit
le deuxième set avec les éclats de rire de Clara qui se transmirent
au public. «Wispering» fut suivi de sa version «francisée»: «Ah,
si j’avais un franc cinquante», puis du «Tango des bouchers» et
du fameux «Fais-moi mal Johnny». Le récital s’est terminé sur
«Une bonne paire de claques», administrée au public,
particulièrement attentif. PMLe 12 mai, le Duc des
Lombards accueillait Billy Hart et son quartet. De ses
groupes précédents, c’est sans doute celui-ci qui inspire le plus
le batteur. Réunis autour de lui depuis 2005, Mark Turner (ts),
Ethan Iverson (p) et Ben Street (b) à la formidable maîtrise et
virtuosité ont créé une identité musicale, originale à part.
Leur musique est exigeante, complexe, intense et ambitieuse. Si
Hart joue sa composition «Amethyst», les titres sont surtout signés
de Turner, comme «Lennie’s Groove» (hommage à Tristano) ou
«Sonnet for Stevie», ou d’Iverson, avec «Maraschino».
Chaque instant de leurs sets est un moment précieux. Chaque
touche, une petite œuvre d’art. MPLe 13 mai, Christian Brenner
(p) officiait au Café Laurent avec Matyas Szandai (b) et Pier
Paolo Pozzi (dm). Un trio au swing élégant – à l’image de cet
Hôtel d’Aubusson – qui a donné, avec finesse, talent et
simplicité, un beau récital de standards: «Bye Bye Blakbird»,
«Well You Need’nt», «A Child Is Born», etc. Il faut rappeler
que les concerts du Café Laurent sont sans droit d’entrée et
qu’ainsi pour le prix, à peine majoré, d’une consommation, on
peut venir y écouter d’excellents musiciens dans un cadre plus
qu’agréable, chic mais pas guindé (et qui résonne encore des
solos de trompinette de l’ami Boris). Une belle sortie jazz dont on
aurait tord de se priver. JPLe 13 mai également, dans un
tout autre genre, le tonitruant Austin O’Brien (voc) donnait
son show au Caveau de La Huchette, accompagné par Damien
Argentieri (org), Christian Brun (g) et François Laudet (dm). Vêtu
d’un improbable costume vert à carreaux (le «bon goût»
irlandais assumé), le chanteur a enchaîné standards et pitreries
en tous genres. Au programme, un très bon «All of Me», tout en
puissance et en maîtrise, un «Night and Day» sur tempo rapide ou
encore un «It Had to Be You» très suave. A noter le soutien
swinguissime de François Laudet: un spectacle à l’intérieur du
spectacle. Mais la performance de l’Irlandais ne s’arrête pas
là: au beau milieu d’un titre, il se lance dans un medley à
rallonge où il aligne les tubes de variétés à la mitraillette,
balance quelques blagues aussi délicates qu’une pinte de bière,
interpelle le public. Un vrai Zébulon à qui l’ont pardonne
beaucoup, car c’est une nature qui s’exprime, avec aussi beaucoup
de sensibilité. JPLe 18 mai,
le Sunside recevait Romain Vuillemin (g, voc) pour une
évocation de Django Reinhardt: un retour aux sources avec des
morceaux courts comme Django les signaient; un hommage rajeuni, épuré
et non démonstratif. Le leader avait réuni un quartet dynamique:
Stéphane Nguyen (g), Edouard Pennes (b) et Guillaume Singer (vln).
En ouverture, «Swing 41» (avec une pensée pour le festival de
Salbris qui n’a pas lieu cette année) suivi de «Topsy» et
«Ninouche». «Embraceable You» de George Gershwin joliment
réarrangé juste pour interrompre le cycle qui reprit de plus belle
avec le traditionnel «Joseph Joseph» en duo de guitares et un
morceau peu connu de Django «Chôti». Romain raconte des histoires
entre les chansons, qui s’ajoutent aux échanges pleins d’humour
avec les musiciens et avec le public, le tout dans une salle bondée.
Reprise du deuxième set avec «Exactly Like You» de Jimmy McHugh,
«Charleston» et «Tea for Two» de Vincent Youmans, puis une
reprise de Charles Trenet «Vous qui passez sans me voir» et enfin
«Gyspy Swing» de Samson Schmitt. La soirée s’est achevée dans
une ambiance surchauffée avec «The Word Is Waiting for the
Sunrise» de Ernest Seitz, «I love You» de Harry Archer, et une
composition de Romain «Renouveau». PM
Michel Legrand jouait le 24
mai au Petit Journal Montparnasse. Le club était plein,
bien sûr. Entouré de Pierre Boussaguet (b) et François Laizeau
(dm), il a livré devant un public conquis d’avance un set unique,
contrasté, d’une heure et demie. Le meilleur étant la première
partie, à base d’improvisation. Sans doute victime de son
répertoire et de ses titres incontournables, il n’a pas échappé
à la restitution décevante des thèmes de Demoiselles de
Rochefort ou d’ Un été 1942, ou de chansons («Ton
copain des jours de pluie») accompagnées par son fils Benjamin
Legrand. Une soirée qui s’est rapidement éloignée du continent
jazz. Si Laizeau s’est démené pour propulser le jeu du pianiste,
Boussaguet a livré un jeu impeccable. MP
Textes: Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez Photos: Patrick Martineau, Jérôme Partage © Jazz Hot n°675, printemps 2016
|
Sylvain Beuf Quartet Studio 11, Toulon (83), 27 mai 2016
Sylvain Beuf (ts) va
quitter son poste au Conservatoire de Toulon (CNNR). Le COFs (Comité
officiel des fêtes et du sport de la ville de Toulon) avait à cœur
d’inviter cet éminent saxophoniste qui pour la circonstance avait
réuni trois de ses amis musiciens, au sein de cet Acoustic Quartet
(Henri Florens, p, Sam Favreau, b, Thierry Larosa, dm) qui tous ont
joué les uns avec les autres, mais jamais les quatre ensemble.
C’était donc une grande première, et disons-le tout de suite une
grande réussite. Dans la descendance de Stan Getz, Sylvain Beuf
s’est forgé un jeu qui ne doit plus qu’à lui-même; une musique
dans laquelle prévaut la mélodie, le swing, la maîtrise du
discours, avec parfois des emportements, une véhémence qui évoque
John Coltrane. Il fit merveille, tant le plaisir de jouer avec ses
amis était patent. Le bonheur se lisait sur son visage, si bien que
le concert dura pratiquement une heure de plus que prévu. Henri
Florens est de la même veine jazzistique, il y a un peu toute
l’histoire du piano jazz dans son jeu; lui aussi est un mélodiste
qui sait aussi se jouer des subtilités harmoniques. Il est également
un compositeur intéressant, comme le démontra son morceau «Missing
Chass» en mémoire du trompettiste niçois François Chassagnite
décédé en 2011. Grand moment d’émotion, avec ce morceau dans un
arrangement très monkien. Sam Favreau est un contrebassiste
remarquable. Pas d’esbroufe, une pompe déliée, chaleureuse qui
booste la rythmique dans le swing; des notes pures, une attaque nette
et ronde à la fois, de l’inspiration dans les impros: que demander
de plus. Mais le plus ébouriffant de la soirée fut Thierry Larosa,
vraiment de la trempe des grands de la batterie. Je ne l’avais
jamais entendu jouer aussi diaboliquement. Une décontraction absolue
pour un swing radical, de l’élégance, de l’inspiration,
déroulant un tapis de luxe au saxophoniste. Il fut sublime aux
balais, tout de délicatesse et de force à la fois; on sait que
rares sont les batteurs qui triomphent dans cet accompagnement. La
première partie fut dédiée à des grands standards propres à
libérer les musiciens, puis on attaqua des démarquages de Mingus,
Horace SIlver, etc…ainsi que des compostions du leader. Voilà
un quartet qui mord à fond dans le jazz, dès la première note; ça
joue, ça swingue, et il y a le plaisir du partage, entre les
musiciens tout heureux d’être là ensemble, et avec nous les
auditeurs-spectateurs. Et puis, ce petit caveau qu’est le Studio 11
est le lieu idéal pour ce genre de prestation. Un quartet d’un
soir, mais on en gardera un long souvenir.
Texte et photo: Serge Baudot © Jazz Hot n°675, printemps 2016
|
Fabrizio Bosso Quartet L'Astrada, Marciac (32), 21 mai 2016
Fabrizio Bosso (tp) était le 21 mai en concert à L’Astrada avec Julian Oliver Mazzariello (p), Luca Alemanno
(b) et Nicola Angelucci (dm). Quel dommage qu'il y eut aussi peu de
monde pour autant de talent! Sans doute le point culminant du concert fut une
version anthologique de «Do You Know What it Means to Miss New Orleans » non
seulement pour la superbe trompette du leader, mais aussi pour les
"garnerismes” bien venus du pianiste. Une cadence de Bosso avec citation de «Take
the A Train» et passage en coups de langue a achevé ce grand moment qui dans
les inflexions n'était pas sans évoquer Nicholas Payton. Il y eut aussi un « Caravan »
démonstratif avec un batteur qui ne charge pas trop. Nous avons remarqué que
Fabrizio Bosso a changé d'embouchure (pour une plus profonde) afin d'obtenir un
son proche du bugle dans la ballade. Globalement, doté d'une belle dextérité,
de bons aigus, du sens des nuances et d'inspiration, c'est sa sonorité
séduisante qui interpelle. Sa performance en duo avec la contrebasse (beau son)
avec le plunger n'a guère d'équivalent aujourd'hui sinon Wynton Marsalis. Le
groupe est bien soudé et sait swinguer. Le pianiste est de qualité (block chords,
beaucoup de variété dans le jeu, et cohérence du propos qui n'est pas qu'un
déluge de notes). On regrette par contre le comportement très actuel qui
consiste à entrer en scène et enfiler les morceaux sans dire un mot, même pas
le titre des morceaux. Mais, au total, ce fut un moment de grâce. Michel Laplace © Jazz Hot n°675, printemps 2016
|
International Jazz Day à Bruxelles Jazz Station, Bruxelles (Belgique), 30 avril 2016
Le mois
d’avril s’est conclu par quatre soirées organisées dans quatre clubs bruxellois
pour célébrer les quarante ans des Lundis d’Hortense: à la Jazz Station,
au Bravo, au Music Village en deuil de son propriétaire Paul Huygens et au
Sounds de Sergio Duvaloni et Rosy Merlini qui fêtent, eux, trente années de
concerts. Une fois de plus, nous n’avons pas eu le courage, samedi soir,
d’affronter la foule qui se bousculait au Sounds Jazz Club pour écouter et voir
Michel Herr diriger ses œuvres avec le Bravo Big Band (retransmission en direct
sur les ondes de Musique 3/RTBF). Mais, le 30 avril, nous étions à la Jazz
Station pour un International Jazz Day rassemblant les Violons de
Bruxelles: Tcha Limberger (vln, voc), Renaud Crols (vnl), Alexandre Tripodi
(avln), Sam Gerstmans (b) et Renaud Dardenne (g). Le répertoire revisite les
canons manouches de Django («Black And White», «Ultra
Fox», «Impromptu»,) mais aussi Boris Vian:
«Barcelone»; des standards, comme «Fascinating Rhythm»,
«In A Sentimental Mood» (Duke Ellington), «I Surrender
Dear» et «Avalon». Citons encore un très joli «Pixinginhza
a Lisbo » de Renaud Dardenne (g) et des originaux de Tcha Limberger:
«I.J.D» et un «Patchagonia» en mode tango. Les
arrangements tournent la plupart du temps en harmonies conjointes des deux
violons et de l’alto («Black And White»), le lead passe de l’un à
l’autre sans négliger d’offrir un ou deux chorus au guitariste et au bassiste
(long et excellent solo de Sam Gerstmans sur «Everybody Loves»). Le
deuxième set fut, à ce titre, encore plus démonstratif de la qualité des
solistes: Alexandre Tripodi (avl) sur «How About You?»,
Renaud Crols (vl) sur «Everybody Loves» et «I’m in Love
Again», Renaud Dardenne (g) avec sa composition et sur un «Impromptu»
qui osa mélanger quelques dissonances. Tcha Limberger (vl) est
incontestablement le leader, attentif aux justes répartitions, n’oubliant pas
de rappeler que l’album reste en vente à l’entrée et que la deuxième galette du
quintet ne va pas tarder à éclore. Le jeune manouche malvoyant s’amuse beaucoup
à chanter de sa voix forte et
cristalline («In A Sentimental Mood», «I’m In Love
Again») imitant la trompette et scatant mais sans excès. Ce concert "rassembleur" est
inhabituel dans la programmation de la Jazz Station, mais il est nécessaire
en cet I.J.D. pour bien marquer les styles qui émaillèrent le jazz de Broadway
à Bruxelles en passant par Liberchies et Paris. Texte: Jean-Marie Hacquier Photo © Pierre Hembise © Jazz Hot n°675, printemps 2016
|
A Great Day in Paris Paris, 30 avril 2016
Le 30 avril 2016, pour
célébrer «l’International Jazz
Day», la chanteuse Denise King et le danseur chorégraphe Brian Scott Bagley avaient organisé sur l’esplanade du
Trocadéro «A
Great Day in Paris», en miroir à la fameuse photo
d’Art Kane prise à New York en 1958 «A Great Day in Harlem».
Bravant la pluie et le froid une vingtaine de
musiciens se sont déplacés pour poser devant l’objectif de "notre" Patrick
Martineau. Cette séance fut l’occasion de joyeuses retrouvailles et de
nouvelles rencontres.
En 2008, Ricky Ford avait pris la même initiative (pour les 50 ans du célèbre
cliché, voir Jazz Hot n°668), mais
avec davantage de participants.
L’amie Denise compte reconduire l’opération chaque année et ainsi en faire un
événement annuel. Avec l’énergie qu’on lui connait, on ne doute pas que son appel va faire boule de neige!
Les artistes sur la photo:
Trompette à gauche:
Josiah Woodson.
Front line
Donna Lorraine Verzaro, Sylvia Howard, Ursaline
Kairston, Denise King, Patrick Sedoc, Patrick Chenais, Joan Minor, Joniece
Elessie, Michele Hendricks, Tarani Joy.
Back line
Mv Guilmont, Chris Henderson, Awa Timbo, FiFi Chayeb,
Boney Fields, Aldrich Hansberry.
Texte: Patrick Martineau et Jérôme Partage Photo ©
Patrick Martineau © Jazz Hot n°675, printemps 2016
|
Paris en clubs Avril 2016
Le 1er
avril, c’est un beau poisson des Caraïbes qui se produisait au Petit Journal St Michel: Gérard Naulet (p) entouré de la fine
fleur des Cubains de Paris: Irving Acao (ts), Felipe Cabrera (b), Lukmil
Perez (dm) et Coki (perc). Entre standards du jazz à la sauce Havana
(«Song for My Father», «Well You Needn’t»…) et morceaux
traditionnels insulaires, la joyeuse équipe a donné à entendre une musique
aussi chaleureuse qu’énergique et cultivée avec naturel par ses interprètes. A
noter également, une jolie composition de Monsieur Gégé: «Danzon
para dos corazones». Celui-ci
s’est par ailleurs payé le luxe de se faire remplacer, coup sur coup, par deux
excellents «confrères» pianistes: Harold Lopez Nussa et Piti
Cabrera. On reste saisi par l’authenticité de l’expression musicale cubaine,
cousine de celle de New Orleans, et comme elle très enracinée; de toutes
les expressions musicales d’Amérique latine, elle est sans doute celle qui a le
mieux opéré la rencontre avec le jazz. L’ami Gégé nous en convainc, en tous
cas, en toutes occasions. JP
Depuis trente-deux ans, le Bab-Ilo propose, du mercredi au dimanche, des soirées jazz mais
aussi des musiques du monde, des lectures, des spectacles d’humour, des
projections, des expositions. C’est un «pub» élégant des années 30, à
l’ambiance de bistrot de quartier, et dont la spécialité maison est un couscous
kabyle, le Makfoul. De quoi accommoder idéalement un jazz aux saveurs
généralement free. C’est un club à l’aura discrète, planté au pied du
Sacré-Cœur, loin des «spots» de la rue des Lombards ou de la Rive
Gauche. Le 2 avril, il y avait là de
quoi ravir les amateurs avec le quartet de Steve
Potts (ts, ss), composé de Jobic Le Masson (p), Peter Giron (b) et John
Betsch (dm), des habitués du lieu. La complicité des musiciens est évidente et
participe grandement au plaisir que le public, qui se serre dans la petite
salle en sous-sol, a à les écouter. Ils jouent ensemble depuis longtemps (le
trio Le Masson-Giron-Betsch a onze ans, et a intégré le saxophoniste il y a
quatre ans) et on su créer un son, une unité. Le tout cimenté par une bonne
humeurcommunicative: entre deux solos aériens de Potts, ça rigole, ça
plaisante. On n’en apprécie que mieux leur jazz d’une grande densité, sous
tension. La musique est excellente et se déguste sans chichi. Bravo le Bab-Ilo!
JP
Le 4 avril, le Cabaret Jazz Club de l’Espace Carpeaux à
Courbevoie recevait Ninine Garcia (g), accompagné par son
fils Rocky Garcia (g) et Gilles
Barikosky (ts); ce dernier, passionné
par la musique Django,
accompagne souvent les musiciens de cette tradition, ajoutant dans ce
répertoire modernité et
créativité. Après «Out of
Nowhere»
(Green/Hayman), deux compositions de Ninine, «Caporal Swing» et «Paquito» permettent au
saxophone d’affirmer sa présence et quelquefois de jouer à l’unisson de la
guitare. Puis «La Belle
vie» de Sacha
Distel» est comme un clin d’œil à son nouvel album, Laissez-moi tranquille, sorti
en 2015, où Ninine chante d’une belle voix de crooner ses propres compositions
jazz et bossa qui rappellent l’univers de Henri Salvador et de Sacha Distel. Le club rempli d’habitués est toujours bien calme ce
soir. Ninine enchaîne les
titres de référence – «Les Yeux noirs», «Minor
Swing» - et ses compositions «1940», «Ninine» jusqu’au rappel, un «Sweet
Georgia Brown» très swing qui
parvient à faire applaudir le public en rythme. Ninine Garcia nous a offert un show simple et sans
fioritures, avec feeling et modestie. Pour rappel, il
était à l’affiche du film
Les Fils du vent, réalisé
par Bruno Le Jean et
retraçant la vie des quatre meilleurs guitaristes de jazz Django (Ninine Garcia, Angelo
Debarre, Tchavolo Schmitt, Moreno). PM
Le 5 avril, Leslie Lewis (voc) était au Caveau de La Huchette, accompagnée
d’Olivier Defaÿs (ts), Guillaume Naud (org) et Yves Nahon (dm). Cela fait
quelques années que la chanteuse s’est installée en France, avec son pianiste
de mari, Gerard Hagen, où elle mène une carrière discrète. On l’entend
effectivement plus souvent dans des soirées privées, des grands hôtels et
restaurants que dans les clubs parisiens (mais c’est une réalité du métier de musicien
de jazz aujourd’hui) et c’est bien dommage car c’est une excellente interprète,
dotée d’un swing très naturel et une personnalité agréable. L’association avec
Defaÿs fonctionne impeccablement sur «It Had to Be You» ou «I
Got You Under My Skin» avec le soutien groovy de Naud et Nahon. Au
deuxième set, le groupe a accueilli deux invités: Esaïe Cid (as) – beau
duo de sax avec Defaÿs – Jean-Philippe O’Neil (dm) dont le renfort a donné un
excellent «Night & Day». JP
Place des Abbesses (Paris 18e), Le Saint Jean affichait une terrasse
bondée et joyeuse, en ce 7 avril.
Mais il y avait également du monde à l’intérieur du bar pour écouter un jeune
chanteur new-yorkais, d’origine portoricaine, Marcos Adam (Marcos Adam Negron de son nom complet), encadré par l’ami
Sean Gourley (g) et l’excellent Sud-Africain George Wolfaardt (elb). Nanti
d’une jolie voix soul et d’une belle présence scénique, c’est sur la chanson
populaire américaine qu’il est le plus convainquant: «Hit the Road
Jack» (Ray Charles), «Stand By Me» (Ben E. King),
«Killing Me Softly With His Song (Charles Fox) ou encore
«Rehab» (Amy Whinehouse). Des titres qui fonctionnent d’autant
mieux que la guitare bop de Gourley leur fournit un très bel écrin.
L’interprétation de titres plus jazz («Take the A Train») ne
conviennent en revanche pas aux accents pop du chanteur. Mais, compte-tenu de
son âge, il a une marge de progression certaine. D’autant que la fréquentation
assidue du Don LaRue Combo – avec
Gourley, Wolfaardt, Tim Puckett (ts) – l’amène à travailler (et en bonne
compagnie) le répertoire jazz et son langage. Affaire à suivre. JP
Le 11 avril,
Céline Bonacina présentait son dernier album, Crystal Rain, sur la
grande scène du Petit Journal
Montparnasse et devant
une salle comble. Elles ne
sont pas nombreuses nos saxophonistes: Géraldine Laurent (as)
et Sophie Alour (ts, ss)pour
les plus connues. Céline, c’est la virtuose des extrêmes du baryton
au soprano. Elle était ce soir
accompagnée par Gwilym
Simcock (p) qui signe aussi deux compositions, Chris Jennings (b) et Asaf Sirkis (per). Céline,
en bottes et blouson doré
nous entraîne avec elle le long de l’album ; on est conquis par la profondeurs
des graves de «Trails
in the Sky»,
captivés par la ligne de basse de «Crossing Flow», par la légèreté de «Smiles for
Serious People» (premier
titre de l’album),
séduit par la délicatesse des percussions sur «Two Sides», subjugués
par l’énergie la générosité des graves sur «Cyclone», surpris
par la fluidité de «Vantan» et les souffles chauds de
«Cristal Rain» jusqu’ au rappel avec «Song For Everyone»
autre composition de Gwilym Simcock. Non! Ce soir Céline Bonacina n’était
là que pour nous. PM
Ellen Birath
(voc) et ses Shadow Cats (Manuel Faivre, tp,
Benjamin Blackstone, elg, Marten Ingle, elb, Thomas Join-Lambert, dm) ont donné, en début
de soirée, un petit set de soul électrique, place de la République, qui s’insérait dans une programmation
spéciale d’artistes solidaires du mouvement
«Nuit Debout». En début de soirée, le 15 avril (ou plutôt le 46 mars selon le comptage en vigueur sur la
place), un petit camion régie avait déployé une scène. La Suédoise a attaqué
bille en tête sur «Lollypop», captant d’emblée un groupe de
badauds. Très vite rejointe par Adélaïde Songeons (tb), venue faire le bœuf,
elle a enchaîné sur «The Lovecats» où l’on a particulièrement
apprécié ce renfort de cuivre. La prestation était en tous cas nettement plus
énergique que bon nombre des occupants de la place, sous les effets du cannabis
et de la musique techno. Ceux qui étaient là dans une perspective plus politique
que festive, se trouvaient assis en cercle autour de discussions thématiques,
siégeant en «commission» (il est amusant de voir comment un
mouvement «citoyen» génère de fait un embryon de bureaucratie). On croisait
sinon, place de la République, des curieux ou des représentants de causes
diverses (personnel médical, sans-papiers…). Quelques mois après les attentats
de 2015, l’occupation de l’espace public par une petite foule en demande
d’alternative politique et sociale est plutôt sympathique. Elle le reste tant
qu’elle n’exclue ni ne discrimine pas ceux qui portent un discours alternatif à
leur propre alternative. JP
Le 15 avril,
toujours, Agathe Iracéma était au Duc des Lombards avec son
quartet: Leonardo Montana (p), Juan-Sébastien Gimenez (b) et Pierre-Alain
Tocanier (dm). A peine âgée de 25 ans, la chanteuse a déjà plusieurs années de
carrière derrière elle et une maîtrise certaine de la scène. Ses compositions
(«Absurdo Natural», «Feeling Alive») s’insèrent bien
dans le répertoire de standards ou de morceaux brésiliens. Soutenue par une
bonne rythmique – en particulier Juan-Sébastien Gimenez qui a livré quelques
jolis solos – Agathe, pleine de fraîcheur et de naturel, swingue avec beaucoup d’aisance et, entre deux
morceaux, se raconte (un peu trop, c’est
le revers de sa spontanéité). Quoi qu’il en soit, le charme opère toujours. JP
Le 15 avril,
enfin, à Autour de Midi…, Dominique Lemerle (b), accompagnateur
fort apprécié, était, chose rare, en position de leader au sein d’un quartet
composé de Michel Perez (g), Manuel Rocheman (p) et Tony Rabeson (dm). Un peu
plus tendu qu’à l’accoutumée, le contrebassiste a donné à entendre un bop de
haute volée, parcourant le répertoire de Monk ou de Miles. Le jeu de Michel
Perez, tout en sensibilité, aura été l’un des atouts de ce concert. Lemerle
n’étant pas en reste, avec une belle intervention à l’archet sur «Manoir
de mes rêves». On espère pouvoir le réécouter bientôt dans cette
configuration. JP
Au Caveau de La
Huchette, le 18 avril, Pablo Campos (p, voc) était en trio
avec ses deux compères de la côte basque: Patrick Quillart (b) et Jean
Duverdier (dm), par ailleurs dessinateur de grand talent, auxquels s'était joint un invité: David
Blenkhorn (g). Excellent pianiste,
plein de swing, le jeune Pablo (un des rares jazzmen diplômé de Sciences Po:
il aurait pu mal tourner et devenir énarque…) et également un bon chanteur (de
charme), tendance crooner. On l’a ainsi entendu très à son aise sur les
ballades: «Blue Moon», «These Foolish Things»,
etc. La venue d'un autre "guest" a donné un peu plus de piquant à la
soirée: Germain Cornet (dm) – encore un «jeunot» –, qui en
prenant les baguettes a insufflé un groove réjouissant. Pas de doute, la nouvelle génération assure! JP
Le 21 avril, le New Morning accueillait un all stars de haut niveau avec le virtuose mais toujours
discret Biréli Lagrène (g) qui a convié le très talentueux Antonio Faraò (p), le créateur Gary Willis (b), et
l’éclectique Lenny White (dm) pour une tournée européenne. Salle comble pour
écouter leurs compositions dont les remarquées «The Opener» de Willis, «For Four» de Faraò, «Dedication» de White
ou «One Take» de
Biréli. PM
Le 22
avril, Stochelo Rosenberg (g) s’installait en famille
au Duc des Lombard avec Moze (g), Johnny (voc, g) et Nonnie (b) – il manquait malheureusement Nous’che. Fait
rarissime car le quintet passe
rarement en club à Paris. Par
ailleurs, ce soir, Johnny
chantait pour la première fois en club des morceaux du nouvel album La
Famillia, avec de belles reprises
comme le thème du film «Le Parain» ou encore «Les Plaisirs démodés de Charles Aznavour»
en anglais. Les guitares virevoltent de plaisir autour de ces standards mais
toujours en finesse. Petite
surprise en rappel, le rock’n roll d’Elvis termine le concert sur une note
joyeuse. Stochelo a également enregistré la B.O. du biopic sur Django Reinhardt
d’Etienne Comar et prépare un nouveau projet en trio. PM
Le
29 avril au Petit Journal Montparnasse, Michele
Hendricks (voc) présentait son album A
Little Bit of Ella, un hommage à la First Lady of Swing enregistré avec
Tommy Flanagan, son fidèle pianiste, en 1998 à New York, et sorti seulement
cette année. Entourée par Arnaud Mattei (p),
Bruno Rousselet (b) et Philippe Soirat (dm) Michele a ouvert le concert avec
«Airmail Special» avant d’être rejointe sur scène par une belle ligne de
soufflant: Olivier Temime (ts), Ronald Baker (tp) et Denis Leloup (tb), pour «Oh, Lady Be Good» (Charlie Christian).
«A Little Bit of Ella» composition en dialogue avec le contrebassiste
et «Sweet Georgia Brown» – un des morceaux préférés d’Ella – ont clôt la
première partie du concert devant une salle déjà conquise. Le deuxième set commença
de manière plus enlevée avec «It Don't Mean a Thing» où la chanteuse a démontré
son aisance dans le scat, puis «Our Love Is Here to Stay». Toujours avec humour
et même avec de grands éclats de rire, Michele a enchainé sur «Honk, if Ya Want
It» – composition très bebop inspirée des étiquettes collées sur les pare-chocs
aux US – avant de revenir à Ella avec «How High the Moon», et son délicat
arrangement piano/bass/batterie, puis «I Keep Goin' Back To Joe's» où elle a scaté
en duo avec Ronald
Baker. Michele a ensuite accueilli deux chanteuses, Carole Perera et Valérie
Duperey, sur «Things Ain't
What They Used to Be» et «Yeh-Yeh» (un grand succès dont les paroles sont de son père, Jon
Hendricks).
«That's Enough»,
gospel enregistré par le Buddy Rich Orchestra, et enfin, un original, «Mama,
You Told Me» ont conclu la soirée. PM
Le 30 avril, grâce à Denise King, la Journée Internationale du Jazz a pris les allures
d'une vraie fête: l'initiative individuelle de la chanteuse ayant donné lieu à
un événement authentiquement jazz, quand l'Unesco célèbre complaisamment un
jazz souvent déconnecté de ses racines, qui devient ainsi une world music fongible dans n'importe
quelle tradition musicale. Rien de tout cela au Très Honoré (à proximité de la place Vendôme), très belle brasserie
Art Nouveau. En robe du soir, plus diva que jamais, Denise, devant un parterre d’admirateurs
et d'amis, Français et Afro-Américains, jeunes et vieux, a donné deux sets
absolument épatants. Entourée de l'excellent Julien Coriatt (p), de Gabriel
Midon (b) et de Baptiste Castets (dm), la jazzwoman de Philadelphie a déployé
les standards avec énergie et conviction («April in Paris», «Fever»,
etc.). Mais les amis n'étaient pas que dans le public, ils se sont également
succédés sur scène: Marvin Parks (voc, qui a donné un très beau «I Have a
Crush on You»), Ursuline Kairson et Sylvia Howard qui ont formé avec
Denise un trio vocal détonnant sur «Take the A Train», morceau sur
lequel elles ont été rejointes par Josiah Woodson (tp) et qui a donné lieu un
époustouflant numéro de tap-dance de la part d’Asha Thomas! L'ambiance Années
Folles du bar et la ferveur du public, heureux d'autant s'amuser, donnait
l'impression d'être transporté ailleurs dans le temps. Pourtant, il n'y avait
rien d'artificiel dans cette soirée de fête: juste du bon jazz et une
interprète à la tonicité hors pair. Le dernier morceau, «Watermelon Man»,
a clôt la soirée en apothéose, le public se mettant à danser en formant une
"Soul Train Line", y compris Julien Coriatt, remplacé au piano par
Karim Blal. Devant le succès de cette Denise
Party, la direction du Très Honoré a décidé de lui offrir une soirée par
mois. On ne saurait trop conseiller d’aller s’y encanailler. JP
Texte: Patrick Martineau et Jérôme Partage Photos ©
Georges Herpe, Patrick Martineau, Jérôme Partage © Jazz Hot n°675, printemps 2016
|
Paris en clubs Mars 2016
Le 5 mars le Petit Journal
Montparnasse offrait sa scène et une salle comble à Benny
Golson (ts), l’une des dernières légendes vivantes du hard
bop. En polo gris et coiffé de son traditionnel béret il s’est
trouvé entouré par une belle rythmique: Antonio Faraò (p), Gilles
Naturel (b) et Doug Sides (dm). «Horizon Ahead» et «Pierre's
Moment» ouvrent le concert suivis de «Whisper Not», l’un de ses
plus célèbres compositions, datant de 1956. La salle est
étonnamment calme devant l’artiste qui, à 87 ans, possède
toujours le souffle pour faire vibrer les graves de son ténor et un
phrasé inchangé. Entre ses chorus, Benny Golson s’assoit et se
tourne au fur et à mesure vers ses musiciens. «Mr P.C. Blues»
écrit par John Coltrane en hommage à Paul Chambers clos le premier
set. La reprise de «Tiny Capers» de Clifford Brown reconnecte le
public un peu distrait par la pause et qui redevient attentif avec
«Take the "A" Train», suivi de «Dominique», une
composition de Faraò. Benny Golson aime raconter des histoires,
comme celle de la création d’un autre de ses titres les plus
fameux: «et pourquoi pas une marche?» dit-il à Art Blakey? «Oui
comme les militaires», répond le batteur. «Attends quinze minutes
et je te compose ça». Et c’est «Blues March», qui est introduit
par un beau solo de Doug Sides. «Killing Joe» clôt le concert
devant un public enthousiasmé. Après les saluts, le patron du Petit
Journal Montparnasse, André Robert, est tellement conquis qu’il
monte congratuler l’artiste sur scène. L’émotion, la
sensibilité et l’expressivité étaient au programme. PM
Le samedi soir, chez Charlie
(notamment connu pour sa «bière à 2 balles»), rue Cotte (12e
arrdt.), c’est jam-session Django, animée par Arsène Charry
(g). Au premier set, celui-ci ouvre la soirée avec un groupe, dont
la composition varie chaque semaine, puis, après la pause, la
minuscule scène du Charlie s’ouvre à tous les musiciens. Le 5
mars, Arsène Charry avait convié Thomas Renwick (g) et
Esaïe Cid (as). Une configuration inédite pour notre altiste
qui a toutefois ses aises dans le répertoire djangolien. De «Swing
48» à «Sweet Sue», la rencontre entre le sax délicat d’Esaïe
et les cordes a fait merveille. Une relecture très plaisante du
grand Manouche. On regrette juste le public un peu bruyant et pas
très à l’écoute des trois excellents solistes. C’est la bière
qui vaut 2 balles chez Charlie, pas la musique! JP
L’Espace Carpeaux, l’imposant
complexe culturel de Courbevoie, propose une programmation jazz
régulière: les têtes d'affiche sont pour l'auditorium,
tandis que les musiciens intéressant davantage les aficionados ont les
honneurs de son Cabaret Jazz-Club, salle de taille plus
modeste mais très bien agencée. Et les amateurs de jazz n’ont pas
été déçus le 7 mars en venant écouter Jeb Patton
qui était pour l’occasion très bien accompagné par Fabien Marcoz
(b) et Bernd Reiter (dm). Elève de Sir Roland Hanna et de Jimmy
Heath, le pianiste américain de 41 ans se produit depuis vingt ans
avec les meilleurs musiciens: les Heath Borthers, Jon Faddis, Jimmy
Cobb, Etta Jones, etc. Sa tournée européenne, la première en
leader, nous permet de découvrir un soliste brillant, virtuose, au
swing élégant. Patton vient de la musique classique (il a
enregistré des ballades de Chopin) et rappelle parfois ses origines
musicales (époustouflants aller-retour entre stride et classique sur
«Century Rag» de Sir Rolland Hanna). Mais loin de tenter quelque
synthèse hasardeuse, il joue jazz et bien jazz, donnant des
interprétations lumineuses de «Make Believe» ou «Cool Eyes».
Somptueux. JP
Une foule exceptionnelle – la file
s’étendait de l’entrée du New Morning jusqu’à la rue
du Faubourg-St-Denis sur plusieurs rangs – était venue le 10
mars apporter la reconnaissance des grands soirs à l’un des
très grands artistes du jazz encore en pleine activité, Kenny
Barron, à l’occasion de la sortie de son bel enregistrement,
Book of Intuition, paru sur le célèbre label Impulse!, qui,
malgré son glorieux passé (9 Grammy Awards, il a côtoyé le gotha
du jazz, de Dizzy à Stan Getz, en passant par Freddie Hubbard, Milt
Jackson, une liste sans fin…), s’enrichit encore de telles
productions et de tels artistes. On a du mal à comprendre ce qui a fait
soudain passer ce pianiste, au sommet de son art depuis trente ans,
du statut second en notoriété à celui de musicien pour lequel les
billets se revendent à prix d’or à Paris. Mais ne boudons pas
notre plaisir et le sien de voir un New Morning refuser du monde pour
un artiste de jazz de la première à la dernière note. Et comme d’habitude avec Kenny
Barron, les présents ont eu raison. Au sein du trio qui a enregistré
Book of Intuition, avec des excellents Kiyoshi Kitagawa (b) et
Johnathan Blake (dm), Kenny Barron a donné un concert de haut niveau
avec la maestria dont il a le secret, toujours sobre et modeste sur
scène et produisant une musique qui brille de mille feux et d’idées
à chaque détour de phrase.Kenny Barron a joué la musique de son
enregistrement, pas dans le même ordre, et avec des variantes sur le
plan de l’exécution, plus quelques thèmes : au programme
donc et dans cet ordre, «Magic Dance», «Shuffle Boil» (de
Thelonious Monk), puis trois thèmes qui ne figurent malheureusement
pas sur le CD dont «The Very Thought of You» dans une version
extraordinaire, «Calypso», «Beautiful Love», puis un
brillantissime «Bud Like», déjà enregistré en solo à Maybeck,
«Nightfall» un thème intense dédié à Charlie Haden, «Cooks
Bay», un «Uncle Baba» ludique (de Gary Bartz, pas sur le CD),«In
the Slow Lane», «Lunacy», et on en a peut-être oublié «Dreams». Kenny Barron, c’est l’homme de la
plénitude, celle de l’expression servie par une virtuosité à la
hauteur, celle de l’espace qu’il remplit sans redondance avec la
légèreté et la sobriété d’un grand concertiste, celle d’un
lyrisme accepté, celle du blues toujours présents de ses accents,
celle d’un art d’une exceptionnelle perfection, beauté, aussi
bien quand il est le leader qu’accompagnateur. Tout est parfait
chez Kenny Barron, ce qui en fait l’égal des plus grands, d’Oscar
Peterson en particulier dont il n’est pas si éloigné par l’esprit
et le type de carrière (grand leader et grand accompagnateur), avec
bien entendu sa touche personnelle car il est de la génération
suivante, et qu’il est Kenny Barron. Dans le répertoire de Kenny Barron,
Thelonious Monk est toujours présent, comme ce soir-là et il y a
deux titres sur le disque de la main de Monk. Le bassiste choisi par Kenny Barron,
Kiyoshi Kitagawa, est idéal, brillant technicien à l’écoute de
la musique, complice, auteur de beaux chorus lyriques. L’imposant
Johnathan Blake, dont les cymbales occupent une disposition
horizontale peu conventionnelle, est d’une délicatesse qui
contraste avec sa puissance. Sur disque pas de longs chorus, plus en
live, c’est normal, il sait se faire musical quand la musique le
demande. Autre signe de l’art de Kenny Barron, il a toujours su
trouver les musiciens qui conviennent à son expression, et dans sa
proximité, les musiciens atteignent une dimension exceptionnelle.
Kenny Barron est un Maître dans tous les sens de ce terme. Kenny Barron est aujourd’hui sans nul
doute une légende du jazz, et voir un club de jazz, bondé et
épanoui, lui rendre hommage, est une double sensation de bonheur
quand on s’occupe d’une revue de jazz, même si une bonne
conjonction lunaire doit y être pour quelque chose. Nous avions le
plaisir de pouvoir être présents grâce à Tom Woods, du New
Morning, et à Casa qui officie depuis des années à l’entrée du
New Morning, ce qui n’allait pas de soi étant donné la foule
présente ce fameux soir. Pour un tel concert, c’était un cadeau
exceptionnel! Qu’ils en soient remerciés. YSLe 11 mars, dans la péniche Le
Marcounet, refaite à neuf, The Scarlet Swing Band – composé
de Clara Brajtman (voc), Sylvain Hamel (cl), Vladimir Médail (g),
Alexandre Perrot (b) et Clément Brajtman (dm) –, présente son
répertoire avec pour mission d’animer le bal du Social Swing System (association qui organise des bals jazz dans Paris): «My
Heart Belongs to Daddy», «I've Got You Under My Skin»,
«Ac-Cent-Tchu-Ate the Positive», «Stormy Weather», «Between the
Devil and the Deep Blue Sea» (arrangé par Clara Brajtman) ou encore
«On the Street Where You Live» (arrangé par Frederick Loewe). La
cale de la péniche est pleine à craquer et le roulis ne semble pas
perturber les danseurs qui s’arrêtent pour faire une ovation sur
le dernier morceau, «Love Me or Leave Me». Nous
on aime. C’est gagné pour le Scarlet Swing Band, ce premier bal
swing est très réussi. PM
Le
14 mars,
quelques mois après son grand retour à
Paris, en novembre dernier, après une longue absence des scènes
françaises, le formidable pianiste Johnny
O’Neal, accompagné de Luke
Sellick (b) et Charles Goold (dm), était de nouveau au Duc
des Lombards. En pleine tournée
européenne, le trio fêtait son nouvel album, O’Neal
is Back (Abeat Records For Jazz). Dans un set
éblouissant, débordant de sensualité, le pianiste a puisé dans
toute sa palette de couleurs avec une élégance et une classe
infinies. Qu’il joue de grands standards («Looking at Me», «It
Don’t Mean A Thing», «It’s Too Late»), des titres moins joués
(«Down Here on The Ground» ou un bouleversant «A Hundred Years
From Today»), un blues épatant ou un hommage à Oscar Peterson, son
héros de toujours, Johnny O’Neal transpire un swing et un groove
fiévreux, dans la veine virtuose de Erroll Garner, Fats Waller ou
Nat King Cole, avec ce répertoire de titres vertigineux, ce naturel,
cette voix chaude qui sent le vécu, cette générosité et la
modestie des géants. Alors qu’il pourrait avoir les plus grands
musiciens en sidemen, le pianiste s’entoure de jeunes, insistant
sur la transmission du swing aux prochaines générations. Et ses
deux musiciens sont ici très attentifs, entièrement dédiés à
soutenir le leader, avec un sens du timing impeccable. On attend le
retour de Johnny O’Neal avec impatience! MPLe 18 mars a été l’occasion
d’une double découverte. Un lieu, tout d’abord, la Cave du 38
Riv’ (sise au 38 rue de Rivoli, à deux pas de l’Hôtel de
Ville), un club des plus sympathiques, doté une salle exiguë mais
très agréable (une belle cave voutée du XIII e siècle),
tenu avec passion depuis 2008 par Vincent Charbonnier. Il s’y
donne des concerts de jazz le mardi, le mercredi, le vendredi et des
jam-sessions le lundi et le jeudi. L’autre découverte a été
celle d’un chanteur américain de 39 ans, Marvin Parks,
originaire de Baltimore et installé à Paris depuis 2013. Formé au
gospel par sa mère et ayant pour premier modèle Nat King Cole, il
lui rendait justement hommage ce soir-là, ainsi qu’à Frank
Sinatra. Ce qui frappe chez ce garçon d’un abord doux et souriant,
c’est le naturel avec lequel il swingue. Il chante sans
affectation, sans forcer la voix, aussi simplement que d’autres
vous demandent de leur passer le sel. Soutenu par l’excellent
Julien Coriatt (p, qui anime régulièrement les jams du 38 Riv’),
accompagné d’Adam Over (b) et Lucio Tomasi (dm), Parks s’est
baladé avec aisance sur les «hits» des deux immenses crooners, de
«Unforgettable» à «Fly Me to the Moon». Un régal. JPLe 20 mars
au Marcounet, Jean-Yves Dubanton (g) et Jean-Claude
Laudat (acc) nous offraient avec Paname Swing (Laurent Fradelizi,
b, et David Georgelet, dm) et son invité, Olivier Zanot (as) un
concert entre swing, musette, tradition Django et groove. Dès le
premier titre («The Turnaround», Hank Mobley) on ressent la
présence du saxophone comme essentielle ce soir, tout comme dans
«Midnight Creeper» (Lou Donaldson) puis on enchaîne avec
«L’Indienne» et «Valse Anthracite» deux compositions de nos
compères. Du bar tout en hauteur de la péniche on peut avoir une
vue d’ensemble d’un public charmé par le touché tout en douceur
Jean-Claude Laudat, que certains ont comparé au son de l’orgue
Hammond, et la délicatesse des chorus de Jean-Yves Dubanton. Le
groupe donne également la «Danse norvégienne» d’Edvard Grieg ou
encore «Besame Mucho». Et ça danse, ça danse… PMLe 21 mars,
le Théâtre du Châtelet offrait une carte blanche à Patrice
Caratini (b), un jubilé pour ses 50 ans de carrière. Entouré
de compagnons de longue date, comme Martial Solal (p) et Marcel
Azzola (acc), ainsi que des jeunes musiciens qui forment son Caratini
Jazz Ensemble, il a donné un répertoire très varié. La première
partie de soirée a débuté avec «Saint-Louis Blues», puis «Chofé
biguine la» avec Alain Jean Marie (p) et Roger Raspail (djembé).
S’en suivent plusieurs compositions du contrebassiste avant qu’il
ne soit rejoint par Martial Solal sur son «Textes et prétexte». Le
cinéma était également à l’honneur avec «Dry Bones in the
Valley» et des extraits du film Body and Soul d’Oscar
Micheaux projeté simultanément sur un écran géant. La deuxième
partie de soirée, davantage axée sur la variété, a vu se succéder
sur scène l’Orchestre régional de Normandie, Hildegarde Wanzlawe
(voc), Marc Fosset – (uniquement au chant), émouvant invité sur
«C’est tout», adaptation de «That’s all» – Sara Lazarus
(voc) ou encore Maxime Le Forestier (voc). Ces trois heures de
concert se sont conclues par deux rappels que Caratini a achevé seul
en scène avec une composition, «La Mouche». PM«The real deal!» Comment mieux
qualifier la musique de The Cookers que par cette exclamation
de l’ami Rasul Siddik venu en spectateur (à l’instar de Kirk
Lightsey) au New Morning le 22 mars. Un tel alignement
de virtuosité est en effet impressionnant. Une rythmique de rêve –
George Cables (p), Cecil McBee (b), Billt Hart (dm) – et une front
line époustouflante: Billy Harper (ts), Eddie Henderson (tp) et le
leader, David Weiss (tp) – à laquelle manquait juste Donald
Harrison (as). Côté répertoire, on a beaucoup entendu les
compositions de chacun des membres du groupe (dont le très beau
«Peacemaker» de Cecil McBee). Un jazz incandescent, foisonnant,
qu’on prend en pleine figure! Et qui nous a permis, ce soir-là,
d’échapper quelques instants à l’écho de la barbarie
islamiste qui venait de frapper nos cousins bruxellois. JP
Champian Fulton (p, voc) était
de passage au Duc des Lombards le 23 mars. Aller
l’écouter est toujours l’assurance de passer un bon moment.
Souriante et débordante d’énergie, elle s’attaque aux standards
avec gourmandise. Joliment soutenue par Gilles Naturel (b) et Bernd
Reiter (dm), elle a présenté un répertoire en hommage à Dinah
Washington: «The Boy Next Door», «Mad About the Boy», ou encore
un «Tenderly» joué sur un tempo rapide, ainsi qu’un très joli
«All of Me», introduit par un duo voix-contrebasse. Un vent de
fraîcheur sur le songbook américain. JPLe 23 mars, toujours, Alain
Bédard (b, par ailleurs patron du label québécois Effendi)
fêtait au Sunside les 20 ans de son Auguste Quartet, lequel
vient d’ailleurs de sortir un album anniversaire: Circum
Continuum. Entouré de Samuel Blais (as), Félix Stussi (p) et
Michel Lambert (dm), Bédard a proposé un ensemble de compositions
lié au nouvel opus du groupe. On retrouve là l’esthétique
Effendi: un jazz très intériorisé, presque méditatif, qui ne
recherche pas les exercices de virtuosité ni les expérimentations
trop «borderline». JPLe 26 mars, Drew Davies
(ts, voc) était au Caveau de La Huchette. A la tête d’un
sextet charnu – Thomas Mestre (tp), Jean-Marc L’Abbé (bs), César
Pastre (p), Stephen Harrison (b), Kevin L’Hermite (dm) – le
Gallois a passé en revue quelques standards du blues et du
rock’n’roll («I Know Your Wig Is Gone» de T-Bone Walker, «Going
Home» de B.B. King, etc.) et même de bonnes compositions comme
«Loosing My Mind». Un concert roboratif, au gros son de cuivre,
agrémenté de la touche boogie de César Pastre. Drew Davies a un
talent d’ entertainer certain et connait la recette pour
porter le Caveau à ébullition! JPLe 27 mars, le Petit Journal
Montparnasse et le Sunset-Sunside s’étaient associés
pour inviter Avishai Cohen (b). Pour cette soirée spéciale,
le PJM avait modifié sa disposition habituelle, supprimant les
tables, et affichait complet. Avec son trio (Omri Mor, p, et Daniel
Dor, dm) Avishai Cohen a présenté des morceaux issus de son nouvel
album, From Darkness, en débutant par «Beyond».
Arrangements fluides, solos de contrebasse en introduction, pianiste
avec une belle technique, batteur démonstratif, de «Abie» au
mélancolique «Almah Sleeping». Le concert s’est achevé sur un
premier rappel endiablé («Steven Seas») lors duquel le leader a
fait des percussions sur son instrument, puis sur le piano, jouant
même avec ses cordes. Pour le second rappel, le public avait réclamé
«Alsfonsina Y El Mar» qui a été l’occasion de rappeler les
talents de chanteur du contrebassiste. PMLe 30 mars, au Sunside,
Frederic Borey (ts) fêtait la sortie de son disque Wink
(Fresh Sound New Talent) en compagnie de Michael Felberbaum (g),
Leonardo Montana (p), Yoni Zelnik (b) et Fred Pasqua (dm), avec
lesquels il revisite les standards parmi les plus populaires (les
thèmes de Gershwin notamment) à l’aune d’un modernisme qui
n’est pas un accessoire de mode mais le terreau fertiles
d’arrangements fort subtils. Doté d’un très beau son de ténor,
Borey ne cherche pas à en faire trop. Il joue, tout simplement. Et
la présence de Felberbaum participe largement à la beauté de sa
musique. JP
Texte et photos: Patrick Martineau, Jérôme Partage, Mathieu Perez, Yves Sportis © Jazz Hot n°675, printemps 2016
Le Baton Rouge. Jazz Ô Bar Granville (50), 4-5-6 mars 2016
Joyeuses
propositions de Roland Girard pour un grand week-end célébrant
l’anniversaire du club qu’il a créé dans la Monaco du Nord. Les
formations invitées résumaient une année de swing offerte par cet
entrepreneur déterminé et lucide qu’est Roland Girard. Rien ne le
prédestinait à cette aventure qu’il mène selon son propre tempo,
guidé par ses envies d’honorer un jazz authentique qui relie les
origines néo-orléanaises au bop contemporain, musique qu’il
pratique à ses heures à la clarinette.
Vendredi,
les festivités ont démarré vraiment hot, car Jean Ade et son
Bourbon Street Jazz Band ont l’art de perpétuer à nulle autre
pareille la Louisiane chère au boss de Baton Rouge. Samedi,
moments tout aussi festifs en compagnie de Lucie Girard, la fille
cadette de Roland! Alliée de circonstance aux Normands de Café
Calva, tout à la dévotion de son répertoire, la violoniste
démontre à chaque apparition la richesse de son jeu joint à un son
vibrant: dans le sillon fertile de Grappelli. A
l’heure du thé, dimanche, un trio inédit conduit par le
saxophoniste Nicolas Leneveu, incluant la belle personnalité de
Priscilla Valdazzo, contrebasse & chant latino-espagnol sur une
assise rythmique du fort prometteur Adrien Faure au piano. Soit des
standards boppisants revisités par la nouvelle vague de la
richissime scène caennaise.
Grâce
à un public aussi nombreux que fidèle, on sent que bien des choses
sont envisageables au Baton Rouge et les semaines à venir devraient
être source de nouvelles & bonnes vibrations. Prochain
rendez-vous à cocher sur les agendas, un quartet des émérites
messagers du Camion Jazz emmené par le saxophoniste Guillaume
Marthouret. Ce sera le dimanche 27 mars, jour de Pâques!
Texte et photo: Christian Ducasse © Jazz Hot n°675, printemps 2016
|
Bruxelles en mars (et toujours en vie!) Les Lundis d'Hortense, Flagey, Jazz Station, mars 2016
En mars, on n’est pas encore sorti
des frimas mais on peut se réchauffer les mains en applaudissant quelques beaux
concerts. Le mercredi 9 d’abord, à
la Jazz Station, où les Lundis
d’Hortense avaient convié Laurent
Blondiau (tp) et son quintet Määk.
Le groupe, totalement acoustique est non-statique. Jeroen Van Herzeele (ts, ss),
Guillaume Orti (as, ss), Michel Massot (tuba) et Laurent Blondiau (tp) se
déplacent en jouant, cherchent les résonances et d’autres timbres. La musique
remplit l’espace; l’écriture est denseet les structures:
riches, variées, inusitées. Le tubiste initie le tempo, le change, le double,
suivi par Joao Lobo (dm). La phrase rythmique est courte, répétitive, hallucinante;
elle monte à la tierce et puis revient. La libération n’apparait qu’au travers
des improvisations, en solos. Laurent Blondiau change de trompette, passe au
bugle puis au cornet, module les sons de la main, percute l’embouchure, souffle
conjointement dans deux instruments. Tout bouge: les hommes, les
instruments, les sons et les rythmes. Avec cette fanfare, résidu de
l’avant-garde, Blondiau et les siens ont cherché et ils se sont trouvés. Un collectif
créatif! Jouissance assurée!
Le
mercredi suivant, le 16, nous étions à Flagey pour redécouvrir Christian
McBride (b): un musicien trop rare qui nous plait vraiment beaucoup
depuis plus de vingt ans. L’imposant bassiste de Philadelphie joue de la
contrebasse comme s’il avait un violon sous les doigts. Aisance, volubilité,
justesse. Respect pour le public et pour ses accompagnateurs: Chris Sands
(p) et Ulysses Owens JR (dm). Respect pour l’héritage aussi, avec un répertoire
à l’image de son dernier album enregistré au Village Vanguard. «Tangerine»,
«Caravan», «East of The Sun, West of The Moon». La
Stature nous rappelle Charles Mingus, mais le jeu est autre; léger sur une chanson de la comédie «The King
And I», inventif sur «The Lady In My Life» de Michael
Jackson, appuyé sur «Mash». Le concert, magnifique, se terminera en
standing ovation par un «Car
Wash» jubilatoire. Chez les disciples contemporains de la grand-mère, on est en droit d’aimer les
singeries d’Avishaï Cohen. Les musiciens talentueux brillent aussi par leur
humilité! Merci Christian McBride d’avoir illuminé cette soirée!
Jérémy
Dumont (p) était le 19 à la Jazz Station en suite logique de son premier album
autoproduit Resurrection. Avec Victor Foulon (b) et Fabio Zamagni
(dm) le trio a pris une belle assurance au fil des mois. Le programme annonçait
Fabrice Alleman (ts, ss) en invité.
Nous nous imaginions donc qu’il viendrait jouer deux ou trois morceaux en fin
de second set. Heureuse surprise: il souffla sur tous les thèmes,
professeur protecteur hier, compagnon de route aujourd’hui. Toutes les
compositions sont de la plume du jeune pianiste. Les mélodies sont jolies
(«One Day»); les rythmes: variés, de la valse jouée en
crescendo («Since That Day») au swing appuyé
(«Excitation»). «Blues For Tilou» : un original
fortement inspiré des Jazz Messengers, permit à Fabrice Alleman (ts) de featurer Benny Golson. Sur «In
Between», et l’ostinato du pianiste il s’envole, coltranien, au
soprano. A la fin du premier set, «Resurrection», enjoué, donna la parole à tous les apôtres:
soprano, piano, ténor, puis l’inévitable solo de batterie. «Hébreu» ouvrira la deuxième
partie soulignant une certaine filiation. Les œuvres de Jeremy Dumont sont très
bien structurées. Homogènes, elles sont rigoureusement mises en placepar
la rythmique. La consistance des compositions et la solidité des arrangements privilégient
un son de groupe, ce qui n’est pas fait pour déplaire au saxophoniste montois.
Pour
clôturer le premier trimestre des «Gare au Jazz», Les Lundis
d’Hortense proposait le 30 mars: le trio de Jean-Paul Estiévenart (tp).
La formule pianoless appelle une
grande attention de tous, musiciens et public. Les compositions du trompettiste
montois sont évolutives ou changeantes, comme sur «Blade Runner»
qui passe en two beats;
«Lix Feeling» débute legato
pour déboucher sur un solo d’Alain Pierre (dm); «S.D.»
surprend par une finale note pour note, trompette/basse;
«M.O.A.» entamé à la trompette bouchée ouvre sur un solo de Sam
Gerstmans (b) astructuré puis construit; «Wanted» en wa-wa repose sur une basse continue
snappée. Les thèmes sont diversement colorés: trompette bouchée et jeu en mi-pistons sur «Les
Dons»; «Behind The Darkness» entamé en mode ballade est temporisé à l’archet avant
un solo de drums; «Deep Hart» est joliment arrangé par Sam
Gerstmans (b). L’unité des trois musiciens est fusionnelle et complémentaire.
Alain Pierre (dm) est une nouvelle fois éblouissant sur «La Danse des
Sorcières», «Asphalte» et sa composition «Loft
End». En coda, Steven Delannoye (ts) est venu faire un petit coucou à ses
amis («Asphalte» et «Yako» de Wayne Shorter). Un
concert de grande qualité qui met un léger baume sur un printemps bruxellois
bien trop noir!
Jean-Marie Hacquier Photo © Pierre Hembise et Roger Ventilt, by courtesy
© Jazz Hot n°675, printemps 2016
|
|