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Au programme des chroniques
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• A • Ben Adkins • Ambrose Akinmusire • Joey Alexander • Jean-Paul Amouroux • Jean-Paul Amouroux (Plays Boogie Woogie Improvisations) • Arild Andersen • A.Z.III • B • Dmitry Baevsky • John Beasley • Marc Benham • Mourad Benhammou • Jean-Pierre Bertrand/Frank Muschalle • Big Noise • Ellen Birath • BLM Quartet • Bojan Z/Nils Wogram • Stefano Bollani • Claude Bolling Big Band • Itamar Borochov • Pierre Boussaguet • Brass Messengers • Claude Braud/Pierre-Louis Cas/Philippe Chagne/Carl Schlosser • Christian Brenner • Julien Brunetaud • Buddy Bolden Legacy Band • C • Frank Catalano • Caveau de La Huchette • Philippe Chagne/Olivier Defays • Esaie Cid • Classic Jam Quartet • Nat King Cole • George Coleman • The Cookers • Marc Copland • Laurent Coq/Walter Smith III • Laurent Courthaliac • Pierre Christophe • D • Renato D'Aiello • Steve Davis • George DeLancey • Raul de Souza • Bart Defoort • Roberta Donnay • Laura Dubin • Philippe Duchemin • Charl Du Plessis • Hubert Dupont • E • Echoes of Swing • Eli & The Hot Six • Teodora Enache/Theodosii Spassov • Jérôme Etcheberry/Michel Pastre/Louis Mazetier • Duane Eubanks • Bill Evans • Orrin Evans • F • Dominick Farinacci • Claudio Fasoli • The Fat Babies • Jean-Marc Foltz/Stephan Oliva • G • Georges V • Stan Getz • Sebastien Girardot/FélixHunot/Malo Mazurié • Macy Gray • Zule Guerra • Guitar Heroes • H • Rich Halley • Scott Hamilton/Karin Krog • The Harlem Art Ensemble • Heads of State • Eddie Henderson • Fred Hersch • Vincent Herring • Dave Holland/Chris Potter • Houben/Loos/Maurane • Sylvia Howard • I • Iordache • J • JATP • Jazz Cookers Workshop • Jazz de Pique • Jazz Ladies • Sean Jones • Nicole Johänntgen • Sweet Screamin' Jones/Boney Fields • K • Matt Kane • Olivier Ker Ourio • Lee Konitz • L • Stan Laferrière • Fapy Lafertin • François Laudet • Laura L • Olivier Le Goas • Dave Liebman/Richie Beirach • David Linx/BJO • David Linx/Paolo Fresu/Diederick Wissels • Jean-Loup Longnon • Ernán López Nussa • Harold Lopez-Nussa • Joe Lovano • M • Harold Mabern • Henry Mancini • Delfeayo Marsalis • Brad Mehldau • Don Menza • Bob Mintzer • Bill Mobley • Thelonious Monk • Andrea Motis • Moutin Factory Quintet • N • Yves Nahon • Fred Nardin/Jon Boutellier • New Orleans Roots of Soul • O • Oracasse • P • Emile Parisien • Yves Peeters • Madeleine Peyroux • Enrico Pieranunzi/André Ceccarelli/Diego Imbert • Michel Portal • Grégory Privat • R • Race Records • François Raulin/Stephan Oliva • Felice Reggio • Bernd Reiter • Herlin Riley • François Rilhac •
Olivier Robin • George Robert • Elijah Rock • Mighty Mo Rodgers • Sonny Rollins • Renee Rosnes • S • Nicola Sabato/Jacques di Costanzo • Daahoud Salim • Iñaki Salvador • Perico Sambeat • Christian Sands • Albert Sanz • Julie Saury • Andreas Schaerer • John Scofield • Jimmy Scott • Rhoda Scott • Trombone Shorty • Slavery in America • Wadada Leo Smith • Florent Souchet • Emil Spányi/Jean Bardy • Spirit of Chicago Orchestra • Al Strong • Dave Stryker • T • Claude Tchamitchian • Gonzalo Tejada • Jacky Terrasson/Stéphane Belmondo • Henri Texier • The Dime Notes • The New Orleans Jazz Vipers • Samy Thiébault • Romain Thivolle • David Thomaere • Tiberian/Bahlgren/Betsch • Mircea Tiberian/Toma Dimitriu • Claude Tissendier • Rémi Toulon • Sébastien Troendlé • Jean-My Truong • Steve Turre (Spiritman) • Steve Turre (Colors...) • U • Phil Urso • V • Ramón Valle/Orlando Maraca Valle • Ben Van Den Dungen • Vintage Orchestra • Miroslav Vitous • Aurore Voilqué • W • Terry Waldo • Ernie Watts • Randy Weston • Anne Wolf • Warren Wolf • Michael Wollny/Vincent Peirani
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Des
extraits de certains de ces disques sont parfois disponibles sur
Internet. Pour les écouter, il vous suffit de cliquer sur les pochettes
signalées par une info-bulle.
© Jazz Hot 2017
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Andrea Motis
Emotional Dance
He's Funny That Way, I
Didn't Tell Them Why, Matilda, Chega de Saudade, If You Give Them More Than You
Can, Never Will I Marry, Emotional Dance, You'd Be so Nice, La Gavina, Baby
Girl, Save the Orangutan, I Remember You, Senor Blues, Louisiana O Els Camps De
Coto
Andrea Motis (voc, tp),
Ignasi Terraza (p), Josep Traver (g), Joan Chamorro (b, ts, fl), Esteve Pi (dm)
+ Joel Frahm (ts), Warren Wolf (vib, marimba), Scott Robinson (bs), Joel Frahm
(ts), Perico Sambeat (ss, as), Cafe da Silva (perc), Gil Goldstein (acc)
Enregistré du 25 au 30
mars 2016, lieu non précisé
Durée: 1h 02' 26''
Impulse! 0602557317947 (Universal)
Andrea Motis
He's Funny That Way
He's Funny That Way, If You
Give Them More Than You Can, I Remember You
Andrea Motis (voc, tp),
Ignasi Terraza (p), Josep Traver (g), Joan Chamorro (b), Esteve Pi (dm) + Joel
Frahm (ts), Warren Wolf (vib), Scott Robinson (bs)
Enregistré du 25 au 30
mars 2016, lieu non précisé
Durée: 13' 27''
Impulse! 0602547485106 (Universal)
Andrea Motis, née en 1995 à Barcelone, a commencé à 7 ans la trompette
puis elle fut révélée dans le très swing Sant Andreu Jazz Band de Joan
Chamorro, au sax alto et surtout à la trompette, ce qui lui a donné très tôt
l'occasion de se frotter à des jazzmen d'expérience comme Pepe Robles, Wycliffe
Gordon, Bobby Gordon, Dick Oatts. C'est toute la différence de l'enseignement
de Chamorro –par rapport aux institutions dites de jazz d'Europe–, il y forme
des swingmen/women sur un partage avec les aînés. D'où la déception relative à
l'écoute de ce premier album d'Andrea Motis, chez Impulse!, dans lequel le
swing n'est pas toujours convié. De plus la chanteuse a, ici, pris le pas sur
la trompettiste, et nous avons déjà plus que beaucoup de jeunes chanteuses à la
voix charmante! On pourra donc se contenter du EP He's Funny That Way,
extrait de l'album Emotional Dance. Ce qui ne signifie pas que ce soit
mauvais. La voix d'Andrea Motis est bien sûr plaisante, mais il est exagéré de
la comparer à celle de Billie Holiday car il n'y a pas la charge émotionnelle
de Lady Day. Par contre, Andrea évoque bien Eddie Jefferson par sa façon de
phraser dans «Baby Girl» (en re-recording elle tient la trompette dans le
background). Notons que l'introduction au sax ténor de Joan Chamorro est un
délice d'expressivité et l'accompagnement d'orgue bien venu. C'est la meilleure
ballade de l'album. A l'inverse, «If You Give Them More Than You Can» composé
par Andrea Motis est soporifique et Perico Sambeat au soprano est d'un «modernisme»
convenu épouvantable (pire encore dans «Matilda»). Andrea Motis sauve le titre
avec son solo de trompette. Elle a aussi signé «Save The Orangutan», du pur
hard bop où tous les solos sont bons (Ignasi Terraza comme toujours, Motis,
Frahm). Trois titres sont chantés en catalan dont «La Gavina» avec le
coltranien Joel Frahm. Parmi les meilleurs titres: «He's Funny That Way»
(excellents solos de Terraza, Traver, Robinson, Motis), «Never Will I Marry»
(solos de Motis, Terraza superbe! Notons que Sambeat est plus supportable à
l'alto), «You'd Be so Nice» (belles prestations de Motis, Robinson qui font
aussi une alternative avec Esteve Pi) et «I Remember You» (bons solos de Wolf
et Motis). Ignasi Terraza qui est le meilleur soliste, est aussi le compositeur
d'«Emotional Dance», une jolie ballade. Andrea Motis, invitée en mai 2017 à la
Conférence de l'International Trumpet Guild, a une bonne sonorité charnue,
parfois au timbre un peu sombre comme un bugle, un phrasé jazz, un jeu sans
surcharges en notes et sans effets dans l'aigu. Si elle veut bien se concentrer
sur le jeu de trompette, nous tenons un beau talent.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Jazz Ladies
1924-1962
Lil
Hardin Armstrong, Mary Lou Williams, Hazel Scott, Dorothy Donegan, Yvonne
Blanc, Barbara Carroll, Marian McPartland, Jutta Hipp, Lorraine Geller, Terry
Pollard, Patti Brown, Pat Moran, Toshiko Akiyoshi, Joyce Collins, Lovie Austin,
Dolly Jones, Blanche Calloway, Mills Cavalcade Orchestra, Valaida Snow, Melba
Liston, Mary Osborne, Clora Bryant, Kathy Stobart, Shirley Scott, Dorothy
Ashby, Vi Redd, Ina Ray Hutton, International Sweethearts of Rhythm, Hip
Chicks, Ivy Benton, Vivien Garry, Beryl Booker.
Enregistré
entre novembre 1924 et le 22 mai 1962, Chicago, New York, Londres, Hackensack,
Paris, Livingston, Los Angeles, Frankfurt, Boston, Camden, Stockholm, Hollywood
Durée:
3h 47' 37''
Frémeaux
& Associés 5663 (Socadisc)
Le livret nous affirme
qu'«à la ségrégation noir/blanc vient
s'ajouter celle homme/femme». C'est vrai, mais la seconde fut en art, la
plus marquée. La misogynie avait court d'égale manière dans les deux
communautés. Le texte peut laisser à penser que les difficultés des femmes
musiciennes ne se sont manifestées que dans les milieux jazz. Faux. On lira la
page 19 de ma préface au DVD-Rom Le Monde de la Trompette et des Cuivres,
où je soulève aussi, contrairement au texte du livret, la vraie question pour les
instrumentistes: existe-t-il une particularité expressive féminine? Cette bonne
compilation écarte les chanteuses qui n'eurent pas à souffrir de cette mise à
l'écart, sans doute parce que les timbres de voix et maniérismes amènent la
touche féminine qui n'existe pas chez l'instrumentiste. Nous nous félicitons de
trouver Dolly Jones, Valaida Snow, Clora Bryant (tp) et Melba Liston (tb).
Engagée par Dizzy Gillespie, cette dernière raconte dans To Be or Not to Bop la condition féminine (p. 402): «une fois
à New York, j'ai entendu des commentaires du genre; 'Bon Dieu, mais pourquoi
a-t-il fait venir de Californie un trombone femelle?'». Après que
l'orchestre ait déchiffré un arrangement de Melba: «Ils ont tous dit: 'C'est bien ce qu'a fait la petite mère, là'.
J'étais devenu la petite mère au lieu de la femelle». Voici les perles de
cette compilation. D'abord une entorse à la règle car Lil Hardin Armstrong
apparait comme chanteuse (Teddy Cole, p) dans «Doin' The Suzie-Q» où brillent
Joe Thomas (tp) et Chu Berry (ts).
Sinon le CD1 est
évidemment consacré aux pianistes. Mary Lou Williams est sous l'influence de
Willie Le Lion Smith dans «Swingin' for Joy». Hazel Scott démontre que femme et
swing vont bien ensemble dans «Embraceable You». Notons le solo de Charles
Mingus et l'alternative entre Hazel et Max Roach dans «The Jeep Is Jumpin'».
Dorothy Donegan donne un bon «Over the Rainbow» (1957) et Terry Pollard une
plaisante version de «Laura» (1955). Une des têtes de turc de Boris Vian était
Yvonne Blanc qui prouve avec ce «Limehouse Blues» qu'il avait tort (bons solos
de René Duchossoir, g et Arthur Motta, dm). Marian McPartland donne une belle
alternative avec Joe Morello dans «Four Brothers» tout comme Lorraine Geller avec
Bruz Freeman dans «Clash by Night». Le «Poinciana» de Lorraine Geller en solo
est bien. Entourée d'Ed Thigpen (dm) et Peter Ind (b), Jutta Hipp est excellente
dans «Horacio». Le travail de Roy Haynes (dm) et Oscar Pettiford (b) sert à
merveille Toshiko Akiyoshi dans «Pee, Bee and Lee». Le grand Frank Butler (dm)
est derrière Joyce Collins dans «Just in Time».
Le CD2 est consacré
aux instrumentistes divers, néanmoins il y a une chanteuse, Blanche Calloway (influence
d'Ethel Waters dans «Mosery») à la tête d'un bon big band (deux titres réédités
en Classics 783). On commence par les combos de Lovie Austin (titres réédités
en Classics 756), «Steppin' on the Blues» (Tommy Ladnier, cnt) et «Frog Tongue
Stomp» (j'avais déjà signalé que c'est Al Wynn et non Kid Ory, tb, et
probablement Jimmy Cobb, cnt). On n'est pas sûr que ce soit Dolly Jones
l'excellente cornettiste dans «That Creole Band» (et ce n'est pas Barney
Bigard, ss-ts). Elvira Rohl (tp) participe aux faces du Mills Cavalcade Orchestra
(solo un peu fragile dans «Rhythm Lullaby») avec un groupe vocal féminin. Deux
trompettistes-chanteuses connues sont là, Valaida Snow et Clora Bryant. Valaida
est bien entourée dans «High Hat, Trumpet and Rhythm» (Freddy Gardner, ts,
réédité en Classics 1158) et elle prend un solo de trompette fragile mais bien
senti dans «My Heart Belongs to Daddy» (réédité en Classics 1122). Des deux
titres de Clora Bryant, «This Can't Be Love» est le meilleur. Elle y prend un
solo solide qui ne la distingue en rien d'un collègue masculin. Dans «Mischevious
Lady» du quintet Dexter Gordon, excellent (réédité en Masters of Jazz 156),
Melba Liston est encore débutante et les progrès sont nets dans «My Reverie»
avec le big band Dizzy Gillespie (cf. supra) où elle vaut largement le niveau
d'un Slide Hampton. «The Throlley Song» par son ensemble de trombones (Bennie
Green, Al Grey, Benny Powell) est de premier ordre. Les deux titres de Mary
Osborne (g) en quintet sans souffleur (Tommy Flanagan, Danny Barker, Tommy
Potter, Jo Jones) sont d'un haut niveau. Kathy Stobart (ts) a un son pulpeux
dans «Gee Baby» (avec Humphrey Littelton) comme Lockjaw Davis dans un décapant «Land
of Dreams» avec l'organiste Shirley Scott, également remarquable en trio dans «All
of You». Comme le piano, la harpe est considérée comme un instrument pour les
femmes [sic]. Dorothy Ashby, harpiste pas très swing, est illustrée dans deux
titres, «Aeolian Groove» (Frank Wess, fl, Eddie Jones!, b, Ed Thigpen!, dm) et «With
Strings Attached» (Terry Pollard, vib). Nous avons connu Vi Redd (as, voc) en
vedette de Count Basie. Elle a un style bien venu, proche de celui d'Eddie
Vinson («If I Should Lose You», «I'd Rather Have a Memory Than a Dream» avec
Herb Ellis, g).
Le CD3 est dévolu aux ensembles féminins. Ina Ray Hutton et les
International Sweethearts of Rhythm laissent des films (disponibles sur YouTube). Le personnel de ces Melodears
de Hutton est imprécis (sax baryton, vibraphone). La même trompettiste
intervient avec classe en solo dans «Wild Party», «24 Hours in Georgia», «Witch
Doctor» de Hutton (Elvira Roth?). Cinq titres pour les Sweethearts c'est
justice. Même punch que tous les swing bands masculins de cette période
1944-45. En solo, l'extravertie et solide Tiny Davis (tp, née en 1909) et
surtout l'expressive Vi Burnside (ts, née en 1915: «Vi Vigor»!). «Striptease»
permet d'apprécier Marjorie et L'Ana Hyams (vib, ts) et surtout Jean Starr (tp,
ex-Sweethearts). Elle est une remarquable boppeuse, remarquée par Dizzy
Gillespie, comme le prouve «7 Riffs with the Right Women» (Vicki Zimmer!, p).
Rose Gottesman (dm) assure derrière Marjorie Hyams, Mary Osborne et Mary Lou
Williams dans «Conversation» (1946). Les trios de Mary Lou Williams et de Beryl
Booker ne méritent pas l'oubli. Gracie Cole, disciple d'Harry James s'illustre
dans l'orchestre de variétés d'Ivy Benson (as). Deux des meilleurs combos
féminins ont été retenus, celui de Vivien Garry (b) qui vaut pour Edna Williams
(tp) et Ginger Smock (vln) (3 titres) et celui de Terry Pollard avec la
boppeuse méconnue Norma Carson (3 titres)! Le livret donne de brèves
biographies de certaines de ces dames qui nous font passer là un bon moment!
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Laura Dubin
Live at the Xerox Rochester International Jazz Festival
Titres communiqués dans
le livret
Laura Dubin (p), Kieran
Hanlon (b), Antonio H. Guerrero (dm)
Enregistré: le 2 juillet
2016, Rochester (New York)
Durée: 1h 55' 46''
Autoproduction (www.lauradubin.com)
Charl Du Plessis Trio
Baroque Swing Vol. 2
Titres communiqués dans
le livret
Charl du Plessis (p),
Werner Spies (b), Hugo Radyn (dm)
Enregistré le 26 juillet
2015, Ernen (Suisse)
Durée: 1h 03' 45''
Claves Recors 50-1609 (www.claves.ch)
Née à Rochester (New
York), Laura Dubin, épouse du batteur Antonio H. Guerrero, n'est pas sans
évoquer Oscar Peterson dans le meilleur des cas («This Could Be the Start of
Something Big», «Something's Cooking», «Ode to O.P.» et «Green Arrow» de sa
composition) et un peu Bill Evans («Waltz for Bill»). Mais elle n'a pas
vraiment de style car elle peut aussi jouer «stride» (en solo: «Handful of Keys»)
et plonger dans le genre modal à la McCoy Tyner («Thunderstorm»). Elle signe pas
mal de thèmes «Invention for Nina» évidemment inspiré par...Bach, le bluesy «Doc
Z»). Laura Dubin s'est fait la spécialité de coupler des standards américains
avec un auteur classique: Le Tombeau de Couperin / «My Favorite Things»
(pauvres Ravel/Rodgers & Hammerstein), «Prelude to a Kiss» / Valse n°1
opus 64 (Ellington/Chopin), en solo et pas mal Reflets dans l'eau /
«Our Love Is Here to Stay» (Debussy/Gershwin). Un gadget «easy listening». Ce
peut être enfin le fait de «jazzer» une pièce classique (Sonate Pathétique
n°8 de Beethoven). Elle a une bonne technique, c'est propre. Le trio est
bien rodé, les musiciens sont soudés. Rien de désagréable, rien
d'enthousiasmant non plus comme la plupart des produits labellisés «jazz»,
aujourd'hui. Deux CD c'est bien long, un seul aurait suffit. Inutile de dire que jouer
les compositeurs baroques en jazz (ou supposé tel) n'est pas nouveau! Ce fut
même une mode autour de 1965. Puis notre Claude Bolling fut un pionnier de ce
qu'on étiquette «cross over», genre qui est revendiqué par le trio sud-africain
Charl du Plessis.
La formation a déjà donné
un premier volume en 2013. Cette fois, elle s'en prend à Gershwin (sic), Gluck,
Vivaldi, Haendel et inévitablement à Bach, un compositeur d'exception car même
mal joué il reste plaisant! Ce sont d'ailleurs les œuvres de Bach qui se prêtent
le mieux à cet exercice: la Toccata & Fugue en ré mineur retient
l'attention et les musiciens y démontrent leur compétence. Les Inventions (ici
n°8, 4, 13) ont toujours été travaillées par des jazzmen, notamment la n°4 qui
figure dans un recueil de Bud Brisbois pour la trompette; ça swingue mieux
quand on évite d'improviser dessus. Belle démonstration du batteur dans la n°4,
mais c'est trop long. C'est intéressant quand on connait bien l'œuvre, pour l'avoir
joué soi-même, descellant ainsi les contributions qui paraissent prétentieuses
en comparaison de l'immensité de J.S. Bach. Le trio aborde aussi le Prélude
et Fugue n°3 en do dièse majeur et propose une «New Jazz-Suite» en six
mouvements conçue à partir de diverses compositions de Bach (extraits de Suites,
des Variations Goldberg, de Cantates). L'extrait de la Suite
en ré mineur de Haendel est choix qui fonctionne. La Mélodie d'Orphée
& Eurydice de Gluck est superbe en elle-même et l'improvisation qui en
découle est sans utilité. Dans le «Ballet des Ombres heureuses» tiré de la même œuvre,
le trio swingue bien et le bassiste comme le batteur (aux balais) ont un talent
réel. Ce domaine du «cross over» est très «easy listening». En d'autres termes plus
français c'est de la bonne musique de variétés. On écoute sans déplaisir et on
constate que ces pianistes improvisateurs en cherchant le respect et la
musicalité, sonnent tous de la même façon dépassés qu'ils sont par la qualité
thématique de ces compositeurs d'exception.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Sébastien Troendlé
Boogies on the Ball
A
la la, Winter Boogie, Boogaudébut Ragalafin, Woodywood Pecker Boogie, Tendinite
Blues, Boogie On The Ball, Chapel Street Boogie, Grosse Gauche, Charlie's
Boogie, Sorti du Four, Let the Left Hand Roll, African Dream, C'est Si Bémol,
Quelques Flocons
Sébastien
Troendlé (p)
Enregistré
en décembre 2016 et janvier 2017, lieu non précisé
Durée:
1h 00' 42''
Frémeaux
& Associés 8537 (Socadisc)
Nous sommes devant une
avalanche de CDs de boogie woogie! Voici que Sébastien Troendlé (né en 1977)
vient gonfler l'offre. Y-a-t-il une telle demande? Ceux qui achètent ces disques,
souvent au détours d'un concert, consacrent-ils autant d'intérêt à Pinetop
Smith, Cow Cow Davenport, Jimmy Yancey, Pete Johnson, Albert Ammons, Sammy
Price, voir même Fats Domino? Non. Nous sommes dans une niche commerciale.
Sébastien Troendlé sait en tirer profit. Après un Rag'n Boogie (Frémeaux
& Associés 8507), la sortie de sa méthode de Boogie-Woogie (2016, éditions
Henry Lemoine), cet ex-élève de l'Académie de Bâle et ex-enseignant à l'école
de musique de Haguenau, nous propose quatorze de ses compositions boogie. Il
déploie beaucoup d'énergie sans éviter la lourdeur («A la la», «Winter
Boogie», etc). On en vient à regretter la pratique plus nuancée d'un
Jean-Paul Amouroux. De toute façon le "grand public" n'est, aujourd'hui, pas
apte à distinguer un dandy d'un bûcheron. Non pas que ce CD soit totalement
dépourvu d'intérêt d'ailleurs: il y a de bons passages dans «Boogaudébut
Ragalafin» (pour la fin justement qui tire vers le stride), le début
low-down de «Tendinite Blues», la courte introduction perlée à «African
Dream» et «C'est Si Bémol» dans le genre Pr Longhair / James
Booker. Mais trop de boogie tue, sinon le boogie, la santé des chroniqueurs
(tout au moins celle du signataire).
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Jean-Paul Amouroux
Plays Boogie Woogie Improvisations
Boogie
Woogie Piano Solo, Boogie Woogie Train, Walkin' the Basses, Express Special,
Warming Up The Steinway, Lazy Boogie Woogie, Boogie for Piano &
Harpsichord, Shakin' and Stompin', September 23 Boogie, 88 Special, Barrel
House Shuffle, Riffin' the Boogie, Boogie for Piano & Organ, Bluesin' the
Boogie, Perpetual Boogie Woogie, JP Blues for Véronique, Rollin' the Basses,
Boogie for Piano & Celesta, Boogie All Day Long, Shufflin' and Swingin',
Marcal Boogie Woogie
Jean-Paul
Amouroux (p, org, kb, celesta)
Enregistré
le 23 septembre 1994, Paris
Durée:
1 h03' 46''
Black
& Blue 851 2 (Socadisc)
Le hasard des éditions
Black & Blue? C'est le second CD de Jean-Paul Amouroux en peu de temps. Le
précédent a été chroniqué dans Jazz Hot n°678 de l'hiver 2016-2017
(enregistré en 2015)! Celui-ci a tardé à resortir (1994). A quoi bon une
discographie aussi pléthorique? Quel que soit le talent de Jean-Paul Amouroux,
ne vaut-il pas mieux écouter en priorité les fondateurs du genre tels Albert
Ammons, Pete Johnson, Jimmy Yancey, Big Maceo, Memphis Slim, etc? Nous le
pensons. La réédition de ces maîtres s'impose plus que celle-ci qu'Alain
Balalas estime, dans le texte du livret, être «le meilleur de tous ceux de Jean-Paul Amouroux». Il est en effet
bon parmi les milliers de disques d'un genre aussi réjouissant que monotone,
même lorsque l'interprète sait, comme ici, y diffuser l'indispensable swing.
Une qualité d'Amouroux est la stabilité de son tempo. Il fait au mieux pour
varier les climats d'un titre à l'autre, et dans trois titres il sollicite le
clavecin, le celesta ou l'orgue (pas mal) pour diversifier. Mais le genre est
ce qu'il est. Nous aimons lorsqu'il y a un peu de tripes comme dans «Barrel House
Shuffle», «Bluesin' the Boogie» (nuances) et surtout le beau «JP Blues
for Véronique». Un disque pour les inconditionnels de Jean-Paul Amouroux
et/ou du boogie woogie.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Rémi Toulon
Adagiorinho
Adagiorinho,
Musset, Sambamaya, Elisa, Calle De Las Fiestas, Bagoola, Fuen, Tes Mots,
Jogral, You Don't Know What Love Is
Rémi
Toulon (p, ep), Sébastien Charlier (hca), Jean-Luc Arramy (b), Vincent Frade (dm),
Zé Luis Nascimento (perc)
Enregistré:
les 1er, 2 et 3 novembre 2016, Meudon (78)
Durée:
53' 52''
Alien
Beats Records 17AB (Inouïe Distribution)
Un CD bien dans l'air du
temps. Si Rémi Toulon (né en 1980) a été repéré et lancé par Jean-Pierre
Bertrand et Fabrice Eulry c'est à son professeur, Bernard Maury, qu'il doit son
orientation stylistique evansienne bien servie par sa formation classique («Tes
Mots»). Les percussions sont là pour donner l'inévitable touche latine («Adagiorinho»).
Il joue volontiers piano et Rhodes à la fois («Bagoola»). C'est
plutôt agréable («Calle De Las Fiestas»). Jean-Luc Arramy a une
belle qualité de son. Mais pour nous, qui nous ennuyons sans souffleur,
l'attrait du disque est la présence de Sébastien Charlier (né en 1971),
virtuose de l'harmonica diatonique Hohner dans six titres dont «Sambamaya»,
le dansant «Fuen» et le standard «You Don't Know What Love Is».
Il expose fort bien le thème (un peu long à venir) d'«Elisa» de Serge
Gainsbourg, l'un des trois titres qui ne soient pas de Rémi Toulon.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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The Dime Notes
The Dime Notes
Original
Jelly Roll Blues, Alabamy Bound, Aunt Hagar's Children's Blues, Black Stick
Blues, The Pearls, T'Ain't Clean, Otis Stomp, Si tu vois ma mère, The Camel
Walk, The Crave, I Believe in Miracles, Ole Miss, Turtle Twist, What A Dream
David
Horniblow (cl), Andrew Oliver (p), Dave Kelbie (g), Tom Wheatley (b)
Enregistré:
le 6 juin 2016, Londres
Durée:
55' 48''
Lejazzetal
Records 16 (www.lejazzetal.com)
Voici un disque bien
enregistré et luxueusement présenté. Ces «disciples-exécutants»
(selon l'expression de Dizzy Gillespie) sont bons, mais il est indispensable de
ne se procurer un tel disque qu'après l'écoute intensive de «Black Stick»
par Sidney Bechet avec les Noble Sissle's Swingsters du 10 février 1938 (Jazz
Classics 632), des Red Hot Peppers de Jelly Roll Morton dans «Original
Jelly Roll Blues» (avec Omer Simeon, cl, 16 décembre 1926) et «The
Pearls» (avec Johnny Dodds, cl, 10 juin 1927) et de l'historique trio de
Jelly Roll Morton avec Barney Bigard (cl) et Zutty Singleton (dm) («Turtle
Twist», 17 décembre 1929, Classics 642). Si en effet, David Horniblow
(beau nom pour un souffleur!) se réfère à Sidney Bechet, notamment dans «Si
tu vois ma mère» (le discrètement efficace David Kelbie y est audible),
nous ne trouvons rien de Barney Bigard, Johnny Dodds et surtout Jimmie Noone
dans son jeu contrairement à l'opinion d'Evan Christopher, auteur du texte du
livret. Il y a un peu de Simeon et d'Edmund Hall (growl dans «The Crave»,
autre composition de Morton). Nous n'aimons pas ses notes tenues avec trop de
vibrato («T'Ain't Clean»), criardes («Turtle Twist») ou
chevrotantes («I Believe in Miracles»). Et pourtant Horniblow,
ex-élève en clarinette à la Guildhall School, a confronté sa belle technique à
la fréquentation des vétérans Kenny Ball, Acker Bilk et Chris Barber. Ce
quartet sympathique n'évite pas la caricature («Ole Miss»
sautillant), mais c'est globalement un groupe qui devrait plaire aux animations
off des festivals d'aujourd'hui. Parmi les points forts, il y a le bassiste
londonien Tom Wheatley (qui slappe dans «Alabamy Bound»), le
pianiste américain fixé à Londres, Andrew Oliver (il a étudié à New Orleans
avant l'ouragan Katrina) partout excellent (notamment dans sa composition, «Otis
Stomp») et l'intérêt porté à Jelly Roll Morton scandaleusement négligé de
nos jours.).
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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L'Anthologie du Caveau de La Huchette
1965-2017
Titres et personnels
détaillés dans le livret
Enregistré entre le 29
mars 1951 et le 8 mars 2017, Paris
Durée: 3h 48' 48''
Frémeaux &
Associés 5676 (Socadisc)
Cet établissement
historique à plus d'un titre mérite d'être salué! C'est à partir de l'automne
1948 que le lieu est converti par Maurice Goregues au jazz qui se danse. Dany
Doriz en prit la direction en janvier 1970. Tout ceci est rappelé dans le texte
du livret signé Jean-Michel Proust agrémenté de photos symboliques. La présente
illustration sonore est plus que sympathique, tout ne relevant pas de prises
sur le vif dans les lieux comme le magistral «Fireworks» par Roy Eldridge
en duo avec Claude Bolling. Pour des raisons d'accès sans doute, il y a des
absents tels que Al Grey, Cat Anderson, Harry Edison, Art Blakey, Rhoda Scott,
Raymond Fonsèque, Géo Daly ou les New Old Sharks de Fred Gérard (1986) avec
Roger Guérin (j'étais assis à ses pieds,
importuné par les jupons de danseuses déterminées). L’équipe de Jazz Hot y a célébré à plusieurs reprise l’anniversaire de la revue, animations
musicales à la clé (Brisa Roché, Sarah Morrow, Sylvia Howard, etc). Il suffit
de lire la liste des intervenants pour se douter de l'hétérogénéité des genres
bien que tous dansables. A côté d'un jazz on ne peut plus orthodoxe, il y a la
proximité du yéyé (Mac Kac: «cette sacré télé», 1965, qui est le sax ténor?),
de la chanson française («La Belle vie», «Un scotch, un bourbon, une
bière», «La Mer» - instrumental, pas de vocal de Marc Fosset!), de
la valse musette (Marcel Azzola, «Double Scotch») et du rock'n’roll (Mighty
Flea Conners, «Shake Rattle & Roll», 1990, Claude Braud, ts; King Pleasure;
Al Copley) qui, nous l'avons souvent écrit, est du jazz aussi. Les
renseignements discographiques posent de mineurs problèmes. Par exemple, «Caldonia»
du CD1 est par Alton Purnell (et non Turnell) également chanteur (bon solo de
Boss Quéraud, tp), page 18 bugle ne prend qu'un «g», qui est trompette dans le
titre de Jean-Paul Amouroux-Sam Wooyard (1976, François Biensan?), nous sommes
privés du nom des membres du big band Lionel Hampton qui, certes, est la seule
vedette (vib, voc) de ce «In The Mood» comme de celui de Jeff Hoffman, de
l'identité du chanteur dans «Moanin'» (Duffy Jackson bien sûr – à noter les
grands Georges Arvanitas, p, Eddie Jones, b), du guitariste avec Sweet System («Fever»),
le trompette dans «On the Alamo» (Jérôme Etcheberry me semble-t-il). Il n'en
est pas moins vrai qu'il y a beaucoup à glaner. Ainsi dans le CD1, Wani Hinder
(ts) avec Milt Buckner (org) dans le «Boogie Woogie au Caveau de la Huchette»
(1975), Michel Denis (dm) excellent avec Memphis Slim («Shake Rattle and Roll»,
1977), Stéphane Guérault (ts) avec Wild Bill Davis-Kenny Clarke («Indiana»,
1977), Bill Coleman («On Green Dolphin' Street», 1979), Alain Bouchet (tp) et
Patrick Bacqueville (tb) avec Maxim Saury («La Huchette», 1981), Carl Schlosser
(ts) dans l'Octet Dany Doriz (1990) et Yannick Singery (p) avec Jacky
Milliet-Claude Luter (1991). Dans le CD2: Carl Schlosser tonique avec Wild Bill
Davis-Dany Doriz-Sacha Distel, Claude Gousset (tb) avec Zanini, Patrice Galas
(p) avec l'excellente Gilda Solve, le goodmanien Bob Wilber (Doriz, Arvanitas,
Butch Miles, dm, Eddie Jones, b!), Patricia Lebeugle («Fanfreluche»), Finn
Ziegler (vln), un boogie par Claude Bolling (2003), Philippe Duchemin («Good
Vibes», 2004). Le CD3 est strictement XXIe siècle (2012-17) pour se
convaincre de la survivance du genre à l'écart des incongruités festivalières,
avec au gré des plages aux côtés de déjà vétérans (Scott Hamilton, Claude
Tissendier, Boney Fields,...), de précieux irréductibles (Malo Mazurié,
Sébastien Gillot, Ronald Baker, Jérôme Etcheberry, tp/cnt, Drew Davies, Michel
Pastre, ts, César Pastre, Franck Jaccard, p, Philippe Petit, org/p, Sébastien
Girardot, b, Guillaume Nouaux, François Laudet, Didier Dorise, dm, etc). Bien
sûr Dany Doriz est omniprésent, c'est bien naturel et un plaisir au swing
constant. Un coffret qui est bon pour la santé mentale des jazz fans... pour ne
rien dire des pieds des danseurs.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Stan Laferrière Big One
A Big Band Jazz Saga
Dirty
Rag (Ragtime, 1915), L'Oreille est hardie (Ballroom, 1923), To Bix (Collective
Chicago, 1926), Slap That Band (Washingtonians, 1930), Jumpin' Count (Riff,
1935), Swing Swang Swung (Swing Clarinet, 1937), Glenn's Train (Train bounce,
1938), Clarinet Serenade (Moonlight, 1939), Harlem Jungle Jive (Jungle, 1940),
Dizzysphere (Be-bop, 1945), Crazy Moon (Tenor Ballad, 1948), Cuban Scent (Bop
latin, 1949), Deb's Darling (Big band ballad, 1954), Duke's Places (Groovy
shuffle, 1956), Sorry For Lovin' You So (Crooner, 1958), Lalo's Waltz (TV
Movie, 1960), Back to Roots (Soul, 1962), Funny Sixties (Bossa-twist, 1964),
Climber Man (Modern ballad, 1970), Patouchamontoche (Funky, 1980)
Stan
Laferrière (p, g, bj, dir), Benjamin Belloir, Mathieu Haage, Julien Rousseau
(tp, flh), Anthony Caillet (tp, sousa), Nicolas Grymonprez, Cyril Dubilé,
Bertrand Luzignant (tb), Jean Crozat (btb), Pierre Desassis, David Fettmann,
Christophe Allemand, Olivier Bernard, Cyril Dumeaux, Frédéric Couderc (ss, as,
ts, bar, bs, cl, fl), Sébastien Maire (b), Xavier Sauze (dm), Orlando
Poleo (perc), James Copley (voc)
Enregistré
en janvier 2017, lieu non précisé
Durée:
1h10’ 51’’
Frémeaux
& Associés 8545 (Socadisc)
Une part de ces musiciens
a joué dans le Big Band de la Musique de l'Air déjà dirigé par Stan Laferrière.
L'éditeur ne prend même plus soin de donner le prénom des musiciens. Par
ailleurs, nous avons indiqué dans la notice de cette chronique les sous-titres qui
précisent un peu l'objectif du morceau, car il ne s'agit que de compositions
originales de Stan Laferrière. Celui-ci nous livre aussi "son" histoire des big
bands, dans le texte du livret. Heureusement, il est meilleur musicien
qu'historien... On aurait aimé l'identification des solistes pour chaque titre,
nous permettant ainsi de mieux connaître des artistes encore jeunes qui n'ont
pas, pour l'instant, la notoriété des Louis Armstrong, Bix, Jack Teagarden,
Benny Goodman, Dizzy Gillespie, etc. Le «Dirty Rag» est délicieux (presque trop
swinguant pour évoquer 1915) avec un superbe solo de trombone (Nicolas
Grymonprez?). Il est plaisant que l'on pense à Fletcher Henderson, en effet
père du big band jazz avant qu'Ellington ne "se" trouve. On lui dédie un «L'Oreille
est hardie» (belle astuce) qui "danse" bien. Belle qualité de son du trombone
solo, solo de cornet...bixien (Mathieu Haage?) et un remarquable solo de ténor
(Anthony Caillet, solide au sousaphone dans la rythmique). Le «To Bix» est une
évocation parfaite du Gang (petite formation!) de Beiderbecke, avec saxo-basse.
Le solo de cornet bixien est fin. La rythmique opte pour la contrebasse dès «Slap
That Band» qui offre d'excellents solos de ténor, trombone et une belle
écriture pour section de saxes. La rythmique devient basienne pour «Jumpin'
Count» sur un tempo médium parfait pour le swing. On passe ensuite à une
évocation de «Sing Sing Sing» et de Benny Goodman. Excellents solos de
trompette avec plunger, ténor velu, trombone avec plunger dans «Glenn's
Serenade» très Miller (comme l'évocation suivante genre «Moonlight Serenade»).
Les tutti de trompettes avec sourdine sont très fins.
Le Big One démontre dans
ce disque, outre une connaissance des styles, un haut niveau professionnel
(richesse des nuances). Même si le style jungle est très antérieur à 1940, ce «Harlem
Jungle Jive» l'évoque bien (bon solo de trombone!). On se doute à qui «Dizzysphere»
s'adresse. A noter que le solo d'alto est plus dans la lignée Lee Konitz que
Charlie Parker et le solo de trompette sonne comme du bugle (pas employé par
les boppers de 1945). Beau travail du lead trompette en coda. Orlando Poleo
participe évidemment à «Cuban Scent» très Machito et James Copley à «Sorry for
Lovin' You So». «Crazy Moon» est un solo de ténor avec une qualité de son
devenue rare chez les jeunes instrumentistes. Si Stan Laferrière revisite Count
Basie («Deb's Darling») et Duke Ellington («Duke's Places» presque... marsalien
en coda), il choisit aussi l'hommage à Lalo Schifrin («Lalo's Waltz»), Quincy
Jones («Back to Roots», «Funny Sixties») et... Bob Mintzer («Patouchamontoche»).
Peu importe si nous sommes très réservés sur la vision historique, la musique
proposée est de qualité; c'est ce qu'on attend d'un musicien (historien et
musicologue sont aussi des métiers). Un travail presque pédagogique qui devrait
figurer dans les festivals pour nous aider à les supporter. Bravo à Stan
Laferrière et au Big One.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Claude Tissendier
Swingin' Bolling
Jazzomania,
Blue Kiss From Brazil, La Belle et le Blues, Borsalino, Here Comes the Blues,
When the Band Begins to Play Their Music, Dors Bonhomme, Just for Fun,
Louisiana Waltz, Duke on My Mind, Take a Break
Claude
Tissendier (as, cl, arr), Patrick Artero (tp, flh), Philippe Milanta (p),
Pierre Maingourd (b), Vincent Cordelette (dm), Faby Médina (voc)
Enregistré
les 12 et 13 avril 2016, Chérisy (28)
Durée:
51' 56''
Black
& Blue 818.2 (Socadisc)
Ce sont toutes des
compositions de Claude Bolling arrangées pour quintet par Claude Tissendier.
L'idée vint à l'issue du dernier concert de Claude Bolling donné en trio
(Maingourd, Cordelette) le 24 juin 2014 au Petit Journal Saint-Michel à Paris.
Claude Tissendier et Patrick Artero étaient alors venus étoffer le trio et
donner une suite à cette expérience s'imposait. Faby Médina, chanteuse de
l'orchestre Claude Bolling depuis 2001, intervient dans «When the Band Begins
to Play Their Music» (alias «Lazy Girl», paroles de Virginia Vee), «Louisiana
Waltz» (tirée du film Louisiane) et «La Belle et le Blues» composé pour
Brigitte Bardot avec des paroles de Serge Gainsbourg (belle prestation avec le
plunger de Patrick Artero). Claude Tissendier est remarquable à l'alto avec ici
quelques tournures à la Benny Carter («Jazzomania») et là, une sonorité dans la
lignée de Johnny Hodges («Duke on My Mind» qui met en valeur Pierre Maingourd).
Claude Tissendier ne sollicite la clarinette que dans «Borsalino» où Philippe
Milanta surprend par un solo qui du boogie passe au stride puis à Erroll
Garner. Nous n'avions pas remarqué jusqu'ici combien Patrick Artero se
rapproche aujourd'hui de Bill Coleman par le son, le phrasé, les attaques, à la
trompette parfois («Here Comes The Blues»; le basien «Take a Break» où le jeu
de balais de Vincent Cordelette est la vedette) et surtout au bugle dans «Blue
Kiss From Brazil» (bon solo de Maingourd), «Borsalino», «Just For Fun»
(excellent solo de Milanta et belle alternative de Cordelette avec trompette, sax
et piano). En revanche, dans «Dors Bonhomme», à la trompette avec sourdine
harmon, Patrick Artero évoque le Miles Davis de L'Ascenseur pour l'échafaud (dialogue avec Tissendier) et du «Nature Boy» de Blue Moods. Une
réussite collective et un hommage mérité à Claude Bolling.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Sean Jones
Live From Jazz at the Bistro
Art's
Variable, Lost then Found, Piscean Dichotomy, Doc's Holiday, The Ungentrified
Blues, Prof, BJ's Tune
Sean
Jones (tp, flh), Brian Hogans (as, ss), Orrin Evans (p), Luques Curtis (b),
Obed Calvaire, Mark Whitfield Jr (dm)
Enregistré
les 3-5 décembre 2015, St Louis (Louisiane)
Durée:
1h 04' 04''
Mark
Avenue 1111 (www.mackavenue.com)
Sean Jones, diplômé de la
Rutgers University, n'est plus un inconnu depuis son passage dans le Jazz at
Lincoln Center Orchestra (six ans) et dans le groupe de Marcus Miller (Jazz in
Marciac, etc). Il dirige un quartet comprenant Orrin Evans, Luques Curtis et
Obed Calvaire depuis onze ans. C'est avec eux, et deux autres qu'il se présente ici en quartet
ou quintet. «Art's Variable» est sensé saluer Art Blakey, sans doute de façon
abstraite car Mark Whitfield Jr n'instaure pas un tempo; il commente en percussionniste.
Le solo de Sean Jones à la trompette révèle une filiation de sonorité avec
Freddie Hubbard. Il utilise le piston mi-course pour des effets et gère bien
une tension crescendo vers l'aigu. La contrebasse ouvre «Lost, Then Found» en
quintet avec Brian Hogans (ss). Cette fois le titulaire Obed Calvaire tient la
batterie, mais le style est le même. Dans ce contexte modal sur tempo médium,
l'improvisation est très libre. Sean Jones a une belle qualité de son au bugle.
Le «Piscean Dichotomy» ne manque pas de dynamisme. Brian Hogans y joue de
l'alto. Sean Jones et le groupe retrouvent là le style du Quintet Miles Davis
de la deuxième moitié des années 1960. Une continuité rythmique sur tempo
médium marque «Doc's Holiday» dans lequel Sean Jones improvise de façon libre
avec des résurgences de Don Cherry et Booker Little. Le solo de piano qui suit,
plus structuré, n'en paraît que plus "traditionnel" tout comme, ensuite,
l'excellent solo de Luques Curtis. Brian Hogans n'intervient que dans le thème
volontairement anfractueux (signé Orrin Evans), ce qui semble étonnant (la
prise de concert serait-elle tronquée?). Bien sûr, «The Ungentrified Blues»,
sur tempo médium, est, pour nous, le meilleur moment du disque. Sean Jones y
fait enfin une musique de tripes, enracinées, avec des effets bien venus
(growl, note tenue, inflexions, notes répétées pour générer la tension, montées
dans l'aigu bien senties). On notera que sa sonorité n'en paraît que plus belle
notamment dans son deuxième solo plus détendu menant à une coda sobre
(influence de Wynton Marsalis). Orrin Evans a compris que dans le blues, il ne
faut pas compliquer le propos. Quant à Luques Curtis et Mark Whitfield Jr, ils
assurent la continuité rythmique fermement. «Prof» qui porte l'influence
d'Ornette Coleman période Atlantic, est une composition de Sean Jones qu'il a
dédié à son professeur William Fielder. C'est un thème de quinze mesures (!)
utilisant les quartes. Après un solo de Brian Hogans (as), Sean Jones déploie
une virtuosité avec plus de pertinence. Mais l'arrivée d'une paisible ballade
en quartet, «BJ's Tune», au thème simple et répétitif, jouée avec élégance au
bugle, fait du bien (la coda est «Amazing Grace» ad libitum). Bilan? Comme à
peu près toute la production actuelle, ce disque ne laissera pas de trace. Rien
d'essentiel comme peuvent l'être encore, «West End Blues» par Louis Armstrong
(1928), «Groovin' High» de Dizzy Gillespie (1945), «Stardust» par Clifford
Brown (1955), «Booker's Waltz» de Booker Little (1961) ou «The Majesty of the
Blues» de Wynton Marsalis (1988). La survie et la mort à la fois, viennent de
l'académisme installé depuis que le jazz est enseigné. Sean Jones est
d'ailleurs impliqué dans l'enseignement à la Duquesne University, l'Oberlin
Conservatory of Music et actuellement au département des cuivres du Berklee
College of Music. Il montre donc à ses élèves comment fonctionnent ses
recettes. Mais Sean Jones, comme la majorité de ses confrères, n'a pas fait
l'effort personnel d'un Wynton Marsalis ou d'un Nicholas Payton d'aller en
profondeur dans l'héritage expressif des plus anciens. Tout récemment encore
c'est Nicholas Payton qui a conseillé à Greg Tardy d'écouter Ben Webster,
est-ce bien sérieux? Attend-t-on d'un artiste d'aujourd'hui et d'un enseignant
qu'il débute la musique par Miles Davis? On écoutera ce disque pour «The
Ungentrified Blues» et «BJ's Tune».
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Iñaki Salvador Trio
Lilurarik Ez
Ihesa, Dembora Es da Luzea, Kontatu Didate, Ezer Gabe,
Diálogos con Miguel, Izarren Inguruan, Improvisación sobre Txoria, Txori,
Variaciones sobre Baga, Biga, Higa
Iñaki Salvador (p), Javier Mayor de la Iglesia (b), Hasier Oleaga (dm)
Enregistré en avril 2010, San Sebastián (Espagne)
Durée: 1h 01’
Vaivén Producciones (www.vaivenproducciones.com)
Un petit rappel pour situer ce disque: Mikel Laboa
(1934), médecin, psychiatre, musicien, figure incontournable de la chanson et
de la culture basques, disparaît en 2008 laissant un immense vide. Le pianiste
Iñaki Salvador, artiste trop peu visible, hors du cercle des jazzmen ou des
amateurs de culture basque, qui a travaillé avec Laboa de nombreuses années,
est invité en 2009 à lui rendre hommage par un concert. Iñaki s’attache à
réaliser des versions des chansons que Laboa avait enregistrées dans les années
60 avec des textes de Brecht. Ce disque Lilurarik
Ez est issu de ce projet et met en évidence les qualités pianistiques de
Salvador. Le traitement des chansons, certaines selon une esthétique
jazzistique, est particulièrement remarquable. Dans cette optique on appréciera
tout particulièrement «Ihesa, Dembora Es Da Luzea» qui débute sur
un tempo lent, berçant l’oreille, avant de pénétrer dans un jazz plein de swing
dont l’intensité va crescendo, parsemée de retours au calme. Iñaki bénéficie ici,
comme dans la plupart des autres thèmes, d’un excellent soutien de ses deux
partenaires, inconnus de l’auteur de ces lignes mais offrant eux aussi de
belles qualités. «Izaren Inguruan» est lancé de la même façon, très
calmement au piano, sans les partenaires, puis les balais et quelques accords
de contrebasse viennent en soutien. Le swing émerge. Le jazzman qu’est Iñaki
Salvador s’illustre encore et magnifiquement dans les deux derniers thèmes, «Improvisación»
et «Variaciones». Les deux thèmes comme les autres demandent de la
patience à l’auditeur pour entrer dans le swing. Cette patience permet à chaque
fois de se délecter de la technique du pianiste.
Les autres plages offrent un esprit différent. «Kontatu Didate»
veut rester au plus près de la manière de travailler de Laboa. Drum et
contrebasse recherchent cette fidélité et le thème ainsi joué s’éloigne du
jazz. On relève dans «Ezer Gabe» la délicatesse du jeu de Salvador.
«Diálogos con Miguel» fait appel à la voix du chanteur basque qui est
insérée dans la prestation du trio. De larges espaces laissent la possibilité à
Iñaki d’improviser. Un disque qui offre une nouvelle opportunité à ceux qui ne
le connaissent toujours pas de découvrir Iñaki Salvador.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Ramón Valle / Orlando Maraca Valle
The Art of Two
Johana, Love for Marah, El Guanajo relleno, Alena,
Monologo, Latin for Two, Tú mi Delirio, Mi Guajira con Tumbao, Puentes, Amigos
Ramón Valle (p), Orlando Maraca Valle (fl)
Enregistré le 17 octobre 2015, Amsterdam (Pays-Bas)
Durée: 46'
In + Out Record 77131 (http://ramonvallemusic.com)
Ce disque des deux cousins cubains est un petit joyau
musical. Ramón, pianiste installé aux Pays Bas, nous avait proposé par le passé
d’excellents enregistrements comme Levitandoet brille sur les scènes européennes à la tête de son trio. Orlando «Maraca»
vit à La Havane mais est quasiment parisien et il est peu de recoins de
l’hexagone auxquels il n’a pas rendu visite. Depuis longtemps l’idée de
travailler ensemble était dans l’air et, après une lente préparation, c’est
dans un studio hollandais que la magie est née. Ramón et Maraca créent de la
beauté, c’est tout. Le pianiste, dans l’ensemble moins percussif que d’autres
confrères Cubains, égrène calmement les notes, distille sa maîtrise technique,
sa classe. Aucune note superflue, aucune débauche sonore. Quant à Orlando, son travail
avec le Latin Jazz All Stars ou encore ses récents disques, plutôt festifs,
sont bien connus. Cette apparition en duo lui permet, sinon de rompre avec ces
précédents travaux, à tout le moins de mettre clairement en évidence pour ceux
qui écoutent plutôt la globalité des prestations de ses formations, l’étendue
de ses aptitudes, la maîtrise qu’il a de la flûte, la fluidité de son jeu, ses
détachés superbes. Orlando s’appuie sur le travail de Ramón sans qu’aucun autre
instrument ne vienne distraire l’écoute. Tous deux sont en parfaite osmose.
Le disque comprend quatre compositions de Ramón, trois
de Maraca et est complété par trois thèmes issus des standards cubains. «Johana»
est de l’autorité de Ramón et allie le lyrisme à cette fluidité mentionnée
précédemment. Il n’y a pas de rupture avec le thème suivant «Love for Marah» d’Orlando
pris sur un tempo très lent. Ramón pose un minimum de notes. L’hommage à deux femmes
est une évidence. Le flutiste offre «Alena». L’esprit reste le même. Les deux partenaires
sont extrêmement à l’écoute l’un de l’autre: The Art of Two est bien nommé! Si «Monologo» est écrit par le
pianiste, ce thème est offert largement au flûtiste. On pénètre un peu plus dans
le jazz avec «Latin for Two». Le tempo est plus rapide, le jeu est vif, tant de
la part de Ramón que d’Orlando. Des trois classiquesde la musique cubaine
proposés ici «El Guanajo relleno» est arrangé par Ramón mais perd largement ses
caractéristiques soneras pour
s’inscrire complètement dans l’esprit du disque. «Mi Guajira con Tumbao»,
toujours arrangé par le pianiste est épuré mais conserve un superbe tumbao, ce swing cubain assuré par
le piano sur lequel s’exprime le flutiste. Appréciez-le davantage encore à 3'30''!
Le maestro César Portillo de la Luz, figure emblématique du feeling cubain,
fournit le troisième thème, «Tú mi Delirio». Le piano est discret, la flûte qui
n’a jamais été très utilisée dans le feeling devient le protagoniste principal.
Il faut relever les beaux vibratos. Le disque s’achève sur deux compositions de
Rámon. Il y exprime pleinement son style personnel, plus percussif cette fois,
dans un passage sans flûte de «Puentes», thème chargé de mélancolie. «Amigos»,
très sobre, conclut parfaitement le disque montrant, comme le dit Leonardo
Padura dans le livret, que si l’Art est bon; deux artistes suffisent.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Marc Copland
Better by Far
Day
and Night, Better by Far, Mr Dj, Gone Now, Twister, Room Enough
for Stars, Evidence, Dark Passage, Who Said Swing?
Marc Copland (p), Ralph Alessi (tp), Drew Gress (b), Joey
Baron (dm)
Enregistré
en janvier 2017, New York
Durée:
1h 02' 28''
InnerVoice Jazz Records 103 (www.innervoicejazz.com)
On retrouve l’élégance
naturelle de Marc Copland qui signe seul ou avec ses musiciens (à part
«Evidence» de Thelonious Monk), l’intégralité des titres de cet album. Il
s’agit ici d’affaires courantes tant l’équipe est habitué à jouer ensemble:
la rythmique, Marc Copland compris, accompagne depuis des années John Abercrombie
sur disque et en tournée. Le jeu du pianiste est limpide et le son de chaque instrument
est parfaitement restitué: on apprécie la clarté des cordes de la
contrebasse et le scintillement discret mais omniprésent des cymbales de Joey
Baron. Il s’agit bien sûr d’un pianiste leader mais ici en compagnie d’amis, c’est
un vrai quartet régulier et non pas des invités juste pour la captation de
quelques thèmes vite répétés. L’équilibre des compositions est mis en valeur
par la justesse du propos et bien que le répertoire soit de nature calme, la
haute qualité de chacun des solistes en fait un rubis à offrir. L’univers de
Marc Copland n’est pas vraiment celui du swing mais plus celui de la caresse de
l’ivoire et de l’ébène qui sertissent la note vers le bleu ou le blues du cœur.
Le titre éponyme de l’album, célèbre la tendre noce entre le clavier et la
trompette dans une cérémonie sincère et respectueuse de l’un envers l’autre.
Bien plus triste, mais superbe, «Gone Now» doit évoquer la rupture amoureuse
comme un regret du passé, le jeu au ballet de Joey Baron souligne le trait de
la trompette bouchée sur piano nostalgique, une ballade dans une forêt
automnale ou la contrebasse bruisse sur les feuilles envolées : 9’40’’ à
savourer. Autre thème rempli de «saudade» comme l’on dirait au Brésil, «Room
Enough for Stars» qui toujours sur le fil du funambule semble chavirer vers la
chute du regret mais résiste au souffle du vent, Drew Gress en soliste de haut
vol, suit la droite ligne suspendu dans le ciel. Comme son nom semble
l’indiquer «Dark passage» emprunte une voie tourmentée mais à découvrir comme
un long cheminement vers «Who Said Swing?». L’album présente une grande unité
qui restitue sans aucun doute l’univers musical de Marc Copland, rappelant ainsi
le rôle particulier qu’il joue sur l’échiquier actuel du jazz, qui, comme le
dit l’album, nous emmène «mieux que loin».
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Dmitry Baevsky
The Day After
Would You?,
Rollin', Chant, Minor Delay, Hotel Baudin Thes Wise Ones, The Day After, Four
Seven Nine One, Delilah, I’ve Told Evry Little Star
Dmitry Baevsky (as), Jeb Patton (p), David Wong (b), Joe Strasser (dm)
Enregistré
les 23 juillet et 16 août 2016, New York
Durée: 1h 08'
Jazz Family 017 (Socadisc)
On retrouve aux côtés de
Dmitry Baevsky, pour son sixième album en leader, son équipe new-yorkaise habituelle.
Toujours aussi talentueux, le jeune prodige russe mène désormais une carrière
entre le vieux continent et les Etats-Unis. Originaire de Saint-Pétersbourg, il
découvre l’Amérique auprès de Cedar Walton et Jimmy Cobb, présents sur son
premier disque, et depuis mène son bout de chemin. Toujours de bonne facture, ce
nouvel album s’inscrit comme une nouvelle étape au service de la tradition hard
bop revisitée avec grand cœur. Outre cinq de ses compositions, on retrouve une
relecture du thème, très peu repris, «Chant», du pianiste Duke Pearson, immortalisé
par Donald Byrd sur l’album A New Perspective,
paru chez Blue Note ou encore une superbe version de «Delilah», signé par
Victor Young et souvent interprétée par le quartet de Clifford Brown et Max
Roach. Côté hommage aux anciens, il met à l’honneur le tromboniste Tom McIntosh
(90 ans) avec la composition «The Day After», qui donne son nom à l’album, et
conclut avec «I’ve Told Evry Little Star» de Jerome Kern. N’oubliant pas ses
compagnons de scène et de studio, il emprunte la plume de pianiste Jeb Patton
pour enluminer «The Wises Ones». La totalité des titres s’enchaîne avec brio et
élégance. Technique parfaite, maîtrise de l’instrument, cohésion de l’ensemble;
juste un regret: le manque de folie qui en ferait un album plus enflammé.
Toujours parfait en concert, sa musique mérite le détour.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Nicola Sabato & Jacques di Costanzo Quartet
The Music of Ray Brown & Milt Jackson. Live in Capbreton
Now Hear My Meaning, Small Fry, One
Loved, Back to Bologna, The Nearness of You, Think Positive, Sad Blues, Be-Bop,
It Don’t Mean a Thing (If It Ain’t Got That Swing), Captain Bill
Nicola Sabato (b), Jacques di Costanzo (vib), Pablo Campos
(p), Germain Cornet (dm)
Enregistré le 3 février 2017,
Capbreton (40)
Durée: 1h 05'
Autoproduit (Socadisc)
Bien qu’il s’agisse d’un hommage à
deux piliers de l’histoire du jazz, les titres choisis ne reprennent que deux
thèmes signés par Ray Brown («Captain Bill») et Milt Jackson («Think
Positive»); c’est donc le répertoire interprété par ces prestigieux
musiciens qui constitue le matériau de ce
«live» enregistré à Capbreton. Le quartet de Nicola Sabato et Jacques di
Costanzo se plonge complétement dans l’univers de leurs maîtres et modèles, et
comme ils le précisent dans le livret, «ils
sont des fans» et, en tant que tels, restent fidèles à leur idoles. Plus
qu’une restitution, il s’agit pour le quartet de saisir l’esprit musical de
cette époque et d’en donner leur approche mais qui reste dans la tradition. Les
dialogues et solos du vibraphoniste et du pianiste ne détonnent jamais et il
remarquable pour des musiciens (encore jeunes) de vouloir conserver et faire
vibrer ces grands thèmes. Nicola Sabato, en tant que coleader reste discret
bien que ses solos arrivent à point nommé. Durant l’ensemble du disque, une
grande unité et un grand équilibre permettent au groupe de sauter tous les
obstacles que peut présager un tel parcours. Que ce soit des ballades («The
Nearness of You») ou sur des tempos rapides («It Don’t Mean a Thing») le public est conquis
et le fait savoir à l’applaudimètre. Sur le thème
final «Captain Bill» l’introduction à la contrebasse surlignée par les ballets
de Germain Cornet donne une conclusion parfaite à ce concert.
Un jazz au classicisme de
bon aloi que l’on prend plaisir à écouter.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Nicole Johänntgen
Henry
Henry, Oh Yes My Friend, Nola, Slowly,
The Kids From New Orleans, They Missed Love, Take the Stream Train
Nicole Johänntgen (as), Jon Ramm (tb),
Steven Glenn (sousaph), Paul Thibodeaux (dm)
Enregistré le 25 mai 2016, New Orleans
(Louisiane)
Durée: 37' 27''
Autoproduit (www.nicolejohaenntgen.com)
La saxophoniste allemande Nicole
Johänntgen a passé plusieurs mois à New York en 2016 (voir son
interview dans Jazz Hot n°675) afin d’y composer tout en
s’imprégnant de la scène jazz locale. Curieusement, le premier
souvenir de voyage qu’elle a rapporté est un disque enregistré à…
New Orleans (alors qu’elle était sur le sol américain depuis deux
mois). Autre surprise, bien que son univers
habituel se situe entre fusion et musique improvisée, voilà que la
Louisiane a ramené Nicole Johänntgen vers le jazz. Un
jazz marqué par la culture néo-orléanaise (puisqu’elle s’est
entourée de trois musiciens de Crescent City) mais où s’exprime
néanmoins la personnalité de l’altiste qui signe toutes les
compositions de cet album. Il s’avère qu’elle avait depuis
longtemps en tête de rendre hommage au jazz de New Orleans, que son
père (tromboniste) jouait dans son orchestre amateur. On imagine que
son arrivée aux Etats-Unis a été l’élément déclencheur du
projet (malheureusement, le disque ne comporte pas de notes de
pochettes nous éclairant sur les intentions du leader…). Toujours
est-il que Nicole Johänntgen nous livre ici un disque rythmé,
irrigué par le swing néo-orléanais au sein duquel son alto aux
accents free (on entend l’influence de son mentor Dave Liebman) dialogue très
naturellement avec le trombone et le soubassophone (le morceau qui
ouvre le disque et lui donne son nom, «Henry», est particulièrement
réussi). Sur «Oh Yes My Friend» (blues lent dans l’esprit de
«Basin Street Blues»), les interventions de Nicole ont même des
faux-airs de Sidney Bechet! Les jazzmen européens en quête
permanente de multiplier les métissages vont chercher l’inspiration
dans des contrées étrangères au jazz qu’ils considèrent comme
une musique du monde. L’expérience menée par Nicole Johänntgen
(qui ne sera peut-être qu’une parenthèse dans sa carrière)
prouve qu’en puisant aux sources du jazz un musicien peut tout
aussi bien se renouveler et produire un discours original.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Philippe Duchemin
Passerelle
Qu’est-ce qu’on
attend pour être heureux, Luisa, Concerto Brandebourgeois, Hymn,
Cassie, Blame It on My Youth, Brazilian Like, When Johnny Comes
Marching Home, Prelude Op 18, Valse Discrète, Symphonie n°7
Philippe Duchemin (p, arr), Christophe Le Van (b), Philippe Le
Van (dm), Julien Kadirimdjian (vln), Estelle Imbert (vln), Marin
Trouvé (avln, Annie Le Prev (cello)
Enregistré les 1er-2
février et le 4 mai 2016, Draveil (91)
Durée: 51' 08''
Black
& Blue 815-2 (Socadisc)
Philippe Duchemin est l’un des
dignes représentants français du legs d’Oscar Peterson au
patrimoine du jazz. Depuis toujours, il refuse le clivage entre
l’héritage de la musique classique et celui
des musiciens de jazz, réfutant l’esprit de chapelle qui voue les
uns aux conservatoires, les autres aux clubs dédiés. Cette
conviction, le pianiste la met en exergue dans ses concerts, avec une
fascination particulière pour la période baroque et l’art du
contrepoint de Jean-Sébastien Bach («Take Bach»). Pour la première
fois, sur ce disque judicieusement nommé Passerelle, il
fait intervenir un authentique orchestre à cordes,le
quatuor du Maine, pour qui il a écrit spécifiquement. A l’instar
de Jacques Loussier et de John Lewis, sa vocation de directeur musical naît sur les brisées
d’une formation classique, qui irrigue depuis lors sa musique de
riches alluvions. Là où ses enregistrements antérieurs proposaient
quelques explorations classiques épiçant une musique d’ores et
déjà fleurie, il met ici sur un même premier plan ses deux
courants d’influence majeurs, en refusant de les opposer ou de les
aborder tour à tour. Par souci de cohérence, il donne tout de même
un traitement jazz aux thèmes classiques égrenés, ce qui soustrait
les cordes à leur rôle d’accompagnement usuel pour leur donner
une fonction prééminente qui n’a guère d’antécédents en
jazz, en dehors des outrances sucrées de quelques crooners. Au
passage, le choix du «Second Mouvement de la Symphonie n°7» de
Beethoven ajoute une couleur plus romantique à la palette de
Philippe Duchemin, option qui se verra confirmée par une magnifique
relecture du «Prélude op 18» de César Franck, ouvrant le champ
d’expériences jusqu’aux abords de l’époque moderne. S’il
n’est pas aisé d’entrer dans le détail des orchestrations
proposées sur le disque, il est néanmoins clair que le propos
développé n’est nullement censé trancher le débat sur et autour
de la musique classique, telle qu’elle est susceptible ou non de
s’intégrer harmonieusement au vocabulaire musical du jazz
américain. Il n’en demeure pas moins qu’un souci de cohérence,
et donc de crédibilité, anime cette mosaïque de tons et
d’influences, preuve que la sincérité des artistes prime toujours
sur les discours théoriques lorsqu’il s’agit d’émouvoir le
mélomane. C’est peut-être d’ailleurs sur les thèmes de «Luisa»
et de «Valse Discrète», titres de couleur jazz inspirés de
l’écriture de compositeurs classiques, que le parti pris de
Philippe Duchemin trouve ses accents les plus convaincants, l’aspect
ludique propre aux différentes réexpositions des mélodies
s’inscrivant parfaitement dans l’univers de l’artiste. Des
standards jazz comme «Brazilian Like» ou «Blame It on My Youth»
se voient agrémentés de courtes séquences empruntées à la
musique populaire, comme pour désamorcer un esprit de sérieux
susceptible d’empeser le discours, et semant parfois le trouble
chez l’auditeur qui ne s’attend pas à ce qu’un mélisme aussi
prononcé émaille des classiques passés à la postérité. De ce
point de vue, et ce n’est pas là le moindre des paradoxes dont Passerelle est porteur, «When Johnny Comes Marching Home», avec ses harmonies
irlandaises et son parfum traditionaliste assumé, est sans doute une
des plus belles réussites de l’album, de même que le morceau
d’ouverture «Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux» dont
le classicisme enjoué est de nature à rallier tous les suffrages à
sa cause. Au-delà du caractère irréprochable de la prestation du
quatuor du Maine, la cohésion rythmique des frères Le Van à la
basse et à la batterie force l’admiration (voir notre compte-rendu
du concert au Jazz-Club Etoile du 30 mars dernier, Jazz
Hot n°679),
qui soutient l’ensemble des compositions d’une fougue et d’une
verve du meilleur aloi. Un disque conçu comme un magnum opus, avec
un son et une production des plus remarquables.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Macy Gray
Stripped
Annabelle, Sweet Baby, I Try, Slowly,
She Ain’t Right for You, First Time, Nothing Else Matters,
Redemption Song, The Heart, Lucy Macy Gray (voc), Russel Malone (g),
Wallace Roney (tp), Daryl Johns (b), Ari Hoenig (dm)
Enregistré les 7 et 8 avril 2016, New
York
Durée: 52’
Chesky Records JD
389 (Harmonia Mundi)
Les frères Chesky, fondateurs et
producteur du label Chesky Records, aiment utiliser des lieux à
l’acoustique particulière et ont choisi pour cet album celui du
Hirsch Center à Brooklyn qui sonne une peu comme une église.
L’album a été enregistré en deux jours autour, paraît-il, d’un
seul micro. Retour vers la simplicité pour Macy Gray, véritable
icône du rythm’n'blues, qui a connu une carrière en dent de scie.
Ici elle retourne aux racines du blues servies par un excellent
groupe de jazz. Cet album de la diva marque un réel tournant dans sa
carrière car elle échappe aux paillettes pour se draper de la
pureté d’une Billie Holiday à qui on l’avait comparé au début
de sa carrière. Dès l’introduction à la guitare de Russel
Malone, le ton est donné, il s’agit d’un album de blues, même
Russel sonne comme un bluesman électrique du delta. Le jeune Daryl
Johns fignole un tempo, véritable métronome en quatre temps et Ari
Hoenig, hyper épuré joue essentiellement des balais sur la caisse
claire. Climat installé, «Annabelle»
débute un album digne des grands labels de blues de Chess Records à
Alligator Record. La voix éraillée de Macy Gray s’envole sur fond
de solo de Russel Malone. «Sweet
Baby», tempo marqué par
les balais sur la caisse claire envoie la locomotive sur les rails,
Wallace Roney déboule avec sa trompette bouchée, contre voix et
solo, on ne s’est pas trompé on est tombé dans le blues. Macy
Gray reprend son plus grand succès qui l’a lancée, «I
Try», presque susurrée,
elle confesse ses turpitudes sur les lignes claires de Russel Malone
qui la pousse doucement à élever la voix. Comment ne pas succomber
à «Slowly»
(prononcer «slololy»),
qui, comme le dit son titre, pourrait devenir une danse langoureuse
de séduction de l’autre (bref mais superbe solo de Wallace Roney)?
Séduit, on le reste avec la totalité de l’album où elle reprend
«Nothing Else Matters»,
signé du groupe Metallica et une version très torturée et sublime
de «Redemption Song»
de Bob Marley. Justement un album de rédemption comme pour se laver
du show-biz, et montrait que son talent vient aussi de sa pureté
puisée dans le blues originel. Pureté aussi du son cristallin pour
un «First Time»
à écouter comme un hymne à l’amour. Enfin, «Heart»
nous touche droit au cœur, tandis qu «Lucy»
recherche un homme (comme dans tout bon blues ou souvent c’est
l’homme qui cherche une femme) avec encore de brèves insertions de
Wallace Roney, des cris dans le bayou. On ne peut que rappeler
l’excellence du groupe et cet expérience pourrait donner lieu à
une tournée qui serait exemplaire.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Thelonious Monk
Les Liaisons Dangereuses 1960
CD1: Rhythm-a-Ning*, Crepuscule With
Nellie*, Six in One (solo blues improvisation), Well, You Needn't,
Pannonica (solo), Pannonica (solo), Pannonica (quartet), Ba-Lue
Bolivar Ba-Lues-Are*, Light Blue, By and By (We'll Understand It
Better By and By) CD2: Rhythm-a-Ning*, Crepuscule With
Nellie*, Pannonica, Light Blue, Well, You Needn’t, Light Blue
(making of)
Thelonious Monk (p), Charlie Rouse
(ts), Barney Wilen (ts)*, Sam Jones (b), Art Taylor (dm)
Enregistré le 27 juillet 1959, New
York
Durée: 43' 35'' + 40' 04''
Sam/Saga 5 051083 118477 (Universal)
Le silence des artistes. On sait
Monk un Maître du silence, un de ceux dont le silence est le plus
bruyant, osons le paradoxe car il est utilisé avec virtuosité pour
découper le temps et donner à son discours musical des angles, un
relief, des formes et des hauteurs ou des profondeurs inattendues
autant que sombres et brillantes. Chez les grands musiciens de la
tradition afro-américaine, depuis avant même le jazz, c’est la
gestion du temps, de la respiration humaine qui donne au jazz ce
qu’il est par essence. Louis Armstrong l’a en quelque sorte
codifié, mais l’expression dans le blues et la musique religieuse
afro-américaine possède depuis sa naissance cette faculté spéciale
d’humaniser le temps et le rythme, au point que la respiration de
chaque musicien a permis que chacune de ses notes soit la sienne et
pas celle du voisin. Chez Monk, quel que soit le contexte et quelle
que soit la matière, chaque note est la sienne, en solo ou en
formation, sur ses compositions ou sur les standards, ce qui rend sa
musique identifiable même pour un néophyte.
Cet enregistrement,
réalisé à l’été 1959 au Nola Penthouse Studios, qui devint une
partie de la musique du film Les Liaisons dangereuses de Roger
Vadim (1960), l’autre étant due à Art Blakey et Duke Jordan
(Vadim s’est-il rendu compte de sa chance?), est inédit sur
disque, contrairement à celui de Blakey. Il est ressorti
«miraculeusement», selon le texte du livret (en anglais
uniquement), des archives de Marcel Romano, un activiste de longue
date du jazz (disparu en 2007), un autre ancien de l’équipe de Jazz Hot avec Alain Tercinet qui vient de s’éteindre,
l’auteur d’une partie des notes de livret (p. 6 à 12). A côté
de ces deux acteurs de cette production, on trouve également côté
américain, le bon Brian Priestley (un biographe de Charles Mingus)
et un certain Robin D. G. Kelley, universitaire et auteur de Thelonious Monk: The Life and Times of an American Original (Free Press, 2009), la biographie la plus intime écrite sur
Thelonious Monk, fondée sur les archives familiales en particulier.
La synthèse discographique est due à Daniel Richard et aurait
mérité de détailler les musiciens présents sur chaque thème,
même si ça s’entend. Cela dit, la musique est, comme
toujours avec Thelonious Monk, indispensable, d’autant que les
musiciens sont au sommet de leur expression. Le répertoire, détaillé
par Brian Priestley sur le livret, est dû à Monk, en dehors de «By
and By». On retient le rare «Six in One», un blues en solo de
Monk, un bonheur absolu; le reste de l’enregistrement est
magnifique et, comme il en a coutume, c’est sur un répertoire
complètement possédé, répété et rejoué sans cesse, que Monk
ajoute, enregistrement après enregistrement, une variante, par ci,
par là, sans jamais renoncer à la perfection d’une construction
qui relève autant de la composition que de l’exécution, et du
langage à proprement parler du pianiste qui ne fait qu’enrichir un
monde somme toute très bien défini.
Le silence du milieu. Reste le
côté déplaisant de la production, la loi du silence, de l’omerta
serait plus précis et adapté, celle du milieu du jazz en France,
qui malgré l’impossibilité de ne pas citer, de manière très
incomplète et partiale, Jazz Hot qui reste le fondement de
son information et de sa mémoire, et qui en dehors de se priver de
communiquer pour cette production avec les lecteurs de Jazz Hot,
bien que la mémoire en soit pour bonne partie dans Jazz Hot (toute l’année 1959 du n°142 au n°148, n°147 en particulier de Jazz Hot, pages 11 à 13), ne pense même pas à remercier Jazz Hot dans une liste pourtant sans fin, parfois surréaliste
quand on pense à Monk et à ceux qui sont remerciés. Il y avait
pourtant un ancien de Jazz Hot à l’origine de ces bandes,
un autre à l’écriture: aucune note d’Alain Tercinet (p.12) ne
fait référence à Jazz Hot, alors que son récit trouve
toute sa substance dans Jazz Hot, un comble de manque
d’élégance. Charles Delaunay, le producteur pour Swing du premier
disque de jazz en Europe de Thelonious Monk, en 1954 en solo, à
l’origine du Salon du jazz qui invita Monk pour la première fois
en France, il n’est même pas cité. Les quelques "amis" de Jazz
Hot, présents dans cette production, n’ont pas rompu l’omerta.
Triste…
Il est des silences qui disent que,
malgré un passé d’une incroyable richesse, la mémoire du jazz en
France n’a pas d’avenir car instrumentalisée sous des couches
d’intérêts de milieu, personnels. Elle est déjà cassée,
triturée, manipulée, réécrite pour les servir mais pas pour
servir le jazz et sa mémoire.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Christian Sands
Reach
Armando's Song, Song of the Rainbow
People, Pointing West*, Freefall*, ¡Óyeme!, Bud's Tune, Reaching
for the Sun, Use Me**, Gangstalude**°, Somewhere out There***
Christian Sands (p), Marcus Strickland
(ts, bcl)*, Gilad Heklselman (g)**, Yasushi Nakamura (b), Marcus
Baylor (dm), Christian Rivera (perc) + Christian McBride (b)°
Enregistré à New York, date non
précisée
Durée: 1h 05' 39''
Mack Avenue 1117 (www.mackavenue.com)
Christian Sands est un jeune pianiste
de haut niveau, il n’y a aucun doute. Il possède également toutes
les qualités pour être un excellent pianiste de jazz: blues, swing
et expression font partie de son bagage, c’est perceptible dès les
premières notes. Dans ce disque, qui laisse quelque peu sur sa faim
quand on perçoit autant de potentialités, il manque les qualités
de jugement artistique, la conscience de l’appartenance culturelle
au monde du jazz, pour le répertoire, le choix des musiciens et
l’état d’esprit général du disque, du moins si on veut faire
un disque de jazz. Il y a donc le meilleur et le moins bon, et son
producteur, Christian McBride, a sans doute une responsabilité dans
ces choix. On peut penser que c’est sans importance et que le
prochain disque sera meilleur. On peut aussi craindre que le schéma
se reproduise. Cela dit, le pianiste est exceptionnel et donne dans
ce disque d’excellents moments de jazz, souvent noyé dans une
rythmique rock, dans des atmosphères pop avec les échappées du
guitariste qui appartient à un autre univers. Dans l’ancien temps,
on parlait de «salade russe» pour ces mélanges inappropriés qui
dénote de la faute de goût. Les Russes n’ont donc pas
l’exclusivité.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Ben Van Den Dungen Quartet
2 Sessions
Mating Call, Hackensack, I'm a Bit
Disapointed in Your Attitude So Far, The Legend Returns, Stay on It,
Two Sessions 1, Situation on Easy Street, Prisoner of Love 2, The Sun
God of the Masai, Prisoner of Love 1
Ben Van Den Dungen (ts, ss), Miguel
Rodriguez (p), Marius Beets (b), Gijs Dijkhuizen (dm)
Enregistré en décembre 2016 et
janvier 2017, Zeist (Pays-Bas)
Durée: 47’ 49”
JWA Records 022017 (www.jwajazz.nl)
Voici un bon disque de jazz par une
formation néerlandaise peu connue en France mais qui ne manque pas
de qualités. C’est du jazz à n’en pas douter, avec un
répertoire d’originaux principalement, même s’il y a trois
compositions dues à Tadd Dameron, Thelonious Monk et Horace Silver.
Le leader a étudié sérieusement la musique dans les années 1980
au Conservatoire de La Haye et a aussi eu un long parcours dans la
musique latine où il a participé à plus d’une dizaine
d’enregistrements. Il a notamment côtoyé dans ce registre Paquito
Rivera et Michel Camilo, parmi beaucoup d’autres. Dans le jazz, il
a accompagné Cindy Blackman, Mal Waldron, Art Taylor, Woody Shaw,
Jimmy Knepper, Kirk Lightsey, Lester Bowie, Brian Lynch, Ralph
Peterson, Jim McNeely, et même si c’est à l’occasion de
tournées en Hollande, ce sont de bonnes références. Cet
enregistrement donne à entendre au ténor et au soprano un bon
saxophoniste, volubile (belle version en duo au ténor avec le
contrebassiste de «Prisoner of Love»), capable de développer de
belles atmosphères, au soprano en particulier, et bien entouré
d’excellents musiciens, l’élégant pianiste Miguel Rodriguez,
très brillant, et une bonne rythmique qui propulse la formation.
C’est un registre post bop, dans l’esprit des derniers Jazz
Messengers, très agréable à écouter, avec une énergie, un drive
qui méritent le détour: une musique qui swingue et, qui sans rien
réinventer du jazz, est tout à fait originale dans ses créations,
et dans l’esprit du jazz, sachant non seulement élaborer un beau
répertoire mais aussi lui donner vie.
Ce quartet en est
à son troisième album après Ciao
City et A
Night in the Club pour ce même
label JWA Records et, associé à Jarmo
Hoogendijk, en quintet, Ben
Van Den Dungen a déjà enregistré, Heart of the Matter, Speak Up et Run for Your Wife pour Timeless et Double Dutch pour EMI. Une excellente formation à découvrir, et pourquoi pas sur
nos scènes.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Elijah Rock
Gershwin for My Soul
S'Wonderful, Fascinating Rhythm, I
Can't Get Started, How Long Has This Been Going On?, Long Ago and Far
Away, Our Love Is Here to Stay, Shall We Dance, Gershwin for My Soul,
Tchaikovsky (and Other Russians), Love Walked In, I Got Plenty O'
Nuttin', Isn't It a Pity? Elijah Rock (voc), Kevin Toney (p,
arr), Jack Lesure (g), John B. Williams (b), Greg Paul (dm)
Enregistré à Los Angeles (Californie), date non
précisée
Durée: 50' 20''
Autoproduction (www.elijahrock.com)
Qualifié d’enregistrement «pop»
dans le répertoire informatique du disque par le producteur qui
n’est autre que l’auteur, on ne démentira pas. C’est une
preuve de lucidité. C’est une relecture propre, avec le support
d’une formation jazz par l’instrumentation, du répertoire
archiconnu des frères Gershwin. Il n’y a pas manière à
s’extasier, ni sur les versions, ni sur la voix, pas plus que
matière à dénigrer un travail professionnel bien fait mais sans
âme. C’est donc une sorte de disque de présentation comme il s’en
fait beaucoup, utile pour connaître, mais qui a peu à voir avec le
jazz, même si la forme et le répertoire peuvent faire illusion à
première lecture du livret.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Matt Kane & The Kansas City Generations Sextet
Acknowledgement
In Case You Missed It, Timeline, The
Burning Sand, ASR', And the Beauty of It All, Wheel Within a Wheel,
Midwestern Nights Dream, Jewel, Question and Answer Mate Kane (dm), Michael Schults (as),
Steve Lambert (ts), Hermon Mehari (tp), Andrew Oulette (p), Ben
Leifer (b)
Enregistré en août 2014, Kansas City
(Missouri)
Durée: 1h 04' 16''
Bounce-Step Records
(www.mattkanemusic.com)
Quand la nouvelle garde de Kansas City
rend hommage à ses mentors en reprenant quelques-unes de leurs
compositions, cela donne un disque tout à fait épatant. Sont ici à
l'honneur le saxophoniste ténor Ahmad Aladeen (disparu en 2010 et
qui fut compagnon de route de Billie Holiday, Ella Fitzgerald et Duke
Ellington), le guitariste Pat Metheny (adepte d'Ornette Coleman) et
le saxophoniste alto Bobby Watson (cheville ouvrière des Jazz
Messengers d'Art Blakey à la fin des années 70). Les arrangements (non crédités) sont
d'une grande qualité, respectant les thèmes originaux tout en leur
donnant un petit coup de neuf. Dans leurs interventions en solo, ces
tout jeunes musiciens (trentenaires, au plus) font preuve d'une
remarquable maîtrise de leur instrument et d'un sens de
l'improvisation et de l'échange dignes de vieux briscards. Musique
nourrie de la culture des traditions (mais sans nostalgie).
Résolument optimiste, brillante et ouverte vers l'avenir. Une
réussite.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Trombone Shorty
Parking Lot Symphony
Laveau
Dirge n°1, It Ain't no Use*, Parking Lot Symphony, Dirty Water, Here Come the
Girls, Tripped Out Slim, Familiar, No Good Time, Where It at?, Fanfare, Like a
Dog, Laveau Dirge Finale
Troy
Trombone Shorty Andrews (voc, tp, tb, tu), Dan Oestreicher, B.K. Jackson (ts,
bs), Pete Murano (g), Leo Nocentelli (g*), Tony Hall, Mike Bass-Bailey (b),
Joey Peebles (dm)
Date et lieu d’enregistrement non communiqués
Durée:
42' 47''
Blue
Note 0602557431148 (Universal)
Troy
Andrews alias Trombone Shorty (né en 1986) a déjà fait sous son nom, pour
Verve, les albums Backatown (2010), For True (2011), Say That to Say This
(2013). Il a attendu avril 2017 pour la sortie de ce nouvel opus, cette
fois chez Blue Note. La légende (publicitaire) dit que Troy Andrews a conçu cet
album seul chez lui (tp, tb, tu, key, org, Fender Rhodes, g, b, dm), puis
mit le projet de côté pendant un an. Nous avons là le résultat. Plusieurs
choses ne vont pas. Tout d'abord nous recevons un pré-disque à «usage
promotionnel» (or Jazz Hot ne s’occupe pas de promotion mais de publier des
chroniques qui respectent ses lecteurs!) sans aucune information: personnel,
date et lieu d'enregistrement ne sont pas indiqués. Depuis le travail de
pionnier de Charles Delaunay, la tradition (un gros mot aujourd'hui) est de
lister ces renseignements. J'ai donc cherché sur internet ce qui nous était dû,
par respect de notre travail (c'en est un). Bien sûr, «le monde a changé»!
Belle excuse pour justifier des troubles comportementaux qui sont la règle dans
le milieu de la pop et du business en général. Et bien évidemment ce produit à
but lucratif ne relève pas du monde du jazz, mais bien de la soul rythmiquement
binaire («Dirty Water»: bon solo de trompette) avec parfois des effets de
cordes («Parking Lot Symphony»). L'accent est mis sur le bon chanteur «soul»
que sait aussi être Trombone Shorty: «It Ain't No Use» des Meters (chœur
grandiloquent derrière l'excellent solo de trombone!), «Here Come The Girls»
d'Allen Toussaint (solo de trombone musclé). Va-t-on comprendre que ce n'est
pas parce que c'est rythmé que ça swingue (sinon les marches napoléoniennes et
les mazurkas sont du jazz)! Que ce soit jubilatoire, festif et que ça donne
envie de bouger, pas de doute, comme l'instrumental bien venu, «Tripped Out
Slim» où je pense que Troy Andrews joue en re-recording le tuba, trombone (bon
solo) et la trompette et crée une ambiance Dirty Dozen Brass Band. Le malheur,
c'est que la plage suivante, «Familiar», est de la "soupe" avec du chant "rappeux" et parfaitement anti-jazz. Drumming martelé, bien lourd dans «No Good
Time» qu'on nous annonce bluesy mais qui n'en a aucun élément expressif. Je
pense que les amateurs de Prince peuvent s'enthousiasmer, mais les jazzfans
devraient soutenir le travail trop négligé en comparaison, des Wendell
Brunious, Leroy Jones, Nicholas Payton, Leon Brown, Kevin Louis. Bien sûr, tous
les solos de Troy sont bons, surtout à la trompette qu'il sollicite hélas moins
que le trombone sur lequel il est pertinent mais sans finesse. Le motif
répétitif de «Where It At?» a tout pour agiter les jeunes filles dans des
salles surbondées. Les riffs de Troy sont bons, bien mis en place et sa musique
propose essentiellement ça («Fanfare», trop long et lassant). Le meilleur et le
plus dans la tradition néo-orléanaise est «Laveau Dirge n°1» dans lequel Troy
Andrews prêche bien à la trompette (s'inscrivant dans le meilleur créneau de
Wynton Marsalis). C'est du gâchis de talent par l'argent. Nous avons connu
Trombone Shorty portant bien son nom en 1994 lors d'une parade à New Orleans.
Puis, bien plus tard à Ascona en tant que remarquable trompettiste jazz (2007).
Et entre temps, en 2000 et en vidéo, il y a ce "contest" sur «Mahogany Hall
Stomp» entre lui (14 ans), Brandon Lee et Dominick Farinacci (tous deux 17 ans)
avec le Lincoln Center Jazz Orchestra, et il est scandaleux que l'on néglige
dans les milieux jazz les deux autres au profit de la pop star qu'est devenu
Trombone Shorty (cf. la chronique du Short Stories de Dominick Farinacci, Jazz
Hot n°677).
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Jazz at the Phiharmonic
Live in Paris. 1958-1960
Titres
détaillés dans le livret Roy
Eldridge, Joe Gordon, Dizzy Gillespie (tp), J.J. Johnson (tb), Sonny Stitt (as,
ts), Benny Carter (as), Leo Wright (as, fl), Don Byas, Coleman Hawkins, Richie
Kamuca, Stan Getz (ts), Lou Levy, Lalo Schifrin, Russ Freeman, Jan Johansson,
Vic Feldman (p), Herb Ellis (g), Max Bennett, Art Davis, Monty Budwig, Daniel
Jordan, Ray Brown, Sam Jones (b), Gus Johnson, Jo Jones, Shelly Manne, William
Schlöpffe, Louis Hayes, Chuck Lampkin (dm) Enregistré entre 30 avril 1958 et le 25 novembre 1960,
Paris Durée: 3h 40'
Frémeaux & Associés 5632 (Socadisc)
Ne revenons pas sur le concept JATP de Norman Granz qui
met en "compétition" des vedettes, souvent en mélangeant les tenants
du jazz mainstream et du bop. Pour l'anecdote, le 25 novembre 1960, Charles
Delaunay et Hugues Panassié étaient tous deux dans la salle. Tous ces titres
viennent de prestations données à l'Olympia. Parfois ces tournées proposaient
aussi des groupes réguliers comme, ici, ceux de Shelly Manne, de Stan Getz et
de Dizzy Gillespie en 1960. Le CD1 débute par «Idaho» dans la vraie tradition JATP
avec des vétérans en forme, Coleman Hawkins et un Roy Eldridge toujours prêt
aux exhibitions (1958). Suit la «Ballad Medley», principe cher au JATP où
chaque soliste y va de sa démonstration expressive. Elle est gigantesque avec
Coleman Hawkins dans «Indian Summer»! (les lignes de basse de Max Bennett sont
bien, la sobriété de Lou Levy et de Gus Johnson aux balais sont à louer). Sonny Stitt aborde «Autumn in New
York» en copiant trop Charlie Parker. Roy Eldridge suit pour un «The Man I
Love» gorgé d'émotion. Cette mouture aborde ensuite «The Walker», co-signé
Eldridge-Hawkins. C'est Hawkins qui ouvre le feu. Roy Eldridge qui suit,
est fatigué, mais il assure avec brio. Sonny Stitt est cette fois au ténor et
il ne manque pas d'inspiration. On enchaîne par la collection de vedettes du 25
novembre 1960 qui se lance dans «Take the A Train». Jo Jones y surclasse son
prédécesseur, Gus Johnson. Eldridge est le premier soliste. Du punch et des
aigus, c'est ce qu'on attend de lui. Suivent Hawkins (le patron), Benny Carter
(aérien), Don Byas, Jo Jones (Lalo Schifrin se contente d'un accompagnement
sobre). Deuxième «Ballad Medley» (sans Hawkins?). D'abord l'alto très chantant
de Benny Carter dans «The Nearness of You». La classe! Eldridge donne, avec la
sourdine harmon sans tube, une version sombre de «My Funny Valentine» qui ne
doit rien à Miles Davis et Chet Baker. Don Byas reprend le «I Remember
Clifford» de Golson qu'il jouait souvent à cette époque, avec cette sonorité
ample et chaude qui a tant influencé Guy Lafitte. Benny Carter revient pour
«Laura» et Roy Eldridge avec «Easy Living». Toute la troupe termine le plus
indispensable des trois CD par un long «Indiana» (17' 30'') qui offre un solo
anthologique de Jo Jones! Le CD2 propose deux groupes réguliers, celui de Shelly
Manne le 23 février 1960 (cinq titres) puis celui de Stan Getz le 21 novembre
1960 (six titres). Parmi les bonnes choses: les solos de Joe Gordon (tp avec
sourdine), Richie Kamuca (ts proche de Zoot Sims) avec l'excellent Shelly Manne
dans «Yesterdays», «Step Lightly» de Benny Golson. On comparera utilement cette
belle version d'«I Remember Clifford» par Stan Getz avec celle de Don Byas,
notamment pour le choix du tempo et l'emploi du vibrato. Le CD3 nous ramène pour trois morceaux au concert de
1958, mais cette fois avec Dizzy Gillespie et Stan Getz comme souffleurs (même
rythmique, cf. Supra). «Just You, Just Me» est exposé par Dizzy presqu'à la
façon Roy Eldridge, après l'intervention de Getz, il monte d'un cran le swingue
sur une rythmique qui carbure (son ample de Ray Brown). Alternative entre Gus
Johnson et Dizzy puis Getz à l'avantage du trompettiste plus dynamique.
L'équipe donne un «Bernie's Tune» tonique. Puis, on retourne au 25 novembre
1960 pour un «Blue'n Boogie» bien sûr ultra-vif de 11' 44'', tremplin pour J.J.
Johnson, Getz, Sam Jones et Gillespie, avant de terminer par la suite
Gillespiana par le quintet Dizzy Gillespie déjà réédité (LaserLight 36132) et
que nous avions chroniqué. Un
document estimable.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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New Orleans Roots of Soul
1941-1962
Titres
communiqués dans le livret
Champion
Jack Dupree, Rev. Utah Smith, Pr Longhair, Lonnie Johnson, Roy Brown, Dave
Bartholomew, Lloyd Price, Shirley & Lee, Frankie Lee Sims, Little Sonny
Jones, Sugar Boy, Paul Gayten, Guitar Slim, Lil' Millett, Louis Armstrong,
Mahalia Jackson, Fats Domino, Slim Harpo, Smiley Lewis, Clarence Frogman Henry,
Clifton Chenier, Larry Williams, Art Neville, Oscar Wills, Allen Toussaint,
Eddie Bo, Snooks Eaglin, Dr John, Earl King, Irma Thomas, Lee Dorsey, Chris
Kenner, Junco Partner, Reggie Hall, Benny Spellman, Alvin Robinson, Danny
White, Willie Tee, Johnny Adams
Enregistré
entre le 28 janvier 1941 et fin 1962, Chicago, New Orleans, Cincinnati, Los
Angeles, Dallas, Crowley
Durée:
3h 08' 24''
Frémeaux
& Associés 5633 (Socadisc)
Ne revenons pas sur Bruno Blum auteur du texte de
livret, nous avons déjà dit en d'autres occasions ce que nous pensions. Son
travail présente des inexactitudes. Ceux qui ne connaissent pas le rhythm'n blues
louisianais se renseigneront au mieux avec des ouvrages comme: Rhythm'n
Blues in New Orleans de John Broven (1988, Pelican Publishing Co), I
Hear You Knockin'. The Sound of New Orleans Rhythm'n Blues de Jeff Hannusch
(1985, Swallow Publicatons Inc), Up From The Cradle of Jazz. New Orleans
Music Since World War II de Jason Berry, Jonathan Foose et Tad Jones (1986,
University of Georgia Press). Ce coffret leur permettra d'illustrer des noms
restés chez nous peu connus comme Roy Brown, Guitar Slim, Frogman Henry, Earl
King, Snooks Eaglin, etc., aux côtés d'incontournables comme Louis Armstrong
(1955, «Mack the Knife»; 1961, «I'm Just a Lucky So and So»), Mahalia Jackson
(1956, «Just a Little While to Stay Here»), Lonnie Johnson (1949, «Blues Stay
Away From Me»; 1951, «Me and My Crazy Self»), Champion Jack Dupree (1941,
«Junker's Blues»), Clifton Chenier (1956, «Baby Please»; 1957, «My Soul»), Fats
Domino (1955, «Blue Monday») et Pr Longhair (1949, «Hey Little Girl»; 1950,
«Her Mind is Gone») sur lesquels il ne devrait pas être nécessaire de revenir.
De la fin des années 1940 au début des années 1960, c'était l'époque de
multiples petits labels (Specialty, Ace, Imperial, etc) et, derrière les
chanteurs, pour ceux enregistrés à New Orleans, une esthétique commune venant
du drumming spécifique des lieux (Earl Palmer, Leo Morris alias Idris Muhammad,
Charles Hungry Williams, Ed Blackwell, Cornelius Coleman, Bob French, Smokey
Johnson) et d'immuables requins de studio (Dave Bartholomew, Teddy Riley, Melvin
Lastie, tp, Joe Harris, as, Herb Hardesty, Clarence Hall, Lee Allen, David
Lastie, Plas Johnson, James Rivers, Robert Palmer, Nat Perilliat, Fred Kemp,
ts, Red Tyler, Clarence Ford, bs, Salvador Doucette, Lawrence Cotton, James
Booker, Allen Toussaint, Huey Smith, p, Harold Battiste, p-ts, Ernest McLean,
Justin Adams, Ervin Charles, Rene Hall, Roy Montrell, Edgar Blanchard, g, Frank
Fields, Lloyd Lambert, Chuck Badie, Richard Payne, b). Nous les retrouvons tous
ici, et ils méritent d'être nommés car plus que les chanteurs (au talent
inégal) ils font l'intérêt de ce coffret. Autre caractéristique: un phrasé
«lazy» (paresseux) sur des tempos jamais trop lents ou trop rapides. Néanmoins,
il suffit d'écouter pour se rendre compte qu'on passe du blues/swing à la chansonnette
des années 1960 (la «soul» et le «yéyé», c'est la même chose: CD3). L'un des
meilleurs chanteurs-guitaristes est ici Snooks Eaglin (1960, «That Certain
Door», «Nobody Knows», «C.C. Rider»). Parmi les bons moments néo-orléanais: la
guitare d'Earl King (1960, «Come On») et de Roy Montrell (1961, Eddie Bo, «Baby
I'm Wise»), les solos de Lee Allen (ts) (1954, Paul Gayten, «Down Boy»; 1957,
Art Neville, «The Dummy»; 1960, Mac Rebennack, «Sahara»-instrumental), de David
Lastie (ts) (1954, Sugar Boy Crawford, «What's Wrong»; 1961/2, Johnny Adams,
contre-chants, «A Losing Battle»), Dave Bartholomew (tp: 1954, Little Sonny
Jones, «Tend to Your Business Blues»), Herbert Hardesty (ts: 1952, Lloyd
Price, «Lawdy Miss Clawdy»), Melvin Lastie (cnt) et Red Tyler (bs) (1959, Allen
Toussaint: «Chico», instrumental), Plas Johnson (ts: 1957, «Slow Down»). Pour
les non louisianais, signalons les contre-chants de Wilbur Harden (tp: 1950
Roy Brown, «Hard Luck Blues») et Red Prysock (ts: 1951, Lonnie Johnson, «Me
and My Crazy Self»). Un bon résumé de musiques pas aussi homogènes qu'on
l'affirme, plaisantes et représentatives d'une époque.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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The New Orleans Jazz Vipers
Going! Going! Gone
One
O'Clock Jump, Going! Going! Gone, Please Don't Talk About Me, I Hope You're
Comin' Back to New Orleans*, Sugar, All That Meat & no Potatoes, I Can't
Believe You're in Love With Me, Keeping Out Mischief Now, Sugar Blues, Hummin'
to Myself, Someday Sweetheart, Darktown Strutters' Ball, Way Down Yonder in New
Orleans
Kevin
Louis (tp, cnt, voc), Craig Klein (tb, voc), Joe Braun (as, voc), Oliver Bonie
(bs), Molly Reeves (g, voc), Joshua Gouzy (b), Irma Thomas (voc)*
Enregistré à New Orleans, date non précisée
Durée: 54' 44''
Autoproduit (www.neworleansjazzvipers.com)
C'est le groupe qui a fait sensation au JazzAscona de
2016 (Earl Bonie, ts-cl, ex-Dukes of Dixieland remplaçait Joe Braun). En fait,
il s'agit d'un orchestre régulier (d'où la cohésion) fondé par Joe Braun dans
les rues du French Quarter. Depuis 2001, les Jazz Vipers se produisent au
Spotted Cat Music Club (avec l'interruption due à Katrina, le groupe étant à
San Francisco et Austin). Beaucoup de bons musiciens sont passés dans ce groupe
: Jack Fine, Charlie Fardella, Wendell Brunious, Steve Yokum, Matt Perrine. Le
style de l'orchestre n'est pas le jazz traditionnel genre George Lewis. C'est
un combo «jump» qui touche au répertoire de Count Basie, Fats Waller, etc. Le
swing est généré par une incroyable rythmique, très impressionnante en direct. Si
depuis ce disque récent, le son du groupe a changé, c'est dû à la présence de
Joe Braun qui a un style typé, genre Earl Bostic (et d'une moindre façon Capt
John Handy: «Someday Sweetheart» où sont bien mis en valeur Craig Klein avec
plunger et Oliver Bonie). Craig Klein, valeur sûre des Jazz Vipers, est en
vedette dans «Sugar» et «Sugar Blues» (bons solos aussi d'Oliver Bonie et
surtout de Kevin Louis). Egalement bon chanteur, Kevin Louis est en valeur dans
«Please Don't Talk» et «Darktown Strutters' Ball» (bon solo de Joshua Gouzy).
Molly Reeves, efficace guitariste rythmique digne de Danny Barker, est aussi
une chanteuse délicieuse dans «All The Meat & No Potatoes» et «Keeping Out
of Mischief Now». La fameuse
Irma Thomas apporte son concours à «I Hope You're Comin' Back to New Orleans». Bref,
ce disque, belle exception aux dérives de notre époque, est indispensable aux
amateurs de musique qui swingue...et aux danseurs!
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Ambrose Akinmusire
A Rift in Decorum. Live at the Village Vanguard
CD1: Maurice & Michael (Sorry I
Didn't Say Hello), Response, Moment in Between the Rest (To Curve An
Ache), Brooklyn (ODB), A Song to Exhale (Diver Song), Purple
(Intermezzo), Trumpet Sketch (Milky Pete) CD2: Taymoor's World, First Page
(Shabnam's Poem), H.A.M.S. (In the Spirit of Honesty), Ambrose
Akinmusire, Piano Sketch (Sam Intro), Piano Sketch (Beyond
Enclosure), Condor (Harish Intro), Condor, Withered, Umteyo
Ambrose Akinmusire (tp), Sam Harris
(p), Harish Raghavan (b), Justin Brown (dm)
Enregistré en janvier 2017, New York
Durée: 1h 40' 40''
Blue Note 0602557649703 (Universal)
Pour son quatrième album à la tête
de son quartet, quasi identique depuis plusieurs années, (le dixième
en leader et coleader), Ambrose Akinmusire, emprunte la voie des
géants. A la suite de John Coltrane ou de Sonny Rollins qui l’ont
précédé au Village Vanguard pour graver un album live, il marquera
avec A Rift in Decorum: Live at the Village Vanguard la vaste
discographie enregistrée dans ce temple du jazz au Greenwich Village
de New York. Il signe la totalité des compositions qui excellent
dans cet écrin. Tel un équilibriste, il nous délivre un message
sur le fil du rasoir. Nulle esbroufe, mais une authenticité qui dès
le premier titre «Maurice & Michael (Sorry I Didn't Say Hello)»,
nous plonge dans son univers introspectif. Le public attentif suit
cette soirée ou chaque musicien est parfaitement à sa place. Depuis
sa victoire, en 2007 à la Thelonious Monk International Jazz
Competition, il s’est affirmé comme l’un des jeunes
trompettistes à suivre et prouve depuis son originalité. Sa musique
est suffisamment riche pour nourrir ce long enregistrement sans faire
appel aux standards; de même, tout en restant fidèle à l'héritage
du swing et du bebop, elle exprime son originalité, avec un grand
lyrisme. Ambrose décortique à souhait des thèmes maintes fois
travaillés pour en extraire l’essence même et utilise au mieux
une rythmique complètement dévouée à sa grâce. Nul besoin de
décrire chaque titre, il suffit de s’y plonger pour mieux les
savourer. A noter «Trumpet Sketch (Milky Pete)» voyage de 14
minutes dont la longue introduction en solo, dans la lignée d’un
Don Cherry, transgresse les rives de la musique improvisée suivi par
un Sam Harris (p) plus qu’inspiré, piano enluminé par un Justin
Brown (dm) toujours aussi inventif, qui s’engouffre dans un
dialogue trompette/batterie décapant. Un album comme une longue
narration qui ne cesse de chevaucher une mer déchaînée qui ne
connaît dans sa première partie que peu d’accalmies apaisantes.
Le second CD, plus serein, s’ouvre sur «Taymoor's World», comme
un éclairci après la bataille qui bien vite nous amène à partager
une table du fameux club, où l’on regrette de n’avoir pu être
dans le public pour participer à la claque. Dans une transe
incantatoire le groupe nous amène aux portes d’un véritable jazz
où le respect des aînés est évoqué, revu et transposé dans une
Amérique actuelle. Agé de 35 ans, Ambrose Akinmusire, sera un des
trompettistes incontournables de ce début de siècle, si l'industrie
du showbiz ne lui met pas le grappin dessus. Il est, pour le moment,
d'une irréprochable intégrité.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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John Scofield
Country for Old Men
Mr Fool,
I’m So Lonesome I Could Cry, Bartender Blues, Wildwood Flower, Wayfaring
Stranger, Mama Tried, Jolene, Faded Love, Just a Girl I Use to Know, Red River
Valley, You’re Still the One, I’m an Old Cowhand.
John
Scofield (g), Larry Goldings (p, org, key), Steve Swallow (b), Bill Stewart (dm)
Date et lieu d'enregistrement non communiqués
Durée: 1h 05' 37''
Impulse! 0602557088106
(Universal)
Avec plus de trente albums à son actif, John Scofield se doit d’avoir de nouvelles
idées pour propager le son feutré de sa guitare Ibanez à ses admirateurs. En
optant pour le style country, le guitariste de Dayton (Ohio) choisit un parti pris subtil. Lui qui sait si
bien mêler les sons planants aux sonorités groovy et funky aurait peut-être dû choisir un autre
répertoire. Mais «Sco» possède sa griffe, reconnaissable et dès qu’il touche
son instrument («Wildwoof Flower»). Pour asseoir son propos, il est accompagné
de partenaires fidèles: Steve Swallow,
Larry Goldings et Bill Stewart. Si les chants traditionnels sont au menu («Wayfaring Stranger»), John
Scofield intègre des reprises d’artistes
comme James Taylor («Bartender’s Blues») ou Dolly Parton («Jolene») pour donner
un aspect plus moderne à des thèmes issus de la tradition. La guitare de Mister
Sco se fait toujours aussi virevoltante et lorsque Larry Goldings passe au
piano cela donne un ensemble d’une qualité supérieure. Les échanges entre les
artistes renvoient très bien à l’idiome jazz et on se délecte à écouter les
dialogues entre guitare, orgue et basse («Faded Love»). La sonorité particulière
de la six-cordes se laisse encore
apprécier sur «Red River Valley», un traditionnel, transfigurait par les trois
artistes qui conserve sa saveur d’antan. «You’re Still the One» permet au
guitariste de poursuivre sa quête de sonorités secrètes sur des thèmes
classiques. L’album se termine avec «I’m a Old Cowhand» de Johnny Mercer, un
joli clin d’œil qui renvoie au titre de cet album, où l’ancien n’est pas forcément d’actualité.
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Dave Stryker
Messin' With Mister T
La Place Streeet, Pieces of
Dreams, Don’t Mess With Mister T, In a Sentimental Mood, Impressions,
Gibraltar, Salt Song, Sugar, Side Steppin’, Let It Go
Dave Stryker (g), Jared Gold (org), McClenty Hunter (dm),
Mayra Casales (perc) + Houston Person, Mike Lee, Don Braden, Jimmy Heath, Chris
Potter, Bob Mintzer, Eric Alexander, Javon Jackson, Steve Slagle, Tivon
Pennicott (s)
Date et lieu d'enregistrement non précisés
Durée: 1h 10' 27''
Strikezone 8812 (www.davestryker.com)
Dave Stryker
Eight Track II
Harvest for the World, What’s Going On, Trouble Man,
Midnight Cowboy, When Doves Cry, Send One Your Love, I Can’t Get Next to You,
Time of the Season, Signed-Sealed-I’m Delivered I’m Yours, One Hundred Ways,
Sunshine of Your Love
Dave Stryker (g), Steve Nelson (vib), Jared Gold (org),
McClenty Hunter (dm)
Date et lieu d'enregistrement non précisés
Durée: 1h 05' 50''
Strikezone 8814 (www.davestryker.com)
The Stryker/Slagle Band Expanded
Routes
City of Angels, Nothin’
Wrong with It, Self-Portrait in Three Colors, Routes, Ft. Greene Scene, Great
Plains, Extensity, Gardena, Lickety Split Lounge
Dave Stryker (g), Steve Slagle (as), John Clark (frh), Billy
Drewes (ts, bcl), Clark Gayton (tb, tu), Bill O’Connell (p, ep), Gerald Cannon
(b), McClenty Hunter (dm)
Enregistré les 14 et 15 décembre 2015, Paramus (New
Jersey)
Durée: 59' 17''
Strikezone 8813 (www.davestryker.com)
Voici livrées les dernières
productions de Dave Stryker, le guitariste d’Omaha (Nebraska). Trois nouvelles
galettes et trois thématiques bien distinctes pour mettre en avant son phrasé
feutré. Messin’ With Mister T célèbre, comme le sous-titre le
laisse entendre, les années du guitariste aux côtés de Stanley Turrentine. Le
matériau choisi pour mettre en avant les pièces et compositions favorites de
son ex-leader renvoie au temps béni où le jazz avait encore facilement droit de
citer dans les médias. Plus fort encore, il bénéficie pour l’occasion de la
présence de quelques-uns des meilleurs saxophonistes de la galaxie jazz:
Houston Person, Jimmy Heath, Eric Alexander, Bob Mintzer, Chris Potter et Steve
Slagle, le fidèle partenaire du guitariste. L’album s’ouvre avec «La Place Street»
de Stanley Turrentine avec Houston personne au saxophone. Le tempo est bien chaud avec les
interventions de Jared Gold (org) et les
coups de boutoir de McClenty Hunter sur les peaux. «Let It Go» avec Tivon
Pennicott (s) met en lumière les jolis
déboulés de la guitare de Stryker et la voix mélodieuse de l’instrument du
partenaire de Kenny Burrell en 2008. L’éternel «Sugar» se fait plus mielleux
avec Javon Jackson dans le rôle de Mister T. le tout bien emmené par un jeu
soyeux de l’organiste. Après le sucré, Eric Alexander fait entendre sa sonorité
si spécifique sur une pièce plus salée («Salt Song»), tandis que le guitariste
fait apprécier sa technique pour délivrer des notes d’une pure beauté. En fin connaisseur de Turrentine, le leader
présente «Impressions», de John
Coltrane. Un morceau gravé pour la première fois par son mentor sur Sugar avec Chris Potter aux anches. Bien
sûr, «Don’t Mess with Mister T.» de Marvin Gaye est présent sur l’une des
plages du CD pour retrouver les bienfaits de ce que délivrait le saxophoniste de Pittsburgh en son temps.
Pour Eight Track II Stryker puise dans un répertoire plus ouvert pour
mettre en lumière les artistes vedettes de la Motown comme Marvin Gaye, Stevie
Wonder ou les Temptations, mais aussi des rockers comme le Cream d’Eric Clapton
ou les Isley Brothers. La présence du vibraphone de Steve Nelson aux côtés de
Jared Gold (org) et McClenty Hunter (dm) constitue le fil conducteur de cet album. Cette expression
du guitariste renvoie aux sessions et autres concerts aux côtés de Brother Jack Mc Duff. Certains moments de Eight Tracks nous plongent dans l’’atmosphère si particulière de la
fin des années soixante avec les oeuvres de Grant Green et tout
particulièrement «Trouble Man». Une résurrection qui fait plaisir à attendre,
preuve que Stryker connaît bien ce langage et sait adapter, comme ses
prédécesseurs, Wes, George, Kenny et Pat, les morceaux pop dans un langage jazz
gorgé de blues. Petit clin d’œil au british blues avec une adaptation
hautement énergique du «Sunshine of Your
Love» de Cream et le savoureux «Time of the Season» du groupe The Zombies. Enfin, le Prince de Minneapolis fait aussi
partie de la revue avec l’emballante adaptation de «When Dove Cries» où l’orgue
de Jared convole en juste noces avec les notes feutrées de Stryker.
Avec Routes, le guitariste partage le leadership avec Steve Slagle dans
un format plus évolué pour certaines compositions. Au duo, augmenté de McClenty Hunter, le batteur habituel de
Stryker, et Gerald Cannon (b) s’agrègent Jackson Clark (frh), Billy Drewes (ts,
bcl) Clark Gayton (tb) et Bill O’Connell (p). Ainsi sur «Nothin’ Wrong with It»
c’est un septet qui s’exprime pour exposer la facette de compositeur du
guitariste et son compère saxophoniste. Dans une ambiance plus pesante, la
formation développe les idées du duo avec de beaux entrelacs entre la guitare
et les soufflants. Des instants de
suspension sont offerts par la guitare du leader qui met en lumière le
background de la flûte de son partenaire, et les interventions de Clark Gayton
au tuba («Great Plains») pour une pièce de grande qualité. «Self-Portrait in
Three Colors», de Charlie Mingus situe
totalement l’état d’esprit haut de gamme dans lequel évolue ce Routes.Entre swing et conception plus contemporaine, la formation assume sa
tâche de transmettre la tradition avec succès («Extensity»). Sur «Lickety Split Lounge», le guitariste
reprend la main pour asséner ses notes acérées. Ces trois albums permettent
pour ceux qui ne le connaissent pas encore de découvrir un guitariste référent
de la scène jazz actuelle, qui a fait ses classes auprès des plus grands, et
transmet son expérience en apportant sa touche personnelle pour que l’idiome
poursuive son développement dans l’univers de la musique.
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°680, été 2017
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BLM Quartet
Me'n You
Me'n
You, A Kiss to Build a Dream On, Between the Devil and the Deep Blue Sea, East
of the Sun, There Will Never Be Another You, Rockville, Blockrock, Tenderly,
Wrap Your Troubles in Dreams, New Concerto for Cootie, 9:20 Special,
Ooh-Ah-Dee-Dee, Stolen Swing
Dominique Burucoa (tp, flh, voc), Atnaud Labastie (org),
Emmanuel de Montalembert (g), Antoine Gastinel (dm)
Enregistré les 25 et 26 février 2016, Ustaritz (64)
Durée: 58' 26''
Jazz aux Remparts 64025 (www.jazzauxremparts.com)
Dominique Burucoa est bien connu, notamment comme
directeur du festival, Jazz aux Remparts, dont la disparition fit le désespoir
des jazzfans avertis. Il est tout à fait qualifié pour affirmer dans le texte
d'accompagnement: «le swing comme vertu cardinale du jazz »! Et c'est le choix
esthétique de ce quartet ainsi que le démontre d'emblée, «Me'n You» du
tromboniste Eli Robinson qui ouvre le programme (solos bien menés d'orgue,
trompette avec plunger et guitare). Bel hommage au maître Louis Armstrong (sans
caricature!) dans une version simple et efficace de «A Kiss to Build a Dream On
» bien chanté et joué avec autorité par Dominique Burucoa. Antoine Gastinel amène un swinguant «Between
the Devil and the Deep Blue Sea». C'est le premier disque d'Arnaud
Labastie à l'orgue et il en joue avec une maîtrise et swing enthousiasmants.
Dans «Stolen Swing», il évoque Milt Buckner auquel il rend un hommage explicite
dans «Ooh-Ah-Dee-Dee». Les improvisations d'Emmanuel de Montalembert ont la
sobriété d'un Billy Butler, c'est si rare aujourd'hui («Rockville», thème-riff
de Johnny Hodges). Il amène bien «East of the Sun» exposé avec feeling par
Dominique Burucoa au bugle. Guitare et orgue sont parfaits derrière la
trompette avec sourdine dans «There Will Never Be Another You». Les tempos sont
parfaits pour le swing («Blockrock» de Cootie Williams, «Wrap Your Troubles in
Dreams», «9:20 Special»). Bref, un moment plaisant dans un contexte
désespérant.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Jazz de Pique
Le Retour
Father
Steps In, Moten Swing, Chocolate, Rhapsody in Courbevoie, Sweet Georgia Brown,
Flying Home, Blue Spleen, Feet in the Fuel, One O'Clock Jump, Stompin' at the
Savoy, 9:20 Special, Undecided, Boot It!, Blop-Blop, J'irai cracher sur vos
trompes
Jacques Hannequand, Daniel Thorel, Laurent Verdeaux,
Christian Camous, Jean-Louis Hannequand, Gilles Millerot (tp), Georges Batut
(tb, vib), François Février, Guy Figlionlos, Alain Cuttat, Didier Baniel (tb),
Gilbert Rousselin, Roger Petit (as), Michel Méresse (as, ts), François Jouvin
(ts, cl), Michel Bourgeois, André Villéger (ts), Jean Picard (bs, cl), Jean
Rotman (p), Gérard Rakowski (g), Jean-Pierre Simondin (b), Claude-Alain du
Parquet (dm), invité : Benny Waters (ts, as, cl)
Enregistré entre fin décembre 1972 et le 4 mai 1985,
Courbevoie (92), Paris
Durée:
1h 03' 49''
Fenesoa
06 (jean.rotman@wanadoo.fr)
A une époque où rares sont les jazz fans qui se
préoccupent encore de Bennie Moten, Erskine Hawkins, Jimmie Lunceford ou même
de Fletcher Henderson, voici un disque du Jazz de Pique, un big band amateur
dirigé par le pianiste et futur médecin homéopathe Jean Rotman, également
responsable de la majorité des arrangements. Ce disque vaut surtout pour les
titres 10 à 14 dont la vedette est Benny Waters, surtout au ténor (excellent
dans «Stompin' at the Savoy»), mais aussi à l'alto (« 9:20 Special»,
arrangement d'Earle Warren, avec de bonnes parties d'ensembles bien jouées) et
à la clarinette («Undecided», Waters y est en grande forme; bon solo de
Rotman). Le dernier titre, montre qu'après dix ans ces musiciens ont plus de
métier: il y a des nuances, la section de trombones mise en vedette sonne bien,
bon solo de trombone (la trompette wa-wa est de Laurent Verdeaux). En effet les
9 premiers titres qui sont la réédition du Moten Swing, Pragmaphone LP 8,
trahissent un niveau de débutants, surtout dans les ensembles et sur tempos
vifs (certains de ces musiciens joueront ensuite dans le big band Roger Guérin,
comme Jean Picard). Le livret nous indique que «certains savaient improviser,
d'autres pas», ce qui est la règle en big band et ne gêne pas, mais aussi que
«Certains jouaient d'oreille, d'autres étaient d'excellents lecteurs», ce qui
ne garantit pas le meilleur résultat en grande formation. Deux morceaux, en tempo
lent, sortent du lot d'un point de vue collectif: «Rhapsody in Courbevoie» et
«Blue Spleen» (beau thème, bon solo de trombone). Ici et là, il y a de bons
solos de trompette, de vibraphone et deux solos d'un jeune André Villéger déjà
plus que prometteur («Flyin' Home», «Feet in the Fuel»). Un disque sympathique
qui illustre l'attachement à la tradition swing d'une partie des musiciens
français en cette première moitié des années 1970.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Oracasse
La Barque du rêve
Whoopin'
Blues, Tremé Song, La Grève barré moin, Indiana...Lee, La Rue Zabyme, Old
Rugged Cross, Close Your Eyes, Do What Ory Say, Linger Awhile, Parfum des îles,
La Barque du rêve, It Ain't My Fault
Guy
Bodet (tp, cnt, flh), Emmanuel Pelletier (ss, ts, fl, voc), Thierry Bouyer
(bjo, g, tp, voc), Xavier Aubret (tu, b, voc), Gabor Turi (dm, perc, voc)
Enregistré les 6 et 7 septembre 2016, Chabournay (86)
Durée: 59' 15''
Autoproduction (aubret@oleo-production.com)
Voici un groupe dit de «jazz traditionnel» qui ne peut
que donner de la joie dans les animations notamment festivalières. Le meilleur
soliste est Guy Bodet, dit Mimile, trompettiste titulaire dans l'orchestre
Claude Bolling. Un bon exemple de sa maîtrise instrumental se trouve dans
«Indiana» avec sa déclinaison bop dans la coda. Dans «Whoopin' Blues» Guy Bodet
mène avec décontraction et offre un solo bien mené. Il est également à son
avantage dans «Do What Ory Say» et surtout «Linger Awhile». «Tremé Song» de
John Boutté et «It Ain't My Fault» sentent bon le New Orleans d'aujourd'hui
(nous préférons Emmanuel Pelletier au ténor, comme dans «Close Your Eyes»). Il
y a d'autres thèmes connus de la Cité du Croissant mélangés à des morceaux
exotiques moins enthousiasmants pour les jazzfans (mais «Parfum des îles» avec
bugle et flûte est bien plaisant: écoutez le solo de Guy Bodet!). Un spiritual
rendu célèbre par le clarinettiste George Lewis est ici joué en trio (ss, bj,
b) de façon sensible. Une "galette" qu'on s'arrachera au détours d'une prestation!
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Wadada Leo Smith
America's National Parks
CD1:
America’s National Parks USA 1718, Eileen Jackson Southern 1920-2002: A
Literary Park, Yellowstone: The First National Park and the Spirit of
America–The Mountains, Super-Volcano Caldera and Its Ecosystem 1872
CD2:
The Mississippi Rivers Dark and Deep Dreams Flow the River–A National Memorial
Park c. 5000 BC, Sequoia/Kings Canyon National Parks: The Giant Forest, Great
Canyon, Cliffs Peaks, Waterfalls ans Cave Systems 1890, Yosemites: The
Glaciers, the Falls, the Wells and the Valley of Goodwill 1890
Wadada
Leo Smith (tp), Anthony Davis (p), Ashley Walters (cello), John Lindbergh (b),
Pheeroan Ak Laff (dm)
Enregistré le 5 mai 2016, New Haven (Connecticut)
Durée:
1h 38’ 05’’
Cuneiform
Records 430/431 (www.cuneiformrecords.com)
Wadada Leo Smith et son Golden Quintet nous invitent à
une traversée des grands parcs américains dans une célébration de la nature
encore conservée et à protéger. Les six longs mouvements parfaitement exécutés
nécessitent une attention particulière car Wadada inscrit sa musique dans la
lignée de la musique afro-américaine libertaire. Un mariage précis entre
écriture et improvisation. Wadada a terminé de composer ce répertoire et l’a
enregistré avant de célébrer ses 75 ans (décembre 2016). Les vingt-huit pages
du répertoire de America’s National Parks ont été conçu pour son ensemble le
Golden Quintet, une fraiche extension du quartet qu’il a dirigé durant 16 ans.
L’idée lui est venue pour deux raisons, de par son propre intérêt pour la
nature depuis des années, en particulier pour le Park de Yellowstone et de la
série documentaire, The National Parks: America ‘s Best Idea, d’une durée de
douze heures signée par le réalisateur Ken Burn. Les dialogues particuliers
trompette et violoncelle donnent une coloration surprenantes et déconcertantes.
Anthony Davis, John Lindbergh et Pheeroan Ak Laff apportent leur
complémentarité à ce vaste projet ambitieux qui s’inscrit dans une riche mais
difficile écoute. L’auditeur doit se plonger dans ce nouveau monde où l’homme
n’a pas encore tout détruit. La disparition des scènes européennes (à part
quelques exceptions) de vétérans comme Wadada Leo Smith nous a presque fait
oublier la richesse et la diversité de ce type de musique.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Mourad Benhammou Jazzworkers Quintet
Vol. 3. March of the Siamese Children
Nommo1,
March of the Siamese Children, Indian Song, Till all Ends, Zielona Herbata
"Green Tea", Home Is Africa, No Land’s Man, 7th Ave Bill,
Zanzibar, Autum Melodie, Ballad Medley (Haupe, Nirvana, Malice Toward None),
Cellar Groove, Nommo 2, Dave’s Chant*
Mourad
Benhammou (dm), David Sauzay (ts, fl) Fabien Mary (tp), Pierre Christophe (p),
Fabien Marcoz (b), Tom McClung (p)*, Matyas Szandal (b)*
Enregistré
le 1er octobre et le 15 novembre 2015, Le Pré-Saint-Gervais (93)
Durée:
1h 01’
Black
& Blue 813.2 (Socadisc)
Mourad Benhammou dirige ses Jazz Workers depuis une
douzaine d’année et la cohésion du groupe s’entend immédiatement. Le livret
nous rappelle le parcours du batteur «En vrai passionné de l’histoire du jazz
et de la batterie musicien, érudit et collectionneur il réside à New-York en
2004 où il mène une série d’entretien avec des batteurs légendaires de la scène
bop. Il y rencontre Louis Hayes, Grassella Oliphant et surtout Walter Perkins,
qui deviendra son mentor». C'est à son retour en France, qu'il décide de former
son propre groupe dont voici le troisième opus. Dès l’introduction, le ton est
donné par le premier titre «Nommo1» qui, en quarante-huit secondes, annonce la
couleur, entre respect de la tradition et arrangements modernisés. En fin
connaisseur, il choisit le répertoire (à part «Zielona Herbata "Green
Tea"» et «Zanzibar» signés de sa main et «Autum Melodie» de Fabien Mary)
dans des compositions assez rarement interprétées aujourd’hui en public et peu
enregistrées. Le titre éponyme de l’album est tiré de la comédie musicale Le
Roi est moi, grand succès de Broadway adapté à l’écran avec Yul Brunner en roi
du Siam et Deborah Kerr en maîtresse d’école. Son traitement plus qu’original
décape les oreilles et David Sauzay, ici à la flûte, se révèle un maître tel le
génie de la lampe. Toutes les arrangements et les interventions des solistes
sont soignés et à propos et font de cet album un plaisir continue. Certains
titres évoquent des contrées lointaines entre l’Afrique et l’Orient, Mourad
Benhammou en tant que compositeur nous invite dans son voyage sur les terres
découvertes par Art Blakey mais en proposant sa propre piste. Il ne pouvait
oublier son maître et sa version de «No Land’s Man» de Walter Perkins nous
conduit tout naturellement dans la nuit new-yorkaise. L’intro au piano du
«Medley» sur «Haupe» de Duke Ellington, extrait de la bande du film Anatomie
d’un Meutre, atteste du talent de Pierre Christophe comme de celui des autres
musiciens. On s'étonne dès lors du mépris des programmateurs pour ce type de
jazz... «Dave’s Chant», enregistré lors d’une autre séance avec le regretté Tom
McClung et Matyas Szandal, prouve de nouveau que le drive de Mourad Benhammou
sait se mettre à merveille au service d’autres musiciens.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Bill Mobley
Hittin' Home
The Very
Thought of You, Walkin', Hittin' Home, My Romance, Jewel, Milestones, Lil' Red,
Apex, Peace, Scene on Seine, Waltzin' Westlard
Bill
Mobley (tp), Steve Neslon (vib), Russell Malone (g), Kenny Barron, Heather Bennet (p), Essiet
Okon Essiet, Phil Palombi (b), Clint Mobley (perc),
Kevin Norton (marimba)
Enregistré durant l’été 2016, New York et New Jersey
Durée: 57' 10''
Space
Time Records 1642 (Socadisc)
Pour célébrer en 2016, l’année de ses 20 ans d’existence,
le label Space Time Record a sorti un nouvel enregistrement du trompettiste
Bill Mobley, pilier du label avec le pianiste Donald Brown. A 63 ans, Bill
Mobley a tout prouvé et, sans être devenu une star du jazz, il en est l’un des
plus honnêtes artisans. Pas d’artifice de studio, les enregistrements ont été
faits en une ou deux prises et le tout en direct. On remarquera l’absence de
batteur, choix original qui confère à l’ensemble de l’album une sonorité et un
espace particuliers. A part «Scene on Seine» où Clint Mobley joue des
percussions et «Apex» dans lequel Bill dialogue avec le marimba de Kevin
Norton, la rythmique repose sur le tempo du contrebassiste. Seul «Hittin’Home»
est signé par Bill Mobley, la majorité des compositions sont signées de Miles
Davis, Bobby Watson, des pianistes; Mulgrew Miller, Horace Silver, Harold
Mabern sans oublier des standards de Ray Noble, Rogers & Hart et même un
titre du producteur Xavier Felgeyrolles. L’album est donc plus une suite de
dialogues en duo, soutenus par la basse, que celui d’un groupe. La cohésion du
répertoire et la richesse des échanges épurés en font un album au plus grand
charme, sobre et élégant à écouter tranquille au coin du feu où dans sa
cuisine, seul ou en bonne compagnie. Si tous les thèmes sont magnifiquement
interprétés, un sommet est atteint avec «Peace» où le dialogue devient un
échange à trois avec Bill, Russel Malone et Essiet Okon Essiet qui surélèvent
l’acuité du propos. Au fil du temps, ce petit label français a su prouver sa
ligne remarquable et la grande qualité artistique de ses productions. Bon anniversaire.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Dave Holland / Chris Potter
Aziza
Aziza
Dance, Summer 15, Walkin’ the Walk, Aquila, Blue Surf, Fibding the Light,
Friends, Sleepless Night
Dave
Holland (b), Chris Potter (ts, ss), Lionel Loueke (g), Eric Harland (dm)
Enregistré les 7 et 8 octobre 2015, New-York
Durée:
1h 09'
Dare2
Records 009 (www.daveholland.com)
Dave Holland retrouve ici des musiciens ayant déjà
gravité autour de lui, à l'exception de Lionel Loueke. Ce quartet est ainsi une sorte de «all stars»
où les signatures des compositions sont réparties à part égale. Agé de 70 ans,
Dave Holland, toujours fringant, dirige ses propres formations depuis plus de
quarante-cinq ans et il y a vu défiler du beau monde, de Sam Rivers à Steve
Coleman, en passant par Chris Potter qui a gagné ses galons pour apparaître en
coleader du quartet. Si tous les titres, aux thèmes, rythmes, et sons fort
variés, valent le détour, on retiendra «Summer 15» (Chris Potter) où
l’introduction au sax soprano va à l’encontre de la guitare (africaine puis
jazz) de Lionel Loueke; le tout magnifiquement drivé par la caisse claire
d’Eric Harland; tandis que le ténor revient, tel un calypso de Rollins et Dave
Holland marque le tempo en faisant danser ses cordes. Complètement dans
l’actualité d’un jazz sans cesse en renouveau, même si le groupe flirte avec la
fusion, il nous délivre une musique sereine, imaginative où la grande valeur de
chaque soliste en fait un des groupes actuels quasi permanents des plus
construits. Preuve à l’appui par la qualité de leurs concerts donnés lors de
leur tournée européenne d’octobre 2016.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Grégory Privat Trio
Family Tree
Le
Bonheur, Riddim, Family Tree, Zig Zagriven, Le Parfum, Sizé, Filao, Ladja,
Seducing The Sun, Happy Invasion, La Maga, Galactica
Grégory
Privat (p), Linley Marthe (b), Tito Bertholo (dm)
Enregistré du 24 au 26 janvier 2016, Pompignan (82)
Durée:
1h 12' 46''
ACT
9834-2 (Harmonia Mundi)
Pour son quatrième album, le premier en trio, Grégory
Privat a décidé de replonger dans ses racines, la Martinique, mais aussi la
Guadeloupe et l’héritage de la musique créole. Digne fils de son père (José
Privat pianiste du groupe Malavoi), il s’est forgé, depuis une dizaine
d’années, une solide réputation auprès de Jacques Schwarz-Bart, Stéphane
Belmondo, Guillaume Perret ou Sonny Troupé (son partenaire habituel). Cet Arbre généalogique (en français) réunit ainsi toutes les branches qui ont pu
se greffer à la musique d’origine pour produire de nouveaux fruits aux goûts et
parfums savoureux. Grégory Privat puise
son inspiration dans la mémoire des rythmes traditionnels afro-caribéens, bèlè,
gwoka qui mariés aux quadrilles et à la musette ont engendré un jazz créole. La
biguine, suivra, marquant la musique moderne pop, jazz et zouk. Douze
compositions personnelles s’enchaînent dans un déroulement naturel, le piano
occupe pleinement l’espace et chaque titre révèle son intérêt. A ses côtés,
Linley Marthe, lui aussi créole mais de l’Océan Indien (Ile Maurice) a délaissé
sa basse électrique, si bien utilisée chez Joe Zawinul, pour se saisir d’une
contrebasse plus à sa place dans ce subtil répertoire. Le trio se complète de la batterie de Laurent-Emmanuel
(dit «Tilo») Bertholo (lui aussi martiniquais) qu’il a côtoyé au sein du projet
Jazz Bèlè Philosophy du trompettiste Franck Nicolas. L’art du trio jazz (piano,
contrebasse, batterie), si difficile à renouveler, est ici complètement
maîtrisé mais ses références en sont élargies.
Un groupe à découvrir en concert. Mon titre préféré, «La
Maga», le plus court mais tout en finesse comme une caresse du vent sucré des
Caraïbes.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Arild Andersen
The Rose Window
Rose
Window, Science, The Day, Outhouse, Hyperborean, Dreamhorse, Interview with
Arild Andersen
Arild
Andersen (b), Helge Lien (p), Gard Nilssen (dm)
Enregistré le 15 avril 2016, Gütersloh (Allemagne)
Durée: 59'
Intuition 71316
(Socadisc)
Le contrebassiste norvégien, Arild Andersen, âgé de 71
ans, est surtout connu pour ces enregistrements chez ECM, certains avec son
groupe ou en sideman de Kenny Wheeler, Paul Motian, Bill Frisell, John Taylor,
Alphonse Mouzon, Ralph Towner, Nana Vasconcelos, Marcin Wasilewski, Markus
Stokhausen et avec son compatriote Jan Garbarek (69 à 73). Adepte de
l’organisation tonale de Georges Russel, il joue avec cet arrangeur et chef
d’orchestre durant dix ans (1960 à 1970). Il dirige ensuite plusieurs formations
avec Jon Christensen, puis le groupe Masqualero dans lequel se distingue le
trompettiste Nils-Petter Molvaer. Il collabore aussi avec des jazzmen en
tournée et il sera le bassiste de Stan Getz, Sonny Rollins, Sam Rivers, Paul
Bley, Sheila Jordan et Joe Farrell. Véritable monument et amant de la
«grand-mère», Arild Andersen offre lors de son concert un magnifique hommage à
cet instrument. Dans un recueillement spirituel, l’auditoire du Théâtre de
Gütersloh écoute et rêve en compagnie de ce trio très dépouillé ou l’essence
même de la musique s’exprime. Le trio tel un joyau en six titres revisitent le
répertoire de ce seigneur du nord qui caresse ses cordes et en tire les plus
charmants des sons. Les passages joués à l’archet sont émouvants et si
l’ambiance par moment est trop romantique on se laisse emporter par des elfes
enchanteurs. Après une introduction ravissante, la longue composition
«Hyperborean», atteste de la maestria du contrebassiste, puis, rejoint par les
membres de son trio, discrets mais efficaces, elle nous nous emporte aux pays
des merveilles. «Dreamhorse», tout autant réussi conclu un album où les 45
minutes de musique nous prouvent encore que ce n’est pas la durée du plaisir
mais son intensité qui compte.
Dans l'entretien qui clôt le disque, mené par Götz
Bülher, Arild Andersen évoque son parcours et l’orientation de sa musique.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Pierre Boussaguet Septet
Le Semeur
South
West, Souvenir imaginé, Le Semeur, Teemoo, Gurrah, Red Ground, Charme, Tinto
Time, Talma, La Fête au village, Body and Soul, Le Chat et le pivert
Pierre
Boussaguet (b), Luigi Grasso (as, ts), Stéphane Guillaume (ss, ts, fl), André
Villéger (ts, cl), Nicolas Dary (ts), Vincent Bourgeyx (p), François Laizeau
(dm)
Enregistré:
24 au 28 février 2014, Bayonne (64)
Durée:
1h 06' 50''
Jazz
aux Remparts 64023 (www.jazzauxremparts.com)
Pierre Boussaguet précise honnêtement son problème avec
le fait de «rendre hommage»: ça «oblige seulement à se référer au passé». Pour
lui, «seul compte le présent». Comme il ne veut pas «ressusciter», il a opté
pour «conter une histoire d'aujourd'hui». Donc n'espérez pas toujours
"entendre" Guy Lafitte dans ce CD qui lui est consacré, par ailleurs
superbement conçu avec un livret qui informe (ce qui devrait être toujours le
cas) et une précision des solistes pour chaque morceau. La première composition
de Pierre Boussaguet est dédiée à notre chère région, «South West». Belles
parties pour section de saxes. Le ténor de Nicolas Dary évoque plus Rollins que
Lafitte mais ce n'est pas incongru puisque notre regretté Guy est entré dans le
"moderne" par Rollins. Beaux alliages sonores quasi
"classiques" (avec flûte) sur un excellent jeu de balais dans
«Souvenir imaginé» pour évoquer Carlos Gardel qui fascinait Guy (Bourgeyx est
parfait pour le tango). Dans son solo, Pierre Boussaguet nous rappelle l'excellence
de sa sonorité. On retrouve cette grande musicalité et cet amour du son chez
Boussaguet et les saxes dans l'exposé de «Le Semeur». L'échange entre Guillaume
et Grasso, plein de flamme, est pour nous un peu long. Pureté des saxophones
digne du quatuor Marcel Mule en introduction et background de «Teemoo» qui
évoque vraiment Guy Lafitte. La composition est de lui et Nicolas Dary a la
sonorité pulpeuse et la dimension expressive qui rendent justice à notre star
du sax ténor (beau travail de Bourgeyx). Pour le coup, c'est un véritable
hommage. Pour nous, c'est un des meilleurs titres de l'album. Le point faible
pour nous, c'est le son de sax soprano en solo, très "moderne
convenu" («Red Ground» plus coltranien qu'africain à nos oreilles). Il est
d'un meilleur effet quand il chante dans les parties d'ensemble
(«Charme»: beau solo de Bourgeyx). Dans une approche qui doit
swinguer, Pierre Boussaguet orchestre très bien pour une section de saxes que
ce soit pour une composition personnelle («Gurrah») ou pour un thème de Guy
Lafitte («Tinto Time»). La section de saxes met bien en valeur le beau thème de
Boussaguet, «Talma» qu'il a enregistré avec Guy Lafitte (1993) puis joué au
festival Bis de Marciac avec Wynton Marsalis (j'y étais). Dans la présente
version, Vincent Bourgeyx joue avec classe (on regrette le soprano au lieu d'un
ténor). La «Valse au Village» de Vincent Rose et Larry Stock fut un succès de
Léo Marjane en 1939 avant la reprise vingt ans plus tard par Dizzy Gillespie
sous le titre d'«Umbrella Man». Le présent arrangement est très plaisant
opposant le genre boîte à musique à une machine à swing avec l'intrication
réussie de Dary (ts), Villéger (cl), Grasso (as) et Guillaume (fl). Nous avons
souvent entendu Guy Laftte jouer «Body and Soul», il convenait donc de
reprendre ce cheval de bataille pour sax ténor depuis l'ère Hawkins. L'exposé
écrit en section de saxes est superbe tout comme le jeu de Bourgeyx et le solo
de Villéger (sur de belles tenues de saxes). Le disque se termine par une prise
en concert de «Le Chat et le pivert», médium swing, que Boussaguet a dédié à
Guy Lafitte et Gérard Badini, dans lequel nos quatre souffleurs jouent bien sûr
du sax ténor. Une belle réussite musicale.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Esaie Cid
Maybe Next Year
Way Out West, Music Forever, Double Spoon, Nothing Ever
Changes My Love for You, How Long Has This Been Going On, Sweethearts on
Parade, Farewell, Pea Eye, Jessica's Day, Maybe Next Year
Esaie Cid (as), Gilles Rea (g), Samuel Hubert (b), Mourad
Benhammou (dm)
Enregistré le 9 juin 2016, Draveil (91)
Durée: 58' 33''
Fresh Sound/Swing Alley 030 (www.freshsoundrecords.com)
La manière et la sonorité d’Esaie Cid sont à rapprocher de
celles de Paul Desmond, avec parfois plus de couleur blues et swing («Way Out
West»), parmi une riche galerie d’influences, car Esaie Cid a ses lettres
jazziques, et elles ne s’arrêtent pas à la Côte Ouest, première influence. On pense
aussi bien à Jimmy Giuffre par la trace de la clarinette dans le débit qu’à Art
Pepper, son inspiration de cœur, par l’esprit sinueux du récit, la poésie et
parfois la sonorité. On peut ajouter à cette galerie Lee Konitz, les ancêtres
Benny Carter, Willie Smith, avec moins de chair car l’esthétique de la Côte
Ouest est moins expressive, plus intimiste, que celle de la Côte Est, et, à
l’évidence, Esaie Cid penche vers l’Ouest…
Quoi qu’il en soit, Esaie Cid est de ces talents originaux
qui naissent aujourd’hui parce qu’ils ne craignent pas de réactiver les racines
musicales du jazz, aussi bien celles du blues que du swing que du grand
répertoire et de cette grande fécondation qui des années 1920 à aujourd’hui
apporta à la musique une myriade de talents, des milliers de manières
différentes et pourtant jazz, notamment sur le saxophone alto où excelle Esaie
Cid. Cette histoire musicale est en effet si dense, si intense,
si rapide et en même temps si diverse et encore mystérieuse qu’elle offre à la
descendance contemporaine une infinité de pistes pour que chacun puisse développer,
en respectant les mânes, un discours original. Pour qui veut, bien entendu,
enrichir une terre déjà si extraordinairement fertile.
Esaie Cid, le Barcelonais (1973, cf. Jazz Hot n°674), est de ceux-là. Modeste, savant, élégant et
délicat, à la ville comme à la scène, il est le modèle parfait de ces musiciens
de jazz qui, pour n’être pas nés dans la patrie du jazz, n’en apportent pas
moins leur pierre, toujours précieuse, à l’édifice et à la permanence de cet
art.
Esaie Cid est ici bien entouré de l’excellent Gilles Rea
(g), un autre artisan de «la beauté du son» et de la mélodie, mais aussi un
pédagogue de haut niveau, de Samuel Hubert (b), qui s’affirme depuis sa
rencontre avec Cédric Chauveau, et de Mourad Benhammou (dm), qu’on ne présente
plus (Jazz Hot n°621) tant il est
déjà devenu un pilier de l’histoire du jazz qui s’écrit aujourd’hui en France.
Esaie Cid, c’est la poésie sur son instrument, la recherche
d’une beauté délicate, un brodeur de mélodies, un développeur d’atmosphères,
sans ostentation et avec le sens des nuances. Le répertoire, détaillé dans le
texte de livret, est un bon mélange de standards du jazz (Sonny Rollins,
Freddie Redd, Clark Terry, Quincy Jones), de standards du songbook (Gershwin, Newman-Lombardo, Segal-Fisher) avec deux
originaux et un thème de Duane Tatro, «Maybe Next Year», pour l’épilogue, un
compositeur emblématique de la West Coast, qui œuvra aussi pour le cinéma, et
qui confirme la tonalité générale d’un excellent enregistrement qui s’écoute
avec autant de plaisir qu’il suscite de curiosité.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Jérôme Etcheberry / Michel Pastre / Louis Mazetier
7:33 to Bayonne
7:33
to Bayonne, Don't Be Afraid Baby, Esquire Bounce, You Can't Loose A Broken
Heart, Time On My Hands, Victory Stride, Foolin' Myself, Squatty Roo, She's
Funny That Way, Between the Devil and the Deep Blue Sea, I've Got The World On
A String, Ballad Medley, If Dreams Come True, La Ligne Claire
Jérôme
Etcheberry (tp), Michel Pastre (ts), Louis Mazetier (dm)
Enregistré
les 28 au 30 octobre 2015, lieu non précisé
Durée:
1h 03' 54''
Jazz
aux Remparts 64024 (www.jazzauxremparts.com)
Dans le contexte économique
actuel, le trio est une bonne solution qui connait sa formule inévitable (p, b,
dm) et des variantes plus intéressantes (tp, g, b ; cl, bjo, b ; cl, p, dm)
dont celle-ci n'est pas la plus courante! Trois compositions originales («7:33
to Bayonne» d'Etcheberry, «Don't Be Afraid Baby» de Pastre et «La Ligne Claire»
pour piano solo de Mazetier) et des standards. Les arrangements sont efficaces,
la liberté solistique à son comble et le swing à l'honneur. La dimension
expressive de Michel Pastre, très websterien dans «Don' Be Afraid Baby», est
prenante. Pastre retrouve la hargne de Coleman Hawkins dans «Esquire Bounce» où
Jérôme Etcheberry se trouve être, avec la sourdine, le partenaire idéal. Après
une délicieuse introduction de piano sollicitant discrètement le souvenir du
Lion, «You Can't Loose A Broken» est interprété avec beaucoup d'émotions par
Michel Pastre suivi d'un discours plus fantaisiste mais non moins séduisant de
la trompette avec sourdine puis par le toucher élégant de Mazetier (solide main
gauche). Ces trois artistes sont des maîtres pour jouer les ballades car ils
ont beaucoup travaillé la qualité expressive de la sonorité. Ainsi «Time On My
Hands» est exposé et développé par Jérôme Etcheberry avec retenue, des
émissions un peu voilées et un vibrato bien dosé, puis c'est le même langage
avec Michel Pastre juste un soupçon plus véhément (belle cadence de coda!). Nos
deux souffleurs ont en commun, outre le sens du phrasé jazz, la maîtrise d'un
vibrato qui amène un plus à la sonorité, évitant contrairement à d'autre de
tomber dans la caricature («I've Got The World On A String»). Ils peuvent donc
se payer le luxe d'une «Ballad Medley» comme au temps du JATP. Jérôme
Etcheberry, avec la sourdine harmon avec tube, y aborde «September Song» avec
la dimension d'un Doc Cheatham (en dehors des passages wa-wa). De son côté,
Michel Pastre illustre une fois encore son inspiration pour les cadences de fin
(«Cocktail for Two»). Quelle partie de piano élégante et dansante dans «Foolin'
Myself». Louis Mazetier est non seulement un soliste toujours inspiré, qualifié
en stride du meilleur aloi, mais un accompagnateur ultra pertinent. Les tempos
sont juste ceux qu'il faut. Il est curieux que dans son solo Louis Mazetier
presse un peu dans «Victory Stride». Il est artificiel de chercher dans toutes
ces bonnes choses celles qui seraient les plus réussies. Ce disque est dans
l'actualité ce qui ressemble le plus à un indispensable du jazz parce que ces
artistes appartiennent à la dernière génération de ceux qui savent ce que
c'est.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Laura L
Gainsbourg etc...
Ces petits
rien, Je suis venu te dire que je m’en vais, Under Arrest, La Javanaise, Chez
le Yé-Yé, New York USA, Sorry Angel, Comment te dire adieu, Les Amours
perdues, L’Anamour, Requiem pour un twister
Laura Littardi
(voc), Côn Minh Pham (kb), Simon Teboul (b), Clément Febvre (dm) + Sylvain
Gontard (tp)
Enregistré à
Argenteuil (95), date non précisée
Durée:
57' 21''
VLF
Productions (UVM Distribution)
Ces quatre
musiciens, qui jouent du Gainsbourg depuis plusieurs années, ont choisi des
chansons qui, a priori, ne se prêtent pas toutes à une interprétation jazz. Et
pourtant, le groupe, en osmose totale, se les est appropriées de belle manière. Les
interprètes ont ainsi basé les arrangements sur la mélodie, sachant se partager
parfaitement entre l’écriture et les impros, se posant sur le swing, ajoutant
parfois un petit grain de folie, et sachant donner à chaque chanson son
approche, son atmosphère, son univers, en faisant pratiquement de chacune un
petit chef-d’œuvre; «La Javanaise» étant la moins réussie, malgré
un beau solo de piano qui ne rend pas le charme de l’initial. Laura Littardi
chante les mots de sa voix chaude et expressive, sans effets parasites, se
reposant sur la mélodie qui se suffit à elle-même, et sur les trois musiciens
qui l’entourent et l’enroulent dans une atmosphère idyllique. A noter les
lignes de basse. Le trompettiste Sylvain Gontard intervient à la trompette
bouchée sur «New York USA», sur tempo lentavec un joli
déploiement de la mélodie; solo de contrebasse doublé à l’unisson de la
voix, clin d’œil, à Slam Stewart. Tout cela est bien bon.
Ce disque d’un
jazz mainstream assumé est d’un grand stimulant. Et si vous aimez Gainsbourg
vous l’y retrouverez en habit de gala.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°680, été 2017
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A.Z.III
Swingue Aznavour
Il faut
savoir, Le Temps, Hier encore, Paris au mois de mai, Comme ils disent, Au creux
de mon épaule, Tu t’laisses aller, Les Plaisirs démodés, On ne sait jamais,
Désormais
Aldo Frank
(p), Tony Bonfils (b), Didier Guazzo (dm)
Enregistré en
2016, lieu non précisé
Durée:
48' 43''
VLF
Production (UVM Distribution)
Didier Guazzo
a été le batteur de l'émission de télévision «Fa Si La Chanter» et a accompagné une foule de chanteurs, de
Trenet à Aznavour (justement), en passant par Dee Dee Bridgewater. Aldo Frank a
été le pianiste de Nicole Croisille, pour laquelle il composa «Quand nous
n’aurons que la tendresse», a joué au Bilboquet dans les années 60, a été
chanteur (il est même passé à L’Olympia). Tony Bonfils a fait partie du groupe
Pyranas, il est musicien au Lido de Paris depuis 2009et il est le
fondateur-gérant de VLF Productions. Ces trois musiciens qui viennent de la
chanson et du jazz se sont réunis après avoir accompagné le spectacle de
Charles Aznavour. Donc rien que de plus normal pour eux que de jazzer les
chansons du grand Charles, avec son aval et sa satisfaction du résultat.
Le
contrebassiste produit un gros son, laisse sonner la note, avec des attaques
feutrées et pourtant nettes, très limpide à la pompe. Le batteur est très en
place, efficace, solide. Le pianiste connaît son piano jazz. J’aime sa façon de
faire évoluer la mélodie en block chords.
«Paris au mois de mai» est pris par le pianiste avec un ostinato qui
soutien la mélodie, résultat très prenant. Comme avec Ker Ourio (voir notre
chronique), c’est «Comme ils disent» la reprise la plus réussie
avec les deux mains du pianiste en contrepoint pour exposer la mélodie. Tandis
que le trio parvient au sommet de l’art en ne format plus qu’un seul
instrument. «Tu t’laisses aller», sur tempo lent, repose sur une
splendide harmonisation avec un parfum de blues et des trémolos à la Erroll
Garner.
Oui, Charles
Aznavour peut être heureux du résultat: ses chansons trouvent une autre
vie avec ce trio, tout en en respectant l’esprit.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Olivier Ker Ourio
French Songs
Et maintenant,
Dans mon île, La Bicyclette, Toulouse, Le Métèque, L’Eau à la bouche, Isabelle,
Comme ils disent, 17 ans, Champs-Elysées, Les Divorcés
Olivier Ker
Ourio (hca), Sylvain Luc (g), Laurent Vernerey (b), Lukmil Prerez (dm)
Enregistré du
7 au 8 septembre 2016, Perpignan (66)
Durée: 51' 52''
Bonzaï Music
170401 (Sony Music)
Olivier Ker
Ourio occupe certainement la première
place parmi les harmonicistes chromatiques. Dans ce disque il est à son zénith
avec un somptueux complice en musique, Sylvain Luc à la guitare;
l’entente et la relance est parfaite entre ces deux-là, sur un excellent tapis
basse-batterie. Ker Ourio traite parfois son harmonica comme un orgue, jouant
en accords comme sur «Et maintenant» de Bécaud, ou «Comme ils
disent» d’Aznavour: du grand art! Les tempos, les rythmes, les
ambiances sont variés. «Champs
Elysées» de Wilshaw et Delanoë, sur un tempo bondissant est joué par
l’harmoniciste en petites phrases staccato, soit en one note ou en accords, du
plus bel effet. Pour moi le chef d’œuvre du disque est «Comme ils
disent»: Ker Ourio introduit le thème avec une grande émotion et un
lyrisme fracassant, on peut croire qu’on entend les paroles, puis il part dans
un solo de grande envolée en double ou triple notes sur un parfait soutien
basse-batterie-guitare, suit le solo de Sylvain Luc de la même veine (il est au
sommet lui aussi tout au long du disque). Il se dégage une émotion et une
tendresse qui vous emporte de bonheur.
Un disque de
grand et beau jazz, qui se délecte de la mélodie et enlace la beauté dans une
étreinte amoureuse.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Sylvia Howard Quartet
Time Expired
Please Don't
Talk About Me When I'm Gone, The Days of Wine and Roses, It's De-lovely, Make
Me Rainbows, You Stepped Out of a Dream, The Best Is Yet to Come, Time Expired,
Moon River, Moon River, Nobody Else But Me, I'm Just a Lucky So and So, Minor
Deeds
Sylvia Howard
(voc), Tom McClung (p), Peter Giron (b), John Betsch (dm)
Enregistré le
16 septembre 2016, Saint-Gilles (30)
Durée: 1h 00’
17”
Blue Marge
1016 (http://futuramarge.free.fr)
Time Expired... Le titre
de cet album raisonne étrangement alors que deux de ses protagonistes nous ont
quittés très récemment: son producteur, tout d'abord, Gérard Terronès, disparu
le 16 mars, et dont Time Expired aura été l’ultime référence, sortie de
son vivant, a s’être ajoutée au riche catalogue Futura-Marge; et le pianiste du
quartet, Tom McClung, qui s'est éteint le 14 mai (cf. la rubrique Tears), et dont c'est probablement le dernier enregistrement. Les deux hommes, avant de quitter ce monde, ont
ainsi eu le temps d'offrir à Sylvia Howard un inestimable cadeau: un disque
superbe, enfin à la hauteur de son talent. Certes, les deux premiers opus en
leader de la grande Sylvia restent agréables à écouter: elle y est
accompagnée par la sympathique formation -essentiellement composée de musiciens amateurs- du regretté Christian
Bonnet, également décédé dernièrement. Mais pour avoir maintes fois entendu la
chanteuse sur scène avec d'excellents jazzmen, il nous tardait qu'elle parvienne enfin graver sur microsillon une collaboration de haut niveau. C'est chose faite, et avec des familiers, issus de la toujours vivace communauté
américaine de Paris. Time
Expired est un live
tiré d'un concert organisé au Prieuré d'Estagel, dans la région nîmoise, par
l'association Le Jazz est là dont le président, Patrice Goujon, souhaitait offrir à Sylvia Howard l'occasion de s'exprimer dans les
meilleures conditions. Le projet fut donc mené en partenariat avec Gérard
Terronès. Dès le premier titre, «Please Don’t Talk About Me When I'm Gone», Sylvia Howard affirme une présence incandescente,
alliant une puissance quelque peu rocailleuse venue du gospel et une sorte de
brisure blues au fond de la voix qui vous étreint dès les premières notes.
Quelle chanteuse! L’histoire de la musique afro-américaine est manifeste, la section
rythmique est magnifique. Notre cher Tom McClung déroule un accompagnement ciselé
sur les ballades, avec des solos aériens, emplis de poésie: «The Days of Wine
and Roses», «You Stepped Out of a Dream» ou «Time Expired», mélancolique
composition de la chanteuse. Il est évidemment aussi très à son aise sur le
blues («I'm Just a Lucky so and so»), se posant comme le partenaire privilégié
de la Diva, impériale sur ce registre. Le soutien discret de Peter Giron relève également de l’orfèvrerie swing, tandis que John Betsch, d’une
remarquable délicatesse, fournit un habillage rythmique scintillant. On se fait
d’ailleurs plaisir à savourer le dernier titre de l’album –un bel original du
pianiste, «Minor Deeds»– sur lequel la chanteuse s’est effacée pour permettre d’apprécier le trio.
Ce Time
Expired nous laisse ainsi entre le bonheur de tenir ici un disque très réussi, fruit des relations fécondes entre artistes américains établis en France et acteurs hexagonaux du jazz, et la
tristesse d’être définitivement privés de ce quartet épatant.
Avec le temps va, tout s’en va; une autre manière de traduire Time Expired…
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Vintage Orchestra
Smack Dab in the Middle
Get Out of My
Life*, Evil Man Blues*, Yes Sir That’s My Babe**, It Don’t Mean a Thing (If It
Ain’t Got That Swing)*, Come Sunday*, Bye Bye Blackbird**, Smack Dab in the
Middle*, Gee Baby Ain’t I Good to You*, Fine Brown Frame**, Hallelujah I Love
Her so*, I’m Gonna Move to the Outskirts of Town**, How Sweet It Is (To Be
Loved By You)*
Vintage
Orchestra (personnel détaillé sur le livret), Dominique Mandin (dir) + Walter
Ricci*, Denise King** (voc)
Enregistré
les 23 et 24 novembre 2016, Villetaneuse (93)
Durée: 39’ 59’’
Gaya Music
Productions 035 (Socadisc)
Excellent big
band français comptant nombre de solistes menant chacun de belles carrières
individuelles (Fabien Mary, Yoann Loustalot, tp, Jerry Edwards, tb, David
Sauzay, ts, Yoni Zelnik, b, etc.), le Vintage Orchestra aborde de nouveau le
répertoire de Thad Jones et Mel Lewis, pris sous l’angle vocal par la présence
de deux invités: l’Italien Walter Ricci et l’Américaine Denise King, qu’on
retrouve alternativement sur chacun des titres interprétés. Il s’agit là
d’évoquer la collaboration qui unit Jones et Lewis à Joe Williams (Presenting Joe Williams and Thad Jones/Mel
Lewis, the Jazz Orchestra, 1966) puis à Ruth Brown (Fine Brown Fame, 1968). A cette belle mécanique swing qu’est le
Vintage Orchestra,
chaque chanteur apporte les nuances de sa personnalité. Crooner dans la lignée
de Frank Sinatra et d’Harry Connick Jr., Walter Ricci joue de sa décontraction
naturelle et livre notamment une version quelque peu décalée de l’hymne ellingtonien,
«It Don’t Mean a Thing». Il apparaît, en revanche, un peu trop lisse pour
s’attaquer à Ray Charles («Hallelujah I Love Her so») sans en édulcorer la
saveur. Plus enracinée, Denise King tire la musique de l’orchestre vers une
dimension supérieure. Et si elle intervient moins souvent que son collègue
masculin, c’est de façon bien plus marquante. Elle impose en particulier la
force de son expression sur le blues («I’m Gonna Move to the Outskirts of
Town», avec le soutien impeccable de Laurent Gac). Un régal! On reste du
coup frustré qu’elle ne soit pas plus présente.
Au final, un
hommage bien fait, mais qui s'apprécie d'abord sur scène (l'orchestre se produit régulièrement au Sunset-Sunside, voilà qui tombe fort bien).
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Julien Brunetaud
Playground
You Belong to Me, Down By the Riverside, Down in New
Orleans, I Wanna Get Steady, Ain’t it Supposed to Be Love, Monty’s Boogie*,
Happier Than the Morning Sun, Let It Go, I Wanna Ride, Silent Night, Mardi Gras
in New Orleans, When the Saints Go Marchin’ in,
Julien Brunetaud (p, org, voc), Alexis Bourguignon (tp),
Sylvain Fetis (ts), Oliver Smith (b), Romain Joutard (dm), Céline Languedoc
(back voc), Faby Médina (back voc), Zoe Dadson (voc*, back voc)
Enregistré en avril 2016, Paris
Durée: 45' 56''
Brojar (www.julienbrunetaud.com)
A 35 ans, Julien Brunetaud est l’une des valeurs sûres, en
France, du piano blues et du boogie-woogie. Très marqué par l’héritage musical
de New Orleans, il propose un renouvellement générationnel qui en appelle à
l’esprit des Dr John, Fats Domino et autres Professor Longhair. Avec ce
quatrième album sous son nom (le cinquième en comptant Nikki & Jules avec Nicolle Rochelle), Julien Brunetaud reste
fidèle à son positionnement, à la croisée des chemins du jazz, du blues, du
boogie et de la soul. Alternant (bonnes) compositions et reprises, ce Playground reflète les qualités de son
interprète: énergie, groove et rapport dynamique à la tradition. S’agissant des
originaux, on est d’emblée séduit par «You Belong to Me» et «I Wanna Get
Steady», irrésistibles invitations à la danse (si Aretha Franklin vous donne
des fourmis dans les jambes, vous ne résisterez pas!). De même que «Monty’s
Boogie» et «Let It Go» sont deux boogies réjouissants qui ne laissent pas non
plus de marbre. Du côté des reprises, la tradition néo-orléanaise reste bien
entendu présente («Down in New Orleans», «Mardi Gras in New Orleans», revisités
de façon personnelle, tout comme les chants traditionnels («Down By the
Riverside», «When the Saints Go Marchin’ in»). On est moins convaincus par
«Ain’t it Supposed to Be Love» (Abbey Lincoln) et «Happier Than the Morning
Sun» (Stevie Wonder) traités dans le registre de la variété.
Multipliant les références sans être dans l’imitation, Julien
Brunetaud a une façon bien à lui et réjouissante de faire vivre la musique du
Delta. Une excellente démarche. Go on Jules!
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Sweet Screamin' Jones/Boney Fields
The Chicago Sessions
Sherry, Silly Little Cynthia*°, Goin’ to Chicago*°, Who She
Do°, Way Back Homes, There’s Be no Next Time*°, All Right Okay You Win*, Just
the Way You Are*, Walk Tall, I Want a Little Girl*, You Are My Sunshine
Sweet Screamin’ Jones (as, voc*), Boney Fields (tp, voc°),
Carl Weathersby (g), Pierre Le Bot (p), Philippe Dardelle (b), TY Drums (dm)
Enregistré à Chicago (Illinois), date non précisée
Durée: 46' 56''
Black & Blue 809.2 (Socadisc)
On connaît le tonitruant duo formé par Sweet Screamin’ Jones
(alias Yannick Grimault) et Boney Fields, que l’on retrouve très régulièrement
au Caveau de La Huchette. Au cours de ses déjà vingt ans de carrière (Ze Big
Band et des collaborations avec Ricky Ford, Pierrick Pédron, etc.), l’altiste
breton s’est immergé dans la musique afro-américaine et l’a intégrée au point que
de sa rencontre avec l’impétueux trompettiste de Chicago, personnalité forte
s’il en est, est née une complicité musicale incontestable. Et c’est justement
à Windy City que les deux showmen, adeptes du gros son et de l’humour potache,
ont décidé de la graver sur disque. On pouvait craindre que, privée de sa
dimension scénique, leur musique ne perde quelque peu de son intérêt. Ce n’est
pourtant pas le cas. Au contraire, n’étant pas distrait par leurs habituelles pantalonnades
swingantes, on prend le temps de mieux les écouter, notamment sur les thèmes
instrumentaux qui mettent en valeur un groupe qui tourne rudement bien, en
particulier sur l’excellent «Walk Tall». Pour autant, le duo a su conserver son
ton drôle et groovy (réjouissant «Silly Little Cynthia»), tandis que Boney
Fields donne le meilleur de lui-même sur le blues («Goin’ to Chicago»).
Un album éminemment
sympathique.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°680, été 2017
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George DeLancey
George DeLancey
Prologue, Michelangelo, The Demon, Lap of Luxury, In Repose, Falling
Down, Two-Step Away, Complaint, Little Lover, Epilogue
George Delancey (b), Caleb Wheeler Curtis (as), Stacy Dillard (ss, ts),
Tony Lustig (ts, bs), Mike Sailors (tp, flh), Walter Harris (tb), Aaron Diehl
(p), Lawrence Leathers (dm)
Enregistré le 16 octobre 2013, Paramus (New Jersey)
Durée: 37' 15''
Autoproduit (www.georgedelancey.com)
Elève de
Rodney Whitaker (compagnon de route de Terence Blanchard et de Roy Hargrove),
le jeune contrebassiste George DeLancey publie son premier CD (des compositions
originales) en tant que leader, aux côtés d'une pléiade de jeunes musiciens,
dont le pianiste Aaron Diehl (lui-même élève de Kenny Barron, et actuel
compagnon de route de Cécile McLorin Salvant).La jeune garde est en marche... et ne devrait pas tarder à trouver la
maison de disques qui lui manque encore (le disque étant autoproduit). Au début
des années 90, avant de faire la carrière que l'on sait, quelques jeunes
musiciens inconnus, dont, entre autres, Roy Hargrove (justement), Antonio Hart,
Christian McBride ou Carl Allen, avaient sous le nom collectif de «Jazz
Futures», profité de l'attention d'un
producteur et d'un directeur de festival (George Wein, en l'occurrence). Mais c’était
(déjà) un autre temps.
Quant à
George Delancey et ses jeunes compagnons, inscrits dans une filiation dynamique
avec l’histoire, ils pratiquent une musique ancrée dans leur temps et qui
respecte l’idiome du jazz (swing, blues, improvisation) et dont le goût des mélodies et la science des
harmonies s’est, de toute évidence, forgé à l'écoute de modèles tels que Art
Blakey, Horace Silver, Freddie Hubbard
ou Roy Haynes...Soyons patients, il y a du potentiel: c'est un
placement sans risques!
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Joey Alexander
Countdownn
City Lights, Sunday Waltz, Countdown, Smile, Maiden
Voyage, Criss Cross, Chelsea Bridge, For Wee folks, Soul Dreamer
Joe Alexander (p), Chris Potter (ss), Larry
Grenadier, Dan Chmielinski (b), Ulysses Owens Jr (dm)
Date et lieu d’enregistrement non communiqués
Durée: 1h 01' 16''
Motéma 202 (www.membran.net) Cela fait quelques années que la «toile»
regorge d'extraits de concerts de Josiah Alexander Sila (son vrai
nom), jeune prodige du piano jazz,
originaire de Bali. Impressionnant, certes! (il devait alors avoir 9 ou
10 ans), mais le plus souvent assez mal
accompagné et très mal enregistré; la performance l’emportait largement
sur l’intérêt artistique. Le talent restait à mûrir. Et voici qu'âgé de 13 ans
à peine, et désormais new-yorkais, le "gamin"
sort Countdown, un CD (son deuxième) où, accompagné, cette fois par de vraies "pointures", et
faisant preuve d'une maîtrise étonnante, il n'hésite pas à reprendre des thèmes
complexes de Monk, Coltrane, Wynton Marsalis (qui l'a invité au Lincoln Center)
ou Herbie Hancock, auxquels il ajoute
trois de ses propres compositions tout à fait abouties. Force est de constater
que le «phénomène du web» est déjà devenu un jazzman accompli. Les
quelques privilégiés qui ont connu Michel Petrucciani enfant n'hésitent pas
d'ailleurs à comparer leur précoce et fulgurante ascension. En voilà un qui va
donner du travail aux rédacteurs de Jazz
Hot pour tout le siècle restant!
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Madeleine Peyroux
Secular Hymns
Got
You on My Mind, Tango Till They're Sore, The Highway Kind, Everything I do Gonna Be Funky, If the Sea Was Whiskey, Hard Times Come Again no More, Hello Babe, More Time, Shout Sister Shout, Trampin
Madeleine
Peyroux (voc, g), Jon Herington (g) Barak Mori (b)
Enregistré
en 2015, Royaume-Uni
Durée:
33' 38''
Impulse!
0602557017014 (Universal)
Pour son septième album (si on
excepte un CD-compilation), et en vingt ans de carrière, la chanteuse
(américaine, mais tellement française), Madeleine Peyroux a sélectionné dix
titres qu'elle considère comme «patrimoniaux» parmi le vaste
répertoire des chansons populaires américaines. Sobrement accompagnée par sa
propre guitare et simplement entourée de ses discrets mais efficaces musiciens
habituels à la guitare et à la contrebasse, elle reprend ces chansons sur des tempos le plus souvent lents ou medium avec cette
délicieuse voix fragile et voilée qui évoque, sans l'imiter, celle de Billie
Holiday, et qui la caractérise depuis Dreamland, l'album qui la fit connaître
en 1996.
L'éventail est large, il va
d'Allen Toussaint à Tom Waits en passant par Sister Rosetta Tharpe et Willie Dixon, et elle rend aussi hommage à Stephen Foster (1826-1864), père fondateur
de l’«American Songbook», auteur, entre autres, de «Oh! Suzanna»
et de «Swanee River».On ne résiste pas au charme de cet album dont on ne
peut que regretter la courte durée... Mais Madeleine Peyroux a un tel amour de
la liberté qu'on ne peut pas lui reprocher cet excès de discrétion et de
modestie qui l'empêche, sans doute (car en concert, elle est beaucoup plus
généreuse), d'accaparer davantage
l'attention de ses auditeurs. N'empêche, 34 minutes, c'est vraiment trop peu.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Warren Wolf
Convergences
Soul
Sister, Four Stars From Heaven, King of Two Fives, New Beginning, Cell Phone,
Montara, Havoc, Tergiversation, Knocks Me Off of My Feet, A Prayer for the
Christian Man, Stardust/ The Minute Waltz
Warren
Wolf (vib, marimba, ep), Brad Mehldau (p), John Scofield (g), Christian McBride
(b), Jeff Tain Watts (dm)
Enregistré
en 2015, New York
Durée:
1h 07'54''
Mack
Avenue 1105 (www.mackavenue.com)
Voilà qui ressemble fort à un adoubement pour ce musicien de 37 ans. S'il est aussi
un pianiste et batteur reconnu, cette nouvelle star du vibraphone est ici
entourée ici par des«sommités» de la génération précédente: Chris McBride
(avec qui il avait enregistré son précédent album, Wolfgang), Brad Mehldau, John Scofield, Jeff Tain Watts, et cela ne semble pas
l'intimider plus que cela... Il signe cinq compositions et reprend aussi des
thèmes Bobby Hutcherson, Stevie Wonder, Chopin et Hoagy Carmichael. Malgré ce
répertoire aussi éclectique que surprenant, le groupe affiche une cohésion sans
faille (c'est la marque des «grands») comme s'il tournait depuis
des lustres, justifiant parfaitement le titre de l'album: Convergence. Samusique dynamique, lyrique et
sereine saura enchanter le petit monde des vibraphonistes de jazz, ravi
d'accueillir cette nouvelle recrue, tout
à fait digne de ses pairs.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°680, été 2017
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The Cookers
The Call of the Wild and Peaceful Heart
The Call of the Wild and Peaceful Heart, Beyond Forever,
Third Phase, Teule's Redemption, If One Could Only See, Blackfoot, Oceans of
Time, Thy Will Be Done
Eddie Henderson (tp), David Weiss (tp), Donald Harrison
(as), Billy Harper (tp), George Cables (p), Cecil McBee (b), Billy Hart (dm)
Enregistré les 11-12 avril 2016, New York
Durée: 1h 14' 03''
Smoke Sessions Records 1607 (http://smokesessionsrecords.com)
On emploie souvent l’image de texture pour décrire la
musique, parfois de manière inappropriée, mais ici, on peut réellement
reprendre cette idée, en raison de la longévité du groupe, de la nature des
arrangements et de la présence de fortes personnalités (un all stars), tant au
niveau instrumental que sur le plan des compositions (Billy Harper, Cecil
McBee, George Cables, Billy Hart) et des arrangements; il y a un vrai tissage, une
vraie sonorité de groupe, une personnalité de l’ensemble qui s’est construite
avec le temps. Si on ajoute le jeu si particulier de chacun des musiciens, au
premier rang desquels Billy Harper qui développe ses atmosphères si particulières,
on comprend ce qui rend cette formation si unique, si appréciable, année après
année. Elle développe à l’âge de la maturité une musique née dans la marge des
années soixante-dix, période plus tournée vers la fusion jazz rock que vers le
jazz de culture qu’incarne cette formation. Ces splendides musiciens sont donc
des témoins, encore jeunes et dans la plénitude de leur talent, d’un autre
monde, les descendants directs de l’univers coltranien et tynérien, et ils
continuent, avec obstination et fidélité, une œuvre cohérente.
L’extraordinaire George Cables est en couverture du Jazz Hot de l’été 2017, et la sortie de
ce disque est l’occasion de joindre le son à la lecture; Eddie Henderson
(n°678), Billy Harper (n°658), Billy Hart (n°624), Cecil McBee (n°581, 607) et
même le dernier arrivant du groupe, Donald Harrison (n°644), dont l’itinéraire
et la génération se distinguent (1960), ont aussi fait la couverture de Jazz Hot, et ont apporté leur
contribution, avec des mots, à la compréhension de ce qui les réunit dans ce
groupe. On ne saurait trop vous recommander de relire ces interviews,
passionnantes, qui apportent une meilleure connaissance sur la manière dont le
jazz a traversé des époques difficiles en conservant son authenticité. Cela
passe bien entendu par une relation spéciale entre ces musiciens. A ce titre,
The Cookers est déjà un groupe qui marque l’histoire du jazz. Quant à David
Weiss, le benjamin du groupe (1964), qui a mis son énergie et son talent de
musicien à l’orée de cette aventure, il a étudié avec les meilleurs (Bill
Hardman, Tommy Turrentine), et il a côtoyé dans sa déjà longue carrière le gotha de toutes les générations, de Jaki Byard, Jimmy Heath et Frank Foster à Christian McBride, Jeff
Tain Watts et Craig Handy. C’est un arrangeur de talent qui a travaillé avec
les grands artistes du jazz, et on retrouve dans la texture particulière de ces
Cookers une partie de son œuvre d’arrangeur qu’il a développé au sein du New
Jazz Composers Orchestra.
Cela dit, pour vous inviter à découvrir ce disque,
plein d’une musique de grande ampleur, intense, brillante et toujours intrigante
qui réunit autant de talents que de qualités, autant de tradition que
d’invention, une musique de culture, du jazz avec ce qu’il faut de blues, de
swing et d’expression; du jazz toujours donc.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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George Coleman
A Master Speaks
Invitation, The Shadow of
Your Smile, Blues For B.B.*, Blondie's Waltz, You'll Never Know What
You Mean to Me, Darn That Dream, Sonny's Playground, These Foolish
Things , Time to Get Down George Coleman (ts), Mike
LeDonne (p), Bob Cranshaw (b), George Coleman, Jr. (dm), Peter
Bernstein (g)*
Enregistré le 24 novembre
2015, New York
Durée: 1h 06' 04''
Smoke Sessions Records 1603 (http://smokesessionsrecords.com)
Le trop rare George
Coleman (de ce côté de l’Atlantique) nous revient sur l’excellent
label new-yorkais Smoke Sessions Records avec cet enregistrement qui
date de la fin de 2015 et nous donne un autre plaisir, celui de
réécouter Bob Cranshaw qui nous a depuis quittés et qui donne de
beaux chorus comme sur «Invitation», une magnifique composition
immortalisée par John Coltrane, et ici magnifiée d’une autre
manière par George Coleman. George Coleman est un saxophoniste ténor
au son profond (plus rarement à l’alto) qui a l’âge de notre
revue (1935), et qui fait partie avec Phineas Newborn, Booker Little
et quelques autres de la grande légende de Memphis. Et ces «quelques
autres», c’est aussi B. B. King, le grand guitariste, lui aussi
disparu aujourd’hui, auquel est dédié un fort beau et classique
thème, «Blues for B. B.», avec la participation de Peter Bernstein
très à l’aise sur le blues, en souvenir de ces musiciens de blues
que côtoya George Coleman dans sa jeunesse, et bien sûr B. B. King,
parmi eux. A l’époque, il transcrivait en même temps Charlie
Parker, sans hiatus, car il s’essayait à l’alto.
Il prit le ténor car B. B. voulait un ténor… Merci B. B.! Comme la
plupart des bluesmen, George Coleman prit la route de Chicago, se
mêlant aux Gene Ammons, Johnny Griffin, John Gilmore, Clifford
Jordan, Ira Sullivan… On peut faire pire comme environnement, car
il oublie quelques noms encore, comme Von Freeman, dans ce bon texte
de pochette, une interview réalisée par Eric Alexander, lui-même
excellent ténor, ce qui atteste de la vitalité et de l’imagination
de ce label qui, non seulement nous gratifie de magnifiques
enregistrements d’un jazz de culture de haut niveau, mais apporte à
ce contenu de beaux livrets, autant par le contenu que par la forme
(belles photos, bons renseignements discographiques, bons textes…). Mike LeDonne est cet excellent pianiste habitué des belles sessions d’enregistrements et des
grandes rythmiques new-yorkaises. Aucune faiblesse, il fait toujours
ce qu’il faut pour que la section rythmique soit dans l’esprit de
la musique. Le batteur n’est autre que le fils de George Coleman,
et il est excellent. On sent évidemment une complicité forte dans
les ponctuations car ils se connaissent sur le bout des doigts, même
si ce disque est leur premier enregistrement commun. Le répertoire fait appel,
à part égale, aux standards et aux originaux de George Coleman,
avec de belles versions, toujours d’une grande élégance. Mike
LeDonne apporte une composition. Le titre, A Master
Speaks, fait donc autant référence à cette interview qu’à
cet enregistrement, et c’est suffisamment rare pour mériter un
indispensable car ce musicien a côtoyé le gotha du jazz (Max Roach,
Charles Mingus, Miles Davis, Red Garland, Ahmad Jamal, Harold Mabern,
Lee Morgan, Shirley Scott, Lionel Hampton, Elvin Jones, Slide
Hampton…) et donne encore ici un témoignage de son talent dans un
registre qui mêle blues, swing, modernité et tradition («These
Foolish Things») avec le naturel des grands artistes.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Zule Guerra
Blues de Habana
CD +
DVD: Sin tu mar, Blues de Habana, Tú no sospechas, You’ve
changed*, Lo material, Corcovado*, Esfera eterna, A contratiempo (*
titres absents du DVD)
Zule Guerra (voc), Ronaldo Rivero (p, back
voc), Roger Rizo (p), Victor Benítez (s), Pedro Aguilar (b, back
voc), Humberto Quijano (dm), Degnis Boffill (perc, back
voc)
Enregistré le 15 Octobre 2014, La Havane (Cuba)
Durée:
1h 14' (CD)
Egrem 1367 (www.zuleguerra.com)
Cuba possède une assez
belle quantité de voix féminines qui s’aventurent dans le jazz:
Arlety, Wendy Vizaino, Yanet Valdés, Melvis Santa, Brenda Navarette,
Leyanis Valdés, Leyssie O’Farrill… Parmi ces jeunes voix, Zule
Guerra, dont c’est le premier disque, est peut-être celle qui
(avec Yanet) est la plus engagée dans le jazz même si elle utilise
l’expression à la mode «Nu Jazz»... C’est sur une composition
personnelle «Blues de Habana» -le nom de sa formation- qu’on
appréciera le plus sa voix en mode jazz. Autre thème où
elle met ses qualités vocales en évidence «You’ve changed». Il
est difficile de passer derrière Billie Holiday mais la chanteuse
tire son épingle du jeu. Elle est même au détour de certaines
phrases assez splendide malgré sa jeunesse. Yasek Manzano, -le must
de la trompette à Cuba- présent sur ce thème est magistral. Elle
rénove aussi la belle composition de Marta Valdés «Tu no
sospechas», un classique du filín cubain. Le filína renouvelé la chanson cubaine dans les années 50 en incorporant
souvent brillamment des harmonies jazz mais Zule va un peu plus loin,
permettant aux musiciens qui l’accompagnent d’être moins au
service de la mélodie et davantage à celui du jazz. Dans le genre
elle est l’auteur de «Sín tu mar». Ce morceau met en
valeur le talent du saxo alto Benítez. Un thème surprenant, «Lo
material», composé par le regretté Juan Formell, le patron
du clubLos Van Van. Issu du filín il est totalement
transfiguré. La Guerra s’y exerce au scat avec une certaine
réussite. Nous avons un faible pour le pianiste Roger Rizo, entendu
bien souvent en club. Il est invité pour «Corcovado». Zule est
encore surprenante dans sa capacité à prendre une voix brésilienne
pour chanter en portugais. Le batteur et le percussionniste se
mettent bien mis en évidence. On remonte aux années soixante quand
les jazzmen du monde entier aimaient reprendre le thème. «A
contratiempo», très long thème qui s’étire sur un quart
d’heure, s’appuyant sur un rythme rumbero s’envole vers
le jazz sous l’impulsion du vétéran Bobby Carcassés, ici au
chant, mais poly-instrumentiste et maître cubain du scat. La
trompette de Manzano réapparait en fin de thème. Zule Guerra est
aussi l’auteur du thème «Esfera Eterna» pour lequel elle invite
un rappeur de qualité, Alexey Rodríguez.
Le DVD reprend une
large partie du concert d’où provient l’enregistrement live. Il
permet de faire connaissance visuellement avec Zule et ses musiciens
ainsi qu’avec Yasek et de voir à l’œuvre le phénomène Bobby
Carcassés.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Harold Lopez-Nussa
El Viaje
Me voy pa’Cuba,
África*, Feria, Lobo’s Cha, Bacalao con pan, El Viaje**,
Mozambique en MiB***, D’una fábula, Inspiración en Connecticut,
Oriente, Improv (Me voy pa’Cuba)
Harold López Nussa (p,
kb), Alune Wade (eb, voc), Ruy Adrián López Nusa (dm, perc),
Mayquel González (tp, flh), Dreiser Durruthy (batá, voc*), Adel
González (perc**), Ruy Francisco López Nussa (dm***)
Enregistré
en février 2015, La Havane (Cuba)
Durée: 54'
Mack Avenue 1114
(www.mackavenue.com)
Depuis qu’il s’est fait connaître
par un prix à Montreux, le pianiste cubain Harold López Nussa s’est
bien implanté en Europe, joue assez souvent aux Etats-Unis et n’a
pas quitté sa terre natale ce qui lui permet de jouer du jazz qui
continue de se nourrir de ses racines; il se tient ainsi à distance
d'un latin jazz (souvent triste), toujours en vogue chez les
musiciens d'un moindre intérêt. Ce El Viaje dont les titres
font référence à l’Afrique, le Connecticut, l’Orient… débute
et se termine par «Me Voy pa’Cuba», une composition d’un autre
jeune pianiste habanero, Aldo López Gavilán, lui aussi primé
à Montreux. C’est-à-dire que le voyage démarre et s’achève
dans l’île. Cela symbolise sans aucun doute le parcours de Harold,
de beaucoup de musiciens, de plasticiens… mais sans doute également
d’une foule de jeunes gens qui, quelle que soit la vie qu’il ont
choisie (ou pas choisie) de mener, gardent les pieds ancrés dans lecocodrilo verde, Cuba.
Même si, comme pratiquement
chez tous les jeunes pianistes de l’île, son jeu est très
percussif, le style de Harold se démarque de celui de ces derniers
car chez lui ce n’est pas le jazz que valorise la musique cubaine
mais bien celle-ci qui donne sa saveur particulière à son travail
comme c’est très nettement le cas dans le thème cité plus haut,
enrichi, en outre, de la voix africaine du bassiste et chanteur
sénégalais Alune Wade, déjà présent sur un disque antérieur de
Harold. On apprécie aussi la reprise du thème sous forme
d’improvisation en final du disque, moment quand Alune et tous les
Cubains acteurs de l’enregistrement échangent verbalement et se
livrent à une belle descarga d’où émerge la trompette de
M. González. Ça groove grave! «África», hors du jazz, porte
évidemment la marque de Wade mais aussi des rythmes des religions
afro-cubaines en se référant à la déesse Yemaya. Les tambours
batá et le drum régalent! Nous gardons de «Feria» le jeu
rapide à la main droite de Harold, son explosivité et l’excellence
de la rythmique. Le pianiste a chipé à l’oncle Ernán une très
belle composition «Lobo’s Cha» ce qui permet d’apprécier ses
aptitudes à un jeu plus mélodique mais plus marqué du point de vue
percussif que celui de Ernán, confirmant l’impression générale
du jeu de Harold mentionnée plus haut. Le thème historique deIrakeré,«Bacalao con Pan», composé par Chucho Valdés, est repris
et arrangé par Harold. Nous aimons cette version qui originellement
prenait toute sa valeur à travers la voix de Oscar Valdés et les
percussions mais qui ici -sans faire l’impasse sur ces dernières
et en conservant l’esprit originel- met très en évidence le jeu
au piano plus intéressant que le keyboard de Chucho. Ruy Adrián et
Dreiser avaient un défi à relever devant leurs sets de tambours…
Ils s’en sortent parfaitement. «El Viaje» est le titre d’une
composition du pianiste. Belle mélodie chantée, beau travail de
tous les musiciens mais, bien qu’il soit symbolique, le thème
n’est pas notre préféré. «Mozambique en Mi B» fait référence
à un rythme crée par Pello el Afrokán au début des années
soixante. L’homme était un percussionniste et Harold et ses
partenaires sont à l’aise pour jouer ce thème. «D’una fábula»
manque un peu de dynamisme. Sur «Inspiración en Connecticut»,
Harold est un frappeur de touches et cela donne un bel ensemble avec
les drums et les percussions. Il devient plus délicat au milieu
du thème et le final est excellent avec le backing vocal. C’est un
autre des bons moments du disque. «Oriente» est très beau, tout en
douceur, avec une belle séquence du trompettiste et une très brève
partie vocale pour terminer.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Ernán López Nussa
Invención Lekszycki
Flash, Esto no es
una elegía, La Viña del señor, Instantes, N.Y. no eres tú, La
Felicidad, Invención Lekszycki, Rumba Francesa, Free Way
Ernán
López Nussa (p), Gastón Joya, (b), Enrique Plá, Ramsés
Rodríguez(dm), Orlando Sánchez (cl, ts), Juan Carlos Marín (tb),
Roberto García (tp), Kelvis Ochoa (voc), X. Alfonso, Ruy Adrián
López Nussa (prog)
Enregistré en 2013, La Havane
(Cuba)
Durée: 46'
Colibri 444 (www.ernanlopeznussa.com)
Un rappel. Lekszycki est le nom de la
mère de Ernán, polonaise et française, pianiste classique et
première professeur de Ernán. Récemment le pianiste, à travers
des compositions, lui a rendu divers hommages. Outre le thème qui
porte son nom, l’ensemble du disque, la manière de jouer en est
un. Le disque débute par une composition de Ernán, «Flash», un
thème dynamique. Le jeu de Gastón Joya,
un jeune et brillant contrebassiste, est vigoureux et on a droit à
un solo magistral. Ramsés Rodríguez, le
batteur régulier de Roberto Fonseca apporte sa modernité et sa
versatilité. Le ténor Orlando Sánchez offre un solo démentiel, à
la limite du free!
L’influence maternelle de Ernán se fait
sentir réellement dans «Esto no es una elegía», un très vieux et
surprenant thème du trovador Silvio Rodríguez. Autre thème
d’Ernán, «La Viña del señor», un danzón peu
classique débuté par un ragtime est plaisant. La sautillante
clarinette de Sánchez en est l’attraction. E. Pla, batteur
historique de Irakereet depuis plusieurs années partenaire attitré de López
Nussa offre le meilleur appui qui soit à ce dernier qu’il connait
sinon du bout des ongles certainement de celui de ses baguettes. Ce
thème fait assurément partie des recherches actuelles que mène le
pianiste sur les liens entre les musiques cubaine et new-orléanaise.
On replonge dans la tradition classique avec la composition du
Géorgien Tariverdiyev, ponctuellement détournée -notamment la fin
surprenante-, une chose dont López Nussa raffole. Toute la science
et la virtuosité du pianiste jaillit. Joya s’illustre à l’archet
et Pla offre un joli travail percussif. «N.Y. No eres tú»,
nostalgique, est chanté par Ochoa, une voix capable de s’inscrire
dans tous les répertoires. On l’entend même et surtout avec les
jeunes de Interactivo.Surprenant aussi «La Felicidad» composé par… Pablo
Milanés arrangé ici de telle façon qu’il apparaît hors de tout
le répertoire par lequel Pablo a forgé sa célébrité. Ce thème
s’inscrit alors dans ce qu’on a l’habitude d’appeler lamusique classique et permet à López Nussa de poursuivre
l’hommage maternel. Ernán distille les notes d’une manière
soignée avec l’appui de Joya et Plá, tous deux extrêmement
attentifs à leur leader. Très beau thème. L’excellente formation
classique qu’ont tous les pianistes cubains et le travail intense
que fournit Ernán depuis des années culmine dans sa composition
«Invención Lekszycki». Le pianiste ne pouvait offrir meilleure
création et meilleure interprétation à Madame Wanda Lekszycki. La
«Rumba Francesa», composition parfaite du point de vue de la
rythmique rumbera et bien en clave, est une fantaisie
de Ernán à partir de la chanson de Brassens «Margot». Le
disque s’achève par «Free Way», création très moderne de López
Nussa pour laquelle il fait appel aux programmateurs. Le neveu
batteur Ruy Adrián et le chanteur X. Alfonso en sont chargés.
Restons honnête votre serviteur n’a pas vibré sur cette
conclusion.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Race Records
Black Rock Music Forbidden on U.S. Radio 1942-1955
Titres détaillés dans le livret
Jay McShann, Jim Wynn, Memphis Slim, Amos Milburn, Joe Lutcher, JimmyLaurie, Rufus Thomas, Little Junior, John Watson, Howlin' Wolf, Jocko Henderson, Big Maybelle, Sonny Terry
Enregistré entre le 7 juillet 1942 et le 7 novembre 1955, New York, Los Angeles, Chicago, Oakland, Detroit, Houston, Philadelphie, Linden, Atlanta, Nashville, Cincinnati, New Orleans, Memphis, Newark
Durée: 3h 21' 16''
Frémeaux & Associés 5600 (Socadisc)
Encore un coffret avec un livret de Bruno Blum. Le titre «Race Records» ne convient pas à la période traitée. Nous l'avons déjà écrit dans Jazz Hot et dans le journal Chicago Defender (fondé en 1905), c'est la communauté concernée qui utilisait elle-même l'expression «The Race», non péjorative. Les Race Records lui sont destinés jusqu'à ce qu'à la fin des années 1940, on lui substitute le terme «Rhythm and Blues» (plus politcally correct), étiquette commerciale en vigueur jusqu'aux années 1960, désignation qui comme l'a dit Jerry Wexler «n'expliquait pas grand-chose quant à la nature de la musique». En effet, on y trouve de tout du moment que c'est noir (y compris du jazz qui ignore en être). Blum utilise le mot «rock», pour, selon sa thèse, insister sur l'existence d'un genre avant la «vogue du Rock'n Roll» lancée avec (et non par) les artistes blancs (Bill Haley, Elvis Presley) en 1954-56. Néanmoins ce n'est pas un bon choix car aux Etats-Unis, l'étiquette «rock» désigne tout et n'importe quoi (Presley, les Beatles, Hendrix) d'une part. Et, de plus, les amateurs de rock'n roll ne se reconnaissent plus dans le rock depuis qu'il devint «hard» (vers 1968) avec un martelage binaire. En 1969, l'ouvrage Talkin' That Talk de J.P. Level (éditions Clarb) traçait le sens des mots: «to rock», littéralement balancer ou bercer («some woman rocks the craddle» dans «That Crawlin' Baby Blues» de Blind Lemon Jefferson, 1929), mais aussi danser, swinguer («rock it man!») et...baiser («you can rock in rhythm by the music that you hear», dans «Feather Bed Blues» de Bumble Bee Slim, 1935). Level nous dit que les mots «rock» et «roll sont pour la première fois réunis dans «Rock It for Me» par Ella Fitzgerald. C'est bien du «Rock'n Roll» dont parle Blum, qui pour nous n'est rien d'autre, en blanc ou noir, qu'un style jazz basique fondé sur le piano boogie (il existe un country boogie bien blanc!), le saxophone hurleur, la contrebasse slap, l'after beat à la batterie et des riffs, le tout pour danser (genre de Lindy Hop: «if you don't scrub that kitchen floor, you ain't gonna rock'n roll no more» dans «Yakety Yack» par les Coasters, 1958).
Bruno Blum n'aime pas que l'on présente l'avant Presley comme les «racines» du rock'n’roll (d'où l'absence de référence au travail de Gérard Herzhaft pour le même label); pour lui, les titres ici retenus représentent la première génération rock'n roll. Thèse nouvelle? Non. Mettons de côté le provocateur Nick Tosches (Heros oubliés du rock'n roll, les années sauvages du rock avant Elvis, éditions Allia) pour remonter à un texte de Kurt Mohr en 1968 : «les premiers rock'n rollers désignés comme tels étaient des saxophonistes ténors qui s'étaient fait une spécialité de chauffer à outrance...Illinois Jacquet donna l'impulsion à ce genre de spectacle, mais les vrais 'spécialistes' furent Big Jay McNeely, Willis Jackson, Joe Houston, Morris Lane, etc...Ce genre connut un succès considérable entre 1949 et 1954, ainsi qu'en attestent de nombreux enregistrements... Or c'est bien là, historiquement parlant, l'authentique, la première rock'n'roll music». Oui mais, pour Bruno Blum, selon sa selection, il faut un/une chanteur/se. Revenons au livre de Level et sa définition du rock’n’roll: «style musical», 1/ «vers la fin des années 1940, un style sur tempo rapide, chanté par des blues shouters (Louis Jordan, Joe Turner, Roy Brown, Wynonie Harris) auxquels répondait souvent un saxophoniste hurleur (Honker), devint extrêmement populaire auprès du public noir», 2/ «dans la deuxième moitié des années 50, ce même style, quelque peu "blanchi" et mâtiné de "country and western", et de "hillbilly", accédait à la popularité mondiale», etc. Bruno Blum ne veut pas que 1/ soit effacé par 2/ et propose p16 du livret: «Quand les Noirs d'Amérique vont-ils rappeler à chacun que le rock [sic] fut longtemps un joyau de leur culture? Ou peut-être est-ce une partie du rock blanc qui devrait inversement être admis dans la grand histoire du "rhythm and blues"?» Il semble que la deuxième formulation est déjà entrée dans les mœurs, et que préférer «Jambalaya» par Fats Domino plutôt que par Jerry Lee Lewis n'est qu'un avis critique (Crow Jim?) dans un domaine musical identique. A noter p16/27, Red Saunders est batteur pas trompettiste.
Ce coffret de 3 CDs est très homogène stylistiquement: que du jazz-blues. Que peut-on ajouter à l'écoute de blues shouters comme Big Joe Turner, Wynonie Harris, Little Richard, de pianistes boogie tels que Milt Buckner («Rock and Roll», 1948), de ces basses slapeuses (Willie Dixon: «Rockin' the House», 1946; Ransom Knowling: «Kansas City Blues», 1951), guitares amplifiées swinguantes (Lightnin' Hoplins: «Lightnin's Rock» -seul instrumental; Ham Jackson: «Rock Savoy, Rock», 1952; Floyd Murphy, frère de Matt: «Feelin' Good», 1953), sax hurleurs efficaces (Hal Singer dans son «Rock Around the Clock», 1950; Rufus Gore : «I'm Going to Have Myself a Ball»; Don Hill: «It Rocks! It Rolls! It Swings!», 1951; Lee Allen: «Down the Road», 1953), batteurs pas encore lourds (Judge Riey: «My Baby Left Me», 1950; Bobby Donaldson: «Rock and Roll», 1950; Cornelius Coleman: «No No Baby», 1951; Herman Manzy: «I'm Your Rockin' Man») et à ces riffs simples et jubilatoires (Dizzy Gillespie-John Coltrane: «We Love to Boogie», 1951; Jesse Drakes-Sam Taylor-Dave McRae: «Jumpin' in the Morning», 1952)? sans parler des musiciens à tort anonymes aussi jazz que représentatifs de ce style d'interprétation jouissif. Anthologie recommandée.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Henry Mancini
From Glenn Miller Story to The Pink Panther
Titres détaillés dans le livret
Tex Beneke Big Band, formations de studio (direction Henry Mancini)
Enregistré entre le 29 juin 1951et 1995, Hollywood, New York, Los Angeles, Paris
Durée: 2h 25' 40''
Frémeaux & Associés 5499 (Socadisc)
Henry Mancini (1924-1994) est avant tout pour la postérité un compositeur-arrangeur et chef d'orchestre pour les musiques de film et le CD1 concerne cette activité. On trouve des thèmes entrés dans la mémoire collective: «Baby Elephant Walk», «Moon River» (ici en duo: Bob Bain, g, Audrey Hepburn, voc), «Peter Gun» (orchestration luxuriante avec des cors typique de Mancini). Le livret indique le film d'où sont extraites ces bandes sonores (avec des imprécisions de personnel). Bien évidemment, la musique devant coller au scénario, souvent destinée à souligner un climat («Experiment in Terror»), toutes les musiques et façons de jouer sont sollicitées: rock'n’roll («Lease Breaker», Plas Johnson, ts!), cha cha cha («The Big Heist»), etc. Manifestement, Mancini est à la recherche constante d'un son: piano bastringue («Blue Angel Pianola» par Ray Sherman, 1958), motif de flûtes (piccolo et alto: «The Little Man Theme»), guitare amplifiée («Spook!», solo de Plas Johnson, ts!), opposition orgue avec section de cordes («Mr Lucky»). Pour être varié ça l'est et c'est souvent superlativement joué par les meilleurs instrumentistes du monde, les requins des studios de la Côte Ouest. Ces musiciens peuvent tout interpréter exactement dans le style voulu, les solistes ne manquant pas de personnalité. Ils sont notamment des jazzmen dont la particularité est d'être techniquement infaillibles. Du jazz, il y en a: «Free and Easy» joué de façon très west coast avec solo de cor (John Graas, je pense) et d'un ténor «cool» (1956); «Big Band Bwana» (section de trompettes swinguement drivée par Conrad Gozzo ; Bud Shank, as, 4/4 Don Fagerquist-Ray Triscari, tp). Une rythmique swing amène «Not From Dixie» avec des solos de Ronnie Lang (bs), Milt Bernhart (tb) (1958). L'introduction à «Siesta» est bop. On remarque la performance de Shelly Manne (dm) dans «My Man Shelly», sorte de démarquage de «Li'l Darling». Le même se montre parfait batteur de big band dans «Crocrodile, Go Home!» (1961, Jimmy Rowles, p, Bud Shank, as) et dans «Kelly's Tune» (1962, Red Mitchell, b, Ted Nash?, ts). Jimmy Rowles est bon dans «A Mild Blast» et très basien dans «New Blood».
Le CD2 est consacré, par divers orchestres, aux compositions de Mancini ou à ses orchestrations de thèmes signés par d'autres: «Robbin's Nests» (Ronnie Lang, bs), «Blue Flame» (Dick Nash, tb), «After Hours» (Vic Feldman, vib), «Tippin' In» (John Williams, p, Frank Beach?, tp, Ted Nash, as), «How Could You Do A Thing Like That To Me?» (Ronnie Lang, bs, Pete Candoli, tp, Ted Nash, as), «Moanin'» (Larry Bunker, marimba, Art Pepper, cl). Il y a des succès de Mancini: «Peter Gunn» par Ray Anthony (1958, Plas Johnson, ts!), «Days of Wine and Roses» par un orchestre de studio (1962, Vince DeRosa, cor) et «The Pink Panther» par Claude Bolling (1995, Pierre Schirrer, ts). Il y a du contraste entre les cordes hollywoodiennes et des solistes de classe, comme dans «Politely» (1959, Dick Nash, tb). On constate des fidèles de Mancini tels John T. Williams (p) (block chords dans «A Cool Shade of Blue»), Vic Feldman (vib) et Shelly Manne (dm) derrière la pin-up Lola Albright («Straight to Baby»). Tex Beneke, ts, a enregistré ce «Dancer's Delight», excellent thème de Mancini, joué détendu (1951, Art DePew, tp). Bien sûr Mancini connait le «son Glenn Miller» pour section de sax avec une première voix de clarinette («Too Little Time», 1954, Paul Tanner, tb). Le «son Mancini» est illustré dans «The Blues» avec flûte alto et contrastes brutaux de cuivres (d'où la nécessité d'employer des pointures: Conrad Gozzo, tp1, Pete Candoli, Graham Young, Frank Beach, tp, 1960). Chez Mancini, c'est la recherche des alliages de sonorités comme «A Powdered Wig» avec clavecin, flûtes-clarinette (beau jeu de balais de Shelly Manne). Les personnels sont incompets : qui est le trompette solo dans «What's It Gonna Be» des Four Freshmen? Don Fagerquist? D'un point de vue jazz, signalons encore: «The Beat» (Ted Nash, ts, Pete Candoli, tp, Vic Feldman, vib), «Swing Lightky»(Art Pepper, as-cl, Dick Nash, tb, Pete Candoli, tp, Ronnie Lang, fl), «Far East Blues» (Dick Nash, tb), «Everybody Blow!» (Larry Bunker, marimba, Art Pepper, cl, Bob Bain, g, Dick Nash, tb, Ted Nash, as, Ronnie Lang, bs, Pete Candoli, tp). Du jazz parfois, plus «cool» que hot, mais pas seulement. Très utile pour les étudiants en orchestration.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Felice Reggio Trio
Chet's Sound
I Remember You,amours?, Arrivederci
Felice Reggio (tp, fgh), Manuele Dechaud (g), Massimo Curro (b)
Enregistré le 14 mai 2012, Gênes (Italie)
Durée : 58' 32''
Splasc(H) Records 1566.2 (www.splash-records.com)
La photo de couverture du livret montre une trompette Martin modèle Committee avec sa boîte ce qui peut symboliser Chet Baker (même s'il a joué autre chose aussi). La formule du trio, trompette-guitare-basse est on le sait, l'une des favorites de Chet. Tout ça est d'autant plus cohérent que l'italien Felice Reggio propose une musique jouée selon l'esthétique de Chet. Pour nos oreilles, Felice Reggio joue aussi du bugle (non signalé dans le livret) comme dans «Long Ago and Far Away» de Jerome Kern, «Just Friends» de John Klenner et «Estate» de Bruno Martino pour obtenir un son plus rond, plus chaud. Ce sont d'ailleurs de bonnes plages de cet album. Felice Reggio a personnellement rencontré Chet au conservatoire de Turin et a été marqué par sa belle interprétation d'«Estate». Il a joué avec d'anciens collaborateurs de Chet comme Philippe Catherine, Riccardo Del Fra et d'autres. Ici, il s'est entouré de deux jeunes musiciens de Gênes qui font parfaitement l'affaire. Felice Reggio a un superbe contrôle de la trompette et du bugle, une qualité de son qui rend son hommage crédible. Un disque très agréable pour les amoureux de Chet Baker et pour découvrir en France, Felice Reggio.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Steve Turre
Colors for the Masters
Taylor Made*, Quietude, Joco Blue*,
Coffee Pot*, Reflections, Mellow D for R.C.*, Colors for the Masters,
When Sunny Gets Blue, United, Corcovado**
Steve Turre (tb,
shells), Kenny Barron (p), Ron Carter (b), Jimmy Cobb (dm) + Javon
Jackson (ts)*, Cyro Baptista (perc)**
Enregistré le 25 février 2016, New
York
Durée: 1h 00' 51''
Smoke Sessions Records 1606 (http://smokesessionsrecords.com)
Steve Turre s’est évidemment fait
plaisir en réunissant une rythmique hors du commun, avec ces trois
Maîtres, déjà légendaires de leur vivant, que sont Kenny Barron,
Ron Carter et Jimmy Cobb. On imagine que le titre y fait référence.
Il a invité sur certains thèmes l’excellent Javon Jackson et Cyro
Baptista pour apporter quelques couleurs de plus à son jeu de
trombone qui joint le brillant, la virtuosité à l’expression.
Ecouter cet enregistrement d’une perfection absolue, où le swing,
le blues et la qualité de l’expression sont rois, où tout est à
découvrir de l’imagination de ces musiciens, sans que rien ne soit
au fond surprenant, et nouveau quand on les connaît, est d’une
certaine manière toucher à l’essence du jazz, une renaissance
perpétuelle. Le tromboniste est en pleine maturité
et se promène littéralement sur la magnifique toile qu’a tissée
une section rythmique qui tourne simplement comme une merveilleuse
horloge («Quiétude», belle présence de Kenny Barron, «Coffee
Pot»). On admire la mise en place de ces trois musiciens («Mellow D
for R.C.»), le brillant et la justesse de leurs «prises de parole»
comme leur capacité à se mettre au service de la musique et du
leader, un tromboniste d’un niveau exceptionnel aussi bien dans les
ballades («Quiétude», «Reflections», «When Sunny Gets Blue»)
que dans les up tempos. Chaque chorus du leader, des Maîtres
conviés, de Javon Jackson tout à son aise dans cette musique fille
des Messengers dont il fut membre, comme le leader, dans les années
quatre-vingt, est un moment de bravoure, une évidence. Rien n’est
superficiel ou pour remplir, juste ce qu’il faut, quand il faut,
avec des qualités d’invention de chacun, sans limite; une manière
finalement de classicisme. Steve Turre
possède une dynamique rare au trombone qui sonne parfois avec le
brillant d’une trompette («JoCo Blue», «United», etc.). Il
conserve son attachement dans les arrangements à un esprit proche de
Woody Shaw, des Messengers d’Art Blakey, d’Horace Silver,
finalement de son parcours dans le jazz comme le rappelle le bon
texte du livret de Todd Barkan (Jazz Hot n°671), le patron du
Keystone Korner, qui a bien connu, dans sa longue vie de patron de
club, l’ensemble de ces musiciens, et qui aujourd’hui apporte à
cet excellent label, Smoke Sessions Records, un complément
appréciable au niveau des textes. Après Spiritman, paru sur
le même label (cf. Jazz Hot n°677), Steve Turre poursuit une
œuvre d’une exceptionnelle qualité. Le répertoire avec des dédicaces à
John Coltrane (le beau «JoCo Blue»), à Ron Carter («Mellow D for
R.C.»), est un bon mélange d’originaux, de standards du jazz,
associant Wayne Shorter à J.J. Johnson et Monk. Il donne l’occasion
au tromboniste d’exploiter sa spécialité, les conques, dont il
sort de belles couleurs supplémentaires, proches parfois du
berimbau, comme sur le «Corcovado» de Jobim (avec Cyro Baptista) où
la section rythmique confirme sa capacité à mettre en valeur tous
les répertoires sans l’ombre d’une complaisance; c’est sans
doute une sorte de clin d’œil à Ron Carter dont on sait qu’il a
été le familier du grand compositeur brésilien sur scène.
Steve Turre faisait la couverture très
colorée de Jazz Hot n°604, et nul doute que nous avons
affaire à l’un des très grands trombonistes de l’histoire du
jazz. L’écoute du très beau «When Sunny Gets Blue», avec ses
beaux chorus (avec ou sans wah-wah) et ceux de Ron Carter et Kenny
Barron, sur le tapis de feutre dressé à la cymbale par le
monumental Jimmy Cobb, est un nectar. Indispensable!
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Miroslav Vitous
Zilajbu Nights
Zilajbu,
Morning Lake, Ziljabe, Gloria’s Step Variations, Miro Bop, Stella
by Starlight Variations, Interview with Miroslav Vitous
Miroslav
Vitous (b), Ayden Esen (kb), Gary Campbell (ts), Roger Bonisolo (ts,
ss), Roberto Gatto (dm)
Enregistré
le 25 juin, Gütersloh (Allemagne)
Durée:
1h 09'
Intuition 71320 (Socadisc)
Même
si Miroslav Vitous déclare: «Je ne peux copier, parce que la musique
originale est en moi est si forte, qu’elle resurgira toujours. Je
suis chanceux», ce nouvel opus de la série Live at the Theater Gütersloh rappelle fort ses débuts au sein de Weather Report. Bien des années
ont passé mais le contrebassiste tchèque de retour en sa terre
natale, réemprunte les voies de sa consécration sur la scène jazz. Il est entouré ici d‘une
solide équipe internationale des plus sérieuses, le soufflant
américain Gary Campbell épaulé du canadien Robert Bonisolo, du
pianiste turc, Aydin Essen et de l’italien Roberto Gatto, qui
servent d’écrin à la dextérité sonore et aux multi effets d’un
des contrebassistes des plus marquants du renouveau du jazz. D’emblée
«Ziljabu» et «Morning Lake»,deux longs morceaux, donnent le
climat serein de l’album durant lesquels chacun a le temps de poser
ses bagages, le public ne s’y trompe pas et sa réaction enchantée
semble unanime. Dans un esprit de pureté, dénué d’artifice, il
livre une belle prestation solo sur «Gloria’s Step Variations»
puis laisse la voie libre à des solos successifs de ses comparses
sur «Miro Bop» qu’il épaule à l’archet et à la pédale
wah-wah. Pour conclure en beauté il emprunte à Victor Young, son
«Stella by Starlight» et en tricote bien des variations ou
s’entremêlent les aiguilles agiles de ses partenaires . Cet album
nous rappelle que sa contribution à la redéfinition est la place de
son instrument dans le jazz moderne reste prépondérante, à l’égal
d’un Jaco Pastorius ou Steve Swallow. Un album actuel qui fleure
bon le souvenir dirigé par une jeune homme de 70 ans. Dans l'interview "bonus", en anglais et allemand, menée par le
journaliste Gôtz Buhler, le contrebassiste précise que son premier album
américain, Infinite Search,
enregistré en 1969 , accueillait à ses côté Herbie Hancock, John
McLaughlin, Jack DeJohnette. Miroslav Vitous était arrivé peu de
temps avant aux Etats-Unis, grâce à un échange culturel et son
premier employeur régulier était Herbie Mann. En 1970, il cofondait
avec Joe Zawinul et Wayne Shorter le groupe Weather
Report qui publiait son
premier album éponyme en 1971.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Andreas Schaerer
The Big Wig
Seven Oaks, Preludium, Zeusler, Wig
Alert, If Two Clossuses, Don Clemenza
Andreas Schaerer
(voc, beatboxing, human tp), Andreas Tschopp (tb), Matthias Wenger
(as, ss, fl), Benedikt Reising (bar,bcl), Marco Müller (b),
Christoph Steiner (dm, marimba)+ Orchestra of the Lucerne Festival
Academy dirigé par Mariano Chiacchiarani
Enregistré le 5 septembre 2015,
Lucerne (Suisse)
Durée: 53’
ACT 9824-2 (Pias)
Cette production très soignée, qui
comporte un CD et le DVD live, englobe un vaste champ musical qui va
de la musique classique et contemporaine au jazz, en passant par
l’opéra, la comédie musicale et/ou la musique de film.
L’association du groupe Hildegard Lernt Fliegen, dirigé par
Andreas Schaerer, avec l’orchestre symphonique du Lucerne Festival
Academy donne un résultat étonnant et détonnant. Le chanteur
suisse est aussi professeur à l'Université des Arts de chant jazz
de Berne et il a fondé avec ses élèves l’Hildegard Lernt Fliegen
en 2005. La même année, il intervient en tant que formateur durant
le Festival de Lucerne où Pierre Boulez invite des jeunes musiciens
venus du monde pour des répétitions intensives. Ils présentent
ensuite le fruit de leur travail dans une série de concerts
exceptionnels. Fort de cette expérience il répond pour 2015 à une
commande qui lui permet de marier ses expériences jazz et
d’improvisateur à un grand orchestre symphonique. «The Big Wig»
est donc une suite en six parties où il alterne performances vocales
et dialogues avec grand orchestre qui met en valeur ses compositions
originales. Il utilise allégrement les cordes et se sert des
percussionnistes comme de véritables puncheurs. Par moment on pense
à du King Crimson, du Kurt Weill ou du Danny Elfman sous la houlette
d’un Tim Burton revisité à une sauce très personnelle. Il
reconnaît avec cette création avoir les moyens et le luxe
d’exprimer ses idées musicales qui recèlent bien de surprises
dont un final «Don Clemenza» que Frank Zappa n’aurait pas renié.
Amateurs de jazz straight-ahead s’abstenir.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Daahoud Salim Quintet
Jazz Getxo
La
Llamada, El Mayor Truco del Diablo, Historia del Tiempo, Tráfico
Daahoud
Salim (p), Bruno Calvo (tp), Pablo Martinez (tb), Hendrik Müller
(b), SunMi Hong (dm)
Enregistré
en juillet 2016, Getxo (Espagne)
Durée:
32’
Errabal 089
(www.errabaljazz.com)
Le
jeune pianiste (26 ans) signe ici son second album, enregistré en
direct durant dernier le Festival de Jazz de Getxo où le groupe
remporta le concours des jeunes groupes et qu’il doubla avec un
premier prix de soliste. Natif de Séville il s’éveille au jazz
auprès de son père, le saxophoniste Abdu Salim, et dès 4 ans
aborde le piano. Formé en Espagne, puis au Danemark et au Pays Bas,
il se produit professionnellement très jeune mais ne signe son
premier album qu’en 2016 intitulé Forbidden où il interprète des œuvres du compositeur Erwin Schuloff
(1894-1942) décédé dans les camps nazis. Il s’est produit en
Europe à la tête de ce quintet régulier qui réunit des musiciens
rencontrés en Espagne et au Conservatoire d’Amsterdam (Müller,
Hong), c’est donc une formation rodée et rompue à la scène qui
sert avec vigueur ses compositions et lui permet de se libérer pour
se livrer tout entier. Les introductions peuvent rappeler le McCoy
Tyner des années 70 qui soulignent fortement le thème avant de
partir sur les chemins de l’improvisation. La courte durée de
l’enregistrement, sans doute due à une contrainte de temps du
concours, laisse présager le meilleur à venir. Sans aucun doute à
écouter en concert car autant lui que ses musiciens vibrent
d’affronter les aficionados d’un jazz haletant. Une mention
spéciale à chacun des soufflants mais aussi au soutien endiablé de
la batteuse coréenne SunMi Hong. A suivre.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Lee Konitz - Kenny Wheeler Quartet
Olden Times. Live at Birdland Neuberg
Lennie’s,
Where Do We Go From Here, Kind Folk, On Mo, Olden Times,
Aldebaran-Play Fiddle Play, Kary’s Trance, Bo So, No Me
Lee
Konitz (as), Kenny Wheeler (tp, flh), Frank Wunsch (p), Günter
Plümer (b)
Enregistré
le 4 décembre 1999, Neuberg (Allemagne)
Durée:
1h 18' 31''
Double
Moon Records 71146 (Socadisc)
Lee Konitz
Frescalalto
Stella
by Starlight, Thingin, Darn That Dream, Kary’s Trance, Out of
Nowhere, Gundula, Invitation, Cherokee
Lee
Konitz (as,voc), Kenny Baron (p), Peter Washington (b), Kenny
Washington (dm)
Enregistré
le 30 novembre et 1er décembre 2015, New York
Durée:
51’
Impulse!
0602557208733 (Universal)
Seize
ans exactement sépare ces deux enregistrements qui n'apparaissent
pas si différents et qui reflètent la vitalité tranquille d’un
musicien entré dans un âge vénérable. Vétéran du jazz, Lee
Konitz a 72 lors de ce concert au Birdland de Neuberg et son
partenaire, Kenny Wheeler, en a presque 70, tous deux présentent
une carrière des plus longues et intenses dans l’histoire du jazz.
Des parcours distincts dans des esthétiques qui, lors de ce concert
en Allemagne, se combinent pour laisser place à une belle entente.
Trois ans auparavant ils avaient enregistrés ensemble pour le label
ECM, le remarquable Angel Song avec comme partenaires Dave Holland (b) et Bill Frisell (g). Respect
mutuel pour un live sans contrainte, juste pour le plaisir. Quatre
des compositions sont signées par Kenny Wheeler, musicien très
prolixe tandis que Lee Konitz qui a souvent préféré sur ses albums
graver des standards et moins de compositions personnelles.
Atmosphère très calme lors de cette soirée où l’on s’imprègne
d’une certaine langueur fort agréable. Peut-être est-ce
l’absence de batteur qui concentre notre attention sur ses thèmes
intimistes délivrés avec tendresse et presque mélancolie. Les
titres de Kenny Wheeler «Where Do We Go From Here», «Kind Folk»,
«On Me» superbe, sont tous dans un tempo assez lent qui permet à
chaque soliste, notamment le pianiste, Frank Wunsch, de fignoler leur
intervention. Quant à «Olden Times», qui donne le nom à l’album,
toujours signé de Wheeler, il nous propose un solo de trompette à
l’unisson qui ravira tout mélomane. Les compositions de Lee
Konitz, «Lennie’s», «Thingin» et «Kary’s Trance» restent
ancrés dans l’héritage du bebop et son alto avec moins de vergue,
peut rappeler Charlie Parker. Les accompagnateurs ne sont pas en
reste, le contrebassiste Günter Plümer signe «Aldebaran» ou son
introduction est magistrale. Le pianiste Frank Wunsch
a composé les deux titres qui concluent l’album, «Bo So»
interprété en solo et «No Me» (en bonus sur cette réédition),
une ballade parfaitement arrangée ou chacun apporte sa touche qui
fait de cette soirée en club un grand concert de jazz où on aurait
aimé être dans le public. Avec Frescalalto, Lee
Konitz entre
pour la première fois chez Impulse!qui lui offre le studio Avatar
de New York comme écrin pour enregistrer son 204 ou 205e album! L’équipe est solide et le tout fut bouclé en deux jours
par des techniciens de haut niveau. L’album est à la hauteur du
plateau et Lee Konitz trouve en Kenny Baron un alter ego de haut vol.
On retrouve les mêmes thèmes composés et souvent joués par Lee
Konitz «Thingin, Kary’s Trance» et «Gundula» déjà gravé
quatre fois, complétés de grands standards. Il s’essaie même au
chant sur «Darn That Dream» d’Eddie DeLange et James Van Heusen,
plutôt une introduction à une ballade en duo avec Kenny Barron qui
tire le morceau vers le haut. La
qualité de l’album est indéniable même s’il ne revêt pas une
qualité indispensable. Peut-être une belle introduction pour de
jeunes auditeurs qui auraient la flegme de plonger dans de plus vieux
enregistrements. Après une brève introduction sur «Invitation»,
Lee Konitz laisse le champ libre au trio qui nous enchante et permet
à chacun de s’exprimer. L’album
se clôt sur «Cherokee» de Ray Noble, titre phare de Fats Navarro
avec qui il a joué dés 1949 avec Lennie Tristano, son maître et
Sonny Stitt, une version dépouillé, sans artifice qui prouve que
Monsieur Konitz a su traverser le temps et conserver une passion et
une vigueur qui lui permet d’être toujours présent sur la scène.
Chapeau.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Vincent Herring
Night and Day
Grind Hog's Day*, Night and Day, The
Adventures of Hyun Joo Lee*, Walton*, The Gypsy, Fly-Little Bird-Fly*,
Wabash, Theme for Jobim*, There Is Something About You (I Don't Know),
Smoking Paul's Stas*
Vincent Herring (as), Jeremy Pelt (tp)*, Mike LeDonne (p), Brandi DisterHeft (b), Joe
Farnsworth (dm)
Enregistré le 22 août 2014, New York
Durée: 1h 02' 24''
Smoke Sessions Records 1504 (http://smokesessionsrecords.com)
Vincent Herring, un excellent
saxophoniste alto, faisait la couverture du n°568 des 65 ans de Jazz
Hot en mars 2000, et s’il a pris un peu d’âge, il continue
son chemin dans le jazz sans changer ce qui fait son talent, un
enracinement dans un jazz de culture post bop, parfois coltranien
(«Wabash »)mais aussi proche de Cannonball Adderley par l’énergie
et le son pulsé («Night and Day», «The Gypsy»…) avec du swing,
le sens de la mélodie et un drive toujours enivrant. Ceux qui aiment
le jazz ne pourront qu’apprécier ce bel enregistrement où se sont
retrouvés un quintet de musiciens qui excellent dans ce registre:
Jeremy Pelt est brillant («Fly-Little Bird-Fly»), avec un bon délié
des notes, Mike LeDonne, percutant, en disciple parfois de McCoy
Tyner («The Adventures of Hyun Joo Lee»), Joe Farnsworth, explosif,
toujours aussi appréciable par ses qualités de drive, capable de
délicatesse, de musicalité et de relances puissantes. Ces musiciens
font le bonheur de la scène new-yorkaise, sans aucune esbroufe, ils
sont le jazz. Vincent Herring est un vrai leader. Il
a posé un cadre esthétique, sélectionné un beau répertoire,
construit un disque et instillé un esprit, il est à sa place pour
lancer la machine, mais laisse toute la place à ses compagnons avec
une solidarité et une confiance qui donnent cohésion et cohérence
à l’ensemble. Chacun sait en effet où il se trouve et connaît la
langue: le jazz! Au total, rien à jeter, une heure de
vrai jazz du meilleur niveau, qui ne bouleverse rien de l’histoire
mais apporte une belle pierre de plus à l’édifice culturel. Cela
peut sembler banal à certains, mais c’est parce qu’au fond ils
n’aiment pas le jazz, qu’ils sont ignorants des millions de
racines nécessaires à une telle musique et ne sont plus en état
d’apprécier la beauté d’une musique authentique.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Pierre Christophe Quartet
Live! Tribute to Erroll Garner
Erroll’s Theme-Passing Through, When
Your Lover Has Gone, Dreamy, 7-11 Jump, The Loving Touch, That’s My
Kick, Tea for Two, Misty, On the Street Where You Live, Dancing
Tambourine, Erroll’s Theme-Encore
Pierre Christophe (p), Raphaël Dever
(b), Stan Laferrière (dm), Laurent Bataille (cga)
Durée: 57' 25''
Camille Productions MS 022017
(Socadisc)
Ce disque rend hommage à Erroll
Garner, un phénomène unique du clavier qui connut une gloire
dépassant largement le cercle du public de jazz, sans jamais
sacrifier une once de son immense talent, mais eut quand même à
subir de son vivant le mépris de la «nouvelle» critique pour cela.
Ce succès, Erroll Garner l’a construit autour d’un style
proprement cinématographique, digne des plus grands concertistes de
l’instrument, toujours appuyé sur un swing, une pulsation
rythmique personnalisée (décalage du temps entre ses deux mains
pour donner plus de ressort, d’impulsion à ses attaques). Erroll
Garner, né en 1923 dans une place forte du jazz et du piano
(Pittsburgh, Pennsylvanie, où sont aussi nés Mary Lou Williams,
Ahmad Jamal et Art Blakey…) a disparu prématurément en 1975 a
seulement 52 ans. Toutes les générations, et pas seulement parmi
les amateurs de jazz, nées avant 1960 ont quelque part dans leur
cerveau, sans le savoir, ce décalage rythmique devenu sa signature.
Au-delà, c’était un formidable créateur de mélodie,
instrumentiste, rythmicien, un génie du piano à l’égal des plus
grands. Pierre Christophe est l’un des
pianistes de jazz de la scène française parmi les plus brillants,
doué d’une belle main gauche, comme en possèdent les pianistes
épris de la grande histoire du piano jazz. Il est aussi l’un de
ceux qui conservent un attachement sincère et savant à la grande
tradition, et il a été élevé à la très bonne école pour tout
cela du grand Jaki Byard, disparu, lui aussi prématurément, lors
d’un fait divers dramatique. Dans cet hommage, sans faiblesse ni de
goût, ni de style, ni de technique, il glisse d’ailleurs parfois
quelques traits de son maître dans l’univers garnérien, ajoutant
sa manière avec une maestria dont peu sont aujourd’hui capables.
Il emmène ses compagnons avec un drive qui se hisse au niveau de ses
aînés, et c’est un vrai plaisir d’écouter cet enregistrement live où les présents ont certainement passé l’une des
meilleures soirées de leur vie. Accompagné par les fidèles et
talentueux Raphaël Dever et Stan Laferrière (lui aussi bon
pianiste, mais également batteur, guitariste, arrangeur, un homme
orchestre), une section rythmique dans l’esprit. Note de culture et
de bon goût, il a, avec pertinence inclus un percussionniste,
Laurent Bataille, comme le fit parfois Erroll Garner, apportant ainsi
une dynamique rythmique encore plus marquée. On se souvient des
enregistrements effectués à Copenhague (1971) et à Paris (1972) avec
l’excellent Jose Mangual aux percussions.
Le répertoire sélectionné par Pierre
Christophe est bien équilibré entre le registre swing avec
l’éternel «Misty» et «On the Street Where You Live», «That’s
My Kick», le côté cinématographique avec «When Your Lover Has
Gone », «Dreamy», la dimension spectaculaire et inventive avec
«Tea for Two» (percussions), «7-11 Jump», «Dancing Tambourine»
où Pierre Christophe glisse des byardises au milieu des
garniérismes, et même parfois quelques notes de Count Basie pour
ponctuer, sans oublier le blues toujours présents avec «Erroll’s
Theme-Passing Through». Mais au fond, tout, le swing, le blues,
Garner, Byard, Pierre Christophe et le jazz sont partout présents
dans une savante synthèse. Pierre Christophe, comme Philippe
Milanta, est parmi ce que le jazz en France donne de meilleur au
piano, et Michel Stochitch, qui a coproduit ce disque avec Pierre
Christophe (Camille Productions), a donc bon flair, et ils ont eu de
plus la complicité de trois excellents musiciens, qui, délaissant
pistons et anches, ont apporté leur concours éclairé à cet
excellent enregistrement: François Biensan (mastering), Boss Quéraud
au crayon (belle illustration) et Carl Schlosser (enregistrement).
Un disque indispensable autant pour
lui-même que pour rappeler à tous, connaisseurs ou néophytes, quel
formidable artiste est Erroll Garner, un éternel à redécouvrir
sans modération.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Ernie Watts Quartet
Wheel of Time
Letter From
Home, A Distant Light, Inner Urge, Andi's Blues, L'Agua Azul, You And You,
Velocity, Goose Dance*, Wheel of Time (Anthem for Charlie)
Ernie Watts
(ts, ss*), Christof Saenger (p), Rudi Engel (b), Heinrich Koebberling (dm)
Enregistré les
1er et 2 décembre 2015, Darmstadt
Durée: 59'12''
Flying Dolphin
1011 (www.erniewatts.com)
Le dauphin volant nous propose la plus
récente production, sortie en avril 2016, du quartet européen
d'Ernie Watts. Le titre de l'album est un morceau qu'Ernie Watts a
dédié à Charlie Haden pour qui il a joué presque trente ans dans
le Quartet West. Le présent groupe joue ensemble depuis plus de
quinze ans, d'où l'homogénéité. Reste qu'il faut aimer la
sonorité geignarde et pas très ample, sans vibrato et plutôt terne
d'Ernie Watts. Il a d'ailleurs parfois un son d'alto sur le ténor
(alto dont il joua chez Buddy Rich). Non qu'il ne puisse "s'animer"
quelque peu, par exemple dans «Inner Urge» de Joe Henderson, seul
morceau avec «Goose Dance» de Farrugia qui ne soit pas l'inévitable
(aujourd'hui) «compo perso» des membres du groupe. C'est un produit
ni répulsif ni enthousiasmant. En in comme en off, on entend au long
des festivals dits de jazz (à défaut d'écouter) ce genre de chose,
qui n'accroche pas, mais qui ne dérange pas. Le disque peut faire
ambiance lors d'une réunion de rédaction sans perturber. Au rang du
sympathique sinon plus : une bossa paisible, «L'Agua Azul» (bon jeu
de balais) et l'exotisme rollinsien de «Goose Dance» (re-recording
de sax ténor et soprano non indiqué). Mieux encore, «Andi's
Blues», thème du bassiste, Rudi Engel qui s'est donné le beau rôle
(solo –beau son–, alternative ténor-piano-basse et
basse-batterie avec balais). Enfin, Rudi Engel, en soliste, rend un
hommage crédible à Charlie Haden dans «Wheel of Time». «The
Wheel of Time turns, and brings change» lit-on: oui, mais pas
systématiquement pour le meilleur.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Jean-Marc Foltz / Stephan Oliva
Gershwin
Somehow, The Man I Love, Fascinating
Rhythm/Someone to Watch over Me, 'S wonderful, My Man’s Gone Now, A
Foggy Date/Rhapsody in Blue, I Can’t Get Sarted, Rhapsody in Blue
Theme, Summertime, ‘S wonderful (Evening), Prelude n°2 Blue
Lullaby, I Love(s) You Porgy
Jean-Marc Foltz (cl, bcl), Stephan
Oliva (p)
Enregistré en janvier 2016, Pernes-les-Fontaines (83)
Durée: 45' 06''
Vision Fugitive 313012 (Harmonia Mundi)
Un clarinettiste et un pianiste
seulement, cela pourrait paraître un peu léger pour aborder la
musique de George Gershwin. Pourtant, Jean-Marc Foltz et Stephan
Oliva réussissent avec brio à gagner ce pari. Compensant leur
nombre par une palette sonore d'une infinie variété, ils
réussissent à trouver des points de vue inattendus le long de ces
sentiers battus et archi battus que l'on croyait connaître par cœur. Ils parviennent de plus, avec élégance, à y intégrer trois
courtes compositions personnelles qui se fondent parfaitement dans
ces paysages redécouverts. Une réussite, magnifiée par un très
beau livret de photos et d'affiches anciennes.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Bill Evans
The Quintessence. New York - Newport. 1956-1960
CD1: Waltz for Debby, Five, I Love You,
Concerto for Billy The Kid, All about Rosie, Stratusphunk, Nardis,
Fran-Dance, Like Someone in Love, Some Other Time, Young and Foolish,
Tenderly, Peace Piece + CD2: Early Morning Mood, On Green
Dolphin Street, My Heart Stood Still, Blue in Green, East Side
Medley: Autumn in New York, Autumn leaves, Spring Is Here, Peri's
Scope, What Is This Thing Called Love, Blue in Green, Chromatic
Universe I, II, III
Bill Evans (p) + personnels détaillés
dans le livret
Enregistré 1956 à 1960, New York,
Newport (détails dans le livret)
Durée: 1h 12' 43'' + 1h 12' 31''
Frémeaux & Associés 290
(Socadisc)
Tout a déjà été écrit dans Jazz
Hot sur le pianiste Bill Evans. Cette compilation en deux CDs
permettra pourtant à tous ceux qui ne connaissent pas l'intégralité
de son oeuvre, de se faire une idée d'une fraction (car il a
enregistré jusqu'en 1980, l'année de son décès, et il n'avait que
27 ans lors de ces premières séances) de l'étendue de son génie.
On y trouvera avec plaisir quelques-uns des enregistrements qu'il a
faits avec des musiciens moins connus que Miles Davis, John Coltrane
, Cannonball Adderley, Chet Baker, Benny Golson ou Art Farmer.
Quelques extraits plus rares de ses participations aux groupes
dirigés par l'arrangeur George Russell ou menés par l'altiste Hal
McKusick trouvent parfaitement leur place aux côtés des
incontournables perles de son propre trio avec, selon les prises,
Scott LaFaro, Teddy Kotick, Sam Jones ou Paul Chambers à la
contrebasse. Saluons encore une fois l’extrême qualité et la
précision des livrets de The Quintessence, cette collection
de rééditions... indispensable.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Stefano Bollani
Joy in Spite of Everything
Easy Healing, No Pope, No Party, Alobar
e Kudra, Las hortensias, Vale teddy, Ismene, Times from the Time
Loop, Joy in Spite of Everything
Stefano Bollani (p), Mark Turner (ts),
Bill Frisell (g), Jesper Bodilsen (b), Morten Lund (dm)
Enregistré en juin 2013, New York
Durée: 1h 15' 55''
ECM 2360 3784459 (Universal)
La musique, a priori légère,
commence comme un gentil calypso puis se poursuit sur le schéma
diabolique d'un blues digne de Thelonious Monk. Suivront une sorte de
valse swing, des ballades, une comptine en forme de jeu de pistes en
questions/réponses, des thèmes dont le tempo rapide maîtrisé
reste fluide. Aucune véhémence, le discours est
limpide malgré sa complexité, et le swing omniprésent. Sur des
canevas d'une rigueur inflexible, le pianiste leader permet au sax
et au guitariste, qualifiés parfois de «musiciens un peu froids»,
de révéler une inattendue et chaleureuse expressivité. La
contrebasse et la batterie rivalisant de légèreté, l'ensemble est
d'une grande cohérence et procure... de la «joie en dépit de
tout»... et par les temps qui courent tout baume est le bienvenu.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Classic Jam Quartet
Portraits
Jingle, La danse de Maë, Insomnia,
Contrabajeandro retrato de Jean-Marc, Contrabajeandro, Misma pena retrato de
Fabrice, Misma pena, Adios nonino retrato de Olivier, Adios nonino, Little Man,
La Javanaise, Just so, Canto triste, The Good Life*
Fabrice Moretti (ss, as*), Philippe Chagne (as),
Olivier Defays (ts), Jean-Marc Volta (bcl)
Enregistré du 6 au 8 juillet 2016, Mantes la
Jolie (78)
Durée: 55' 12''
Klarthe Records 012 (Harmonia Mundi)
C'est quasiment le quatuor de saxophones classiques depuis l'ère de
Marcel Mule et du Quatuor de la Garde Républicaine, sauf qu'au sax baryton se
substitue la clarinette basse. Du reste, le groupe se veut «à la croisée du
monde classique et du jazz». Fabrice Moretti, professeur au conservatoire
du Xe arrondissement de Paris et essayeur chez Buffet-Crampon,
représente avec Jean-Marc Volta, membre de l'Orchestre National de France, le "parti classique". Ils font coalition avec deux représentants du "parti jazz",
Philippe Chagne et Olivier Defays dont nous avons déjà parlé (Jazz Hot n°678, Men in Bop, Ahead 829-2). «Jingle» de Chagne est virtuose et bref
(0'52''). La couleur amenée par la clarinette basse est très intéressante comme
le démontre «La danse de Maë» de Defays, notamment dans le
mouvement lent avec cadence où elle est soliste. Les espaces d'improvisation
sont astucieusement aménagés sur des motifs écrits pour trois voix comme dans «Insomnia»
de Laurence Allison. Le seul problème est qu'une contribution improvisée n'est
pas la définition du jazz (car il y en a une depuis 1934). Il n'empêche que si
ce n'est pas du jazz, c'est de la belle musique jouée par des instrumentistes
dotés d'une excellente technique et d'une grande musicalité sans aspérités. «Contrabajeandro»
d'Astor Piazzolla orchestré avec art est une belle évocation de la danse,
permet d'apprécier le sax soprano, pur et juste, chantant, qui en d'autres
mains et autres contextes est un instrument redoutable. «Misma pena»
et le très connu «Adios nonino» sont deux autres compositions de
Piazzolla adaptées par Jean-Marc Volta qui, relevant plus des sonorités
classiques (constat et non pas critique) sont d'excellents moments artistiques
qui ne trahissent le lyrisme de l'Argentin. Ces orchestrations sont précédées
par des récitatifs qui s'autorisent des accents jazz (plage 8 par le ténor
d'Olivier Defays). L'introduction avant d'aborder le thème de «Canto
Triste» du Bréslien Edu Lobo est trop longue et démotivante. Philippe
Portejoie a écrit un sympathique arrangement de «La Javanaise» de
Gainsbourg, ici interprété avec classe: succès assuré! Il faut attendre le
dernier titre, «The Good Life» d'Ornette Coleman arrangé par Claude
Brisset pour entendre un travail swingué en section d'anches.
Il se trouve que
j'ai toujours aimé les quatuors d'anches classiques, un point personnel qui ne
justifie pas de conseiller aux exclusifs du jazz d'acquérir ce CD. Mieux vaut
l'écouter avant, ce qui fera aussi office d'ouverture d'oreilles sur un
ailleurs expressif.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°680, été 2017
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François Laudet Quintet + One
Gene Krupa Project
Midget, Drum Boogie, Georgia on My Mind, Idaho, Jungle
Drums, Disc Jockey Jump, Let Me Off Uptown, Swedish Schnapps, Imagination, Stop
The Red Light's On, Overtime, Coronation Hop, Skylark, Summt Ridge Drive,
Indian Club
François Laudet (dm), Malo Mazurié (tp), Esaie Cid (as, cl, arr), Pablo Campos
(p), Cédric Caillaud (b), Marie-Elisabeth Floquet (voc)
Enregistré: les 29-30 juin 2016, Chérisy
Durée: 52' 38''
Autoproduction (laudet.francois@gmail.com)
François Laudet, qualifié, rend hommage au Gene Krupa des années 1950 en
petites formations avec les Willie Smith et autre Charlie Shavers qui est ici
l'auteur de plusieurs thèmes. Il s'agit d'un quintet avec la présence d'une
chanteuse dans quatre titres («Georgia», «Let Me Off Uptown», «Stop, The Red
Light's On», «Skylark»). Evidemment, François Laudet est remarquable, évoquant
même le son de Gene Krupa dans «Drum Boogie». Nous avons le plaisir de
retrouver Malo Mazurié (cf. Jazz Hot n°677, Three Blind Mice) qui
s'était imposé dans la lignée Roy Eldridge aux côtés de Michel Pastre (2015, Charlie
Christian Project). On retrouve ici son jeu plein de drive («Swedish
Schnapps», «Disc Jockey Jump», etc). A noter toutefois un vibrato marqué («Jungle
Drums», la belle ballade «Imagination» où Esaie Cid est très bon) qui passe
mieux avec la sourdine («Skylark»). Les arrangements sont souvent très bien
conçus comme «Idaho», «Overtime» et «Coronation Hop». L'un des deux derniers
cités aurait pu être placé en début de programme car chacun s'y exprime en solo
(Laudet est à un très haut niveau de finesse dans «Coronation Hop»). Esaie Cid
semble tout connaître de Louis Jordan à Paul Desmond en passant par Johnny
Hodges qu'il évoque dans son premier solo sur «Jungle Drums», plage ou Pablo
Campos est également excellent. Cid joue aussi de la clarinette avec un léger
growl et beaucoup de swing dans «Summit Ridge Drive» où Malo Mazurié s'impose
aussi avec le plunger.
Une formation qui espérons-le, trouvera sa place dans
nos festivals.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Albert Sanz Trio
O que será
Soberana
rosa, O que será, Antes que sea tarde, Outros sonhos, Mil perdões,
Mar e lua, Desperar jamais, Daquilo que eu sei, Aula de matemática,
Sophisticated Lady
Albert Sanz (p), Javier Colina (b), Al Foster
(dm)
Enregistré les 28 et 29 novembre 2011, New York
Durée:
57'
Karonte 7835 (www.albertsanzmusic.com)
Albert Sanz Trio
For Regulars Only
For
Regulars Only, Mil perdões, Medo de amar, You’ll Hear It, Medley
(A Single Petal of a Rose, Le Sucrier de velours, Stop Start)
Albert
Sanz (p), Javier Colina (b), Al Foster (dm)
Enregistré en mai
2012, Madrid (Espagne)
Durée: 54'
Records d’Albert 001
(www.albertsanzmusic.com)
Albert Sanz & Sedajazz Big Band
L'Emigrant
Movilidad
exterior, L’Emigrant, Fuga de cerebros, Bird's Eye, Si de vora meu
un dia, Forêt, Levando anclas, Lisboa adormece, A base de bé, Anu
Raniya, Movilidad exterior
Personnel détaillé dans le
livret
Enregistré les 9, 10 et 11 juillet 2016, Valence
(Espagne)
Durée: 1h 06'
Sedajazz 038 (www.sedajazz.es)
Le
pianiste valencien Albert Sanz a toujours été fasciné par la
batterie. Quand il écoute un concert il veille toujours à être
proche du drummer. On comprend pourquoi une de ses obsessions a été
d’enregistrer avec un grand batteur et il a su convaincre Al
Foster, accompagné par le brillant contrebassiste Javier Colina. Les
deux Espagnols ont ainsi rejoint Al à New York pour finaliser le
projet. Curieusement, alors qu’en club le trio a joué Dexter
Gordon, Ellington, Lee Morgan et des compositions d'Albert, ce
dernier a choisi pour le disque un répertoire brésilien et
principalement des thèmes de Ivan Lins et Chico Buarque. L’ensemble
est marqué par une grande délicatesse («Soberana Rosa», «Outros
sonhos», «Mil perdões»…) à travers laquelle on apprécie
pleinement les qualités de Sanz, qui -on le savait déjà- est,
outre Pyrénées, un des pianistes les plus doués de sa génération.
Sanz et ses partenaires s’éloignent de toute tentation de fusion
jazz-bossa ou jazz-samba et s’inscrivent pleinement dans le jazz.
Le classique «O que sera» de Chico est admirable. On est à deux
doigts de frissonner devant l’interprétation du pianiste. Le
thème, dont le trio sait sortir à bon escient, offre un beau solo
de Colina et Al Foster se coule dans le jeu de Albert. «Antes que
seja tarde», une fois présenté, est également un prétexte à ce
que, s’appuyant sur la section rythmique, le piano voyage dans le
jazz. L’introduction de Colina soutenue par le piano dans «Mar e
lua» est très belle. Sanz égrène ensuite ses notes, toujours avec
la même délicatesse, prenant progressivement le pas sur la
contrebasse. Al Foster laisse s’exprimer totalement ses deux
partenaires mais revient avec dynamisme pour «Desesperar jamais»,
un thème enlevé, swinguant à souhait. «Daquilo que eu sei» est
plus classique mais met bien en évidence les qualités de chacun des
membres du trio.
Le disque s’achève avec deux thèmes échappant
à Lins et Buarque. On reste au Brésil avec «Aula de matemática»
de Jobim puis apparaît Duke Ellington et, à travers «Sophiticated
Lady», se fait jour la personnalité d’Albert Sanz. Al Foster se
régale et nous régale. Combien de fois le batteur américain a-t-il
joué ce thème? On en sent l’imprégnation chez lui. Il l’a
intégré, le dompte, le domine et, avec la contrebasse de Colina,
dresse la table pour son leader. Superbe!
Avec les mêmes
partenaires, Albert enregistre au Cafe Central de Madrid six mois
plus tard. Foster n’est pas vraiment au courant… mais l’idée
est excellente car le résultat est formidable! Un concert en club
est souvent plus intéressant qu’un disque qui avec la profusion
des technologies modernes n’a jamais la chaleur du live. Cet
enregistrement in vivo, avec des moyens certes plus limités
rend bien l’atmosphère du lieu. Le disque est vivant, chaleureux,
les musiciens relax… tout pour offrir une ambiance 100% jazz dans
laquelle on entre immédiatement avec le thème de Dexter Gordon «For
Regulars Only». Si dans le disque précédent, Albert Sanz montre
qu’il est un grand pianiste, il confirme là qu’il est un sacré
jazzman! On entend les musiciens marquer par quelques onomatopées un
plaisir évident. Beau solo de Colina, applaudissements du public.
Foster brille, à la caisse claire en particulier. La bonne idée
aussi est d’offrir -à l’exception de «Mil perdões»- des
thèmes différents de ceux enregistrés quelques mois avant. Ce
dernier titre est tout aussi délicat que dans la version studio. Une
citation du «Manisero» égrenée sur les notes du piano, avec un
super walking de Foster soulève l’enthousiasme du Cafe
Central. Le bruit de fond du club et les verres qui s’entrechoquent
donnent de la vie à l’enregistrement et cela ne perturbe en rien
ni le pianiste ni Javier Colina qui introduisent cette belle mélodie
de Vinicius de Moraes pour laquelle Al s’avère d’une grande
discrétion. Pour l’unique composition de Sanz, «You’ll Hear
It», Foster revient en force. Sa prestation est brillante, soutenue
par Colina. Le pianiste peut s’exprimer pleinement. Le trio swingue
et la seconde partie du thème est menée à un train d’enfer.
Effets de voix sans doute de Foster. Pour le long medley final (16
minutes) on réclame le silence. C’est nécessaire pour «Single
Petal of a Rose» puis «Le Sucrier velours» puisé dans laQueen’s Suite de Duke. Les deux thèmes sont tout en douceur.
Retour au swing avec «Stop-Start» de Lee Morgan. Les doigts de Sanz
s’agitent, Foster est très présent et Colina se montre
imperturbable. Sur le walking de Colina, Sanz et Foster se
déchaînent avec l’aide du public pour la conclusion de ce set.
Applaudissements fournis et on imagine sans problème la standing
ovation finale!
Avec le troisième enregistrement, L'Emigrant, on
retrouve Albert Sanz au sein du Sedajazz Big Band, véritable
institution depuis plus d’un quart de siècle, dont la réputation
dépasse largement le village de Sedavi, la région de Valence, et
s’étend à toute la péninsule. Tous les jeunes jazzmen de la Côte
Est de l’Espagne y ont à un moment ou un autre fait leurs armes,
d’autres, arrivés à un âge plus mûr, continuent de prêter leur
collaboration. Des noms? Eladio Reinon, un des pionniers de sa
direction. L’homme avait convié Bebo Valdés, avant même que
celui-ci ne soit "redécouvert", à enregistrer son Afro Cuban
Jazz Suite n°1 avec le big band. Perico Sambeat (as), Ramón
Cardo (ts)… plus récemment David Pastor (tp), Toni Belenguer (tb),
Latino Blanco (bs) qui le dirige aujourd’hui… et des dizaines
d’autres. Pour cet enregistrement c’est Albert Sanz qui en prend
les rênes et y officie avec pas moins de quatre trompettes, quatre
trombones, cinq saxophones, drum, basse et des invités. C’est
également lui l’auteur de huit des dix thèmes dont le fil
conducteur est assez clair: le voyage, l’émigration qui est
d’actualité, notamment chez les jeunes, en Espagne. Cette idée
directrice inclue le déracinement inhérent au monde que l’on
quitte et qui justifie un certain éclectisme provoqué par deux
titres rompant l’unité du disque. Albert Sanz confirme ici son
goût pour le travail en grande formation, comme il l'indique dans
l'interview à lire dans ce numéro de Jazz Hot. A l’écoute
de L’Emigrant, qui n’est pas sa première tentative à la tête
d’un grand orchestre, on s’aperçoit qu’il y réussit avec la
volonté ellingtonienne (dixit Albert) de penser aux musiciens avec
lesquels il va travailler plutôt que de composer de manière
abstraite. Chacun des ensembles saxos, trompettes et trombones
présente une homogénéité sans qu’aucune des parties ne sorte du
chemin prévu par Albert hormis dans les espaces pour solistes que
celui-ci a conçu et dans lesquels évidemment ceux-ci ont une large
liberté. On apprécie ainsi particulièrement le thème qui donne
son nom au projet «L’Emigrant» avec un solo de ténor de Vicent
Macian, né justement à Sedavi, que nous découvrons dans ce disque.
Par ailleurs, en tant que pianiste, Albert Sanz mène parfaitement la
section rythmique, ne monopolise pas la parole, laissant tous les
soli à ses partenaires. Il montre aussi ses qualités dans certains
passages de «Fuga de Cerebros», dans «Bird’s Eyes» sans doute
le meilleur thème du disque.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Perico Sambeat Big Band
Voces
La voz del viento*,
Viejo Mundo, Jardín de Luz**, La sombra de Ciro, Matilda*, Triptik,
Rosa dels vents**, Memoria de un sueño
Perico Sambeat (as, fl,
vib), Enrique Oliver, Vivente Macián (ts), Ernesto Aurignac (as),
Guím Garciá (as, cl), Joan Chamorro (bs), Voro García, Julían
Sánchez, David Martínez, Andrea Motis, (tp, flh), Carlos Martín,
Toni Belenguer, Victor Correa (tb), Dario García (tb), André
Fernandes (g), Joan Monné (p), Martín Leiton (b), Antonio Sánchez
(perc), , Silvia Pérez Cruz*, Viktorija Pilatovic** (voc)
Enregistré
les 5 et 6 octobre 2014, Barcelone (Espagne)
Durée: 59'
Karonte
7853 (http://pericosambeat.com)
La qualité musicale est le grand point
fort de cet enregistrement de Perico Sambeat. On comprend le temps
consacré à polir le projet, à réunir les musiciens adéquats
parmi lesquels quelques jeunes figures du jazz de la Côte Est (de la
péninsule!) et des vétérans comme Joan Chamorro, Joan Monné... Il
faut ensuite être capable d’écrire des arrangements à la hauteur
du projet et de diriger un big band de vingt musiciens! Dans ces deux
domaines le saxophoniste valencien a déjà montré ses compétences
avec son Flamenco Big Band de 2007 (on retrouve dans Voces,
quelques acteurs de l’époque). Voces (Voix) comporte
quatre titres chantés, deux par la réputée Silvia Pérez et deux
par Viktorija Pilatovic, jeune lituanienne ex-élève de la Berklee
à Valence, chacune se partageant l’espagnol et le valencien. Ce
sont deux belles voix bien adaptées au projet de Sambeat. Une réelle
unité mélodique existe entre les quatre thèmes et les deux voix.
La délicatesse prime avec quelques accentuations latines venues
d’outre atlantique. Evidemment l’orchestre est au service des
deux jeunes femmes et devient plus jazz lorsque les voix lui laissent
la place, avec quelques belles improvisations de Perico dans
«Matilda» et «Jardín de luz»; du guitariste André Fernandes sur
ce dernier morceau; de Joan Monné dans «La Voz del viento»; de
Joan Chamorro dans «Rosa dels vent». Les quatre autres
thèmes, purement instrumentaux, permettent d’apprécier Perico
Sambeat comme chef d’orchestre. Et sur ce plan, en Europe, peu
pourraient lui donner des leçons bien qu’il n’ait pas une
formation académique d’arrangeur ou de compositeur. Tout est
absolument minutieux, géré au millimètre. De toute évidence le
saxophoniste, amoureux des big bands, qui mentionne parmi ses
préférés Ellington mais aussi Wheeler ou Maria Schneider, prend
tout son temps pour élaborer ses travaux grand format. Et c’est
beau. Les unissons de trompettes tout comme ceux de trombones sont
parfaits et les solistes qui tous ont carte blanche ont intégré les
idées de Sambeat et insèrent parfaitement leurs improvisations afin
d’en tirer toute la saveur mais aussi pour donner une unité à
chaque titre. On relève évidemment ceux de Perico sur trois des
quatre instrumentaux («Viejo mundo», «Memoria de un sueño»,«La sombra de Ciro») et là on écoute l’un des meilleurs,
sinon le meilleur saxophoniste alto espagnol. Les belles choses
viennent encore de Fernandes sur les deux premiers de ces thèmes; de
Aurignac et toujours Fernandes («Triptik»); Oliver («Memoria de un
sueño»: beau duo avec Perico et intervention de Sánchez aux
percussions); Monné («Viejo mundo»), Voro García, un trompettiste
qui a beaucoup progressé ces dernières années sur «La Sombra de
Ciro».
Ce disque de Perico Sambeat, à l’heure où
fourmille une importante génération de jeunes musiciens aux talents
variés qui pour certains passent très vite d’une chose à l’autre
au gré de leur zapping, marque la permanence d’une précédente
génération qui en Espagne, principalement du côté de la
Méditerranée, a sorti dans les années quatre-vingt, le jazz d’un
marasme culturel très prononcé.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Gonzalo Tejada Quartet
To Norman Jeane Baker
Diamonds Are a Girl’s Best Friend*, A
Fine Romance, Kiss*, My Heart Belongs to Daddy, After You Get What
You Want*, I’m Through With Love… and I’m Dancing Alone,
Marilynrythm, Norma Jeane Baker*
Gonzalo Tejada (b), Mikel Andueza
(as, ts, ss, cl), Roger Mas (p), Iago Fernández (dm) + section de
cordes*
Enregistré les 18 et 19 octobre, Beasáin et le 23
novembre 2013, San Sebastián (Espagne)
Durée: 48'
Errabal
072 (www.errabaljazz.com)
Le contrebassiste
basque Gonzalo Tejada, économe en matière de disques, rend dans
celui-ci un hommage personnel à Marilyn Monroe. Il a réuni
d’excellents partenaires pour cet enregistrement et choisi six
musiques de films dans lesquels Marilyn joue et chante. Elles sont le
fruit de grands compositeurs, Kern, Porter, Berlin, Newman/Gillespie
et autres. Tejada en assure les arrangements et le travail est des
plus soignés. «A Fine Romance»: Marilyn l’a enregistré
en 1953. Si sa version manquait de swing, Tejada a réintégré
celui que surent donner en leur temps Billy Holiday puis Armstrong et
Ella. «Marilynrythm» est une des deux compositions de Gonzalo.
C’est certainement un des meilleurs moments de jazz grâce au swing
du quartet et un beau solo de Tejada. «My Heart Belongs to Daddy»,
a été chanté par Marilyn mais aussi, antérieurement, par Ella et
joué par Charlie Parker. Mikel Andueza, au ténor, s’en souvient
sans aucun doute lorsqu’il lance le thème accompagné par un
travail original du batteur qui s’éloigne de celui du drummer de
Parker. Mikel s’efface le temps nécessaire à l’exécution d’un
superbe solo de contrebasse. Sur les images du film Some
Like It Hot on voit l’actrice chanter, accompagnée par
un orchestre féminin, les deux thèmes «I’m Through With Love»
et «I’m Dancing Alone» que Tejada a rassemblés en un seul
pour cet enregistrement. C’est encore du bon jazz, éloigné du
style de l’actrice-chanteuse. Gonzalo a fait l’impasse sur les
cordes de la version filmée. Cordes que l’on retrouve sur le reste
du disque. Le contrebassiste a convoqué vingt-quatre musiciens de
l’orchestre d’Euskadi, les a dirigés et a écrit là aussi les
arrangements. Ceci donne une toute autre ambiance à ces quatre
thèmes. «Norma Jeane Baker» est une composition du Basque.
Le quartet introduit lentement l’orchestre. Le piano, la
contrebasse, égrènent leurs notes, c’est beau, chargé d’émotion,
celle sans doute que ressent Gonzalo envers Marilyn. Le saxophone
fait son retour à la fin d’un thème qui s’anime davantage avant
de conclure dans la douceur. Les cordes sont présentes aussi sur une
musique de Gentlemen Prefer
Blondes, «Diamonds Are a Girl’s Best Friend».
La clarinette tient le rôle de la voix de Marilyn et émerge
au-dessus d’un orchestre bien moins de turbulent que dans le film,
puis successivement le piano et la contrebasse se mettent en
évidence. «Kiss», issu de Niagara,
et «After You Get What You Want», valorise la direction de
l’orchestre par Tejada. Pour les deux thèmes c’est le soprano
qui est à l’honneur. Soulignons également la qualité du pianiste
Roger Mas et du jeune batteur Iago Fernández.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Christian Brenner
Le Son de l'absence
Cadences, Arborer Sens,
Le Doode, La Chambre rouge, Hypno-tic,
Le Son de l’absence Beslan, Happy Hours, Little Girl Blue*
Christian Brenner (p), Olivier Cahours (g), François Fuchs (b),
Jean-Pierre Rebillard (b)*, Pier Paolo Pozzi
(dm)*
Enregistré en mars et
novembre 2009, Paris et en avril 2009; Rome*
Durée: 44’ 08’’
Amalgammes 0002 (www.christianbrennerjazz.com)
Le Son de l’absence est un album à part dans la discographie de Christian Brenner. L’artiste
privilégie depuis toujours une certaine délicatesse qui l’éloigne des formes de
jazz les plus démonstratives. Fidèle à ses influences, le contexte émotionnel
de cet opus met en exergue le legs de Bill Evans, Fred Hersch ou Kenny Barron à
la sensibilité du pianiste. Installé à Paris depuis 1968, il fonde
l’association «Amalgammes» en 1995, qui défend cet héritage
culturel, produisant notamment ce disque, dont l’intimisme revendiqué ne le
destine pas forcément au grand public. Dès les premiers titres, «Cadences»
et «Arborer Sens» l’aspect dépouillé et purement acoustique du son
introduit à un déroulement très progressif des idées mélodiques, qui
s’enroulent autour d’un axe imaginaire sur lequel les musiciens greffent leur inspiration
du moment, à la manière dont on affinerait le grain d’une photographie sépia. A
l’exception du dernier morceau, Little Girl Blue», l’intégralité des
compositions est déclinée sans batterie, ce qui renforce l’esthétique très
musique de chambre d’un CD très justement sous-titré Trio(s), «La Chambre rouge» représentant certainement
l’item le plus emblématique de cette vision intérieure dénudée. Le point pivot
de l’album est «Le Son de l’absence», sorte d’œuvre-vie dédiée à
son épouse trop tôt disparue. C’est peut-être paradoxalement sur cet hapax
existentiel qu’il est le plus difficile d’entrer dans le flux harmonique
proposé par les musiciens. Après plusieurs écoutes, on comprend que l’aspect
convulsif et inchoatif du titre s’inspire de la période de recomposition qui
suivit la perte de l’être aimé pour Christian Brenner. Le mouvement imperceptible
qui se dégage des échanges entre musiciens met plusieurs minutes à atteindre
son apogée, et pourtant c’est sans doute ici que la soie du phrasé d’Olivier
Cahours se combine le mieux avec la sensibilité des notes choisies par le
pianiste. La combinaison de «Beslan» et de «Happy Hour»
est d’ailleurs un modèle du genre, sorte de préparation à une dernière piste
habitée par la grâce, sous l’influence conjuguée de Jean-Pierre Rebillard et
Pier Paolo Pozzi, deux compagnons de route chers au cœur de Christian Brenner. Un
magnifique album habité par une sincérité et un interplay exemplaires, où les silences eux-mêmes acquièrent un
pouvoir d’éloquence digne des discours les plus inspirés.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Christian Brenner
Les Belles heures
Sogni D’Oro, Les Petites pierres, Nove De Agosto; Le
Voyage; Praia Do Forte; Les Belles heures, Um Passeio A São Pedro De Alcântara,
Lua Vermelha, Terre Happy Christian Brenner (p, elp, key), Stéphane Mercier
(as, fl), Cristian Faig (fl), Cassio Moura (g), Arnou de Melo (b), Mauro
Borghezan (dm) Enregistré en mai 2014 et janvier 2015, Florianópolis
(Brésil) Durée: 52’ 42’’ Jazz Brenner Music 001/2016 (www.christianbrennerjazz.com)Christian
Brenner fait du voyage un principe d’ouverture au monde, ramenant de ses
pérégrinations des couleurs, des senteurs, des saveurs, qu’il intègre à la
trame de ses compositions personnelles. Il découvre le Brésil en 2011, en parallèle de l’organisation des soirées au Café Laurent à Paris (voir son interview dans ce
numéro 679), où il programme des sessions majoritairement acoustiques, qui
correspondent tant à ses goûts personnels qu’au jazz enraciné qu’on associe aux
grandes heures du quartier de Saint-Germain-des-Prés. La
particularité de cet album, Les Belles
heures, est que le saxophoniste et flûtiste belge Stéphane Mercier joue sur
les quatre premiers titres, tandis que l’argentin Cristian Faig joue de la flûte
sur les cinq restants. Avec une tonalité plus acoustique sur la première moitié
du disque, et divers claviers électriques sur les pièces jouées avec le flûtiste,
beaucoup plus teintées d’harmonies sud-américaines, on passe donc du post-bop
emblématique de l’artiste, mâtiné de quelques influences classiques, à une musique
sud-américaine du plus bel aloi, sans jamais perdre les qualités associées au
talent de Christian Brenner, à savoir introspection et sens de l’harmonie, associés
aux velléités contemplatives et esthétiques qui parcourent les neuf pistes de
l’album. «Sogni d’Oro» amorce une tentative d’approche du continent
sud-américain tel qu’on peut le percevoir de Paris, avec une sorte
d’objectivation de l’exotisme destinée à rendre plus authentique la relation
sous-tendue. Sur «Les Petites pierres», on voit affleurer les influences
classiques qui jalonnent le parcours artistique du pianiste, les changements de
tonalité du morceau évoquant par moments
l’art du contrepoint propre à Jean-Sébastien Bach. On remarque au passage que
Christian Brenner conjugue ces influences avec un sens du rythme et de
l’orchestration jazz bien plus convaincant que celui de nombre de ses pairs. A
nouveau présentes dans «Le Voyage» et «Les belles
heures», on reste confondu du brio avec lequel le claviériste les intègre
à la trame de ce qui s’avère être une authentique approche world music de la
culture brésilienne. L’artiste a voulu conférer à l’œuvre enregistrée une unité
qu’auraient pu menacer les deux formations instrumentales distinctes qui
interviennent sur l’album. Il y est parvenu d’une façon remarquable si on
considère le fait qu’il utilise des claviers électriques sur les cinq derniers
titres, au nombre desquels le fameux Fender Rhodes sur lequel s’illustrèrent
des claviéristes comme Terry Trotter. Une autre trademark de Christian Brenner est l’aspect très progressif de
structures reliées entre elles par un entrelacs d’harmonies dont les liaisons
s’établissent aux termes de circonvolutions mélodiques multiples. Le lent
développement des idées qui préside au squelette de la plupart des compositions
fait partie de la magie du jazz telle que Christian Brenner la conçoit. Sans
passage de témoin obligé au moment des solos, les interventions lumineuses de Stéphane Mercier et de Cristian
Faig insufflent à cet album une fraicheur et une richesse telles qu’on peine
tout d’abord à concevoir ce que ces compositions doivent à la guitare de Cassio
Moura. Car il s’agit bien ici d’un jazz conçu par des musiciens qui jouent ensemble
plus qu’ils ne font leurs gammes chacun dans leur coin. Une musique que pourrait
sans doute illustrer la formule de Paul Auster «Le monde est dans ma tête, ma tête est dans le monde».
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Renee Rosnes
Written in the Rocks
The Galapagos suite:
The KT Boundary, Galapagos, So simple a beginning, Lucy From Afar, Written in
the Rocks, Deep in the Blue (Tiktaalik), Cambrian Explosion, From Here to a Star,
Goodbye Mumbai
Renne Rosnes (p),
Steve Nelson (vib), Steve Wilson (fl, ss, as), Peter Washington (b), Bill
Stewart (dm)
Enregistré les 15
et 16 juin 2015, New York Durée: 57' 02''
Smoke Sessions
Records 1601 (www.smokesessionsrecords.com)
Joe Henderson, James Moody, Wayne Shorter, Bobby Hutcherson,
Ron Carter, NHOP, Jay Jay Johnson... La pianiste canadienne Renee Rosnes,
injustement méconnue de ce côté de l'Atlantique, ne manque pas de références,
et l'on comprend qu'elle soit «soutenue» par les pianos Steinway. Son
intérêt pour la recherche scientifique, de la naissance de la vie dans les
océans et de sa lente migration sur la terre ferme,
Au sein d'une formation de rêve, elle livre ici une musique riche d'invention
et d'enthousiasme. Un jazz contemporain, serein et original, gorgé de swing et,
puisqu'il s'agit d'Histoire, promis à
une longue postérité justifie le titre de l'album et de tous les
morceaux. Mais cela ne saurait occulter un sens aigu de la composition et des
arrangements, et un jeu de piano original et particulièrement incisif (qui fait
forcément penser aux fulgurances de McCoy Tyner).
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Mighty Mo Rodgers
Mud 'n Blood
Goin’ South, Haunted by the Blues,
The Ghost of Highway 61, Unmarked Grave, Run Brother Run, Backroad
Blues, Devil Train Boogie, I Got a Call From the Devil, The People
Could Fly, Drivin’ Up, Juke Joint Jumpin’, White Lightnin’ and
High Yella, Love Will Only Make U Sweat, Everybody Needs the Blues,
Thank you Mississippi, Almost Home + Press conference
Mighty Mo Rodgers (elp, voc), Davyd
Johnson (ts), Dizzy Dale Williams, Butch Mudbone (elg), Darryl
Dunmore (harp), Derf Reklaw (bottle), Smiley Lang, Willie B. Sharp
(elb), Clarence Harris, Burleigh Drummond (dm), Margrette Floyd,
Patricia Rodgers (voc)
Enregistré en 2013 et 2014, Los
Angeles (Californie)
Durée: 41' 59''
Dixiefrog 8770 (Harmonia Mundi)
Nous chroniquons tardivement ce disque
paru en 2014, à l’occasion du passage à Paris, au Jazz-Club
Etoile, de Mighty Mo Rodgers (voir notre rubrique «compte rendus»).
Depuis son premier album, Blues Is My Wailin’ Wall (Blue
Thumb, 1999), poursuit une œuvre d’une remarquable cohérence, une
suite de «concept-albums» formant son «Blues Cycle». Avec ce
sixième opus, Mud ‘n Blood, le bluesman-philosophe, livre
un conte à la fois sombre et vivifiant (le disque est sous-titré «A
Mississippi Tale») qui est une remontée aux sources du blues, dans
le Sud profond. Le livret, très soigné, qui permet de lire les
paroles (elles en valent la peine) et ponctué de petits textes, de
plus traduits en français. Le propos liminaire de celui qui se
définit comme un «soldier of the blues» rend sa démarche limpide:
«Ce périple aura été long et parfois pénible pour moi. Une
voyage dans le Sud d’autrefois, effectué en emportant avec moi les
souvenirs d’un oncle qui avait passé douze ans et demi sur unchain gang, d’un père né tout juste vingt ans après
l’abolition de l’esclavage. Pourtant, cette expérience aura eu
sur moi des vertus curatives. Le blues vous aide à traverser
l’obscurité avant de faire la fête, une fois la lumière
retrouvée. J’aime le blues, une histoire américaine et un don
hérité de Dieu que ma communauté a offert au reste du monde.»
Tout est dit.
Le récit se partage entre côté
obscur(«Unmarked Grave», sur les terribles chain gangs –
chaînes de prisonniers condamnés aux travaux forcés – qui ont
perduré jusqu’aux années cinquante, ou «Run Brother Run», sur
les pendaisons sommaires) et côté lumineux («Juke Joint Jumpin’»,
sur les juke joints, ces établissements rudimentaires où les
travailleurs s’amusaient le soir, ou le jubilatoire «Everybody
Needs the Blues»). Mighty Mo effectue ici un travail de mémoire
essentiel, à travers différents petits tableaux retraçant le vécu
de la communauté afro-américaine. Il rappelle ainsi l’histoire
douloureuse du blues et son universalité, car il parle de la
condition humaine. Pour Mighty Mo, le blues est une vérité
essentielle, voire métaphysique, à laquelle il se consacre avec une
grande intégrité.
Toujours profond mais jamais
sentencieux, Mighy Mo Rodgers conclut cet album avec, en bonus
track, une vraie-fausse conférence de presse où il en remet
encore quelques louches avec un humour savoureux, concluant par un
message à sa communauté de naissance, dont il redoute qu’elle ne
finisse par perdre le fil de sa mémoire: «We all are the blues
people, and we got to get back to the blues».
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Dave Liebman/Richie Beirach
Balladscapes
Siciliana, For all We Know, This Is
New, Quest, Master of the Obvious, Zingaro, Sweet Pea, Kurtland,
Moonlight in Vermont, Lazy Afternoon, Welcome/Expression, DL, Day
Dream
Dave Liebman (ss, ts, fl), Richie
Beirach (p)
Enregistré en avril 2015, Zerkal
(Allemagne)
Durée: 1 h 14' 21''
Intuition 3444 2 (Socadisc)
Deux amis qui affichent cinquante ans
de relation musicale et quarante-trois ans de partage en duo. Pour
Dave Liebman, Richie Beirach est l’ancre du groupe, plus encore que
le couple basse-batterie. On peut en juger dans ce disque. Et cet
ancrage permet au saxophoniste, essentiellement au soprano (il
n’apparaît que trois fois au ténor, et pour un cours solo à la
flûte) de laisser libre cours à son lyrisme. Il joue avec ce qu’on
appelle un son droit, c’est à dire sans vibrato, mais avec une
sonorité chaude, moelleuse et cuivrée, qui évoque assez celle de
Steve Lacy; il sait être dans la force ou bien la délicatesse. Ces
deux musiciens possèdent au plus au point le sens du silence,
laissant respirer la phrase, la note; provoquant même le
recueillement sur les tempos très lents. Treize ballades, on
pourrait craindre l’ennui; il n’en est rien tant les morceaux
sont tendus, détaillés délicatement, chauffés dans les
profondeurs des sentiments. Comme par exemple «Welcome/Expression»
de Coltrane, avec Dave Liebman au ténor; c’est une calme
méditation belle comme un soleil qui invente l’aube; un chant
profond dans le grave du ténor, magnifié par le pianiste, qui
possède une main gauche riche harmoniquement, et qui souvent place
de savoureux contrepoints derrière la mélodie du saxophone. A noter
une très personnelle et convaincante interprétation de la
«Sicilienne» de J.S. Bach. C’est dans les ballades qu’on peut
goûter la profondeur expressive des musiciens. Et là on est à la
fête.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Claude Tchamitchian Sextet
Traces
Poussières d'Anatolie, Vergine, La
Route de Damas, Lumières de l’Euphrate, Antika, Les Cieux
d’Erzeroum
Claude Tchamitchian (b), Daniel Erdmann
(ts, ss), François Corneloup (bar, ss), Philippe Deschepper (g),
Christophe Marguet (dm), Géraldine Keller (voc)
Enregistré les 18 et 19 octobre 2015,
Pernes-les-Fontaines (83)
Durée: 55' 36''
Emouvance 1037 (Socadisc)
Comme pas mal
d’autres musiciens de jazz aujourd’hui, Claude Tchamitchian
plonge dans ses propres racines pour confectionner son jazz. On nous
dit que c’est André Jaume, dans les années quatre-vingt, qui lui
fit remarquer que «dans les inflexions de ses mélodies
affleuraient les traces de ses origines arméniennes», d’où
le nom du disque. On voyagera donc dans les «Poussières
l‘Anatolie», les «Lumières de l’Euphrate»,
jusque sur la «Route de Damas» sous «Les Cieux
d’Erzeroum». Il avait déjà travaillé sur les modes
orientaux avec son orchestre Lousadzak. Ici, il a élaboré une suite
consacrée à l’évocation du génocide arménien sous forme de
photographies sonores dont chaque thème est l’évocation d’un
épisode de la vie de personnages imaginaires, mais emblématiques
(voir le texte de Stéphane Olivier sur le livret). Il appartient à
la chanteuse Géraldine Keller de dire les textes parlés (tirés de
Seuils de Krikor Beledian, Editions Parenthèses, 1997),
souvent d’exhortation. Elle chante aussi d’une façon très douce
et mélancolique, se coule dans les ensembles, ou pratique le jodel
d’Europe centrale. Côté jazz, on peut noter un beau travail des
saxes: par exemple, le solo de ténor sur «La Route de
Damas» et surtout la prestation «en colère» de
François Corneloup au baryton, sur une batterie diluvienne, avec des
montées incroyables dans le suraigu; des cris de douleur et de
rage, avec également la prestation formidable du contrebassiste, et
un texte tragique qui parle de l’Euphrate mangeur d’hommes.
«Antika» est une délicate et belle ballade menée par
le ténor sur accompagnement de la contrebasse et tout le groupe, qui
se termine sur une longue plainte écorchée de la chanteuse:
très prenant. A noter un mouvant et captivant solo de contrebasse à
l’archet sur cet étrange et captivant «Antika».
Un bel album.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Enrico Pieranunzi/André Ceccarelli/Diego Imbert
Ménage à trois
Mr. Gollywogg, Première gymnopédie,
Sicilyan Dream, Medley: La Plus Lente Que Lente/La Moins Que Lente,
Hommage à Edith Piaf, Le Crépuscule, Mein Lieber Schumann I,
Medley: Romance/Hommage à Milhaud, Mein Lieber Schumann II, Hommage
à Fauré, Liebestraum pour tous
Enrico pieranunzi (p), André
Ceccarelli (dm) Diego Imbert (b)
Enregistré les 12, 13, 14, 15 novembre
2015, Meudon (92)
Durée: 53' 26''
Bonsaï Music 160901 (Harmonia Mundi)
On connait la propension des musiciens
de jazz, principalement en Europe, a puiser leur inspiration dans la
musique classique ou ailleurs. La résultat relève souvent d'un
collage artificiel, mais on note aussi quelques belles réussites
(Raphaël Imbert, Bach-Coltrane, Outhere Music). C'est
également le cas avec ce lumineux pianiste qu’est Enrico
Pieranunzi. On sait que ce n’est pas le thème qui fait le jazz,
mais son interprétation, et là, le trio est parfaitement
d’expression jazz, et du meilleur, et qui sait d’où il vient.
Pieranunzi s’inspire de thèmes puisés chez les impressionnistes,
d’ailleurs parfaitement adaptés à notre musique: Debussy, Fauré,
Satie. Et le plus grand de tous, Bach, privilégié par les jazzmen,
sûrement pour sa rigueur rythmique et d’autres qualités proche du
jazz. Des romantiques; Schumann, Liszt. Et plus proches de nous,
Poulenc et Milhaud. Le trio fonctionne à merveille avec un
Ceccarelli, discret et efficace, jouant essentiellement sur la caisse
claire et la ride pour assurer la pulsation et la relance dans la
grande tradition. Imbert joue avec une contrebasse chantante, sur
d’admirables lignes mélodiques. Et le leader qui fait preuve d’une
touchante sensibilité, d’une retenue confondante, d’une main
gauche d’une extrême richesse harmonique comme par exemple sur
«Mein Lieber Schumann (Op.6-n°2)» en tempo medium et quelques
accélérations appropriées. Tous les morceaux seraient à citer;
les détails des œuvres d’origine sont donnés sur la pochette.
Attardons-nous tout de même sur «Hommage à Edith Piaf», inspiré
de la «XV° improvisation» de Poulenc, car elle repose sur une
interprétation inouïe des «Feuilles mortes». Une version très
émouvante, impressionniste mâtinée de blues, œuvre splendide du
trio.
Pas d’exploit, du jazz, donc de la
musique, avant toute chose. Et de la beauté!
Serge Baudot
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Michel Portal
Radar
Esquisse
Part 1, 2, 3*, Bailador°, Dolce°; Interview with Michel Portal
Michel
Portal (bcl*°, ss°), Richie Beirach (p)*, WDR Big Band° (personnel détaillé dans le livret)
Enregistré
le 3 mars 2016, Gütersloh (Allemagne)
Durée:
1h 00’ 08’’
Intuition
71319 (Socadisc)
Michel
Portal en duo, puis en dialogue avec un grand big band allemand, est
l'objet du septième numéro de la collection «European Jazz
Legends» dont il est déjà question dans la précédente chronique. Entendre
Michel Portal à la clarinette basse est un plaisir, d'autant plus en
compagnie d'un pianiste du niveau de Richie Beirach. «Esquisse. Part
1» est une ballade qui oscille entre un lyrisme romantique et
impressionniste, mais tout à fait jazz. Dans «Part 2», Portal est
seul, magnifique, avec l’esprit du blues sous-jacent. Dans «Part
3», le duo est plus partagé, les deux instruments sont plus
inbriqués l’un dans l’autre, le partage, les échanges sont
parfaits. Voici deux grands lyriques dans la beauté des phrases. Sur
les deux morceaux suivant, Portal est entouré par l’imposant WDR
Big Band dirigé par Rich DeRosa sur des arrangements canons de
Florian Ross, avec des ensembles très clairs, qui laissent leur
place aux solistes, et reposent sur une rythmique solide. Sur
«Bailador» de Portal, celui-ci est au soprano, sublime dans un long
solo, à noter les solos du pianiste Hubert Nuss et du trompettiste
Ruud Breuls. Portal revient à la clarinette basse sur «Dolce» de
lui-même, en dialogue avec le tromboniste Mattis Cederberg; et ça
déménage!
Le
disque se termine par une interview de vingt minutes, exercice
caractéristique de cette collection. Il y évoque avec malice ses
débuts dans la région de Bayonne ou les critiques dont il peut
faire l'objet, de la part des amateurs de musique classique d'un
côté, et des amateurs de jazz, de l'autre.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Henri Texier
Dakota Mab
Ô Elvin, Hopi, Mic Mac,
Dakota Mab, Navajo Dream, Comanche, Sueno Canto; Interview with Henri
Texier
Henri Texier (b),
Sébastien Texier (as, cl), François Corneloup (bar), Louis Moutin
(dm)
Enregistré le 22 novembre
2015, Gûtersloh (Allemagne)
Durée: 1h 10' 58''
Intuition 71317 (Socadisc)
Gütersloh est une ville
allemande de Rhénanie du nord (Westphalie) avec laquelle le
collectif «European Jazz Legends» de la revue allemande Jazzthing,
s’est associé, ainsi qu’avec la radio Westdeutscher Rundfunk
Köln pour promouvoir le «jazz européen». Il en résulte une série
d'enregistrements live au théâtre de Gûtersloh avec des figures
historiques: Enrico Pieranunzi (chroniqué dans Jazz Hot n°676), Jasper Van't Hof, Michel Portal, Miroslav
Vitous, Daniel Humair... soit une collection qui compte aujourd'hui
dix titres et dont ce CD d'Henri Texier est le cinquième. Henri Texier est aussi
recherché comme accompagnateur que l’était Pierre Michelot en son
temps. Mais il est avant tout un grand leader et un aventurier du
jazz dont on ne compte plus les réussites. Le voici avec son
magnifique Hope Quartet. Le disque est dédié aux Indiens chers à
Texier, évoqués par les titres: Hopis, Sioux, Dakotas, Navajos,
Comanches. Mais le disque commence par un hommage à Elvin Jones «Ô
Elvin» dans lequel le baryton fait merveille avec un solo où il se
déchaîne, ainsi que le clarinettiste dans la grande tradition de
l’instrument. Il se termine par «Sueño Canto» merveilleuse
prestation du contrebassiste: une intro basse seule sur tempo lent,
il fait sonner les cordes à la façon d’un sitar indien, s’ensuit
un trio clarinette, baryton, contrebasse de toute beauté et d’une
grande émotion.
Les autres morceaux sont
des écrins aux thèmes «Indiens». Dans «Hopi» il y a un beau
travail de contrepoint, un peu comme dans le «Jeru» de Miles, et un
époustouflant solo de contrebasse dans l’aigu, qui sonne aussi
clairement que les cloches du paradis (si, si, il y en a!). Sébastien
Texier est un altiste qui compte, qu’on écoute comment il éclate
sur fond de basse / batterie dans «Mic-Mac». «Dakota Mab» démarre
à l’unisson sur un rythme de danse Sioux, puis un long solo de
l’alto à la défonce, et tous les musiciens s’en donnent à cœur
joie. «Navajo Dream» nous vaut une intro contrebasse seule, riche
d’accords, puis il laisse sonner une note basse et improvise
dessus, on glisse à «Comanche» avec le baryton en délire qui vole
dans l’aigu et plonge dans le grave, growle, et la contrebasse
tricote, un duo basse-batterie, et on passe du calme à la tempête
et aux hurlements de joie du public. Retour au calme avec «Sueño
Canto». Toutes les compositions
sont d’Henri Texier pour une musique bien ancrée dans le blues et
le jazz et qui a été enregistrée neuf jours après les attentats du 13 novembre à Paris.
D’où la ferveur, le partage et la rage de jouer des quatre
musiciens. On sent qu’ils voulaient dire que la vie, notre liberté
seraient les plus fortes. On peut toujours l’espérer.
Le disque se termine par
une interview d’Henri Texier, en anglais, par le journaliste
allemand Götz Bühler et dans laquelle il se raconte avec humour et
évoque également les valeurs communes à 1789 et au jazz.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Claudio Fasoli Double Quartet
Inner Sounds
Prime, Terce, Sext, Nones, Vespers,
Compline, Lauds
Claudio Fasoli (ts, ss), Michael
Gassman (tp, flh), Michele Calgaro (g), Michelangelo Decorato (p),
Andrea Lamacchia (b), Lorenzo Calgaro (b) Gianni Bertoncini (dm,
electronics), Marco Zanoli (dm)
Enregistré les 15 et 16 avril 2016,
Cavalicco (Italie)
Durée: 45' 35''
Abeat Records 158
(www.abeatrecords.com)
Pourquoi un Double Quartet? Pour
enregistrer ces Inner Sounds, Claudio Fasoli avait le choix
entre le Claudio Fasoli Four et Claudio Fasoli Samadhi Quartet. Il a
choisi de réunir les deux quartets pensant qu’il y avait là une
belle façon de s’exprimer avec deux batteries et deux
contrebasses. A l’origine, Fasoli voulait composer des musiques sur
des fragments des sept poèmes de W.H. Auden, Horae Canonicae,
écrits entre 1949 et 1955, mais n’obtenant pas les droits, il
s’est contenté de garder les titres. Chacun se réfère à une
heure de prière dans la journée. Il y a donc ce côté sacré,
méditatif et ses «sons intérieurs» qui s’exalte dans cette
musique interprétée par le Double Quartet. Fasoli retrouve
ici la plupart de ses compagnons de musique, et que ce soit au ténor
ou au soprano, il est sommet de son art, serein et tranquille, en
plein dan son chant. Avec toutes les qualités du compositeur et de
l’arrangeur dans ces Horae Canonicae, le goût pour les
unissons harmonisés subtilement, la beauté des sons et des
mélodies, l’art de la litote, l’expressivité lyrique contenue,
pas de fioritures, rien que du senti. Avec ici un léger emploi
d’effets qui viennent titiller, relever le goût comme les épices
en cuisine. Et aussi l’utilisation de nappes desquelles émergent
les solos comme par exemple dans «Prime», très lent, avec un
emblématique solo de ténor au lyrisme retenu. Dans «Sext», à
nouveau sur tempo lent, une intro avec un gros son du saxophone et se
déploie un arrangement teinté «Bitches Brew», en plus mélodique,
dans lequel les voix s’enchaînent sur un fond trillé de
contrebasse. Le trompettiste possède un jeu très délié,
volontiers volubile, très en osmose avec le ténor comme sur
«Compline». Le dernier morceau «Lauds» se termine par une sorte
de ritournelle soprano-trompette qui donne à saisir le sens du vers
récurrent du poème, le jour se lève, mais «In solitude, for
company»On se trouve en présence d’un réel
travail collectif dans une parfaite unité entre l’écriture de
Fasoli et les solos toujours parfaitement dans l’esprit du morceau.
L’écueil eût été de juxtaposer les deux quartets, ou d’en
faire un octet, c’est au contraire un groupe à géométrie
variable qui sert avec brio les compositions originales de Fasoli.
Une belle réussite, d’une grande
inspiration. Ces Inner Sounds sont vraiment des chants de
l’intérieur, ou quand le jazz se fait prière au dieu musique.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Julie Saury
For Maxim. A Jazz Love Story
Sweet Georgia Brown, Moppin and Boppin,
Avalon, Stars Fell in Alabama, St Louis Blues Part 1 & 2, Cray
Rhtythm, Petite fleur, Together, Indiana, A Kiss to Build a Dream
On/September in the Rain
Julie Saury (dm), Aurélie Tropez (cl), Frédéric Couderc
(ts, fl), Shannon Barnett (tb, voc), Philippe
Milanta (p), Bruno Rousselet (b)
Enregistré du 11 au 14 janvier 2015,
Vannes (56)
Durée: 58' 33''
Black & Blue 819-2 (Socadisc)
Cela fait plus de vingt ans (déjà!)
que Julie Saury «fait le métier», avec une capacité d’adaptation
certaine. On la croise en effet aussi bien sur des projets relevant
d’un jazz que l’on pourrait qualifier de «contemporain» et
s’appuyant sur des compositions originales (tel son trio avec
Carine Bonnefoy et Felipe Cabrera: voir notre chronique dans Jazz
Hot n°675), qu’au sein de formations plus swing – avec une
présence accrue ces dix dernières années –, comme celles de
Rhoda Scott, Sarah Morrow, le Duke Orchestra de Laurent Mignard ou le
trio de Philippe Milanta, partenaire de longue date. De nature
rieuse, Julie s’accommode également très bien des facéties du
Grand Orchestre du Splendid. Une élasticité qui s’explique sans
doute par sa «double culture» musicale: d’un côté le jazz dit
«traditionnel» qu’elle a reçu en héritage, de l’autre, des
goûts d’adolescence qui l’on emmenée vers le funk ou la pop
(avec une adoration pour Prince...). Sa formation, passée par
plusieurs écoles et quelques stages à New York, ayant complété
son bagage de jazzwoman. Avec le temps, son jeu a gagné en rondeur
et son groove en fait une des fines baguettes de la place de Paris. Julie est bien sûr la fille de Maxim
Saury (1928-2012), héraut, avec Claude Luter, du jazz new orleans en
France et admirateur infatigable de Sidney Bechet. Avec bonheur, le
père accompagna les débuts de sa progéniture. Julie construisit
néanmoins son propre chemin. Et c’est avec cette même distance
vis-à-vis du parcours paternel, mêlée d’un amour et d’une
admiration évidentes, que la batteuse a bâtit cet hommage au
clarinettiste. Julie, dans ce For Maxim, reste elle-même,
éclectique, alors qu’on aurait pu s’attendre à un disque dans
l’esthétique «revival». Elle a ainsi fait le choix judicieux
d’adapter le répertoire de son père au filtre de sa propre
sensibilité, en compagnie de ses habituels et talentueux complices,
le toujours impeccable Philippe Milanta en tête. Ainsi, sur un «St.
Louis Blues», très épuré, qui s’étire sur deux parties, la
batterie s’exprime longuement, tantôt simplement accompagnée des
appeaux incongrus de Frédéric Couderc et des notes détachées de
Milanta, tantôt rejointe par le reste de l’orchestre, dans un flux
et reflux de swing. Le même Couderc reprend son sax sur une
émouvante version de «Petite fleur», pris sur tempo lent (on est
là plus proche de Don Byas que de Bechet!). Preuve – s’il en
fallait – que l’on peut toujours renouveler le plaisir avec les
standards les plus rebattus. A l’inverse, «Basin Street Blues»
est rendu dans son jus néo-orléanais, donnant l’occasion
d’apprécier tout particulièrement les deux soufflantes de
l’orchestre, Aurélie Tropez et Shannon Barnett, qui offrent ici un
savoureux duo. Autre vieux complice, Bruno Rousselet s’avère, dès
le premier titre, un élément déterminent de la section rythmique (qui est évidemment
l’épice de cet enregistrement). Philippe Milanta est magnifique
sur «Together», réjouissante reprise sur laquelle la tromboniste
donne joliment de la voix. Quant à la leader, elle a évidemment
l’occasion de déployer sa large palette et son solide jeu de
cymbales, notablement appréciable sur les morceaux rapides («Crazy Rhythm»).
Maxim peut être fier de sa jolie
souris.
Un mot, pour finir, sur le contexte
très particulier de cette session qui se déroulait immédiatement
après les attentats de janvier 2015. Julie a dédié le disque aux
victimes de Charlie Hebdo. Une belle note bleue et d'espoir, en effet, pour
Cabu qui aimait le jazz de Maxim Saury et le dessina dans Jazz Hot (n°186 de 1963), au Caveau de La Huchette, où Julie vient
d’ailleurs régulièrement prolonger cette jazz love story.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Randy Weston
The African Nubian Suite
CD1:
Nubia,
Tehuti,
The Call,
Ardi,
Sidi
Bilal,
Spirit
of Touba, Shang Dynasty,
Children Song
CD2:Blues
For Tricky Sam (introduction), Blues For Tricky Sam, Cleanhead Blues
(introduction), Cleanhead Blues, Nanapa Panama Blues, Monologue Dr.
Randy Weston, The Woman (introduction), The Woman, The African Family
(introduction), The African Family Part II , Soundiata
(introduction), Soundiata, Love-The Mystery of
Randy Weston (comp, p, rec), Jayne
Cortez (poet), Wayne B. Chandler (rec, Writer), Robert Trowers (tb),
Howard Johnson (tu), Billy Harper (ts) T. K. Blue (fl), Alex Blake
(b), Lewis Nash (dm), Candido (perc), Neil Clarke (afr. perc), Ayanda
Clarke (afr. perc), Tanpani Demda Cissoko (voc), Melba Liston (arr),
Lhoussine Bouhamidi (mus. gnawa), Ayodele Maakheru (nefer), Min
Xiao-Fen (pipa), saliou souso (kora)
Enregistré le 8 avril 2012, New York
Durée: 55' 57'' + 52' 57''
Autoproduit (www.randyweston.info)
On connaît la longue réflexion de
Randy Weston et plus largement de beaucoup d’Afro-Américains sur
leur place sur terre et aux Etats-Unis en particulier. C’est une
recherche qui rassemble toutes les populations qui ont connu dans
leur histoire la déportation, une forme de diaspora, et parfois une
forme d’asservissement, l’esclavage ici. C’est aussi un combat
du quotidien dans une société où l’on vous regarde parfois de
travers sans autre raison que votre couleur de peau, où, pire, on ne
vous voit même pas, où l’on vous nie.
L’interview récente
de Randy Weston dans Jazz Hot n°673 et les plus anciennes
(n°576, n°508) le rappellent, et la recherche de Randy Weston sur
ses racines, un grand thème de la littérature et du cinéma
américain comme du jazz, n’est pas neuve dans le jazz et dans son
histoire en particulier. Duke Ellington, qui inspire si précisément
Randy Weston dans son jeu de piano et son expression artistique en
général, encore ici, avec cette African Nubian Suite qui
évoque les suites (African Suite, New Orleans Suite,
etc.), avait ouvert la voie à ces fresques, sur une Afrique mythique
en particulier.
L’environnement familial de Randy Weston, ses
parents, y sont pour beaucoup qui l’ont bercé de l’histoire
proche et lointaine de ses ancêtres pour percer la chape de plomb de
la société des Etats-Unis qui recouvre, encore aujourd’hui, une
partie de ses citoyens, avec le but évident de stériliser leur
histoire.
Les Etats-Unis, dans leur ensemble, fourmillent de ces
recherches, et cela prend toutes les formes du vivant, aussi bien
dans l’art que dans la vie quotidienne, dans la recherche,
historique en particulier, aussi bien que dans les formes
d’organisation sociales et les pratiques quotidiennes, jusqu’aux
codes vestimentaires, une manière de résister à la normalisation,
même si la contrepartie est de renforcer le communautarisme et les
réflexes identitaires. Martin Luther King reste en effet à ce jour
le seul «politique» d’importance qui ait évité cet écueil par
une vision universaliste, sans doute due à son état religieux (un
paradoxe très américain), mais tous les grands artistes de la
littérature (de Claude McKay à Chester Himes) et du jazz de l’âge
d’or, (Louis Armstrong, Duke Ellington, Benny Carter, Dizzy
Gillespie, Thelonious Monk, Charlie Parker, etc.) possédaient cette
force et cette vision universaliste, née avec la Harlem
Renaissance.
La référence à l’Afrique, élément de
l’imaginaire et de la construction de l’individu, reste donc un
élément fort dans une société communautarisée et ségréguée.
Randy Weston a fait un retour en Afrique, d’autres seulement le
voyage; pour d’autres encore, l’Afrique est seulement une
mythologie. Mais pour tous, l’Afrique est la référence à une
terre d‘élection, plus ou moins symbolique et concrète.
On
trouvera donc tout naturel cet hommage à l’Afrique, mère de
l’humanité, réalisé par Randy Weston, car c’est un thème
récurrent de sa recherche personnelle et musicale, et pour lui un
moyen de trouver des racines uniques à toute l’humanité dans une
conception finalement universelle. Randy Weston a parcouru le monde,
s’est fixé par périodes en Afrique, au Maroc en particulier, a
joué avec des musiciens locaux, et a visiblement fait des
recherches, à sa façon, sur l’histoire de ses ancêtres
africains, un grand thème de sa discographie.
On peut d’ailleurs discuter ses
visions ethno-musicales, les partager ou pas ou en partie, mais elles
sont la base objective d’une conviction sincère, une sorte
d’autoportrait d’un artiste américain et d’une œuvre très
jazz d’une densité et d’une exceptionnelle beauté. Comme cela
est dit dans le livret, avec honnêteté, ce n’est pas un disque de
jazz ou pas tout à fait, rectifions-nous, car le jazz (la grande
musique née aux Etats-Unis du vécu des Afro-Américains) y est
omniprésente par la seule présence de Randy Weston et de certains
musiciens (Billy Harper, T. K. Blue, Alex Blake, Lewis Nash…), par
celle du blues (la matière et la forme), du swing (le phrasé) et le
caractère hot de l’expression (le disque II en
particulier), même la musique africaine peut partager certaines de
ces qualités et si la présence de musiciens africains, de musique
africaine, apporte une puissante couleur africaine à l’ensemble,
même quand Randy Weston et Alex Blake, en duo, réalise cette belle
synthèse très jazz dans l’exécution et si directement africaine
dans l’inspiration et la couleur («Nanapa Panama Blues»);
D’autant que ce n’est pas seulement un disque de musique, mais
aussi un récit mythologique, un voyage, un texte, dans l’esprit
des textes qui accompagnent la musique sacrée de Duke Ellington,
encore lui, avec souvent un caractère poétique (Jayne Cortez), dit
par le bon Wayne B. Chandler.
C’est également une affirmation
politique, un spectacle en live, très américain, une
rencontre avec un public et un exposé de tout ce qui constitue la
particularité du grand Randy Weston. C’est une curiosité pour
comprendre la société américaine et ses recherches, et l’actualité
récente en renouvelle la portée.
Une Afrique mythique et rêvée
permet donc de découvrir, pour ceux qui ne le connaissent pas, un
personnage, formidable pianiste (un des rares disciples de Duke
Ellington), un conteur et un grand artiste américain, et donc
universel comme le sont les artistes de ce calibre, un homme parmi
les plus attachants du jazz, d’une générosité exceptionnelle
dans son art, dont il faut aussi comprendre le cheminement créatif
pour véritablement apprécier l’œuvre.
Le disque a été
autoproduit, c’est une autre raison de le rendre précieux, car
Randy Weston l’a conçu comme un cadeau, un message, avec un livret
en anglais, en espagnol et en français, un choix qui n’est pas
sans signification.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Fred Hersch Trio
Sunday Night at the Vanguard
A Cockeyed Optimist, Serpentine, The
Optimum Thing, Calligram, Palomino, For No One, Everybody's Song But
My Own, The Peacocks, We See, Solo Encore: Valentine
Fred Hersch (p), John Hébert (b), Eric
McPherson (dm)
Enregistré le 27 mars 2016, New York
Durée: 1h 08’
Palmetto Records 2183 (Bertus)
Vous pouvez lire dans le n°679 du
printemps une interview qui vous resitue la personnalité artistique
toute en nuances de cet excellent pianiste, l’un des plus beaux
héritiers, le plus beau selon nous, de la tradition de Bill Evans
qu’il prolonge avec autant de qualités pianistiques
qu’artistiques, dont une poésie qui ne fait aucun doute dans son
inspiration. Il jouit pour cela du respect et de l’admiration de
tous les musiciens de la scène du jazz, et ce disque comme les
précédents, est une belle réussite car cet artiste est toujours
d’une grande sincérité qui confère à toute son œuvre, jusqu’à
ce jour, une forme de perfection, à la différence d’autres,
parfois plus connus, qui, de la même tradition, n’ont ni
l’inventivité, ni la conviction, ni la poésie nécessaire à
cette expression. Le toucher lumineux de Fred Hersch est un régal,
et il est ici brillamment secondé par John Hébert et Eric McPherson
qui collent à la musique avec une belle musicalité. Cet enregistrement au Village Vanguard
trouve un écho explicatif dans l’interview qu’on vous laisse
lire par ailleurs, et prolonge une histoire d’amour entre un
musicien et un club commencé il y a quarante ans, quand Fred Hersch
vint y écouter Dexter Gordon pour son retour aux Etats-Unis.
Cela dit, Fred Hersch est un musicien
ancré dans la musique de haut niveau, en général, plus que dans le
jazz, possédant, cela s’entend une grande culture classique et une
expression, qui pour se situer aujourd’hui sur les scènes du jazz,
et s’en inspirer souvent sur le plan rythmique, n’en est pas
moins une musique d’un autre univers où le blues n’a aucune
place. Cela n’enlève rien à la qualité de cette œuvre et de ce
moment exceptionnel au Village Vanguard, sauf la profondeur d’une
tradition complètement absente, et pour cause, du registre du
pianiste. On peut en faire abstraction facilement, le disque est
passionnant, mais il faut être clair, malgré le trio, et la
structure rythmique de certains des thèmes, ce n’est finalement
pas du jazz, sauf à réduire le jazz à une simple mise en forme ou
une ambiance, fut-elle celle du Vanguard; et qualifier de jazz ce que le jazz n’est pas. Si vous voulez illustrer ce
propos, écouter un disque de Kenny Barron, McCoy Tyner, Eric Reed,
Cyrus Chestnut, Harold Mabern, et quelques autres, après avoir
écouté ce disque.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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François Rilhac
It's Only a Paper Moon
I've Got He World on a String, Somebody
Stole My Gal, Keepin' Out of Mischief Now, Lullaby in Rhythm, I Cover
the Waterfront, Daintiness Rag, Ain't Misbehavin, Sugar, Sweet
Lorraine, La Mère Michel, On the Sunny Side of the Street, Body and
Soul, F Minor Stride, April in My Heart, It's Only a Paper Moon
François Rilhac (p)
Enregistré le 24 juin 1985, Paris
Durée: 1h 10' 14''
Black & Blue 8122 (Socadisc)
François Rilhac est une histoire
tragique du jazz. Le 3 septembre 1992, ce grand garçon et pianiste
de haut niveau de la tradition stride, mettait fin à ses jours. Il
était né en 1960 et interrompait prématurément une carrière
brillamment amorcée, avec déjà une petite discographie (Megalo
Piano Stride, en solo chez Black & Blue, Echoes of
Carolina avec Louis Mazetier en duo) et le respect et
l’admiration de ses pairs, nationalement et au-delà des
frontières. Cette perte d’un rare disciple de Fats Waller et James
P. Johnson, aussi cruelle pour le jazz que pour ses amis et ses
admirateurs, a laissé comme une ombre amère dans le milieu du jazz,
sans doute aussi par toutes les promesses que son encore jeune talent
laissait entrevoir au-delà de la perte de l’ami, de l’artiste.
Aujourd’hui, Black & Blue sort en
disque cet enregistrement, retrouvé par miracle, effectué en 1985 à
la Table d’Harmonie, un club aujourd’hui disparu qui fut créé
par Jean-Pierre Bertrand, où l’on retrouve 15 titres inédits
aussi brillants qu’émouvants de ce jeune pianiste. François
Rilhac y est comme à son habitude très brillant, très fidèle à
cette grande tradition du piano stride, et il y a 15 morceaux de
bravoure (on a un faible pour son «F Minor Stride» véritablement
splendide) comme on rêverait d’en voir en live, car le piano, à
ce niveau, mérite le spectacle, le live, une dimension présente à
l’origine et magnifiquement restituée ici.
Jean-Pierre Vignola (Jazz à Vienne, Le
Méridien), Jean-Pierre Tahmazian (Black & Blue), Jean-Pierre
Bertrand et Louis Mazetier (cf. Jazz Hot n°671), brillants
pianistes sont à l’origine de cette sortie. Il paraît que le
piano n’était pas excellent; on s’en aperçoit à peine devant
la maestria de François Rilhac, et si une œuvre doit lui conférer
l’immortalité, celle-ci peut tout à fait convenir. L’artiste la
mérite. On peut avoir des regrets éternels pour la disparition de
François Rilhac, mais on peut aussi maintenant l’évoquer avec la
trace fulgurante qu’il laisse ici. Du très beau piano!
Yves Sportis
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Bernd Reiter Quintet
Workout
Workout, I Want
to Hold Your Hand, Getting’ and Jettin’, All the Way, Uh Huh, Super Jet
Bernd Reiter
(dm), Eric Alexander (ts), Helmut Kagerer (g), Olivier Hutman (p), Viktor
Nyberg (b)
Enregistré le 27
février 2015, Bâle (Suisse) Durée: 1h 01' 50''
SteepleChase
33123 (www.steeplechase.dk)
Né en 1982, ce batteur
autrichien s’est formé au contact de Billy Cobham, John Riley, Lewis Nash,
Jimmy Cobb et Charles Davis. Sa formation musicale avancée lui a permis de
prendre part à des concerts classiques, expériences qu’il combine depuis
toujours avec sa passion pour le jazz, et ses collaborations avec Harold
Mabern, Kirk Lightsey, Cyrus Chestnut ou Steve Grossman. Dans un registre plus
roots, il a aussi travaillé avec le trompettiste Jim Rotondi, sideman de Ray
Charles et Lionel Hampton. Eric Alexander, dont le brio sur ce live est
absolument renversant, déploie sur l’ensemble des pistes son inspiration hors
pair aux termes d’une dette évidente envers Dexter Gordon. Le guitariste
allemand Helmut Kagerer a un son feutré qui semble tout droit issu des premiers
enregistrements de George Benson, tandis qu'Olivier Hutman maitrise sur le bout
des doigts le vocabulaire et les rythmiques emblématiques du hard bop.
Profitant des libertés offertes par un enregistrement en public, le quintet en
profite pour allonger à plaisir la plupart des titres, les six morceaux présents
ici durant tous plus de huit minutes. Ce disque se veut un hommage à Hank
Mobley et Grant Green, deux références dont on respecte ici l’esprit plus que
la lettre. L’album d’Hank Mobley, Workout,
se voit octroyer une place éminente jusque dans le titre éponyme du CD, tandis
que trois autres morceaux «I Want to Hold Your Hand», «All the Way» et «Super
Jet» procèdent des choix opérés par le band pour mettre en valeur son énergie
collective. La basse de Viktor Nyberg apporte la vigueur et la chaleur d’une pulsation
rythmique sans défaut, et on sent toute la cohésion acquise au fil des
concerts, en ces épisodes conclusifs spécifiquement finalisés en vue d’un
enregistrement live (les deux soirées au Bird’s Eye de Bale, en février 2015). Il
faut dire que le partenariat avec Eric Alexander date de 2012, tandis que la
collaboration du leader avec Kagerer remonte à 2013. Dès le premier titre, «Workout»,
où le leader se mesure à l’un de ses héros, Philly Joe Jones, on sent que
le groupe assume des velléités virtuoses sans ambiguïtés, qui placent le
quintet dans une dimension expressionniste tout à fait légitime. Après ce tour
de force, la reprise des Beatles «I Want to Hold Your Hand», méconnaissable, doit
plus à Grant Green qu’aux Fab Four, et «Super Jet» est le jalon qui relie le
combo à l’histoire du bebop, conservant toutefois, assez curieusement, une
distance prudente avec la figure tutélaire de John Coltrane. Mais c’est certainement
sur «All The Way» que le groupe affiche le plus clairement sa volonté de résilience,
un titre qui met en évidence la dette de la comédie musicale hollywoodienne
envers la musique afro-américaine. Un des tout meilleurs enregistrements live
parus ces dernières années. CD.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Joe Lovano Quartet
Classic! Live at Newport
Big Ben, Bird's Eye View, Don't Ever
Leave Me, I'm All For You, Kids Are Pretty People, Six and Four
Joe
Lovano (ts), Hank jones (p), George Mraz (b), Lewis Nash (dm)
Enregistré le 14 août 2005, Newport (Rhode Island)
Durée: 57' 47''
Blue Note 0602547950383 (Universal)
Une nouveauté de 12 ans, quand elle
réunit un aussi beau quartet, est toujours la bienvenue. Enregistré
en live à l’été 2005 dans le cadre du Festival de
Newport, elle évoque d’abord le regretté Hank Jones (à qui le
disque est dédié par Joe Lovano), un pianiste toujours à son aise
et parfait au sein d’une section rythmique de rêve avec l’élégant
et savant George Mraz et un Lewis Nash qui apporte son jeu très fin
bien qu’il remplisse tout l’espace. Le leader du soir, Joe Lovano, ne s’y
est pas trompé et on comprend son insistance à vouloir publier cet
enregistrement. C’est du jazz dans sa forme la plus aboutie, d’où
peut-être ce titre de Classic!. Joe Lovano rappelle dans
les notes de livret qu’il a commencé à jouer avec un Hank Jones
octogénaire, et le qualifie pourtant de génie du jazz moderne de
tous les temps, car Hank Jones ne vieillit jamais, il reste «frais
comme une marguerite» selon les mots de Joe Lovano.
Effectivement,
il est difficile de ne pas ressentir chez lui cette éternité de la
forme, ce sens de la perfection, une certaine épure, car il possède
une sobriété d’expression qui contraste avec une imagination
débordante dans l’accompagnement, les introductions, les
chorus chez le pianiste dans sa longue carrière de 70 ans; un
musicien toujours à l’aise dans tous les contextes, avec toujours
ce qu’il faut d’accents blues, de swing.
Sa personnalité musicale, même dans
ce rôle d’accompagnateur est telle, que c’est lui qui fixe la
forme, d’autant que Joe Lovano, en jazzman de la tradition, possède
cette qualité d’écoute, et ce respect sans doute, pour se couler
dans le monde du pianiste, tout en restant lui-même. Un disque de jazz sans faille dont la
qualité ne surprendra pas les amateurs connaissant déjà ces
musiciens, mais a-t-on besoin d’être surpris pour apprécier de la
belle musique de jazz? Une petite remarque: le magnifique «I’m
All for You», écrit par Joe Lovano selon le livret, ressemble
furieusement à «Body and Soul», et cela n’enlève rien à la
beauté de l’interprétation du grand saxophoniste,
particulièrement inspiré, dans une complicité extatique avec la
section rythmique, un Hank Jones exceptionnel qui délivre un chorus
ciselé avec petite citation debussyenne, et un George Mraz qui est
au diapason de cette perfection. Ce thème mérite la publication et
l’indispensable à lui seul, même s’il n’y a rien à jeter, et
surtout pas le très swing and blues «Kids Are Pretty People» (Thad
Jones) et l’intense «Six and Four» (Oliver Nelson), d’autres
grands moments de ce disque.
Ce n’est pas le public
enthousiaste de ce Live at Newport qui dira le
contraire.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Ellen Birath
& The Shadow Cats
Pull Me In, Feel the Beat, Sunday
Night*, Like a Virgin, A Boy That I Know, Trooper, One Minute Man,
Problem°, Oh Babe, So Low
Ellen Birath (voc), Matthieu Bost
(as, cl, key), Manuel Faivre (tp), Thomas Ohresser (g), Marten Ingle
(b), Thomas Join-Lambert (dm) + Paddy Sherlock* (tb), César Pastre°
(elp)
Enregistré à Ris-Orangis (91) et
Paris, date non communiquée
Durée: 37' 50''
Autoproduit (www.facebook.com/EllenBirath)
Amis lecteurs, nous vous donnons
régulièrement des nouvelles d’Ellen Birath, chanteuse suédoise
de 26 ans, installée à Paris depuis quelques années. Révélée
par le zébulonesque et néanmoins pygmalion Paddy Sherlock (qui n’en
est pas à son coup d’essai: Brisa Roché, Aurore Voilqué…),
Ellen se produit chaque semaine – et depuis quelques saisons déjà
– avec ou en alternance avec le tromboniste irlandais dans les pubs
où ils trouvent un refuge accueillant pour le jazz (depuis octobre dernier, le Long Hop, dans le 5e arrondissement, les dimanche soirs).
Après un premier album coloré et éclectique – sobrement intitulé Ellen Birath Band –, sorti en 2013, Ellen prend davantage de
distance avec le jazz. Et vous savez quoi? On ne lui en veut même
pas! Si la dominante de ce disque est plutôt rythm’n’blues, on
passe par différentes ambiances: country, laquelle évoque le Pulp
Fiction de Tarantino («Pull Me In»), reggae («Sunday Night»),
rock’n’roll («Oh Babe») et aussi jazz («The Boy That I Know»).
Ellen recycle même avec habileté un tube pop de Madonna («Like a
Virgin») – on connaissait déjà sa version très plaisante de
«The Love Cats» de The Cure, issu du précédent opus. En fait,
Ellen Birath et ses Shadow Cats glissent d’un style à l’autre avec
beaucoup de naturel tout affirmant un son très personnel qui doit
autant à la belle guitare de Thomas Ohresser qu’à la prégnance
des cuivres. Enfin, et surtout, le groupe se construit autour de la
personnalité de sa chanteuse dont la voix racée imprime du relief
sur chacun des titres. Excellente dans le registre sur lequel elle a
bâti ce disque, Ellen est également une interprète de jazz
talentueuse: il suffit pour s’en convaincre d’aller l’écouter, un mercredi par mois, au Tennessee (Paris 6e), avec l'indispensable Paddy et César Pastre, dérouler pour notre plus grand plaisir le
répertoire d’Ella & Louis. Au demeurant, si l’idée ne
trottait pas déjà dans la tête de nos trois amis, nous ne saurions
trop les encourager à graver très vite ce même répertoire sur une
galette. En attendant, on peut égayer le quotidien de sa platine
avec Ellen Birath & The Shadow Cats, voire aller applaudir
cette joyeuse formation au désormais cultissime Caveau de La Huchette (où elle est
programmée chaque mois) si on a des fourmis dans les pieds.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Rhoda Scott Lady Quartet
We Free Queens
We Free
Queens, I Wanna Move, Que reste-t-il de nos amours, One by One, Rhoda’s
Delight, Valse à Charlotte, Joke, What I’d Say
Rhoda Scott
(org), Sophie Alour (ts), Lisa Cat-Berro (as), Julie Saury (dm) + Géraldine
Laurent (as), Anne Paceo (dm), Julien Alour (tp)
Enregistré en
2016, Paris
Durée: 43’
Sunset
Records (L’Autre Distribution)
Ce disque inaugure le label lancé par le club de la rue des Lombards, le
Sunset-Sunside, lequel accueille régulièrement d’ailleurs des enregistrements
live, notamment ceux de Gérard Térronès pour Futura-Marge. Le patron des lieux,
Stéphane Portet, ne se contente donc plus de recevoir les musiciens –qui
trouvent chez lui des conditions propices pour graver leurs sessions–, et passe
ainsi à la production avec le Lady Quartet de Rhoda Scott et un titre, We Free Queens, qui est certainement en
clin d’œil au We Free Kings de Roland
Kirk. Sur ce disque se trouve ainsi réuni le gratin du jazz féminin en France,
toutes générations confondues, emmenée par son aînée Rhoda Scott (née en 1938),
française d’adoption depuis 1967. On continue d’admirer Rhoda pour le ballet qu’elle
effectue sur la pédalier: elle reste l’une des rares joueuses d’orgue
Hammond à pouvoir ainsi se passer de contrebasse. Par ailleurs, ces ladies s’entendent à merveille. On sent
le plaisir d’être ensemble, c’est la fête, ça joue et ça swingue. Julie Saury, fille
de Maxim (en souvenir duquel elle vient de sortir un disque-hommage) sait d’où
vient le jazz et tient le fil de la tradition du bout des baguettes. La
batteuse invitée, Anne Paceo, plus connue du public, se situe quant à elle dans
un registre plus contemporain. Les trois saxophonistes renouent avec la bonne vieille habitude de «se
tirer la bourre», pour le meilleur. Il faut les écouter sur «I Wanna
Move»: ça déménage! Sur le soutien incendiaire de l’orgue, un
solo de la ténor Sophie Alour explose. Cette dernière mène d’ailleurs la danse
sur sa composition «Joke», une véritable fête. «Que
reste-t-il de nos amours», la belle chanson de Charles Trenet, est
distillée avec une délicatesse mélancolique, toujours par Sophie Alour, qui colle
parfaitement aux paroles qu’on a l’impression d’entendre susurrer. Et la
reprise à l’orgue n’est pas sans évoquer Erroll Garner avec ce léger décalage
basse main gauche. «La Valse à Charlotte», thème de Rhoda Scott,
est magnifiquement arrangé pour deux saxes et interprétée façon valse
swing-musette. Le frère de Sophie Alour, Julien, est le seul homme de
l’affaire; il intervient discrètement, mais avec à-propos, sur deux
morceaux. Le disque baigne ainsi dans une atmosphère funk-blues et même rythm’n
blues sur le tube de Ray Charles, «What I’d Say», sacrément enlevé,
avec quelques «Oh Oh, Ah Ah» de rigueur pour terminer ce concert,
d’une belle homogénéité.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Delfeayo Marsalis/Uptown Jazz Orchestra
Make America Great Again!
Star
Sprangled Banner, Snowball, Second Line, Back to Africa, Make America Great
Again, Dream On Robben, Symphony in Riffs, Put Your Right Foot Forward, All of
Me, Living Free and Running Wild, Skylark, Java, Fanfare For the Common Man,
Dream on Robben
Delfeayo
Marsalis (tb), Uptown Music Theatre Choir, Uptown Jazz Orchestra : Andrew
Baham, Scott Frock, John Gray, Jamelle Williams (tp), Brice Miller (tp, voc),
Terrance Taplin, Charles Williams, Jeffrey Miller, T.J. Norris, Maurice
Trosclair (tb), Khari Allen Lee (as, ss), Jeronne Ansari (as), Roderick Paulin
(ts, as), Gregory Agid (cl, ts), Scott Johnson (ts, bs), Roger Lewis (bs), Kyle
Roussel, Meghan Swartz (p), David Pulphus (b), Herlin Riley, Peter Varnado
(dm), Joseph Dyson Jr (dm, perc), Alexey Marti (perc) + Dee-1 (rap), Wendell
Pierce (narration), Cynthia Liggins Thomas (voc), John Culbreth (tp), Jeff
Alpert (btb), Branford Marsalis, Victor Goines (ts), Oliver Bonie (bar)
Enregistré les 29 novembre, 29-31 décembre 2015, New
Orleans (Louisiane)
Durée: 1h 02' 48''
Troubadour Jass Records 103016 (www.dmarsalis.com)
Nous n'aborderons pas ici
les connotations politiques de ce disque, ni le fait que Delfeayo Marsalis ne
s'attendait peut-être pas à ce que son titre soit le slogan du 45eprésident des Etats-Unis... Bref, après l'hymne américain joué par la section
de sax dans un style identique à celui du Quatuor de Saxophones de la Garde
Républicaine, l'album nous présente une façon de jouer hot dès
l'ostinato de sax baryton (Roger Lewis) sur des percussions dans «Snowball»
(le clarinettiste devant être Victor Goines ou Gregory Agid). Bonne
intervention de Roderick Paulin (ts). Cette «Second Line» n'a rien
à voir avec celle de Paul Barbarin et elle nous plonge dans l'univers
ellingtonien, introduit par Gregory Agid (cl) proche de Jimmy Hamilton. Tout
l'orchestre sonne superbement, soutenu par le maître, Herlin Riley. Andrew
Baham (tp) prend un solo très jazz. On retiendra aussi le travail avec plunger
de Terrance Taplin (tb). Introduction mingusienne dans «Back to Africa»,
puis le chœur et le rappeur (supportable grâce au tempo de Joseph Dyson)
précèdent des solos à la J.J. Johnson de Delfeayo, coltranien (pas le son) de
Branford. Orchestration luxuriante (et assez complexe). Narrateur de bla-bla
politique naïf dans «Make America Great Again!» avec joyeuse
réponse du chœur. Bref c'est le solo wyntonien d'Andrew Baham que nous
apprécions. Superbe drumming d'Herlin Riley derrière Khari Allen Lee (as) genre
Wess Anderson. Cynthia Liggins Thomas chante (bien) dans «Dream on Robben»,
genre de composition simple dont Pharoah Sanders était capable. Delfeayo prend
un solo pouvant évoquer Lawrence Brown. A noter qu'il joue un trombone Courtois
AC402TR, comme Taplin et Jeffrey Miller. Justement la section de trombones
intervient au début de «Symphony in Riffs». La section de sax y
sonne bien aussi. Baham pend un solide solo (nous avions apprécié ce
trompettiste à Ascona, festival qui nous permit aussi de découvrir Taplin,
Agid, Kyle Roussel et autres de ces instrumentistes qui n'intéressent pas les
médias jazz en France). Bon solo de Khari Allen Lee, et un peu timide de Meghan
Swartz. «Put Your Right Foot Forward» nous amène dans l'univers des
brass bands funky de New Orleans (Peter Varnado, dm). Brice Miller (parolier)
et le chœur interviennent, puis en solo Roger Lewis (bs), gloire du Dirty Dozen
fortement évoqué ici. L'alternative de trombone sent bon la parade (Charles
Williams, Jeffrey Miller) tout comme les riffs. Agid (cl) plane au-dessus de la
masse sonore. Du jazz orthodoxe par Kyle Roussel en trio dans «All of Me»
(Pulphus, b, Riley, dm) puis le relais est pris par tout l'orchestre qui
swingue un excellent arrangement. Retour du chœur et de l'envahissant rappeur
dans «Living Free and Running Wild» richement orchestré par Phil
Sims. Le solo de Branford fait un peu remplissage. La section de sax amène (et
accompagne) la ballade «Skylark», orchestrée par Delfeayo qui en
est le charmant soliste (beau jeu de balais d'Herlin Riley). Les sax sont
encore à l'honneur dans «Java» où Roderick Paulin est l'excellent
soliste au son épais. Très pompeuse l'introduction de cuivres pour la «Fanfare
for the Common Man», orchestrée par Delfeayo, puis la solennité fait un
peu musique de film. Vient ensuite le solo de Delfeayo, seul moment swing. Le bonus track est la version instrumentale
de «Dream on Robben» (orchestration Kris Berg) avec Khari Allen Lee
(ss), qui a écouté Coltrane, et le drumming superlatif d'Herlin Riley. Bref, il
y a de tout dans ce nouvel album de Delfeayo Marsalis, notamment du bon.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Echoes of Swing
Dancing
Hipsters
Hop, Gavotte I (English Suite n°6), Charleston, Dream Dancing, Diplomata,
Lion's Steps, Ballet of the Dunes, All You Want to Do Is Dance, Sandancer,
Carioca, Premier Bal, Ragtime Dance, Moonlight Serenade, Salir a la luz,
Original Dixieland One-Step, Dancing on the Celling
Colin
Dawson (tp, voc), Chris Hopkins (as), Bernd Lhotzky (p), Oliver Mewes (dm)
Enregistré
les 26-28 mai 2015, Kefermarkt (Autriche)
Durée:
1h 01' 43''
Act
9103-2 (Harmonia Mundi)
Echoes of Swing
A tribute to Bix Beiderbecke
CD1:
Ol' Man River (intro), At the Jazz Band Ball, Everything That Was, I'm Coming
Virginia, Thou Swell, In the Dark (tango), At Children's Corner, Happy Feet,
I'll Be a Friend With Pleasure, Nix Like Bix, Singin' the Blues, The Boy from
Davenport, Jazz Me Blues, Ol' Man River
CD2:
At the Jazz Band Ball, I'm Coming Virginia, Singin' the Blues, Jazz Me Blues,
Blue River, Thou Swell, Clarinet Marmalade, Way Down Yonder in New Orleans;
Royal Garden Blues, In a Mist
CD1:
Colin Dawson (cnt, tp), Shannon Barnett (tb, voc), Emile Parisien (ss), Chris
Hopkins (as), Mulo Francel (C mel, g), Bern Lhotzky (p), Henning Gailling (b),
Oliver Mewes (dm), Pete York (dm, perc, voc) ; CD2: Bix Beiderbecke (cnt, p),
Fred Farrar, Ray Lodwig (tp), Bill Rank, Miff Mole, Lloyd Turner (tb), Izzy
Friedman (cl), Don Murray, Jimmy Dorsey (cl, as), Doc Ryker (as), Frank
Trumbauer (s), Adrian Rollini, Min Leibrook (bs), Joe Venuti (vln), Frank
Signorelli, Irving Riskin, Roy Bargy, Paul Mertz (p), Eddie Lang (g), Howdy
Quicksell (bjo), Steve Brown (b), Chauncey Morehouse, Hal McDonald (dm), Lewis
James (voc)
Enregistré
les 1-3 août 2016, Munich (Allemagne) + du 4 février 1927 au 17 avril 1928, New
York
Durée:
1h 01' 09'' + 30' 17''
Act
9826-2 (Harmonia Mundi)
L'hommage à Bix, proposé par Echoes of Swing, se
présente en deux CDs: un premier, enregistré par le groupe allemand et
ses invités, un second qui regroupe des enregistrements originaux de 1928. De ce
dernier nous ne dirons rien, sinon que tout le monde devrait connaître au moins
«I'm Coming Virginia» et «Singin' the Blues» (celui-là
fit impression, dès sa sortie en 1927 sur les deux communautés de musiciens
dits jazz). Le livret de ce projet nous affirme: «Our perceptions of major figures in music from previous epochs tend to
change over the course of time». C'est juste. Bix fut d'abord adulé
et mis au même rang que Louis Armstrong par les premières générations de
musiciens blancs américains, anglais, français (Philippe Brun), etc. Puis, dès
que le premier théoricien (Hugues Panassié) sentit ce qu’était le hot et le swing, Bix et ses confrères furent placés au purgatoire.
Aujourd'hui, où l'on n'a plus aucune notion de ce qui est jazz ou non, Bix a repris
une place au rang des incontournables. Les Bix, Trumbauer et Lang ont de toute
façon eut une influence respectable. L'équipe d'Echoes of Swing avait le choix
entre épouser le style rythmique et expressif de ces anciens ou de reprendre
leur répertoire à une manière d'aujourd'hui. Or le répertoire n'est rien, seule
la façon de le jouer importe. Il n'y a donc rien de Bix et Trumbauer dans ces
reprises (augmentées de quelques originaux). Ce n'est pas moins intéressant
pour autant. L'arrangement de Bernd Lhotzky d'un «At the Jazz Band Ball»
à peine reconnaissance, a plus de swing que les équipes de Bix. La sonorité de
Colin Dawson au cornet Schilke dans «Ol' Man River» est chaude avec
un vibrato qui n'évoque en rien Bix, mais c'est aussi beau que court. Colin
Dawon peut évoquer Chet Baker dans le quartet sans piano sur «Thou Swell»
où Shannon Barnett fait penser à Bob Brookmeyer. Mulo Francel utilise un vieil
instrument, le C melody sax, emblème de Trumbauer, pour une expressivité bien
différente : belle sonorité chaude dans l'exposé de «Everything That Was»
qu'il a signé, puis des fantaisies dans le développement qui rappellent James
Carter. Son arrangement d'«In the Dark» n'évoque Bix que dans le
piano en coda. «At Children Corner» composé par Lhotzky fait plus
clairement référence à Debussy et Bix, avec changements de tempo. Très belle
musique par Echoes of Swing sans invités, où chacun a soigné la sonorité
(cornet clair de Colin, alto léger de Chris, piano délicat de Bernd, et variété
rythmique d'Oliver). Le traitement rythmiquement funky d'«Happy Feet» est
réjouissant! Excellents solos de Francel, Barnett, Hopkins, Dawson et des deux
batteurs! Bravo à Mulo Francel pour l'arrangement. Traitement bossa de «I'll
Be a Friend With Pleasure» avec un excellent alto carterien de Chris
Hopkins et une partie chantée bien venue de Pete York. Absence du drame qu'on
perçoit dans le sublime solo de Bix dans la version d'origine (regrettablement
absente de la réédition); d'ailleurs pour mettre à mort toute comparaison, le
présent arrangement ne fait pas appel au cornet! Shannon Barnett joue en duo
avec Henning Gailing (b) sa composition «Nix Like Bix» (d'après «Blue
River») ; du très bon trombone, très mobile avec parfois un caractère
vocal dans la sonorité. Version swing du «Singin' the Blues» revu
par Colin Dawson (tous les solos sont bons). Le «Jazz Me Blues» est
abordé sur un tempo inhabituel. Après l'excellent solo de Barnett, Emile
Parisien s'exprime de façon bien intégrée. Pas une seconde de passéisme et de
la musique de qualité.
Il en va de même de l’albumDancing, qui s'en prend à la danse («Charleston» décortiqué
; «Carioca» virtuose etc). Dans le dansant «Diplomata»
de Pixinguinha, Colin Dawson a une excellente sonorité appropriée, sans et avec
sourdine. Il chante à la Chet Baker notamment dans «Dream Dancing»
(beau son d'alto de Chris Hopkins). Relevons la «Gavotte» de Bach
(Colin Dawson s'en sort bien avec le phrasé classique) et «Ragtime Dance»
de Joplin. «Lion's Steps» évoque parfaitement Willie Smith, et la
prestation de Bernd Lhotzky est délicieuse. Le traitement de l'«Original
Dixieland One-Step» sonne un peu comme du John Kirby. Enfin, il y a de
bonnes compositions personnelles («Ballet of the Dunes» de Chris
Hopkins…). De quoi vous surprendre et vous satisfaire.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Bob Mintzer
All L.A. Band
El Caborojeno, Havin'
Some Fun, Home Basie, Ellis Island, Original People, New Rochelle,
Runferyerlife, Latin Dance, Slo Funk, Tribute
Bob Mintzer (ts, arr),
Wayne Bergeron, James Blackwell, John Thomas, Chad Willis, Michael Stever (tp),
Bob McChesney, Erik Hughes, Julianne Gralle, Craig Gosnell (tb), Bob Sheppard
(as), Adam Schroeder (bar), Russ Ferrante (p), Larry Koonse (g), Edwin
Livingston (b), Peter Erskine (dm), Aaron Serfaty (perc)
Enregistré à Los
Angeles (Californie), date non précisée
Durée: 1h 02' 24''
Fuzzy Music PEPCD022 (www.bobmintzer.com)
La collaboration entre
Bob Mintzer et Peter Erskine ne date pas d'aujourd'hui. L'expérience de Bob
Mintzer dans l'orchestre de Buddy Rich l'a amené à comprendre que le batteur
est le socle du big band. C'est l'œuvre collective plus que les solos qui
comptent ici étant donné la qualité superlative des sections de cuivres! Wayne
Bergeron est l'un des meilleurs lead trompettes du moment. Bob Mintzer fait une
place, et c'est inévitable de nos jours, à l'influence cubaine dans trois
titres : «El Caborojeno» (solo bop standardisé de Michael Stever,
tp, qui a une solide technique), «Ellis Island» (en 6/8 d'où un
phrasé orchestral biscornu incompatible avec le swing; bon travail des sections
de trombones et trompettes, solo d'Adam Schroeder, bar), «Latin Dance»
(solo de Mintzer sur des motifs complexes et répétitifs de trombones et
trompettes, solo Bob McChesney, très technique comme toujours, retour au sax
ténor puis passage Erskine-Serfaty). Touche reggae dans «Original People»
qui vaut pour le travail de la section de trombones au son ample. Notez le
passage en 4/4 ternaire pour que les solos swinguent (écoutez le solo swing de
trompette et juste après les constructions des sections de souffleurs sans swing).
Tout cela est évidemment rythmique ce qui n'est pas synonyme de swing. Fanfare
classique pour trompette (Wayne Bergeron) et section de trombones avant le
thème «New Rochelle» sur un drumming binaire, à l'origine écrit par
Mintzer pour les Yellowjackets. Solo de Russ Ferrante, puis belle écriture
superposée des trois sections de souffleurs et un bon solo de Bob Mintzer dans
la lignée Stanley Turrentine, Hank Mobley. Aussi bien que ce soit, ça tranche
avec le «Runferyerlife», en tempo rapide, typiquement bop. Bon solo
de Bob Mintzer, puis incroyable de virtuosité de Bob McChesnel et enfin de
Peter Erskine. Wayne Bergeron assure une partie pas évidente. Une influence
directe de Count Basie se trouve dans «Havin' Some Fun». Placé
juste après «El Caborojeno», on a l'illustration (involontaire) de
ce qui swingue par rapport à ce qui est bien mais sans swing. Solos de Bob
Mintzer et Adam Schroeder, mais c'est le travail des sections de trompettes
(surtout), de trombones et saxophones qui fait l'intérêt de ce titre, ainsi que
la partie de Peter Erskine aux balais! «Home Basie» se veut le
mariage du big band swing et du R&B. En fait c'est un rythme funky sur
lequel on greffe un travail superlatif de précision des sections de trompettes
(Wayne Bergeron!) et saxophones. Bob Mintzer prend un solo charnu qui se veut
dans la lignée de King Curtis et Junior Walker (ce qui me laisse perplexe). «Tribute»
est dédié aux musiciens sortis de l'école Basie et plus spécialement à Thad
Jones. Il y a d'abord le piano sobre et swing de Russ Ferrante avant l'entrée
parfaitement swing de l'orchestre! Bob Mintzer propose un solo lyrique et
robuste. Amusant passage sur un rythme de marche pour les trompettes, avant le
retour de tout l'orchestre à un swing bien extériorisé (bon drumming de Peter
Erskine) et un solo bop de Michael Stever que n'aurait pas renié Thad Jones
(Erskine pousse bien). «Slo Funk» fut écrit pour le big band Buddy
Rich, c'est l'occasion d'un solo de Bob Sheppard (as), puis du leader. Gros
travail du lead trompette comme pour tous les arrangements destinés à Buddy
Rich. Au total c'est un disque remarquable de la conception plurielle que l'on
a aujourd'hui du big band. Pour les musiciens, sachez que des play-along et les partitions sont
disponibles sur le site internet du leader.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Ben Adkins
Sal-ma-gun-di
Lucky, Fungii Mama, Let's Dance (The Night Away), You and the Night and the Music, When You Smile at Me, That Jambalaya, Five in Time, Chelsea Bridge, Cheryl, When You Smile at Me
Ben Adkins (dm), Alphonso Horne (tp, fgh ), Joshua Bowlus (p, elp), Paul Miller (g), Stan Piper (b) + Michael Emmert (ts), Chris Adkins (elg), Linda Cole (voc )
Enregistré en 2016, New Orleans (Californie)
Durée: 57' 04''
Ben Adkins Music 190394498177 (www.benadkinsmusic.com)
Le titre veut dire pot-pourri
et c'est bien d'un mélange de genres dont il s'agit. L'ambition: «keeping alive the tradition of jazz and
being wrapped in a cellophane of modern sounds». En tout cas, c'est le
premier album sous son nom du batteur Benjamin Adkins, originaire de
Jacksonville, ex-élève en Floride de Danny Gottlieb (2009) et Leon Anderson
(2011). La plupart des titres sont joués en quartet sans trompette. Hélas,
Joshua Bowlus utilise le plus souvent le Rhodes, alors qu'il sait faire sonner
le piano de belle façon comme dans «Cheryl» de Charlie Parker (excellent jeu de
balais du leader) et dans l'une des meilleures plages de l'album, la version
chantée de «When You Smile at Me» avec l'émouvante Linda Cole (inflexions à la Billie Holiday). Paul Miller est
un guitariste pop («When You Smile at Me», trop long; «Five in Time»). Stan
Piper a un son ample de qualité. Le leader a des qualités aux balais («You and
the Night and the Music»). Curieusement, le thème rollinsien «Fungii Mama» de
Blue Mitchell est joué sans trompette. En dehors de Linda Cole, l'intérêt de
cet album c'est qu'il permet d'entendre, dans quatre titres, le jeune
trompettiste Alphonso Horne, natif de Jacksonville, diplômé de la Florida State
University, protégé de Marcus Roberts. Dans «Lucky», thème un peu monkien de
Ben Adkins, Alphonso Horne intervient d'abord en duo avec Stan Piper, puis dans
un solo bop avec la rythmique. On apprécie sa sonorité chantante dans «Let's
Dance (The Night Away)». Les deux meilleurs titres sont «That Jambalaya» sur un
rythme de parade (petits riffs de Horne derrière le Rhodes et la guitare, solo
de trompette avec le plunger et growl: toutefois la forme est supérieure au
contenu) et la ballade «Chelsea Bridge» de Billy Strayhorn (où Horne démontre
sa classe potentielle; bon solo de basse aussi).
Michel Laplace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Al Strong
Love Strong. Volume 1
Getaway 9, Itsy Bitsy Spider, Lilly's Lullaby, CI's Blues, My Favorite Things, Fond of You, Liquid, Voyage, Was, Blue Monk
Al Strong (tp, fgh), Alan Thompson (ss), James Gates (as), Bluford Thompson (ts), Shaena Ryan Martin (bar), Ryan Hanseler (p, elp), Lovell Bradford (p, org), Charles Robinson, Joel Holloway (org), J.C. Martin (g), Lance Scott (b), Jeremy Clemons (dm, clavinet), Lajhi Hampden (dm), Brevan Hampden (perc) + Ira Wiggins (fl), Lummie Spann Jr (as), Brian Miller (ts), Joey Calderazzo (p), Devonne Harris (elp), Ameen Saleem (b), KidzNotes Mozart Chorus
Enregistré le 17 décembre 2014, les 6 et 7 février 2015, Kernersville (Caroline du Nord)
Durée: 1h 00' 19''
Al Strong Music (www.alstrongmusic.com)
Love Strong est un disque «pour se sentir bien» («a feel good record»), ce qui implique qu'il y en ait (sans
doute moins volontairement avoué) pour se sentir mal (nous ne citons
personne). Albert Strong, élevé à Washington, a rencontré ce
qu'on appelle «jazz» à l'âge de 15 ans. Il est un produit de la Duke
Ellington School for Performing Art. C'est Michael Hackett qui lui a
enseigné l'émission des notes sur une trompette. Un grand-père l'a
initié à Ray Charles, Jimmy Smith, Donald Byrd. Depuis, Al Strong qui
émerge à partir de 1998, a joué avec Aretha Franklin et Branford Marsalis.
Et en effet on est surpris à l'écoute du premier titre, «Getaway 9»
d'entendre du (hard) bop sur tempo rapide parfaitement assimilé par Al
Strong («strong» en effet), Bluford Thompson et le trio rythmique
(bon solo de Jeremy Clemons)! «Itsy Bitsy Spider» est un solo de
trompette (démarquage de « Au clair de la lune») en dehors de
l'intervention de voix d'enfants au début et à la fin. Al Strong a un son
charnu, robuste et chantant avec un léger vibrato en fin de phrases. Cette
qualité se retrouve dans «Lilly's Lullaby». Al sait utiliser les émissions
de son voilée pour donner de l'émotion aux notes. C'est la guitare bluesy
de J.C. Martin qui introduit un «CI's Blues» deuxième moment de pur
(hard) bop. Al Strong joue avec autant de classe qu'un Roy Hargrove, avec
des attaques à la Lee Morgan! Coda très blues. Il est
impossible aujourd'hui d'éviter la touche latine qui surgit dans
cet intéressant arrangement de «My Favorite Things». Effets électroniques
dans le solo de trompette. Utilisation bien venue de l'orgue (Lovell
Bradford). Climat Jazz Messengers dans «Fond of You». Bluford
Thompson y trouve des accents à la Benny Golson. Bon drumming de Lajhi
Hampden, remarquable lignes de basse de Lance Scott, piano soul
de Ryan Hanseler. Le reste n'est pas de la même veine. Al Strong
diversifie pour ne pas passer pour un ringard (et il a le droit d'aimer ça
aussi). Passe encore pour le funk festif qui prend «Blue Monk» pour otage,
comme l'avait déjà fait le Dirty Dozen Brass Band (auquel on pense), avec
sa guitare à pédale (bon solo hargneux de Bluford Thompson). Les
trois autres titres, avec piano bla-bla (Lovell Bradford) sans swing
dans «Voyage», sont des pièces de «climat» qui permettent malgré tout
d'apprécier la sonorité de bugle et de trompette avec sourdine harmon du
leader. Au total tous ceux qui restent à aimer leur bop hard devraient
s'intéresser à Al Strong et à ce disque.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Houben/Loos/Maurane
HLM
Enfance, Potion magique,
Overloos, Peccadille, Incantation pour les Etoiles, Morceau en forme de
Nougarose, Savapapapa, Les chevilles de Valery
Steve
Houben (fl, as, ss), Charles Loos (p, key), Maurane (g, voc)
Enregistré en novembre 1985, Bruxelles (Belgique)
Durée: 40' 23''
Igloo Records 043 (Socadisc)
Après un
beau premier galop au Québec et avant Starmania,
Maurane est revenue à Bruxelles poser sa voix puissante et son feeling jazz
mâtiné de «Nougarose» en 1985. Dans les mois qui suivent, sa
rencontre avec les musiciens qui gravitent autour des dix ans d’âge des Lundis
d’Hortense n’est pas une surprise. La chanteuse qui est aussi guitariste
(«Savapapapa») et compositrice («Overloos») se fait
instrumentiste par onomatopées
inclusives («Incantation pour les étoiles»). On appréciera son talent d’improvisatrice,
notamment sur «Morceau en forme de Nougarose». C’est surtout la
«manière» de Charles Loos qui est affirmée ici; sa
musicalité, l’approche mélodique de ses composition. Par sa sensibilité et sa
maîtrise, Steve Houben, qui a déjà enregistré «Steve Houben And
Strings» en 1983, s’allie avec évidence aux harmonies de Charles Loos
(«Peccadille»). Sa composition «Enfance» est devenue un
grand classique du jazz belge. Puisqu’aujourd’hui la chanteuse qu’on a dans
l’oreille masque le talent initial de Maurane, cette réédition faite par Igloo
se faisait essentielle. A noter: un supplément par rapport au 33 tours
originel (Igloo 038): le duo Loos-Houben sur «Les Chevilles de
Valéry».
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Big Noise
Live
What’ Cha-Call-‘Em Blues, Down by the Riverside,
Make Me a Pallet On the Floor, Carry Me Back to Old Virginny, Big Chief, Old
Stack O’Lee Blues, Jesus on the Mainline, Oh, Didn’t He Ramble, Cornet Chop
Suey, Savoy Blues, Forty Second Street, Mardi Gras Mambo, My Indian Red, (I’ll
Be Glad When You’re Dead) You Rascal You, Black and Blue
Raphaël D’Agostino (cnt, voc), Johan Dupont (p,
voc), Max Malkomes (b, voc), Laurent Vigneron (dm)
Enregistré
les 10 et 11 janvier 2016, Bruxelles (Belgique)
Durée: 1h 18' 50''
Igloo Records 274 (Socadisc)
Déjà sept ans que ce quartet wallon reprend le
vieux répertoire du Delta, surprenant les festivaliers le plus souvent habitués
aux expériences créatives et autres amalgames ethniques. Ils nous ont fait danser à Brosella, à
Comblain ou Rossignol. Avec ce troisième album, enregistré au Théâtre des
Riches Claires (Bruxelles), c’est une sorte de travelling entre Canal Street et
Jackson Square qu’ils recréent, rappelant à qui voudrait l’oublier que notre
musique est née dans la rue. La démarche de ces jeunes musiciens est
essentiellement festive. A côté d’un cornettiste-chanteur («Black and
Blue») qui privilégie les accents et le vibrato à la Buddy Bolden, on écoute un contrebassiste essentiel («Old
Stack O’Lee Blues») et un batteur qui, avec ses wood-blocks, ses
cow-bells, ses bass-drums, ses roulements, et son tempo inébranlable paie
tribut à Baby Dods, Chick Webb et Gene Krupa («Oh, Didn’t He Ramble»,
«Forty Second Street»). Plus surprenante est la présence dans ce
quartet d’un pianiste protéiforme: Johan Dupont. On peut l’écouter comme concertiste
classique, accompagnateur de chanteurs, sideman bop ou résolument impliqué dans
les expériences contemporaines. Avec Big Noise, vous apprécierez autant sa
délicatesse sur «Black And Blue» que sa vélocité sur «Big
Chief». Big Noise parcourt les origines en chant-chorales («My
Indian Red»), de l’église au bordel, de «Jesus on the
Mainline» jusqu’au très païen «Mardi Gras Mambo». Cette
formation minimale, sans clarinette ni trombone, transpire le swing et la vieille
tradition, mais surtout la joie d’être ensemble, de jouer sans fards, en
amitié, modestie et partage.
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Jean-Pierre Bertrand/Frank Muschalle
Piano Brotherhood
Lucky Shuffle, Rhythm Boogie, Blues
O'Clock, Midnight Boogie, If You're Not Mine, Boogie Woogie Blues,
Sixth Avenue Express, Piano Brotherhood, Why Did You Do That to Me, A
Fred's Smile for the Boogie Man, Funny & Uprising, Blues with a
Feeling, Swanee River Boogie, Searing Blues, Ammons Warlock Boogie
Jean-Pierre Bertrand, Frank Muschalle
(p), Dani Gugolz (b, voc), Peter Müller (dm)
Enregistré les 1er et 2 décembre
2014, Dijon (21)
Durée: 47' 51''
Black & Blue 801-2 (Socadisc)
Frank Muschalle
Live in Vannes
Blue Mor-Bihan, Arradon Arrival, More
Sweets Darling, Slotcar Boogie, Mr Freddie Blues, Cooney Vaughn's
Stremblin' Blues, Born's Boogie, Vannes'n Waltz, Nod to Wilson, Sheik
of Araby, If I Didn't Love You Like I Do, Spooky'n Blue, Bass Goin'
Crazy, Hmm? What?, Pastry, Mama You Don't Mean Me no Good, Splashin'
Around with the Kids
Frank Muschalle (p)
Enregistré les 22 et 23 avril 2015,
Vannes (56)
Durée: 1h 03' 18''
Styx Records 1078 (www.styxrecords.com)
Jean-Paul Amouroux
Plays Rock'n Roll Hits in Boogie Woogie
I'm Walking*, Wild Cat, You Never Can
Tell*, Be-Bop-a-Lula, Lucille*, Memphis Tennesse, Dim Dim the
Lights*, School Days, Pony Time*, A Mess of Blues, Rock Around the
Clock*, I Gotta Know, Tutti Frutti*, Dirty Dirty Feeling, Jambalaya*,
No Particular Place to Go, Rock the Bop*, Johnny B Goode, You Talk
Too Much*, C'mon Everybody, I'm Ready*, Rock and Roll Music, I Want
to Walk You Home*, Don't Be Cruel, Ya Ya*, Happy Baby*
Jean-Paul Amouroux (p), Claude Braud
(ts*), François Fournet (g), Enzo Mucci (b), Simon Boyer (dm)
Enregistré les 16 et 17 juin 2015,
Draveil (91)
Durée: 1h 04' 59''
Black & Blue 791-2 (Socadisc)
Malgré tout le savoir-faire de ces
pianistes, le boogie woogie peut générer une certaine lassitude.
Pour la rompre, le duo Bertand-Muschalle, disciple du tandem Pete
Johnson-Albert Ammons («Sixth Avenue Express») sollicite parfois un
bassiste genre Willie Dixon («Why Did You Do That to Me» de Big
Bill Broonzy), d'ailleurs chanteur capable («Blues with a Feeling»)
et un batteur efficace («Blues O'Clock»). On n'est pas loin du
rock'n roll («Midnight Boogie»). Alterner avec du blues low down
(«Piano Brotherhood») est donc bien venu. Le «If You're not Mine»,
excellent thème de Lafayette Leake compte parmi les bons moments de
ce CD qui à côté de reprises propose aussi des compositions
originales. Celles-ci sont très présentes dans le
dur exercice du solo qu'assume Frank Muschalle sur son Live in
Vannes. Elles sont souvent excellentes («Blue Mor-Bihan»,
«Vannes'n' Waltz», «Hum? What?»). L'album ne comprend donc pas
que du boogie. Muschalle est un excellent pianiste qui joue très
plaisamment des morceaux qui ne méritent pas l'oubli comme «Mr
Freddie's Blues» de Freddie Shayne, «Bass Goin' Crazy» d'Albert
Ammons, «Pastry» de Sonny Thompson-Henry Glover et du Little
Brother Montgomery, «Cooney Vaughn's Tremblin' Blues» et «Mama,
You Don't Mean Me no Good». Un des sommets du CD est «Nod to
Wilson», démarquage du «Blues in C Sharp Minor» de Teddy Wilson :
du piano incontournablement jazz, et de classe! On retiendra aussi,
dans ce disque, plus que plaisant, le bon thème «If I Didn't Love
You Like I Do» de Julius Dixon (1913-2004) qui donna aussi avec la
parolière blanche Beverly Ross, «Dim, Dim The Lights» rendu
célèbre en 1954 par Bill Haley et que l'on trouve dans le troisième
CD, celui signé par Jean-Paul Amoureux en petit combo.
L'idée de ce Plays Rock'n Roll Hits in
Boogie Woogie est donc d'utiliser les succès du rock'n roll pour en
faire du boogie. Ce n'est pas l'exercice le plus difficile, puisque
le boogie est une composante essentielle du rock'n roll des années
1945-64 («Lucille» de Little Richard). Cette fois, l'astuce pour
entretenir l'attention est d'alterner une interprétation avec sax
ténor avec une, sans. Claude Braud a un style «velu» tout à fait
adapté au rock'n roll («Tutti Frutti», «Jambalaya»). François
Fournet est parfait dans cet exercice du guitariste dérivé de
T.Bone Walker, d'avant l'ère de la suramplification des Jimi Hendrix
& co. («I'm Walking» de Fats Domino-Dave Bartholomew, «A Mess
of Blues», «Dirty, Dirty Feeling», «Don't Be Cruel», évidemment
«Johnny B Goode»). Simon Boyer génère un shuffle parfait («Wild
Cat») et aussi un drumming plus rentre dedans («Pony Time») dans
une entente efficace avec Enzo Mucci (bon slappeur : «Be-Bop-a-Lula»,
«Rock Around the Clock», «Happy Baby»). Pas ici de
désarticulation des thèmes, ils sont bien identifiables. Jean-Paul
Amouroux qui est passé de la musique dite classique à Pete Johnson
via une période rock'n roll, rend ici un très plaisant hommage aux
célébrités du genre qui ont marqué son adolescence : Chuck Berry,
Little Richard, Fats Domino, Chubby Checker, mais aussi Jerry Lee
Lewis, Gene Vincent, Bill Haley, Eddie Cochrane, Elvis Presley.
Jean-Paul Amouroux a un style simple et direct parfait pour ce
divertissement qui en réjouira plus d'un .
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Georges V
Joue Brassens
Marinette, Le Parapluie, Pénélope, Brave Margot, Hécatombe, Histoire de Faussaire, Je suis un voyou (intro), Je suis un voyou, Je me suis fait tout petit, L'Orage, Les Copains d'abord, Le Temps ne fait rien à l'affaire, Les Passantes
Pierre Guicquéro (tb), Daniel Huck (as, voc), Jean-Marc Montaut (p, arr), Pierre Verne (b), Marc Verne (dm)
Enregistré les 1er et 2 mai 2015, lieu non précisé
Durée : 58' 22''
Black & Blue 805-2 (Socadisc)
Le principe de prendre une chanson pour tremplin à jazzer est une constante. Solliciter les compositions de Brassens est chez nous assez fréquent surtout depuis «Les Copains d'abord» par les Haricots Rouges. A noter qu'on trouve ici une belle version de «Les Copains d'abord» bien différente, sur tempo lent (excellents solos de Guicquéro et de Pierre Verne). Bref, nous avons là des arrangements bien originaux. Signalons la créolisation de «Le Parapluie», «Je suis un voyou» (mais l'intro est un pastiche amusant du piano concertant). La plupart des exposés du thème sont par Pierre Guicquéro comme dans la funky «Marinette» (Jean-Marc Montaut cite brièvement «Now's the Time» dans son solo). Dans «Brave Margot» (qu'enregistra déjà Sidney Bechet), Daniel Huck prend un accent parkerien (excellent solo technique de trombone, bonne prestation aux balais de Marc Verne). «L'orage» n'est pas sans évoquer «Tea for Two» dans l'introduction de piano, Daniel Huck y chante en scat avec le talent qu'on lui connais (ce n'est pas la seule intervention dans cette spécialité dans ce disque). Dans «Je me suis fait tout petit», Daniel Huck chante les paroles, puis nous donne du scat après le très bon solo de Jean-Marc Montaut. Pierre Guicquéro expose à la Bill Watrous «Histoire de faussaire», titre où nous avons des solos bluesy de piano et d'alto fort bien venus. Bon solo autour du thème de Pierre Verne dans «Le temps ne fait rien à l'affaire», et Daniel Huck y swingue résolument! Le scat dans «Les Passantes» est joyeusement déjanté (bon solo de Marc Verne, introduction qui intrique «Stranger in Paradise»). Bref, de bons moments garantis avec ce CD.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Claude Bolling Big Band
60 ans. From CB to CB with Love
From CB to CB with Love (part 1-2-3),
The Key, Oncle Benny, Nuances, Sax Specialties, Sunday Mornin Shuffle, Lorraine
Blues
Christian Martinez,
Guy Bodet, Michel Delakian, Patrick Artero (tp), Fabien Cyprien, Denis Leloup,
Jean-Christophe Vilain, Philippe Henry (tb), Philippe Portejoie, Claude
Tissendier (as), André Villéger (ts, cl), Carl Schlosser (ts, fl), Claudio de
Queiroz (bs), Philippe Milanta (p), Nicolas Peslier (g), Pierre Maingourd (b),
Vincent Cordelette (dm), Faby Médina (voc)
Enregistré les
10-12-17-26-28 novembre et 3-20 décembre 2015
Durée: 50' 09''
Frémeaux &
Associés 8523 (Socadisc)
Saluons d’abord un livret avec les informations utiles
(nom des solistes)! Toutes les compositions sont signées Claude Bolling, mais
c'est sans lui que ses musiciens œuvrent en son nom. Entrés dans cet orchestre
entre 1974 et 2013, tous font honneur au fondateur de l'orchestre, par ailleurs
bien enregistré dans le studio de Vincent Cordelette. Un bon big band c'est un
excellent batteur pour l'assise et un premier trompette précis comme colonne
vertébrale. Pas de soucis ici avec Cordelette et Christian Martinez dont la
mise en place, la maîtrise du registre aigu et du vocabulaire (shakes)
s'épanouissent dès le premier titre bien venu, «From CB (Claude Bolling)
to CB (Count Basie) with Love» (composé en 1987) qui présente le
successeur de Claude au piano, Philippe Milanta, un choix tellement pertinent
(un régal de virtuosité et swing). Pour beaucoup, le big band est un défilé de
solistes. En fait, c'est avant tout un choix de compositions aptes à être
swinguées dans des orchestrations qui sont autant de surprises, palettes
sonores, alliages et qui sont l'intérêt premier. Viennent ensuite la mise à
disposition d'espaces d'expression pour des solistes adaptés à l'esthétique de
l'orchestre qui constituent un plus et non une fin. Et là, pas de déception.
Dans la partie 2 de ce «From CB to CB with Love», Patrick Artero
joue splendidement (quel son ample à la Armstrong dans le solo sans sourdine!).
On retrouve Patrick Artero, impérial, à la fin de «Lorraine Blues»,
version ici précédée par un duo devenu célèbre, André Villéger-Philippe
Milanta. A noter une inexactitude dans le livret, ce thème low-down a été enregistré avant 1961 (Philips), le 28 mai 1956 par
Claude mettant en vedette Fred Gérard (tp), Claude Gousset, Benny Vasseur et
Bernard Zacharias (tb) (Jazz Club 6004). Dans ce CD, Damien Verherve (tb)
s'inscrit dans la même lignée. Puisque nous sommes dans le trombone,
«Oncle Benny» évidemment dédié par Claude à Benny Vasseur est ici
admirablement joué par Denis Leloup avec la sûreté technique qu'on lui connait.
On notera dans ce morceau l'alliage sonore trombone et flûte (Carl Schlosser),
ainsi que trompettes et flûte dans «Route d'Azur» (1961, pour le
film Les Mains d'Orlac) où l'on remarque aussi les solos de Pierre
Maingourd et de Michel Delakian (avec sourdine harmon), ainsi que le jeu aux
balais de Cordelette. Trombone encore, Jean-Christophe Vilain dans un «Sunday
Morning Shuffle», bien shuffleen effet. Du côté des saxophones: belle version de «Nuances» bien
sûr ellingtoniennes (Claude Tissendier, alto chantant) et «Sax
Specialties» dédié à Tissendier qui valorise le moelleux de la section de
sax, après une vive secousse de trompettes. Merci à Vincent Cordelette, nouveau
chef d’orchestre, et à tous ces admirables musiciens.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Claude Braud/Pierre-Louis Cas/Philippe Chagne/Carl Schlosser
Tenor Battle
Stolen
Sweets, My Delight, My Full House, After Supper, Shiny Stockings, Moten Swing,
Cristo Redentor, Robbin's Nest, In a Mellow Tone
Claude
Braud, Pierre-Louis Cas (ts), Philippe Chagne (ts), Carl Schlosser (ts,
fl), Franck Jaccard (p), Laurent Vanhée (b), Stéphane Roger (dm)
Enregistré
: le 19 avril 2014, Paris
Durée: 1h 14' 17''
Ahead
828-2 (Socadisc)
Philippe Chagne/Olivier Defays
Men in Bop
Naomi's
Back!, Emile Saint-Saëns, You and the Night and the Music, Mon suricate au chutney
(portrait of P. Chagne), I Remember Frank Wess, Mérou's Bounce, Sweet Swing,
Caravan, Walkin' Easy, Calcutta Cuite Olivier
Defays (as, ts), Philippe Chagne (ts), Philippe Petit (org), Yves Nahon (dm)
Enregistré
les 19, 20 et 21 octobre 2015, Droue-sur-Drouette (28)
Durée: 53' 30''
Ahead
829-2 (Socadisc)
Ce qui réunit ces disques
du même label, c'est la
présence de Philippe Chagne, qui, comme c'est rappelé, a une vaste expérience
en big bands (Claude Bolling, Ray Charles, Gérard Badini, Michel Pastre,
François Laudet, le Splendid). Et aussi l'idée de ne réunir que des sax sur un
soutien rythmique. Ils sont un total de quatre et non des moindres dans Tenor
Battle, sur des arrangements bien conçus d'un répertoire varié (Ellington,
Illinois Jacquet mais aussi Roland Kirk et Duke Pearson). Le livret donne les
indications de solistes qui permettent de se mettre dans l'oreille le son et
style de chacun. Tous ces arrangements sont de premier ordre! «Stolen
Sweets» swingue bien sur tempo médium, mené par Chagne à l'alto (pas
mentionné dans le livret), les solos de ténor opposent amicalement Chagne et
Carl Schlosser (approche la moins sage). Sur tempo plus vif, «My Delight»
fait intervenir successivement Schlosser, Claude Braud (léger growl),
Pierre-Louis Cas (son épais) et Chagne. Un riff de section ou des breaks de
batterie séparent les interventions individuelles. Dans les ensembles comme en
solo Schlosser opte pour la flûte dans le très dansant «My Full House»
ce qui contraste bien avec le solo hargneux de Pilou Cas. Franck Jaccard y va
aussi d'un solide solo. Jaccard amène avec délicatesse le «After Supper»
sur tempo très lent. Ce thème de Neal Hefti nous conduit dans l'univers basien.
Solo «méchant» de Pilou (à noter la parfaite ligne de basse de
Laurent Vanhée), ensuite Claude Braud n'est pas moins véhément. L'entrée de
solo de Schlosser a la vérilité d'une trompette, puis son phrasé a le même
genre d'exhubérence qu'un James Cater. En comparaison la sonorité de Philippe
Chagne est plus légère mais pas moins expressive. On reste un moment dans
l'univers basien avec «Shiny Stockings» (belles relances de
Stéphane Roger) et «Moten Swing» (version funky et bon chase
Schlosser-Chagne). Soulignons au passage que c'est du live (au Méridien), pas de triche. Très bel arrangement de «Cristo
Redentor» avec l'alto lancinant et lyrique de Philippe Chagne. Le piano soul de Franck Jaccard est le seul
soliste, de classe. L'arrangement de «Robbin's Nest» avec une
partie de flûte et un piano économe n'est pas moins enthousiasmant (remarquable
solo de flûte de Schlosser, suivit des ténors pulpeux de Cas, Chagne et Braud).
Le programme se termine par une bonne version de «In a Mellow Tone».
Les amateurs de sax qui swingue seront aux anges!
Dans le second CD, il y a
plus de compositions personnelles (ou bons démarquages comme «Naomi's Back!»,
kentonien) que d'adaptations de standards. Olivier Defays revendique d'être
bop. L'alliage sax-orgue-drums fut pour Blue Note puis en France chez Black
& Blue lors des années 1970, un gisement de couleurs bluesy. C'est
l'esthétique défendue ici avec talent. Philippe Petit est non seulement un
organiste qui connait les racines du genre, mais aussi un compositeur de thèmes
de qualité : «Emile Saint-Saëns», «Walkin' Easy».
Philippe Chagne a signé une jolie ballade pensive, «I Remember Frank Wess»,
où la qualité des sonorités de ces deux sax est bien en valeur (et indispensable
sur tempo très lent!). Son «Sweet Swing» est aussi un thème
plaisant joué paisiblement par l'alto et ténor entourés des «couleurs
Blue Note» de Philippe Petit. On appréciera le style parkero-cannonballien
d'Olivier Defays dans son «Mérou's Bounce» (breaks d'Yves Nahon).
Dans les standards, on relève un bon stop chorus par les sax dans «You
and the Night and the Music». Yves Nahon, par ailleurs aussi discret
qu'adapté, est mis en valeur (sans excès) dans «Caravan» et «Calcutta
Cutie». Qu'Olivier Defays se rassure, ce style n'a pas pris, ici, une
ride, et, porté à ce degré de qualité, sans sacrifier le swing, c'est une
démonstration qu'on peut être «créatif» sans rien renier des fondements
essentiels du genre. Un album inespéré par les temps confus qui courent.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Yves Nahon Quartet
Jour après jour
This
Way, Contemplation, Get Out of Town, Westwood Walk, Jungle Juice, Azure, Lime
Light, What The World Needs Now Is Love, Lean Years, Just Squeeze Me
Yves
Nahon (dm), Hiroshi Murayama (p), Serge Merlaud (g), Pierre Maingourd (b)
Enregistré les 11 et 12 décembre 2013, lieu non communiqué
Durée:
56' 19''
Black
& Blue 793-2 (Socadisc)
Professionnel depuis 1987, Yves Nahon a joué pour Ted
Curson, Peter King, Pierre Michelot et Sylvain Boeuf notamment. Il annonce son
«ambition de trouver un son ensemble». En effet le groupe a un son
magnifique et la couleur est donnée par Serge Merlaud, guitariste de formation
classique qui à l'évidence a parfaitement assimilé l'approche des meilleurs
guitaristes bop. Sa sonorité attire l'oreille notamment dans
«Contemplation» de McCoy Tyner. Dans «This Way»,
composé par Serge Merlaud et joué avec swing, le piano du Japonais Hiroshi
Murayama (né en 1970), de formation classique, est d'une belle musicalité. Dans
le beau thème de Cole Porter, «Get Out of Town», c'est au tour du
leader de se mettre en valeur (jeu de balais, solo), mais Pierre Maingourd
n'est pas en reste car ses lignes de basse derrière les solos de guitare et
piano sont parfaites. Dans «Westwood Walk», la prestation aux
balais d'Yves Nahon comme l'entrée de solo de Murayama sont impressionnants.
Superbe solo de Pierre Maingourd dans «Azure» d'Ellington. Le
«Lime Light» de Mulligan est délivré avec un swing réjouissant
(belle alternative piano-guitare). Même qualité de swing dans «Just
Squeeze Me», notamment le solo de piano soutenu par la qualité de son de
la contrebasse et le drumming inventif du leader. Maingourd prend là aussi un
excellent solo. J'ai souligné des qualités individuelles. C'est la somme de
celles-ci qui donne un beau son de groupe. Ceux qui aiment la guitare dans la
lignée Kenny Burrell, Wes Montgomery, etc. sauront apprécier ce disque.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Marc Benham
Fats Food. Autour de Fats Waller
Viper's Drag, Black and Blue, Boxing Day, Carolina Shout, I've Got a
Feeling I'm Falling, Ain't Misbehavin, Madreza, The Trolley Song, My Fate Is in
Your Hands, La Petite plage, The Sheik of Araby, Les Barricades mystérieuses,
Tes zygomatiques, Ain't Misbehavin (alt. take)
Marc Benham (p)
Enregistré le 3
novembre 2015, Malakoff (92)
Durée: 48' 13''
Frémeaux &
Associés 8527 (Socadisc)
Marc Benham est un pianiste «rare».
Tous ceux qui ont assisté à ses concerts
ou écouté Herbst, son précédent album
solo en conviennent. Une technique accomplie, un toucher précis (qui l'autorise
à jouer sur les redoutables pianos
Fazioli), un sens aigu de la mise en place et une culture phénoménale de
l'histoire du piano jazz (Thelonious Monk compris) ne sont que quelques-unes de
ses qualités. Au répertoire de Fats Waller annoncé par le titre, (mais aussi de
James P. Johnson), il ajoute quelques-unes de ses compositions personnelles et
même un extrait d'un thème de François Couperindont il donne une interprétation
«stride» tout à fait dans le ton malgré son anachronisme... mais
Marc Benham a aussi le sens des surprises inattendues et le culte du mystère
(ainsi le logo du pingouin en loden qui figurait déjà sur Herbst, lui-aussi très réussi). Chapeau (melon...)
l'artiste!
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Laurent Courthaliac
All My Life
He Loves and She Loves, Strike up the Band, All My
Life, Everyone Says I Love You, Looking at You, But not for Me, You Brought a
New Kind of Love to Me, I’ve Got a Crush on You, Just You, Just Me, Embreacable
You
Laurent Courthaliac (p, arr), Fabien Mary (tp),
Bastien Ballaz (tb), Dimitri Baevsky (as), David Sauzay (ts), Xavier Richardeau
(bar), Clovis Nicolas (b), Pete Van Nostrand (dm)
Enregistré
en avril 2015, Meudon (92)
Durée:
44' 04''
Jazz and People 816004 (Harmonia Mundi)
La musique qui sert de
base au dernier album de Laurent Courthaliac est tirée des films de Woody Allen Manhattan (1979) et Tout le monde dit I love you (1996),
seule comédie musicale à l’actif du cinéaste new-yorkais. Le pianiste célèbre
ici davantage l’amour du jazz de l’illustre réalisateur que son esthétique
cinématographique, même si des accents de sincérité absolue émaillent cette
déclaration enflammée à la ville berceau du bebop. Dès le premier titre, «He
Loves and She Loves», le pianiste annonce la couleur avec une relecture
de Gershwin dans la plus pure tradition swing. L’orchestration façon big band
de Jon Boutellier (Amazing Keystone Big Band) est le sésame qui permet d’entrer
de plain-pied dans un univers qui ressuscite une époque chérie de la plupart
des amateurs de jazz. «Strike Up the Band» permet à Laurent Courthaliac
de déployer toute sa science des arrangements, et le tempo vif, les accents
roboratifs produits par les cuivres, achèvent de convaincre l’auditeur qu’il a
ici affaire à une musique de grande qualité. «Everyone Says I Love You»
ramène le temps d’une piste cette saveur particulière aux grandes comédies
musicales américaines, et «Looking at You» est peut-être le morceau
sur lequel le talent du leader s’avère le plus évident, son toucher atteignant ici
un niveau de délicatesse et de sensibilité inouïs, avec des silences aussi
éloquents que les notes de musique les plus inspirées. «I’ve Got a Crush
on You» suscite à son tour l’adhésion du mélomane, avec ses contrastes
profonds et les couleurs sépias apportées par Bastien Ballaz. Un hommage appuyé
doit bien sûr être rendu au mixage et à la masterisation hors pairs de Julien
Bassères, qui s’avèrent essentiels pour restituer toute la cohésion de l’octet
en studio. Le disque se termine sur «Embraceable You», un mid-tempo
très séduisant qui met en évidence le talent de Xavier Richardeau. Grâce soit
rendue, sur ce disque, à la section de cuivres, dont les interventions
confèrent un caractère inoubliable aux compositions de George Gershwin. Un bien bel album, déployant une approche
toute de transparence et de pureté, et prouvant que la musique la plus
enracinée n’est pas incompatible avec l’approche d’une certaine modernité.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Jacky Terrasson/Stéphane Belmondo
Mother
First
Song, Hand in Hand, Lover Man, La Chanson d'Hélène, In Your Own Sweet Way, Pic
Saint-Loup, Mother, Fun Eyes, Les Valseuses, Souvenirs, You Don't Know What
Love Is, Pompignan, You Are The Sunshine of My Life, Que Reste-t-il de nos
amours?
Jacky Terrasson (p), Stéphane
Belmondo (flh, tp)
Enregistré
en septembre 2015 et avril 2016, Pompignan (82)
Durée: 48' 12''
Impulse!
0602557049466 (Universal)
Ce disque est le
résultat de la quasi fusion artistique entre Stéphane Belmondo et Jacky
Terrasson. Ils se connaissent depuis longtemps. Ils ont joué ensemble pour Dee
Dee Bridgewater dans les années 1990. A partir de 2010, ils se sont retrouvés pour
jouer en duo. Une trentaine de morceaux a été enregistrée, mais à l'écoute du
résultat, ils ont choisi de ne garder que les tempos lents pour donner un
climat particulier à l'album. J'avais une appréhension avant d'écouter ce
disque, car Jacky Terrasson comme la plupart des pianistes bavards de notre
époque, n'est pas ma tasse de thé. J'aurai dû me souvenir que j'avais déjà
chroniqué positivement le duo Tom Harrell-Jacky Terrasson de 1991 (JAR 64007).
Et dès la première écoute j'ai été touché par la qualité musicale de cette
sélection.
«First Song» de Charlie Haden, hors tempo et lent, ouvre le programme:
le bugle de Stéphane Belmondo est bien enregistré et ses émissions de son,
volontairement voilées, génèrent une belle émotion que l'accompagnement de
Terrasson respecte. A tempo, plus médium, «Hand in Hand» est magnifiquement
joué par Stéphane Belmondo à la trompette avec une sourdine harmon. Jacky
Terrasson a une solide main gauche qui donne l'assise au duo et il joue avec
sobriété et une grande musicalité! Belle quiétude dans l'introduction à ce qui
devient «Lover Man» avec l'arrivée de Stéphane Belmondo au bugle. Ce n'est pas
qu'un accompagnement mais l'intrication parfaite de deux voix, avec une
complicité en écho (reprise de la phrase de bugle ou court commentaire par la
main droite de Jacky Terrasson). Le son de bugle est généreux. Ici et là
quelques effets à la Miles Davis. On sait que Stéphane aime «La Chanson
d'Hélène» de Philippe Sarde qu'il joue avec son trio. Voici une version au
bugle avec piano qui traduit quiétude et mélancolie. Phrasé bop à la trompette
avec sourdine harmon dans «In Your Own Sweet Way» de Dave Brubeck (ici c'est le
Terrasson qui me lasse vite, mais son solo est court). Le début du très court «Pic
Saint-Loup» (0'40'') fait penser au Miles Davis de L'Ascenseur pour l'échafaud.
Jacky Terrasson est le compositeur du très mélancolique «Mother», dédié à sa
mère (décédée). Stéphane Belmondo, au bugle, donne du poids, de l'affect à
chaque note. Il sollicite là un vibrato de bon aloi. Beaux effets de crescendo,
et discrets appels-réponses entre les deux musiciens. Comme pour rompre avec
cette intensité dramatique, le morceau suivant «Fun Keys» est plus enjoué,
plein de dynamisme. Terrasson y est ...funky. Belle coda vive et tranchante.
Puis surprise, «Les Valseuses» de Grappelli est du jazz qui balance comme
l'aimait le violoniste. Stéphane Belmondo y joue avec le plunger. Terrasson y
est...parfait. Retour à la tendresse avec «Souvenirs» de Stéphane Belmondo au
bugle. Dans les quatre titres suivants Stéphane Belmondo joue de la trompette,
notamment cette version recueillie de «Que reste-t-il de nos amours?». Bref, un
CD intimiste qui est une belle étape artistique de Stéphane Belmondo et de
Jacky Terrasson.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Iordache
One Life Left
Triangle, One Life Left,
Peace, Suriname, Pyramid, I Guess, It’s Love, Stranger on a Train
Iordache (ts, bar, as,
fl), Lucian Nagy (ts, ss), Petre Ionutescu (tp), Toni Kühn (key),
Dan Alex Mitrofan (g), Utu Pascu (b), Tavi Scurtu (dm)
Enregistré les 23 août
et 4 septembre 2011, Timisoara (Roumanie)
Durée: 1h 05'
Fiver House Records 160706-2 (www.fiverhouse.com)
Iordache, est un des
grands animateurs de la scène jazz roumaine, en tant que musicien,
leader et producteur; il multiple ainsi les activités indispensables
pour pouvoir vivre de sa musique en indépendant. Avec «One
Life Left», il nous propose un voyage sur les rives de la
fusion où il utilise toute la palette de ses saxophones, épaulé
par un second soufflant aux anches, Lucian Nagy. La combinaison
fonctionne et le guitariste Dan Alex Mitrofan joue le troisième
larron, ultra présent sur toutes les compositions. Un jazz
électrique semble-t-il plus inspiré de la scène anglaise des
années 70 que de la fusion dévastatrice d’Outre-Atlantique.
L’enregistrement a été réalisé en live, en prise directe et le
feeling sans effet de studio se reflète très bien sur «Suriname»
où les claviers de Toni Kühn se marient aux multiples anches et à
la trompette de Petre Ionetescu. Un mélange funky et jazz qui incite
à la danse. Chaque musicien a sa place et la polyvalence des
soufflants leur permet d’assurer de belles parties de flûte et de
baryton. L’utilisation de claviers bizarres (synthétiseur Vermona)
colore étrangement le son de «I Guess It’s Love»; et de même
sur «Stranger on the Train» le groupe invente une sonorité très
étonnante.
Une bonne surprise que ce
musicien qui ne tourne jamais en France.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Iordache
Garden Beast
Garden Beast, Captain Rabbit, Summer
Rain, Spider’s Diner, My Dog Zorro, Pond Relections, Magnolia,
Earthworm
Iordache (ts, bar, as, fl), Garden
Beast (as, voc, arr), Sebastian Burneci (tp), Florian Radu (tb),Toni
Kühn (key, g), Dan Alex Mitrofan (g), Utu Pascu (b), Tavi Scurtu
(dm, perc) + Sanem Kalfa (voc)
Enregistré en 2013, Iasi (Roumanie)
Durée: 45'
Fiver House Records 004
(www.fiverhouse.com)
Iordache réunit ici une partie de
l'équipe de One Life Left pour un répertoire qui commence
comme celui d’un groupe de rythm'n'blues avec le titre éponyme de
l’album, et toujours un super son étonnant et détonant du
pianiste. Une musique alerte, joviale, pleine d’humour, soutenue
par une section de cuivres parfaitement en place. Un jazz grand
public de qualité qui ravira aussi les puristes aux idées plus
larges. L’album se poursuit par un «Captain Rabbit» qui gambade
dans la prairie sur la rythmique cadencée du guitariste avec une
exubérance de cuivres sautillants. «Summer Rain» arrangé à la
façon d’un Lalo Schiffrin de série télévisée continue dans
l’allégresse pour introduire un étrange repas de l’araignée
«Spider Diner». Distorsions de claviers, guitare brésilienne et
cuivres habaneros nous embarquent sur les traces de «My Dog
Zorro» qui permet au guitariste de prouver de nouveau ses capacités
à swinguer et rigoler à la fois. La voix de Sanem Kalfa voltige sur
«Magnolia» orchestré à la façon d’un Frank Zappa dont
l’orchestre semble avoir adopté l’humour et la dérision sans
oublier la justesse d’interprétation. L'ultime titre prend un
début rock’n roll: les musiciens se veulent grand orchestre et
accélèrent le tempo pour un final débridé où éclate une joyeuse
cacophonie salutaire. Bref, un album qui ne manque pas
d’originalité et d’un certain entertainment.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Iordache/Alex Harding
Two Hours in June
Spider’s Diner, Triangle, Space Loneliness,
Dissipaten, Fiare Vechi Luām Iordache (as, ts), Alex Harding (bar), Stefan Burneci (tp), Florian
Radu (tb), Toma Dimitriu (key), Michael Acker (b), Tavi Scurtu (dm), Ghassan
Bouz (perc) Enregistré le
11 juin 2015, Bucarest (Roumanie) Durée: 39' Fiver House Records 015 (www.fiverhouse.com)
Deux heures. C’est
le temps qu’il a fallu pour enregistrer cet album dans un studio de Bucarest.
Iordache avait déjà écouté Alex Harding avec l’orchestre Blutopia du pianiste
roumain Lucian Ban. Puis au sein du Tuba Project (Lucian Ban, Sam Newsome,
Bruce Williams Derek Philips et le légendaire Bob Stewart) et au sein de
Defunkt. Lors d’un passage par hasard au club Green Hours, il le rencontre et les deux
saxophonistes décident aussi sec d’enregistrer dès la fin de la tournée de l’Américain.
Iordache réunit sa bande habituelle au studio Star One et en deux heures
l’affaire est bouclée. Le répertoire choisi sera quatre titres de ses
compositions et un thème de Sun Ra «Space Loneliness», son compositeur favori.
Album d’urgence qui sonne comme un live de club, sans concession laissant la
part belle aux solistes et dès le premier titre Alex Harding nous emporte sur
son baryton. Idem sur «Space Loneliness», où l’ami américain commence
l’offensive avec un long solo entrecoupé de celui du pianiste, la section de
cuivre suit le mouvement. Avec «Dissipaten» et «Fiare Vechi Luām» chaque
musicien a droit à sa courte intervention, les deux sur un tempo ralenti et l’invité refait preuve de belles
interventions. Un disque témoignage d’une rencontre non préparée et qui se
solde par un moment fort agréable.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Tiberian/Bahlgren/Betsch
Both Sides of the River
The Crossing, So Simple, Both Sides of
the River, Passcaglia, Stretto, Tuscarora, Never Been to Alabama
Mircea Tiberian (p), Chris Dahlgren
(b), John Betsch (dm)
Enregistré le 21 janvier 2011,
Bucarest (Roumanie)
Durée: 56’
Autoproduit (mircea_tiberian@yahoo.com)
Mircea Tiberian mène une carrière
internationale, il a notamment joué avec Larry Coryell, Thomas
Stanko, Jean-Jacques Avenel, Daniel Erdmann et ses compatriotes:
Johnny Răducanu, Anca Parghel, Dan Mîndrilă… Il est également
le coordinateur du département jazz de l’Université Nationale de
Bucarest et a signé une vingtaine d’albums. Chris Dahlgren,
originaire de Cincinnati, a étudié la composition avec Monte Young,
Anthony Braxton… et la contrebasse avec Barry Green, François
Rabbath et Dave Holland. Durant les années 80, il est le bassiste
maison du Blue Wisp Jazz Club de Cincinnati et joue avec Herb Ellis,
Red Rodney, Charles Tolliver et Joe Lovano, puis s’installe à New
York en 1993 où il dirige et enregistre avec ses groupes et joue aux
côtés d’Anthony Braxton (2001/2009). Depuis 2006 il réside à
Berlin et se produit avec de nombreux musiciens notamment d’Europe
centrale. Quant à John Bestch, installé à Paris on connaît sa
carrière et ses multiples collaborations, dont la plus longue avec
Steve Lacy. L’univers des trois compères semble défini mais sur
cet album dédié en grande partie à l’improvisation et gravé en
un jour, l’intensité et l’urgence donne lieu à d’agréables
surprises.
Après un premier titre «The
Crossing», issu d’une improvisation collective sur les sentiers
d’un Cecil Taylor, le trio nous suggère un chemin tranquille,
rempli de sagesse avec «So Simple» signé par Mircea Tiberian.
Jean-Sébastien Bach est l’inspirateur de «Passacaglia» qui
déroule un paysage nostalgique où le trio développe un sens de
l’écoute et de l’échange permanent. Mircea Tiberian en exprime
toutes les nuances en une sensibilité à fleur de peau qui séduit
l’auditoire. «Stretto» et «Tuscarora» signés par Chris
Dahlgren enfoncent le clou d’une musique libertaire qui se veut la
plus ouverte possible. «Never Been to Alabama», dont l’introduction
pourrait être jouée lors d’une messe de gospel, nous va droit au
cœur, des larmes sur chaque touche pour libérer les ailes de l’ange
gardien qui veille sur notre musique. Les tintements des cymbales et
les balais soulignent le doux dialogue du piano et des cordes de la
contrebasse comme un moment paisible après la bataille des
improvisations précédentes. Un groupe à découvrir en concert.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Mircea Tiberian/Toma Dimitriu
The Pale Dot
Dragonfly Blues, Time Capsule,Lydian
Glow, Habanera, The Pale Dot, Like a Thief in the Night, Restless
Needle, Sangha, Slow Motion (Masina Vie)
Mircea Tiberian, Toma Dimitriu (p)
Enregistré en Roumanie, date non précisée
Durée: 43'
Fiver House Records 013
(www.fiverhouse.com)
Toma Dimitriu est un jeune pianiste
roumain (23 ans) diplômé du Conservatoire George Enescu de Bucarest
et du Conservatoire de Gröningen au Pays-Bas. Inconnu en France il a
joué avec le trompettiste Nicolas Simion, le batteur Gene Jackson ou
le trompettiste Eamon Dilworth. Sur ce dialogue, que l’on aurait pu
imaginer de maître à élève, leur évidente complicité est une
heureuse surprise. La majorité des compositions sont signés par
l’aîné, Mircea Tiberian, dont la diversité et la qualité ne
peuvent que séduire. Tour à tour soliste et accompagnateur, à
l’écoute l’un de l’autre, le duo nous livre un album plus
qu’intéressant qui s’écoute d’une traite et sans état d’âme;
une musique sincère qui va droit aux oreilles et au cœur. Le titre
éponyme de l’album «The Pale Dot», de courte durée (1' 52''),
résume bien cet album ouvert aux esprits. Ancré dans un jazz
novateur, cet album se distingue de la majorité d’une production
roumaine qui reste dans un domaine trop académique. Mircea Tiberian,
personnage d’une forte personnalité et qui ne mâche pas ses mots
entend défendre un jazz contemporain pas assez reconnu d’après
lui dans les instances officielles et certains festivals nationaux,
ni dans les éditions discographiques.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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David Linx/Brussels Jazz Orchestra
Brel
Quand on n’a
que l’amour, La Chanson des vieux amants, Vesoul-Amsterdam, Ces gens-là, Mathilde,
Ne me quitte pas, Le Plat pays, Bruxelles, Isabelle, La Valse à mille temps
David Linx
(voc), Brussels Jazz Orchestra (dir. Frank Vaganée), personnel détaillé dans le
livret
Enregistré du
24 au 26 juin 2015, Gand (Belgique)
Durée:
1h 07’
Jazz Village 570125
(Harmonia Mundi)
A la
différence de Charles Trenet ou Georges Brassens, les chansons de Jacques Brel ont
rarement intéressé les jazzmen. David Linx, après avoir chanté Nougaro, s’y
colle. Il faut bien sûr oublier les interprétations de Brel, et se focaliser
sur ce que Linx fait de ce répertoire avec sa façon si particulière de chanter.
Il est épaulé par un Brussels Jazz Orchestra en grande forme, sur des
arrangements remarquables de différents auteurs (voir livret). Linx a donc là
un appuis solide et peut interpréter les chansons de Brel avec son art de
moduler la mélodie, en traînant sur les syllabes, surtout à la fin des vers,
étirant la note et partant certaines fois dans des volutes volubiles qui
tordent la mélodie, ou encore s’envolant sur des scats légers. Chaque morceau
offre un long solo à l’un des musiciens de l’orchestre, et ça swingue bien!
Emergent ainsi la voix de l’orchestre et un solo de ténor (Kurt Van Erck) sur
«Quand on n’a que l’amour»; un solo d’alto (Frank Vaganée)
sur «Bruxelles», bien servi par Linx; un solo de trombone
(Marc Godfroid) sur «La Chanson des vieux amants» où là, Linx ne
dégage pas du tout l’émotion que demande le thème; c’était l’un des
chefs-d’œuvre d’interprétation de Brel, insurpassable bien sûr. En revanche,
Linx réussit une gageure sur «Ne me quitte pas», rendu avec retenue
et tendresse dans sa première partie démarrée sur tempo lent, en compagnie du
pianiste, puis en forte avec tout
l’orchestre. Autre belle réussite «Vesoul-Amsterdam»: Linx en
trio avec basse et batterie, puis après le solo de trompette (Nico
Shepers), reprend en anglais sur fond d’orchestre: chauffe,
Marcel! «Isabelle» est interprété complètement en anglais, ce
qui n’apporte rien mais plaira au monde anglo-saxon! Le disque se termine
sur «La Valse à mille temps» démarrée, comme il se doit, en valse
ralentie, sur une rythmique des anches, qui va s’accélérant et crescendo avec
tout l’orchestre sur un splendide arrangement de Lode Mertens; là, Linx
articule presque à la Brel. Somme toute un disque réussi et très plaisant, qui
donne l’occasion d’entendre l’excellent BJO au sommet.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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David Linx/Paolo Fresu/Diederick Wissels
The Whistleblowers
As One,
December, This Dwelling Place, The Whistleblowers, Traiblazers, Paris,
Contradiction Takes Its Place Part 1 & 2, O grande kilapy, Le tue mani,
Dredge up, Shake up Your Trust, Confusion
David
Linx (voc), Paolo Fresu (tp, flh, electronics), Diederick Wissels (p, synth),
Christophe Wallemme, Helge Andreas Norbakken (b) + Quartetto Alborada (strings)
Enregistré en 2015, lieu non communiqué
Durée: 55'
Bonsaï Music 151101 (Harmonia Mundi)
Voici revenu, quinze ans après, le groupe Heartland qui
avait tant séduit tout un public. David Linx se retrouve avec son trio
habituel, plus quelques invités. Ce disque devait entrer en promotion avec des
concerts, juste au moment des attentats du 13 novembre 2015, et tout fut
ajourné. Ironie du sort, The Whistleblowers, ce sont les lanceurs
d’alerte!
La voix de David Linx a pris du grave et de l’ampleur.
Dans ce disque, il chante – on pourrait dire normalement –, c’est à dire sans
moduler, comme à son habitude, et son chant y gagne énormément en force et en
profondeur; on s’en aperçoit dès «As One». Dans l’ensemble
les morceaux sont pris sur tempo lent. Il y a de belles réussites comme
«December» sur tempo rapide avec des accents rythmiques parfois à
la Gregory Porter de Liquid Spirit. Une autre belle réussite
«Contradiction Takes its Place» en deux parties, la première
voix/piano rubato; la deuxième sur rythme soutenu batteur/ basse et
contrechant du piano. La trompette bouchée rêveuse en écho, puis en broderie,
c’est parfait. «Le tue mani» chanté en italien est d’un charme
absolu avec encore un beau partage voix-trompette, ouverte cette fois, et des
ponctuations des cordes. «Dredge Up» sort aussi du lot avec un
caractère funky, avec cette fois une vraie et belle mélodie. C’est le meilleur
morceau du disque, avec un groupe qui colle à fond à la voix, et des envolées
de Fresu en temps dédoublé. Dommage que tout le disque ne soit pas de ce
tonneau. «Confusion» est une sorte de samba avec un splendide
unisson voix-trompette-piano-basse. Les paroles sont de David Linx, sauf «Le tue
mani» de Machel Montano. Les musiques sont essentiellement de Diederick
Wissels.
Il est évident que les inconditionnels de David Linx se
régaleront. Le groupe est parfait, les arrangements collent bien aux chansons,
la plupart des solos sont de haut niveau, mais c’est peut-être plus un disque
de chansons que de jazz…
Serge Baudot
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Don Menza Quintet
First Flight. Complete Recordings
Don Menza
(ts, ss, fl), Frank Rosolino (tb), Alan Broadbent (p, synth), Tom Azarello (b),
Nick Ceroli (dm), Paulinho, Claudio Slon (perc) + Frank Strazzeri (p), Mayo Tiana
(btb)
CD1: Bones Blues, Mz. Liz,
April’s Fool, Magnolia Rose, Intrigue, Spanish boots, Groove Blues, Samba de
Rollins, Collage, Ballad of the Matador; CD2 : Bones Blues, Mz. Liz, Intrigue, Magnolia
Rose, Spanish Boots, Groove Blues
Enregistré en juillet 1976, Hollywood, Los Angeles (Californie)
Durée: 1h 12' + 51'
Fresh Sound Records 891 (Socadisc)
A quarante
ans de distance, cette réédition (plus trois inédits et six prises alternatives)
de First Flight du saxophoniste Donald
Menza sera certainement une découverte pour de nombreux amateurs. Et quel
plaisir d’écouter ou réécouter un jazz dynamique, swinguant, débordant
d’enthousiasme, interprété par un musicien et un quintet qui ne s’occupent que
de jazz et ne cherchent jamais à épater la galerie, à inventer une quelconque
variante du jazz … C’était évidemment le milieu des années soixante-dix, une
époque à laquelle le mot jazz avait un sens encore assez précis. Sans être vraiment
west coast, le son, fluide, témoigne de la présence de Menza en Californie
(«a cultural shock for me»).
Peut-être aussi que son court passage antérieur chez Kenton a joué un rôle. La
présence dans ce disque de Frank Rosolino, lui aussi bien ancré à Los Angeles,
n’est pas non plus anodine; le tromboniste ayant été longtemps son
partenaire dans l’Ouest. L’enregistrement offre un véritable festival de dialogues entre Don et Frank,
s’appuyant sur une rythmique plus que solide. En ce sens l’inédit «Bones Blues» (par lequel s’ouvrent
les deux CDs) est révélateur. Un puissant swing de Nick Ceroli lance et appuie
en permanence le ténor qui passe la parole au tromboniste. S’en suit une
alternance questions-réponses entre les deux instrumentistes.
«April’s
Fool», avec les percussionnistes brésiliens en soutien (clave de samba
sur la campana), débute par un long show de Don Menza avant le dialogue
ténor/trombone. Restons avec les plages pour
lesquelles interviennent encore les deux "Latinos",
«Spanish Boots» et
«Samba de Rollins». Le
premier (inédit) débute avec un remarquable duo Menza-Rosolino. Ce dernier a
ensuite la part belle, avec de longues interventions, et les percussions,
discrètes, sont plus à l’honneur en fin de thème avant le retour du ténor. Si le son du Pacifique est sensible chez Menza, il ne faut pas minimiser l’influence
de ses maîtres, les saxophonistes boppers et autres tels que Hawkins, Lester
Young, Stitt ou Sonny Rollins à qui il rend hommage dans sa «Samba de Rollins» – qui
n’a de samba que l’apport des percussions sur un court passage. C’est le
Rollins de la jeunesse de Menza qui est à l’ordre du jour. Le saxophone,
puissant et très agressif est à l’unisson avec le trombone et le tempo
endiablé. On relève la participation d’un trombone basse (Mayo Tiana). Un
invité spécial, Frank Strazzeri (p), interprète tout en douceur sa propre
composition «Ballad of the Matador». Menza y joue de la flûte. Exit Rosolino. L’autre
ballade, «Magnolia Rose», débute par un très beau solo de ténor
avant l’entrée cool du trombone. «Intrigue» (inédit) déborde de
swing tout comme «Groove Blues» dont le titre est justifié. Menza y
fait preuve de virtuosité, joue vite et lance des appels à Rosolino alors que
la section rythmique est de toute évidence à la hauteur des attentes du saxophoniste.
«Mz Liz» met en valeur le travail du pianiste Alan Broadbent, son
compositeur. L’esprit de cette composition est différent du reste du disque et
les deux cuivres se coulent dans cet esprit.
S’il convient d’apprécier l’inclusion de trois inédits
dans cette réédition, on aurait préféré les voir renvoyés sur le second disque
qui rassemble des prises alternatives de six des thèmes du premier. Ces prises
sont toutes plus développées que celles retenues mais globalement n’en
diffèrent pas sur le plan de l’interprétation. Mais y ajouter les trois inédits
aurait permis de conserver sur le premier volume la structure exacte du LP
original. Un musicien ne choisit pas au hasard les compositions offertes au
public (du moins les grands jazzmen d’hier!). Il a une idée, un concept
en tête. Si Don Menza ne met pas l’excellent «Bones Blues» sur le
LP, c’est sans aucun doute parce qu’à cet instant il n’est pas dans la logique
de son projet. Et si «Collage» est le morceau qui introduit
celui-ci, c’est bien parce qu’il constitue, par son dynamisme, l’engagement
personnel du saxophoniste, de son partenaire Rosolino et de tout le groupe, la
rampe de lancement du disque. Comme une introduction, «Collage» contient
en germe (germe un peu avancé même) ce que le quintet va dire par la suite. On
peut donc suggérer au jazzophile d’écouter les thèmes dans l’ordre du LP
original (9, 2, 7, 10, 8, 4, 3) et d’apprécier les autres à la suite.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Moutin Factory Quintet
Deep
Love Stream, Hope Street, Fat's Medley, Exploded View, A Soothing
Thrill, Hell's Kitchen, Shift, Bliss, In the Name of Love
François Moutin
(b), Louis Moutin (dm), Jean-Michel Pilc (p), Manu Codjia (g), Christophe
Monniot (as, sopranino sax), Thierry Péala, Axelle du Rouret (voc)
Date et lieu
d'enregistrement non précisés
Durée 1h 03' 53''
Jazz Family 009 (Harmonia
Mundi)
Mis à part un medley de thèmes de Fats Waller (que
d'ailleurs les frères jumeaux jouent en duo), toutes les compositions sortent
de «l'usine/cuisine du diable» familiale. Complexes et d'une élégance un
peu brutale, elles donnent des ailes aux cinq musiciens dont l'osmose est
totale. L'ajout de backgrounds vocaux sur le premier titre seulement n'ajoute
pas grand-chose à la force assez redoutable de cette musique jouée de bout en
bout avec un enthousiasme énergique. D'ailleurs, les trois ballades que contient
le CD n'échappent pas non plus à un traitement plutôt vigoureux. Amateurs
exclusifs de «music for lovers»,
passez votre chemin... Dans la musique des Moutin, pas de place pour les
chuchotements.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Laurent Coq/Walter Smith IIIl
The Lafayette Suite
Comte de Broglie, Baron Johan De Kalb, Pasajes de San
Juan, Charleston, South Carolina, June 19, 1777, Major Benjamin Huger, General
George Washington, The Battle of Brandywine, Valley Forge, Comte de Rochambeau,
Yorktown
Laurent Coq (p), Walter Smith III (ts), Joe Sanders (b),
Damion Reid (dm)
Enregistré
les 1er et 2 septembre 2014, Paramus (New Jersey)
Durée: 49' 39''
Jazz & People 815003 (Harmonia Mundi)
Laurent
Coq est un homme qui place au premier plan de ses valeurs artistiques une
certaine intégrité jugée indispensable pour nourrir les meilleures ambitions
musicales. Ses prises de position, incisives et plutôt tranchées, sont connues
des amateurs de jazz pour tenter de traduire dans les faits le développement d’une
démarche toute personnelle. Il nous propose ici un concept-album structuré
autour des pérégrinations de Lafayette, ce qui lui permet d’interroger de
manière inquiète les rapports qu’entretient la culture américaine avec le jazz
européen. Bénéficiant du programme FAJE (French
American Jazz Exchange) et publiées chez le tout jeune label participatif Jazz & People, les
compositions qui émaillent cet album, conçues en partenariat avec le
saxophoniste américain Walter Smith III, sont autant de jalons qui retracent le
parcours de l’illustre personnage français. Dix thèmes correspondants à des lieux, des personnages et des événements
importants des huit années d’engagements de Lafayette. Au fil des titres, on voyage
avec les musiciens tout au long de compositions empreintes de complexité, qui se
tiennent à distance du jazz mainstream. Il faut dire que l’album, de ce point
de vue, prend le risque de se détourner d’une démarche plus grand public, au
risque de restreindre sensiblement son audience. Il s’agit en somme d’un pari,
prouver que l’art authentique se nourrit autant d’individualisme que
d’universalité. La musique, en elle-même, est organisée autour d’une
segmentation, sous forme de breaks inattendus et d’expérimentations inédites,
qui s’aventurent hors des chemins balisés («The Battle of
Brandywine»). Elle brille aussi par son art des structures, des liaisons,
les compositions étant agencées de telle sorte qu’elles s’enchainent sans temps
mort. En acceptant ce parti pris, il devient possible d’apprécier le côté
organique de la collaboration entre Laurent Coq et Walter Smith, les notes
charnues du saxophoniste qui viennent serpenter autour des structures imaginées
par le pianiste, les mélodies entêtantes serties sur des trames rythmiques
denses, le caractère irréprochable des fondations offertes par Joe Sanders et
l’élève de Billy Higgins, Damion Reid. Percevoir les rapports existant entre le
personnage de La Fayette et l’œuvre enregistrée n’est pas vraiment
indispensable, en dépit des aperçus supplétifs offerts par la lecture des notes
de pochette, mais il faut tout de même, pour l’apprécier, faire l’effort
d’entrer dans le projet de l’artiste, ce qui suppose finalement un
investissement conforme aux convictions personnelles de Laurent Coq, qui voit
dans l’apprentissage de la musique un accomplissement comparable à celui qui
permet une existence digne de ce nom. Un album à l’intérêt artistique
incontestable, qui devrait faire la joie des amateurs éclairés.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Eddie Henderson
Collective Portait
Sunburst,
Dreams , Morning Song, You Know I Care, Beyond Forever, Collective Portrait,
First Light, Together, Ginger Bread Boy, Spring, Zoltan
Eddie
Henderson (tp), Gary Bartz (as), George Cables (p), Doug Weiss (b), Carl Allen
(dm)
Enregistré le 12 mai 2014, New York
Durée: 1h 08' 25''
Smoke Sessions Records 1501 (www.smokesessionsrecords.com)
Un all stars exceptionnel entoure l’excellent Eddie
Henderson qu’on a pris l’habitude de voir sur la scène de nos festivals d’été,
le plus souvent en sideman (Billy Harper) ou en coleader de all stars (Cookers,
Leaders). Eddie Henderson, excellent technicien de la trompette, fait
en effet partie de cette belle génération de jazzmen, une vraie famille, réunie
en partie ici, qui a permis, sans que les amateurs en aient une claire
conscience, que le jazz poursuive son évolution, son histoire, sans céder au
tout jazz rock ou pop et à toutes les complaisances que nous promettaient les
années 1965-1985 (promesses tenues d’ailleurs car ça continue). Au demeurant, ces musiciens ont aussi participé parfois
(Bartz, Henderson et Cables) à cette époque fusion sans perdre les repères
essentiels du jazz (Eddie Henderson avec Herbie Hancock), en utilisant même les
nouveaux sons de l’époque pour personnaliser leur expression (George Cables,
pianiste exceptionnel), et on les retrouve aujourd’hui toujours avec plaisir
sur les scènes ou en disque. Eddie Henderson, une personnalité originale dans
le jazz, puisqu’il a mené de front une carrière musicale de haut niveau et une
carrière de médecin, n’a jamais cessé de côtoyer les grands musiciens du jazz
(Art Blakey, Elvin Jones, Dexter Gordon, Roy Haynes…).
Dans ce Collective Portrait,
il évoque justement cette époque des années 1970, avec deux compositions
personnelles («Sunburst», «Dreams»), et deux de George Cables («Morning Song»,
«Beyond Forever»), puis il rappelle trois trompettistes admirés, Freddie
Hubbard («First Light»), Miles Davis («Ginger Bread Boy») et Woody Shaw
(«Zoltan»), qui l’ont, à n’en pas douter, inspiré, Miles Davis en particulier pour
la sonorité et les atmosphères, les deux autres pour les développements plus
virtuoses. C’est bien à un voyage dans le temps sous forme de portraits
successifs que nous propose Eddie Henderson, c’est aussi une belle rencontre
entre des musiciens toujours inventifs, originaux, un excellent moment de jazz.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Bojan Z/Nils Wogram
Housewarming
Good Wine, N°9, Parents, Storks, TNT,
Broke, Think Thrice, Hooked, Off to the Train Station, Old Song for a
New Day
Bojan Z (p, elp), Nils Wogram (tb)
Durée: 59'
Enregistré à Lubrza (Pologne), date
non précisée
Nwog Records 016(www.nwog-records.com)
Le premier thème
«Good Wine» signé par Bojan Z, révèle sa connaissance pour la
bonne vigne, le trombone s’exprime comme une voix, comme un
chanteur accompagné de son pianiste, sobriété et clarté, une
invitation au plaisir de l’esprit et du corps. La totalité des
compositions sont des originaux signés par les deux musiciens. Il
est évident que la réussite d’un tel projet résulte de la
complicité et de la compréhension mutuelle des duellistes.
Spécialiste du Fender Rhodes, Bojan Z, nous en offre toutes les
subtilités sans jamais tomber dans la démonstration clinquante.
«TNT» porte bien son nom et nous dépote allégrement suivi d’un
«Broke» où la brillance scintille avec l’intensité du trombone.
Dix compositions qui nous amènent dans un monde enchanté mais qui
nécessite une certaine ouverture d’esprit et d’oreille, car le
dialogue ne laisse pas de place à la facilité. En conclusion un
«Old Song for a New Day» qui marie le passé et le futur dans une
harmonie des cœurs.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Samy Thiébault
Rebirth
Abidjan, Raqsat Fès,
Chant du Très Loin, Canciòn, Laideronnette, Impératrice des
Pagodes, Enlightements Suite (Part. 1: From Sky, Part. 2: In Between,
Part. 3: From Earth), Nafassam, Laideronnette, Impératrice des
Pagodes (alt), Nesfé Jahân
Samy Thiébault (st, ss,
fl, al.fl), Jean-Philippe Scali (as, bs), Manu Domergue (mellophone),
Adrien Chicot (p, elp), Sylvain Romano (b), Philippe Soirat (dm),
Meta (perc), + Avishai Cohen (tp)
Enregistré les 8, 9 et 10
février 2016, Paris
Durée: 58'
Gaya Music Gaya 030
(Socadisc)
Avec cet album, le
septième, Samy Thiébault, très présent sur la scène actuelle et
très visible dans sa communication nationale, détient tous les
éléments pour affirmer son identité. Pour ce nouveau répertoire
il a opté pour des titres assez courts épaulés, par des musiciens
régulièrement à son service et incontournables de la scène
française et un guest de luxe, le trompettiste Avishai Cohen. Deux
premiers titres inspirés de l’Afrique (bien que le premier sonne
aussi brésilien) au soprano pour introduire une atmosphère légère
et donner le tempo suivi «D’un chant très loin» invitant la
trompette d’Avishai dans un agréable mariage coloré par le Fender
Rhodes d’Adrian Chicot. Sa suite «Enlightments», en trois parties
offre l’occasion à chacun de ses acolytes de s’exprimer
brièvement et sa flûte vient souligner une certaine mélancolie. On
trouve sur «Nesfé Jahân», dédié à son fils, une évocation
très coltranienne installant le climat nécessaire à une longue
balade laissant la part belle à son invité enthousiaste. «Rebirthest fait de mélodies qui me décrivent, musicalement et
personnellement» explique le leader. Aucun clinquant ni
redondance dans cet album, Samy Thiébault pour une renaissance,
malgré son jeune âge, signe un album de bonne qualité, peut être
un manque de folie mais ce sera pour plus tard.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Olivier Robin
Jungle Box
The Next One, Eizy,
Exoget, Jungle Box, Nickel Chrome, I Remember Max, Kalame, Bis
Répétitae, Before Yoy’ve Gone
Olivier Robin (dm), Julien
Alour (tp), David Prez (ts), Vincent Bourgeyx (p), Damien Varaillon
(b)
Durée: 53'
Enregistré le 12 mars
2014, Paris
Fresh Sound Records/Swing
Alley 026 (Socadisc)
Olivier Robin, sans
fioriture, lance immédiatement la machine qui nous rappelle les
«Jazz Messengers». De plain-pied dans le propos, les thèmes suivis
de courts solos de chacun donnent l’esprit du groupe. Ambiance hard
bop qui se développera tout au long de l’album sur des
compositions signées par le batteur, épaulés par des jeunes "cats", Julien Alour et Damien Varaillon, et de solides routiers,
Vincent Bourgeyx et David Prez. Le pianiste a notamment accompagné
Al Grey, Jane Ira Bloom, Ravi Coltrane, Steve Grossman… a enseigné
au Koyé Conservatory de Kobé (Japon). Dans cette tradition qui
intègre la jeune garde au savoir faire de plus anciens, tel Art
Blakey, Olivier Robin nous invite à découvrir son univers qui
s’inscrit dans la tradition d’un jazz moderne. On connaissait son
quintet avec Sébastien Jarrousse qui a travers leurs concerts et
deux albums avait reçu multitudes de prix, ici il poursuit de façon
encore plus personnelle son parcours. Sa qualité n’est plus a
démontrer car à travers ses collaborations (Kenny Wheeler, Georges
Arvanitas, Steve Coleman, André Villéger, Alain Jean-Marie, Olivier
Hutman, Stéphane Belmondo…) il a prouvé sa capacité à soutenir
les musiciens les plus exigeants. Un album en rien révolutionnaire
mais très agréable à écouter, qui aurait pu paraître chez
l’ancien Blue Note.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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François Raulin/Stephan Oliva
Correspondances
Cher Martial, Lettre à
Emma Bovary, Telegrammes, A Randy Weston, Hermeto En-Tête,
Lettre à Jean-Jacques
Avenel, Tango Indigo, Conversations sur Dutilleux, Sometimes I Feel
Like a Motherlesschild, Nancarrow Furioso, Jimmy, In a Mist
François
Raulin, Stephan Oliva (p)
Durée: 58''
Enregistré les 16, 17 et
18 mars 2016, Pernes-les-Fontaines (83)
Abalone Productions 026
(L’Autre Distribution)
«Cher Martial» une
dédicace au maître qui permet aux pianistes ce premier dialogue
autour de trois titres de Martial Solal («Accalmie», «Unisson»,
«Séquence Tenante») donnant le la d’un album d’hommage et de
complicité. Francois Raulin signe la majorité des titres (deux sont
de Stephan Oliva): on remarquera que les pianistes ont choisi
d’enluminer des aînés forts différents mais qui leur sont tous
très chers. Un monde de pianistes aux idées larges qui reflètent
la richesse et la variété des formes du jazz. Dialogues, échanges,
lettres, correspondances autant de mots et d’idées pour aller à
la rencontre de Ligetti et Paul Motian avec «Télégramme», de
Randy Weston, Hermeto Pascoal, Jean-Jacques Avenel ou Dutilleux avec
des titres éponymes. Entre compositeurs contemporains «Tango
Indigo» de Stephan Oliva pour Stravinsky et Ellington,
«Nancarow Furioso» de Raulin, pour le moins connu Conlon
Nancorow, ou encore «Jimmy» dédié à Paul Bley, les citations
vont bon train et permettent de se confronter à des pianistes qui
s’inscrivent de façon particulière dans l’histoire. De même,
ils ne veulent pas oublier le légendaire trompettiste Bix Bederbecke
a qui Raulin dédicace «In a Mist » et le chant avec le
traditionnel «Sometimes I Feel Like a Motherlesschild» gravé pour
Linda Sharrock et Jeanne Lee. Les parties écrites versifient avec
l’improvisation et le jeu intense paraphrase les délicates notes
bleues. «Lettre à Emma Bovary» signé par François Raulin semble
échappé au contexte à moins que Flaubert auteur d’une longue
correspondance (5 tomes, La Pléiade) n’est glissé dans l’oreille
de François qu’il avait oublié de signer un mot d’amour à
Emma, voici chose faite mais en musique.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Bart Defoort Quintet
Inner Waves
Aftermath Late Night Drive, Light Red
to Dark Blue, No More Church, Bright Side, The Yearning Song, Make
That Move, Too Late to Tell You, Inner Waves, Still
Bart Defoort (ts), Hans Van
Oost (g), Ewout Pierreux (p), Christophe Devisscher (b), Toni
Vitacolonna (dm)
Enregistré les 2 et 3
novembre 2015, Osnabrück (Allemagne)
Durée: 1h, 04',41''
W.E.R.F. Records 137
(www.dewerfrecords.be)
Ce
nouvel album de Bart Defoort est l’accomplissement d’un parcours
exemplaire entrepris depuis près de trente ans. On y retrouve
Christophe Devisscher, compagnon de longue date du saxophoniste
gantois («The Yearning Song», «Bright Side», «Inner Waves»).
Toni Vitacolonna, élève de Bruno Castellucci (dm), est, comme Bart,
titulaire d’un pupitre au sein du Brussels Jazz Orchestra. Il est
devenu, à l’image de son maître un modèle de rigueur rythmique
(«Too Late to Tell You»). Le malinois Ewout Pierreux («Late Night
Drive», «Make That Move», «Inner Waves», «Still») restait
relativement méconnu au sud du Royaume jusqu’à ce qu’il
accompagne puis épouse la chanteuse Sud-Africaine Tutu Puoane; il a
trouvé sa place auprès de nombreux solistes flamands; le gospel
«No More Church» lui colle aux doigts. J’avais perdu de vue Hans
Van Oost (g). Il m’avait beaucoup impressionné dans les années 80
par son vibrato chaleureux et une tonalité proche de Tal Farlow;
c’est plaisir de le retrouver en si bonne compagnie («Light Red to
Dark Blue», «Bright Side», «Still»).
La complicité des musiciens
au sein du quintet témoigne d’un grand respect mutuel: personne ne
tire la couverture à soi. La mise en place est impeccable, les
thèmes sont exposés en harmonies-synchrones sax/guitare («The
Yearning Song»). Bart Defoort s’est déjà essayé aux formules
trios ou quartet. Ici, en quintet, il ne renie pas l’admiration
qu’il a pour Dexter Gordon et ses fils spirituels («Light Red to
Dark Blue», «Bright Side»). La ballade «Inner Waves» est exposée
ténor et piano et continuée par le contrebassiste qui signe un beau
solo. Au milieu de tous ces créatifs hors sol, cette musique remet
les pendules à l'heure! «Too Late to Tell You»? Pas d’accord, je
rétorque avec force: never too late! Cet album est le
couronnement d’une carrière exceptionnelle. La présence de Bart
Defoort au centre de l’histoire belge du jazz est un peu comme
celle d’Eden Hazard chez les Diables Rouge!
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Jimmy Scott
I Go Back Home
Motherless Child, The
Nearness, of You, Love Letters, Easy Living, Someone to Watch Over
Me, How Deep is the Ocean, If I Ever Lost You, For Once in My Life, I
Remember You, Everybody Is Somebody’s Fool, Folks Who Live on the
Hill, Poor Butterfly Jimmy Scott (voc), Till
Brönner (tp), Arturo Sandoval (flh), Bob Mintzer, James Moody (ts),
Grégoire Maret (hca), John Pisano (g), Oscar Castro Neves (g, voc),
Joey de Francesco (org), Kenny Baron, Mark Joggerst (p), Martin
Gjakonovski, Michael Valerio (b), Hans Dekker, Peter Erskine (dm),
Joe Pesci , Renée Olstead, Dee Dee Bridgewater, Monica Mancini (voc)
+ HBR Studio Symphony Orchestra avec Ralf Kemper (arr, producteur et
sans doute chef d’orchestre)
Enregistré en 2009, Los
Angeles
Durée: 1h
Eden River Records CD-01(www.eden-river-records.com)
En 2009, ce vieux jeune
homme de Jimmy Scott a 84 ans quand il enregistre ce disque qui sera
en fait un hommage de son vivant à sa carrière. A 13 ans, il est
atteint du syndrome de Kallmann qui arrête sa croissance et la mue
de sa voix laquelle restera celle d'un adolescent. Voix étrange et
unique qui dès son arrivée à New York, à l’âge de 20 ans, le
singularise dans le monde du jazz. Sa carrière professionnelle
démarre en 1940, quand il intègre l’orchestre de Lionel Hampton.
Son parcours, en raison de son physique et parfois de sa voix connaît
bien des bas et il se retire de la scène durant deux décennies
(70/80) pour faire un come back au début des années 90.
Cet album est enregistré
après une pause discographique de douze ans et sans aucun doute ce
retour est dû à la volonté de Ralf Kemper qui lui prépare un
écrin pour des séances de première classe. Tout est au
rendez-vous, grand orchestre de cordes, sidemen de renom: De
Francesco, Peter Erskine, Kenny Barron… et des invités triés sur
le volet, que ce soit les vocalistes (Joe Pesci , Renée Olstead ,
Dee Dee Bridgewater, Monica Mancini) ou des solistes invités sur un
ou deux titres (Grégoire Maret, Arturo Sandoval, Bob Mintzer, James
Moody). D'emblée, le traditionnel «Motherless Child» nous rappelle
les orchestrations de Ray Charles, bien que la voix soit totalement
différente. Chaque titre porte sa dose d’émotion et les ballades
nombreuses sont mises au service de cette étrange personnalité. On
pourrait tout citer, tant la nostalgie nous presse le cœur. On
s’arrêtera à une version bossa nova de «Easy Living» (souvent
raté par les Américains) qui l’associe au guitariste brésilien,
Oscar Castro Neves qui en plus chante, moment rare, le tout sur un
fond d’orgue et d’harmonica: une vraie réussite même pour les
puristes du genre. Ou encore «If I Ever Lost You» avec un son de
trompette susurrée de Till Brönner dans un esprit proche de celui
de Chet Baker. Dee Dee Bridgewater, soutenue par Bob Mintzer, donne
la réplique puis chante à l’unisson avec Jimmy sur «For Once in
My Life». Arturo Sandoval accélère le tempo pour «I Remember
You», sous titré «Tribute to Jimmy Scott» où Monica Mancini
vient poser délicatement sa voix. Avec un court «Everybody Is
Somebody’s Fool », façon comédie musicale, il invite, pour
un petit tour, le souffle de James Moody et l’album se conclut par
un «Poor Butterfly» qui lui colle si bien à sa peau. Ce titre,
murmuré entre le chant et le récit autobiographique, résume un peu
la fragilité de sa vie qui malgré ses vicissitudes aura duré 89
ans. Grégoire Maret tire le rideau sur une magnifique ambiance où
le son de son harmonica continue d’accompagner vers un long voyage
ce petit monsieur qui a marqué de son empreinte le jazz vocal. Tout
au long de l’album Kenny Baron, tel un enlumineur, apporte les
touches de sa palette harmonique.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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David Thomaere Trio
Crossing Lines
Aftermath vs. Freedom,
Dancing With Miro, Braddict, Lions Mouth, Barcelona, Default, Mr.
Infinity, Alive, Rebirth, Night Wish
David Thomaere (p, key),
Felix Zurstrassen (b, elb), Antoine Pierre (dm) + Steven Delannoye
(ts), Jean-Paul Estievenart (tp)
Enregistré en janvier 2015,
Bruxelles
Durée: 58' 10''
W.E.R.F. Records 134
(www.dewerfrecords.be)
Premier album pour David
Thomaere (né en 1988): après un parcours initiatique dès 6 ans,
académique et classique à 9, jazzique à 17 (Koninklijk
Conservatorium Brussel) avec entre autres profs Diederik Wissels (p),
de master-classes en stages il étudie à Leipzig avec Richie Beirach
et termine en 2012 sous la conduite de Nathalie Loriers (p). Dès le
printemps 2013, il reçoit le Toots Thielemans Award. Pour son
premier enregistrement fortement teinté ECM («Night Wish»), le
jeune anversois s’est entouré de jazzmen de sa promotion: Antoine
Pierre et Félix Zurstrassen. Les mélodies aux couleurs chaudes
concourent au climat général de l’opus. Le jeu est souvent
retenu, économisé au service du mood («Lions Mouth»).
Faut-il en déduire que le compositeur-pianiste se limite aux
ballades sirupeuses? Que nenni! Il le prouve dès le deuxième titre
avec un arrangement qui ouvre sur des envolées libres et chorales
des souffleurs avec backings aux keyboards («Dancing With Miro»).
Avec «Mr. Infinity», le deuxième titre en quintet, on sent un
petit quelque-chose des Messengers; l’écriture et la mise en place
sont intéressantes (contrastes conjugués piano et basse). L’osmose
entre David et Félix Zurstrassen est un grand plus pour l’album.
La jolie mélodie «Braddict» aurait pu s’exposer à l’archet et
le morceau entier se développer en duo piano/contrebasse en évitant
les interventions superflues du batteur. «Barcelona», plus appuyé,
lui convient mieux. Sur «Default», en revanche, on aurait aimé
qu’Antoine Pierre se fasse plus créatif; cette chanson du groupe
Atoms For Peace reste rtyhmiquement trop pop (3/4) alors qu’elle
est colorée et se déploie sur un beau solo du pianiste. «Alive»
en pur solo fait la démonstration du grand talent de David avec une
juxtaposition main droite/main gauche en deux lignes qui se mêlent
et se complètent. Du grand art! Juste en tempo mais trop ou pas
assez discret (c’est selon), Antoine Pierre apparait mal intégré!
Toutefois, Félix Zurstrassen est épatant à la contrebasse comme à
la basse électrique («Braddict», «Barcelona»). David Thomaere
fera sans doute beaucoup parler de lui à l’avenir. Sa sensibilité
à la Chopin va au-delà du marquage ECM.
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Renato D'Aiello
Satori. The Angel
The Angel*,
Giovanna’s Requiem°, Sea Goddess, Alfie**, I Wish***, The Dreamer,
Alfie
Renato d’Aiello (ts, voc°), Bruno Montrone (p), Nicola
Muresu (b), Gaspar Bertoncelj (dm) + Solstice Strings Quartet: Jamie
Campbell, Violeta Barrena (vln), Meghan Cassidy (avln), Greg Riddell
(cello) +
Michael Demarco (voc)*, Deelee Dubé (voc)**, Jeff Otto
(voc)***
Enregistré en août 2014, Luton (Royaume-Uni) et en
octobre 2014, Paris
Durée: 42'
33 Jazz Records 251
(www.33jazz.com)
Ce Satorioffre une musique qui n'appartient pas vraiment à la sphère du
jazz; mais comme aujourd’hui on confond universalisme de l'art et
culture de masse et que les frontières d'une expression passionnent
moins que celle des Etats, ne doutons pas que beaucoup classeront ce
disque dans la catégorie «jazz»... Car si les musiciens sont ici
de qualité, leur jeu est académique et leurs soli peu imaginatifs.
Le produit n'en est pas moins agréable à l’oreille. Sur «The
Angel», on assiste à un bel échange entre le saxophone et la
contrebasse sur lequel se superpose une partie vocale par Michael
Demarco. Solo de piano, de ténor, puis de contrebasse. «Giovanna’s
Requiem» est introduit par le quartet à cordes et Renato en
personne enchaîne une intervention au chant, en italien, et poursuit
au saxophone. Le trio piano/drum/bass est le moment le plus proche du
jazz. Renato joue cool en fin de thème. «Sea Goddess» est délicat,
classique, comme le montrent le solo de contrebasse et le travail du
pianiste. Quelques courtes mesures semblent annoncer le swing mais,
fausse alerte, D’Aiello ramène tout le monde dans le droit chemin.
«Alfie» est proposé en deux versions. L’une est instrumentale et
l’autre chantée. La première débute avec les cordes et une belle
introduction de musique dite classique. Renato y propose une ballade
sympathique. La seconde est identique, la voix de Deelee Dubé
remplaçant le saxophone qui se permet de prendre un relais avant de
rendre la parole à la chanteuse. «I Wish» fait l’impasse sur
l’introduction des cordes, remplacées par la contrebasse, et ça a
de l’allure. Jeff Otto, auteur du texte, chante en portugais. Le
trio swingue lorsqu’il a la parole et c’est le meilleur moment du
disque. «The Dreamer» porte bien son nom. Le trio anime la deuxième
moitié du thème et offre un bel accompagnement au saxophoniste. On
apprécie encore une fois le travail de Nicola Muresu à la
contrebasse.
Si l'on apprécie Renato
d’Aiello, il ne parvient pas à convaincre avec ce projet, qu'il a
certes dû porter avec ambition. On attend donc de le réécouter
dans le registre du jazz, où il sait s'exprimer avec talent.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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George Robert
Plays Michel Legrand
The Watch What Happens (The Umbrellas of Cherbourg), How Do You
Keep the Music Playing (Best Friends), What Are You Doing the Rest of Your Life
(Happy Ending), The Summer Knows (Summer of 42), Once Upon a Summertime, You
Must Believe in Spring (The Young Girls of Rochefort), The Windmills of Your
Mind (The Thomas Crown Affair), I Will Wait for You (The Umbrellas of Cherbourg),
The Way He Makes Me Feel (Yentl), Brian's Song (Brian's Song), Papa, Can You
Hear Me (Yentl)
George Robert (as), Torben Oxbol (arr, performer)
Enregistré le 26 juillet 2014, Vancouver (Canada)
Durée: 55' 09''
Claves 50-1607 (www.claves.ch)
Voici un enregistrement très spécial: c’est l’un des
derniers, sinon le dernier de George Robert, l’excellent saxophoniste alto qui
a malheureusement disparu le 14 mars 2016, prématurément, à l’âge de 55 ans
(cf. Jazz Hot n° 615, n°630 et n°675
pour la nécrologie). George Robert a enregistré avec le gotha du jazz, et en
particulier Kenny Barron à plusieurs reprises, en duo: de beaux albums. Si
George Robert a bien sûr écouté le résultat de cette musique qui combine
plusieurs rêves, il n’est pas certain qu’il l’ait vu édité; il nous avait parlé
de ce projet quelques semaines avant son décès, et cela confère également à cet
album un caractère très spécial.
Pour un émule et ami de Phil Woods, pour un admirateur de
Benny Carter et Charlie Parker, pour un grand saxophoniste alto, quoi de plus
naturel de rêver d’enregistrer un album avec des arrangements symphoniques? Le
projet devient particulier quand il se combine avec l’amour des belles mélodies
de Michel Legrand dont la plupart de celles qui sont reprises ici ont illustré,
enrichi des films, au point d’en devenir parfois plus célèbres et immortelles que
les films eux-mêmes.
George Robert partage cette passion pour Michel Legrand avec
un grand arrangeur, Torben Oxbol, un Danois, musicien classique de formation,
installé plus tard au Canada, et qui a la particularité d’avoir travaillé avec
des musiciens de jazz: Freddie Hubbard, Frank Rosolino, Carl Fontana, Wynton
Marsalis… Le résultat est digne de tous les éloges, chacun des musiciens
restant totalement lui-même, le seul enjeu étant au fond la mise en valeur à un
degré supérieur de la beauté des mélodies. Les arrangements symphoniques de
Torben Oxbol sont somptueux, d’une ampleur et d’une sérénité extraordinaire,
Michel Legrand en est lui-même abasourdi dans les notes de livret; et sur
ces arrangements, George Robert, avec la tranquillité d’un Benny Carter, d’un
Charlie Parker ou d’un Phil Woods, trois de ses inspirations majeures, se
promène, nous entraîne dans son rêve, dans son univers avec un son d’une clarté
absolue, une épure jazzique, la musique. Inutile de dire pour qui a approché George
Robert, un gentleman en tous points, que dans ce cadre et avec ce souvenir de
l’artiste qu’il fut, la musique est très émouvante. On ne parlera pas de
testament, car lorsqu’il a fait ce disque, George Robert avait d’autres
nombreux projets, et cette musique éclaire. L’une des délicatesses de l’édition
est de ne faire aucune référence au décès mais d’avoir laissé paraître le
disque comme George Robert l’avait conçu avec son ami et coauteur Torben Oxbol,
qui a eu lui, l’autre délicatesse de laisser la paternité et la couverture de
ce disque à son ami, George Robert. Un autre gentleman.
Une telle rencontre, pleine du bel esprit de ces deux
personnages aussi sensibles, est rare. Ça s’entend et ça s’écoute.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Jazz Cookers Workshop
Loose Togetherness
Fable of Faubus, Jump Monk, Pussy Cat Dues, Remember
Rockefeller at Attika, Duke Ellington's Sound of Love, Orange Was the Color of
Her Dress Then Blue Silk, Self Portrait in Three Colors, Flowers For a Lady*,
Wee, Gunslinging Bird*
Matchito Caldara (dm), Fred Burgazzi (tb), Maxime Jaslier
(as), Pierre Carvalho (ts), Laurent Dumont* (tb), Clément Prioul (p), Arthur
Henn (b), Maria Popkiewicz (voc)
Enregistrés les 26-27 novembre 2015, Mantes-la-Jolie
Durée: 1h 08' 53''
Autoproduit JCW 078 (www.jazzcookersworkshop.com)
Un véritable plaisir que ce disque, autant pour la musique
que pour ses partis pris. Ils sont nombreux, et d’abord celui de rendre hommage
à la grande, la magnifique musique de Charlie Mingus à une époque ou pour des
raisons de droits d’auteur le plus souvent ou d’égo mal placé, trop de
musiciens, dans le jazz aussi, se pensent investis de la nécessité d’écrire de
la musique sans en avoir le talent, alors que le jazz a tant produit de matière
splendide, à toutes les époques, et parfois encore aujourd’hui. Alors voilà un
album consacré à la musique de Charlie Mingus qui rappelle la richesse, la
beauté, la puissance de cette écriture extraordinaire, pétrie de blues. L’installation
en France de Ricky Ford y est pour beaucoup si on en juge par la présence de Fred
Burgazzi (Ze Big Band), et par les remerciements.
Un autre parti pris est ce respect de la musique, jouée dans
l’esprit d’origine, avec les qualités de chacun, et avec âme, naturel, ce qui
donne tout de suite la sensation de vie. Si on y ajoute le parti pris de garder les notions de blues
et d’expressivité dans l’esprit du compositeur, on comprend déjà que cette
musique doit être vivifiante en live,
et, performance, elle reste en relief dans cet enregistrement réalisé à
Mantes-la-Jolie. Si on comprend que les moyens sont limités par le côté
spartiate bien que précis de la pochette, les remerciements à Charles Mingus,
Ricky Ford, Bobby Few et toute la fratrie des musiciens américains de Paris,
parmi tout un ensemble de musiciens, dénote aussi du dernier parti pris, celui
de la solidarité. C’est d’ailleurs grâce à une souscription que cet album a été
édité.
Quand on pense à cette musique foisonnante de Charles Mingus,
on ne peut que féliciter ces musiciens, Matchito Caldara, le leader du groupe, en
premier, mais aussi Fred Burgazzi (bons chorus), l’excellent Clément Prioul au
piano, un contrebassiste, Arthur Henn, à la hauteur de l’enjeu, un bon Laurent
Dumont au sax baryton sur deux thèmes, et plus largement tout le groupe, de
restituer l’esprit et la dimension collective, indispensable à l’univers de
Charles Mingus, avec respect, avec la dimension blues, mais aussi avec une énergie
et un drive qui font plaisir, avec une liberté aussi organisée qu’inattendue de
nos jours («Gunslinging Bird»). Une mention spéciale pour le beau thème de Sy
Johnson, «Wee» et pour le thème de George Adams «Flowers for a Lady». Une très belle
découverte qu’on souhaite retrouver souvent sur les scènes festivalières. Le
Jazz Cookers Workshop, c’est autre chose!
Yves Sportis
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Scott Hamilton/Karin Krog
The Best Things in Life
The Best Things in Life Are Free, I Must Have That Man, Will
You Still Be Mine, How Am I to Know, Don't Get Scared, Ain't Nobody's Business,
We Will Be Together Again, Sometimes I'm Happy, What a Little Moonlight Can Do,
Shake It, But Don't Break It!
Scott Hamilton (ts), Karin Krog (voc), Jan Lundgren (p),
Hans Backenroth (b), Kristian Leth (dm)
Enregistré les 1, 2 et 5 juillet 2015, Copenhague
Durée: 51' 54''
Stunt Records 15192 (Una Volta Music)
Enregistré au Danemark, cette coproduction des deux leaders
est un bel enregistrement avec le toujours magnifique Scott Hamilton (Jazz Hot n°635), dont la sonorité est un
archétype du ténor en jazz – un disciple de Lester Young – réunissant
originalité, puissance et suavité dans une forme de classicisme toujours
renouvelé par une inventivité et un swing permanents, cela pour le plus grand
plaisir des amateurs de jazz dont nous sommes. A ses côtés, une légende, aujourd’hui, du jazz vocal
norvégien, Karin Krog, née en 1937 à Oslo, qui s’est fait une spécialité de
rencontres de haut niveau dans le jazz (et parfois hors jazz) avec notamment
Dexter Gordon, Kenny Drew, NHØP, Steve Kuhn, Don Ellis, Archie Shepp, Red
Mitchell, John Surman, Paul Bley, Jan Garbarek… D’une lignée très ancienne de
chanteurs-musiciens, elle a au cours de son riche parcours abordé tous les
registres du jazz, des standards à la musique improvisée, avec un bonheur
certain. Elle a naturellement côtoyé les musiciens scandinaves, et on
retrouve ici une belle rythmique avec l’excellent Jan Lundgren au piano
(directeur artistique par ailleurs du festival de jazz d’Ystad), toujours aussi
adaptable à tous les contextes – ici mainstream – un vrai talent de grand
accompagnateur (Jazz Hot n°666).
Le contrebassiste Hans Backenroth est né lui à Karlstad, en
Suède en 1966, et a accompagné les nombreux grands musiciens de jazz qui
parcourent la Scandinavie depuis ses 20 ans. A son palmarès: Harry Sweets Edison,
Clark Terry, Warren Vaché, Harry Allen, Ernie Watts, Kenny Barron, Benny Green,
Horace Parlan, Roger Kellaway, Doug Raney, Svend Asmussen, Toots Thielemans, Ed
Thigpen, Butch Miles… Il fait partie de la belle tradition de contrebassistes
de jazz qui sont une des richesses de la scandinavie et plus largement
européenne. Kristian Leth, né à Copenhague en 1980, le benjamin, est un
batteur très musical, sans doute parce qu’il est également chanteur. Il
accompagne régulièrement les formations de Scott Hamilton lors des tournées en
Scandinavie et celles de Jan Lundgren. On constate d’ailleurs que la Scandinavie est bien
représentée dans ses composantes et que les liens entre musiciens de jazz y
sont étroits.
Le répertoire est constitué de standards, avec ce qu’il faut
de blues et de chaleur (hot) dans
l’expression pour faire un excellent album de jazz, in the tradition.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Steve Davis
Say When
Pinnacles,
What Is This Thing Called Love, Shortcake, Mr. Johnson, Lament, Say When,
Kenya, Shutterbug, Village Blues, There Will Never Be Another You, When the
Saints Go Marching In
Steve Davis
(tb), Eddie Henderson (tp), Eric Alexander (ts), Harold Mabern (p), Nat Reeves
(b), Joe Farnsworth (dm)
Enregistré à New York, le 1er décembre 2014
Durée: 1h 07' 04''
Smoke Sessions Records 1505 (www.smokesessionsrecords.com)
Steve Davis a
collaboré avec Art Blakey et Jackie McLean. Musicien expérimenté, il a joué sur
plus de cent disques, notamment avec Joe Farnsworth au sein de One For All, et au
côté de Chick Corea pour Origin. Il rend ici hommage au
légendaire J.J. Johnson, mort en 2001, un exercice d’admiration servi par la
complicité trombone-saxophone-trompette au sein d’un sextet à la cohésion
jamais prise en défaut. Six compositions
de J.J. Johnson forment le corpus de l’album. La section de cuivres est parfaite,
avec des interventions tantôt énergiques et inspirées, tantôt intimistes et
apaisées. On remarque la maîtrise du timbre de Steve Davis évoquant parfois
la voix humaine lors d’interventions en solo et son souci d’équilibre au
service de la mélodie.
Enregistrée live, l’œuvre est en
connexion intime avec la culture jazz par sa vigueur d’ensemble, une sensation
de plénitude qui défie les clivages de génération. Les arrangements sont brillants
et les idées mélodiques affluent avec naturel, bien mis en valeur par une excellente prise de son, trademark des productions Smoke Sessions Records. Dès
«Pinnacles» au tempo vif, au swing intense, on assiste à un échange de solos
brillants dans la tradition hard bop. «What Is This Thing Called Love» de Cole Porter, fournit l’occurrence d’un travail sur
la progression harmonique et semble avoir été enregistré par une formation plus
imposante. La reprise du célébrissime «Lament» est certainement le moment fort de l’album, une ballade qui figure ici dans une
version fidèle à l’esprit de J.J. Johnson. Ce rare sentiment d’osmose se
retrouve aussi sur le classique et bien senti «There Will Never Be Another You»
tandis que «When the Saints Go Marching in» démontre l’étendue des compétences
du sextet, interprété tout en tension, et dans une autre perspective que
l’original. Le soutien de Joe Farnsworth, qui forme avec Harold Mabern et Eric
Alexander une solide et prolifique formation new-yorkaise, renforce la
connexion télépathique existant entre leader et pianiste,
mais c’est sans doute la trompette avec sourdine d’Eddie Henderson qui étonne
le plus sur le motif ostinato de «Kenya». Ses expériences antérieures avec
Herbie Hancock lui permettent en effet de générer des atmosphères décalées, pas
très éloignées du Miles Davis du début des années soixante.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Olivier Le Goas
Reciprocity
Corners,
Main Street, Since I Know, Curves and Colors, Day Home, Call, Cécile,
Evision
Olivier
Le Goas (dm), Nir Felder (g), Kevin Hays (p), Phill Donkin (b)
Enregistré
le 12 et 13 octobre 2015, Ludwigsburg (Allemagne)
Durée:
58'
Neuklang
4139 (www.neuklangrecords.de)
Le
batteur Olivier Le Goas s’est assuré d’une solide section de
musiciens new-yorkais pour enregistrer en Allemagne son nouvel album.
Il avait déjà pu s'adjoindre, sur ces précédents enregistrements,
les collaborations prestigieuses de John Abercrombie et Kenny
Wheeler. Ici ce sont des musiciens plus jeunes mais déjà fort
connus notamment Kevin Hays (Sonny Rollins) qui assurent le service.
Nir Felder, fer de lance des nouveaux guitaristes peine à s’affirmer
de ce côté de l’Atlantique pourtant son quartet tourne
régulièrement en Europe. Olivier Le Goas signe toutes les
compositions où sa pulsion illumine tous les solos. Le guitariste
dialogue avec le pianiste dans des thèmes très écrits sans jamais
se perdre. Un disque très technique où les entrelacements des notes
de guitares raviront les spécialistes mais qui lasse un peu au fil
des titres. Les arrangements se rassemblent et la guitare et le piano
souvent joués à l’unisson dans les introductions donne une sorte
de monotonie. L’ensemble est parfaitement maîtrisé mais si
l’urgence de l’interprétation qui caractérise la
quasi totalité des titres on pourra s’attarder sur «Day Home» et
«Cécile» sur lesquels un peu de respiration nous laisse plus
rêveur.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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The Harlem Art Ensemble
Live in New York
Keep Talkin', All in Love Is Fair,
Invitation, That's When We Thought of Love, Four, Blues For Beth,
Strollin', Bumpin on Sunset
Bruno Carr(dm), Lonnie Smith (org),
Jimmy Ponder (g), Harold Ousley (ts)
Enregistré les 15-17 août 1990, New
York
Durée: 48' 54''
Explore Records 0027
(www.explorerecords.com)
Voici une nouveauté déjà ancienne ou
une réédition de 1990, peut-être éditée à l’origine chez Hip
Bop, sans certitude. Quoi qu’il en soit, c’est de l’excellente
musique, avec quatre magnifiques musiciens: Bruno Carr, le batteur né
à New York en 1928 et décédé en 1993, a accompagné Ray Charles,
David Newman, Aretha Franklin, chez Atlantic, avant d’accompagner
Sarah Vaughan et Betty Carter (1963), Lou Donaldson et Shirley Scott
(1964), ce qui permet d’évaluer sans peine le niveau d’un
magnifique instrumentiste. Il était d’ailleurs le cousin de Connie
Kay (le batteur du Modern Jazz Quartet) et avait débuté sa vie
comme boxeur.
Lou Donaldson est un fil conducteur
pour cet enregistrement. On ne présente plus Dr. Lonnie Smith (né
en 1942), un fantastique organiste très proche de la tradition de
Jimmy Smith, et qui, avec son magistral turban et son jeu
spectaculaire, accompagne depuis de nombreuses années le vétéran
Lou Donaldson dans des échappées où le blues est roi. Sa longue
carrière depuis les années 1960 lui a fait croiser la route des
Supreme, de Jack McDuff, Lee Morgan, King Curtis, Frank Foster,
George Benson, Gladys Knight, Dionne Warwick parmi beaucoup d’autres
(cf. Jazz Hot n°580).
Jimmy Ponder (né en 1946) est un
splendide guitariste habitué à cette configuration avec orgue dans
la tradition. Il a côtoyé Charles Earland, Joe Thomas (voc),
Grassella Oliphant (dm), Stanley Turrentine (ts) dans les années
1970-80. Son jeu prend sas racines dans le blues et dans l’esprit
impulsé par Wes Montgomery.
Enfin, Harold Ousley est un contemporain
du leader Bruno Carr, né en 1929 à Chicago. Il a accompagné Billie
Holiday, King Kolax et Gene Ammons, Dinah Washington, Brother Jack
McDuff (1966), Clark Terry, Howard McGhee, Joe Newman, Lionel Hampton
(1970), Count Basie (1973-74), Machito, sans oublier ses propres
groupes dans les années soixante; un parcours qui fait de lui un de
ces musiciens familiers qui ont apporté une belle contribution au
jazz sans fanfares ni trompettes.
Autant dire que ce groupe et ce disque
respirent le blues, l’expression, le swing et la tradition d’un
jazz de culture dont aucune note n’est jouée par hasard. Le
répertoire n’est pas que blues mais le traitement est marqué par
cet esprit. Ils sont des incarnations de ce que le jazz est par
essence: une expression artistique d’une culture populaire par des
artistes authentiques. Pour ceux donc qui aiment le jazz qui respire
le blues.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Michael Wollny/Vincent Peirani
Tandem
Song
for Untitled, Adagio for Strings, Hunter, Bells, Did You Say
Rotenberg?, Sirènes, Uniskate,Vignette, Fourt for July, Travesuras Michael Wollny (p), Vincent Peirani (acc)
Enregistré
les 4 et 5 mai 2016, Montreuil (93) et le 17 février 2016, Krün
(Allemagne)
Durée:
52'
Act
9825-2 (Harmonia Mundi)
Les
deux premiers titres nous plongent dans une profonde mélancolie,
s’agit-il de jazz ou tout simplement de musique européenne
d’inspiration classique, très climat pour musique de film intello
dans un paysage peint par Peter Greenaway? «Hunter» (le chasseur)
de Björk est revisité dans un climat tempétueux sur fond de paso
doble andalou pour introduire «Bells» de Wolny. Ensuite Peirani
nous entraîne avec «Did You Say Rotenberg» dans une de ces
compositions qui vous font se perdre dans les brumes du nord, comme
celles de Jacques Brel dans le plat pays. Un album en fait assez
minimaliste qui surligne les qualités indéniables de solistes des
deux compères. Il se conclut sur «Travesuras» signé, par Tomás
Gubitsch, où le dialogue se conjugue dans une progression rythmique
un peu plus endiablée. L’entente est parfaite entre ces musiciens
couverts de prix et récompenses mais qui néanmoins échappent à la
grosse tête et n’hésitent pas à partager les grandes scènes
comme les espaces intimes plus propices à ce type de duo.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Herlin Riley
New Direction
New Direction*, A Spring Fantasy°, The
Crossbar°, Shake off the Dust, Connection to Congo Square, Herlin's
Hurdle°, Hiccup Smooth, Harlem Shuffle, Tutti Ma
Herlin Riley (dm, voc), Bruce Harris
(tp), Godwin Louis (as, ss), Mark Whitfield* (g), Emmet Cohen (p)
except 6, Russell Hall (b), Pedrito Martinez° (perc)
Enregistré à New York, date non
communiquée
Durée: 1h 03' 34''
Mackavenue 1101 (www.mackavenue.com)
On peut être l’un des plus brillants
batteurs du jazz actuellement en activité, être bien entouré, sur
un bon label et produire un disque sans intérêt. C’est ici le
cas, et quelle que soit la virtuosité d’Herlin Riley, c’est
consternant de fadeur quand on a vu tout ce que ce musicien est
capable d’apporter à la musique des autres. La New Direction d’Herlin Riley ressemble à une grande surface du rythme, une
démonstration adolescente de ses capacités à produire toutes les
figures rythmiques possibles avec tous les outils du batteur, mains
comprises. Ce n’est pas spécialement l’image qu’on se faisait
de ce batteur hors norme. Les musiciens qui l’accompagnent n’y
sont pour rien et font correctement et sans génie ce qu’ils ont à
faire, mais ça ne donne pas une âme à un patchwork sans ligne
directrice, nouvelle ou pas. Un disque pour batteurs, sans doute, les
seuls peut-être capables d’apprécier la puissance et les
acrobaties rythmiques d’Herlin, mais le jazz, la musique dans tout
ça? On pourrait isoler quelques moments de l’esprit néo-orléanais
(«Tutti Ma»), ou «Harlem Shuffle» de ce galimatias, où un peu de
cette histoire du jazz ressurgit à la façon des Jazz Messengers,
mais dans le genre, il y a bien mieux, l’original en particulier,
et depuis des lustres. Mais bon, pas d’inquiétude, Herlin Riley
nous rassurera bientôt, mais peut-être pas en leader.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Duane Eubanks Quintet
Things of That Particular Nature
Purple Blue and Red,
As Is, Rosey, Holding Hands, Beer and Water, Anywhere's Paradise,
Dance With Aleta, Aborted Dreams, Slew Footed , "P" Abraham Burton (tp, flh), Marc Cary (p, clav), Dezron Douglas (b),
Eric McPherson (dm), Steve Nelson (vib)
Enregistré le 8 juillet
2014, Paramus (New Jersey)
Durée: 53' 33''
Sunnyside 1390
(http://sunnysidezone.com)
Duane Eubanks appartient à une famille de musiciens de Philadelphie.
Sa mère Vera enseigna le piano à Kenny Barron, son oncle n’est
autre que le légendaire Ray Bryant, et ses frères Robin (tb) et
Kevin (g) ont une réputation certaine dans le jazz depuis de
nombreuses années. On n’est donc pas étonné de cet excellent
disque qui réunit un all stars de la génération de Duane
(1969) avec Abraham Burton (1971), Marc Cary (1967), Eric McPherson
(coproducteur avec Duane de cet enregistrement). Duane, très bon
trompettiste, malgré quelques recherches qui l’ont parfois
détourné du jazz, revient enrichir une saga familiale où le talent
est chose si courante. A ses côtés, on trouvera également un aîné,
le bon Steve Nelson (1954), et un cadet, Dezron Douglas, un habitué
des all stars. Cette musique, une descendance des orchestres d’Art
Blakey, Woody Shaw, est parmi ce que le jazz produit de plus
authentique dans ce registre post hard bop qui depuis les années
1970 a illuminé de nombreux concerts sans complaisance commerciale
malgré un air du temps défavorable déjà. Le jazz y est une
belle musique exigeante mais abordable où la mélodie, la poésie,
le blues et le swing sont naturellement au cœur d’une expression
pourtant entièrement renouvelée mais qui ne renie pas ses origines.
Un seul thème n’est pas de Duane, c’est le magnifique «Holding
Hands» du regretté Mulgrew Miller. Retrouver les splendides
Steve Nelson, Abraham Burton et Marc Cary aux côtés de Duane
Eubanks, dans un registre in the tradition, c’est
l’assurance d’une belle heure de musique, car tous, jusqu’à la
section rythmique sont simplement au diapason d’une culture
musicale enracinée.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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Brad Mehldau Trio
Blues & Ballads
Since I Fell For You, I Concentrate on
You, Little Person, Cheryl, These Foolish Things (Remind Me of You),
And I Love Her, My Valentine
Brad Mehldau (p), Larry Grenadier (b),
Jeff Ballard (dm)
Enregistré les 10 décembre 2012 et 12
mai 2014, New York
Durée: 55' 40''
Nonesuch 7559794650 (www.nonesuch.com)
Ces enregistrements qui datent de deux
à quatre ans, regroupés ici, se présentent sous un titre qui en
évoquent d’autres comme le splendide Ballads, Blues and Bey,
d’Andy Bey; contrairement à ce chef-d’œuvre, la dénomination
pose ici un vrai problème quand on se réfère au contenu. Il y a
bien des Ballads, parfois un peu de swing, avec parcimonie,
quant au blues, c’est la disette, tout juste une teinte délavée
qui ne trompe personne («Since I Fell For You», «Cheryl»). La
formule trio, avec basse et batterie, jazz de naissance, donne bien
quelque illusion, mais l’écoute ne s’arrête pas à ces
apparences et simulations. Le blues est en effet une composante
permanente et intrinsèque du jazz et de la personnalité des
jazzmen, pas une couleur ponctuelle. Il est la fondamentale qui permet de distinguer le jazz de culture du jazz
d’exécution («These Foolish Things»), le jazz hot auraient dit nos aînés du jazz straight, une musique de
variété au fond («And I Love Her», «My Valentine»).
Ce qui n’étonnera personne, quand on
connaît Brad Mehldau, un pianiste, doué techniquement, mais éloigné
par culture de cette racine jazz, –il a grandi dans le rock-pop–
même s’il est capable, par mimétisme savant et selon le contexte,
en jam par exemple, de faire illusion comme Uri Caine dans ce même
contexte. Brad Mehldau est bien l’héritier de Keith Jarrett et de
toute une tradition du piano jazz, de Martial Solal à Uri Caine,
capable de se fondre dans le jazz qu’ils ont écouté, travaillé,
côtoyé de près, mais dont ils ont, dans leur for intérieur, dans
leur moi, refusé les fondamentaux. Brad Mehldau a une approche du
jazz purement formelle, avec la même prétention, lui-même, comme
ses producteurs, ses devanciers et ses pairs, d’en définir
l’actualité, la modernité, d’en redéfinir les contours
artistiques, alors qu’ils appartiennent à un autre monde. Comme
ils ne sont pas portés par une tradition populaire (par exemple les
cas Kenny Barron, Cyrus Chestnut, Marcus Roberts, Eric Reed, Aaron
Diehl pour se limiter à quelques pianistes actuels…), qu’ils ne
veulent pas, par choix, appartenir au classique dont la rigidité des
réseaux, des codes et des fonctionnements reste une contrainte,
qu’ils ne veulent pas appartenir aux monde des variétés, dévalué
dans leur esprit sur le plan artistique, ils ont entrepris de
redéfinir le jazz, la plus accueillante des cultures. Ils pourraient
se contenter d’être hébergés, mieux d’en intégrer les codes
comme le fond des milliers de musiciens, artisans et artistes, mais
leur ego ne le permet pas.
La question reste toujours la même:
pour Jarrett, Mehldau, Caine et quelques autres, où situer ces
musiques à la lisière du jazz, de la variété et de la musique
classique? Déjà pas dans la musique populaire et pas dans le jazz
donc, car il faut des racines pour cela. On pourrait dire dans une
forme de musique classique, une sorte d’exécution, plus ou moins
savante, une relecture du jazz et d’autres musiques (ici les
Beatles), mais une musique classique qui s’affranchirait des
racines classiques également, car la musique classique suppose
encore un enracinement et l’acceptation de codes multiséculaires.
Pourtant, tout l’intérêt du vocable
indifférencié de «variétés», qu’il ne faut pas confondre avec
la chanson populaire (un autre secteur artistique à côté du jazz
et du classique), les variétés donc qu’on a tort de dévaluer car
les artisans de la musique sont parfois brillants, sincères et
intéressants, est de pouvoir regrouper un certain nombre de
musiciens qui interprètent plus qu’ils ne créent, parce que leur
biographie n’a pas déterminé de fortes racines, et cela
indépendamment de la complexité et de la virtuosité,
indépendamment de la sincérité, des trucs et des simulations. Ce
monde incertain, où l’on peut aussi mettre Richard Clayderman,
André Rieu et certains autres musiciens qui, privés de racines (une
réalité de plus en plus partagée à l’échelle de la planète,
ce n’est la faute de personne, juste un constat) mais plus ou moins
bons techniciens, interprètent une musique légère, plus ou moins
élaborée et virtuose, pas populaire pour un sou, même si beaucoup
vendue parfois, car bénéficiant des réseaux de la diffusion de la
variété internationale. Même si la complaisance est devenue la
règle la plus répandue en matière de variétés en raison de la
consommation de masse imposée, rien ne dit que les variétés
doivent nécessairement être des musiques dévaluées et
d’inspiration commerciale. Elles pourraient tout au contraire
bénéficier d’une définition plus exigeante, y compris sur le
plan de leur élaboration, déconnectée de la complaisance
commerciale ou de l’abrutissement des masses comme ce fut parfois
le cas par le passé.
Il y avait, naguère, sur une radio
nationale une émission intitulée: «Le quart d’heure de musique
légère». Ce disque de Brad Mehldau, pas désagréable sans être
très profond, y aurait sa place: une heure de musique légère…
Yves Sportis
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Fapy Lafertin
Lafertin & Le Jazz. The Recordings 94-96
Swing Guitars 1994: I've Had My
Moments, I Wonder Where My Baby Is Tonight, Besame Mucho, Vous qui
passez sans me voir, Swing Guitars, Je suis seul ce soir, Puttin' on
the Ritz, To Each his Own, Diminishing, Minor Swing, La Defense, Que
reste t'il de nos amours, Swing Guitars 2, Anouman, Puttin' on the
Ritz (inédit), Je suis seul ce soir (inédit), I've Had My Moments
(inédit), Minor Swing (inédit), Anouman ‘live’ (inédit)
Hungaria 1996: Melancholy Baby, 12th
year, Songe d'automne *, Time on My Hands, Billet Doux, Russian
Lullaby, Stardust, Hungaria, Liebestraum N°3, Swing 42 *, Stockholm
*, Notes Noir, What a Difference a Day Made, Viper's Dream, Black and
White, J'attendrai (inédit), Loverman (inédit), What a Difference a
Day Made (inédit)
Fapy Lafertin (g), Steve Elsworth
(vln), Dave Kelbie (g), Pete Finch (g), Tony Bevir (b), Bob Wilber
(cl)*
Enregistré du 11 au14 novembre 1994
(Swing Guitars) et du 19 au 25 août 1996 (Hungria), Avon
(Royaume-Uni)
Durée: 1h 12' 59'' et 1h 00' 07''
Lejazzetal Records/Frémeaux et
Associés 8521 (Socadisc)
Ces deux enregistrements, partiellement
inédits (des prises d’autres thèmes déjà présents et deux
thèmes supplémentaires), réalisés dans les conditions d’époque,
comparables à celles des enregistrements effectués par Django
Reinhardt, Stéphane Grappelli et le Quintette du Hot Club de France,
avec des micros de la BBC d’avant-guerre, dans une grange du nord
de l’Angleterre, voulaient restituer, au milieu des années 1990,
la magie sonore du plus célèbre quintette à cordes de l’histoire
du jazz. Cette ambition a été pleinement
justifiée par la réussite de ces deux disques de 1994 et 1996
réunis ici, car outre la technique du son, le studio à l’ancienne,
il y a une belle formation avec le grand Fapy Lafertin, l’un des
très rares guitaristes qui a hérité de l’épaisseur, de
l’intensité expressive du grand Django. Fapy Lafertin possède
également une musicalité, un lyrisme dignes de son illustre
devancier. La formation qui l’accompagne est au diapason de Fapy,
et dans l’esprit du fameux Quintette, avec la puissance de trois
guitares associées, et en particulier un beau violoniste en la
personne de Steve Elsworth.
Le répertoire fait non seulement appel
aux classiques du genre («Minor Swing», «Viper's Dream»,
«J'attendrai»…), des compositions que le Quintette du HCF
illustra, mais aussi à la chanson française et populaire («Besame
Mucho», «Vous qui passez sans me voir», «Je suis seul ce soir»…),
aux standards («Stardust», «Russian Lullaby», «Loverman», «What
a Difference a Day Made»…), car c’est dans ce cadre large, jazz,
standards et chanson française jazzy (Trenet, Sablon…) que
s’épanouit le talent de Django, faut-il le rappeler? On trouve également «Anouman» auquel
le lyrisme de Fapy donne une dimension particulière, car joué avec
une manière plus ancienne, plus Django acoustique d’avant-guerre,
que celle à laquelle on est habitué. Il y a aussi chez Fapy Lafertin le côté
sombre de la tradition tzigane, celle que Django conserva dans son
jazz comme une couleur essentielle de sa tradition, qui donne une
intensité particulière, comme une patine, à ces enregistrements.
Le beau soutien de deux guitares, le côté chantant du violoniste,
les commentaires, les harmonies sombres propres à
l’entre-deux-guerre («Stockholm»), les puissants
vibratos-crescendos chers à Django, tout donne à cet enregistrement
nouveau et différent, une tonalité pourtant proche de l’original,
et cela pour notre plus grand plaisir. Il y a enfin chez Fapy Lafertin, cette
manière de poser la note, de développer le contre-chant, de
commenter, d’attaquer la note qui font irrésistiblement penser à
l’illustre modèle («Stardust»). Une féérie guitaristique! Sur trois thèmes, l’incomparable Bob
Wilber, toujours présent dans les meilleurs groupes, apporte son
oreille et son sens musical qui lui permettent de jouer avec des
musiciens de tous les horizons avec naturel, en magnifiant le
résultat comme ce «Songe d'automne», «Stockholm». Il y a encore ces valses manouches,
incomparables comme un monde nouveau qui s’éveille, une
composition splendide de Fapy Lafertin («Notes noir») qui vous
emporte dans ses tourbillons de notes et dans sa manière de faire
rouler les notes.
Fapy Lafertin est un indispensable de
la tradition de Django Reinhardt, un de ceux dont on ne peut se
passer, en disque ou en live, si on a la musique de Django chevillée
à l’âme, ce qui est forcément le cas à Jazz Hot. Du très
grand Art!
Yves Sportis
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Rich Halley 4
Creating Structure
Analog Counterpoint, Rain Percolates
Laterite, Riding the Trade Winds, Angular Momentum, The Shadow of
Evening, Metal Buzz, Street Rumors, View through the Ellipse, Echoes
of the South Side, The Tumbled Lands, Small Perturbations, Working
the Interstices, Quiet like Stone, Pushing Breath, The Shove, The
Respond
Rich Halley (ts, perc.), Michael Vlatkovitch, (tb, perc,
acc.), Clyde Reed (b), Carson Halley (dm)
Enregistré les 30 et 31
mai 2014, Portland (Oregon), le 19 mai 2012 et le 26 mai 2013,
Corvallis (Oregon)
Durée: 1h 01'
Pine Eagle 007
(www.richhalley.com)
Rich Halley 4
Eleven
Reification
suite, The Dugite Strikes, The Creep of Time, Glimpses Through the
Fog, Adjusting the Throughput, Dead of Winter, Convolution, Slider,
The Animas
Rich Halley (ts), Michael Vlatkovich (tb), Clyde Reed
(b), Carson Halley (dm)
Durée: 1h
Enregistré les 30 et 31 mai
2014, Portland (Oregon)
Pine Eagle 008 (www.richhalley.com)
Rich
Halley n’est pas un novice si l’on se réfère à son assez
longue discographie. Toutefois, il atteint un âge (il est né en
1947) auquel il devrait être davantage connu. Ses qualités
d’instrumentiste le permettraient mais il a choisi de composer et
jouer un jazz (?) tellement cérébral qu'il n'est plus lié à cette
musique que marginalement.
Creative Structure est ainsi
formé de seize compositions du leader (en fait une succession
d'improvisations) que d'aucuns qualifieraient peut-être de free
jazz. Les musiciens entrent en studio sans feuille de route et tout
est spontané. A moins d’être un grand amateur, il faut du cran
pour écouter d’une traite les 61 minutes du disque! La basse et la
batterie, solides, assurent imperturbablement le cadre aux
improvisations débridées du saxophone et du trombone. La fin de
«Riding the Trade Winds» et dans une certaine mesure «Echoes of
the South Side» et quelques passages d’autres compositions
marquent une différence car mieux construits, avec une certaine
logique et un lien avec le jazz. Ces thèmes permettent de valoriser
Rich Halley. Le son et le style du saxophoniste - finalement assez
brillant - s’ancrent chez Rollins, Coleman et Ayler et les acteurs
de l’AACM de Chicago.
Eleven est dans le même esprit.
Sauf que même le souffle des improvisations paraît ici rigide. Un
disque qui n'a d'intérêt que si l'on considère la musique avant
tout comme une affaire de technique. En somme, on aimerait entendre
le son de Rich Halley sur de vrais standards de jazz!
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Raul de Souza
Brazilian Samba Jazz
Bossa eterna, Rio Loco, Brazilian Samba Jazz,
Descendo da mangueira, Saudade do Franck, Violão quebrado, Ilha do
mel, Luminosa manhã, Oito e meia, Amigo JJ
Raoul de Souza (tb), Mario Conde (g),
Julien Lallier, Leo Montana (p), Glauco Solter (elb), Maurio Martins,
Zaza Desiderio (dm)
Durée:
47’
Enregistré en France, décembre 2015
Encore Merci 001483
(https://rauldesouza.net)
Fidèle à la terre de ses
racines, le Brésil, où il réside toujours, le tromboniste Raul de
Souza (1934) se présente fréquemment en France (il y a vécu un
temps) et c’est ici qu’il a enregistré Brazilian Samba Jazz.
Malgré une très longue trajectoire qui lui a permis de traverser
toute la MPB en côtoyant ses plus grands artistes, de Souza livre
pour la première fois un album sur lequel ne figurent que ses
propres compositions. Imprégné de sa culture musicale brésilienne
– antérieure à la naissance de la bossa nova - il est très tôt
attiré par le jazz et on l’entend avec ceux qui le sont aussi au
Little Club ou au Bottle’s. La plupart écriront avec lui
l’histoire de la musique brésilienne des années suivantes: Sérgio
Mendes, Paulo Moura, Som Um Romao, Bebeto, Durval Ferreira, Airto
Moreira, Baden Powell... Dès 1955, il enregistre avec ce dernier un
des tous premiers albums de musique instrumentale brésilienne, Turma
da Gafieira. Son intérêt pour le jazz est grandissant et il
rejoint Airto aux Etats-Unis ce qui lui offre la possibilité de
côtoyer des jazzmen de premier plan et d’inviter Cannonball
Adderley et Jack DeJohnette pour Colors (1974) et de
bénéficier des arrangements de J.J. Johnson. Ces précisions sont
là pour signaler que de Souza n’est pas un de ces fusionnistes à
la mode mais que jazz et musique brésilienne sont les deux rives de
sa musique et que celle-ci coule déjà depuis quelques
lustres.
C’est dans cette perspective qu’il faut apprécier ce
Brazilian Samba Jazz. Qui marque ses 60 ans de carrière.
Pour celui-ci, le tromboniste a fait appel à de bons musiciens
brésiliens installés en Europe ou venus du Brésil. Un petit
frenchy s’y est joint, Julien Lallier. Ils fournissent un
environnement d’une grande qualité qui permet à de Souza de
montrer qu’il est sans doute l’un des meilleurs spécialistes
latins de l’instrument. Sa sonorité est très personnelle. C’est
du jazz mais il s’en dégage un parfum carioca. On apprécie
en ce sens plus particulièrement la «Bossa Eterna», «Ilha do mel»
pleines de swing; «Brazilian Samba Jazz» ou encore «Amigo JJ» qui
met aussi en valeur le guitariste. «Rio Loco» avec l’intervention
de l’harmonica est original. L’artiste sait transmettre par son
instrument l’indéfinissable atmosphère du saudadebrésilien («Saudade do Franck»). L’écoute de ce disque doit
inciter à rechercher les bons moments offerts par Raul de Souza dans
sa discographie et notamment ce Colors mentionné ci-dessus.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Romain Thivolle Big Band
Django Revisited
Féérie, When Day Is Done, Mabel,
Tears, Troublant Boléro, Django Jones, Nuages, Night and Day, Minor
Blues, Belleville
Romain Thivolle (dir, arr), Lois Coeurdeuil (g
solo), Thierry Amiot (tp lead), Gabriel Charrier (tp), José Caparros
(tp), Fabrice Lecomte (tp), Romain Morello (tb lead), Michael
Steinman(tb), Igor Nasonov(tb), Jean-Philippe Langlois (btb), Gérard
Murphy (as, ss, cl), Julian Broudin (as), Jean-François Roux (ts),
Pascal Aignan (ts, ss), Yannick Destree (bar, fl), Florent Py (fl),
Franck Pantin (p, clav), Serge Arese (b-eb), Philippe Jardin (dm),
Sébastien Lhermitte (perc)
Enregistré le 5 août 2015, Pertuis
(Vaucluse)
Durée: 1h 17’ 55”
RTBB 03 (www.romainthivolle.com)
Vous en savez beaucoup déjà sur ce
disque si vous avez parcouru le compte rendu détaillé de ce
festival en 2015 et si vous avez lu l’intéressante interview de
Romain Thivolle paru dans notre n°676 (été 2016). Et sinon, il est
encore possible de le faire car cela reste disponible sur notre site
et c’est un bon accompagnement pour cette écoute. Il s’agit donc
d’un concert enregistré lors du Festival de Big Bands de Pertuis
en 2015, autour de la musique de Django Reinhardt, arrangée avec
autant d’originalité que de respect par Romain Thivolle, mise en
valeur par un soliste de haute tenue, Lois Coeurdeuil, brillant
soliste à l’origine de cette belle idée de relire la musique de
Django, et par un bel orchestre mêlant jeunes et anciens, où
œuvrent de bons solistes, comme Thierry Amiot, Romain Morello,
Gérard Murphy entre autres. Le répertoire est lui aussi choisi avec
sagacité, avec des compositions de Django et Stéphane Grappelli,
bien entendu, deux standards et un original de Romain Thivolle.
L’enregistrement en live est aussi
une autre performance, dont il faut féliciter tout le monde,
musiciens et techniciens; combiné avec un orchestre très impliqué
et des solistes dont un guitariste leader exceptionnel, Lois
Coeurdeuil, en état de grâce («Minor Swing»), cela donne un bel
enregistrement qui nous fait dire qu’il est urgent que les
programmateurs de festivals et concerts sortent des sentiers battus
pour aller à la rencontre de tels projets. Celui-ci est original
tout en étant ancré dans la tradition du jazz, aussi bien celle de
Django Reinhardt et Stéphane Grappelli d’ailleurs que celle des
big bands, de tous les âges du jazz (l’arrangement de «Nuages»
avec un beau chorus de trombone de Romain Morello, «Django Jones»…).
Encore une fois, si vous lisez l’interview de Romain Thivolle, vous
trouverez beaucoup de clés utiles à l’écoute dont une bonne
culture jazz, et si vous écoutez attentivement ce disque, vous
constaterez que ça swingue («Night and Day») avec ce qu’il faut
de blues, que ça joue et que ça improvise avec originalité et
talent dans toutes les sections. Un bel enregistrement qui sort de
l’ordinaire des relectures sans trahir l’esprit!
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Aurore Voilqué Septet
Machins choses et autres trucs très chouettes
Mr William, Cocek, Russian Lullaby, The
Mooche, Machins choses, En route, Clopin clopant, A chacun son
problème, Miss Celie’s Blues Aurore Voilqué (vln, voc), Olivier
Defays (ts), Jérôme Etcheberry, François Biensan (tp), Jerry
Edawards (tb), Jean-Baptiste Gaudray (g), Thomas Ohresser (g, bjo),
Basile Mouton (b), Julie Saury (dm, perc)
Enregistré entre le 22 et le 24 mai
2016, Droue-sur-Drouette (28)
Durée: 49' 37''
Arts & Spectacles 160502
(www.aurorequartet.com)
Pour son nouveau projet, Aurore Voilqué
a mis des cuivres dans son moteur. Après avoir revisité le
répertoire de Django Reihardt en quartet avec Rhoda Scott
(Djangolized) et donné de la voix sur quelques fameuses
chansons françaises (Live à La Fabrique), la violoniste
confirme son goût de l’éclectisme et surtout son envie de jouer
toujours plus de ses cordes… vocales! En effet, le violon d’Aurore
se fait ici plutôt discret (sauf sur «Cocek» et «The Mooche»,
seuls morceaux instrumentaux) alors que la formation, qui se
caractérise par la présence de trois soufflants (Olivier Defays,
Jerry Edwards et, en alternance selon les titres, Jérôme Etcheberry
et François Biensan), donne à chaque titre l’ampleur que pourrait
lui conférer un big band (saluons au passage les bons arrangements de Biensan, Defays et Mouton). Aurore aime chanter et, sans être devenue
chanteuse de jazz, elle a trouvé sa voie (et sa voix) dans
l’interprétation à la fois habitée et gouailleuse de la chanson
française à texte (au sein de laquelle s’insèrent ici deux bons
originaux: «En route» et «A chacun son problème»). Et, de fait,
l’assemblage entre voix et orchestre (on ne peut plus jazz)
fonctionne assez bien. On n’en apprécie que davantage la variété
des titres: standards (excellent «The Mooche» aux accents funky),
chansons françaises jazzy (c’est le «Machins choses» de Serge
Gainsbourg qui inspire le titre de l’album) et même un joli
traditionnel serbe, «Cocek». A noter qu’un morceau est chanté en
anglais, «Miss Celie’s Blues» (tiré du film The Color Purplede Steven Spielberg), lequel est surtout l’occasion d’apprécier
la qualité des musiciens qui entourent la leader: Thomas Orhesser (qui
introduit ce blues au banjo) et Jérôme Etcheberry (avec sourdine
wha-wha) pour la facture "vintage", Jerry Edwards, pilier de cette
section de cuivres, jusqu’à Julie Saury qui semble avoir trempé
ses baguettes dans le Mississippi. Au final, un disque effectivement
chouette.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Heads of State
Search for Peace
Impressions, Uncle Bubba, Search For Peace, Capuchin Swing, Soulstice,
Crazy She Calls Me, Summer Serenade, Lotus Blossom, I Wish I Knew
Gary Bartz (as, ss), Larry Willis (p), Buster Williams (b),
Al Foster (dm)
Enregistré le 11 janvier 2015, New York
Durée: 1h 08' 05''
Smoke Sessions Records 1506 (www.smokesessionsrecords.com)
Ce disque présente ce que le jazz a d’essentiel. Nul besoin
de longues explications pour comprendre que chacun de ces musiciens possède les
qualités fondatrices du jazz, ici dans l’esprit hérité de John Coltrane.
L’enregistrement fait plus exactement référence à McCoy Tyner, le pianiste et
dernier survivant du quartet légendaire de John Coltrane, car ces musiciens
l’ont côtoyé dès les années 1970 dans ses diverses formations. Le swing, l’expression, le blues, les
atmosphères coltraniennes, qui doivent tant à Tyner, un beau répertoire (John Coltrane,
McCoy Tyner, Jackie McLean, Benny Carter, Billy Strayhorn, Gary Bartz…) et un
naturel qui font de cette heure de musique une heure de pur bonheur. Nul doute
qu’eux-mêmes prennent un grand plaisir à se retrouver dans ce monde, car ils
ont écrit ensemble une belle partie de l’histoire du jazz des quarante
dernières années, et de cette branche du jazz. La légèreté très musicale d’Al
Foster, la profondeur de Buster Williams et le brillant de Larry Willis
soutiennent parfaitement le discours post-coltranien mais en plus linéaire de
Gary Bartz. Un excellent disque de jazz, comme c’est souvent le cas pour ce bon
label qui présente aujourd’hui le meilleur de la scène new-yorkaise dans ce que
nous appellerons le jazz de culture.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Le Brass Messengers de Dominique Rieux
Gead Mulheran Sings Sinatra
Hello Dolly, Come Fly With
Me, The Good Life, I've Got You Under My Skin, Fly Me to the Moon, As Time Goes
By, Mack the Knife, Strangers in the Night, You Are the Sunshine of My Life,
New York New York, My Way, The Lady Is a Tramp
Gead Mulheran (voc), Tony
Amouroux, Dominique Rieux (tp, fgh), Rémi Vidal (tb), Christophe Mouly (ts,
fl), Florent Hortal (g), Thierry Ollé (p), Julien Duthu (b), André Neufert (dm)
Enregistré en janvier 2016,
lieu non précisé
Durée: 38' 24''
LBM 01/1 (www.facebook.com/Dominique-Rieux-Officiel)
Gead Mulheran, originaire de
Rochdale dans le Grand Manchester, est un chanteur jazz et pop (il est aussi
auteur-compositeur et guitariste). Nous avons là la version crooner dans la
lignée du Frank Sinatra des années 1950 et ultérieures. Il aime aussi Nat King
Cole et Mel Tormé. Il s'est produit dans ce créneau avec le Big Band Brass de
Dominique Rieux, aujourd'hui réduit (en effectif) à ces Brass Messengers tout
aussi performants comme le démontre le premier titre, «Hello Dolly»
(Tony Amouroux, tp). Gead Mulheran possède une excellente technique vocale
(maîtrise de la colonne d'air: «Strangers in the Night») et le
phrasé de Sinatra («I've Got You Under My Skin»). La voix plus
légère que celle de Sinatra n'est pas un obstacle à la réussite de cette
évocation. Gead Mulheran possède la décontraction, le feeling des maîtres
américains qu'il a pris pour modèles. Bref ce disque est excellent et balance
bien, agrémenté, sur des arrangements de classe, par de bons solos instrumentaux
de Christophe Mouly («The Good Life»), Rémi Vidal («I've Got
You Under My Skin», «Lady Is a Tramp»), Dominique Rieux
(bugle van Laar!: «Fly Me to the Moon»; tp: «Lady Is a
Tramp»), Thierry Ollé («As Time Goes By»), André Neufert («Lady
Is a Tramp»).
Michel Laplace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Nat King Cole & The Quincy Jones Big Band
Live in Paris. 19 avril 1960
20 titres
Nat King Cole (voc, p) accompagné par
le big band de Quincy Jones et par son trio selon les thèmes
(deux concerts le même soir avec un répertoire voisin)
Enregistré le 19 avril 1960, Paris
Durée: 1h 14' 59''
Frémeaux et Associés 5494 (Socadisc)
Etranges, ces coproductions de Ténot et Filipacchi avec Norman Granz, post-mortem (cf. la chronique d’Ella Fitzgerald de la même collection) car cet enregistrement est inédit et, à l’époque, Nat King Cole est sous contrat avec Capitol. Si on peut l’attribuer à la naissance de la société de consommation musicale, dont les producteurs supposés, Ténot et Filipacchi, furent d’ardents promoteurs, la dépréciation du jazz vint parfois des musiciens eux-mêmes, et parmi les plus talentueux. En cédant à la pression commerciale pour un statut de star hors catégorie, et donc hors jazz et culture, en renonçant à l’authenticité de leurs racines pour un statut social ou commercial, par conformisme, et en faisant une musique de complaisance, ils ont contribué à leur échelle à faire que le jazz perde progressivement son public, parfois ses artistes, et plus largement son indépendance.
Ce mouvement, apparu très tôt dans l’histoire aux Etats-Unis, plus concentrés sur l’entertainment, terre natale du jazz, mais pas celle de sa reconnaissance et de son identification culturelle, a depuis gagné tous les continents, et nous en subissons aujourd’hui les derniers développements caricaturaux avec le retour de l’étiquette jazz dans le giron des musiques commerciales, comme avant le jazz hot.
Ce disque de Nat King Cole, qui fut le premier des artistes de jazz afro-américain à atteindre ce statut de star hors catégories à un tel niveau de notoriété, est l’illustration d’un grand débat entre amateurs de jazz. Soutenu ici par un big band dirigé par Quincy Jones, avec des arrangements du même, très jazz, servis par des solistes de haut niveau (Julius Watkins, Phil Woods, Budd Johnson, Jerome Richardson, Sahib Shihab, Melba Liston, Jimmy Cleveland, Quentin Jackson, Benny Bailey, Roger Guérin qui remplaçait selon le livret Clark Terry, etc.), Nat King Cole (au piano également) sucre certaines de ses interprétations jusqu’au coma diabétique, avec complaisance et/ou un mauvais goût absolu, alors qu’il bénéficie d’un splendide ensemble de jazz très professionnel, les quelques instrumentaux («Tickle Toe», «Blues in the Night» par exemple) le démontrent.
L’auteur des notes de livret s’étonne, avec superficialité, de l’accueil parfois mitigé que reçut le chanteur de la part des amateurs de jazz lors de ces tournées. La question n’est pas le purisme d’amateurs de jazz "intégristes" (comme sous-entendu), plutôt plus passionnés qu’ils ne le sont aujourd’hui, mais le manque d’authenticité, de sincérité d’un chanteur qui porte un masque commercial qui se craquelle parfois («Welcome to the Club», «Joe Turner’s Blues», «Thou Swell» qui sont bien meilleurs) quand il se souvient qu’il a été Nat King Cole, le jazzman.
Les musiciens de jazz défendent toujours Nat King Cole car, outre l’aspect communautaire, ils savent quel musicien a été Nat King Cole, comme Norman Granz le savait. Mais Norman Granz comme Quincy Jones, le texte du livret le rappelle, n’ont pas hésité à demander à King Cole de jouer du jazz pour faire passer le sirop de sucre. Ils avaient donc conscience, l’un et l’autre, d’un problème et d’un public pour se permettre une telle inconvenance. Des amateurs connaisseurs pas encore soumis au conformisme de l’opinion du plus grand nombre et des médias, c’est plutôt un bon public, possédant encore un sens critique. Le jazz comme l’opéra, parce que musiques populaires, ont eu un tel public, et ce public n’a pas eu toujours tort. C’est mieux que le public consensuel et suiviste des messes médiatiques et des soirées mondaines de notre début de siècle. Au moins, il y avait débat et écoute.
Pour éviter toute mauvaise interprétation de ce qui est écrit, Frank Sinatra peut chanter ce qu’il chante, parce que c’est sa culture, et qu’en dehors de son talent artistique d’interprète (car c’est un bon acteur), il est en harmonie avec son expression. Dans ce registre, il chante d’ailleurs avec plus de vérité que Nat King Cole sur le plan de l’expression parce qu’il n’est pas maniéré… Pour éclairer encore le propos, la question n’est pas le répertoire, mais l’expression. Louis Armstrong peut chanter «La Vie en rose» ou «Hello Dolly» parce qu’il reste lui-même, Billie Holiday «My Man», pour la même raison, etc.
Il y a d’autres exemples de même nature au fond que cette perdition de King Cole, prenant toutes les formes selon les modes et les pressions du temps, comme pendant la période jazz rock, pour la musique d’avant-garde, pour la musique improvisée, le hip hop… Le résultat est au fond le même: le manque d’authenticité de l’expression et la perte des racines sous la pression d’un quelconque conformisme, commercial, social et/ou esthétique.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Sebastien Girardot/Félix Hunot/Malo Mazurié
Three Blind Mice
Persian Rug,
Black Bottom Stomp, Polka Dot Stomp, When Your Lover Has Gone, Rockin' in
Rhythm, Changes, Echoes of Harlem, Maple Leaf Rag, Bogalusa Strut, I'm Coming
Virginia, Weary Blues, I May Be Wrong, Jubilee
Malo Mazurié
(cnt, tp), Félix Hunot (g, voc), Sébastien Girardot (b)
Enregistré les
15 décembre 2015 et 28 janvier 2016, Paris
Durée: 51'
Autoproduit
(www.malomazurie.com)
Dans le
territoire dit jazz on a connu ou on connait encore le trio de ce type, d'un
bord considéré traditionnel avec l'excellent Alvin Alcorn (Alcorn, tp, Justin
Adams, g, Frank Fields, b, New Orleans Jazz Brunch, Sandcastle LP 1030 –
très rare!) à l'autre, avec Stéphane Belmondo qui a porté la formule et l'ombre
de Chet Baker à travers les festivals de l'été 2016. Cette formule orchestrale
a le double avantage d'être économique (ce qui aujourd'hui n'est pas à
négliger) et d'être très musicale (mieux vaut pas de batteur qu'un mauvais).
Bien sûr, le climat de ce trio n'est pas sans évoquer la musique aussi fine que
pleine de swing du quartet Ruby Braff-George Barnes et de sa regrettée réplique
française sous la houlette d'Alain Bouchet (finalement avec Félix Hunot, un
guitariste suffit). Les arrangements sont biens tournés («Rockin' in
Rhythm», «Echoes of Harlem», etc). Malo Mazurié utilise beaucoup
les sourdines. Bien sûr, «I'm Coming Virginia» présente les trois
artistes en solo. Sébastien Girardot, bon slappeur (« Black Bottom Stomp »,
« Weary Blues ») mais pas seulement, est fréquemment soliste,
toujours excellent (« Maple Leaf Rag », « Bogalusa Strut»).
Il est aussi l'assise solide du groupe. Félix Hunot, formé par Jean-François
Bonnel, chante à la Bing Crosby dans un titre («Changes»), mais
démontre surtout ses qualités d'accompagnateur et de soliste (introduction très
fine dans « When Your Lover Has Gone »). Malo Mazurié est le jeune
trompettiste (plus souvent au cornet ici) qui monte. Bien sûr, il évoque ici
Ruby Braff («When Your Lover Has Gone», «I May Be Wrong»,
«Jubilee»). Mais inconsciemment peut-être, grâce à sa solide
culture jazz, on entend, sans copie à la lettre, ici où là des traces de Bix («Changes»,
«I'm Coming Virginia»), George Mitchell (exposé de «Black
Bottom Stomp»), Jabbo Smith («Polka Dot Stomp») et la volubilité
de Rex Stewart («Persian Rug», stop chorus de «Black Bottom
Stomp», «Rockin' in Rhythm»). Bref ce CD est un rayon de
soleil dans l'affligeante production dite musicale de nos jours.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Phil Urso
The Philosophy of Urso
Titres détaillés dans le livret
Phil Urso (ts, bs), Bob Brookmeyer (tb), Julius Watkins (flh), Ron Washington
(ts), Walter Bishop Jr., Horace Silver, Bobby Timmons (p), Bobby Banks (org),
Percy Heath, Jimmy Bond, Oscar Pettiford, Charles Mingus (b), Kenny Clarke,
Peter Littman (dm)
Enregistré entre 1953 et 1959 à Hackensack, Hollywood, New York et
Louisville
Durée: 1h 08’ + 1h 02’
Fresh Sound Records 889 (Socadisc)
Le saxophoniste Phil Urso (1925-2008) est peu connu du public. Né à Jersey City mais ayant grandi à Denver, sa carrière (commencée en 1948) a été avant tout celle d'un accompagnateur, notamment aux côtés de Woody Herman, Miles Davis et surtout Chet Baker (1954-1972). Il est par ailleurs retourné vivre à Denver dans les années 60. Il a peu enregistré en leader: outre les sessions rééditées ici, il a sorti en 2002 un Salute Chet Baker avec Carl Saunders (tp). Signalons d’emblée la qualité du livret de la présente production (mais intégralement en anglais)
qui contient un bon texte de Jordi Pujol, les notes de tous les disques
originaux, ainsi que la reproduction des pochettes. Les deux
CDs reprennent des titres que Phil Urso a enregistrés en trio,
quartet et quintet, ainsi qu’au sein du Jomar Dagron Quartet et du sextet d’Oscar
Pettiford. Notons que cette livraison ne contient pas de plages avec Chet Baker (se reporter au Fresh Sound 457).
Cette intégrale des années 1953 à 1959 est une belle pièce pour découvrir le
saxophoniste.
Un premier bloc est constitué par huit thèmes édités auparavant sous le titre The Philosophy of Urso. Quatre
d’entre-eux ont été enregistrés en quartet en 1953. On y trouve notamment une
composition de Phil, «Little Pres». Le travail des trois
partenaires permet de mettre le saxophone en valeur et de bien découvrir le
son, la technique et la personnalité de Phil Urso. Quatre autres – des compositions du
saxophoniste – édités originellement sous le titre Phil Urso & Bob Brookmeyer sont enregistrés un an plus tard en
quintet avec Brookmeyer au trombone à pistons mais aussi Horace Silver, Percy
Heath et Kenny Clarke. S’il a pu, un moment, avant ces enregistrements, sonner
un peu west coast (époque avec Woody
Herman), c’est bien chez les boppers que s’alimente Urso. Ça swingue sur tous
les titres, notamment «Chiketa», ça dialogue en permanence avec
Brookmeyer. Pour ne rien gâcher, les trois autres partenaires s’en donnent à
cœur joie. Mentionnons aussi la belle ballade «Ozzie’s Ode».
Deux titres sont issus de compilations éditées sur la Côte Ouest. Pour
«It’s Only a Paper Moon», le quartet de Phil n’est autre que la
formation de Baker avec qui Urso joue à ce moment (1956)… mais sans le
trompettiste! Pour «Too Marvelous for Words» un trombone est
adjoint à la formation. Les deux thèmes swinguent. Evidemment, le saxophoniste
se hisse à une hauteur qu’il ne peut avoir aux côtés de Chet Baker. Ceux qui le
connaissent avec le trompettiste découvrent ici un autre Urso.
Un autre bloc de huit thèmes figure sur ce premier CD. Phil Urso est pour
ceux-ci le saxophoniste ténor et baryton du «Jomar Dagron Quartet»
(nom correspondant aux premières syllabes des membres fondateurs de la
formation: Jo Jo Williams, Marvin Holladay, Dag Walton, Ron Washington). Ce
n’est pas un grand groupe qui entoure ici Urso mais celui-ci en émerge suffisamment
pour que l’on puisse goûter son travail au saxophone baryton sur les standards
«Squeeze me», «Satin Doll», «Pent-up
House», «Star Eyes»… Sans doute pour éviter la comparaison
avec Mulligan c’est au ténor qu’il interprète «Line for Lyons»
ainsi que sa bonne composition «Extra Mild».
Le CD2 débute avec les autres thèmes de The
Philosophy of Urso. Changement total d’ambiance avec ce très mélodique duo
saxo ténor-Hammond pour les cinq – très courts – titres de la session de 1954,
rejoint par un batteur pour les dix autres – à peine plus longs – de celle de
1956. C’est encore contemporain du début de la période Chet Baker mais le
saxophoniste a pris pour ces enregistrements un tout autre chemin. «Sentimental
Journey» pourrait symboliser l’ensemble des quinze plages. La grande
discrétion du batteur tout comme celle de l’orgue dans la plupart des cas,
permet d’apprécier la technique de Phil Urso, et le son cool qui tranche avec
la vigueur des autres thèmes du disque, mentionnés plus haut. On se régale
également avec le très beau phrasé du saxophoniste. «My Heart Stood
Still» et «Easy Out» remporte notre adhésion pour le duo
tandis que le trio brille sur la composition de Ozzie Cadena «Blues to Remember
Her by», «They Can’t Take Away from Me» de George et Ira Gershwin,
«Moonlight Serenade», dans une interprétation plus enracinée dans
le jazz que celle bien connue de Glenn Miller…
Le disque s’achève sur la participation de Urso avec le sextet de Oscar
Pettiford. Ce dernier, signataire de quatre des cinq titres, est au violoncelle
et Mingus à la contrebasse. Urso, plus que Watkins (fhn) donne le ton et assume
quasiment un rôle de leader à côté du violoncelle de Petittford qui prend la
basse dans «Tamalpais». Chronologiquement ces cinq plages font
suite aux quatre premières du CD1 (avec le même W. Bishop Jr. au piano) et le
saxophoniste y distille le même style sauf sur cet étrange «Tamalpais»
dépourvu de dynamisme et d’un swing que l’on trouve dans «Jack the
Fieldstalker» ou «The Pendulum at Falcon’sLair».
Au final, ce double CD aura sa place dans la discothèque d’un jazzophile
un peu curieux.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Florent Souchet/Pierre Bernier/Ilfat Sadykov/Anders Ulrich/Corentin Rio
Talkin' About John
What About,
Le John, Bouncin’with John, Jeanne, L’Audière, Etatique, T.C., Dunes, Château
Rouge, Chief Dalton
Florent Souchet (g), Pierre Bernier (ts,
ss), Ilfat Sadykov (ts), Anders Ulrich (b), Corentin Rio (dm)
Enregistré les 16-17-18-20 Avril 2014, Paris
Durée: 1h
Parallel 001 (Absilone)
Ce quintet
parisien peu connu dans l’hexagone (il a toutefois joué au Sunset-Sunside) est
composé de jeunes musiciens et semble vouloir s’inscrire dans un jazz digne de
ce nom. Les compositions sont toutes de Florent Souchet et ne sont pas dépourvues
de qualités. Elles permettent l’improvisation et le dialogue entre la guitare
du compositeur et les saxophonistes. Il n’y a pas de trompette mais on sent
l’influence du Miles Davis de la deuxième moitié des années 60. Florent Souchet
– qui, par ailleurs, a des connaissances sur plusieurs instruments – maîtrise
brillamment la guitare. Celle-ci, sans écraser les partenaires, est judicieusement
mise en valeur tout au long des dix morceaux. On l’apprécie dans
«Jeanne», les soli dans «What About», «Etatique»,
«Dunes»… et finalement sur tous les thèmes!
Les partenaires du guitariste le valent bien. Pierre Bernier
n’a pas trente ans et ses prestations tant au ténor qu’au soprano sont
superbes. Il faut particulièrement relever «What About», «Bouncin’
With John», «Chief Dalton», la virtuosité au soprano dans
«Etatique». Les soli de
Ilfat Sadykov sont un peu plus rigides et dans l’ensemble les thèmes sur
lesquels il est convié en soliste swinguent moins. Le batteur, qui évite toute
démonstration superflue, et le bassiste soutiennent parfaitement le quintet. Le
groove de la basse est parfait dans «Boucin’ With John». Du bon
jazz. Prometteur!
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Spirit of Chicago Orchestra
Singin' in the Train
Singin'
in the Rain, Fit as a Fiddle, Temptation, Dream of You, I've Got a Feelin'
You're Foolin', The Wedding of the Painted Doll, Should I?, Beautiful Girl, You
Were Meant for Me, Good Morning, Singin' in the Rain (arr. 1936), Broadway
Melody, Broadway Rhythm, You Are My Lucky Star, Sing Before Breakfast
Alexis
Bourguignon (tp1), Jérôme Etcheberry (solo tp), Hervé Michelet (tp), Pierre
Guicquéro (solo tb), Bruno Durand (tb), Stéphane Guillaume, Nicolas Fargeix
(solo sax, cl), Bertrand Tessier, Stéphane Cros, Dominique Mandin (cl, sax), Raphaël
Gouthière (tu), Mathilde Feber, Virginie Turban, Martin Blondeau (vln), Bastien
Stil (p, perc), Remi Oswald (g, bjo), Raphaël Dever (b), Jean-Bernard Leroy
(dm), Scott Emerson (voc: solos, trios, quartets)
Enregistré
les 31 août, 1er et 2 septembre 2015, lieu non précisé
Durée: 59' 15''
Klarthe
Records 008 (Harmonia Mundi)
Les choses sont claires
puisqu'on peut lire dans le livret que c'est «un orchestre de danse des Années Folles qui présente dans leur
orchestration d'origine les arrangements publiés d'époque». Le
programme s'attache au parolier Arthur Freed (1894-1973) et au compositeur
Nacio Herb Brown (1896-1964) qui travaillaient pour la MGM. Le livret prend également
soin de nommer l'arrangeur de chaque morceau et le titre du film d'où il est
tiré, avec sa date de réalisation. Et en effet dès la première version de «Singin'
in the Rain», sautillant à souhait, l'orchestre restitue, à la lettre, le
son d'orchestre de 1929. Ces musiques de variétés américaines, on le sait, sont
fortement influencées par le jazz (et donc, ici, les clins d'œil sont par exemple les solos de Jérôme Etcheberry,
bixien, Guicquéro et Bastien Stil dans «I've Got a Feelin' You're Foolin'»;
celui de sax de Stéphane Guillaume dans «Should I?»). L'orchestre
joue bien ces arrangements, dans l'esprit de l'époque, à s'y méprendre (il doit
faire un tabac dans les festivals off) et il est bien enregistré. C'est donc un
disque de variétés, délectable, qui sort du cadre de la revue Jazz Hot,
ou alors c'est qu'Hugues Panassié et Charles Delaunay n'avaient rien compris.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Terry Waldo's Gutbucket Syncopators
The Ohio Theatre Concert
Introduction,
Some of These Days, Anything for You, The Letter, Maple Leaf Rag*, 12th
Street Rag*, How Could Red Riding Hood?, Sweet Georgia Brown*, My Man Ain't
Good for Nothing but Love*°, Am I Blue, I'm a Great Big Baby*°, There'll Be
Some Changes Made*°, To Keep From Twiddling Their Thumbs*°, Black and Blue*°,
St Louis Blues°, Pastime Rag n°1°, The Entertainer, Atty. Gen. William Saxbe
Comments, Ace in the Hole, The Mooche, At the Jazz Band Ball*
Terry
Waldo (p, voc), Roy Tate (tp), Jim Snyder (tb), Frank Powers (cl, as, ts), Bill
Moorhead (bjo), Mike Walbridge (tu), Wayne Jones (dm, voc), Atty. Gen. William
Saxbe (voc), Edith Wilson° (voc)
Enregistré
le 13 avril 1974, Columbus (Ohio)
Durée: 1h 09' 00''
Delmark
251 (www.delmark.com)
C'est la réédition de l'albumHot House Rag (Delmark 239) avec neuf inédits en plus (*). La vedette est la chanteuse Edith Wilson
(1896-1981) qui, dès septembre 1921, enregistra avec le cornettiste Johnny Dunn
(réédition RST 1522-2). A 15 ans, elle fut la troisième chanteuse de «vaudeville
blues» à graver des disques. Retirée en 1966, elle débute une seconde
carrière en 1972. En 1973-76, elle enregistre d'excellentes faces pour Delmark
(CD 637) avec des vétérans recrutés par le remarquable pianiste Little Brother
Montgomery (Preston Jackson, tb, Ikey Robinson, g-bjo, Truck Parham, b, Franz
Jackson, cl, ss, ts, etc). Elle fait même un superbe show TV en France (1974).
La participation à ce concert donné à Columbus fait partie de son come-back. La
co-vedette aurait dû être Eubie Blake ; tombé malade, c'est Terry Waldo qui le
remplace en piano solos (excellents «Maple Leaf Rag», «Pastime
Rag n°1», «The Entertainer»). L'orchestre réunit par Terry
Waldo n'a pas la saveur de ceux de Little Brother Montgomery. C'est du bon
dixieland comme l'atteste «The Letter» (bonne introduction de
trombone de Jim Snyder, Waldo est bon, bien soutenu par Wayne Jones, et Frank
Powers oscille entre Pee Wee Russell dans le solo et Johnny Dodds en collective
finale). Frank Powers, responsable des arrangements, a de bons moments («Sweet
Georgia Brown»). Le cornettiste est vulgaire sans le panache d'un Wild
Bill Davison mais bon avec le plunger («The Mooche»). Le tuba,
enregistré trop fort, a de bons états de service (Art Hodes, Albert Nicholas,
Lil Hardin, Ted Butterman) et donne une fondation solide et souple («St
Louis Blues»). Mais c'est Edith Wilson qui "brûle les planches"
par sa façon émouvante et sobre d'interpréter rendant l'orchestre meilleur («My
Man Ain't Good For Nothing But Love»). Il est probable que Carol Leigh se
soit inspirée d'Edith Wilson, Doc Cheatham aussi («Black and Blue»).
A 78 ans, elle contrôle moins bien sa voix, mais ça n'a pas d'importance. C'est
une comédienne («I'm a Great Big Baby») et elle a une diction
claire (lignée Ethel Waters). Pas négligeable sans être indispensable.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Slavery in America
Redemption Songs 1914-1972
Titres
et interprètes communiqués sur le livret
Enregistré
entre le 11 septembre 1914 et 1972, Congo, Haïti, Trinidad, Guadeloupe,
Jamaïque, Brésil, Cuba, Etats-Unis
Durée
: 3h 23' 26''
Frémeaux
& Associés 5467 (Socadisc)
Né en 1960, l'auteur du
livret, Bruno Blum, est le reflet des comportements actuels : des "connaissances" cumulées (les pages 4-5 sont un bon résumé sociologique)
vierges de toute réflexion (l'actuelle société est ainsi faite et on voit les
glorieux résultats : enseignement, économie, social, politique, etc): un
fatras! Vouloir croire à une survivance à travers les siècles de caractéristiques
africaines immuables traduit cette absence de rigueur intellectuelle. Il serait
plus utile (mais le veut-on?) d'analyser pourquoi avec des ascendants communs
les résultats sonores venus à maturité plusieurs siècles plus tard sont si
différents. Ce qui amène au principe d'acculturation (cité une fois, page 4,
sans définition) puis à la notion de «double acculturation» connue
des ethnologues mais ici ignorée (fait de «réinventer»
l'Afrique-mère hors du territoire, plusieurs générations après les premiers
transplantés). Rien ne prouve que cet enregistrement de 1938 à Brazzaville («chant
d'invitation à la danse») «donne une idée...cent ans avant».
C'est du romantisme, pas une approche scientifique. La portion "étiquette jazz"
dans ces 3 CDs est mince: 7 morceaux sur 72 (Louis Armstrong, Duke Ellington,
Red Saunders, Ornette Coleman, John Coltrane, deux Max Roach). «Song of
the Cotton Field» de Percy Granger enregistré en 1926 par Duke Ellington
est une évocation artistique qui ne reflète pas la réalité de la vie des
premiers esclaves 300 ans plus tôt! Pas de doute sur la politisation des artistes
Max Roach et Abbey Lincoln (nom très symbolique puisque c'est Abraham Lincoln
qui a mené la lutte pour l'abolition de l'esclavage aux Etats-Unis) dans «Freedom
Day», mais franchement le «Free» d'Ornette Coleman (ici,
version 1958 avec Paul Bley) a un autre sens (se libérer du carcan harmonique).
Concernant les racines/cousins du jazz, environ 8 titres blues/rock'n roll/R'n
B/Soul (Bo Diddley, Tennessee Ernie Ford, Josh White, Pr Longhair, Sam
Cooke,..) et, on s'en doute, c'est plus copieux pour le spiritual/gospel, 16
titres (Mahalia Jackson, Golden Gate Quartet, Rev. J.M. Gates, Ebony Three avec
Sammy Price et Buster Bailey, Blind Boys of Alabama, les Charioteers, ...). A
noter qu'à notre sens c'est Billy Butterfield plutôt que Joe Wilder le trompette
solo dans «Work Song» par Oscar Brown Jr (1960). Tout cela est de
l'excellente musique. A noter une bonne version de «Bamboula» de Gottschalk par Eugene List (p) très
chopinesque. Un coffret pour les curieux.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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The Fat Babies
Chicago Hot
Snake
Rag, London Cafe Blues, San, Alexander's Ragtime Band, I Surrender Dear,
Dardanella*, Black Snake Blues, Here Comes the Hot Tamale Man, Froggie Moore,
Willow Tree, Weary Blues°, Liza, Please, Susie, Tight Like This, Stomp Off
Let's Go
Beau
Sample (b), Andy Schumm (cnt), Dave Bock (tb), John Otto (cl, as*, ts°), Mike
Walbridge (tu), Jake Sanders (bjo), Paul Asaro (p), Alex Hall (dm)
Enregistré
les 19 et 20 juin 2012, Chicago
Durée: 1h 00' 34''
Delmark
253 (www.delmark.com)
Il s'agit d'un groupe de
jazz traditionnel dirigé par Beau Sample comme il n'en manque pas. Deux membres
dominent, Andy Schumm et Paul Asaro. J'ai souvenir de Paul Asaro en compagnie
de Wendell Brunious et Orange Kellin à Ascona. On a ici confirmation de son
talent, principalement dans «Stomp Off, Let's Go» (avec partie de
cornet à la Armstrong), «Willow Tree» (Alex Hall est plaisant aux
balais, trop court et délicieux passage cornet-piano en duo), «Liza»
(duo piano-drums). Le jeune Andy Schumm est connu comme un cornettiste bixien,
ce qu'il sait être en effet (solo dans le chapeau : «Dardanella»),
sans ignorer Red Nichols («Alexander's Ragtime Band»). Dans ce
créneau, on retiendra ce «San» (également bonne clarinette version
Noone, piano et basse en slap du leader). Sa prestation sweet avec
sourdine dans «Please» est de qualité. Mais on découvre aussi son
côté armstrongien dans «Weary Blues» (bons stop chorus) et «Tight
Like This» (où son solo est dans l'esprit, pas dans la stricte copie). Il
est plaisant de retrouver ici «Here Comes the Hot Tamale Man» bien
connu des fans de Freddie Keppard (bon solo de basse du leader). L'introduction
de trombone dans «Susie» est bien. Globalement tous ces musiciens
jouent de façon experte ce qu'ils ont choisi d'interpréter ici.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Roberta Donnay
Bathtub Gin
Bathtub Gin, Why Don't You Do
Right, If You Want The Rainbow, Wake Up and Live, Just What Me Doctor Ordered,
When I Take My Sugar to Tea, Shake Sugaree, Throw Your Heart, Put The Sun Back
In the Sky, Happy Feet, Bye Bye Blackbird, Kitchen Man, Smile, Horizontal
Mambo, I Gotta Right to Sing the Blues
Roberta Donnay (voc, arr), Rich
Armstrong (tp, cnt, fgh, voc), Wayne Wallace (tb, arr), Danny Grewen (tb, voc),
Shelon Brown (cl, ts, bs, voc), Steve Malerbi (hca), John R. Burr (p), Sam
Bevan (b, arr), Michael Barsimento (dm), Deszon Claiborne (dm, voc), Nicolas
Bearde, Annie Stocking, Eddy Bee (voc)
Date et lieu d’enregistrement
non précisés
Durée: 1h 03' 08''
Motéma Music 166 (www.motema.com)
Roberta Donnay (née en 1966)
signe là un album intéressant. Elle a commencé à 16 ans. A San Francisco, elle
se produit pour Dick Oxtot (sans doute une bonne école puisque Janis Joplin s'y
frotta au blues en 1963-65). Elle fréquente divers genres (premier disque en
1989) pour revenir au "jazz" en 2005. Ce disque est une bonne surprise. Roberta
Donnay a beau afficher son amour pour les vieilles chansons et pour les stars
du passé, elle nous offre une musique qui ne sonne pas datée, soit en big band,
soit avec trio. Elle chante certes d'une façon maniérée qui n'est pas l'essence
expressive de Bessie Smith, Sippie Wallace, Victoria Spivey, Ida Cox ou même
Ethel Waters et Billie Holiday auxquelles elle fait référence. C'est léger, pas
de drame. Les arrangements en big band sont percutants. Rich Armstrong fait du
bon travail de lead trompette (mais, sans doute à cause d'un choix
d'embouchure, sa sonorité n'est pas séduisante). L'orchestre "envoie” dans «Bathtub
Gin» (bon solo de Sheldon Brown, bs),
«Happy Feet» (bon solo de Sheldon Brown). On pense à Peggy
Lee dans «Why Don't You Do Right?», une réussite de l'album, mais
Robeta Donnay ne copie pas (bon maniement du plunger par Rich Armstrong et
Wayne Wallace). L'orchestre et le sax ténor sont bons dans «Wake Up and
Live», «Sugar to Tea» et «Bye Bye Blackbird»
(alternative piano-batterie). Le tempo est bien lent pour «Smile» où
Sam Bevan, Rich Armstrong, Steve Malerbi prennent de bons solos. Touche dixie
dans «Throw Your Heart» (clarinette et plunger du trompette). L'«Horizontal
Mambo» est de la bonne variété. Les titres en trio sont d'un niveau
variable. On oubliera «If You Want the Rainbow» (bon solo de Sam
Bevan) et «Shake Sugaree» (tendance folk). En revanche, le swing
est présent dans «Just What the Doctor Ordered» (duo vocal avec
Nicolas Bearde), «Put the Sun Back in the Sky» (chœur genre Boswell
Sisters), «Kitchen Man» et «I Gotta Right to Sing the Blues»
(excellents contre-chants et solo de trompette bouchée en plus). Le pianiste
John R. Burr est excellent dans tous les titres. Si ce n'est pas du jazz actuel
satisfaisant, ça y ressemble dans le contexte d'une médiocrité générale.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Eli & The Hot Six
Live. Contemporary Jazz Classic
Honeysuckle
Rose, St James Infirmary, Oh By Jingo, Perdido, Chinatown My Chinatown, Body
and Soul, I Can't Give You Anything But Love, Bei Mir Bist Du Schoen, Just
Squeeze Me, Them There Eyes, Charlie on the MBTA, Tiger Rag*
Eli Newberger (tu), Bo Winiker (tp), Herb Gardner (tb), Ted Casher (cl, ts, ss,
voc), Bob Winter (p), Jimmy Mazzy (bjo, voc), Jeff Guthery
(dm), Rebecca Sullivan (voc), Randy
Reinhart* (cnt)
Enregistré
les 3 décembre 2013, 5 et 14 janvier 2014, 2-3 avril 2014, Sherborn (Massachusetts)
Durée: 1h 07' 15''
Autoproduit
(www.elinewberger.com)
C'est un groupe dixieland
dirigé par le tubiste Eli Newberger. Le premier titre (en public, 2013), «Honeysuckle
Rose», puis «Perdido» donnent une impression défavorable: ça
ne swingue pas et les minauderies de la chanteuse sont fastidieuses. En
revanche, le pianiste, membre du Boston Pops, est bon (il joue en piano solo «Oh
By Jingo”). Jimmy Mazzy (bj, voc) est vedette d'un «St James Infirmary»
très mou, et de «Chinatown, My Chinatown» (avec sympathique solo de
tuba), dans lesquels l'orchestre n'est pas fameux (le soprano est une épreuve).
Ted Casher, chanteur épouvantable, est au mieux de ses possibilités au ténor,
non sans copier Coleman Hawkins («Body and Soul»). L'excellent
Randy Reinhart n'apparait que dans un titre, pas le plus favorable («Tiger
Rag»). Ce disque a un public (américain) qui se satisfait de reconnaître
les morceaux. Le jazzfan tirera plus de profit à (ré)écouter les disques de
Louis Armstrong, Duke Ellington, Ella Fitzgerald et Coleman Hawkins.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Orrin Evans
The Evolution of Oneself
All The Things You Are (prelude), For Miles,
Genesis I, Autumn Leaves, Wildwood Flower*, Sweet Sid, Genesis II, Jewels &
Baby Yaz, Iz Beatdown Time, Spot It You Got It, Genesis III, Feb 13th,
A Secret Place*, Ruby Red, Tsagli’s Lean, Professor Farworthy, All The Things
You Are (Spring Feathers)°, All The Things You Are
Orrin Evans (p), Christian McBride (b), Karriem
Riggins (dm), Marvin Sewell* (g), JD Walter° (voc)
Enregistré le 17
décembre 2014, New York
Durée: 1h 18' 21''
Smoke
Sessions Records 1507 (http://smokesessionsrecords.com)
Ayant pris des cours à deux pianos avec Kenny
Barron (Jazz Hot n°673), Orrin Evans avoue une influence majeure du Philadelphia sound sur son œuvre - Larry Carlton (g) a évoqué le versant soul de ce son, par un hommage aux producteurs Kenny Gamble et Leon Huff, dans Plays the Sound of Philadelphia (335
Records, 2010). Représentant d’un jazz moderne ouvert aux
autres formes d’expression musicale, il s’est inspiré de musiciens comme Eddie
Green et Bobby Watson, à l’instar de Christian Mac Bride également originaire
de la scène de Philadelphie. Après avoir publié sept disques chez Criss Cross,
et conduit deux autres formations, Tarbaby et Captain Black Big Band, Orrin
Evans réunit sur The Evolution of Oneselfun trio à la cohésion
irréprochable, qui ne craint pas d’allier
post-bop, néo-soul et jazz-funk, sans jamais perdre le sens du swing. L’unité sonore de ce patchwork
musical est assurée par la production impeccable de Paul Stache, qui met particulièrement
en valeur les interventions des solistes. Il s’agit curieusement de la
première collaboration enregistrée sur disque entre Christian Mac Bride et le
leader alors qu’ils jouent ensemble depuis longtemps, et le plaisir de l’écoute
réside en partie dans cette complicité évidente, servie par une riche
expérience commune.
Au niveau du style, le
pianiste se distingue par l’usage de motifs répétitifs qui confèrent un aspect presque
hypnotique à certains gimmicks, tandis que l’apport de Christian Mac Bride
s’avère essentiel dans la texture sonore et l’architecture des morceaux. Karriem Riggins s’illustre tout
particulièrement par son art des liaisons, qui culmine au travers d’un
magnifique solo de batterie sur «Professor Farworthy». Les interludes hip-hop de
«Genesis», l’hommage soul jazz rendu à Grover Washington Jr, «A
Secret Place» ou l’épisode country folk de «Wildwood Flower» sont
quelques-uns des moments marquants de l’album, des références qui témoignent du
parcours très personnel retracé sur The
Evolution of Oneself. A cet égard, la relecture de
«Jewels and Baby Jaz», de Jafar Baron, constitue certainement le véritable
point d’orgue de l’enregistrement, faisant du néo soul d’Orrin Evans une
composante à part entière du jazz moderne.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Anne Wolf
Wolf in the Wood
Ladies in Mercedes, Estamos aï, Overjoyed, Wild
Flower, Caminhos Crueados, On Green Dolphin Street, Mambo influenciado, Theme for
Ernie, Saint Thomas, Growlin’Face, Cantabile
Anne Wolf (p, arr), Stefan Bracaval (fl), Chris Joris
(perc), Sal La Rocca (b)
Enregistré les 17 et 18 décembre 2015,
Saint-Josse-Ten-Noode (Bruxelles, Belgique)
Durée: 1h 13' 36''
Mogno Music j0532 (www.mognomusic.com)
Pari osé pour Anne Wolf qui a choisi de laisser son compagnon (Théo
De Jong, bg) sur la touche pour ce nouveau quartet. Pari osé pour le choix de
thèmes qu’elle n’a pas composés. Pari osé aussi pour avoir préféré enregistrer live. Mais pari justifié par le choix de
ses accompagnateurs: Stefan Bracaval («On Green Dolphin’
Street»), Sal La Rocca («Wild Flower») et Chris Joris («Mambo
Influenciado», «Saint Thomas»). Ne refusons pas ce parfum
d’authenticité avec ses essoufflements et ses accélérations («Estamos
aï»); les tensions/détentes font partie de l’esthétique. Anne Wolf
n’est pas une virtuose au sens strict du terme, mais c’est une personne
sensible, gentille. Son jeu apparait parfois un peu raide, mais enduite elle
vous prend la main, puis le bras et dépose
un baiser pudique sur votre joue. On connait son attachement pour la samba, les chansons brésiliennes
(«Caminhos Cruzados» de Jobim) et la latin-attitude en général («Mambo
influenciado» de Chucho Valdès). Son répertoire passe aussi par la valse
(«Wild Flower»), les belles mélodies: «Overjoyed»,
«Cantabile» de Michel Petrucciani et «Growlin’Face» de
son mentor Charles Loos. Anne Wolf se love avec délectation (nous aussi)
dans «Theme For Ernie» de Fred Lacy. Avec «On Green Dolphin Street»,tous les solistes tournent, très à l’aise.
Sonny Rollins aimerait-il cette version "caravanisante"
de «Saint Thomas»? Stefan Bracaval et Chris Joris se font
trop rare sur nos scènes. Une raison de plus pour aimer cet album joliet qu’on
écoute un mojito à la main, dans un transat à la plage ou au jardin.
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Sonny Rollins
The Quintessence: 1957-1962
CD1:
Old Devil Moon, Theme From Tchaikovsky's Symphony Pathetic, Freedom Suite, Body
and Soul, Manhattan, Grand Street, Who Cares?, You Are Too Beautiful, Doxy,
I'll Follow My Secret Heart; CD2: In The Chapel in the Moonlight, How
High the Moon, The Bridge, God Bless the Child, Don't Stop the Carnival, The
Night Has a Thousand Eyes, Jungoso, Doxy
Sonny
Rollins (ts) et diverses formations
Enregistré
de 1957 à 1962, New York, Lenox, Los Angeles
Durée:
1h 11' 48'' + 1h 09' 44''
Frémeaux
& Associés 3064 (Socadisc)
Une
sélection du Sonny Rollins de cette période autour de son retrait provisoire de
la scène, entre l’été 1959 et 1962, est forcément indispensable, pas forcément
pour les raisons communément avancées de l’histoire mythologique du doute qui
envahit l’artiste face à la concurrence, car Sonny Rollins est déjà un
grand. Comme le souligne Alain Gerber, l’auteur de la sélection et des notes de
livret, Sonny Rollins a profité de son retrait pour continuer à approfondir son
art. Le contrebassiste Henry Grimes, présent sur quelques pièces de cette
époque, connaîtra lui-aussi une éclipse autrement plus longue et profonde. Comme
tout créateur, Sonny Rollins en a profité pour s’enrichir intérieurement, pour
réfléchir sur le sens de sa vie, sur l’articulation entre les racines et son
besoin de novation, d’affirmation de sa personnalité en ces temps où tout
semble aller très vite dans le jazz.
Cette
interrogation s’impose à lui dans l’âge d’or d’un jazz encore jeune, malgré
quelques disparitions d’importance (de Bessie Smith et Fats Waller à Billie
Holiday et Lester Young en 1959, en passant par Clifford Brown, Art Tatum et
Charlie Parker). Les grands courants sont actifs, et la création bat son plein
–ce n’est rien de le dire. Les enregistrements exceptionnels de toutes les
générations et styles s’accumulent. Les échanges intergénérationnels
s’intensifient (pour Charlie Parker comme pour John Coltrane), malgré une
«nouvelle» critique avide de rupture (qui contribua à une scission
artificielle), de nouveauté obligée (qui participa de la négation des
racines), de phénomènes de mode liés au développement commercial d’une
industrie de la musique à l’échelle internationale (qui déboucha sur la dérive consumériste
dont le jazz souffre aujourd’hui). Sonny Rollins est aussi probablement
concerné par le statut de l’artiste afro-américain aux Etats-Unis, dans cette
période charnière (New York est une fenêtre de reconnaissance pour le jazz aux
Etats-Unis), et bien qu’ayant dix ans de carrière, ne peut pas être insensible
à ce bouillon de culture, pour évoquer l’un des titres («The Night Has a
Thousand Eyes») qui servit de générique sonore, valorisant et indissociable, à
l’émission de Bernard Pivot vingt ans après.
Donc,
pour ce deuxième volume de cette collection consacrée à Sonny Rollins, on a de
splendides thèmes d’avant et d’après les promenades solitaires de Sonny
Rollins et de son saxophone sur le pont.
Compte tenu de la beauté de l’expression, il n’était pas très difficile de
trouver matière à cette compilation: on peut s’arrêter avec plaisir sur chacun
des thèmes, mais il faut remarquer une production plus essentielle dans les
années cinquante. Que ce soit dans le registre post-parkérien («Old Devil
Moon») ou dans l’évocation des racines et de la tradition du saxophone
(«Body and Soul» en solo en référence à Coleman Hawkins), ou encore
pour la dimension «recherche et développement» («Freedon Suite»), tout Sonny
Rollins est déjà là, pour toujours, et ce n’est pas pour rien qu’il est un
ténor majeur des années 1950, et qu’il le restera pour les six décennies
suivantes. Une sonorité épaisse et veloutée, une dextérité parkérienne, une
manière unique de traîner sur le temps, de rouler les notes, une inspiration et
un lyrisme certains, confirme l’une des personnalités fortes du jazz des années
cinquante, malgré son jeune âge (moins de 30 ans). Ses rencontres avec Charlie
Parker, Dizzy Gillespie, Max Roach, Art Blakey, Miles Davis, Thelonious Monk, John
Coltrane en témoignent plus que des discours.
Le
retour de Sonny Rollins en 1962 n’apporte rien de vraiment nouveau aux qualités
d’un artiste d’exception, si ce n’est une sensibilité plus grande aux
trompettes de la renommée ou aux sirènes de la critique, ce qui rend parfois
moins profonde, moins naturelle et moins libre (malgré l’étiquette d’époque)
son expression. Il n’est que d’écouter les deux «Doxy» proposés ici, peut-être
avec malice par Alain Gerber, pour constater que celui de 1958 avec la rythmique
du Modern Jazz Quartet (John Lewis, Percy Heath, Connie Kay) est à notre sens
plus essentiel, enraciné et novateur, que celui de 1962 qui sacrifie à quelques
clichés du temps, y compris en matière de mise en place, et qui a moins bien
vieilli. On confirmera Alain Gerber dans son intuition, à savoir que Sonny
Rollins était à la recherche du génie de Sonny Rollins, sans savoir qu’il était
déjà là. Et quand Sonny Rollins reste simplement lui-même, naturel, en 1962
(«God Bless the Child») comme en 1958 («Body and Soul»), il est simplement l’un
des plus grands ténors de l’histoire du jazz, un digne descendant du grand
Hawkins et le second père de centaines de saxophonistes de par le monde: un
idéal, un absolu.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Stan Getz
Moments in time
Summer Night, O Grande Amore, Infant Eyes, The Cry of the
Wild Goose, Peace, Con Alma, Prelude to a Kiss, Morning Star
Stan Getz (ts), JoAnneBrackeen (p), Clint Houston (b), Billy Hart (dm)
Enregistré du 11 au 16 mai 1976, San Francisco
Durée : 1h 15’
Resonance Records 2021 (www.resonancerecords.org)
Stan Getz/João Gilberto
Getz/Gilberto '76
Spoken Intro by Stan Getz, É Preciso Perdoar, Aguas de
Março, Retrato Em Branco E Preto, Samba da Minha Terra, Chega de Saudade, Rosa
Morena, Eu Vim Da Bahia, João Marcelo, Doralice, Morena Boca de Ouro, Um Abraço
No Bonfá, É Preciso Perdoar (Encore)
Stan Getz (ts), João Gilberto (g), JoAnne Brackeen (p),
Clint Houston (b), Billy Hart (dm)
Enregistré du 11 au 16 mai 1976, San Francisco
Resonance Records 2020 (www.resonancerecords.org)
Comme toujours chez Resonance, le livret est exemplaire:
on trouve dans celui de Getz (28 pages) de superbes photos de Tom Copi, des
textes de Feldman, Barkan, Ted Panken, Steve Getz, des interviews de Hart,
Brackeen, et des citations de Branford Marsalis et Joshua Redman. Dans celui de
Getz/Gilberto (32 pages), il compte, en complément, un texte de James Gavin et
Carlos Lyra sur la bossa nova. On y lit, entre autres, que Stan Getz était l’un
des saxophonistes préférés de Coltrane (avec Earl Bostic, Lester Young, Sonny
Stitt et Dexter Gordon). Ces deux albums confirment assurément cette lignée dans
laquelle Getz s’inscrit, si certains en doutaient encore. Moments in Time est un enregistrement, passionnant, émouvant, par
la qualité de la musique qui y est jouée, par son exigence aussi, et parce
qu’il est l’unique trace de ce groupe de Getz,composé de JoAnne Brackeen
(p), Clint Houston (b) et Billy Hart (dm), qui dura d’octobre 1975 à février
1977. L’engagement au Keystone Korner (mai 1976) correspond aussi aux
retrouvailles de Getz et Gilberto, qui enregistrèrent The Best of Both Worlds (Columbia) un an plus tôt (en mai 1975), dont
l’album sortit en septembre 1976. Dans cette sélection, composée de standards, Stan Getz, en
très grande forme, joue avec un son énorme, riche, plein d’âme et une rythmique
du tonnerre. On lit d’ailleurs dans le livret qu’il ne s’était jamais senti
aussi soutenu que par ces sidemen-là. On peut le comprendre. Brackeen, Houston
et Hart donnent tout et sont des accompagnateurs incomparables.
«Summer Night» commence très fort et annonce la
couleur avec le groove de Houston (b) et le jeu très musclé de Brackeen (p), dont
on sent à la fois l’influence de McCoy Tyner et une expressivité très personnelle.
Après la samba «O Grande Amor» (Jobim, Moraes), Getz joue «Infant
Eyes» (Shorter), un des plus beaux titres de cette sélection, une ballade
gorgée d’émotion, avec un long solo poignant de Getz, avant de laisser la place
à la pianiste au jeu tout aussi profond, pendant le dernier tiers du morceau.
Sans doute pour casser un peu le rythme, «Cry of the Wild Goose» sonne
avec ses accents jazz-funk, pleins d’énergie. Les deux titres suivants comptent
aussi parmi les plus beaux: dans «Peace» d’Horace Silver, le
ténor y montre sa maîtrise, son expérience, ses mille talents. Son
interprétation est bouleversante. Le morceau le plus long (12 minutes) est
«Con Alma». On y entend un long solo du ténor qui gagne en
intensité. Puis deux autres ballades, « Prelude To A Kiss» et
«Morning Star», aussi superbes. Si dans cette sélection, Stan Getz est
au sommet de son art, elle rend justice à la pianiste JoAnne Brackeen, mettant
en lumière son immense musicalité, sa technique, son jeu complexe, très franc au
son très personnel. Rappelons qu’elle joua autour de ces années avec Art Blakey
et les Jazz Messengers (1969-1972) et Joe Henderson (1972-1975). A l’inverse, l’excellent
Houston – Roy Haynes (1969-1970), Roy Ayers (1971-1973), Charles
Tolliver (1973-1975)
– souffre un peu de la sélection. Il n’en reste pas moins très présent
et son jeu épatant. Tout comme Hart, magnifique, rompu à toutes les situations.
Avec Getz/Gilberto '76, on change d’atmosphère, à l’image de
la pochette de l’album: une peinture de l’artiste portoricaine Olga Albizu (1924-2005), pionnière de
l’expressionnisme abstrait aux Etats-Unis, dont les œuvres ont illustré d’autres disques de Stan Getzdans les
années 1960 (Jazz Samba,
Verve, 1962; Big Band Bossa Nova,
Verve, 1962; Jazz Samba Encore!,
Verve, 1963; Getz/Gilberto, Verve,
1964; Getz/Gilberto Vol. 2,
Verve, 1966). Disons-le tout de suite, le titre est trompeur. Si Getz et
son quartet sont bien présents, c’est avant un tout un album de Gilberto. Sur
ces douze titres, la voix chaude, délicate, sensible du chanteur, son jeu si
naturel et son immense technique à la guitare sont un enchantement. Après une introduction de Getz, qui salue l’excellence de son
camarade mais regrette qu’il ne joue pas davantage, le ténor devient un
accompagnateur impeccable. Il est d’ailleurs frappant de voir combien le
quartet s’efface au profit du Gilberto. Hormis «Retrato Em Branco
E Preto»
et «Doralice» sur lesquels Getz joue un solo, un peu fort
peut-être, comparé à la fragilité du chanteur-guitariste, et «Chega de
Saudade» et «Eu Vim Da Bahia» en quartet, Gilberto joue seul,
passionnément sur «E Preciso Perdoar», «Aguas de Marco»,
«Samba da Minha Terra», «Rosa Morena», «Morena
Boca de Ouro», «Um Abraco No Bonfa», et un instrumental,
«João Marcelo». Tous les titres sont des merveilles, de véritables œuvres
d’art.
Mathieu Perez
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Frank Catalano
Bye Bye Blackbird
Chicago Eddie, Bye, Bye Blackbird, Sugar, All Blues, At Last, Shakin
Frank Catalano (ts), David Sanborn (as), Nir Felder, (g), Demos Petropoulos (org),Jimmy Chamberlin (dm)
Durée: 31’
Enregistré en 2015, Chicago
Ropeadope LLC 2014 (www.ropeadope.com)
La trilogie du saxophoniste de Chicago Frank Catalano s’achève sur ce Bye Bye, Blackbird qui fait donc suite àGod’s Gonna Cut You Down et à Love Supreme Collective (Jazz Hot n° 674). A l’hommage à Coltrane
succède celui à Miles Davis; inévitable reconnaissance au trompettiste
qui a su donner sa chance à Frank à ses débuts. Hommage aussi à Eddie Harris, à
travers «Chicago Eddie», saxophoniste de Chicago dont la sonorité a
marqué Catalano, ainsi qu’à son mentor Von Freeman avec «Sugar»
thème que celui-ci a joué dans son album At Long last George.
Pas plus que Love Supreme Collectiven’était une reprise de l’œuvre de Coltrane, l’intention de Catalano n’est de
faire une cover des deux thèmes rendus célèbres par Miles: «Bye Bye
Blackbird» et «All Blues». Catalano s’est entouré de
partenaires dont le style s’éloigne de celui du trompettiste, reflète leur personnalité
et se fond avec celle du saxophoniste. L’absence de piano rompt évidemment avec
les quartets et quintets de Miles et l’introduction du B3 change la donne, offrant
un caractère particulier à l’ensemble du disque. Pas de bassiste non plus mais
la guitare de Nir Felder est beaucoup trop discrète à notre goût. «Bye
Bye Blackbird» prend un air de jouvence. Si l’introduction est moins
sèche que dans la version de Miles, le thème est plus dynamique. Présent sur ce
thème David Sanborn et son alto dialoguent avec le ténor. L’excellent et
énergique solo de Jimmy Chamberlin – à travers lequel on perçoit l’influence
rock de celui-ci – rompt avec le travail plus délicat de Philly Jo Jones. C’est
aussi ce thème qu’avait choisi Keith Jarrett pour son hommage personnel au
trompettiste. C’est de nouveau le B3 qui lance un «All Blues» bien
plus court que l’original. Le saxophone ténor prend le rôle de la trompette de
Miles mais Frank ne peut pas s’appuyer sur le back ground de Coltrane et
Cannonball comme le faisait Davis. Seul face au thème, Catalano montre ses
aptitudes, son talent, et sa sonorité est mise en valeur. De nouveau, Chamberlin
s’illustre dans un style évidemment à cent lieues de ce que proposait Jimmy
Cobb qui n’offrait pas de solo, Miles devant juger cela inutile pour ce thème.
Frank voit les choses autrement et celui proposé par Chamberlin s’insère bien
dans la version présente. Le saxophoniste aurait pu aussi sur ce thème inviter
Sanborn mais on a du pur Catalano.
Pour quelle raison Frank Catalano a-t-il choisi «At last»? Mystère.
Le thème existe sur un disque sur lequel figurent Miles et Chet Baker mais
c’est en réalité Chet qui joue. Originellement le thème est joué très cool mais
débute ici avec un Catalano à cent pour cent, donc débordant de puissance avant
de donner de la souplesse à son jeu et de revenir vers une ambiance (un peu)
plus cool. Exit Sanborn. Frank joue de bout en bout et peut s’appuyer sur un
excellent groove de Chamberlin et un travail discret du B3. «Chicago
Eddie» est un peu répétitif mais la prestation au saxophone est de
qualité et Jimmy autant que Petropoulos et Nir Felder à la guitare sont
valorisés. Revenons sur «Sugar» ou de nouveau Catalano échange avec
Sanborn, par moment dans un véritable dialogue. Le tempo permet d’apprécier le
détail du jeu de Catalano qui montre toute la richesse de son style. Le B3 est
encore à son avantage. Von Freeman peut être satisfait de son influence! «Shakin» est une reprise du thème initial du
disque God’s Gonna Cut You Down. Chamberlin
et Petropoulos étaient déjà présents sur la première mouture. Pas vraiment de
grosses différences avec celle-ci. Le thème dure le même temps, l’introduction
au B3 est identique, précédant l’entrée du saxophone, de la batterie et des
autres partenaires. Catalano laisse la place à Petropoulos qu’on trouvait plus
percutant dans la version initiale et à un solo démoniaque de Chamberlin. Nir
Felder dans son intervention surpasse en qualité le guitariste de la première
version. Il a aussi la possibilité de s’exprimer plus longuement. Le thème
s’achève avec un excellent retour du saxophoniste.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Emil Spányi/Jean Bardy
Very Blue
Very Blue, I Love You Porgy, I’ve never Been in
Love Before, Comme Sunday, Nothing Like You, Three Clowns, Walkin’, Sa Majesté
César II, Black Smoke, Anton’s Journey, Autumn Nocturne
Emil Spányi (p) Jean Bardy (b)
Enregistré les 24 et 25
avril 2014, lieu non précisé
Durée: 1h 06'
Parallel 002 (Absilone)
Ce disque est musicalement un beau disque. Toutefois,
malgré une solide formation et une remarquable maîtrise de l’instrument, le
Hongrois Spányi lui n’a su (ou voulu) greffer que rarement ses connaissances du
jazz - certes un peu froides - acquises en côtoyant de bons jazzmen. La
composition qui donne le titre à l’album «Very Blue» se charge de
swing et est sans aucun doute la meilleure pièce du disque. Son autre apport,
«Black Smoke», très belle œuvre, ne relève pas du jazz ni
l’interprétation du classique «Autumn Nocturne» du compositeur
russo-américain Josef Myrow.
Son partenaire de duo, Jean Bardy, n’a rien à lui envier au point de vue de la
formation musicale. Il se révèle un accompagnateur particulièrement à
l’écoute du pianiste. Jean Bardy offre lui aussi deux compositions sur
lesquelles il montre sa virtuosité personnelle. Il débute à l'archet «Sa
Majesté César II», puis c’est Spányi qui lui sert l’accompagnement. C’est
beau mais là encore ce n’est pas du jazz, pas plus que «Anton’s Journey».
Le duo a pioché dans les standards à trois reprises ainsi que chez Gershwin.
Pour «I loves You Porgy» on reste un peu sur sa
faim. Le toucher délicat du pianiste sur «Come Sunday» d’Ellington
nous rapproche de la version du duo Mulgrew Miller/NHOP. « Three
clowns » reste joué dans le même esprit classique et il est peu probable
que Wayne Shorter, son auteur en soit ravi. Reste le «Walkin» que
Carpenter avait offert à Miles Davis. Cette fois le duo est vraiment dans le
jazz et si l’interprétation n’a rien à voir avec celle du trompettiste, elle
est excellente tant de la part de Spányi que de Bardy qui montre là
son bagage jazzistique acquis dans les clubs parisiens depuis quelques lustres.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Emile Parisien Quintet
Stufamo
Préambule, Poulp, Le Clown Tueur de la
Fête Foraine I*, Le Clown Tueur de la Fête Foraine II, Le Clown
Tueur de la Fête Foraine III*, Duet for Daniel Humair, Brainmachine,
Umckaloabo, Balladiza I, Balladiza II
Emile Parisien (st, ss), Joachim Kühn
(p), Manu Codjia (g), Simon Tailleu (b), Mario Costa (dm) + Michel Portal* (bs cla), Vincent Peirani* (acc)
Enregistré les 16, 17 et 18 mai 2016,
Pernes-les-Fontaines (83)
Durée: 59'
ACT 9837-2 (Harmonia Mundi)
Avec ce nouveau groupe en quintet,
Emile Parisien, nous propose un album (le septième) moins évident
que ses précédents mais qui confirme désormais sa stature de
leader. «Sfumato» signifie nuancé en italien et l’artiste s’en
inspire pour en définir tel un peintre les contours de cette
nouvelle toile. Album plus grave, plus adulte et moins enjoué, il
faut entrer dans les méandres embrumées d’un jazz bien européen,
la suite «Le Clown Tueur de la Fête Foraine I, II , III» donne le
ton où chaque partie, servie avec des invités, met en valeur ses
propos originaux. Mélancolie, fin d’une adolescence rieuse, le
propos paraît plus grave, la plupart des compositions sont signées
par Emile Parisien. Pas de conflit de génération entre Joachim Kühn
(72 ans) et le jeune Emile (34 ans), Joachim est le pianiste du
groupe et non simplement un invité, et chaque musicien apporte sa
solide contribution à une œuvre sérieuse. Maîtrise parfaite du
soprano et du ténor pour une expérimentation plus alambiquée et
ambitieuse réussie, cet album marque sans aucun doute une nouveau
tournant pour cet artiste qui triomphe sur la scène mondiale. Une
nouvelle référence du jazz portée par cet ancien élève de
l’école de Marciac. On pourra préférer l’instrumentiste
facétieux et tout aussi inventif en concert où son tempérament
s’exprime avec sérieux, fougue, humour et folie.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Hubert Dupont
Golan Al Joulan Vol. 1
Haifa la Nuit - Pt.1, Haifa la Nuit -
Pt.2, Turquoise, Tust –Pt. 2, Morning Promise, Pass Pass
Hubert
Dupont (b), Youssef Hbeisch (riq, bendir, derboukas, perc), Ahmad Al
Khatib (oud), Zied Zouari (vln), Matthieu Donarier (cl)
Enregistré en octobre 2015,
Fontenay-sous-Bois
(94)
Durée:
46'
Ultrabolic 1004 (Musea)
Hubert
Dupont a toujours su emprunter une voie particulière dans le jazz et
ce dès son premier groupe de jeunesse, Kartet. La genèse de ce
nouveau groupe et album remonte en 2013 quand Ahmad Al Khatib et
Youssef Hbeisch invitent Hubert Dupont pour un concert à l’Institut
du Monde Arabe, qui sera suivi par une tournée en Palestine, puis,
en 2014, par des concerts en France et en Finlande. Les musiciens se
présentent alors sous le nom du Trio Sabil. Dès le premier titre
«Haifa la Nuit-Pt.1», l’horizon musical est révélé par
l’introduction au oud d’Ahmad Al Katib; ce devrait être un
voyage oriental, mais Zied Zouari, jeune tunisien (23 ans), introduit
une certain changement à la tradition, percussions et ligne de basse
maintiennent et illustrent le tempo qui donne une entière liberté
au violoniste. La caravane poursuit son voyage au levant sur la
seconde partie du même titre et ce sera Matthieu Donarier qui
s’illustrera en particulier avant de laisser place aux percussions
de Youssef Hbeisch. «Turquoise» rappelle qu’Hubert Dupont est un
de nos contrebassistes de haut niveau et dans une introduction brève
et claire invite la compagnie à se joindre à la mise en valeur de
sa ligne mélodique développée en un long solo soutenu
essentiellement par la derbouka. Cet album s’inscrit plus dans
l’esprit du jazz que dans sa forme et nous charme par sa pureté et
par l’entente et l’écoute commune de musiciens formés à
différentes écoles. N’oublions surtout pas la flûtiste, Naïssam
Jalal qui s’illustre sur le dernier morceau «Pass, Pass». L’album
a été enregistré durant la manifestation Musiques au Comptoir, à
Fontenay-sous-Bois, devant un public plus qu’attentif. La totalité
des compositions est signée par Hubert Dupont qui a aussi réalisé
le mixage, très équilibré, de l’album, pour son label et
structure de production Ultrabolic, qui défend aussi de nombreux
projets menés par cet artiste.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Itamar Borochov Quartet
Outset
Pain Song, Samsara, Bgida, Boston Love
Affair, Ovadia, Opening, One For Uzi
Itamar Borochov (tp), Hagai Amir (as),
Avri Borochov (b), Aviv Cohen (dm)
Enregistré en mai 2011, Tel Aviv
(Israël)
Durée: 58’
RealBird Records
(www.itamarborochov.com)
Itamar Borochov
Boomerang
Tangerines, Shimshon, Eastern Lullaby,
Jones Street, Adon Olam, Jaffa Tune, Avri’s Tune, Ça va Bien,
Wanderer Song, Prayer Itamar Borochov (tp), Michael King (p),
Avri Borochov (b, oud, voc, sazbush), Jay Sawyer (dm) + Ysraël
Borochov (jumbush, voc)
Enregistré du 6 au 12 décembre 2015,
Malakoff (92)
Durée: 52' 16''
Laborie Jazz 36 (Socadisc)
Plus de quatre ans séparent ces deux
enregistrements lesquels confirment le talent de ce jeune
trompettiste de 32 ans, originaire d’Israël, qui depuis 2007 vit à
Brooklyn. Cet ancien élève de Junior Mance, Charles Tolliver et
Cecil Bridgewater, a choisi de raconter son histoire qui relie Lower
Manhattan à l’Afrique du Nord, l’Israël moderne (Jaffa, Tel
Aviv) et l’antique Boukhara (mythique route de la soie). Son
inspiration et son style viennent du hard bop mais revisité par de
multiples influences puisées dans une enfance passée à Jaffa
(ville judéo-chrétienne-musulmane) au sein d’une famille de
musiciens où l’on écoutait Edith Piaf comme Weather Reaport. La
musique sacrée juive, fondée sur les gammes arabes, a complété
son initiation. Mais c’est sa confrontation à la scène
new-yorkaise qui lui a amené l’aisance du propos et un
professionnalisme tout américain. Les deux albums se partagent entre
son inspiration traditionnelle – pour les titres «Samsara, Bgida»
sur Outset et «Adon Olam», «Jaffa Tune» sur Boomerang–, et des titres bien marqués, tirés de sa confrontation urbaine
américaine «Pain Song», «Boston Love Affair», mais aussi
«Eastern Lullaby», «Jones Street», «Prayer» l’ensemble
toujours joué dans une ligne bop moderne. Nul besoin de choisir un
album plutôt que l’autre, tout est bon il n’y a rien à jeter.
Son jeu parfois acrobatique révèle une maîtrise de vieux briscard
et sait jouer avec mille nuances. La clarté du propos lui permet de
n’user d’aucun artifice et sa sonorité très mate se distingue
parmi celle de ses contemporains. On peut relever le talent de ses
accompagnateurs, en particulier du pianiste Michael King. Itamar
avait participé cet été à la nouvelle création du danois Lars
Danielsson, European Sound Trend, y jouant un rôle principal
de soliste. Le trompettiste sera en tournée en France en novembre
2016 avec à ses côtés l’excellent pianiste Shai Maestro.
Décidément la scène jazz israélienne nous livre de nombreux
talents.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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John Beasley
MONK'estra Vol. 1
John Beasley (p, elp, synth), Reggie
Hamilton, Ricky Minor (b), Gary Nova (dm), Joey de Leon (perc), Bob Sheppard,
Danny Janklow Justo Almario, TomLuer, Thomas Peterson, Jeff Driskill (anches),
Wendell Kelly, Ryan Dragon, Eric Miller, Steve Hughes, Paul Young (tb), Bijon
Watson, Jamie Hovorka , Brian Swartz, Gabriel Johnson, Mike Cottone (tp), Alex
Budman (s),
Epistrophy, Skippy, Oska T, Monk’s
Procession,’Round Midnight, Ask Me Now, Gallop’s Gallop, Little Rootie Tootie,
Coming on the Hudson
Enregistré en 2015, Los Angeles, New
York, Miami, Venice
Durée: 55’
Mac Avenue Mac 1113 (www.mackavenue.com)
Encore du Monk! Mais dès les premières notes d’«Epistrophy» on sait
qu’avec son big band est ses arrangements John Beasley a gagné son pari. C’est
qu’il n’est pas le premier venu: à 56 ans il signe une carrière des plus
intenses. Parmi ses collaborations on compte des arrangements et supervisions
de séances d’enregistrement pour Miles Davis, Steely Dan, James Brown, Sergio
Mendes, Freddie Hubbard ou encore Chick Corea… Il travaille aussi pour la
télévision (Star Trek, Disney) et
pour Hollywood, notamment Carmine Coppola pour Le Parrain III…
En 2015, il réalise un vieux rêve, diriger un big band consacré à la
musique de Thelonious Monk et signe ainsi son neuvième album personnel. Chaque
titre revisité mérite un traitement spécial et aucun n’a jamais sonné de cette
façon. Dès le premier morceau, l’introduction est fabuleuse et le soliste ici
mis en valeur sera un vibraphone, plutôt rare chez Monk. Pour «Skippy», la
bataille des cuivres ravage l’arrangement pour laisser place à un saxophoniste
alto puis une trompettiste plus qu’inspirés. «Oska T» introduit par un son
électronique et la voix de Monk himself, qui termine sur un «merci beaucoup»,
vole d’éclat sous un tempo de la contrebasse pour laisser place, une nouvelle
fois, à un dialogue trompette – big band époustouflant. Chaque titre est une
pépite à découvrir où les solistes nous émerveillent, il n’est pas précisé qui
prend les solos mais on saluera tous les musiciens pour leur fougue et leur
travail d’ensemble. John Beasley très discret ne manque pas de se mettre juste
en valeur sur le solo de piano de «‘Round Midnight». Charlie Mingus n’aurait
pas renié l’arrangement d’un long «Little Rootie Tootie» ou l’effervescence
fait place à de subtiles mignardises pour mettre en valeur la section des
saxophones. Un dernier double souhait, la suite par un second album et l’écoute
prochaine en concert de cet orchestre lors d’une tournée en France.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Jean-My Truong
Secret World
11 titres: détail sur le livret
Jean-My Truong (dm), Nicolas Calvet (voc), Sylvain Gontard
(tp, flh), Leandro Aconcha (p), Pascal Sarton (b) + Neyveli Radhakrishna (vln),
Dominique Di Piazza (b), Balakumar Paramalingam (Mridangam) + String Quartet
Enregistré à Meudon
(78)
Durée: 54’ 35’’
ODL 171649 (www.jeanmytruong.com)
On connaît les qualités de batteur de Jean-My Truong:
drumming fin, sobre, joli toucher des baguettes, élégance des cymbales,
pulsation exemplaire, à l’écoute et au service du collectif et des
solistes; toutes qualités qui servent ce Secret World qui manifeste une volonté d’abolir les frontières
musicales Occident-Orient. Soit, mais les musiques d’Occident et d’Orient sont
variées et multiples. Ceci posé, les intentions, les inspirations, et le
résultat concret sont des choses aléatoires et pas toujours réalisables ou
réalisées. Jean-My Truong s’est tourné vers les musiques indiennes et bengalis,
avec la complicité de musiciens de ces régions. Le violoniste indien
Radhakrishna, qui joua avec Ravi Shankar, est remarquable sur «Bengali
Friend» et encore plus sur «Indian Journey» avec un
formidable et diaboliquement virtuose solo de basse de Dominique Di Piazza,
qui, on s’en souvient, joua avec John McLaughling; d’ailleurs le meilleur
du disque est dans ces morceaux qui rappellent le fonctionnement du Mahavishnu
Orchestra. Pour le reste on est dans une sorte de fusion années 70-80 avec un
chanteur qui s’appuie sur de longues vocalises à l’unisson avec divers
instrument sur des onomatopées majoritairement en ou. On retrouve la belle
sonorité du trompettiste, qui produit un long et beau solo sur «A New
Soul», très volubile comme dans toutes ses interventions ici. Autant
j’avais apprécié «The Blue Light», un hommage particulièrement
réussi à Miles Davis, autant on l’aura compris, je n’adhère que du bout de
l’oreille à cette musique. Les compositions et les arrangements sont du leader.
Dans l’ensemble le déroulement des morceaux est par trop semblable, et je
trouve que le chanteur emmène trop les morceaux vers une sorte de world music,
qui hélas affecte de plus en plus les musiciens de jazz. Ce qui n’entache pas
la sincérité des musiciens de ce disque.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Fred Nardin/Jon Boutellier Quartet
Watt's
Watt’s, Round Twenty Blues, The Gentleman is a Dope, Hope, Highlanders’s Walk,
East of the Sun, Not so Cold, Yatchan, Stevie the Great, Chinoiserie
Fred Nardin, (p), Jon Boutellier (ts),
Patrick Maradan (b), Romain Sarron (dm) + Cécile McLorin Salvant (voc), David
Enhco (tp), Bastien Ballaz (tb)
Enregistré, les 28 et 29 juillet 2013, Meudon
Durée: 55’
Gaya Music Productions 023 (Socadisc)
Il se peut que parmi le "grand public" du jazz beaucoup
ne connaissent pas vraiment Fred Nardin et Jon Boutellier. Auquel cas ce disque,Watt’s, est le bienvenu car loin des "recherches" de certains pour inventer ce qui serait un "nouveau" jazz, un "jazz du XXIe siècle", les deux compères et leurs partenaires jouent
vraiment LE jazz. Celui qui remonte de ses racines, s’alimente des années
50-60, et poursuit sa route sans s’égarer en intégrant l’histoire et le moment présent.
Les membres du quartet se connaissent parfaitement, chacun est attentif à l’autre
et la formation nous régale au long des thèmes,
pour la plupart œuvres de trois membres du groupe: Nardin, Bouteiller et
Maradan. Tout est équilibré, délicat, distillé pour le plaisir des sens.
L’unité du disque n’empêche pas l’éventail d’atmosphères.
On se rend vite compte que Jon Bouteiller est un saxophoniste qui a travaillé à
l’écoute de ses prédécesseurs et possède une maîtrise parfaite -de l’instrument c’est évident- mais aussi du
jazz. Fred Nardin, qui n’a rien à lui envier, est brillant, avec un plus sur
les tempi lents. Un morceau joué en
quartet est particulièrement beau: «Not so Cold» pour lequel le piano disparaît au profit d’un Fender. Le
batteur Romain Sarron est détenteur d’une connaissance de tous les styles et ça
swing! Patrick Maradan offre deux thèmes rythmiquement différents mais restant
dans l’esprit du disque. Pour les trois morceaux puisés dans le répertoire du
jazz le quartet a fait appel à des invités. Cécile McLorin chante sur «The
Gentleman is a Dope». On peine à croire qu’elle n’est pas la chanteuse permanente
du groupe tant elle s’y intègre aisément. Je ne reviens pas sur ses qualités;
Cécile fait aujourd’hui partie des grande voix du jazz. Elle récidive sur «East
of the Sun». Dans les deux cas se joignent aussi à la formation la trompette de
David Enhco et le trombone de Bastien Ballaz. Tous deux donnent de l’éclat à l’ensemble et la
chanteuse en profite aussi pour apporter de la puissance. Les deux
instrumentistes sont aussi invités sur la «Chinoiserie» de Duke Ellington et
s’en donnent à cœur joie.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Yves Peteers Gumbo
The Big Easy Revisited
My Gumbo’s Free, This Time,
New Orleans by Dawn, Force of Nature. Part 1, Force of Nature. Part 2,
Lighthouse, 24 Hours Later, Masquerade, No Hero, True Love Pie, Street Parade
Yves Peeters (dm), François Vaiana (voc), Bruce
James (p, voc), Nicolas Kummert (ts), Dree Peremans (tb), Nicolas Thys (b, eb)
Enregistré en juin 2015,
Bruxelles (Bruxelles)
Durée: 57’ 54’’
W.E.R.F.Records 136 (www.dewerfrecords.be)
Si vous vous êtes promené dans les rues de New
Orleans, comme l’ont fait Yves Peeters et Pierre Vaiana, vous aimerez cet album
qui goûte le jambalaya. La musique est celle d’aujourd’hui, là-bas: un mélange
de marching bands, de blues et de jazz,
groovy, funky. «This Time», «True Love Pie» et «New Orleans by Dawn» sur lesquels
apparait Bruce James (p, voc) illustrent parfaitement ce feeling du Delta. Son
jeu de piano évoque Dr. John; sa voix: Joe Cocker. Sur les autres plages, on épinglera le soin mis
à l’écriture des lyrics par François Vaiana. Au chant, le fils de Pietro (ss,
avec L’Ame des Poètes) est plus réservé que
l’américain (tessiture); on perçoit l’influence de David Linx («24 Hours
Later»). «No Hero», écrit par Yves Peeters, arrangé par Dree Peremans , est un
authentique gospel qui se clôture par une belle fin chantée en
choral (chorale aussi sur la fin de «Street Parade»). La rythmique (b/eb-dm) est autoritaire, volubile,
hallucinante; vaudou sur «Force of Nature. Part 2». Comment pourraient-ils se
passer du feeling de Nicolas Thys à la basse électrique sur le gospel «No Hero»,
sur «Street Parade», «My Gumbo’s Free» et ailleurs? Les solistes – Nicolas
Kummert (ts, «Force of Nature. Part 1») et Dree Peremans (tb) – impriment
une étiquette plus jazz, plus contemporaine. Ne jetez pas cette carte postale avec
un parfum de Bourbon! Il est permis de danser!
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Teodora Enache-Aisha & Theodosii Spassov
Incantations
Romanian Dance No. 4, Dance in Bulgarian Rhythm 2,
Romanian Dance No. 2, Romanian Dance No. 3, Dance in Bulgarian Rhythm 1,
Romanian Dance No. 1, Dances in Bulgarian Rhythm 4 and 5, Romanian Dances No. 5
and 6 Teodoara Enache-Aisha (voc), Theodosii Spassov (kaval),
Miroslav Turiyski (key), Attila Antal (b), Oleksandr Beregovsky (perc)
Enregistré entre juin et septembre 2015, Cluj-Napoca
(Roumanie)
Durée: 43’ 07’’
E-Media/Autoproduit (http://teodora.arts.ro)
Pour ceux qui ont vu chanter Teodora Enache en France, en club, ce
disque sera une découverte, une surprise, car le jazz n’y a qu’une place
accessoire –une couleur– loin de ce que nos oreilles l’ont entendu
produire au sein de formations de jazz, et elle a en effet côtoyé
beaucoup de musiciens de jazz: Stanley Jordan, Eric Legnini, Billy
Cobham, Johnny Raducanu…
La découverte s’explique par l’absence et
l’ignorance, car depuis ses rares passages en France, l’élégante
chanteuse a fait beaucoup de chemin, aux Etats-Unis, dans sa vie et dans
sa carrière en général, et cela l’a conduit, comme souvent pour les artistes, à une
redécouverte et un approfondissement de ses racines, de ce qui a été à
la base de sa culture, musicale entre autres dimensions. Cet
enregistrement se place dans un cycle de redécouverte des racines, dont c’est le quatrième volet,
précédés par plusieurs autres depuis 2002 (Back to My Roots, Shorashim, Doina…).
Teodora est roumaine, et si le jazz a son histoire en Roumanie (Jazz Hot a eu un correspondant roumain dès 1935), c’est aussi un pays riche de
plusieurs traditions musicales, un carrefour historique entre l’Orient et
l’Occident, où musiques traditionnelles (juive, tzigane,
traditionnelles, orientales…) et musiques savantes, locales ou
d’importation, classique et jazz, s’entremêlent dans un écheveau
inextricable. Parmi les musiciens roumains, eux-mêmes de toutes les
sensibilités, on trouve souvent des virtuoses, des savants, car la musique est
la vie, en Roumanie aussi.
Teodora Enache (Jazz
Hot n°587) livre ici un hommage à Béla Bartók (1881-1945), né en
Roumanie au temps de l’Empire austro-hongrois, compositeur qui a
exploité avec autant de conviction que d’assiduité le grand répertoire
des musiques populaires. Teodora a réuni pour cet enregistrement une
formation où l’instrumentation traditionnelle –notamment la magnifique
flûte traditionnelle (kaval) de Theodosii Spassov, coleader de cet
enregistrement– mais aussi la conception des percussions contribuent à
un climat très nettement oriental. Tous les thèmes sont inspirés de Béla Bartók.
C’est ainsi que sont ici
reprises et réarrangées les «Danses roumaines» et «Danses en
rythme bulgare» du pionnier de l’ethnomusicologie. Dans
le livret, la chanteuse exprime son attachement à l’œuvre de Bartók.
Teodora ne jazzifie pas Bartók, elle prolonge simplement sa recherche de
racines, à travers une inspiration majeure, Bartók, en y intégrant une couleur jazz par moment qui fait aussi
partie de sa formation, de ce qu’elle est. Mais la tonalité générale de
l’album, une belle musique, reste orientale, populaire et traditionnelle, proche finalement de ce que
désirait la chanteuse roumaine, une musique mêlant de nombreuses
influences mais faisant d’abord référence aux racines roumaines. Sa voix
cristalline, acrobatique, envoûtante, et son mariage avec la flûte
traditionnelle de Theodosii Spassov,
donne chair à un projet honnête, une sorte d’autoportrait de ce qui a
constitué, produit Teodora Enache. La conviction de la voix de la
chanteuse ne trompe pas. Ce n’est un disque de jazz mais c'est un beau voyage…
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Harold Mabern
Afro Blue
The Chief*, Afro Blue (Gregory Porter)*°, The
Man From Hyde Park (Gregory Porter), Fools Rush In (Norah Jones)*°, Don't
Misunderstand (Norah Jones), I'll Take Romance (Jane Monheit)*, My One and
Only Love (Jane Monheit), Billie's Bounce (Kurt Elling)*, Portrait of Jennie
(Kurt Elling), You Needed Me (Kurt Elling), Such Is Life (Alexis Cole)*°, Do It
Again (Peter Bernstein), Mozzin', Bobby/Benny/Jymie/Lee/Bu
Harold Mabern (p), Jeremy Pelt (tp)*, Eric
Alexander (ts), Steve Turre (tb)°, John Webber (b), Joe Farnsworth (dm) + selon
les thèmes : Gregory Porter, Norah Jones, Jane Monheit, Kurt Elling,
Alexis Cole(voc), Peter Bernstein (g)
Enregistré les 21 et 29 août 2014, New York
Durée : 1h 09' 32''
Smoke Sessions Records-1503 (http://smokesessionsrecords.com)
Harold Mabern, c’est la générosité sur scène
et hors scène; c’est aussi la modestie. Ajouté à ses qualités artistiques de
pianiste d’exception, leader autant qu’accompagnateur, dans la lignée
esthétique de la grande tradition du piano jazz, de la famille esthétique de
McCoy Tyner, cela donne un artiste archétypique du jazz de culture; celui qui
ne se récite pas, mais celui qui se vit, pas seulement dans le contenu musical
proprement dit, mais au quotidien, dans tous les instants. Quand il joue tout
est donc naturellement du jazz, c’est son langage.
On le retrouve ici dans une formation qui
évoque les Jazz Messengers d’Art Blakey (tp, ts, tb, p, b, dm), mais dans une
formule proposant des rencontres, de différents chanteurs, pour 10 des 14
thèmes, plus 1 en ouverture en quintet (« The Chief ») dédié à John
Coltrane, dont c’était un surnom, 2 thèmes en trio en final qui relèvent pour
le premier de l’univers tynérien-coltranien (« Mozzin »), et pour le
dernier de celui plus funky des Messengers auxquels il est dédié («Bobby,
Benny, Jymie, Lee, Bu», soit Bobby Timmons, Benny Golson, Jymie Merritt, Lee
Morgan et Buhaina Art Blakey, «Bu» pour les intimes).
Pour la partie consacrée aux chanteurs/ses,
aux côtés d’un bel orchestre, et d’un pianiste d’une élégance et d’une écoute
exceptionnelle, on retrouve avec plaisir un excellent Gregory Porter, qui
possède tous les arguments pour se mettre au niveau spirituel de cet ensemble,
comme le «versatile» Kurt Elling, à sa manière, d’abord dans le registre d’Eddie
Jefferson puis dans une manière, plus pop, puis plus soul, pour un thème
sortant du champ esthétique de ce disque («You Needed Me»), Kurt Elling, dont
on connaît l’excellent esprit, la grande culture et les qualités de dynamisme,
pour trois thèmes avec un leader qui se met au diapason des
variations esthétiques (Harold colore son jeu et sa formation en fonction des
thèmes).
Côté chanteuse, on apprécie l’intervention de
Jane Monheit, qui possède une réelle profondeur, et profite pleinement, avec
autant de métier que d’esprit, de cette belle rencontre avec des musiciens de
haut niveau, dont elle partage l’esthétique, Harold Mabern en particulier. Alexis
Cole intervient aussi sobrement, sur un beau thème écrit par Harold Mabern. Reste
la rencontre, problématique pour nous dans ce disque, de Norah Jones, personnalité
qui relève d’un autre monde, du show business, et pas à la façon d’un Sinatra
qui pouvait s’intégrer n’importe où, mais à la façon d’une personne dont
l’expression reste artificielle et superficielle, malgré le cadeau que lui fait
Harold Mabern d’un duo piano-voix; et malgré ses commentaires.
En guise de notes de livrets, Harold Mabern
donne une interview à Damon Smith et commente ce disque, d’ailleurs agréablement
pour l’auditeur, les thèmes et les protagonistes, et a un commentaire élogieux
et parfois précis pour chacun d’eux.
Dans ce disque, aussi varié qu’une soirée
d’anniversaire, il faut encore signaler la présence de Steve Turre (4 thèmes),
Jeremy Pelt (6 thèmes), venus compléter, sans se forcer, l’habituel combo
d’Harold Mabern (Eric Alexander, John Webber, Joe Farnsworth), et un autre
invité sur un thème («Do It Again»), l’excellent Peter Bernstein, qui ne s’est
pas non plus fait prier pour faire partie de cette scène new-yorkaise très
active.
Car Harold Mabern, c’est aussi la joie de
jouer, de faire de la musique, et son entrain, son drive sont de ceux qui électrisent
les musiciens de jazz, et ça se ressent pour l’auditeur, les deux dernières
pièces étant, à notre avis, la nougatine la plus appréciable de cette pièce
montée.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Steve Turre
Spiritman
Bu, Lover Man, Funky Thing, Trayvon's Blues,
It's Too Late Now, With a Song in My Heart, ’S Wonderful, Peace, Nangadef,*
Spiritman-All Blues
Steve Turre (tb), Bruce Williams (as, ss),
Xavier Davis (p), Gerald Cannon (b), Willie Jones III (dm), Chembo Corniel
(congas)*
Enregistré le 1er juin 2014, New
York
Durée: 1h 09’ 55”
Smoke Sessions Records 1502 (http://smokesessionsrecords.com)
De toute la série récente des disques de ce
label new-yorkais qui propose des enregistrements toujours très intéressants
d’un jazz de culture, le plus souvent enraciné dans l’héritage du bebop-hard
bop, celui des Messengers, d’Horace Silver, voire coltranien, cet opus de Steve
Turre est parmi les plus intéressants. Steve Turre (Jazz Hot n°604) aime toujours le jazz comme s’il avait 20 ans, et
il conserve dans son jeu très élaboré le feu et l’enthousiasme de son jeune âge.
On retrouve ici en ouverture, comme dans le disque d’Harold Mabern sur le même
label, un hommage à Art Blakey («Bu»), figure essentielle de la biographie de
Steve Ture, aux côtés de Woody Shaw et Roland Kirk. C’est Art Blakey, que lui présenta Woody Shaw, qui emporta
à New York, dans ses valises, lors d’un passage à San Francisco, le jeune
tromboniste en l’intégrant sur le champ à ses Messengers, comme il le raconte
dans les notes de livret, et Steve Turre confie qu’il n’a pas peur de swinguer,
car il sait que c’est le fondement du jazz.
Ici, le tromboniste revient à son jeu virtuose
de trombone, et s’il parle de Curtis Fuller dans le livret, on ne peut
s’empêcher de penser aussi à J. J. Johnson par sa manière sur les ballades
(«It’s Too Late Now»). Bien sûr, les tempos enlevés et les ensembles évoquent
aussi l’univers d’Art Blakey-Horace Silver, et donc Curtis Fuller. Cela dit car
Steve Turre connaît ses racines, mais il est par lui-même un formidable instrumentiste,
original autant par certaines atmosphères, par l’utilisation des conques et
d’effets très expressifs, que par un drive qui le rapproche de son maître
Blakey.
A propos de batteur, il y en a un formidable,
Willie Jones III, qui en dehors d’avoir fait la couverture de Jazz Hot n°669, dirige aussi un label,
et joue ici avec ses qualités de finesse et d’énergie qui le rendent essentiel
pour le jazz aujourd’hui. Le reste de la formation est également excellent, avec
les brillants Bruce Williams, Xavier Davis et Gerald Cannon, et comme le
répertoire, mêlant beaux standards et originaux, a été parfaitement choisi et
construit, cela donne un de ces disques qu’on peut passer sans s’en lasser pour
écouter toute la richesse musicale, des arrangements, des instrumentistes, les
chorus que chacun délivre sans faiblesse.
Le «Lover Man» sur tempo rapide est très beau,
Bruce Williams parkérien comme il se doit; le swing et le blues, parfois funky («Funky Thing»), ont toujours la
part belle tout au long de cet enregistrement; il y a un bel hommage à Horace
Silver («Peace») qui venait de disparaître au moment de l’enregistrement, où
Bruce Williams expose le thème avec le beau contrechant du trombone, avant de
s’adjuger un beau chorus, et le dernier thème, «All Blues» de Miles Davis,
introduit par «Spiritman» de Turre, est une pure merveille, les conques rappellent en effet l’univers de Roland Kirk.
Un beau thème est dédié à Trayvon Martin («Trayvon»), l’adolescent abattu en
2012. Gershwin Bros. (’S Wonderful») sont présents pour un thème, de même que
Rodgers & Hart («With a Song in My Hart») pour un magnifique up-tempo où brille particulièrement
Willie Jones III. «Nangadef» associe un percussionniste, Chembo Corniel, et le résultat n’en est que meilleur, avec de
beaux chorus et une couleur latine en sus.
Tout semble très naturel, très enraciné dans
cette musique, savant sans étalage, et c’est pourquoi on parle d’un jazz de
culture, celui pour lequel on ne se pose pas la question de savoir si ça
swingue, si le blues est présent, si l’expression est au rendez-vous, car ce
jazz à de fertiles racines, et il se
sent et se vit de l’intérieur autant pour les musiciens que pour l’auditeur.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Jean-Loup Longnon
L'Ours
L'Ours,
conte symphonique pour quintette de cuivres et orchestre (1), La Grèce en
Automne (2)
(1)
Concert Arban : Thierry Caens, Jean-Paul Leroy (tp, fgh), Eric Vernier (h),
Yves Favre (tb), Michel Godard (tu) & Orchestre Symphonique Ephémère
direction Dominique Rouits : Philippe Slominski, Patrick Fabert, François
Chassagnite (tp), François Lemonnier, Jean-Louis Pommier, Denis Leloup (tb),
Patrice Petit-Didier (h), Vincent Guyot, Philippe Leloup, Rémy Duplouy (cl),
Sylvie Dambrine, Bernard Labiausse, Daniel Martinez, Georges Alirol, Nicole
Libraire (fl), Christian Moreau, Gérard Gaudillère (ob), Jean-Claude Montac,
Jean-Paul David, Philippe Grech (bsn), strings, Laurence Cabel (hp), Philippe
Legris (tu), Emmanuel Roche (tymp), Bertrand Maillot, Didier Sutton, Franck
Tortiller (perc) ; (2) Sinfonietta Ephémère direction Jean-Loup Longnon :
Jacques Peillon (h), Sylvie Dambrine, Gérard Auger (fl), Rémy Duplouy (cl),
Vincent Friberg (ob), Jean-Pierre Gayet (bsn), Nathalie Prouteau (hp), Yvon
Kerouanton (celesta), strings, Philippe Macé (tymp), Didier Sutton (perc)
Enregistré
(1) décembre 1984, Paris; (2) novembre 1992
Durée: 37' 46''
JLLBB2016
(UVM Distribution)
Il ne s'agit pas là du
Jean-Loup Longnon trompettiste, mais du compositeur. «La Grèce en Automne»
(4' 39'') est une bonus track(extraite de l'album Cyclades). L'évènement est la réédition de L'Ours,
conte symphonique, dédié à Henri Dutilleux (37' 02''). L'Ours (éditions
Robert Martin) est une commande de Thierry Caens. Depuis toujours les jazzmen
sont fascinés par la «musique classique» (Louis Armstrong vouait une admiration
pour Tchaikovsky) : «durant trois
ans, la composition de cette pièce avait représenté pour moi, échappant au
jazz, l'occasion unique de revenir vers l'indispensable musique "classique",
celle ayant imprégné mon enfance et que, d'année en année, je chérissais
davantage» (Jean-Loup Longnon). Il se trouve que j'ai participé comme
troisième trompette à la création de cette œuvre à Dijon le 12 août 1982 au
sein de l'Orchestre Symphonique de l'Académie d'Eté dirigé par Roger Toulet. Il
y avait aussi Charles Loerher (tp1), Claude Bonnet (tp2), Joël Vaïsse (tb1),
Philippe Renault (tb2), Eric Vernier (h), Marc Dullion (cl1), Martine Cappozzo
(fl1). Le Concert Arban, quintette de cuivres, comprenait à cette date Camille
Leroy (h) et Gérard Buquet (tu). Il s'agissait d'une première version et je me
souviens de la fébrilité de Jean-Loup Longnon, anxieux de savoir si tel passage
de violon ou autre est difficile ou non. Ce fut pour nous un étonnement, un
ravissement, mais aussi beaucoup de travail. Jean-Loup Longnon a révisé le
score pour la forme définitive enregistrée ici (1984) au célèbre studio Davout
avec des musiciens bénévoles. Il avait, à juste raison, peur que ce travail
connaisse l'oubli après la création ce qui est le lot des "d'œuvres" modernes commandées pour des
congrès, colloques, conférences et autres manifestations commises "entre
musiciens".
L'autre obstacle est que L'Ours s'écoute sans déplaisir,
enfantée à une époque où régnait le terrorisme avant-gardiste des adeptes du
sériel qui condamnaient à l'ombre les tenants d'un degré de mélodie et rythme
comme Jolivet, Tomasi, Dutilleux, etc. Ces résistants ont gagné, les compositeurs
actuels reviennent au sens mélodique et rythmique. L'ombre redevient lumière et
l'œuvre symphonique de Jean-Loup Longnon a légitimement droit à une nouvelle
vie! Voici L'Ours remixé et remasterisé. Bien sûr, le rôle de l'ours est
tenu par le tuba (Michel Godard). C'est lui qui introduit le 1ermouvement, relayé par le quintette de cuivres en fanfare. On notera la belle
phrase mélodique du cor (Eric Vernier) reprise par les trompettes. L'entrée de
l'orchestre avec la partie de harpe évoque Ravel plus que le développement qui
suit (cordes de caractère romantique). Fôret, clairière sont l'argument pour
d'intrigantes parties de hautbois, basson, clarinette. Les cuivres se signalent
dans la troisième partie du 1er mouvement avec même un solo de bugle (Jean-Paul
Leroy, je crois me souvenir) qui l'espace d'un moment swingue. Le tuba ouvre le
2e mouvement. La flûte est sollicitée dans ce nocturne. Percussions
et cuivres ouvrent le 3e mouvement de façon virile et rythmique.
Jean-Loup Longnon a complété l'œuvre par des variations autour de la note mi et
par un mouvement «souvenirs,…, apaisement». La bonus track s'inscrit dans la même esthétique. Longue vie à L'Ours.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Buddy Bolden Legacy Band
Back and Forth The King's Fath
Makin'
Runs, Make Me a Pallet On Your Floor, High Society Rag, Down By The Riverside,
Jelly Roll Blues, My Bucket Got a Hole in It, Buddy's Habits, Careless Love,
Buddy Bolden Stomp, Turkey in The Straw-St James Infirmary, Creole Song-If You
Don't Shake It You Don't Get no Cake, Basin Street Blues, Buddy Bolden Blues,
Get Out of Here*
Fabrizio
Cattaneo (tp), Luca Begonia (tb), Marcello Noia (cl), Stefano Guazzo (ss, cl),
Roberto Colombo (g), Egidio Colombo (bj), Alberto Malnati (b, voc), Robert
Lopez (dm), Elena Ventura (voc)
Enregistré
les 23 janvier* et 12 juillet 2015, Varese (Italie)
Durée: 1h 03' 25''
Riserva
Sonora 2015/08 (www.riservasonora.com)
Alberto Malnati, musicien
d'obédience "moderne" longtemps imperméable au "jazz traditionnel", qui eut
l'occasion de jouer avec Plas Johnson et Jesse Davis, n'est tombé sous le
charme du feeling néo-orléanais qu'à partir de sa première visite à la Cité du
Croissant (1992). Dans le livret il précise: «I don't know if this record should be defined as Dixieland, or
New Orleans revival or New Orleans today's style, I call it JAZZ». En
fait, la majorité des titres sonnent «dixieland» principalement du
fait du soprano de Stefano Guazzo (préférable à la clarinette qu'il joue
rarement). Le programme est assez recherché et détaillé dans le livret (des
points sont discutables). Comme le
Bechet-Spanier Quartet de 1940, il y a des titres selon cette formule (tp, ss,
g, b) qui ne sont pas les moins intéressants: «Make Me A Pallet on Your
Floor», «Jelly Roll Blues», «My Bucket Got A Hole In It»,
«Creole Song», «Basin Street Blues» et «Buddy
Bolden Blues» dans lesquels Fabrizio Cattaneo confirme ses qualités de
trompettiste issu de la lignée Armstrong. Alberto Malnati est bon bassiste qui
sait manier l'archet («Turkey in the Straw»), mais quel fâcheux
chanteur! Elena Ventura est préférable dans ce bon «Careless Love».
En formation complète (batteur un peu raide), en plus de Cattaneo, on peut
apprécier le talent de Luca Begonia (tb) notamment dans «Makin' Runs»
de Bunk Johnson, «High Society» et «Buddy's Habits».
Belle coda de Fabrizio Cattaneo dans «St James Infirmary».
Sympathique, sans plus.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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Dominick Farinacci
Short Stories
Bamboleo,
Senor Blues, Soldier's Things, Doha Blues, Sunshine Of Your Love, Tango,
Somebody That I Used to Know, Afternoon In Puebla, Black Coffee, Parlour Song
Dominick
Farinacci (tp, fgh, arr), Mark Mauldin (tb), Heidi Ruby-Kushious, Brianne
Sharkey (fl), Thomas Reed (bcl), Larry Goldings (p, org, celesta), Gabe
Bolkosky (vln), Leah Ferguson (vla), Sawyer Thomson (cello), Gil Goldstein
(accn, arr), Dean Parks (g), Christian McBride (b), Steve Gadd (dm), Jamey
Haddad (perc), Jacob Collier (voc, instr. électroniques), Mike Massy (voc)
Enregistré
à Cleveland, date d’enregistrement non précisée
Durée
: 55' 04''
Mack
Avenue 1112 (www.mackavenue.com)
Dominick Farinacci (né
en 1983) nous a été présenté par Wynton Marsalis en 2000 en compagnie de
Brandon Lee et Troy Andrews. Ce dernier est le seul à être devenu une star, ce
qui n'implique pas une absence de talent chez les deux autres. Farinacci avait
déjà neufs albums à son actif avant de signer avec le label Mack Avenue dont
voici le premier produit. Il y a trois titres qui, jazzistiquement, dominent: «Bamboleo»,
un blues low down lent comme le titre
ne le laisse pas supposer, où il y a un stop chorus de trompette de grande
classe, le langoureux «Black Coffee» (avec sourdine wa-wa) et le funky
«Sunshine of Your Love», sur fond d'orgue avec d'excellents solos
de Dean Parks (g) et Christian McBride (b), où le leader a quelques inflexions
à la Miles Davis (comme dans «Somebody That I Used to Know», avec
effets électroniques pour évoquer le Miles dernière manière). L'album se veut
par ailleurs très varié, voir mondialiste (très tendance donc). Avec cordes et
accordéon, le bien nommé «Tango» est finalement de la variété... de
luxe, mais quel superbe son de trompette! Dans «Doha Blues», signé
Farinacci, où l'on trouvera un solo de Steve Gadd, Mike Massy donne au début un
climat "arabisant", mais le résultat n'a rien à voir avec Ibrahim
Maalouf (dont le timbre est arabe) grâce à Dominick Farinacci qui s'exprime
avec le lyrisme de Wynton Marsalis. Le seul reproche que l'on puisse faire à ce
trompettiste très qualifié c'est d'être trop proche de Wynton Marsalis (en
dehors des clins d'œil à Miles cités): «Soldier's Things» le
démontre, non seulement le timbre de son est le même, mais aussi les inflexions.
Larry Goldings est excellent dans «Afternoon in Puebla»; sa
composition «Parlour Song» est aussi adorable que courte. Les
cordes quand elles sont là, le sont très discrètement. Bref, dans le contexte
d'aujourd'hui du tout et n'importe quoi, c'est là un très bon disque.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°677, automne 2016
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