Danny Grissett, at Lund Theatre, London, 11 juin 2009 © David Sinclair
Danny GRISSETT
Remembrance
Qu’il joue avec Tom Harrell, Louis Hayes, Jeremy Pelt ou en duo avec Jérôme Sabbagh, Danny Grissett nous offre toujours son jeu le plus exigeant, le plus enraciné dans la tradition. Nourri de la musique de McCoy Tyner, Herbie Hancock, Mulgrew Miller, il s’exprime avec une expression renouvelée, un swing de tous les instants. Cet état d’esprit, il l’a appris auprès d’excellents musiciens. Né à Los Angeles le 20 mars 1975, le pianiste, classique de formation, qui s’est tourné vers le jazz pendant ses années d’université, s’est formé auprès du pianiste Kei Akagi (Airto Moreira, Miles Davis…) puis du grand batteur, le regretté Billy Higgins. En professionnel, il a fait ses armes avec le trio de John Heard (b) et Roy McCurdy (dm) avant de s’installer à New York en 2003. Vincent Herring lui a mis le pied à l’étrier, puis il a rejoint la formation de Nicholas Payton et celle de Tom Harrell, et il a côtoyé depuis Buster Williams, Russell Malone, Steve Wilson, Wycliffe Gordon, Benny Golson… L’ancien du Thelonious Monk Institute (1999-2001) s’est d’abord imposé en sideman, enregistrant une trentaine d’albums en 14 ans. Il a fait ses débuts discographiques en leader en 2005, et développe depuis un répertoire personnel, s’entourant de musiciens qu’il connaît bien, Vicente Archer (b) et Bill Stewart (dm)… Pour sa première interview à Jazz Hot, il revient sur son parcours ponctué d’heureuses rencontres. La prochaine annoncée devrait le voir rejoindre Kenny Barron, Cyrus Chestnut, Dado Moroni pour une tournée à quatre pianistes en hommage à Thelonious Monk (4 by Monk by 4) qui promet d'être passionnante (en novembre 2017, en Italie), après un passage parisien en compagnie de Jérôme Sabbagh (6 octobre) et une tournée américaine avec Tom Harrell (mois d'octobre)… Aujourd’hui,
Danny Grissett, qui vit entre New York et Vienne en Autriche, joue (et
tourne) toujours autant avec Tom Harrell, Jeremy Pelt et avec son trio.
Sa discographie en leader propose cinq albums enregistrés pour
l'excellent label Criss Cross et le prochain disque à paraître cet
automne, Remembrance, est publié chez Savant, un autre beau label de
jazz, ce qui confirme la cohérence de l'artiste. Et puisqu'on parle de souvenir, laissons-lui la parole…
Propos recueillis par Mathieu Perez Photos David Sinclair et Patrick Martineau
© Jazz Hot n°681, automne 2017
Jazz Hot: Vous vous êtes intéressé au jazz quand vos étiez à l’université, c’est bien ça?
Danny Grissett : Je m’intéressais au jazz depuis un moment, mais je ne l’avais jamais vraiment étudié avec un prof’. Au lycée, il y avait un orchestre de jazz, mais j’étais un pianiste classique. Mon prof’ voyait que ça m’intéressait. Alors, elle m’a conseillé d’aller voir Ralph Jones, un ténor qui jouait dans les orchestres de Yusef Lateef. Grâce à lui, j’ai découvert pas mal de disques.
Quel a été le déclic à l’université?
C’est difficile à dire… Cette musique a toujours eu du sens pour moi, mais sans enseignement formel, et comme je me suis concentré pendant des années sur le répertoire classique, je n’ai pas eu le temps ni l’énergie de m’y consacrer avant d’arriver à l’université.
Vous vouliez être musicien professionnel?
Je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire. Je ne pensais pas forcément à me spécialiser dans la musique. Puis, arrivé à l’université, je me suis mis à y penser. J’ai obtenu un diplôme en éducation musicale. James Newton faisait partie de l’un des jurys. Il m’a entendu jouer du Brahms et m’a demandé si je m’intéressais au jazz. Je lui ai répondu que je n’avais pas de prof’. Alors il m’a donné le numéro de Billy Childs et celui de Kei Akagi.
Que s’est-il passé?
J’ai appelé Billy Childs, j’ai laissé un message sur son répondeur, et il n’a jamais rappelé. Puis j’ai appelé Kei Akagi, et il a décroché tout de suite. J’ai commencé à prendre des cours avec lui.
A quelle fréquence?
Un cours tous les quelques mois.
Combien de temps avez-vous étudié avec lui?
Environ deux ans. J’ai dû avoir sept ou huit leçons avec lui.
Quel a été le rôle de Kei Akagi dans votre formation de musicien de jazz?
Il a été très important. C’est grâce à lui que j’ai rencontré le saxophoniste Pete Jahuwitz qui, à l’époque, faisait un doctorat de biochimie à Caltech. Il était dans un autre créneau. (Rires) Il avait une collection de disques de jazz incroyable!
Aviez-vous alors une culture musicale jazz?
Très franchement, je n’avais jamais écouté certains des disques importants. Pendant la première leçon avec Kei, il m’a demandé si je savais qui était McCoy Tyner. Je lui ai répondu que je connaissais le disque Ready for Freddy de Freddie Hubbard. Puis il m’a demandé si j’avais déjà écouté The Real McCoy; je lui ai dit non; il a tout de suite fermé le couvercle du clavier du piano, et on est allés écouter le disque. (Rires) Rencontrer Kei et avoir pris des cours avec lui, ça a été décisif pour moi.
A cette époque, Kei Akagi jouait-il plus du piano ou du synthé?
Kei jouait surtout du synthé avec Miles, mais c’est un excellent pianiste. Il y a quelques années, j’ai revu Kei au Japon pendant l’une des mes tournées avec mon trio. Je ne l’avais pas vu depuis au moins dix ans. Il était venu au Pit Inn de Tokyo me faire la surprise. J’étais terrifié à l’idée de jouer devant mon ancien prof’! (Rires)
Sur quoi se concentraient vos cours avec lui?
Je ne connaissais rien des accords de jazz…. Il m’a donné des exercices que j’utilise maintenant avec mes élèves.
Vous avez poursuivi votre formation à l’université.
J’ai décidé d’aller à CalArts1, pendant deux ans. Je m’exerçais pendant des heures tous les jours. (Rires)
Quels musiciens ont eu le plus grand impact sur vous?
Comme pour beaucoup de musiciens, Miles Davis était la référence, parce qu’il y a énormément de matière, de disques à écouter. J’ai beaucoup écouté aussi Oscar Peterson, Wynton Kelly, Herbie Hancock, Bud Powell. Tous m’ont inspiré.
A quel moment décidez-vous de vous inscrire au Concours du Thelonious Monk Institute?
Un jour, j’ai vu une affiche accrochée sur un tableau. J’étais alors au milieu de mes études supérieures. J’ai passé une audition, mais ne l’ai pas réussie. Pour une raison qui m’est inconnue, il s’est passé quelque chose avec la promotion de cette année-là. J’ai donc passé une seconde audition et, là, je suis entré. J’ai pu étudier avec Barry Harris, Kenny Barron et j’ai enfin pu rencontrer Billy Childs. (Rires)
Comment se passaient ces sessions avec ces musiciens-là?
Chacun venait pendant une semaine. Du lundi au vendredi, on répétait tous ensemble pendant deux ou trois heures puis il y avait un concert à l’école. On répétait, on jouait. Et tout le monde a pu avoir des cours particuliers avec eux.
Qui était le directeur artistique?
C’était Bobby Watson. Il venait, disons, une fois par mois nous donner des travaux à faire. Et donc, en plus, un grand musicien de jazz venait chaque semaine.
Un musicien en particulier vous a-t-il marqué plus que les autres?
Barry Harris m’a beaucoup marqué, parce qu’il a une connaissance très profonde de l’harmonie et de la mélodie. Ses références harmoniques sont très particulières, ce qui m’a forcé à me concentrer sur les fondements de ma connaissance de cet idiome qu’est le jazz.
Combien de temps ce cursus a-t-il duré?
Deux ans.
Comment décririez-vous la scène jazz de Los Angeles à cette époque?
Il n’y avait pas beaucoup de clubs. J’ai le sentiment d’être arrivé sur la scène jazz au moment où tout le monde était déjà parti. Tous ces groupes qui sont passés à Los Angeles, Tony Williams, Elvin Jones, etc., je ne les ai jamais vus. Quand j’étais au lycée, ou au tout début de l’université, Branford Marsalis jouait dans l’orchestre de Jay Leno. Donc Branford était à Los Angeles, Kenny Kirkland aussi, Bob Hurst. Ils avaient un gig chaque semaine au Village. Mais je n’en savais rien. J’ai quand même eu la chance de voir des concerts magnifiques, George Cables, Stanley Turrentine, Bobby Hutcherson.
Que s’est-il passé à la fin de votre cursus au Monk Institute?
J’ai commencé à travailler à Los Angeles et je voulais partir à New York.
A quel moment formez-vous le trio avec John Heard et Roy McCurdy?
J’ai arrêté le Monk Institute en 2001. Donc en 2001.
Combien de temps êtes-vous resté avec ce trio?
Trois ans.
Comment avez-vous rencontré John Heard?
C’était durant un gig. On était tous les deux sidemen, on a sympathisé. Plus tard, il m’a proposé de venir jouer avec lui et Roy au Charlie O’s à Van Nuys. Ça a été un autre moment décisif.
Le gig au Charlie O’s, c’était un gig permanent?
On jouait tous les vendredis et les samedis. Chaque semaine, un souffleur différent jouait avec nous, comme Pete Christlieb, Ted Nash. Ces types connaissaient tous les thèmes. Ils venaient et jouaient. C’était dur. (Rires) John a toujours été très encourageant.
Vous avez aussi joué avec des souffleurs fameux quand vous étiez avec Billy Higgins.
Parfois Billy jouait en quartet avec George Coleman, Jackie McLean et Harold Land et me demandait de jouer avec eux.
Vous étiez très proche avec Billy Higgins. Avez-vous passé beaucoup de temps au World Stage, dont il était le directeur?
Si Billy n’était pas en tournée, il était toujours au World Stage. Tous les lundis, il animait ses workshops, que je suivais. J’allais aussi aux jam sessions du samedi soir.
Vous l’aviez rencontré au World Stage?
A l’une de ces jam sessions. Le World Stage était comme un centre culturel. Il y avait un soir dédié à la poésie, un autre aux jams, un autre aux jazz workshops. Barry Harris y a animé des ateliers. Ce n’était pas qu’un club de jazz. Quand Billy avait besoin d’étudiants pour un gig, il faisait appel à moi. Une fois, j’ai rencontré Ralph Moore après un de ces cours. Billy allait jouer au festival qui se tenait à Leimert Park. Cedar Walton devait jouer avec lui. Mais il n’a pas pu. Billy m’a alors demandé de le remplacer à la dernière minute. Trois jours plus tard, Ralph m’a appelé. Il jouait au Village avec ces musicos du «Tonight Show», dont je vous parlais. Avec lui, il y avait Marvin Smitty Smith, Bob Hurst. Plusieurs pianistes différents jouaient avec eux. Parfois, c’était Brad Meldhau. Mais cette semaine-là, il n’avait pas de pianiste. Ralph m’a donc appelé, m’a dit qui était dans la formation, mais j’ai préféré ne pas accepter. Je ne me pensais pas avoir le niveau suffisant. Il m’a invité à venir au gig. Alors j’y suis allé avec ma petite amie. Et quand je suis arrivé, il m’a demandé si j’étais prêt. Il n’avait appelé aucun autre pianiste parce que c’était mon gig! (Rires) Il m’a eu! (Rires) Alors j’ai joué, et du mieux que j’ai pu.
Qu’avez-vous appris de Billy Higgins?
Avec lui, j’ai surtout appris ce que ça voulait dire jouer, jouer avec lui, faire l’expérience de son jeu de cymbales, comprendre ce qu’était le timing, ses différentes possibilités. Et ça m’a fait réfléchir à mon timing, mes défauts, beaucoup d’éléments qui ont à voir avec les décisions qu’il faut prendre sur scène. Et c’était quelqu’un qui m’encourageait beaucoup, qui était très spirituel, qui racontait beaucoup d’histoires. A cette époque, je m’intéressais à Sonny Clarke et il me racontait des histoires sur Sonny, les disques qu’ils ont fait ensemble, ce dont ils parlaient quand ils trainaient ensemble. Avec Billy, on traversait l’histoire du jazz.
De quels musiciens étiez-vous proche?
J’étais très proche de John Heard, Roy McCurdy, Ralph Penland, peu de pianistes à part Kei.
Quand vous avez décidé de partir à New York, connaissiez-vous des musiciens là-bas?
J’avais participé à une semaine de jazz camp dans le Colorado et sympathisé avec les frères Strickland, Robert Rodriguez, Jason Palmer. Quand je suis arrivé à New York, j’ai donc appelé E. J. et Marcus. Je connaissais aussi Vanessa Rubin, que j’avais rencontrée au Monk Institute. Je connaissais Joshua Ginzburg. Ils m’ont parlé d’une jam session animée par Vincent Herring dans un club de Brooklyn qui s’appelait Up Over. J’y suis allé, j’ai joué. Le pianiste en résidence devait être Anthony Wonsey. Il s’apprêtait à partir en tournée au Japon.
Sitôt arrivé à New York, vous rejoignez la formation de Vincent Herring. Comment décririez-vous la scène jazz new-yorkaise?
C’était très différent, très intense, plus compétitif, mais je m’attendais à ça. J’avais économisé un peu d’argent et m’étais donné quatre mois pour arriver à quelque chose. J’avais 27, 28 ans. A Los Angeles, j’avais des gigs réguliers… Et quelques semaines après mon arrivée, Vincent m’a donné un gig permanent. Comme pianiste en résidence, j’ai pu rencontrer beaucoup de musiciens. C’est durant une des jam sessions que j’ai rencontré Kendrick Scott. Puis j’ai commencé à travailler avec Vanessa Rubin, Wycliffe Gordon, Marcus Strickland, Isaac Smith, etc.
Vos premières grandes tournées en Europe, c’était avec lui?
La première fois que je suis venu en Europe, c’était dans le cadre du Monk Institute pour un petit gig, puis un autre avec Vanessa Rubin en Espagne. Mais la vraie tournée, du genre 27 concerts en 28 jours, c’était avec Vincent. Jouer de façon aussi intense, aussi longtemps, ça m’a beaucoup appris.
Qui d’autre se trouvait dans la formation de Vincent Herring?
Il y avait E. J. Strickland et Richie Goods.
Tout s’est passé très vite pour vous.
Oui. J’étais soulagé parce que, financièrement, je n’avais pas de quoi tenir plus de quatre mois. (Rires)
Vous sentiez-vous différent des autres musiciens compte tenu de votre parcours?
Mon expérience était très différente parce qu’en arrivant à New York, je me débrouillais pas mal. J’étais formé au point d’être capable de jouer sérieusement avec d’autres musiciens. Je n’avais pas 18 ans mais dix de plus. Depuis, j’ai beaucoup appris, j’ai beaucoup grandi musicalement.
Vous n’étiez pas démoralisé par la compétition?
Je m’exerçais beaucoup. J’allais écouter des gars comme Robert Glasper, Eric Lewis et d’autres monstres du piano, et ça m’incitait à m’exercer encore.
Quels clubs fréquentiez-vous assidument?
Le Village Vanguard. Le Fat Cat, c’est là où j’ai vu Andy Bey pour la première fois. Smalls a rouvert plus tard.
Comment avez-vous rejoint la formation de Nicholas Payton?
Il m’a appelé. Je ne savais même pas qu’il connaissait mon existence! On a commencé par jouer quelques gigs puis on a travaillé ensemble pendant trois ou quatre ans.
Comment cela se passait-il avec lui musicalement?
Son approche de la musique était plus ouverte que les autres leaders. C’était super. Et c’était la première fois que je jouais avec Marcus Gilmore. Il m’a fait découvrir beaucoup de choses. Son beat est très centré. J’étais habitué à jouer avec des batteurs qui jouaient surtout au-dessus du beat. Je devais m’ajuster, ça me rappelait beaucoup la façon de jouer de Billy. Il jouait vraiment au centre.
C’est à cette époque que vous vous liez à Jeremy Pelt?
Tout à fait. Il a formé son groupe en 2008 mais on faisait des gigs ensemble bien avant, avec des formations différentes.
Vous jouez avec Tom Harrell depuis dix ans. Comment a débuté cette collaboration?
Le saxophoniste Todd Herbert avait organisé un gig à Philadelphie avec Freddie Hubbard et deux autres musicos. Je pense que c’était Derrick Hodge à la basse et Darrin Becket à la batterie. Freddie a annulé à la dernière minute. Et c’est Tom Harrell qui l’a remplacé. Tom a accepté de faire le gig à la condition qu’on répète tous chez lui. Sa femme Angela m’a donné son adresse en précisant qu’il fallait monter en queue de train pour prendre la bonne sortie. Sitôt monté dans le train, il y a eu la fameuse panne de courant qui a paralysé tout New York. C’était en 2003. Et si je ne suis pas resté bloqué, c’est parce que j’avais suivi les conseils d’Angela et que j’étais monté en queue de train. J’ai pu sortir. J’ai fini par arriver chez Tom, on a répété, le gig a eu lieu. Six mois plus tard, je faisais partie de son groupe.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile à gérer?
C’était la première fois que je me retrouvais face à des thèmes qui avaient des lignes harmoniques très spécifiques qu’on devait garder tout le temps. Quand Tom joue, tout a l’air si simple et fluide. J’adore ses compositions originales et l’entendre jouer ses improvisations très mélodiques.
Au bout de combien de temps étiez-vous à l’aise avec lui?
Peut-être un an. Il compose tant de musique. Il y a toujours de nouveaux thèmes. On n’a pas le temps de rentrer dans leur intimité. J’ai dû apprendre à faire ça, être capable de me détacher de la partition rapidement et aller au cœur du thème.
Qu’est-ce qui est le plus important chez lui, musicalement?
Pour lui, la mélodie est reine. Si un thème peut être assez difficile, la mélodie unit l’ensemble de telle façon qu’à la fin, elle vous reste dans la tête et on la chante. Tout le monde peut se retrouver dans sa musique.
Cette solidarité au sein de cette formation, vous l’aviez tous dès le départ?
On fonctionne comme une seule et même personne. Je n’ai jamais eu d’autres expériences comme ça. Ça fait dix ans.
Quel leader est Tom Harrell?
Il ne donne pas d’indications. Tout est sur la partition. Il écrit des partitions très complètes. Et je pense qu’il a confiance en ses musiciens, en ce qu’ils vont apporter et nourrir sa musique.
Dans l’album First Impressions (2015), il arrange des compositions de Debussy et Ravel. Que pense le pianiste de formation classique de son approche?
C’était intéressant de voir comment il s’y prenait pour arranger ce type de musique et l’étendre à des solos, et voir ce que le groove allait donner. Tom est très créatif.
Comment s’est fait votre premier album en leader The Promise en 2006?
Beaucoup de recommandations de personnes différentes. Pour The Promise, ça s’est fait peut-être grâce à Jimmy Greene ou Jeremy Pelt. Gerry Teekens est toujours à l’affût. Il demande aux musiciens qui est le nouveau pianiste en vue, qui est le nouveau batteur, etc. Je suis sûr que c’est arrivé comme ça. Un jour, Gerry m’a appelé. Je ne cherchais pas particulièrement à faire un album. Vu mon parcours atypique, j’ai toujours pensé que mon jeu n’était pas assez développé, que je n’étais pas prêt. Mais il m’a donné une opportunité et je devais la saisir.
Pourquoi avoir choisi Vicente Archer (b) et Kendrick Scott (dm) pour vous accompagner?
Je n’avais jamais joué avec eux dans le cadre d’un trio. A l’époque, je travaillais en sideman. Je connaissais Vicente des gigs qu’on faisait ensemble avec Nicholas Payton. D’ailleurs, j’ai enregistré ce disque en revenant d’une tournée au Japon avec Nicholas. Ça devait être deux ou trois jours après mon retour. Et puis, je me souvenais de Kendrick Scott des jam sessions avec Vincent Herring. On avait fait des gigs à New York mais on n’avait pas été dans un groupe ensemble. J’adore sa façon de jouer.
Les quatre thèmes originaux, vous les aviez déjà sous le coude?
Ce sont des thèmes que j’ai composés à New York, à l’exception de «The Promise» composé à Los Angeles.
Pourquoi avoir repris «The 11th Hour» de Mulgrew Miller?
Mulgrew Miller m’a beaucoup marqué. Je n’oublierai jamais la première fois que je l’ai entendu. Ma cousine vivait alors au Brésil. Elle m’a envoyé une K7 avec des morceaux qu’elle aimait bien. Il y avait de la musique brésilienne, de la musique cubaine et du jazz, dont deux thèmes de Blue Skies de Cassandra Wilson, avec Mulgrew Miller, Lonnie Plaxico, Terri Lyne Carrington. Je n’avais jamais entendu un pianiste accompagner une chanteuse comme ça. Donc jouer «The 11th Hour», c’était ma façon de rendre hommage à Mulgrew Miller.
Avez-vous eu l’occasion de voir Mulgrew Miller en concert à Los Angeles?
Oui, la première fois que je l’ai vu, c’était au Bakery. Il jouait avec le Steve Wilson Generation Band. A la fin, je suis allé le voir. Je lui ai parlé un peu, je lui ai dit que j’allais m’installer à New York, et demandé si je pouvais l’appeler pour une leçon. Mais ça n’a jamais marché. Je n’ai jamais pris de leçon avec lui! (Rires) Mais il m’a beaucoup soutenu. Il m’a recommandé pour des gigs. Il me manque énormément. Quand il jouait, il couvrait l’histoire du piano et il avait son propre style, très personnel. C’est rare. C’était aussi un formidable compositeur.
Jouiez-vous beaucoup avec votre trio?
On jouait au moins un gig ou deux par mois au Jazz Gallery ou au Smoke, des clubs comme ça. Je pense qu’on entend sur l’album que nous étions très soudés. Puis je me suis à jouer avec Marcus Gilmore dans le groupe de Nicholas Payton. C’était une transition naturelle vers une autre rythmique.
Jeremy Pelt compte parmi vos plus longues collaborations.
On travaille ensemble depuis longtemps. Le groupe a commencé en 2008. Nous sommes très soudés, on joue ensemble, on respire ensemble, on est un groupe. C’est très similaire à ce qui se passe dans le groupe de Tom Harrell.
Qu’est-ce qui fait un bon accompagnateur?
Travailler avec des chanteuses, ça aide. Mais plus spécifiquement, il faut savoir écouter. Et c’est important d’avoir une gamme de textures, de couleurs, de rythmes, de saveurs et avoir un fondement très solide. Etre capable de s’adapter aux besoins des solistes. J’ai beaucoup appris de Vincent Herring et de Tom Harrell. On apprend aussi certaines de ces choses en écoutant des accompagnateurs du niveau de Cedar Walton, Herbie, tous les musiciens de Miles, etc.
Comment s’est fait votre deuxième album en leader Encounters?
J’avais composé pas de mal de thèmes avant Promise. Je composais beaucoup à l’époque, comme ces quatre dernières années.
A quel moment avez-vous composé «Waltz for Billy»?
J’ai composé ce thème après la mort de Billy Higgins. C’est un de ces thèmes qui tombe dessus par une inspiration divine. En un sens, j’ai senti qu’il me l’avait envoyé.
Quels sont les musiciens avec qui vous avez joué le plus et dont vous étiez le plus proche?
J’étais très proche de E.J. Strickland, Kendrick Scott, Alvin Atkinson, Gerald Cleaver. J’ai beaucoup joué avec eux.
Pendant un temps, vous avez joué avec Rodney Green. Dans quels contextes avez-vous joué ensemble?
Quelques gigs ici et là. Je travaillais avec lui au Smalls et on a fait des sessions privées chez les uns et les autres ou dans des salles de répétition. Je me souviens notamment d’une session chez Joe Sanders. C’était très courant à New York. Se réunir et jouer. C’était super. J’ai rencontré beaucoup de musiciens comme ça.
Un autre musicien avec lequel vous avez beaucoup joué, c’est Billy Drummond.
J’ai rencontré Billy très tôt. Quand je vivais encore à Los Angeles, David Weiss avait besoin d’un pianiste pour son groupe New Composers Octet, avec Freddie Hubbard. Donc, j’ai fait le gig. Quand je suis parti à New York, je l’ai appelé et il formé ce groupe avec J. D. Allen, Isaac Smith, Quincy Davis et moi. Puis il m’a appelé pour la répétition de l’orchestre de Charles Tolliver parce que Stanley Cowell ne pouvait pas faire le gig. Et Billy Drummond était dans la rythmique. Après ça, Billy m’appelait régulièrement et on a joué ensemble pendant plusieurs années. En décembre dernier, j’ai enfin eu l’occasion d’embaucher Billy pour un gig au Mezzrow avec Peter Washington. Ça faisait longtemps qu’on voulait jouer avec cette formation, en particulier. C’était super! Ces derniers temps, je joue beaucoup avec Peter grâce au Power Quintet de Jeremy Pelt.
Vous jouez régulièrement au Mezzrow. Est-ce un club important pour la scène jazz new-yorkaise?
Mezzrow offre un cadre parfait. C’est là que les musiciens aiment se retrouver. On vient, on voit qui joue. J’ai pu entendre beaucoup de pianistes. Jouer au Mezzrow, ça vous inspire.
En 2009, vous avez fait partie de l’orchestre dirigé par Steve Wilson pour son projet autour de la musique de Joe Zawinul. Connaissiez-vous déjà son répertoire ou était-ce une découverte pour vous?
Très franchement, j’ai beaucoup appris en préparant ce gig. A part Weather Report, je ne connaissais pas très bien son parcours. Je ne me rendais pas compte que sa carrière remontait aussi loin dans le temps.
Pour ce projet, vous jouiez du Fender Rhodes et/ou du synthé?
Je jouais du Rhodes mais il n’y avait pas de synthé.
A Los Angeles, vous jouiez du Fender Rhodes?
Mon premier clavier était un Fender Rhodes! J’ai fait beaucoup de gigs à Los Angeles avec.
Vous en jouez encore?
Je viens d’enregistrer mon premier album chez HighNote2, qui devrait sortir à l’automne, et je joue un peu de Rhodes. C’est la première fois que j’en joue en leader. La plupart des pianistes jouent du Rhodes. Même Mulgrew en jouait!
Pour votre album Stride, pourquoi avoir choisi d’enregistrer «Scene» de Tom Harrell?
J’ai découvert ce thème un soir où je faisais un gig dans un restaurant à New York. Je jouais déjà avec Tom mais je ne connaissais pas ce titre. Je l’ai enregistré pour lui rendre hommage.
Que signifie votre thème «Viennese Summer»?
Je passais du temps à Vienne. Ma femme est autrichienne. A ce moment-là, on pensait s’y installer avec notre fils. J’ai composé «Viennese Summer» et «Close Quarters» dans la même période.
Depuis combien de temps vivez-vous à Vienne?
Depuis 2013, 2014. Je passe toujours beaucoup de temps à New York.
Jouez-vous sur la scène jazz de Vienne?
Pas tant que ça. J’ai quelques étudiants, mais je passe surtout mon temps avec ma famille. Vous savez, Jazzland tient une place très spéciale dans mon cœur. J’y ai joué durant ma toute première tournée en Europe avec Vincent Herring, Essiet Essiet et Joris Dudli, et j’y ai rencontré ma femme.
Vous avez notamment joué avec Benny Golson. Comment vous y êtes-vous pris pour arranger «Stablemates», figurant dans votre dernier album The In-Between (2015)?
Pour un thème comme ça ou un standard, je choisis en général de faire un arrangement très personnel. Pour «Stablemates», j’ai changé l’harmonie, le phrasé. C’est un dérangement plus qu’un arrangement! (Rires) C’est un duo piano-batterie. Il fallait que ce soit complètement différent. Mais je peux choisir aussi d’y aller très librement, sans préparer un arrangement. C’est ce qui c’est passé avec «Moment’s Notice» sur mon premier album. Une seule prise. En y repensant, «Stablemates», c’est Harold Land qui l’avait appelé à l’un de ces gigs avec Billy Higgins. Et je ne connaissais pas ce thème. Je l’ai donc appris et, depuis, j’ai toujours eu envie de l’enregistrer. Beaucoup des thèmes de Benny Golson ou Cedar Walton sont difficiles à arranger parce qu’ils sont si bien faits, c’est presque la perfection!
Pourquoi avoir choisi d’enregistrer «The Kicker» de Joe Henderson?
Gerry Teekens3 a sa façon de faire. Il aime qu’il y ait toujours un blues. Donc il fallait en trouver un. J’ai trouvé que celui-ci fonctionnait bien avec l’esprit de l’album.
Bill Stewart, c’est parce que vous jouez beaucoup ensemble ces derniers temps?
J’ai toujours aimé Bill Stewart. On est dans le Power Quintet de Pelt, mais on joue ensemble depuis deux ans et demi.
En avril dernier, nous avons pu vous entendre en duo avec Jérôme Sabbagh.
Ce n’est pas le premier avec qui je fais des duos. Le premier, c’était Pee Wee Ellis. On jouait la musique de Duke Ellington. On a fait une tournée, et on a enregistré un album. C’est vrai qu’il n’est pas connu pour être un musicien straight-ahead et pour jouer la musique de Duke Ellington. Le plus important, c’est que c’est un saxophoniste qui a une profonde connaissance de la musique, et que c’est un formidable musicien! Et c’était sympa’ pour moi parce que je devais faire des arrangements qui nous rendent à l’aise lui et moi. Pee Wee était très réceptif avec mes arrangements. Il en a apporté un pour «Caravan». Avec un peu de chance, l’album sortira bientôt.
Depuis combien de temps jouez-vous avec Jérôme Sabbagh?
Depuis cinq ou six ans.
Le duo, c’est une formation que vous aimez?
Je m’y sens de plus en plus à l’aise. La tournée que nous avons effectuée en avril m’a donné envie d’essayer le duo…
Qu’aimez-vous chez Jérôme Sabbagh?
J’aime le phrasé de Jérôme; il me fait un peu penser à Ralph Moore; il est très créatif; il a un son magnifique!
Où jouez-vous à New York?
Au Mezzrow, au Smalls, au Jazz Gallery…
En février dernier, vous étiez à Paris avec le quartet de Louis Hayes. Cette tournée fêtait ses 80 ans…
C’est Jeremy Pelt qui l’a organisée. Louis a fêté ses 80 ans en mai. L’accueil a été très chaleureux partout où l’on a joué. Chaque soir, c’était une belle fête.
A vous entendre sur scène, Louis Hayes, Dezron Douglas, Jeremy Pelt et vous, on sentait bien que vous étiez très soudés…
Oui, je connais Louis; il m’a pris pour des gigs plusieurs fois. Jeremy joue avec Louis depuis des années. Nous avons tous des liens très forts les uns avec les autres. Je connais bien Dezron… Le dernier soir, on jouait au Bimhuis, à Amsterdam. On a apporté sur scène un gâteau d’anniversaire pour Louis. C’était une tournée formidable! Je ne l’oublierai jamais. *
1. Le California Institute of the Arts, ou CalArts, est une université américaine installée à Valencia (faubourg de Los Angeles, CA). Elle a été créée en 1961 par Walt Disney. 2. Remembrance, publié sur Savant Records en fait, qui fait partie de la même entité que HighNote et Fedora, fondée par le regretté Joe Fields qui vient de disparaître et son fils Barney qui poursuit son œuvre. 3. Gerry Teekens est le fondateur, en 1980, du label Criss Cross.
CONTACT: www.dannygrissett.com
DISCOGRAPHIE Leader CD 2005. The Promise, Criss Cross 1281 CD 2007. Encounters, Criss Cross 1299 CD 2008. Form, Criss Cross 1315 CD 2011. Stride, Criss Cross 1337 CD 2015. The In-Between, Criss Cross 1382 CD 2017. Remembrance, Savant Records 216 (à paraître en cet automne 2017)
Sideman CD 2004. Vincent Herring, Mr. Wizard, HighNote 7121 CD 2004. Phil Ranelin, Inspiration, Wide Hive Records 025826 CD 2005. Zane Musa, Introducing Zane Musa, Straight Ahead Record 101 CD 2005. John Heard, The Jazz Composer's Songbook, Straight Ahead Record 102 CD 2006. Vincent Herring, Ends and Means, HighNote 7149 CD 2006. Tom Harrell, Light On, HighNote 7171 CD 2007. Jimmy Greene, Gifts and Givers, Criss Cross 1295 CD 2008. Lage Lund, Early Songs, Criss Cross 1307 CD 2008. Jeremy Pelt, November, Maxjazz 407 CD 2008. Tom Harrell, Prana Dance, HighNote 7192 CD 2009. Keyon Harrold, Introducing Keyon Harrold, Criss Cross 1319 CD 2009. Phil Ranelin & Tribe Renaissance, Reminiscence: Live!, Wide Hive Records 029022 CD 2009. Tom Harrell, Roman Nights, HighNote 7207 CD 2010. Jeremy Pelt, Men of Honor, HighNote 7203 CD 2010. Jim Rotondi, 1000 Rainbows, Posi-Tone Records 8062 CD 2011. Jeremy Pelt, The Talented Mr. Pelt, HighNote 7216 CD 2011. Tom Harrell, The Time of the Sun, HighNote 7222 CD 2011. Anne Mette Iversen, Milo Songs, Brooklyn Jazz Underground Records 025 CD 2012. Jeremy Pelt, Soul, HighNote 7233 CD 2012. Tom Harrell, Number Five, HighNote 7236 CD 2015. Tom Harrell, First Impressions, HighNote 7276 CD 2016. The Power Quintet, High Art, HighNote 7290 CD 2017. Steve Nelson, Brothers under the Sun, HighNote 7294
VIDEOS 2004. Vincent Herring, «Hopscotch»
Vincent Herring (as), Jeremy Pelt (tp), Richie Goods (b), Danny Grissett (p), E. J. Strickland (dm) https://www.youtube.com/watch?v=wprqR6_OPYE
2010. Jim Rotondi Quintet, «1000 Rainbows» Jim Rotondi (tp), Joe Locke (vib), Danny Grissett (p), Barak Mori (b), Bill Stewart (dm) https://www.youtube.com/watch?v=I7PNiJdAnOI
2011. Danny Grissett Trio, «It Takes Two to Know One» Danny Grissett (p), Vicente Archer (b), Marcus Gilmore (dm) https://www.youtube.com/watch?v=zm7wOm5zbZk
2011. Jeremy Pelt Quintet, «Pandora's Box» Jeremy Pelt (tp), J.D. Allen (ts), Danny Grissett (p), Dwayne Burno (b), Gerald Cleaver (dm) https://www.youtube.com/watch?v=_RHI8si0XTc
2013. Danny Grissett Trio, «From Day to Day», Live at Smalls, New York Danny Grissett (p), Joe Martin (b), Jonathan Barber (dm) https://www.youtube.com/watch?v=JCQ1iV0jeT4
2015. Danny Grissett, «Dreamsville» Danny Grissett (p), Walter Smith III (ts), Vicente Archer (b), Bill Stewart (dm) https://www.youtube.com/watch?v=YckseCJfeqk
2016. Tom Harrell Quintet, Live at Dizzy’s, New York Tom Harrell (tp), Wayne Escoffery (ts), Danny Grissett (p), Ugonna Okegwo (b), Johnathan Blake (dm) https://www.youtube.com/watch?v=KmZEFniCF2g
2017. Tom Harrell & Danny Grissett, «Vibrer», Live at Piemonte Jazz Festival, Italy https://www.youtube.com/watch?v=Kf15I4gp9F8
*
|