Mark
Burford est professeur au Reed College, université d’arts à Portland,
OR, et travaille sur la musique populaire américaine du XXe
siècle, notamment la musique afro-américaine post Seconde Guerre
mondiale, et sur la musique de concert autrichienne et allemande de la
fin du XVIIIe au XIXe
siècle. Son livre (un vrai travail d’archiviste) sur Mahalia Jackson
nous plonge aussi bien dans sa vie, son art, sa voix dédiée à Jésus et
donnée en partage à l’humanité, que dans l’Afro-Amérique, avec ses
millions de micro-nuances de perceptions, de liens, de racines qui
s’entrelacent, car se combinent la géographie d’un immense territoire
allant jusqu’aux Caraïbes, les religions (notamment l’Eglise Baptiste)
avec un détail méticuleux de traditions, mélanges, apports et abords
multiples, les grandes migrations liées tant aux crises économiques et
mutations technologiques qu’aux droits civiques (1)
ou à la ségrégation: autant le dire, cette biographie liée à l’histoire
est appétissante, savoureuse, dense, multidimensionnelle et pose donc
beaucoup de questions sur le rôle pivot d’une (femme) artiste
(afro-américaine) incontournable dans la société américaine de la Guerre
froide contre le communisme mécréant, qui se sert de la radio, des
shows TV CBS, du cinéma (3), des disques Apollo ou Columbia pour «prêcher» l’american way of life,
mais sans jamais reconnaître qu’une partie de ses citoyens n’a pas les
mêmes droits. L’immersion dans le gospel, réjouissante comme la ferveur
qui émane de ses chorales, montre la pratique sociale et le
développement économique d’un art et d’une culture populaires allant du
spirituel au commercial, sans jamais rien lâcher de son irréductibilité
socio-cultu(r)elle. Le livre comporte onze chapitres, avec un come back
historique en 1763 sur le territoire de Pointe Coupée en Louisiane,
nous transportant de New Orleans, son lieu de naissance, à Chicago où la
famille émigre en raison de la Crise de 1929, met en évidence la
dimension de l’expression corporelle du gospel jugée comme déplacée(2),
ses liens avec Bill Russell (un musicien savant de New Orleans). Comme
toute vraie artiste pétrie et habitée, quand le/la pianiste devant
l’accompagner lui demande pour un morceau «en quelle clé?», Mahalia répond aimablement: «Don’t worry about that, honey. Just play it nice» (t’en fais pas pour ça, chéri/e, joue-le juste bien). L’approche musicale de Mahalia est naturelle, réelle, directe, évidente: «It’s a natural way of singing like I’ve been hearing since I was a child going to church».(c’est une façon de chanter naturelle comme je l’ai toujours entendue depuis que j’allais enfant à l’église).
Robert Mitchum Nice Girls Don't Stay for Breakfast Film
de Bruce Weber, produit par Nan Bush & Just Blue Films, 90 mn, USA,
en version originale sous titrée, sortie en salles le 27 février 2019. http://www.larabbia.com/films/nice-girls-dont-stay-for-breakfast/
Ce
portrait de Robert Mitchum (6 août 1917-Bridgeport, CT / 1er juillet
1997-Santa Barbara, CA) est le travail de Bruce Weber (29 mars
1946-Greensburg, PA) photographe et réalisateur, notamment connu par les
amateurs de jazz pour Let's Get Lost, film-portrait sur le trompettiste
Chet Baker (sortie 1988, USA, 120mn) ou ses photos du pianiste-chanteur
de New Orleans, Harry Connick Jr. Le noir et blanc est l’un de ses
moyens d'expression pour approcher, au plus près du grain, l'âme et
l'art de ceux qu'il admire; là, pour Robert Mitchum, il met en relief
ses facettes pour certaines moins sues (acteur, poète, auteur,
compositeur, chanteur, entertainer de shows TV) en le faisant aussi se
dévoiler, par ses propos, sa gestuelle, sa dégaine, ses regards, ses
silences, ses masques, ses addictions, ses souvenirs et ceux de ses
proches, personnels et professionnels. Ses fils conducteurs sont les
femmes, une histoire du cinéma sur presque 60 ans, les deux
intelligemment insérés en contrepoint du travail d'enregistrement d'un
disque filmé en 1991: toutes ces dimensions révèlent une
hypersensibilité cachée sous la brusquerie désinvolte, le cocktail
captivant. Ce qui touche le plus chez Robert Mitchum est son sens direct
du réel, sa façon d'affronter, produits de la fêlure d'une biographie
de départ qui ne cessera de le tourmenter, mais aussi lui donnera
l'épaisseur du vécu dans tout ce qu'il entreprendra. Ce n'est pas le
courage qui lui manque car il s'est échappé à 14 ans d'un pénitencier de
Géorgie; déjà acteur, ce sera la prison pour drogue et il enverra
paître la redoutable HUAC (Commission des activités anti-américaines de
la chasse anti-communiste dite «chasse aux sorcières») à qui il dit
qu'il ne répond jamais à des gens avec qui il ne prendrait pas un verre:
un caractère bien trempé, plutôt dans le whiskey (ses racines
irlandaises). Un film 100% Mitchum sans sucre ajouté, l'hommage rendu à
un homme-artiste, plus que mérité, de la part d'un amateur d'art
authentiquement populaire.
Afin
de (re)garder une légende, de réfléchir sur des détails de sa
personnalité, de pouvoir approfondir, s’attarder, ou revenir sur les
expressions complexes de Robert Mitchum, Bruce Weber a conçu un recueil
de photographies (en partie de lui-même), documents d’archives, phrases
et textes, comme un journal de son film. C’est une idée pertinente car
le temps de tourner les pages est plus lent que celui de l’image-cinéma,
comme le grain de l’écran est plus gros mais aussi plus fugace que
celui du papier cartonné, et les deux médias donnent ainsi des
perceptions complémentaires pour décrypter un taiseux complexe et très
expressif dans son travail artistique qui puise dans son vécu.
James
McBride (11 septembre 1957, New York, NY) est saxophiste ténor,
compositeur, journaliste, scénariste (pour deux films de Spike Lee dont
le magnifique Miracle à Santa Anna sorti en 2008, 160mn,
USA-Italie) et romancier. Son quatrième roman relate l’histoire, rythmée
à la Alexandre Dumas, de John Brown (1800-1859), dit «le Vieux»,
abolitionniste blanc parti en guerre totale contre l’esclavage.
L’histoire démarre par un retour en arrière de 1966, date de la
découverte d’un récit d’esclave à l’occasion de l’incendie d’une église
baptiste dans le Delaware (rien n’est laissé au hasard), à 1856 où un
garçon de 10 ans, afro-américain –cet esclave alors cireur de
chaussures– est pris pour une fille du fait de son accoutrement le jour
où il est libéré de son maître sans avoir rien demandé par cet envoyé de
Dieu qui l’embarque pour le sauver, presque malgré lui, car ce sauveur
serait un bandit sanguinaire puisqu’il tue les riches esclavagistes
blancs. Henry (Henrietta) Shackleford, dit «Petite Echalote» puis
«l’Echalote», mascotte du «Vieux», devient notre conteur pour traverser
les quatre dernières années d’une épopée dantesque, dans laquelle «le
Vieux» est pour lui une leçon de vie, pas toujours dans les clous, mais
une ode à la liberté, sincère et habitée par la magie du tout-puissant
qui, pour cet illuminé idéaliste sans concession, va se nicher là où on
ne l’attend pas d’habitude. Henry trouve une famille auprès des enfants
de son libérateur dont les garçons sont également engagés dans sa divine
mission jusqu’au bout. Le voyage de la petite troupe, parsemé de
violence, de sauvagerie, de drôlerie, de tendresse se finit mal comme
dans la vraie vie. Victor Hugo, lui-même en exil, écrit une demande de
grâce dans la presse pour cet irréductible, le jour même de sa pendaison
le 2 décembre 1859 en Virginie (l’Etat historique qui ne pardonne pas
le combat contre le dominant), présageant la Guerre de Sécession: « …Au
point de vue politique, le meurtre de Brown serait une faute
irréparable. Il ferait à l’Union une fissure latente qui finirait par la
disloquer. Il serait possible que le supplice de Brown consolidât
l’esclavage en Virginie, mais il est certain qu’il ébranlerait toute la
démocratie américaine. Vous sauvez votre honte, mais vous tuez votre
gloire. Au point de vue moral, il semble qu’une partie de la
lumière humaine s’éclipserait, que la notion même du juste et de
l’injuste s’obscurcirait, le jour où l’on verrait se consommer
l’assassinat de la Délivrance par la Liberté. […] Oui, que l’Amérique le
sache et y songe, il y a quelque chose de plus effrayant que Caïn tuant
Abel, c’est Washington tuant Spartacus.» Lettre sur John Brown (Actes et paroles), Pendant l'exil, 2 décembre 1859, Hauteville House, Guernesey. Mais
l’Echalote nous raconte que, malgré la mort qui rôde, au milieu des
chants traditionnels qui font sortir les esclaves d’Egypte, un oiseau du
Bon Dieu, noir et blanc, sait comment faire pour qu’un «arbre malade tombe et nourrisse les autres.».
James McBride sait comment nous prendre dans ses filets bondissants et
poétiques pour nous raconter la magie de certaines vies.
Ce sixième et tardif roman dans la vie courte (63 ans) de James Baldwin (2 août 1924, Harlem, New York, NY - 1er Décembre
1987, St-Paul-de-Vence, Alpes-Maritimes) est le récit d’un grand
frère qui, à l’occasion du décès de son cadet, une voix du gospel, se
rappelle trente ans plus tard des années cinquante à Harlem, d’un petit
cercle également composé de l’amant de son frère et de la sœur de
celui-ci, des destins de chacun, avec une mise en perspectives en
«poupées russes» de l’histoire et des évènements survenus aux
Etats-Unis, mais aussi à des milliers de kilomètres en Corée, en Afrique
ou à Paris. L’écrivain engagé, lui-même échappé de l’enfance avec
effroi, défroqué de la religion avec dégoût, évadé de l’Amérique de
l’homme blanc «anti-tout» pour respirer l’air de Paris en 1948, utilise
ses expériences pour peindre une histoire intime, sombre, réaliste et
profonde, toujours ancrée dans le jazz. Une phrase symbolise
l’atmosphère d’adversité (l’épée de Damoclès, «juste au-dessus de la
tête» du titre original) dans laquelle les personnages se débattent avec
plus ou moins de succès ou de courage: «La musique ne commence pas
comme une chanson… Oublie toutes les conneries que tu entends. La
musique peut devenir une chanson, mais elle commence par un cri. C’est
tout. Ça peut être le cri d’un nouveau né, ou le bruit d’un cochon qu’on
tue, ou celui d’un homme à qui on coupe les couilles. Et ce son est
partout. Les gens passent des vies entières à essayer d’étouffer ce son.» Comme
Ernest J. Gaines, né le 15 janvier 1933 dans une plantation de
Louisiane, ou d’autres écrivains afro-américains, James Baldwin a
l’épaisseur de vie des auteurs qui comprennent la complexité des
rapports humains et socio-historiques au travers de leurs perceptions
pour recomposer une réalité universelle, en utilisant la poésie et la
musique pour rythmer leurs récits philosophiques, comme les chants de
l’Odyssée nous embarquent dans les épopées d’Ulysse. La force de la
pensée de James Baldwin réside dans l’énoncé clair et simple que le
rapport de domination (raciste, sexiste, social, politique) est
seulement l’expression violente du complexe de supériorité, seulement le
fait de celui qui veut dominer pour se sentir exister, pas de
«l’autre», quoi qu’il lui soit reproché à commencer par sa seule
existence. James Baldwin est retourné aux Etats-Unis se battre pour
les droits civiques en 1957, puis est rentré à St-Paul-de-Vence en 1970.
C’est neuf ans plus tard qu’il achèvera ce roman, comme aboutissement
de ses premiers écrits, du début de sa réflexion dès 1953, il avait 19
ans.
Martin Luther King, Autobiographie, textes réunis par Clayborne Carson, traduction
annotée soignée de Marc Saporta et Michèle Truchan-Saporta, Bayard
Editions, Paris, 2008, réédition 2017, 480p (Edition originale de 1998
en anglais, Ed. The Heirs to the Estate of Martin Luther Kink Jr./Warner
Books Inc. NY, NY)
Cette «auto»biographie est en fait le
fruit collectif d’un travail impressionnant, intègre et passionnant, de
l’équipe de Clayborne Carson qui, étudiant âgé de 19 ans, avait vu
Martin Luther King, le 28 août 1963, prononcer le discours de clôture de
la Marche sur Washington. Devenu historien à l’Université de Stanford,
plus de 20 ans après, Coretta Scott King, l’épouse de Martin Luther King
lui confie ce travail d’héritage en faveur de la justice sociale.
La
dynamique des textes mise en place par Clayborne Carson, permet de
donner vie à la formation, au combat, et à travers lui, de comprendre le
trajet, finalement dantesque, d’un bon fils, étudiant discipliné devenu
un humble pasteur (baptiste), qui, aspirant à une vie simple de devoirs
et d’attention aux autres, se transforme en Don Quichotte de l’égalité
des droits civiques et de la justice sociale, construit en opposition
par les horreurs des ségrégationnistes eux-mêmes.
La clarté de la construction de l’ouvrage met en valeur et en relief, au fil des 32 chapitres1,
de la documentation des sources et de l’index bienvenu tant la matière
est dense, la mutation inévitable de l’humain pour peu qu’il ait une
conscience, un objectif, le respect des autres et de lui-même, et du
courage; et ce, quelles que soient ses aspirations de départ. L’ouvrage
permet aussi de comprendre pourquoi et comment ses adversaires devront
finalement l’assassiner pour arrêter le danger qu’il représente, étant
passé du discours religieux de la soumission à celui bien trop subversif
(pour des dominants et des soumis) qui intègre la vraie vie politique,
sociale, morale, économique, en ralliant à lui la mémoire de tous les
humains qui alors se mettent en action et contestent l’injustice de la
loi pernicieuse antidémocratique. Il était parti de son église pour
prêcher au monde, et en général, c’est un parcours fatal car il
s’attaque directement à la racine très sensible du pouvoir: le rapport
de domination.
Chaque chapitre porte un titre évocateur, quelques
lignes de Martin Luther King en exergue pour poser le sujet, une
chronologie s’y rapportant directement, puis les textes (écrits de
réflexion personnelle, prêches, lettres, message, télégrammes…) se
déroulent et s’emboîtent comme un parfait puzzle. Le plus magique est
que la pensée suit son cours également de façon chronologique, en
fonction des événements, comme l’horlogerie huilée d’un roman
d’Alexandre Dumas: la croyance qui, au fil des expériences du réel
deviendra la pensée rationnelle, impacte des actions, et est directement
impactée par réaction en retour: une vraie partie d’échecs. Le
cheminement intellectuel pragmatique prend son rythme de croisière d’une
fluidité implacable, draguant dans ses filets toutes les incohérences
des traditions malsaines héritées de la mauvaise foi et de l’intérêt de
ses détracteurs et contradicteurs, les édiles du pouvoir qui ont fait le
monde à leur main.
Tout est extraordinaire dans son destin, au
sens étymologique des deux mots; sans doute du fait de la tension
extrême de la situation, aussi à titre personnel, sa lettre du 16 avril
1963 –écrite depuis sa geôle de Birmingham en réponse à des mensonges et
propos racistes énoncés dans un journal par huit religieux d’Alabama en
forme de leçons de «sagesse» et de «morale», en fait d’injonctions de
soumission de sa part– est une véritable leçon de morale politique (des
institutions), publique (du pouvoir) et individuelle (des personnes)
d’une clarté rejoignant les philosophes des Lumières et dont pourraient
s’inspirer nos dirigeants du monde s’ils étaient touchés par la grâce
humaniste.
Mais revenons à Martin Luther King: il était un
infatigable ingénieur d’action, un fédérateur d’énergies (la description
de son entourage, de ses frères de combat, de ses soutiens
indéfectibles), un honnête homme qui ne prenait rien pour argent
comptant, et un stratège de la justice sociale et de l’égalité, les deux
conditions qui, seules, pouvaient amener à la liberté (alors que
souvent, par intérêt personnel, les détenteurs de pouvoirs font passer
une liberté de façade avant l’égalité qui en est pourtant la condition
première et préalable). Son fil conducteur se nourrissait des autres et
il les gratifiait en retour d’une pédagogie patiente: sa quête du chemin
à ouvrir dans les esprits ne s’arrêta jamais quels que soient ses
doutes ou ses désespoirs qu’il savait dépasser. Enfin, revenons à
l’homme, qui a compris d’emblée mais aussi de plus en plus au fil de
l’escalade risquée, par une observation clinique des mouvements humains
sur la planète, que le combat pour la justice sociale nécessitait de
n’avoir plus peur: ni des coups, ni de la douleur, ni de l’ignominie, ni
de la prison, ni de l’intense fatigue, ni du manque de vie privée, ni
de la mort, car tout prenait sens au regard de la «situation» (comme la
qualifiait Pier Paolo Pasolini la veille de sa mort en 1975) des
Afro-Américains, des Etats-Unis, et du monde.
Une de ses
dernières phrases dite le 3 avril 1968 à Memphis (la veille de son
assassinat) nous renseigne sur son besoin d’aller au bout: «Quel que
soit le nom qu’on lui donne, il se livre une lutte dans l’univers entre
le bien et le mal… Sigmund Freud avait l’habitude de dire que cette
tension était une tension entre ce qu’il appelait le ça et le surmoi…
Dans chacun de nous, il y a une guerre qui se livre: une guerre civile…
Et la question que je veux vous poser, c’est: "votre cœur est-il rempli
de droiture?”… Car le monde est sens dessus dessous. Notre nation est
malade… La confusion règne partout… Nous nous trouvons à un point où il
faudra nous colleter avec les problèmes que les hommes ont tenté
d’empoigner pendant toute leur histoire… Mais il y a va maintenant de
notre survie… C’est la non violence ou la non existence. Voilà où nous
en sommes aujourd’hui… Nous devons nous donner à ce combat jusqu’au
bout… Nous devons en finir. Même si cela signifie que vous devez planter
là votre travail, même si cela signifie que vous devez sécher l’école,
soyez présents. Pensez à vos frères. Vous pouvez ne pas faire grève,
mais, ou bien nous progresserons tous ensemble, ou bien nous coulerons
tous ensemble…» Quelle phrase clairvoyante et contemporaine, 55 ans
plus tard, car cher, très cher Martin Luther King, c’est un fait, nous
coulons et avec la violence, presque tous ensemble, car comme pour le
Titanic, certains petits malins se sont mis des chaloupes de côté.
*
1. Les chapitres:
1. Les premières années; 2. Le collège universitaire Morehouse; 3. Le
séminaire Crozer; 4. L'université de Boston; 5. Coretta; 6. L'église
baptiste de Dexter Avenue; 7. Le mouvement de Montgomery se déclenche;
8. La violence d'hommes désespérés; 9. La déségrégation enfin; 10.
L'élargissement de la lutte; 11. Naissance d'une nouvelle nation; 12. À
deux doigts de la mort; 13. Pèlerinage aux sources de la non-violence;
14. Le mouvement des sit-in; 15. Arrestation à Atlanta et politique
présidentielle; 16. Le mouvement d'Albany; 17. La campagne de
Birmingham; 18. Lettre de la geôle de Birmingham; 19. La liberté tout de
suite!; 20. La Marche sur Washington; 21. La mort des illusions; 22.
St. Augustine; 23. Le défi du Mississippi; 24. Le prix Nobel de la paix;
25. Malcolm X; 26. Selma; 27. Watts; 28. La campagne de Chicago; 29.
Black Power, Pouvoir noir; 30. Au-delà du Vietnam; 31. La «Campagne des
pauvres gens»; 32. Les rêves non réalisés.
• A propos de Martin Luther King (15 janvier 1929 Atlanta-Géorgie, 4 avril 1968, Memphis, Tennessee) : Très complémentaire et si vous ne l’avez pas encore vu (en film sorti en salle cet été et toujours en DVD): King, de Montgomery à Memphis: The Martin Luther King Film Project,
175 min., Réal. Ely Landau et Richard Kaplan, avec la participation de
Joseph Mankiewicz et Sidney Lumet, Prod. Kino Lorber/Library of
Congress, 1970, dist. France 2016 par ZED (www.zed.fr), cf. Jazz Hot, Editorial du n°681, automne 2017.
• Ecrits, sermons, textes, protestations et livres de Martin Luther King de 1955 à 1968 : - Montgomery Bus Boycott, 1955-1956 - Prayer Pilgrimage for Freedom/Give Us the Ballot, 1957 - Stride Toward Freedom: The Montgomery Story, 1958 - What is man? The Measure of a Man, 1959 - Albany Movement 1961-1962 - The Second Emancipation Proclamation, 1962 - Birmingham Campaign, 1963 - Strength to Love, 1963 - Letter from Birmingham City Jail and The Negro Is Your Brother, 1963 - March on Washington for Jobs and Freedom/I Have a Dream, 1963 - St. Augustine Movement, 1963-1964 - Why we can’t wait, 1964 - Selma to Montgomery Marches/ How Long, Not Long, 1965 - Chicago Freedom Movement, 1966 - Mississippi March Against Fear, 1966 - Black Power, 1966 - Conscience for Change, 1967 - Anti-Vietnam War Movement/Beyond Vietnam: A Time to Break Silence, 1967 - Where Do We Go from Here: Chaos or Community, 1967 - Memphis Sanitation Strike/I’ve Been to the Moutaintop, 1968 - Poor People’s Campaign/March on Washington, (27 nov 1967-24 juin 1968), après son assassinat.
It's All Good: Colossal Conversations with Sonny Rollins, Christine M. Theard, Ed. They Are Divine Books, Dana Point, Californie, 2018, 192p. theyaredivinebooks@gmail.com
Le Dr. Christine M. Theard, auteur de It's all Good que nous traduirons par «Tout va bien», est cardiologue praticienne de la méditation et des thérapies naturelles. Elle est la fille d'Yvonne Theard, une artiste peintre qui a fait le portrait en couverture d'après la photo de Chuck Stewart (qui servit de cover à Next Album,
de Sonny Rollins, Milestone, enregistré en 1972), et de Les Theard, un
ami et admirateur de longue date de Sonny Rollins (depuis 1976), du
jazz, de Paris et des festivals de jazz en France.
De ce fait, un
jour, Christine Theard rencontre Sonny Rollins; ils se recroisent, et
Christine lui téléphone régulièrement: le livre peut se lire sous
plusieurs angles selon le parcours de chaque lecteur; la quête des
humains pour «faire» une meilleure humanité, la dimension philosophique
de Sonny Rollins, ou la rencontre de deux personnes très différentes
qui, par des chemins très éloignés, auront plaisir à échanger des propos
plus approfondis sur la quête du sens de la vie.
Chapîtré par
thème (15 au total), la respiration des propos de Sonny Rollins nous
rappelle sa musique authentiquement enracinée, la profondeur modeste de
son être et l'âme collective du jazz: rien que pour retrouver la
perception sensitive de Sonny Rollins confronté aux étapes de la vie,
ces conversations ont déjà un sens, en dehors même de l'aspect mystique
de la voie/voix suivie par l'auteur qui voulait faire du Colosse un
maître à penser pour les autres qu'il ne veut être en aucun cas...
Il
est sage et sait qu'il a donné ce qu'il devait, du mieux qu'il pouvait,
à tous ceux qui l'ont approché, écouté et souvent compris sans mot,
juste par la qualité universelle de son expression.
Mon
Royaume pour une guitare est un roman autobiographique de Kidi Bebey
qui retrace –entre contes de l’enfance, récits à la manière de Jorge
Amado et histoire politique internationale qui tourne au drame et au désastre national à l’heure de l’autodétermination des
peuples– le chemin qui mena son père, le réputé Francis Bebey,
guitariste (15 juillet 1929, Douala-28 mai 2001, Paris) du Cameroun au
Carnegie Hall, en passant par Paris. Loin du conte de fées, la voix
et la voie choisies par Kidi Bebey (née à Paris en 1961) sont un
entre-deux, voire un entre-trois et même davantage: entre colonisation,
décolonisation et indépendance; entre Paris, France, Cameroun et
mutations de la planète; entre traditions, révoltes et émancipations;
entre besoin de sécurité, république familiale et combats politiques
tous azimuts; entre serments d’enfance, conforts d’adultes et peurs
viscérales; entre mythes, projets éternels et réalités; entre chagrins
irréversibles, courages et respirations de lavande; entre besoin vital
d’ancrage, de choix de racines et envie de conquête du monde; entre
musiques, journalisme et littérature. Une guitare apparaît par magie au XVe siècle sur les flots et disparaît par hasard à la fin du XXe siècle sur la terre: entre ces deux bornes du temps, entre ces deux éléments, Kidi Bebey raconte l’histoire de l’humanité. Comment ce livre est arrivé jusqu’à Jazz Hot?
Sans aucun doute par l’entremise bienveillante des esprits vaudous;
aussi parce que Francis Bebey vécut à Paris dans l’âge d’or du jazz,
qu’il s’en imprégna au point de collectionner des Jazz Hot, et
sans doute d’en enrichir sa personne, son entourage pour élaborer une
synthèse humaine, la sienne, dont rend compte avec beaucoup de
sensibilité et de nuances Kidi Bebey, sa fille.
Ce livre captivant (que nous traduirons par Oscar Alemán, La guitare ensorcelée) est non seulement un bel outil documentaire sur la vie de l'artiste (1909-1980, cf. Jazz Hot n°283-1972
notamment) mais surtout un travail soigné de reconstitution des
échanges, nombreux et denses à travers la planète et les événements (de
Django à Duke Ellington, Svend Assmusen ou Josephine Baker, de Charles
Delaunay à Ray Ventura pour n'en citer que très peu)... Quand les
voyages étaient moins simples et plus longs, la «communication »
virtuelle inexistante, mais que l'envie de se rencontrer et d’apprendre à
se connaître dans la vraie vie était vitale, «urgente» aurait dit Pier
Paolo Pasolini. Argentin comme Oscar Alemán, l'auteur Sergio Pujol est
un historien spécialisé dans la/les musique/s populaire/s et passionné
par le lien profond entre l'histoire politique des hommes et l'histoire
biographique et culturelle des artistes: une évidence trop souvent
oubliée par ceux pour qui la musique ne passe que par les oreilles, lui
faisant ainsi perdre la quasi totalité de son sens. Indispensable!
Hélène Sportis
Jazz Hot n°685, automne 2018
Jazz Brushes
Pictograms to improve your jazz drumming technique
Nous
avions déjà parlé du recueil de transcriptions (de Baby Dodds à Brian
Blade) que Guillaume Nouaux fit paraître chez le même éditeur en 2012.
Il nous propose une autre contribution à l'art de la batterie. Et elle
est significative car l'approche pédagogique est nouvelle. Comme le
titre l'indique (en anglais) il s'agit d'apprendre le jeu de balais dans
les situations courantes de ce que l'on appelle jazz. Et comme le titre
le précise, l'ouvrage est destiné à améliorer la technique de batterie.
Ce qui veut dire qu'elle ne vise pas le débutant. En effet, d'après les
batteurs que j'ai interrogé, dont Guillaume Nouaux, on commence l'étude
du jeu de balais une fois que l'on a maîtrisé un minimum de technique
de la batterie avec les baguettes (par exemple à 12-13 ans lorsqu'on a
débuté à 7 ans). Cette méthode est un système pédagogique que Guillaume
Nouaux a créé pour ses élèves afin d'enseigner les rudiments du jeu de
balais jazz. S'il existe des méthodes pour le jeu de balais (cf p.45 les
"selected books”), aucune ne propose cette approche sous la
forme de pictogrammes dans des cercles reliés en forme de livre sur
lequel on peut jouer directement. Vous partez en vacances? Il suffit
d'une paire de balais et de ce livre pour travailler. La concrétisation
iconographique est un compromis (format, aspect pratique et coût de
réalisation). Au départ Guillaume Nouaux avait découpé en arrondi des
feuilles de papier canson A3 pour figurer plusieurs motifs de jeu de
balais afin qu'ils puissent jouer tous les types de tempo.
Chaque feuille épousait la surface de la caisse claire. Guillaume Nouaux
a remarqué qu'une fois la feuille posée, c'était pour l'élève un moyen
aisé de comprendre. Dès que le parcours de chaque main était mémorisé,
Guillaume Nouaux enlevait la feuille et c'était parti! Au début
Guillaume Nouaux a pensé faire réaliser un stock de grosses feuilles
rondes, épaisses, à poser sur la caisse claire et à ranger dans une
boîte. Mais c'était trop coûteux à réaliser. D'où l'aboutissement à ce
recueil souple et relié. En testant sur un 33 tours vinyle, Guillaume
Nouaux s'est rendu compte que le diamètre convenait pour s'entraîner au
jeu de balais. Même si le diamètre est plus petit que celui d'une caisse
claire: diamètre de 27 cm, c'est à dire environ 10,63 pouces alors que
la caisse claire fait 14 pouces. Comme l'a expérimenté le jeune batteur
Pierre Hurty: "travailler sur un espace restreint ne peut être que
profitable par la suite, il est toujours plus facile d'agrandir les
mouvements que de les rétrécir”. Ainsi conçu ce recueil propose 6
chapitres de travail: ballads & slow swing tempos, medium swing
tempos, fast swing tempos, shuffle grooves, jazz waltz (¾), latin jazz
grooves. Le parcours de la main gauche est en rouge, celui de la main
droite en bleu (politiquement correct). La frappe est symbolisée par un
rond, le frotté par une ligne. Enfin, le sens du mouvement est
symbolisé. Tout ceci est clair. Il faut commencer "par travailler chaque
main séparément avant de tenter de les jouer ensemble...Lorsque vous
aurez mémorisé les mouvements à réaliser, vous pourrez alors transposer
ces patterns sur votre caisse claire” (Guillaume Nouaux).
L'auteur indique que ces exercices sont des accompagnements "qui
sonnent” et qu'il utilise en situation réelle de jeu derrière les divers
musiciens avec lesquels il joue. Contrairement à Freddie Keppard qui,
dit la légende, mettait un mouchoir sur ses doigts pour qu'on ne lui
vole pas ses doigtés, Guillaume Nouaux divulgue ses "secrets”...mais
avant d'avoir sur scène beaucoup de "petits nouaux”, il leur faudra
beaucoup travailler cette méthode, désormais indispensable dans l'art de
la batterie. Notez que pages 44-45 vous trouverez une sélecton d'albums
et de vidéos de batteurs (américains)
Michel Laplace
Jazz Hot n°685, automne 2018
Charles Mingus
Moins qu’un chien
traduction Jacques B. Hess
Moins qu’un chien, Charles Mingus, Editions Parenthèses, Marseille, 2018, 272p, 1e édition en 1971 www.editionsparentheses.com
La
réédition du célèbre roman (certains noms et faits sont modifiés)
autobiographique du légendaire contrebassiste/compositeur/pianiste/band
leader et écrivain pour l’occasion (22/4/1922 Nogales, Arizona-5/1/1979
Cuernavaca, Mexique), fera ressentir, s’ils sont sensibles, à ceux qui
ne l’ont jamais lu, car c'est un ouvrage très réédité depuis sa première
parution en 1971, le monde d’injustices et de violences de la
ségrégation ordinaire du quotidien, dont les résurgences actuelles de
toutes les couleurs, religions, classes, castes et sexes rappellent que
le combat pour l’égalité, la fraternité, la justice, la liberté n’est
jamais gagné; la raison de ce «jamais acquis» est due à la pathologie
psychiatrique du rapport de force dans la société. Et ce «jamais acquis»
a fait naître la pensée de Martin Luther King, James Baldwin, Chester
Himes, Ernest J. Gaines, Claude McKay pour n’en citer que cinq,
philosophes pragmatiques, enfants des Lumières et de 1789. Comme disait
Marlon Brando à Martin Luther King qui lui demandait lors d’un échange
public pour faire avancer l’égalité des droits (avant 1964) ce qu’il
pensait de l’action des Afro-Américains: «C’est à nous d’apprendre de
vous.» Moins qu’un chien est aussi un témoignage cinglant qui
rappelle à ceux qui voudraient toujours l’effacer (car la blessure de
l’histoire réelle dérange) que le jazz (blues, gospel, musique
afro-américaine), loin d’un divertissement ou d’une technique, est le
«fruit étrange» des rapports (in)humains. «Apprendre, c’est partager
l’expérience, c’est ça et que ça» disait Maxime Gorki en 1930. Claude
McKay qui fera le voyage de Moscou, a écrit dans Un sacré bout de chemin en 1937 (paru chez un autre éditeur marseillais, André Dimanche): «La
majorité d’entre nous ne fait que du sentiment au sujet des souffrances
d’autrui. Mais c’est seulement quand une véritable expérience nous tord
les tripes que nous comprenons vraiment.» A lire, à relire et
méditer. Dommage que les dominants dominent (il y a même des tout petits
dominants) plutôt que de chercher à comprendre ces auteurs, car,
n’ayant pas les lynchages derrière eux, ils ont vraiment du mal à saisir
ce qu’ils font aux autres, quels que soient leurs parcours et leurs
niveaux d’instruction. A Marseille, un autre philosophe du feeling tone
(la perception du réel), Marcel Pagnol, a écrit dans ses Confidences :
«Nos idées et nos convictions prennent très vite la couleur de nos
intérêts.» Ceci explique cela. Enfin, la philosophie du jazz pourrait
s’exprimer, pour rester à Marseille, par la voix d’Edmond Dantès, dans Le Comte de Monte-Cristo, de Dumas qui a eu à pâtir du racisme: «Celui-là seul qui a éprouvé l’extrême infortune est apte à ressentir l’extrême félicité.».
Transformer et transcender le malheur en art est sans doute la clé. Une
livre de Charles Mingus toujours essentiel à la compréhension de ce
qu'est le jazz.
Hélène Sportis
Jazz Hot n°685, automne 2018
SOUL R&B FUNK
PHOTOGRAPHS 1972-1982
par Bruce W. Talamon
SOUL R&B FUNK, photographs 1972-1982, Bruce W. Talamon, Taschen 2018, Paris, 376 pages, 35cm x 25cm, trilingue.
«Le corps de mon travail a été de montrer le processus brut et entier, par opposition à cette seule partie que la publicité et les maisons de disques veulent que vous voyiez.»
Cette phrase, extraite des propos denses et minutieux d'orfèvre de Bruce W. Talamon dans ce livre, de photographe mais pas seulement, met en évidence son parcours, sa recherche et son besoin d'atteindre l'essence de ce qu'il capte plutôt que d'enfumer le «Soul R&B Funk way of life» à des fins illusoires et/ou mercantiles. Il vous dit ses secrets d'excellence de perceptions (de feeling tone): «Toujours être prêt», savoir écouter et capter méticuleusement des «compétences sociales» ou techniques, puiser dans la proximité toujours vivante de ceux qui l'ont fait et ne sont parfois plus.
Sa biographie consistante lui a évité la facilité d'un parcours classique d'étudiant en droit après Sciences Po et permis la richesse d'une vie remplie. Cet opus est aussi une somme d'excellences (les artistes, leurs entourages, leur histoire collective, le photographe, ses maîtres, ses rencontres, l'équipe éditoriale du livre), portée par l'exigence de chacun à chaque minute et sur un temps long, le contraire-même de notre quotidien actuel porté par nos élites aujourd'hui rivées au virtuel, aveuglée par les paillettes, droguées à la rentabilité, à la concurrence et à l'immédiateté.
Également disponible dans une édition d’art limitée à 500 exemplaires, comprenant un portfolio de quatre tirages signés par Bruce W. Talamon, n'attendez pas Noël pour découvrir SOUL R&B FUNK, une somme artistique visuelle, philosophique et sociologique sur une civilisation à part entière qui ouvre la réflexion et la rêverie à un monde entier, dans la tradition des Carnets d'enquêtes d'Emile Zola qui traqua et consigna lui aussi inlassablement toute sa vie chaque détail du réel perçu, et a su le rendre vivant par l'écrit, les dessins, les photos. Restituer le réel dans sa complexité, ses nuances et sa crudité est le travail des artisans-artistes.
Né à New York en 1924, Bud Powell est l’un des acteurs majeurs du bebop. La vie erratique du pianiste a déjà suscité des exégèses, au premier rang desquelles le célèbre récit de Francis Paudras, La danse des Infidèles. Le joli premier livre de Jean-Baptiste Fichet n’esquive pas l’enjeu majeur associé à l’évocation d’un personnage génial, mais il choisit d’en donner une interprétation toute personnelle, ce qui est sans doute sa qualité cardinale. S’il meurt à Brooklyn en 1966, Bud Powell n’en est pas moins l’un des principaux ambassadeurs du bebop en Europe, et l’auteur ne craint d’ailleurs pas d’affirmer que l’ultime voyage aux USA de Powell est bel et bien le voyage de trop, responsable d’une mort précoce qui eut peut-être pu être évitée au contact de l’entourage amical de l’artiste à Paris. Quelque chose, chez Bud Powell, échappe en effet à l’appréhension du commun des mortels. Sur cet axiome, Jean-Baptiste Fichet a construit tout son livre, la rencontre avec Powell se faisant à la lueur des magnifiques compositions proposées par le pianiste, avant qu’un approfondissement du parcours, de la personnalité, ainsi que l’établissement d’une biographie sous forme de flashbacks, en filigranes du récit, n’établisse le parcours du pur styliste de jazz qu’était Bud Powell. Encore aujourd’hui considéré comme un musicien pour musiciens, cette relative méconnaissance du grand public laisse planer une large part de mystère sur le comportement parfois enfantin, parfois autodestructeur de l’artiste. Entre l’essai et le récit romanesque, le texte de Jean-Baptiste Fichet se veut tout d’abord narratif, avant que de se morceler toujours plus à mesure que la trajectoire du pianiste devient plus aléatoire, tel un météore voué à se consumer. Les propriétés stylistiques de l’art développé par le pianiste combinent exigence artistique et désir d’intégrité, conjugués avec une quête de l’absolu menaçant sa santé et son équilibre. Earl Rudolph Powell est, de ce point de vue, le véritable alter ego de Charlie Parker, tant il joue de son piano comme s’il était en proie à de véritables états extatiques. Sa liberté de ton, sa virtuosité, en matière d’exécution comme d’harmonisation, en font sans doute l’un des plus grands pianistes de tous les temps, génie foudroyé à la Antonin Artaud, que même son séjour en France, à la fin des années 1950 et débuts des années 1960, ne pourra sauver d’un destin que le profane devine tragique dès les premières pages du livre de Jean-Baptiste Fichet. Loin du traité musicologique, quoiqu’émaillé de citations de collègues musiciens qui viennent étayer la thèse de l’artiste génial finalement déchu; usant d’aphorismes et d’anecdotes, l’auteur restitue l’atmosphère fiévreuse et embrumée de nuits intenses passées à honorer les engagements de managers à l’honnêteté douteuse, servant néanmoins la Musique avec un grand M à chaque chorus joué, quelle que soit la situation du moment. La culture du fragment permet à Jean-Baptiste Fichet d’approcher la nébuleuse qui entoure l’homme malade et incompris. Bud Powell ressort de ce livre comme le vecteur par lequel l’auteur est entré en jazz, les mots comblant les vides laissés par l’absence d’informations dans le sillage du pianiste d’exception. L’ambition de dresser une sorte de cartographie du génie artistique prend ici la forme déchiquetée d’une côte escarpée, archipélagique, comme une préfiguration d’un monde ouvert sur l’infini. Cette méthode tranche avec le discours d’expert habituellement privilégié pour parler des grandes figures du jazz, et relate la rencontre que tout un chacun, quel que soit son savoir et ses connaissances, peut faire avec un personnage multiforme qui le révèle à lui-même. L’œuvre comporte avant tout des aspects littéraires, et relève de portraits subjectifs tels ceux réalisés par Stefan Zweig des personnages illustres qui avaient sa faveur. Jean-Baptiste Fichet fait partager ici une fascination réelle pour le personnage de Bud Powell, renonçant à une entreprise d’analyse musicale d’un phénomène inaccessible au commun des mortels lorsqu’on l’aborde en témoin du processus créatif à l’œuvre chez un authentique génie. C’est en acceptant le principe de l’élaboration et du développement d’une passion qu’on tire le meilleur parti de la lecture de ce livre, esthétique fondamentale finalement très proche de celle du pianiste mythique, dont l’absence de calcul et la dévotion envers le moment présent demeurent la meilleure clé pour saisir une musique qui fait songer à la notion d’exil intérieur de Roland Jaccard En fin de compte, La beauté Bud Powell restitue à merveille le risque d’exemption encouru par tout créateur authentique, un processus de dépersonnalisation permettant d’atteindre à l’universel, mais qui, dans le cas de Bud Powell le poussait aussi dangereusement aux lisières de la maladie mentale.
Claude Ranger.
Canadian Jazz legend, par Mark Miller, Editions Tellwell, Victoria, BC, Canada,
2017, en anglais, 280p. www.tellwell.ca
Mark Miller, basé à Toronto, journaliste de 1978 à 2005,
auteur déjà réputé pour ses indispensables contributions à la découverte et à
l’histoire du jazz au Canada, a par ailleurs abordé Charlie Parker (le passage
de 1953 au Canada), Valaida Snow (2007), Herbie Nichols (2009), Lonnie Johnson
(2011). Il poursuit ici son œuvre en nous faisant découvrir une
légende locale, comme il en existe dans tous les pays qui ont une scène jazz
active, Claude Ranger, batteur qui pour avoir essentiellement œuvré au Canada,
n’en est pas moins un de ces musiciens talentueux et essentiels à la riche
scène, voisine du grand réservoir des Etats-Unis, dont le phare n’est autre
qu’Oscar Peterson. Claude Ranger, son éternelle cigarette rivée au coin des
lèvres, a une vingtaine de disques à son actif, en sideman, et, parmi les
musiciens qu’il a accompagnés, on retrouve Michel Donato, Sonny Greenwich, Dave
Liebman, Jane Bunnett, Don Thompson, Lenny Breau, Dewey Redman, George Coleman,
Phil Woods, car il fut un élément de qualité de la scène montréalaise qu’il
quitta en 1987 pour s’établir à Vancouver, et devenir un pilier du festival Du
Maurier, et diriger ses formations du trio au big band (Jade Orchestra).
Compositeur, il s’est orienté vers une écriture élaborée. Ses orchestres ont aussi
été un creuset pour nombre de musiciens locaux, Claude Ranger assumant le rôle
d’ancien et de passeur. Ses qualités de batteur, qu’on rapproche de Max Roach, autant
que sa biographie en ont fait une légende. Claude Ranger est né à Montréal en 1941, et sa carrière
s’est arrêté à la fin des années 1990, quand il a cédé ses instruments, se détachant
progressivement du monde du jazz, et, après un retrait dans une communauté, il
est, un jour de novembre 2002, parti de son domicile pour ne jamais y revenir.
Personne ne sait ce qu’il est devenu, accentuant la légende du musicien qui accompagne
parfois le jazz. Son destin, raconté par Mark Miller, qui l’a interviewé à
plusieurs reprises, et qui tire une partie de son information d’un ami de
Claude Ranger qui le côtoya jusqu’aux derniers jours précédant sa disparition,
raconte aussi près de quarante ans de l’histoire de la scène canadienne. La
sensibilité de Claude Ranger lui fit apprécier en particulier la musique de
Deway Redman qu’il accompagna. Voici donc un bon ouvrage de découverte d’une scène du jazz
par l’un de ses meilleurs connaisseurs, et celle d’un musicien mystérieusement
disparu, comme cela arrive parfois dans le jazz, après lui avoir consacré sa
vie pendant une quarantaine d’années…
Good Things Happen Slowly:
A Life In and Out of Jazz, par Fred Hersh, Editions Crown Archetype, New York,
NY, USA, 2017, en anglais, 310p. crownpublishing.com
Justement sous-titré sur le plan artistique «A Life In and
Out of Jazz» et plus mystérieusement avec une texte de jaquette intitulé «Jazz
could not contain Fred Hersh», cette autobiographie d’un encore jeune musicien,
dédicacée à son compagnon, Scott, relate la vie, parfois complexe dans ses
incertitudes, douloureuse (une longue et grave maladie) et les recherches artistiques
de ce grand artiste du piano que nous avons rencontré (cf. Jazz Hot n°679). Il possède une remarquable discographie, en leader
et en sideman, pour ceux qui n’ont pas eu la chance de l’écouter en live, à Paris ou ailleurs, car il est un
habitué de la scène de jazz dans le monde, en particulier de celle du Village
Vanguard (en solo et trio) dont il est devenu une légende vivante et
régulièrement programmée. Il raconte cette relation dans l’interview. Vous l’avez deviné, à la lecture du titre, sous-titre et
texte de jaquette, ce livre éclaire la personnalité et donc la musique d’un de
ces artistes de talent, qui pour ne pas appartenir «a priori» à la tradition du
jazz, ont su établir une synthèse personnelle, une sorte d’arrangement avec
cette grande tradition culturelle, pour la fréquenter sans la trahir, sans
l’accaparer ou la détourner, en invité savant capable de respecter les codes
d’une culture, voire de les enrichir de sa différence. Les exemples existent dans le jazz, pas si nombreux depuis
Django Reinhardt, Lennie Tristano, Bill Evans, et peu importe au fond qu’on
sente cette différence de culture native quand les invités sont aussi riches
sur le plan personnel, artistique, culturel et si respectueux, curieux,
généreux, enthousiastes, convaincus depuis leur plus jeune âge pour leur maison
d’accueil, cette culture, pour la langue native, le jazz. Voilà, en résumé, comment décrire Fred Hersch: lire un
ouvrage sorti de sa plume pour l’expliquer par des mots est une sorte de cadeau,
sans doute aussi un exercice personnel de clarification qui aide à la
maturation de son expression. On peut lire, pour commencer, le chapitre justement
intitulé «To Begin» et malicieusement placé à la page 296, comme une sorte de
clé cachée pour ceux qui n’aurait pas tout saisi de ce personnage sympathique
au sens profond du mot, qui se définit en fin de compte, malgré le titre, le
sous-titre et celui de la jaquette: «I’m a jazz musician».
Jazz et
Franc-Maçonnerie. Une histoire occultée, Yves Rodde-Migdal, Editions Cépaduès,
coll. de Midi, Toulouse, 2017, 80p. www.cepadues.com
Sujet intéressant, mais livre très décevant, qui laisse
l’histoire aussi occultée qu’elle l’était, avec un contenu confus, insuffisant et
approximatif, sur tous les plans: celui de l’information, de la franc-maçonnerie,
du jazz et de la langue. On ne retiendra pas grand-chose de cette suite de
généralités et de poncifs sur un sujet qui nécessite un travail beaucoup plus
approfondi. L’auteur, qui semble pourtant bien placé pour le traiter puisqu’il
est, paraît-il, franc-maçon et musicien de jazz, accumule généralités et lieux
communs sur le jazz, sans apporter de fond à un sujet qui en demande puisqu’il
est, par nature, quelque peu mystérieux et pour «initiés». Malgré la préface du
Grand Maître du Grand Orient de France, ce n’est pas avec ce petit livre que
«I’m Begining to See the Light» comme aurait dit Duke Ellington, grand maître
du jazz, et c’est ce qui restera de lui plus que le tablier en coton blanc de
l’initié qu’il fut. Cela dit, on aurait aimé avoir des informations
approfondies et originales sur ce sujet car c’est une dimension de l’histoire
afro-américaine et plus largement de l’Amérique.
Jazz Art of Takao
Fujioka, Way Out West, vol. 100 Anniversary, Editions JAZGRA, Osaka, Japon,
2017, 80p., www.jazgra.com
Voici 78 dessins réalisés de 2009 à 2017, par
l’excellent Takao Fujioka, qui reprend à sa façon, l’héritage des très belles illustrations
léguées par le légendaire David Stone Martin. Jouant sur des perspectives
accentuées, utilisant un trait unique à l’encre noire, le plus souvent une
couleur dominante (parfois deux) en aplat uni, plus le noir (trait ou aplat) et
le blanc du papier à dessin, il y a un souci de stylisation du jazz, comme chez
le grand devancier.
C’est très beau, avec une manière unique et reconnaissable
au premier coup d’œil, comme le son des musiciens qu’il immortalise, et Takao
Fujioka restitue à la perfection les attitudes des musiciens, les atmosphères,
avec sa manière si particulière.
Il faudrait encore des 33 tours 30 cm pour qu’un tel
talent puisse continuer à apporter sa richesse au jazz, car son imagination et
la fulgurance de son trait conviennent parfaitement à l’art qu’il honore.
Takao Fujioka est un grand artiste et ce sobre livre en
format ordinaire est un plaisir des yeux et du jazz, tout à fait dans la
tradition. Indispensable!
Avec cette même imagination et ce même talent, l'artiste avait réalisé une belle œuvre en forme de dédicace pour les 80 ans de Jazz Hot en 2015 (ci-contre).
Jazz en 150 figures, par Guillaume Belhomme, Editions du Layeur, 2017, 360p.
Guillaume Belhomme, un ancien de l’équipe de Jazz Hot, bien qu’encore jeune, auteur par ailleurs de quelques ouvrages sur le jazz consacrés à Eric Dolphy, Jackie McLean, entre autres, propose ici un beau livre (format 25x25cm), pour une anthologie biographique de 150 musiciens qui, d’après l’auteur, sont des bornes de l’expression jazzique. L’ouvrage est bien imprimé et photogravé, illustré de photos et de pochettes de disques, donc plutôt attrayant sur le plan de la forme.
Sur le fond, comme l’auteur le remarque, ce genre d’exercice consiste à oublier beaucoup de musiciens très importants, voire essentiels au jazz, comme c’est le cas ici (la liste sera trop longue) et à mentionner beaucoup trop de musiciens secondaires (surtout quand on se limite à 150 fiches) qui n’ont pas leur place dans un panthéon de «la grande musique classique américaine» comme l’appelait Duke Ellington. Il y a donc un parti pris, c’est la règle du jeu. La présentation est chronologique (fixée par la date de naissance des artistes).
Le ton est journalistique, donc plutôt synthétique, avec des sélections courtes discographiques pour orienter le lecteur. L’auteur publie quelques commentaires sur les disques qu’il pense essentiels du musicien. C’est en quelque sorte un best of de chroniques de l’auteur de disques qui sont le best of du musicien, le choix des musiciens étant un best of du jazz, selon l’auteur. Une idée à tiroirs. C’est un ouvrage de découverte pour les néophytes plus qu’un ouvrage de référence pour les amateurs. On tourne les pages, et on regarde les belles images. Un bibliographie générale se trouve en fin d’ouvrage. Enfin, on regrette l’absence d’une page de garde normalisée (titre, auteur, maison d’édition, adresse, année, etc., ce qui doit continuer à se faire) et l’absence d’un index alphabétique mentionnant les pages où retrouver les artistes.
Abécédaire Amoureux du Jazz, Photographies Pascal Kober, Préface Marcus Miller, Editions
Snoeck, 2017, 178 p.www.ancien-eveche-isere.fr
Ce beau livre (format 20x20), préfacé par Marcus Miller (Pascal est lui-même bassiste d’un groupe régulier depuis plusieurs années), qui existe aussi en version anglaise (An ABC for Jazz Lovers), est en quelque sorte le catalogue de l’exposition photographique de Pascal Kober * qui se déroule actuellement à l’Ancien Evêché de Grenoble, Isère, du 15 juin 2017 au 17 septembre 2017.
Pascal Kober est un compagnon de Jazz Hot de longue date (1987), et on découvre régulièrement ses photos et ses articles, interviews dans notre revue. Il se définit lui-même, avec humilité, comme un photoreporter du jazz. Depuis plusieurs décennies, il parcourt le monde, pour Jazz Hot ou pour sa belle revue, L’Alpe, dont il est le rédacteur en chef depuis l’origine.
Le jazz constitue l’une de ses portes d’entrées pour découvrir le monde, et ce bel ouvrage, qui immortalise son exposition, est un récit de vie d’un journaliste qui aime le monde, le jazz, les musicien(nes). De manière générale, il aime les rencontres humaines et les civilisations. Pascal a parcouru tous les continents; on retrouve donc, dans cet ouvrage et dans l’exposition, des personnages du jazz, au sens le plus planétaire, de tous les horizons, qu’il a photographié sur scène ou hors scène, toujours avec la bienveillance qui le caractérise, c’est-à-dire dans de belles attitudes. Il retrace aussi la mémoire d’une partie du festival Jazz à Vienne, très présent dans cette exposition, parmi beaucoup d’autres.
Chaque lettre est l’occasion d’un petit récit pour introduire quelques photos: ainsi le «A comme Afrique», avec Randy Weston et quelques autres, et ainsi de suite. Les photos sont bien légendées. La maquette est séduisante et la photogravure de qualité. Rien ne nous étonne, quand on connaît le perfectionnisme de Pascal. Comme vous l’avez compris, Pascal Kober croque la vie à pleines dents, et par tous les bouts, et cette belle exposition et ce beau livre sont en quelque sorte les cadeaux qu’il nous fait, un partage de ses émotions artistiques et jazziques. A nous d’en profiter…
Jérôme Partage
*Exposition: Abécédaire amoureux du jazz , Musée de l'Ancien Evêché, Grenoble (38), du 15 juin au 17 septembre 2017. www.ancien-eveche-isere.fr
Histoire du Rock à Marseille, 1960-1980, par Robert Rossi, Editions le Mot et le Reste, 2017, 329p., quartiersnord.com
Le chanteur historique de Quartiers Nord (le plus vieux groupe de rock marseillais) Robert «Rock» Rossi se double d’un érudit en histoire, et c’est en tant que titulaire d’un doctorat es histoire contemporaine qu’il traite cette époque charnière du rock dans sa ville de cœur. Son implication sur la scène locale mais aussi ses recherches, interviews et anecdotes font revivre une époque qui semble déjà lointaine, et qui nous fait voyager dans les «villages» de Marseille à travers des personnages truculents, souvent d’origine modeste, dont le rock est devenu le moyen d’expression. La carrière, souvent brève, d’une soixantaine de groupes est détaillée en douze chapitres qui traversent tous les styles, et qui atteste qu’aucun n’a véritablement atteint la notoriété nationale. On parcourt en même temps l’histoire du rock & roll en passant du twist au punk, et en visitant les quartiers marseillais qui se présentent comme autant de villages avec leur singularité. Le terme de musiques actuelles et les salles destinées à cette appellation n’existaient pas, les musiciens jouaient dans les cités, les amphithéâtres des facultés, les M.J.C, les bars et surtout dans les clubs-discothèques, notamment dans la première décennie. La plupart des contrats avec les managers étaient léonins et les musiciens jouaient souvent pour des cacahuètes. Un groupe avait même signé un contrat à vie. On revisite les célèbres dancings de la ville, de l’Arsenal des Galères (programmé un temps par Marcel Zanini) à la Licorne en passant par le Soupirail, le bar Le Central sur la Canebière, et les salles se nomment l’Alhambra (Bd Chave), la salle St-Georges, où il fallait même monter la scène, ou la Mutualité. On apprend que les Yardbirds, Eric Clapton, les Moody Blues se sont produits dans ces dancings, et que lors du fameux concert des Rolling Stones à Marseille, les organisateurs n’avaient pas prévu de sonorisation. De nombreux musiciens de rock ont été «épaulés» par des musiciens plus confirmés tels le guitariste Claude Djaoui, Roger Rostan, batteur qu’on retrouve auprès de Charles Aznavour, et le père de Michel Zenino (b), Charles Zenino (g), qui donna des cours à plusieurs jeunes musiciens. Si la gloire n’a pas été au rendez-vous, on peut citer des personnages qui sortent du lot tels le chanteur Rocky Volcano, un court temps opposé à Johnny Hallyday, Guy Matteoni qui a fait une belle carrière de compositeur et d’arrangeur, les Cinq Gentlemen qui ont fait un tube national, Alain Caronna, un émule de Jimi Hendrix, ou encore le guitariste Claude Olmos qui refusa de partir aux Etats-Unis avec Percy Sledge. La première décennie apparaît plus marquante, mais la galère de ces groupes se poursuit les années suivantes. A travers ces épisodes, on remarque le nom de musiciens qui choisiront une autre voie tels Hervé Bourde (sax), Michel Zenino (b), Jean-Marc Montera (g) ou Jacob Desvarieux (g), cofondateur de Kassav. Certains groupes ont plus marqué la scène non tant par leur musique mais pas leur réputation bonne ou mauvaise; on ne peut oublier les iconoclastes Barricades I et II, Les Serpillères Venimeuses ou encore Leda Atomica. A travers tous ces groupes et ces expériences, un musicien revient souvent: Jacques Menichetti qui apparaît dans plusieurs formations historiques (Caronna Machination, Gédéon, Goah, Au Secours, John Eddy Milton et les Parcmètres…) et qu’on retrouve aussi bien derrière Johnny Hallyday, Frank Fernandel, Claude François ou encore un bref moment Magma avant de signer des musiques pour le cinéaste Robert Guédiguian (Il pleut sur Marseille…). Un CD de douze titres complète cette publication avec des titres phares tels «Engatse sur le 31» de Quartiers Nord ou «Marseille Bouche de Vieille» de Leda Atomica.
Jazzick, Michel Leeb/Jean-Pierre
Leloir, Editions Chêne-E/P/A-Hachette Livre, 2016, 242p.
Un beau livre, selon l’expression
consacrée pour un ouvrage de photographie, et là il s’agit de
celles d’un grand ancien de Jazz Hot, Jean-Pierre Leloir.
Alors comme disait notre regretté Louis-Victor Mialy, autre grand
ancien, il y a deux nouvelles: une bonne et une mauvaise. Par
laquelle on commence? Par la bonne, puisqu’il faut bien aller de
l’avant et qu’il s’agit d’un grand ancien. Les photos, dont
certaines sont des «classiques», sont splendides, et la
photogravure comme le papier leur rendent hommage. Jean-Pierre Leloir
est une bibliothèque du jazz en images, et si un choix de qualité a
été fait, nul doute qu’il en existe encore des milliers d’autres
aussi extraordinaires. C’est le caractère infini du jazz, on n’est
pas près d’en venir à bout, de tout connaître, le jazz comme le
dit Michel Leeb, grand amateur et grand connaisseur, même s’il
s’en défend, est la musique du XXe siècle et a généré
tant de passions connexes (la photographie en particulier), qu’il
est inépuisable, même s’il n’est pas immortel. Rien ne l’est,
et c’est tout le travail qu’il convient de faire pour préserver,
diffuser et faire aimer, et nul doute que des photos de cette qualité
y contribuent.
Cela dit, si les photos sont
exceptionnelles, et nous passons à la mauvaise nouvelle, les textes
sont consternants: une réunion de toutes les lourdeurs qui se sont
dites et pensées, à une heure tardive de la nuit, comme dit Léo
Ferré, au moment du dernier pour la route, mauvais jeux de mots,
dans une forme qui se voudrait surréaliste et/ou ludique, mais qui
fait rarement sourire. Comme c’était la vocation du texte et une
spécialité de Michel Leeb, remarquable showman, bon chanteur,
parfois drôle d’ailleurs, mais parfois lourd aussi, et là, pas de
chance pour lui et pour nous, il nous livre le moins bon. Cela dit,
il est sympa, il offre ces belles photos et on ne va pas lui en
vouloir, ça part d’un bon sentiment. Il y a un côté surréaliste
malgré tout, c’est la proximité entre une expression de haut
niveau (celle de Jean-Pierre Leloir) et la médiocrité des
platitudes de Michel Leeb. Est-ce drôle? A vous de voir.
Comme le travail de réunir et de
graver les photos est bien fait, en cas de seconde édition, si
Michel veut bien revoir sa copie –il en a les moyens, il connaît
le jazz–, il peut faire drôle, savant et léger, plutôt que pas
drôle et balourd, et il a tant croisé de musiciens qu’il doit
avoir de vraies anecdotes fort intéressantes (ici, il joue le
modeste sur le sujet). Pour cette seconde édition, suggérons
quelques corrections: Joe Williams plutôt que John William (p.213);
Jerry Lewis plutôt que Jerry Lee Lewis (p.219); c’est Papa Jo
Jones et non Philly Joe Jones (p.74); il semble bien que ce soit
Michel Legrand (pas mentionné), jeune, face à Erroll Garner (p.95);
et on se demande ce que vient faire Michael Jackson (sans photo,
p.112), peut-être pour faire plaisir au mauvais génie Quincy Jones,
déifié par Michel Leeb? Bon, Michel Leeb ne s’est pas trompé
dans le choix: il s’agit bien de musiciens de jazz sans exception,
et quand ils ne le sont pas, ils ont quand même à voir avec. Les
sidemen méritaient d’être nommés quand on les devine sur
certaines photos. Pour être juste et pour mémoire, avant la refonte
de l’ouvrage, retenons la meilleure blague de Michel Leeb (p.119,
on garde l’essentiel) qui concerne d’ailleurs à moitié la
musique classique: «Dans un bar à New York "Vous désirez? — Un
baby", répond Bach. — "et vous, Monsieur?" En s’adressant à
Mozart. — "un baby comme Bach".» On a un peu écourté. C’est la
meilleure, mais il y a aussi celle là, qu’on oubliera volontiers:
«"Excusez moi de vous demander
pardon", a dit Maxim Saury.», et le reste ressemble
plutôt à la seconde.
On comprend que Michel Leeb appartient
à la génération des amateurs qui s’est amusée avec le jazz,
mais on attend mieux, surtout au contact de Jean-Pierre Leloir.
Montreux Jazz Festival/50 Summers of
Music, Arnaud Robert-Salomé Kiner, Editions Textuel/Montreux Jazz
Festival, 400p., Montreux, 2016, www.montreuxjazzfestival.com
Avec une préface de l’actuel
directeur du Montreux Jazz Festival, Mathieu Jaton, voici un imposant
pavé grand format, illustré de 175 photos, pour commémorer ce que
furent ces cinquante années de festival, sous la férule du créateur
Claude Nobs dans cette Suisse Romande des bords du Léman, modeste
station balnéaire décrépite privée de ses touristes anglais dans
l’après-guerre, une station devenu carrefour médiatique estival
du show business et de l’industrie du disque sous la férule de
Claude Nobs, animateur et organisateur de talent, audacieux jusqu’à
la démesure.
Pour cet anniversaire et cet ouvrage, on a fait
appel aux témoignages d’une cinquantaine d’artistes ou témoins,
pour certains qui ont le plus profité du passage du jazz de l’âge
des amateurs de jazz à celui d’une professionnalisation et d’une
mercantilisation à outrance qui font aujourd’hui sa faiblesse et
la dérive de la plupart de tous les grands festivals, dans
l’ensemble du monde, sur le modèle justement de celui de Montreux.
Il faut donc lire cet ouvrage,
attentivement, rempli d’informations, car il raconte d’une
certaine façon l’histoire du monde de cette époque née des
trente glorieuses, un après-guerre où naît la société de
consommation culturelle et du loisir, à l’échelle planétaire.
Il faut découvrir sous la plume de l’actuel directeur que
Claude Nobs était au fond un gentil garçon, passionné et
passionnant, et il n’y a pas à en douter, un éternel adolescent
qui aimait la fête, plutôt le blues et le rock de cette période,
et s’est bâti un projet à la taille de ses ambitions qui n’ont
fait que grandir avec les années. Il savait recevoir et avait un
réel pouvoir de séduction sur les artistes qui l’ont, d’après
les témoignages, unanimement apprécié. Le pouvoir, la puissance et
le gigantisme fascinent aussi. Il y a également pas mal de
témoignages comme celui de Georges Braunschweig, photographe, qui
rappelle une atmosphère et un état d’esprit. Malgré
l’étiquette «jazz», le projet est au départ plus un projet
d’animation dans l’esprit de développer une ville, plus un
projet pour l’industrie des loisirs. Le Jazz à Montreux, cette
partie de la programmation, c’était en fait surtout Norman Granz
qui s’installa en Suisse par ailleurs. La qualité a donc été au
rendez-vous, car le carnet d’adresses était royal, et la troupe de
Norman Granz un condensé de l’âge d’or du jazz.
L’authentification d’une forme
d’art originale, le jazz en tant qu’art afro-américain, fruit de
l’intuition critique des Charles Delaunay, Stanley Dance, Hugues
Panassié, John Hammond, la construction d’une presse et d’une
économie autonome fondée sur les amateurs de jazz, qui ont permis
de faire du jazz ce qu’il est sur le plan artistique, et qui ont
été à l’origine de la création des festivals de jazz, dont
celui de Nice, d’Antibes, de Newport, de Nîmes, de Marciac, de San
Sebastian, de San Remo, etc., et donc de Montreux en 1967, ont été
détourné par les affairistes, en France les Barclay, Ténot,
Filippachi, et en Europe ici par Claude Nobs, ailleurs en Hollande
par des Paul Acket, etc., entraînant dans leur élan la dérive de
programmation qu’on connaît aujourd’hui un peu partout à
quelques exceptions près.
Montreux est une histoire en cours, et
s’il est vrai que la programmation a mélangé le meilleur, grâce
à Norman Granz, et une surabondance de musiques du monde, il a
contribué à vider le jazz de son public de connaisseurs au profit
des happy few et de consommateurs. Les amateurs de jazz se
sont le plus souvent contentés d’acheter les disques produits lors
de ces concerts pour les écouter chez eux, de financer à distance,
car Claude Nobs a été le directeur local d’Atlantic en Europe. Il
est vrai que beaucoup des plus grands artistes du jazz s’y sont
produits pour des concerts parfois mémorables, sous la baguette de
Norman Granz, que certains artistes comme Quincy Jones et Miles Davis
y avaient et y ont encore leurs pantoufles. Les concerts ont
d’ailleurs été immortalisés par le son et l’image, et pour
l’amateur d’aujourd’hui, l’accumulation des noms et de ces
images ou disques peut donner l’impression déformée d’un grand
festival de jazz. Car effectivement, les grands noms du jazz, blues
compris, restent aujourd’hui la carte de visite, même quand ils
n’ont pas été toujours les plus gros cachets.
Oui, de fait, c’est une des plus
grandes offres du jazz sur la durée, et oui, de fait, c’était une
des plus belles scènes du jazz. Dizzy qui fait la couverture, Aretha
Franklin, Miles Davis, Eddie Harris, Sarah Vaughan, Nina Simone
(plusieurs fois), Muddy Waters, B.B. King, Charles Lloyd , McCoy
Tyner, Clark Terry, Roy Eldridge, et des centaines d’autres, il
manque d’ailleurs à cet ouvrage un index des musiciens et un
annuaire des programmes.
Pour autant, dans ce supermarché
indifférencié, le jazz y a perdu une partie de son âme. Les
derniers grands noms de l’histoire sont David Bowie, Leonard Cohen,
Prince, Sting et toujours Quincy Jones, le parrain, pas souvent pour
du jazz. Sa contribution dans cet ouvrage est d’ailleurs
intéressante. Comme Claude Nobs et quelques autres, ils sont les
produits d’une histoire où l’argent coule à flot, et on peut
comprendre dans ces conditions, la perte des repères.
Pourtant, et c’est ce que nous
raconte Ahmet Ertegun, dans ce livre, tout cela a débuté dans une
forme de passion, naïve et touchante, celle du jeune Claude Nobs qui
se rend à New York chez Atlantic pour rencontrer les personnes dont
il a vu le nom sur les pochettes de ses disques. Mais sa passion,
c’est un mélange de beaucoup de choses, la mondanité, la fête,
l’argent, l’organisation, le blues-rock, et le souci de mettre le
centre du monde sous sa fenêtre à Montreux. C’est ce rêve devenu
réalité que raconte Arnaud Robert, mais où le jazz est loin d’être
le centre, juste un hasard historique, même si les lettres de
noblesse de Montreux viennent avant tout du jazz; au point qu’un
moment, lassé des critiques venant d’amateurs de jazz sur la
nature très éclectique de la programmation, Claude Nobs ait songé
à supprimer le mot «jazz» de sa marque commerciale.
Claude Nobs filmait tout, paraît-il,
et cette banque d’images est certainement le meilleur service qu’il
ait rendu au jazz, le meilleur de son œuvre, n’en déplaise à
Quincy...
Sugar Free Saxophone: The Life and Music of Jackie McLean
par Derek Ansell
Sugar
Free Saxophone: The Life and Music of Jackie McLean, par Derek Ansell
(en anglais), Northway Publications, Londres, 2012, 216p., www.northwaybooks.com
L’excellent
éditeur Northway Publications de Londres, qui propose bon nombre
d’ouvrages consacrés au jazz, souvent des biographies (Johnny Griffin,
Hank Mobley, Nat Gonella…) ou autobiographies (Peter King, Coleridge
Goode, Ronnie Scott…) mais aussi des ouvrages traitant du jazz (John
Chilton: Hot Jazz, Warm Feet, Graham Collier: The Jazz Composer),
avait déjà collaboré avec le bon Derek Ansell dès 2012 pour une
première biographie, celle du brillant et respecté saxophoniste alto,
Jackie McLean, une légende du jazz, issue de Sugar Hill, Harlem, ce qui
explique en partie le titre de l’ouvrage.
Avec la même méthode de
travail que celle déjà présentée dans ces colonnes à propos de sa
biographie d’Hank Mobley, Derek Ansell retrace le parcours beaucoup plus
long et heureux de Jackie McLean, sxophoniste alto, de la même
génération (il est né en 1931) qui connut pourtant les mêmes tourments
que Mobley, mais qui –chance, hasard ou personnalité– surmonta ces
périodes sombres pour rester non seulement le grand saxophoniste alto,
héritier de Charlie Parker, mais plus tard un professeur respecté
(Université d’Hartford, CT), même adulé de ses étudiants, et une
personnalité du jazz de premier plan, un passeur, un messenger du jazz.
L’intensité
de son jeu, qu’il partagea –comme certaines zones d’ombre de la
biographie– avec nombre de musiciens de cette génération,
l’après-guerre, l’ère du bebop-hardbop, donna un parcours encore plus
fertile que celui d’Hank Mobley en matière de production discographique,
encore une fois immortalisé par le label Blue Note d’Alfred Lion et
Francis Wolff, maison de disques dont la caractère indispensable dans
cette période n’est plus à démontrer.
Dans cet ouvrage, Derek
Ansell avec ses outils habituels (lecture de la presse, écoute des
disques et lecture des pochettes de disques, plus lecture des ouvrages
consacrés au jazz, contribution de la famille de Jackie McLean,
consultation de personnalités de qualité comme Ira Gitler, Ken Burns…),
avec un souci de clarté, de précision et de concision (index, notes,
discographie) a retracé la carrière, les rencontres, évoqué le style
particulier du musicien mais aussi approfondi les traits d’une
personnalité toujours soucieuse de trouver sa voie, de transmettre aux
nouvelles générations, bien que lui-même se soit parfois senti floué du
produit de son œuvre. Cela le rapproche d’Hank Mobley et de bien
d’autres musiciens de jazz, mais la dernière période de la vie de Jackie
McLean a sans doute apaisé un homme qui a enfin trouvé le moyen de
faire reconnaître son Art à travers et par sa descendance, et la
reconnaissance, même tardive, des institutions.
Les deux
biographies de Mobley et McLean, mises en parallèle, apportent des
enseignements sur deux destins artistiques finalement proches sur le
plan biographique mais qui ont trouvé deux issues différentes, seulement
parce que l’un, Hank Mobley, est mort en 1986 quand la reconnaissance a
commencé pour l’autre.
Ce qui sépare les deux musiciens est sans doute que Jackie McLean participa à la pièce The Connection
en 1959 (musique de Freddie Redd), avec laquelle il vint au Royaume-Uni
en 1961, puis fit le voyage de Paris dès 1961, et contribua davantage
aux nouvelles aventures du jazz (Ornette Coleman), puis très tôt (fin
des années 1960) participa à des programmes de réhabilitation pour
toxicomanes après avoir lui-même touché le fond (séjour au pénitencier).
Jackie McLean ne cessa de chercher des issues avec opiniâtreté. Sa
personnalité est donc aussi pour beaucoup dans son parcours finalement
heureux.
C’est de ces recherches dans toutes les directions de
Jackie McLean que traite ce très bon livre biographique de Derek Ansell
(belle couverture avec une photo de Francis Wolff comme pour la
biographie d’Hank Mobley) qui aborde également les aspects stylistiques.
Il
n’y a pas beaucoup d’ouvrages de qualité sur Jackie McLean, et nul
doute que celui-ci est une contribution essentielle à la connaissance
d’un monument du jazz –encore un, oui!– le jazz est une musique si riche
en Artistes.
Workout:
The Music of Hank Mobley, par Derek Ansell (en anglais), Northway
Publications, Londres, 2014 (première édition en 2008), 180p., www.northwaybooks.com
Hank
Mobley est sans aucun doute le plus mésestimé des saxophonistes ténors
du bebop bien que sa carrière se soit déroulée sous les meilleurs
auspices: un environnement familial favorable, des débuts sur la scène
du jazz à 21 ans aux côtés de Max Roach, un court passage ellingtonien;
il côtoya Charlie Parker, Thelonious Monk, Bud Powekll, Clifford Brown;
il fut le saxophoniste des premiers Messengers avec Art Blakey et Horace
Silver, musiciens auxquels il resta fidèle; il fut un musicien
régulièrement enregistré en sideman ou leader du label Blue Note,
immortalisé par les splendides photos de Francis Wolff, puis il
accompagna ou fut accompagné par Miles Davis, Lee Morgan, Kenny Dorham,
Donald Byrd, Freddie Hubbard, Cedar Walton, Muhal Richard Abrams… parmi
beaucoup d’autres grands noms du jazz, car Hank Mobley n’a jamais côtoyé
que l’excellence.
Tout donc, y compris des talents de
compositeurs et une sonorité, une invention très originale, devrait
faire de ce ténor une légende, à l’instar de Sonny Rollins, John
Coltrane, Johnny Griffin, Ornette Coleman, musiciens de sa génération
(il est né en 1930). Mais voilà, l’usage excessif des stupéfiants
introduisit des perturbations répétées qui l’écartèrent de la scène du
jazz pour perte de carte professionnelle autant que pour de sérieux
problèmes de santé qui l’empêchèrent de manière précoce à interrompre sa
carrière (1978). Il disparut d’une pneumonie encore jeune en 1986, à
Philadelphie. Il fit bien un séjour en Europe, mais un peu tardif
(1969) pour acquérir la reconnaissance que ses contemporains y ont
trouvé de 1958 à 1965, et, à l’apparition des grands festivals européens
des années 1970-80, il n’était malheureusement plus en état de jouer.
Oublié
puis redécouvert à l’occasion de rééditions chez Blue Note, il laisse
une belle œuvre enregistrée cependant, et c’est à raison que Derek
Ansell a entrepris la réévalution d’une des sonorités originales du
ténor, très personnelle, moins spectaculaire que celle de ses célèbres
contemporains, mais pas moins profonde, et la liste des musiciens qui
l’ont sollicité témoigne assez que M. Hank Mobley était un musicien de
très haut niveau. C’est une excellente biographie détaillée, collant à
la chronologie, fort bien documentée par de multiples intervenants dont
les critiques et témoins de cette époque, musiciens inclus (Ira Gitler,
Leonard Feather, Val Wilmer, Cedar Walton, …), le texte s’appuie
également sur les textes de pochette, fort heureusement nombreux, car le
ténor dont le parcours a été fait de disparitions périodiques, a été
finalement beaucoup enregistré, essentiellement par le label Blue Note
d’Alfred Lion et Francis Wolff, ce qui atteste encore une fois que pour
les amateurs de jazz en mal de découverte, il y a en Hank Mobley, un
fameux filon de beaux enregistrements à redécouvrir.
L’ouvrage
intéressant et sérieux de Derek Ansell (notes, index, discographie…) a
été rédigé par un connaisseur et un amateur de l’œuvre, ce qui n’a rien
d’étonnant, mais on sent très souvent chez l’auteur une sensibilité au
personnage, et le souci de réévaluer une œuvre, et on ne peut que
partager une certaine amertume relevée dans une interview de John
Litweiler en 1973: «C’est dur pour moi de penser ce qui pourrait
être ou aurait pu être. J’ai vécu avec Charlie Parker, Bud Powell,
Thelonious Monk. J’ai sillonné les rues de haut en bas avec eux. Je ne
savais pas ce que ça signifiait quand je les entendais pleurer –jusqu’à
ce que ça m’arrive.»
On ne sait pas en effet la tragédie qui
accompagna tant de grands créateurs du jazz faute de l’avoir vécue, on
peut juste y être sensible et prendre la peine de comprendre un
environnement, celui de cette époque en particculier. Hank Mobley est
l’archétype du musicien de jazz, à côté d’autres vécus parfois plus
heureux ou parfois plus dramatiques. Mais c’est aussi un musicien
d’importance à redécouvrir, cet ouvrage sensible y contribue.
Uri Caine-Musica in tempo reale, par Enzo Boddi (livre en italien), Sinfonica Jazz, 2016, Brugherio (MI), 242p., www.sinfonica.com
Uri
Caine commença sans enthousiasme le piano à 8 ans vers le milieu des
années 1960. A 13 ans, il rencontra Bernard Peiffer (1922-1976) qui
s’était établi à Philadelphie: pianiste influencé par Fats Waller et Art
Tatum, qui avait joué en France avec André Ekyan, Django Reinhardt,
puis aux USA avec Rex Stewart, James Moody, Don Byas, Kenny Clarke.
Bernard Peiffer fait comprendre à Uri Caine que sans la connaissance de
James P. Johnson et Fats Waller il n’aurait pas pu comprendre
Thelonious Monk. Puis il le convainc d’approfondir l’étude de la musique
classique afin de pouvoir développer sa capacité à improviser. A
l’université de Pennsylvanie il étudie avec le compositeur George
Rochberg (1918-2005) qui le fait plonger dans le dodécaphonisme et le
sérialisme. Quand on connaît la formation (développée en détail dans le
chapitre premier : Philadelphie) de Uri Caine on sait d’où viennent ses
œuvres basées sur Bach, Beethoven, Mozart, Mahler, et d’autres.
Le
livre se divise en six chapitres copieux renfermant une infinité de
détails sur le cheminement du pianiste compositeur, tout son parcours
musical, et une étude détaillée, morceau par morceau, des disques et des
œuvres majeures d’Uri Caine, y compris ses origines familiales juives
et l’importance du Yiddish et de l’hébreu, donc de la musique klezmer.
Le
chapitre 1 nous emmène de Philadelphie où Uri Caine naquit le 8 Juin
1956 et fit ses études jusqu’à l’arrivée à New York. En passant, Enzo
Boddi nous brosse l’histoire et la situation de la musique en général,
ainsi que des liens d’Uri Caine avec Dave Douglas et Don Byron des
années 1970 à aujourd’hui (liens qui seront affinés dans d’autres
chapitres), sans oublier les problèmes Noirs-Blancs.
Le chapitre
2 est consacré au pianiste, ses influences, son jeu, son ascendance
ashkénaze qui explique son intérêt pour la musique klezmer. Boddi
analyse les pianos solos, l’influence de la musique classique sur Uri
Caine. Puis il aborde son art du trio, l’exploitation des standards, la
référence au blues. Plus loin Boddi s’attaque aux duos, avec une analyse
pointue du style et des morceaux.
Le chapitre 3 nous ramène à
Philadelphie entre le sacré et le profane. L’étude de « The Philadelphia
Experiment», puis de «Plastic Temptation», l’importance des racines de
la «Soul».
Le chapitre 4 reprend l’étude des racines hébraïques
d’une grande importance dans la poétique d’Uri Caine. Approfondissement
de l’héritage, du klezmer, des rapports avec Don Byron, Mickey Katz,
Joel Rubin et Bensoussan. Le tout avec une connaissance époustouflante
du sujet.
Le chapitre 5 est consacré aux rapports d’Uri Caine
avec la musique de Gustav Mahler, Richard Wagner, Robert Schumann,
Johann Sebastian Bach pour des variations sur les Variations Goldberg, Ludwig van Beethoven pour les Variations Diabelli,
et pour finir Wolfgang Amadeus Mozart. Puis après les musiciens
allemands, Uri Caine, descend vers le sud à la rencontre de Verdi et le
syndrome afro-américain d’Othello.
Le chapitre 6 traite du XXe
siècle à travers le vieux et le nouveau continent, et tout d’abord de
la double identité d’Uri Caine; d’un territoire à explorer, la Rhapsody in Blue; les nobles précurseurs (Nobili antesignani) de Tin Pan Alley avec Whitmark Marks et Stern; et la réalisation de The Sidewalk of New York: Tin pan Alley en 1999. Une étude sur l’œuvre pour quatuor à cordes (String Quartet)
et son rapport avec ce genre de musique, exécutée par le Ardititi
String Quartet et enregistrée en 2010. Puis quelques éléments sur le Berio Project.
Le chapitre, donc le livre, se termine sur les projets futurs, dont Uri Caine ne manque pas, en particulier les Moonsongs (Le Pierrot lunaire) d’Arnold Schœnberg, des œuvres pour chœurs, etc.
Et Enzo Boddi de conclure cette œuvre gigantesque: « Et
puis s’il est vrai, et c’est vrai, que la diffusion globale du jazz,
même sous les latitudes les plus impensables, a valorisé et certifié la
fonction de musique prompte à intégrer et à se confronter avec d’autres
langages et patrimoines culturels, l’œuvre de Caine se propose comme un
exemple significatif de ce processus par la capacité dialectique, la
nature intrinsèquement multiculturelle et la vision ouverte et inquiète
en même temps. Au delà des étiquettes, des classifications et des
catégories, Caine a développé et continuera à développer son rôle de
musicien contemporain avec l’attitude d’un consommateur frénétique de
tout le savoir disponible et avec les intuitions d’un architecte lucide
des musiques de "possiblilités”.»
Le livre d’Enzo Boddi,
notre correspondant en Italie (cf. les comtpes rendus des festivals) est
un beau travail de musicologue, d’historien et d’analyste; une somme
exhaustive sur l’œuvre d’un musicien, il est vrai d’une richesse de
création extraordinaire. Notons en annexe une discographie et une bibliographie. Avec Uri Caine, sommes-nous toujours dans le jazz? Vaste question. Parfois, oui.
Ce
livre, écrit en 2015, par Mary Morris, enseignante, écrivain et
voyageuse, évoque le Chicago des années 1920-1930, dites «folles», celui
raconté par ses parents, elle-même y étant née en 1947 mais n'y vivant
plus depuis longtemps. Elle a écrit six romans (The Waiting Room…), des récits de voyages (The River Queen…), des nouvelles (Vanishing Animals and Other Stories…)et c'est son premier roman édité en France (titre original: The Jazz Palace),
chez Liana Levi, et traduit par l'excellente Michelle Herpe-Volinsky,
«spécialistes» toutes deux et entre autres, de Ernest J. Gaines,
magnifique romancier...
Ce livre, très documenté, porte sur une
période particulièrement riche sur le plan musical, la grande migration
depuis New Orleans et le long du Mississippi vers la métropole du Nord
et ses usines, amenant dans ses bagages les musiciens, d'origine rurale
et urbaine, de New Orleans en particulier.
Cet ouvrage ajoute
une nouvelle touche au tableau impressionniste composé à plusieurs mains
par tous les écrivains et réalisateurs américains passionnés de leur
histoire naissante, chacun/e travaillant sa petite parcelle dans un luxe
de détails, avec son melting pot spécifique, ses comportements
communautaristes réglés comme des horloges jusqu’à la caricature, une
histoire des Etats-Unis ponctuée de combats pour la survie, à la
régulière, ou de combats de rue, dans une effervescence de nouveau
siècle, le XXe siècle, de nouveau monde d'à peine
130 ans depuis son indépendance, à 50 ans de la Guerre de Sécession,
rempli de jeunes vies toutes immigrées de quelque part, d'existences
vieillies avant l'heure, cassées, recommencées, anéanties par le chagrin
des pertes.
Dans de telles conditions de chaudron, comment
chacun aurait-il pu attendre qu'on lui serve la soupe, ne pas prendre ou
défendre âprement sa part, ne pas s'adapter, surmonter, à chaque
nouveau coup du sort, ne pas braver sa peur, ne pas dépasser les limites
et ses limites jusqu'à en perdre la vie ou mettre en danger celle des
autres ? Voilà pour la ligne de basse des émotions que ce drame, déroulé
au sein des moins favorisés, nous joue.
Mary Morris nous
raconte Chicago entre 1915 et 1933, avant, pendant, après la
prohibition, la crise de 1929, et se termine sur l’hypothèse d'un avenir
meilleur avec l'Exposition Universelle, «new deal» du progrès et des
lumières pour tous, même pour les plus rongés par la vie.
Enfin,
la vitalité de sa fresque tient au jazz en musiques, danses, couleurs
et chaleur, aux speakeasy, au touché et aux bruits des tissus, aux
équipes de base-ball, aux lieux mythiques des fêtards alcoolisés, aux
petits ou nouveaux métiers, à l'imagination pour ne pas mourir de faim,
chaque groupe humain jouant sa partition dans une géographie repérable
des quartiers, exposés aux vents froids de la Windy City (la ville des
vents), près du Lac Michigan, mortifère dans la tragédie de l'Eastland
(un navire qui coula en 1915) ou salvateur à la saison plus douce.
Le
roman montre par les arrivées, les départs, les rencontres ratées, non
dites ou improbables mais qui parfois deviennent magiques, comment
«apprendre, c'est le partage de l'expérience» ainsi que l'avait écrit
Maxime Gorki, à l'autre bout de la Terre, dans ces années de
l'entre-deux-guerres où l'on devait apprendre très vite, et partager si
on voulait survivre. Rendez-vous au Jazz Palace avec Benny, Napoléon et
Pearl, des survivants.
Le Roi René, René Urtreger, par Agnès Desarthe, Odile Jacob, Paris, 2016, 270p., www.odilejacob.fr
Agnès
Desarthe est romancière, essayiste, traductrice d’anglais, sœur d’un
chanteur d’opéra; elle avait donc toutes les expériences et qualités
pour entreprendre cette biographie élogieuse, humble et sensible à la
fois. L’écrivaine est fascinée mais lucide face à ce personnage riche
sous sa face secrète, sauvage et rude par son vécu et ses échecs, timide
devant le succès, mais si tendre et attendrissant tel qu’Agnès Desarthe
nous le dépeint. Elle fouille en lui avec une acuité et une
persévérance rares; tout est montré, détaillé, questionné, avec parfois
des questions sans réponses: son enfance, son passé, son être, ses
rencontres, sa carrière, sa musique, sa vie; elle traque le moindre
détail mais sans curiosité malsaine, en parfait accord avec le pianiste,
ayant pour seul but de faire advenir ce personnage énigmatique en
personnage de roman, tout en brossant un portrait épique de ce grand
pianiste de jazz, avec lequel elle aura passé neuf mois à le côtoyer en
essayant de le mettre au jour.
«René Urtreger avait décidé de raconter sa vie lui-même, nous dit Agnès Desarthe, mais il s’est finalement laissé prendre. La suite est son histoire.»
J’avais
eu le bonheur de rencontrer René Urtreger (né à Paris en 1934), du
temps du regretté festival Jazz au Fort Napoléon, à La Seyne-sur-mer, où
il m’avait accordé une longue interview parue en 2003 dans un
hors-série de Jazz Hot, le numéro Spécial 2003, consacré à
une inspiration majeure de René, le grand Bud Powell. Interview
qu’Agnès Desarthe cite dans son avant-propos pour illustrer la
définition du swing selon Urtreger, qui en même temps révèle l’homme: «Si
on élargit le mot swing à la vie courante, c’est par exemple le bon mot
placé au moment voulu. Vous allez raconter la même blague à dix
personnes différentes, il y en a neuf qui vont ensuite la raconter comme
des sagouins, ça va faire sourire poliment, et la dixième personne va
avoir le don de placer les mots exactement où il faut, avec une mise en
place hallucinante, et ça, c’est du swing.» René nous avait encore récemment accordé une interview, avec sa gentillesse et simplicité habituelles, parue dans le Jazz Hot n°673 (automne 2015). Agnès Desarthe rappelle aussi qu’il avait étudié avec André Hodeir, rédacteur en chef de Jazz Hot de 1947 à 1951.
Le
livre se divise en neuf chapitres. L’enquête commence le 18 avril 2015
quand l’auteure va écouter René Urtreger à la Maison de la Radio. Elle
l’imagine 70 ans plus tôt et va parcourir toute son histoire. Le père
qui quitte la Pologne sur un coup de tête. Drôle de père qui joue de la
balalaïka et des thèmes de jazz au piano, qui ouvre des boucheries, en
donne à ses sœurs. Les sœurs de René qui étudient le piano, et il
reproduit ce qu’il a entendu. L’enfance dans la guerre. La fuite en zone
libre. Ils sont juifs, la mère arrêtée par la Gestapo. La fuite en
Espagne puis au Maroc. Retour en Métropole en 1945. L’attente des
déportés à la gare de l’Est, mais la mère ne reviendra pas.
Et la
découverte du jazz. A 13 ans, il écoute Charlie Parker et les autres,
les émissions de Simon Coppans à la radio, et il essaie de reproduire
tout ça au piano. Mais il faut gagner sa vie: apprentissage, petits
boulots. Le jazz enfin avec la rencontre de Sacha Distel et Bobby
Jaspar. En 1953, il gagne le Concours national de jazz amateur dont le
président du jury n’était autre que Charles Delaunay. Il est engagé au
Ring Side, ancêtre du Blue Note.
Hélas, avec le jazz, il
rencontre la drogue et deviendra un junky carabiné, ce qui lui vaudra
une longue descente aux enfers qui va durer 20 ans, avec plus de bas que
de hauts. Entre temps il rencontre et joue avec tout le gratin du jazz
de l’époque: grâce à son récit, on fait une plongée dans le Paris jazz
des années 1950. Pendant son service militaire de 1955 à 1957, Nicole
Barclay réussit à lui faire faire une tournée européenne avec Lester
Young et Miles Davis! Bien sûr, on aborde la musique d’Ascenseur pour l’échafaud,
et René se plaint que cela fait 40 ans qu’on le bassine avec ça. On
apprend quand même les détails de la chose. C’était la gloire avant la
chute.
Arrivent les années 1960, les années yéyé et de Salut les Copains.
Un soir de 1964, Claude François se rend au Blue Note pour écouter
René. Coup de foudre réciproque; longue aventure commune, pas toujours
facile. René quittera ce navire rutilant assez vite, mais il y
reviendra. Il entre chez les Double-Six et revient au jazz, mais ce
sont des années de galère. Les amours chancèlent. Il quitte femme et
enfants pour la chorégraphe des Clodettes, ce qu’il ne se pardonne pas.
Il a 41 ans et s’installe à New York, à fond dans la coke, et se retrouve en Guadeloupe, toujours au fond du trou.
Il
a des amis, Distel, Cloclo, une sœur dévouée Jeannette, un cousin, sa
femme Françoise, des musiciens, et quelques autres qui vont l’aider. A
l’anniversaire de Jacotte le 12 mars 1977 il décide d’arrêter ses
«conneries», il avait l’âge auquel sa mère avait été arrêtée par la
Gestapo: «coïncidence?», se demande Agnès Desarthe…
René
revient au meilleur de lui-même et n’hésite pas à jouer avec la nouvelle
génération: Airelle Besson, Géraldine Laurent, Stéphane Guillaume,
Pierrick Pedron, Nicolas Folmer, etc. Il dit que quand il rencontre un
jeune homme ou une jeune fille talentueux il a envie de l’aider.
Malgré sa gentillesse René Urtreger a toujours eu la dent dure contre certains styles, certains musiciens, et il constate:
«qu’il a vu un tas de musiciens qui pouvaient jouer sans que ça swingue
pendant quinze à vingt minutes...parce que le jazz est comme ça de nos
jours. Mais c’était de la belle musique...» Ce qui l’irrite également, c’est quand il entend dire des trucs comme: «C’est le meilleur pianiste actuel!». Là, il a envie de casser la radio, car la musique n’est pas une compétition, conclut-il.
René
Urtreger vit sa seconde vie de jazzman, serein et décontracté. A la fin
du livre, il donne une autre définition du swing, plus technique: «Le
swing c’est une interprétation de la croche, un mouvement à trouver
quelque part, dans la décomposition de la croche, entre le binaire et le
ternaire. Et tout ça sans perdre le son...»
Ce livre se lit
comme un roman, passionnant de bout en bout. Outre la vie passionnée de
René Urtreger c’est le récit des deux derniers tiers du XXe siècle et du début du XXIe, ceci avec une écriture limpide et riche, libre; ainsi Agnès Desarthe affirme: «Lorsque
j’écris, les mots que je place dans la bouche du personnage ne sont pas
toujours ceux que l’homme a prononcé...C’est un travail
d’interprétation qui lui (René) est familier, qu’il m’a confié, qu’il
accepte.»
Un choix de photos et une discographie complètent judicieusement le portrait de ce grand jazzman.
A l’issue de mon interview René Urtreger m’avait déclaré: «Vous m’avez fait dire des choses que je n’avais jamais dites.» Ce n’était que gouttes d’eau dans l’océan en comparaison de ce qu’Agnès Desarthe a su mettre en mots.
J'aurais voulu pouvoir vous les montrer, Satyajit Ray, G3J éditeur, traduction par Christophe Joanlanne, Paris, 2016, 154p., g3jéditeur.com
Il s'agit d'un second recueil (après Our Films, Their Films, 1976, paru chez Ramsey poche cinéma en 1985) de conférences, notes de festivals et dessins de Satyajit Ray, regroupés
dans un très beau (parce que très bien conçu) livre édité chez G3J en
2016. Le fils de Satyajit Ray, Sandip Ray, réalisateur également, est à
l'origine, en 2011, de cet ouvrage sur l'intelligence, la clairvoyance, le travail raffiné, quasi parfait, produit par l'immense «aussi»
cinéaste indien qu'est Satyajit Ray; car il possède de nombreux talents,
d'écrivain, de critique de cinéma, mais aussi de dessinateur, de
concepteur d'affiches, de musicien, de pédagogue et de savant, bref une
sorte d'encyclopédiste tel qu'on les rencontrait dans les siècles
passés. Ce recueil reprend des articles remontant à 1949, avant le début
de la carrière de cinéaste de Satyajit Ray.
La
mise en forme de cet ouvrage, à la hauteur du bijou d'œuvre
cinématographique, musical et sociologique que cet artisan d'art a légué
à l'humanité, témoigne de son âme réaliste, pragmatique, lucide et sans
concession.
Parler de l'œuvre filmée, écrite, dessinée d'un Indien (et pas d'Amérique) pourrait paraître étrange dans Jazz Hot, quoique...
La
rencontre entre musique indienne et jazz est fréquente au fil du temps
et dans les deux sens. Des hot clubs existent en Inde, et écrivaient
encore à "Charles Delaunay" à la rédaction de Jazz Hot, il n'y a
pas si longtemps; le temps n'existe pas quand on aime profondément;
Sarah Petronio, fameuse tap dancer est née en Inde, pays de la danse
avec percussion (cf. Jazz Hot Spécial' 2003) et a partagé un grand bout de chemin aérien avec Jimmy Slyde; Jazz Hot
a publié plusieurs articles (n°97 en 1955, N°220/221 en 1966, N°385 en
1981, N°422 en 1985, N°514-en 1994), et Ravi Coltrane (Jazz Hot n° 585
en 2001) doit son nom à l'admiration de son père John Coltrane pour le
sitariste Ravi Shankar avec qui il avait travaillé...
Un
astrophysicien de Bengalore en visite à Paris qui passait par la
rédaction et disait ne pas connaître le jazz, a demandé pourquoi le
blues et la musique de Django étaient aussi proches... Sa question était
pointue car lui-même jouait du tabla (percussion indienne).
Il
semble que les déshérités habitant de vastes espaces aux cultures
populaires orales se comprennent sans vraiment se connaître ni se
côtoyer. C'est sans doute du fait de leurs vécus sans rien et si
proches: du néo-réalisme italien du Voleur de Bicyclette
(Vittorio de Sica, 1948) à Satyajit Ray, il n'y a pas même un pas.
Pasolini et Moravia ont été invités pour des conférences en Inde, et en
ont rapporté deux récits complémentaires, captivants, très fusionnels
avec les écrits de Satyajit Ray qui admirait celui dont il était
l'assistant en 1951, pour le film Le Fleuve, Jean Renoir, issu d'une
famille d'artistes peintres.
La danse de Silvana Mangano et Vittorio Gassmann dans Riz Amer
(Giuseppe De Santis, 1948) sur une musique de jazz est intense de
survie, comme le chemin forcené d'Apu devra l'être pour sortir de sa
condition, de quelques-unes de ses chaînes; les luttes pour la survie
ont un point commun: arriver très vite et très profondément à
l'essentiel. C'est sans doute cette urgence de «l'essentiel» qui a amené
ce livre jusqu'à Jazz Hot où, finalement, il a totalement sa place, au milieu des chants des
champs de coton, au milieu des danses et des transes, entre surnaturel
et sordide, dans la chaleur humide et le dépassement de soi: Satyajit
Ray, dans sa pensée polymorphe et cohérente, est l'authenticité même,
avec l'acharnement irréductible au travail de tous les vrais artistes,
de ceux qui vont jusqu'au bout de chaque petit détail comme s'il était
la seule planche de salut, «Straight, no chaser» comme le titre de la
composition de Thelonious Monk.
Un point commun encore: le traitement de la photo dans les films de Satyajit Ray et dans le jazz: expressions humaines sans fard, porteuses d'émotions.
Pour
sortir du «factice inutile gratuit inconsistant», il faut se plonger
dans ce livre, y trouver du sens, du ressourcement, de la richesse, une
colonne vertébrale et de la beauté.
Il y a trois préfaces: celle
(l'édition française) d'un érudit du cinéma indien, Charles Tesson, qui
évoque l'œuvre dans son ensemble; celle du fils (l'édition anglaise) qui résume rapidement les conditions de cette édition de textes inédits de son père, et celle (l'édition anglaise) d'un
cinéaste héritier, Shyam Benegal, qui évoque l'importance de la
découverte du néo-réalisme dans sa propre découverte du cinéma, avant
qu'il ne tombe en extase devant le premier film de Satyajit Ray, Pather Panchali, qui ouvrait une nouvelle ère du cinéma indien.
La
première partie, la plus longue, «Le métier du cinéaste», propose des
textes très directs sur le métier et l'art, dans un langage d'une clarté
exceptionnelle, sans doute parce qu'ils sont sincères et sans
concession. Les thèmes (Les styles nationaux, Un cinéaste doit-il être original?, Ce mot de technique, La question de la réalité, L'art du silence,
etc.) sont des synthèses précieuses d'une pensée complexe et d'une
expérience très riche, et on y retrouve en effet de nombreux éléments
autobiographiques. Parmi ces textes, il y a l'article de 1980 qui sert
de titre à l'ouvrage (J'aurais voulu pouvoir vous les montrer),
et qui relate le drame de la disparition dans deux incendies de la
mémoire du cinéma muet autochtone, à l'époque cantonné aux salles les
plus pauvres, et que Satyajit Ray regrette de ne pouvoir montrer au monde entier et aux Indiens comme élément fondateur de la richesse du cinéma indien. Sous le regard de l'Occident
(1982) est un regard critique de ce que l'Occident n'a pas non plus vu
de l'Inde, avec des éléments d'autobiographie qu'il met en perspective
pour expliquer ce qui est universel dans le cinéma –le récit– et ce qui
doit rester particulier, l'authenticité, l'individu dans son
environnement. Un récit, indien ou autre, peut être apprécié par le
monde entier, mais il doit rester indien ou autre. C'est la problématique de l'art, en général, du jazz en
particulier.
La seconde partie, «Portraits à la plume» est constituée de critiques et d'hommages. Un mot sur Godard (un regard lucide), Le nouvel Antonioni (une critique sans concession), Le nayak,
un portrait dé l'acteur prolifique Utam Kumar qui sert de fil
conducteur à sa pensée sur l'art et l'artiste: «Un artiste doit toujours
être jugé à l'aune de ses meilleures œuvres», une réflexion sur la
difficulté de vivre en ne faisant que de l'art. Il y a aussi un très
beau et bref portrait d'Ingmar Bergman, à l'occasion de ses 70 ans («Il a épuré son style jusqu'à lui donner la sobriété de la musique de chambre.») Un bref hommage à Charlie Chaplin, Le Vagabond immortel.
La dernière partie, Célébrations du cinéma. Toujours sur fond autobiographique, Satyajit Ray
nous raconte son expérience des festivals de cinéma, de Moscou à
Venise, Cannes, Bruxelles, etc., et tire comme toujours de son
expérience des idées sur ce que pourrait être en Inde la vocation d'un
festival, et des réflexions sur l'ensemble du cinéma qui devraient être
méditées par l'ensemble des responsables culturels et politiques, qui
sont aujourd'hui malheureusement à des années-lumière de la pensée du cinéaste, parce que
justement il n'ont pas l"honnêteté essentielle d'un Satyajit Ray, d'un artiste vrai: «Nous savons aujourd'hui qu'un modèle économique défaillant contribue à miner le talent artistique.»
Le regard sur l'art de Satyajit
Ray, toujours fondé sur son expérience, sa biographie, sa vie
d'artiste, est passionnant pour tous; pour les amateurs de jazz aussi.
C'est pourquoi, au-delà de cette évocation rapide de ces textes, il est fondamental de retourner
aux mots-mêmes de Satyajit Ray, parus dans ce livre si précis, si précieux.
Ce curieux beau livre, grand format à l’italienne 28 x 33cm, est un projet d’activistes du jazz qui œuvrent depuis longtemps pour la promotion de leur musique préférée, qui se sont offert un plaisir et ont voulu le partager. L’idée est généreuse. Est-ce suffisant?
Gloria Krolak est l'animatrice de Good Vibes, un programme radio original présentant en particulier les vibraphonistes. Elle contribue également à Jersey Jazz, le journal de la New Jersey Jazz Society. Elle tient sa chronique dans le site All About Jazz, et elle est membre de vibesworkshop.com parmi beaucoup d’autres casquettes et activités.
Ed Berger est un écrivain et photographe indépendant qui a pris ses premières photos de jazz en 1966 à 16 ans lors d’un concert de Louis Armstrong. Il est consultant au Jazz Studies Institute de Rutgers University depuis une quarantaine d'années. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, récemment Softly With Feeling: Joe Wilder. Ses photographies ont été publiées dans de nombreuses publications et sur de nombreuses couvertures d'album. Il collabore entre autres à JazzTimes et au Jazz Museum d’Harlem.
Dans cet ouvrage de 74 pages, il y a seulement 36 photos, ce qui indique que l’ouvrage peut sembler, par certains côtés, minimaliste bien que les photos soient très belles. Les textes sont constitués presque exclusivement de titres du répertoire du jazz, d’ailleurs répertoriés dans l’index en fin d’ouvrage. 1049 titres servent ainsi à composer par collage des sortes de vers avec une thématique face à une photo. Il faut sans doute être parfait anglophone pour en apprécier certaines subtilités qui ne sautent pas aux yeux.
La construction de cet ouvrage, en dépit du soin apporté (beau papier, belle reliure, belles mise en page et photogravure) peut sembler quelque peu artificielle. Oui, les photos de Benny Carter, Louis Armstrong, Warren Vaché, Ron Carter, Roy Hargrove, etc., sont splendides, et donc un amateur de jazz va y trouver une partie de son compte. Mais le projet en lui-même paraît faible, ludique pas plus. On dira que c’est une manière de découvrir les photos d’Ed Berger et de recenser des standards du jazz.
Par Willem et Baudoin (Collection Cagnotte, Super Loto Editions, Concots (46), 2015, www.imprimerietrace.fr)
Rencontre entre le jazz et le dessin, cet ouvrage est aussi celle de deux dessinateurs qu’on ne présente plus, Willem et Baudouin avec l’équipe du Festival de jazz de Foix, une petite ville capitale de l’Ariège, dominée par les vieilles pierres d’un château moyenâgeux. Le hasard des amitiés et des sentiments, a fait que sa compagne, professeur d’arts plastiques et militante du festival, a eu l’idée d’une rencontre jazz et dessin, et que le cercle des relations amicales a permis d’inviter Willem et Baudouin dont la plume trempe parfois dans le jazz et depuis des décennies (la fille de Willem est elle-même un bonne chanteuse de jazz). Willem, invité et parrain depuis de longues années, a croqué quelques affiches du festival, et a eu l’idée d’associer Baudoin pour les éditions 2013 et 2014 à cette aventure toute de convivialité. La couverture et la quatrième de couverture de cet ouvrage sont d’ailleurs inspirées de deux affiches du festival.
Voici donc le condensé de cette aventure très humaine, sous la forme d’un ouvrage de 84p. grand format, en noir et blanc, comme leurs dessins et comme le jazz, qui fait la part belle à ce que les deux dessinateurs ont croqué de ces instants fugaces porteurs de tant de chaleur.
La préface est de la main d’Eric Baudeigne, fondateur et directeur jusqu’à 2014, le Dr. Jazz de la cité (son métier est de soigner les gens et parfois avec des mots ou du jazz), un amateur de mots aussi dans une région durablement marquée par Claude Nougaro. Eric a depuis abandonné ses fonctions, un peu trop vite car c’est une énergie singulière de cette ville et du jazz qui se gaspille, mais la vie continue et le festival aussi.
La cheville ouvrière de cette rencontre entre arts, Michèle Ginouilhiac-Baudeigne, est présente sous la forme d’une interview à trois voix avec Baudoin et Willem qui racontent leur histoire d’amour avec le jazz, le dessin et le reste.
Enfin, le corps principal de ce livre est constitué par les dessins de nos deux compères, saisissant avec réalisme, simplicité ou complexité selon le tempéramment, mais aussi vérité du trait, imagination et ressenti, ces soirées festivalières. Cela rappelle les moments où ils étaient, avec leur crayon et leur pinceau, directement impliqués dans la création d’un soir, que ce soit de leur place ou sur la scène (Baudoin a ainsi réalisé deux performances en direct et en compagnie des musiciens).
Le trait minimaliste de Willem (monkien?) contraste avec la profusion de noir de Baudoin (coltranien?), on ne fera pas de «blindfold test» ou son équivalant pictural pour savoir qui fait quoi.
Il restera donc de cette aventure un bel ouvrage et c’est tant mieux ! Car Jazz à Foix allie les qualités essentielles de ce que doit être un festival de jazz : découverte, racines, rencontres, convivialités, expression, qualité, exigence, transmission, risque, liberté et parfois improvisation, on peut leur faire confiance à tous sur ce sujet…
par Pierre Sim (Books on Demand, autoproduction, tél. 04 94 87 70 86)
Tout d'abord, il est très intéressant que tout artiste ayant copieusement œuvré dans son domaine rédige ses mémoires ou, au moins, laisse les traces essentielles de sa vie; il y a toujours là, matière à prendre, ne serait-ce qu'au-delà des anecdotes, quelques faits significatifs (rencontres, etc.). Certains s'y sont mis (Fred Gérard, Dominique Chanson, etc.), mais c'est resté inédit ou alors publié en extraits ici ou là, donc dispersé et sans effet.
Pierre Sim, né en 1929, contrebassiste bien connu dans le milieu jazz, a été poussé par ses petites-filles à rédiger ce livre de 160 pages. Le seul point ennuyeux est que la reproduction des photographies (p.156-160) est trop petite. Sinon la mise en forme est limpide.
Pages 152 à 153, il y a des listes de musiciens de jazz avec lesquels Pierre Sim a joué, des vedettes pour lesquelles il a enregistré et même une liste des musiques de films auxquelles il a contribué.
Après une introduction (p.6-10), les têtes de chapitres sont les années, de 1948 à 2012. Arménien d'origine, de son vrai nom Vartan Simonian, Pierre Sim parle d'abord de sa génèse familiale et de celle de son goût pour le jazz: «Un jour de 1946, quelle surprise! Dans une boutique, je vois une revue intitulée Jazz Hot. Je l'achète et, de retour chez moi, je la lis d'une traite, du début à la fin. Je commence alors véritablement, à cette période, à baigner dans ce qu'on appelle le jazz et dans son environnement.» (p.9). Jusque-là, le jeune homme avait découvert ce genre expressif grâce à la radio (BBC) et d'emblée perçu une sensibilité pour la contrebasse. Il poursuit: «Je deviens adhérent du Hot Club de Toulon, où se tiennent de nombreuses auditions et réunions.» On ne dira jamais assez combien ce type de passage de flambeau éducatif et bénévole a été efficace pour former (formater aussi) des générations successives d'amateurs, ce que confirme Pierre Sim: «Via ces organes, le jazz se diffusera largement dans la France d'après-guerre.»
C'est plus qu'en autodidacte, en ne sachant strictement rien de l'instrument que Pierre Sim se produit pour la première fois, grâce au Président du Hot Club de Toulon, et déjà aux côtés d'André Persiani! Après 4 cours auprès d'un contrebassiste, il se débrouille seul avec une méthode de contrebasse (position des notes sur le manche) et une autre pour guitare (connaissance des accords). Ce n'est qu'en 1978 qu'il se perfectionne à la Schola Cantorum. Pierre Sim a utilisé une contrebasse Paul Clodot de 1840 (1958-83) qu'il cédera à Cameron Brown.
On constate dans les citations ci-dessus que son style d'écriture est simple, donc parfaitement intelligible, contrairement à celui d'une multitude de prétentieux de la plume qui peuplent le monde des «critiques de jazz» qui ont, de ce fait, rendu ce genre musical repoussant car hermétique au commun des mortels. Le texte contient peu de fautes de nom (Paul Piguilem ne prend qu'un "l” ; Bacqueville se prénomme Patrick et non Claude, quant à Grenu c'est Georges et non Gérard-p.134-135) ou de dates (p.82, c'est en 1973 et non 1977 qu'eut lieu la séance de Bill Coleman en big band). Enfin, il y a quelques sauts à la ligne mal venus.
Pierre Sim a débuté à Saint-Raphaël avec Jean Tordo (cl) puis, toujours en 1948, il se retrouve au sein du New Orleans Jazz Band de Toulon avec Bob Garcia. Bob Garcia et lui jouent ensuite pour Roger Chaput (Marseille, 1950). Pierre Sim est ensuite engagé par Léo Missir (p, vib) (1951). Puis, il nous apprend qu'il a joué notamment avec Django Reinhardt (1953), Bib Monville, René Urtreger (1955), René Thomas, Bobby Jaspar, Roger Guérin, Zoot Sims, Sonny Grey, Michel Hausser (1956).
En 1957, il fait son premier disque pour Joseph Reinhardt. Il est membre titulaire de l'Orchestre Jacques Hélian (1957). Au cours de sa carrière, ses plus fidèles employeurs sont Bill Coleman (à l'occasion, de 1960 à environ 1978), Stéphane Grappelli et, tardivement, les clubs Méditerranée. Mais Pierre Sim a aussi l'occasion de côtoyer Sadi, Kenny Clarke (dès 1957), Jean-Claude Fohrenbach, Lucky Thompson, Martial Solal, Al Levitt, Georges Arvanitas, Henri Renaud, Tony Murena, Guy Lafitte, Jimmy Gourley, Jimmy Rushing, Maxim Saury, Bud Powell (l'un de ses préférés m'a-t-il confié), Johnny Griffin, Claude Bolling, Eddy Louiss, Mickey Baker, Memphis Slim, Phil Woods, Stan Getz, Sonny Stitt, Dominique Chanson, Slide Hampton, Luis Fuentes, Michel Sardaby, Hal Singer, Jeanot Rabeson, Dany Doriz, Ted Curson, Sonny Criss, Dizzy Reece, George Coleman, Sam Woodyard, Michel Petrucciani, Glenn Ferris, Alain Bouchet, Michel Roques, Stéphane Guérault, Michel Attenoux, Maurice Meunier, Sir Charles Thompson, les Belmondo, et on en passe… quasiment dans cet ordre qui témoigne d'une souplesse d'approche.
Nous retrouvons ces musiciens au fil des pages. Bien sûr, comme tous les jazzmen professionnels de sa génération, Pierre Sim est parallèlement impliqué dans les variétés et donne son concours à René-Louis Lafforgue, Henri Salvador, José Bartel, Lucky Blondo, Eddie Constantine, Marlene Dietrich, Johnny Hallyday, Charles Aznavour (1963-64), Nicole Croisille, Nana Mouskouri, Mick Micheyl, Jacques Brel (1964-66), Alain Barrière, Sacha Distel, Colette Renard, Charles Trenet, François Deguelt, Nancy Holloway, John Littleton pour n'en signaler que quelques-uns.
Parmi ses meilleurs disques: le 25 cm de Jacques Denjean (1962, Jazz, Polydor 45585), Don Byas/Jacques Denjean (1962, The Big Sound, Polydor 46125), Bill Coleman (1968, Together at Last, Pathé CPTX 240 863). Ces pages démontrent un fléchissement progressif du métier, même si le ton du récit révèle que Pierre Sim a gardé un enthousiasme pour la jazz. Un livre optimiste. Le témoignage intéressant et utile d'un musicien comblé. Il nous laisse des vidéos avec André Persiani (1970) et Bill Coleman (1972) qui complèteront agréablement cette lecture.
Bons Temps Roulés, dans la Nouvelle-Orléans noire disparue 1979-1982, par Bernard Hermann, Albin Michel, Paris, 2015, www.albin-michel.fr
Préfacé
par l’écrivain Sylvain Tesson, c’est un beau livre (24 x 29,5cm) sur le
principal berceau du jazz, d’abord et essentiellement un livre de
photographies. New Orleans est une ville qui attire, qui fascine, et
Bernard Hermann, photographe de talent, n’a pas échappé à cette
séduction. Dans la ville du Tramway nommé Désir, rien n’est
ordinaire, et sans doute parce que le temps y a déposé des couches et
des couches d’histoire(s), avec une densité et une abondance rares,
comme le Mississippi, en bout de course, dépose ses tonnes d’alluvions.
Les
présences y sont multiples, depuis les Indiens d’origine jusqu’aux
différentes présences européennes, française, espagnole, caribéennes de
proximité, américaine du Nord, jusqu’à ces improbables Cajuns venus du
Canada jusque-là après un exode mouvementé. Il existe même une présence
asiatique.
Crescent City –un de ses surnoms, il en existe
d’autres comme Big Easy– présente même, phénomène rare aux Etats-Unis,
une forme de mixité, malgré une réalité historique pas si lointaine où
les Afro-Américains ont été les esclaves des Euro-Américains. La
société, comme aux Antilles, offre ainsi un caléidoscope nuancé dont les
Indiens, les Cajuns ne sont pas totalement absents: si l’on devait
définir une «couleur» commune pour New Orleans, on parlerait de couleur
créole… ou de couleur musicale. Malheureusement, le redoutable passé de
l’esclavage, celui plus tardif de la ségrégation, ont entravé ce qui
aurait pu être un modèle du vivre ensemble et, si New Orleans en
présente certaines facettes, plus que son environnement louisianais, il
n’en existe pas moins encore un fonctionnement très marqué par la
ségrégation, chaque groupe, y compris les Créoles, conservant une sorte
de fierté identitaire cultivée, parfois jusqu’à l’exclusion, la violence
et l’horreur. C’est aussi, paradoxe, l’une des raisons du maintien
d’une certaine authenticité et d’une richesse de traditions sur place
avec peu d’équivalent dans le monde. New Orleans est un port, mais où
l’on s’installe, séduit par le cadre, un rythme de vie, un art de vivre,
une forme de liberté, ou plus exactement de souplesse de
fonctionnement, que le reste des Etats-Unis n’offre pas toujours, une
ville de mystère aussi, de légendes.
Cette petite introduction
pour dire que Bernard Hermann n’a pas fait exception: bien qu’ayant des
attaches locales, c’est lors d’un voyage en 1979, prévu pour quelques
semaines, qu’il décida de s’installer. Il nous donne ainsi aujourd’hui
le résultat d’un livre de photographies exceptionnelles, techniquement
et artistiquement parfaites, bien traités dans ce livre par une bonne
photogravure, mais aussi socialement justes, car il connaît bien «sa
Nouvelle-Orléans». Un texte en fin d’ouvrage, reprenant le classement
thématique du découpage choisi, en témoigne. Il possède les
connaissances et la sensibilité pour faire mieux et plus détaillé, mais
on ne va pas le lui reprocher car cette force et cette sensibilité se
retrouvent dans d’extraordinaires photos, dignes de ce qui s’est déjà
fait de mieux à New Orleans dans le genre (on pense à William Claxton).
Toutes ces images sont en noir et blanc, d’origine argentique, et les
cadrages, les atmosphères sont souvent exceptionnels, comme cette
descente au Mississippi pour un baptême, ces portraits de dockers, ce
reportage hors norme sur Angola, le pénitencier, ces scènes de fêtes, de
familles ou de ferveur religieuse…
Percevoir le jazz, la musique
afro-américaine, exige une qualité: le feeling. Bernard Hermann a un
véritable feeling pour New Orleans. Ses photos le disent et constituent
des documents exceptionnels pour qui veut découvrir des pans de cette
histoire multiple, pour qui veut comprendre également ce qui fait
l’originalité du son de New Orleans dans le jazz et de toutes ses
inspirations ou descendances. Il faut s’arrêter sur chacune des images,
sur les détails, les ensembles. Tout est constitutif d’une atmosphère,
d’une expérience de vie.
Bien entendu, ce livre nous parle de New
Orleans de 1979 à 1982, et Bernard Hermann, comme d’autres, a une
certaine nostalgie de cette époque. Il pense qu’après l’ouragan Katrina
New Orleans n’est plus New Orleans.
Pourtant, sans faire preuve
d’optimisme, on constate que la ville a continué d’être musicalement
très active, riche en nouveaux talents parfois d’exception, après 1982,
avec une véritable renaissance musicale qui a rejailli sur l’ensemble du
jazz aux Etats-Unis et dans le monde. On pense bien sûr à la famille
Marsalis, mais ils ne sont qu’une partie, active il est vrai, d’un
véritable renouvellement musical, avec une ouverture sur le reste de
l’Amérique que New Orleans n’avait plus connu depuis la fermeture du
quartier réservé de Storyville en 1917.
En 2005, Katrina a effectivement été une catastrophe pour la ville, mais il en sort encore de l’énergie, et l’excellente série Treme,
très socialement orientée mais également assez aboutie dans sa
description des strates sociales ou ethniques néo-orléanaises, décrit
également une atmosphère qui reste celle de New Orleans, avec ce petit
côté de «laisse bons temps roulés» (qui plaît tant à Bernard
Hermann), accepté et revendiqué malgré la pression productiviste et
quantitativiste de l’époque.
D’autres facteurs, plus universels
comme la société de consommation et l’uniformisation planétaire sont
plus à craindre que Katrina pour New Orleans. Comme pour Paris.
Cela
dit, voici un grand et beau livre de photos par un véritable artiste de
la photographie, Bernard Hermann, et ça ne mérite pas un détour mais un
arrêt indispensable…
Ecoutez moi ça! par Nat Shapiro et Nat Hentoff, Buchet Chastel, coll. Musique, 2015, Paris. www.buchetchastel.fr
Voici la réédition d’un ouvrage qui a bercé des générations d’amateurs de jazz, sorti en 1955 sous le titre Here Me Talkin’ to Ya,
collecte par deux critiques de jazz «de la nouvelle vague», Nat Shapiro
(1922-1983) et Nat Hentoff (1925), de fragments d’interviews des
musiciens qui ont fait le jazz et de quelques autres qui y ont contribué
plus modestement.
Conçu comme un dictionnaire de citations, plus
ou moins longues, de quelques lignes à quelques pages (moins de cinq),
classées par grands thèmes (1/Là-bas, dans le Sud, à la Nouvelle-Orléans, 2/ En remontant le fleuve paresseux, 3/Voyageurs sans bagages, 4/Indécision),
avec des sous chapitres abordant des thèmes plus précis sous la forme
d’une phrase, c’est un ouvrage très intelligemment conçu, fondé sur des
interviews dont les auteurs, Nat Shapiro et Nat Hentoff, se sont exclus,
laissant la parole aux seuls musiciens.
C’est donc une belle
histoire du jazz qui se déroule sous nos yeux, racontée depuis ses
débuts, commentée et débattue par les musiciens, en particulier les
fondateurs, selon le parcours proposé, vaguement chronologique sans
excès, par le découpage aussi thématique combiné.
Un régal de
lecture, ou de relecture, notamment sur ce qu’est ou n’est pas le jazz,
sur ce qu’est la musique et ce qu’est l’art, où l’on voit également que
beaucoup d’artistes du jazz sont capables de disserter sur le jazz, avec
compétence et hauteur, et transmettent dans ces interviews, que nous
continuons de pratiquer, le vécu d’une histoire qui ne se comprend pas
sans sa dimension humaine dans son entièreté. La préface de cette
édition est écrite par Jacques Réda. Sortie octobre 2015.
Une lecture indispensable pour l’amateur de jazz, d’art et de culture, débutant ou confirmé.
Yves Sportis
Music to Silence to Music, A Biography of Henry Grimes
Music to Silence to Music, A Biography of Henry Grimes par Barbara Frenz, Northway Publications-London et Parkwest-Miami, Florida, 322p., 2015. www.northwaybooks.com et www.parkwestpubs.com
Barbara Frenz, historienne et poétesse allemande, née en Suisse, contributrice chez Jazz Podium,
publie une biographie très approfondie du grand bassiste de jazz Henry
Grimes, né à Philadelphie le 3 novembre 1935, ce qui fait du jour de
sortie de l’ouvrage un beau cadeau d’anniversaire pour Henry Grimes. Ce
détail n’en est pas un puisqu’il a fallu l’opiniâtreté d’une recherche
exceptionnelle, avec, on le devine par la richesse de cet excellent
ouvrage, un investissement personnel, affectif comme cela se produit
parfois, souvent, dans le jazz quand on produit un travail de cette
qualité. Nul doute que la poésie, expression partagée par Henry Grimes
et Barbara Frenz, y a joué un rôle déterminant.
Doté d’un
appareil documentaire précis et précieux (notes, références
bibliographiques, index), il ne manque à cette biographie qu’une
discographie détaillée et illustrée. L’iconographie, sobre et
recherchée, notamment auprès d’archivistes photos de haut niveau comme
CTS Images, est à l’image de ce livre: de qualité.
L’ouvrage détaille le beau et long parcours d’Henry Grimes, né dans une des capitales du jazz, Philadelphie, la même année que Jazz Hot,
en 1935, une ville qui respire le jazz, en particulier dans ces années
1950 où les créateurs du jazz se bousculent dans les jam-sessions
locales devenues légendaires (cf. le Jazz Hotn° spécial 2006 consacré à Clifford Brown), et où s’élaborent les nouveaux accents du jazz.
Une
des rencontres essentielles pour Henry Grimes est celle de Sonny
Rollins qui préface avec chaleur le livre de Barbara Frenz, avec lequel
Henry Grimes va jouer et tourner jusqu’en Europe. Jazz Hot et
l’auteur le rappellent avec précision dans divers comptes rendus.
Philadelphie est un creuset d’une telle richesse que les rencontres sont
nombreuses et riches, et le parcours d’Henry Grimes est emblématique de
celui des musiciens apparus dans les années 1950, et qui développent
leur art dans les années 1960, au cœur d’un maelström
artistico-socialo-politique, car c’est aussi la période de la lutte pour
les Droits civiques aux Etats-Unis, de la reconnaissance, sur tous les
plans, politique, artistique, des aventures créatives les plus
incroyables. Le parcours de Philadelphie à New York, à l’Europe, les
rencontres musicales avec Cecil Taylor, Steve Lacy, Don Cherry, Archie
Shepp, Pharoah Sanders, Sunny Murray, Albert Ayler, Charles Mingus,
McCoy Tyner, musiciens parfois déjà croisés à Philadelphie, et l’ombre
tutélaire de John Coltrane, font d’Henry Grimes un grand témoin et un
grand acteur de cette période d’ouverture.
Puis c’est l’éclipse,
la disparition, épisode aussi très américain, et présent dans nombre de
biographies de musiciens de jazz, plus ou moins bien vécu (Sonny
Rollins, Miles Davis, Thelonious Monk, Lucky Thompson, etc.) et où
beaucoup de musiciens se sont perdus. Pendant trente ans, Henry Grimes
s’installe à Los Angeles, quitte les cordes de la basse, se consacre
essentiellement à la poésie et semble survivre difficilement, dans la
pauvreté, même s’il assume le choix comme une découverte de soi. Le
chapitre consacré à ces trente années de disparition est finalement très
bref, très concentré comme un trou noir, car le bassiste est peu
prolixe sur ce sujet. Il reste de cette période sa poésie.
La
redécouverte par Marshall Marrotte en 2002 est le début d’un nouveau
parcours musical qui n’a plus cessé depuis et curieusement, il est
présent comme un aîné pour les jeunes musiciens de jazz, surtout dans
l’esthétique free (William Parker…), qui le reconnaissent comme
un précurseur, comme s’il n’avait jamais disparu, phénomène analogue
chez les anciens (Fred Anderson…) qui rejouent avec lui comme s’il
n’avait jamais quitté la sphère musicale du jazz.
Voici en résumé
ce que vous pourrez découvrir détaillé avec beaucoup de témoignages
dans cette bonne biographie réalisée par Barbara Frenz. Un ouvrage qui
raconte à sa façon le jazz depuis les années cinquante. Sortie le 3
novembre 2015.
A noter enfin que Northway Publications offre une excellente collection d’ouvrages sur le jazz.
AM JAZZ (Three Generations Under The Lens), Adriana Mateo, Peruzzo éditeur, 2015- www.adrianamateo.com
Adriana
Mateo est née en Argentine à Buenos Aires. Elle fut dès son plus jeune
âge attirée par la photo, son père, Roberto Mateo, étant directeur de
la photo au cinéma et lauréat du Lion d’Or de Venise en 1970, du
Festival de Biarritz et de Cannes en 1980.
Adriana commença dans la
publicité. A 23 ans, elle était directrice artistique de la campagne de
Marlboro pour l’Amérique du Sud. Voulant être réalisatrice au cinéma,
elle émigra à New York en 1992 où elle obtint le diplôme de la New
University Film School en 1996. Puis, elle travailla avec les directeurs
de la photographie Rob Draper (ACS) et Andrew Laszlo. Elle réalise des
documentaires.
En plus de la photo, elle a trois passions dans
la vie : l’art, le jazz et les relations humaines. Pour ce livre elle a
choisi des musiciens et musiciennes de jazz de trois générations, qui se
connaissent tous, et font en quelque sorte partie de la même famille.
En plus d’être une artiste photographe, elle couvre aussi des festivals à
travers le monde, dont celui de Newport
Elle est maintenant photographe free lance et directeur de la photographie professionnelle.
Ce
magnifique livre s’ouvre sur la préface et la photo du pionnier, Jimmy
Heath, né en 1926, dont le portrait pris en 2012 montre un homme
heureux, beau, les mains croisée sur une partition, et va jusqu’au plus
jeune, le pianiste Joey Alexander, né en 2003 en Indonésie, un petit
génie paraît-il, en passant par Esperanza Spaulding, née en 1984,
lumineuse derrière sa basse électrique.
Les photos sont en noir
et blanc, un noir et blanc en clair obscur, profond, contrasté en
douceur, traité comme à la façondes noirs de Soulages, car ces noirs
captent la lumière qui les décline sur toute la palette des gris
jusqu’aux blancs.
Il y a des photos d’objets comme par exemple le
chapeau de Roy Hargrove, des photos d’instruments en situation
particulière, des portraits, des groupes, bref une infinie variété, qui
fait qu’on ne cesse de feuilleter et re-feuilleter ce livre, découvrant à
chaque fois quelques chose de nouveau.
Ce sont parfois des
photos posées, mises en scène, mais sobrement, la photographe ayant su
capter le naturel, voire l’aura qui se dégage de ces artistes. Elle a su
accomplir une mission impossible, rendre l’atmosphère, la vie du jazz
par l’image fixe. Certainement grâce à sa proximité avec les artistes,
ayant développé une véritable amitié avec tous.
Ce qui fait un
photographe, c’est avant tout l’œil; Adriana possède cet œil qui à
travers l’objectif sait capter l’essence d’une scène, d’un personnage,
le parfait cadrage.
A son vernissage à Padoue, elle me confiait
combien il lui était pénible de savoir que depuis la prise de ses
photos, plusieurs musiciens étaient déjà décédés: Cedar Walton, Dave
Brubeck, Lew Soloff, Mulgrew Miller.
Ce livre est un chef d’œuvre. On
peut y admirer la plupart des grands et des moins grands de la scène du
jazz, de Sonny Rollins aux Marsalis père et fils, en passant par Herbie
Hancock, Chick Corea, Wayne Shorter, Dizzy Gillespie All Stars Big
Band, etc.
Eddie Condon on Record 1927-1972. www.italianjazzinstitute.com. Genova, Italie, 2015. Giorgio Lombardi propose la 3e édition de sa discographie détaillée d’Eddie Condon (bj, g, voc,
leader), un ouvrage de 134 pages, préfacé par Ed Polcer, Maggie Condon,
la fille, augmentée d’une biographie de présentation, et maintenant
doublé d’un CD reprenant les mêmes éléments.
Ce beau travail de discographe est (ré)édité par l’Italian Jazz Institute, Genova (Gênes).
Yves Sportis
Coltrane sur le vif. www.lenkalente.com.Nantes, 2015. Luc Bouquet propose,
chez cet éditeur qui s’intéresse régulièrement au jazz dans des formats
«rapides», un ouvrage de 152 pages, une redécouverte de John Coltrane à
travers les enregistrements édités mais non préorganisés, baptisés
«pirates», terme bien connu des amateurs de jazz. Il écrit n’avoir
retenu que les enregistrements ayant donné lieu à une édition
phonographique et commercialisés, y compris chez Impulse! – et en fait
qui ne sont pas tous «pirates», ce terme sous-entendant qu’ils ne sont
pas autorisés, ce qui n’était pas le cas. Le terme de «live» aurait
mieux convenu. C’est une suite de chroniques d’enregistrements, qui
retracent un parcours «vivant» du saxophoniste et de son légendaire
quartet, souvent en tournée, qui s’augmenta d’autres illustres
compagnons, Eric Dolphy ou Pharoah Sanders par exemple. C’est peu
intéressant sur le plan de l’analyse musicale, en dehors de l’idée de
rassembler les enregistrements live, mais ça n’est pas non plus
original, le numéro spécial de Jazz Hot 1998 listant déjà ces
enregistrements dans une discographie détaillée. Inutile de vous dire
que les discographies de John Coltrane parues dans Jazz Hot
(n°491-492, Spécial 1998 en particulier pour les plus récentes qui sont
de plus illustrées) ne sont citées et donc sans doute connues, pas plus
que la discographie fondatrice de David Wild (The Recordings of John Coltrane), ni celle aboutie de Yasuhiro Fujioka (John Coltrane: A Discography and Musical Biography),
et comme l’auteur trouve fastidieuse la discographie en général
(p.133), on s’interroge sur sa motivation à écrire un livre fondé sur la
matière disque. Sans doute une maladresse d’expression mais qui en dit
long sur le contenu et sur le manque d’approfondissement quand on
prétend s’intéresser à John Coltrane, sujet déjà fort bien étudié.
Yves Sportis
Mulgrew Miller, The Book(English-Français). www.henry-lemoine.com. Paris, France, 2015.
Les Editions Henry Lemoine, Collection HL Music, propose ce beau volume de 166 pages, réunies par Armand Reynaud et Jérémy Brun,
une collection de master classes et de transcriptions du merveilleux et
regretté Mulgrew Miller, l’un des très grands pianistes de notre temps
disparu prématurément en 2013, en pleine force de la création. Préfacé
par Laurent de Wilde, qui fréquenta Mulgrew Miller, c’est un ouvrage
indispensable, un cadeau fait aux pianistes de jazz, aux musiciens, de
jazz et pas seulement, parce qu’il évoque stylistiquement, par l’angle
de la technique et de l’écriture musicale, le parcours d’un grand
pianiste contemporain, aussi bien par ses influences et son parcours ou
sa création personnelle que par sa manière de transmettre à d’autres.
Belle idée. Mulgrew Miller Lives!
Yves Sportis
De Briques et de Jazz, le jazz à Toulouse depuis les années 30. www.atlantica.fr. Biarritz, 2014. Charles Schaettel propose la mise à jour de son premier récit sur le sujet datant de
2001. C’est un bel ouvrage grand format (25x25cm), de 338 pages, préfacé
à l’origine par Michel Laverdure, aujourd’hui par Jacques Aboucaya. Le
contenu est d‘une grande richesse sur la vie du jazz dans le sud-ouest,
avec une focalisation sur Toulouse et Montauban, comme sur la personne
d’Hugues Panassié, grande figure locale d’importance internationale pour
la diffusion du jazz, et sur Guy Lafitte, autre figure essentielle de
la grande histoire du jazz à Toulouse et dans sa région. Beaucoup
d’autres noms, célèbres et moins connus, émaillent ce récit, car
Toulouse a été un des foyers du jazz, et à ce titre, de grands
musiciens, américains, européens et français, s’y sont produits, ou
parfois y ont vécu.
Cette histoire, un peu désordonnée et fâchée avec
la chronologie, non qu’elle soit fausse, mais parce que le récit ne la
suit pas et fait d’incessants allers-retours, est une collection de
récits et d'anecdotes de multiples témoins, et a le mérite de les réunir
ici pour la mémoire. Une iconographie exceptionnelle, des documents de
toute nature, précieux, des témoignages et des citations nombreuses font
de ce grand livre une belle découverte des racines du jazz en France, à
Toulouse, et qui explique la résistance encore forte de cette belle
aventure artistique et sociale du jazz en France. Le récit des vingt
dernières années est moins «pittoresque» car moins passionné, mais reste
précieux pour se souvenir que le jazz a encore une descendance active,
même si ce type d’ouvrage incline à la nostalgie.
Yves Sportis
Melba Liston, in Black Music Research Journal, vol. 34, No 1, printemps 2014, Chicago, 170p. www.press.uillinois.edu/journals/bmrj.html.
Cette
revue universitaire semestrielle consacre un numéro entier à l’œuvre et
à la personnalité exceptionnelle de Melba Liston, à sa place et son
importance dans le monde (afro) américain. Melba Liston est surtout
connue des amateurs de jazz en France pour sa longue collaboration avec
Randy Weston, comme musicienne et arrangeuse. C’est d’ailleurs Randy
Weston lui-même, grand admirateur et collaborateur de la tromboniste qui
nous a fait parvenir ce numéro spécial, avec une petite dédicace.
Pour
rappel, en dehors de son parcours aux côtés de Randy Weston qui s’étend
de la fin des années 1950 aux années 1990, Melba Liston, est née à
Kansas City, Missouri, le 13 janvier 1927 et elle est décédée le 23
avril 1999 à Los Angeles, où sa famille s’était installée en 1937, et où
elle a étudié le trombone, et écrit ses premiers arrangements pendant
la Seconde Guerre. Elle a fait partie des orchestres de Gerald Wilson
(1944-47), Count Basie (1948-49), Billie Holiday (1949, 1955), Dizzy
Gillespie (1950, 1956-57), Quincy Jones (1959), dirigé aussi diverses
formations, féminines parfois, puis se consacre à l’arrangement (Dexter
Gordon, Johnny Griffin, Milt Jackson, Mary Lou Williams, Elvin Jones,
Archie Shepp, Art Blakey, Oliver Nelson, Freddie Hubbard, Jimmy Smith,
Shirley Scott…) et à l’enseignement (Brooklyn, Harlem, Watts).
Ce
rappel situe l’importance musicale de cette grande arrangeuse du jazz,
et explique aussi sa relativement faible notoriété, puisqu’elle est une
femme…
C’est cet oubli coupable que répare ce bon numéro de la BMR,
institution qui a hérité des archives de la grande Melba Liston.
Plusieurs contributions de tous ordres, sociologique, politique,
artistique, musical, viennent rappeler l’importance de la grande femme
que fut Melba Liston, femme du jazz mais aussi qui a joué un rôle dans
l’émergence des femmes afro-américaines dans le monde du jazz, dans le
monde afro-américain dans son ensemble et dans le monde américain tout
court au fond.
On rappelle d’abord de quoi est constitué le fonds
Melba Liston, puis plusieurs contributions viennent rappeler les étapes
de cette vie hors du commun: les collaborations avec Dexter Gordon (par
Maxine Gordon), avec Randy Weston, par Lisa Barg, mais aussi le séjour
de cinq ans en Jamaïque dans les années soixante où elle enseigne à
l’Université, et encore des partitions écrites par Melba Liston et
analysées par Geof Bradfield, ou enfin son enseignement politique dans
la lutte des femmes («D'abord vous êtes musicienne de jazz, puis vous
êtes noire, puis vous êtes une femme. Je suppose que ça descend comme
ça. Vous êtes le bas du tas…» Melba Liston, 1983).
Le monde du
jazz comme le monde afro-américain sont des mondes d’hommes, et cette
lutte implicite pour la dignité humaine que constitue cette expression
ne s’est pas toujours étendue aux femmes, si ce n’est quand certaines
d’entre elles, les plus fortes, comme Bessie Smith, Mary Lou Williams,
Billie Holiday, Rosetta Tharpe, Melba Liston, etc. –elles sont
nombreuses– sont venues étendre cette revendication à leur réalité de
femmes dans une cercle d’hommes. A cet égard, le fonds Melba Liston
témoigne, mieux que tout autre car c’était une femme de caractère et
d'archives, de ce qu’était la condition des femmes afro-américaines, y
compris dans le jazz. Une autre facette de ce que dépeint dans ses
romans Toni Morrison. Il est vrai que les musiciens, les musiciennes
afro-américaines en particulier, envisagent leur expression sous un
angle particulier dont les racines sont encore et pour quelques années
ou siècles encore, à vif. Ce qui explique aussi, c’est une évidence, la
différence d’expression entre tous ceux et celles qui «pratiquent le
jazz», selon qu'ils appartiennent à l'une ou l'autre de ces strates
sociales, ou parfois à l'ensemble (jazz, afro-américaine, femme).
Yves Sportis
The Freedom Pirnciple, Experiments in Art and Music, 1965 to Now. www.mcachicago.org et www.press.uchicago.edu. Museum of Contemporary Art Chicago/University of Chicago Press, Chicago-London, 2015, 266p.
Si
on ne comprend pas la diversité et la complexité du jazz (quelles que
soient ses appellations) depuis ses origines, il faut parcourir cet
ouvrage de Naomi Beckwith et Dieter Roelstraete,
une autre histoire de l’AACM (Association for the Advancement of
Creative Musicians) depuis 1965, cette fois écrite sous l’angle de
l’esthétique et du politique, dans ce savant mélange, frisant le vaudou,
globalisant toutes les expériences et les expressions sans classement,
du moment qu'elles émanent d'une communauté devant être reconnue, ici la
communauté afro-américaine de Chicago, sans appréciation, dont a le
secret le monde américain et afro-américain.
Cet ouvrage reprend donc
en vrac, autour de l’aventure creative déjà polymorphe de l’AACM, 50
ans d’histoire de la création expérimentale à Chicago (musique,
peinture, sculpture…), le tout resitué dans le contexte politique local,
tendu entre communautés.
L’organisation de la pensée européenne, et
française en particulier, a du mal à se repérer dans ce type d’ouvrage,
exubérant et dépaysant comme l’Amérique, bien qu’une chronologie-bouée
de sauvetage existe en fin d’ouvrage, bienvenue donc, remontant à 1922
où l’inventeur du jazz autodésigné Jelly Roll Morton débarque à Chicago
(pourquoi pas l'arrivée de Joe King Oliver?). Son contenu est à lui seul
explicatif de l’aspect éclaté de la pensée des auteurs.
Mais le
mérite de ce beau livre, richement illustré, est bien là, de faire
sentir (plus que comprendre) que le monde afro-américain, et donc le
jazz, sont d’une complexité extraordinaire et qu’il faut parfois
beaucoup d’humilité, de recul, de hauteur et de connaissances, dans un
spectre très large (politique, économique, artistique, historique,
culturel, etc.) pour l’aborder sans dire trop de bêtises, sans se perdre
ou y perdre les autres, ce qui n’est pas forcément le cas de ce livre.
Quoi qu’il en soit, cet ouvrage totalement «free» (The Freedom Principle)
est une performance (au sens américain) en soi et un bon témoignage de
cette peu ordinaire histoire de l’AACM et plus largement de Chicago, du
jazz et des Etats-Unis.
Jean-Paul Levet, Daniel Léon,
Préface William R. Ferris, De Christophe Colomb à Barack Obama 1492-1919
– Une Chronologie des musiques Afro-américaines (Blues, Spirituals,
Gospel, Rhythm and Blues, Soul, Funk, Rap) - CLARB – Soul Bag, Paris
2015, 538 p
Jean-Paul Levet n’en est pas à son premier travail. Nous connaissons son fameux premier ouvrage, Talkin’ That Talk 1, qui en est à sa quatrième édition révisée, mais également son second opus illustré de superbes photos, Rire pour ne pas pleurer: Le Noir dans l'Amérique blanche 2, qui traduisent son implication dans l’archéologie du parler ordinaire au sein du monde musical noir des Etats-Unis.
De
Christophe Colomb à Barack Obama 1492-1919 – Une Chronologie des
musiques Afro-américaines (Blues, Spirituals, Gospel, Rhythm and Blues,
Soul, Funk, Rap) constitue le premier volume de sa dernière
tentative visant à replacer les musiques afro-américaines dans leur
contexte socio-historique.
La préface, due à la plume de William
R. Ferris, fondateur du Center for the Study of the American South in
the University of North Carolina at Chapel Hill (NC), par ailleurs
auteur de plusieurs ouvrages consacrés au Sud étatsunien et à ses
pratiques culturelles, met l’accent sur le caractère ambitieux de cet
ouvrage, qu’il inscrit dans la continuité de la tradition encyclopédiste
française du XVIIIe. 3
Jazz Hot: Comment et pourquoi en êtes-vous arrivé à concevoir cet ouvrage?
Jean-Paul Levet: En 2010, quand est sortie la quatrième édition de mon livre, Talkin’ That Talk chez Outre Mesure, je savais que cette même maison avait publié, en 2005, l’ouvrage de Philippe Baudoin, Une Chronologie du Jazz.
Or j’avais constaté que, mis à part le jazz au sens large, cet ouvrage
ne faisait pratiquement jamais référence aux autres musiques
afro-américaines; ce qui laissait un vide important préjudiciable à la
compréhension globale des formes musicales des Noirs américains. J’ai
donc proposé à Claude Fabre, son directeur, de rédiger un ouvrage qui
complèterait l’ouvrage de Philippe Baudoin. Il en a accepté le principe
et nous sommes mis d’accord sur un livre de même importance.
Dans ces conditions, pourquoi votre ouvrage n’est-il pas publié traditionnellement sous la forme papier?
C’est
qu’en avançant dans notre travail mon collaborateur, le journaliste
Daniel Léon, et moi-même, nous sommes aperçus qu’un ouvrage
correspondant à nos ambitions dépasserait très largement les 300 pages
que représentait celui de Baudoin. Nous en avons parlé avec Outre Mesure
et Claude Fabre nous a rendu notre liberté aux fins d’envisager une
publication numérisée, moins tenue par les obligations de place. De
sorte que, lorsqu’il sera terminé, l’ouvrage représentera 5 volumes
numérisés de plus de plus de 500 pages chacun, ce qui n’était guère
envisageable dans une édition papier. Par ailleurs, comme vous avez pu
le constater en l’achetant sur Amazon, son prix rend chaque volume
financièrement abordable à 9,50€; sur papier, son prix aurait été
multiplié par quatre!
Comment s’articulent les cinq tomes de cet ouvrage?
Le
Tome I, le seul actuellement en vente sous forme d’ouvrage numérique
dématérialisé proposé sur Amazon, concerne la période 1492-1919; le
second, actuellement en relecture, intéressera celle de 1920-1942; le
tome III traite de celle 1943-2014; le tome IV concerne les nouvelles
formes musicales nées hors de la communauté noire, «de Jimmie Rodgers à
Eminem, et les "autres” interprètes»; quant au tome V, il explore
l’élaboration du mythe de Robert Johnson.
Vous
placez votre premier volume sous l’égide d’une réflexion de Fernand
Braudel concernant le temps: «Le temps court est la plus trompeuse et la
plus capricieuse des données», écrivait-il; pourquoi?
Notre
ouvrage couvre cinq siècles d’histoire américaine, sans s’arrêter
spécifiquement sur le jazz, par ailleurs traité par la Chronologie de
Philippe Baudoin. Il convenait, par conséquent d’envisager notre
approche dans la relation temps court/temps long, d’autant que les
musiques afro-américaines y sont replacées dans leur contexte politique,
économique et sociologique: l’Histoire côtoie ici l’histoire de vies
qui constituent la chair de ces musiques.
Néanmoins,
l’optique de votre ouvrage est de type «histoire quotidienne», et moins
musicologique que celle de Philippe Baudoin, qui lui n’aborde jamais cette problématique et ses implications quant au fait musical jazz 4.
Votre approche concerne les musiques afro-américaines alors que le
jazz, qui en est l’expression la mieux connue, dans l’ouvrage de
Baudoin, intègre des formes musicales qui, non seulement en sont fort
éloignées mais aussi étrangères à la culture afro-américaine.
Effectivement.
Mais notre propos étant centré sur les Etats-Unis, il nous était plus
facile, plus normal et même indispensable d’envisager l’aspect
civilisation; la référence à l’économie, à la démographie, à la
politique, aux faits de société assoit même notre exposé sur les formes
musicales que nous présentons. Au demeurant, le découpage retenu (Tome I
1492-1919, Tome II 1920-1942 et Tome III 1943-2014) est traité selon la
chronologie, année par année, celle-ci étant étayée d’informations
concernant les aspects économiques, sociaux et politiques associés aux
faits de société, présentés sous forme de rubriques qui constituent la
conjoncture du moment, auxquelles sont attachés les évènements
concernant les Afro-américains, sujet de l’ouvrage, réunissant
conditions sociales, économiques, techniques, technologiques,
culturelles… En revanche, les deux derniers volumes étant thématiques,
l’aspect sociologique en sera renforcé.
Le travail étant énorme, dans quels délais envisagez-vous la sortie de ces volumes?
Le
second (1920-1942) est à la relecture; il devrait être disponible cet
automne. Les suivants pourraient être publiés à raison de un tous les
six ou huit mois.
1. Cf. Philippe Rousselot - Jean-Paul Levet, Talkin'that talk, la langue du blues et du jazz, Langage et société, 1993, vol. 63, n°1, p79-81: www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lsoc_01814095_1993_num_63_1_2604).
Cf. également, William Labov, Le parler ordinaire, la langue dans les ghettos noirs des Etats-Unis, Trad. Alain Kihm, Les Editions de Minuit, Paris, 1993, 520p.
2. Parenthèses, Marseille, 2002, 176p.
3.
«It should come as no surprise that the authors of this impressive
work, Jean-Paul Levet and Daniel Léon, are French. We have, after all,
learned to expect encyclopedic projects from the French. In the 18th
century Denis Diderot and Jean le Rond d’Alembert’s massive encyclopedia
challenged future generations to bring a broad, embracing vision to
their subjects», écrit-il p3
4. Cf. Félix W. Sportis: Une Chronologie du Jazz par Philippe Baudoin (avec la collaboration d’Isabelle Marquis), Outre
Mesure, Paris 2005, 302p.», Comp@ct on line, supplément au Jazz Hot n°624, octobre 2005, p4-5.
La maison d'édition marseillaise propose, dans la collection Eupalinos dirigée par l’excellent Philippe Fréchet (cf. Jazz Hot n°669), trois nouvelles parutions, dont deux rééditions.www.editionsparentheses.com/
Le célèbre Hommes et problèmes du jazz (238p., 2014), d’André Hodeir, fondateur de la «nouvelle critique» de
jazz, publié pour la première fois en 1954, chez Flammarion, à la base
d’une vision progressiste du jazz (et de l’art) qui a irradié dans tous
les secteurs de la culture, soit qu’il en soit une influence majeure
soit qu’il participe d’un mouvement de fond. Ces conceptions ont été à
l’origine d’un véritable divorce de pensée au sein des amateurs de jazz
et correspondent aussi, fortuitement mais finalement pas autant que ça, à
la création, la même année de notre confrère Jazz Magazine.
Dans
cet ouvrage, le critique devient un technicien analyste musical de haut
niveau (plus un critique d’art, le cas des Charles Delaunay, Hugues
Panassié, Stanley Dance, etc.) dont la compétence interdirait toute
alternative de pensée (ce dont souriait avec humour Boris Vian dans Jazz Hot).
C’est un ouvrage historique pour l’histoire de la critique de jazz en
France mais pas essentiel pour le jazz, à notre sens, car la vision
hodeirienne a participé de la négation d’une partie monumentale de
l’histoire du jazz sous couvert de critique «compétente».
Hodeir reste ici encore proche de la critique d’origine, au moins sur le plan de ses choix, qu’il consigna d’ailleurs dans Jazz Hot (dont il reprend même quelques articles publiés, comme celui consacré au Concerto for Cootie).
Dans
sa préface de 1979, il rappelle la préface d’origine dans laquelle il
citait Paul Valéry: «L’amateur de Musset s’affine et l’abandonne pour
Verlaine. Tel nourri précocement de Hugo se dédie tout entier à
Mallarmé.» (etc.), citation qui dit assez l’incroyable gâchis qui a
consisté à nier des pans entiers de Basie, Ellington, Armstrong,
Eldridge et de milliers d’autres musiciens déterminants du jazz, sous
prétexte qu’il faudrait ne s’intéresser qu’à l’évolution de l’art,
l’invention ou l’inoui à tout prix. Au demeurant, un lecteur de Victor
Hugo n’aurait pas assez d’une vie pour parvenir à une
connaissance-compréhension de l’œuvre et cela ne l’empêcherait nullement
d’apprécier Mallarmé. La vision progressiste figée en système a été un
malheur de la pensée dans la France de la seconde moitié du XXe siècle, une déperdition de culture considérable, contribuant à nier
toutes les dynamiques de l’art et du jazz en particulier, musique de
racines et de l’échange dialectique entre générations, racines et
actualités, valorisant ce qui n’aurait pas dû l’être au seul pretexte
d’une pseudo-modernité.
La critique disciple d’Hodeir perpétua d’ailleurs la dérive au moment du free jazz, parlant de révolution, de rupture (Free Jazz-Black Power)
même si Hodeir lui-même ne suivit pas, aboutissant aux musiques
improvisées et à un malentendu profond et littéral de ce qu’est le jazz.
Yves Sportis
La seconde réédition est le West Coast Jazz d’Alain Tercinet (384p., 2015), paru à l’origine en 1986 chez le même
éditeur. Mais l’auteur prévient, en avertissement, que ce travail a été
«sérieusement révisé» en raison des modifications des sources (les
rééditions discographiques), du temps qui passe (les points de vue), de
nouvelles rencontres (interviews de musiciens). Tout cela fait de cette
réédition une mise à jour intéressant même les lecteurs de l’édition
originale. C’était et cela reste un bon panorama partiel de l’activité
jazzique sur la Côte Ouest des Etats-Unis et d’une partie des musiciens
qui en émergèrent. Bien que l’atmosphère d’après-guerre ne soit
apparemment pas si tendue entre communautés euro et afro-américaine,
l’histoire, car le ton est celui du récit, est davantage focalisée sur
les musiciens blancs, comme le veut l’image «traditionnelle» du jazz sur
la Côte Ouest, même s’il y eut dans l’histoire de cette musique sur la
Côte Ouest des monuments comme Charles Mingus et Eric Dolphy, mentionnés
parfois ici, et de beaucoup d’autres, mais pas à la place où on les
attendrait quand on parle de jazz et de musiciens majeurs. Horace
Tapscott par exemple n’est pour sa part même pas cité. C’est sans doute
que le West Coast Jazz est ici défini plus comme une esthétique où le
blues est moins présent voire absent (Woody Herman, Stan Kenton, Art
Pepper, Chet Baker, Shorty Rodgers, Shelly Manne, Lee Konitz, Bill
Holman…) que comme l’histoire du jazz sur la Côte Ouest. On peut
constater le choix, même s’il est quelque peu réducteur et qu’on peut
redéfinir les contours d’une histoire avec des arguments, et bien qu’il
soit aujourd’hui difficile de réécrire une histoire plus large dont la
mémoire n’a sans doute pas été bien sauvegardée pour cause de préjugés.
Cela nécessiterait une révision, pour cette fois sérieuse, du fondement
du sens de cette simple étiquette de promotion qu’a été le West Coast
Jazz comme le remarquait avec bon sens Hampton Hawes et sur laquelle
s’interrogeait lucidement Lee Konitz («Qu’est-ce que c’est?»).
Un
ouvrage travaillé, précieux, avec des index intéressants (musiciens et
titres) mais une discographie très insuffisante, même dans la vision
réduite de ce que fut le jazz sur la Côte Ouest au XXe siècle.
Yves Sportis
Enfin, troisième parution, et là c’est une nouveauté, le consistant ouvrage d’Alexandre Pierrepont (448p., 2015), La Nuée - L'AACM: un jeu de société musicale,
consacré à l’Association for the Advancement of Creative Musicians,
l’association chicagoane qui se donna pour mission en 1965 de redéfinir
ce qu’est ou n’est pas la musique afro-américaine dans une pratique
renouvelée, dans une veine communautaire propre à Chicago, même s’il
exista plus tard une antenne new-yorkaise, car «il faut bien vivre»
(c’est ce qui ressort des témoignages).
A l’image de ce que nous
évoquions dans la chronique du livre d’André Hodeir dont Alexandre
Pierrepont est un disciple, sans le savoir peut-être (mais ça
m’étonnerait, il semble tout savoir), c’est un ouvrage qui se définit
comme savant, universitaire, a priori, par le langage, par certains
développements, par certaines exclusions (de source, de musiciens…), par
un pédantisme certain.
Dénué de sens critique, c’est le récit
hagiographique d’une expérience associative communautaire, où la musique
est le point de départ, le jazz dirons-nous car nous n’avons pas peur
d’être excommunié de la communauté (laquelle ?, celle de Chicago, celle
des «universitaires» du jazz, celle des gens de système, etc.).
Au
demeurant, cette histoire est passionnante, autant pour la connaissance
du jazz (j’insiste), que pour celle de la société et de l’histoire
américaine. Et cet ouvrage regorge de témoignages et de renseignements
passionnants. On n’est pas obligé d’adhérer à la énième réécriture de
l’histoire du jazz par PierrePont ou Jacques –le péché des amateurs de
jazz, il faut le reconnaître– pour apprécier aussi le travail
documentaire réellement fait. Le moins intéressant et le plus dur à
avaler est bien sûr la posture universitaire par l'enflure de l’écriture
et les analyses générales toujours aussi contestables dans leur
ethno-centrisme, en dépit de la bonne implantation locale de l'auteur.
La postface de George Lewis confirme les partis pris de cet idéologue,
accessoirement son enflure de l’ego tout aussi développée, et
succintement son racisme ordinaire, déjà aperçu dans son propre ouvrage
sur cette même aventure chicagoane vue de l’intérieur puisqu’il en est
un des membres.
L’AACM est une longue histoire communautaire,
très variée comme il est dit, mais pas seulement en matière musicale,
car tous les participants n’ont pas défendu les mêmes thèses et
principes, et avec la même rigidité que celle de George Lewis, ou celle
par ailleurs de l’auteur, digne enfant, par l’esprit de système de ses
maîtres, Hodeir en particulier mais pas seulement, même si l’enfant
prétend toujours dépasser les maîtres dans ce système, et d’abord en
longueur(s) et en capacité à exclure.
Cela dit, il suffit de lire
la masse de citations tirées d’interviews, et c’est la matière
essentielle, excellente, de cet ouvrage, pour se faire une idée de ce
que fut et reste l’AACM, un lieu de rencontre, une coopérative, où
chacun peut faire et penser ce qu’il veut, où les discours les plus
contradictoires coexistent, et où quelques plus actifs que d’autres
affirment des principes généraux parfois péremptoires, pas respectés ou
partagés par d'autres, parce qu’au fond, l’important reste de vivre et
de s’exprimer, c'est déjà difficile. La musique afro-américaine en
particulier, qu’on l’appelle «jazz» ou «blues» ou autrement, reste le
plus bel héritage, la plus grande richesse pour la communauté qui l’a
créée. L’aspect communautaire et coopératif est un trait de solidarité,
fort dans la communauté afro-amércaine qui a eu à souffrir de
l’esclavage et de ses héritages encore actuels (racisme, ségrégation,
exclusion, pauvreté plus que proportionnelle…), autant d’éléments qui
font de l’AACM une histoire très (afro) américaine.
Le tableau dressé
par l’auteur des collaborations musicales «extérieures» à l’AACM de
certains membres de l’AACM parle mieux que l’auteur lui-même de cette
réalité évidente que les musiciens de Chicago, ceux de l’AACM y compris,
ont vécu leur musique dans le monde du jazz, du blues, au sens le plus
ouvert, dans ce grand courant d’expression du XXe siècle.
C’est pourquoi le sous-titre est finalement bien trouvé: L’AACM: un jeu de société musicale.
Un jeu de société tout court comme il en a existé des milliers dans une
société afro-américaine en construction depuis près de cinq siècles. Le
fait qu’elle soit née dans cette forme à Chicago est une donnée qui
s’explique autant pas l’histoire de Chicago que par l’époque de
naissance et le mode de vie chicagoan, comme on peut expliquer d’autres
histoires pour New Orleans, Kansas City et New York, et les dynamiques
inter-cités ne sont pas inexistantes (le lien qui unit Chicago à New
Orleans et au Mississippi en général).
Voilà donc un ouvrage
intéressant, un bon travail de collecte également, parfois passionnant
quand il s’agit d’histoire et de témoignages, fastidieux quand il s’agit
des analyses de l’auteur et de sa prétention à la reconnaissance
universitaire par le discours ou les références (mais c’est un travers
universel), et soit un peu long parfois, soit trop court sur d’autres
aspects.
A noter l’absence de référence aux récents articles de Jazz Hot,
essentiellement des interviews de musiciens de Chicago, l’absence de
discographie et de bibliographie (ça ne doit plus se faire à
l’Université), mais cela ne doit pas vous décourager, car dans cet
ouvrage bien fourni en témoignages, on découvre un portrait
impressionniste (par touches) d’une des villes majeures des Etats-Unis
en matière de jazz et une des grandes aventures du jazz née en 1965 au
moment de la lutte pour les droits civils, et cela n’est pas non plus un
hasard.
Monique Bornstein, Spirit of New Orleans, Villefranche-sur-Mer, 2014, 170 p. (monique.bornstein@gmail.com)
Les habitués des festivals de Juan,
Nice, Ascona, Marciac ou New Orleans ont forcément remarqué Monique
Bornstein. Le plus souvent assise à même le sol au plus près de la
scène, tenant sur ses genoux peintures, flacons d'encres, pinceaux,
plumes et feuilles de papier. Elle croque les jazzmen à qui,
ensuite, quand c'est possible, elle demande de parapher ses œuvres.
A New Orleans, où elle s'est rendue plus d'une douzaine de fois
(avec Paul, son époux et traducteur, et souvent aussi ses petites
filles) entre 1994 et 2014, les musiciens l'ont adoptée. C'est une
artiste reconnue, une amie, mieux, elle fait partie de la famille,
tout spécialement dans le quartier de Tremé (magnifiquement évoqué
aussi, dans la série TV qui s'y déroule). Ce livre, sélection de
quelques uns de ses nombreux travaux, est gorgé de souvenirs,
d'anecdotes et d'impressions de l'esprit de New Orleans. On y
retrouve, quelques unes des grandes familles qui étaient l'âme du
jazz jusqu'à l'ouragan Katrina : les Batiste, les Andrews (dont
Troy, alias Trombone Shorty, qu'elle a connu enfant), les Paulin, les
Boutté, les Neville, les Brunious, les Brooks, les Marsalis au grand
complet, plus quelques autres grandes figures comme Leroy Jones, Dr
Michël White, Nicholas Payton,Terence Blanchard, Donald Harrison,
Jacques Gauthé (clarinettiste varois qui vécut longtemps à New
Orleans). Tous croqués sur le vif dans les petits clubs de la ville
(Joe's Cosy Corner, Dona's, Palm Court Café, Preservation Hall), à
l'église Ste Augustine, au New Orleans Jazz & Heritage Festival,
ou au cours des parades des fanfares « second line ».
Dirty Dozen Brass Band, Young Tuxedo Brass Band, Rebirth Brass Band,
Original Tuxedo et Tremé Brass Band, bien sûr...Voilà une bien
belle série de portraits, d'autant plus émouvants, que parmi les
quelques 180 œuvres reproduites, figurent un grand nombre de
musiciens aujourd'hui disparus...…).
Sidney Bechet en Suisse, Edition bilingue
français-anglais, United Music Foundation, Genève, Suisse, 2014, 218 p.,
www.unitedmusic.ch
Voici un travail éditorial extraordinaire liant texte et
musique, conçu et réalisé avec des moyens importants par David Hadzis, qui a
obtenu le concours de deux spécialistes, Fabrice Zammarchi (Sidney Bechet) et Roland Hippenmeyer (Le «cas» Bechet), relatant le passage en Suisse d’un des grands artistes de la musique du XXe
siècle, Sidney Bechet. Ne manque que Guy Demole, auteur en Suisse toujours en 1996 (réédition
en 1998) d’une belle discographie d’un maître qui reste très apprécié chez nos
voisins mais aussi dans le monde du jazz, tant il est un artiste toujours
essentiel du jazz, même si les médias d’aujourd’hui n’en sont plus curieux,
même quand il prétendent parler de jazz.
Signalons pour information que ce beau livre (format 33
tours, 31cm x 31cm) contient 4 disques compacts avec des enregistrements pour
beaucoup inédits des passages en Suisse de Sidney Bechet. Il a été préparé et
présenté pour la 8e journée mondiale du patrimoine de l’Unesco le 27
octobre 2014 à Genève et soutenu par l’Unesco. Heureux Suisses qui arrivent à
débloquer de tels projets en nos temps d’économie, et pour cette fois, on va
les féliciter, car la musique est tout simplement magnifique – montrant tout ce
que la bêtise a incité à penser d’un aussi grand artiste – musique très bien
restituée ici sur le plan technique avec les présentations et interviews
d’époque, ce qui apporte une autre information sur la notoriété exceptionnelle
de Sidney Bechet, fêté avec une certaine naïveté et un amour certain du jazz
qui font plaisir à entendre. Le public n’a pas été conditionné par une
quelconque propagande, il est simplement là parce que la musique de jazz, celle
de Bechet en particulier, sans complaisance aucune, provoque une vraie liesse
populaire, phénomène authentique aujourd’hui impossible car la propagande
commerciale a depuis perverti la relation directe entre public et artiste, l'a canalisée, organisée en phénomène de mode.
Nous voici donc devant un magnifique livre, fourmillant de
documents incroyables comme le contrat d’engagement de novembre 1954 où l’on
peut voir que Sidney est domicilié chez Delaunay, 14 rue Chaptal à Paris, les
billets d’entrée, les affiches, les coupures de presse, les contrats, etc.,
trésors amassés par la mémoire collective des amateurs de jazz de tous les
pays, dont on mesure dans ce genre d’ouvrage le caractère unique, précieux
presque sacré.
Il y a des centaines de photos originales de Sidney, seul ou
en compagnie, des photos aussi des concerts donnés en Suisse, avec une
photogravure de très grande qualité, qui donnent une meilleure idée de
l’importance de Sidney Bechet en son temps.
Il n’est pas inutile de rappeler que Sidney Bechet fut très
tôt distingué par le grand chef classique, grand musicologue également, Ernest
Ansermet, dans un article fameux paru en 1919 en Suisse (La Revue Romande) et repris dans Jazz Hot (n°28 de novembre-décembre 1938), et que si Duke
Ellington, Louis Armstrong en ont fait un pair, c’est que Sidney Bechet est
tout sauf un musicien commercial, étiquette collée par une bande d’abrutis
épris de musiques forcément nouvelles, déjà, dans des années cinquante-soixante
qui ont installé la musique commerciale la plus absurde à grand renfort de
publicité et de pression médiatique et commencé à détruire l’écosystème du
jazz.
Sidney Bechet a réussi, comme Ellington mais plus
fréquemment que lui, à entraîner dans ses grandes interprétations des musiciens
européens de talent, à les faire jouer dans l’esprit d’une musique que
visiblement tous ces gens aimaient suffisamment pour en connaître profondément
les éléments constitutifs. Ils ont pour nom ici René Franc, Eddie Bernard,
Pierre Braslavsky, Henri Chaix, Guy Longnon, Claude Luter, André Réweliotty et
beaucoup d’autres. La puissance de Bechet est telle qu’elle dynamise tout.
Bechet n’a jamais, comme Louis Armstrong, sacrifié une once de son
authenticité, y compris dans ses recherches classiques ou populaires les plus
éloignées du corps principal de son œuvre.
Enfin Bechet, c’est un son d’une telle intensité qu’on
comprend l’admiration des musiciens modernes de toutes les époques, les plus grands
n’ayant jamais caché l’impact, la puissance qui se dégage de ce bonhomme.
Les enregistrements permettent aussi d’entendre la voix
tranquille de Sidney Bechet s’exprimant en bon français et avec beaucoup
d’intelligence sur sa tradition, sur Jelly Roll Morton, c’est très émouvant.
Le livre est préfacé par Daniel Sidney Bechet, son fils, par Bob Wilber,
grand héritier du saxophoniste néo-orléanais et par Claude Wolff, son manager, qui
rappelle le rôle joué par Charles Delaunay pour lui permettre de revenir en
France après l’épisode «fait divers» qui lui avait valu une interdiction de
séjour.
Les textes des deux spécialistes sont passionnants et
informatifs, étalés dans un enchaînement chronologique de 1949, et ce premier
concert en Suisse, à 1959, année de la disparition de Sidney Bechet. Ils
fourmillent de témoignages de proches, comme Claude Luter, évidemment, mais
aussi de beaucoup d’autres musiciens qui ont côtoyés le génie du grand saxophoniste et
clarinettiste.
Il y a en 1959, une année difficile pour le jazz en raison
de multiples disparitions d’importance (Lester Young, Billie Holiday, Sidney
Bechet donc), deux belles couvertures de Jazz Hot avec Sidney Bechet, l’une en juin, l’autre en
juillet-août avec Charlie Parker dans le bus de la tournée. Elles auraient pu
figurer dans ce bel ouvrage consacré à un génie de la musique de jazz. Un
ouvrage indispensable à tous les amateurs de grande musique.