Blue Train
Difficile de se concentrer sur le jazz, l’art et les artistes, quand le petit prince de la finance mondiale, bien chic, bien lisse, mis en place par l’oligarchie et la caste européenne, poursuit, à grand renfort de démagogie, de manipulations des chiffres et par la propagande1, la déstructuration et le pillage systématique du pays2, la fracture sociale (entre générations, valorisation des écarts de richesse), la casse des syndicats et des partis (en dehors de la résistance de la CGT et de branches locales non alignées sur leur direction), l’appauvrissement des classes laborieuses (désarmées, désabusées, «sonnées» et apeurées), la démolition des Services publics. La consultation de l’avis des «usagers», en colère à 99% quant à l’abandon des Services publics3, des sites des préfectures en dit plus long sur le délabrement accéléré, administratif et pas seulement, du pays que la multitude de reportages et de sondages bidonnés. L’installation méthodique du chaos quotidien, comme mode de renforcement du pouvoir absolu, se confirme après l’anéantissement de l’agriculture à la française, après la braderie du savoir-faire accumulé pendant des siècles et payé par la collectivité nationale. Le terrorisme, alimenté par ce chaos organisé, ajoute sa pression liberticide au mal être des peuples. Prochaine étape française, la démolition de ce que le monde nous envie et a copié quand il en a eu les moyens: la SNCF, nos chemins de fer. Après avoir dispersé et bradé l’outil industriel –Alst(h)om–, organisé la dislocation (entre le fret et les voyageurs), organisé en interne une concurrence low cost sans objet autre que l’affaiblissement de l’entreprise pour pouvoir programmer la privatisation et imposer le moins-disant social, on s’attaque aux salariés qu’on traite de «privilégiés» et qu'on veut opposer au reste des Français: un classique de la démolition en Europe (la stratégie de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne, il y a trente ans) et en France. La dette de la SNCF n'est rien comparée aux cadeaux faits aux multinationales et à la fraude fiscale des grandes entreprises multinationales. Elle n'est rien comparée à l’accumulation des grandes fortunes, françaises entre autres. Elle n'est rien au regard des millions de Français pour qui le train est vital, de l'économie française que les cheminots de la SNCF soutiennent par leur travail quotidien, efficace, service que nous envie le monde. La SNCF est simplement une belle entreprise utile à tous. Cette dette, et plutôt la désorganisation de ce bel outil par le petit prince et les oligarques dans un but de pillage de la richesse collective, est du seul fait des politiques, ceux qui gouvernent encore aujourd’hui, et des administrateurs successifs qui l’ont mal gérée, ont mal entretenu l'outil, et non des salariés qui eux, ont rempli leurs missions, malgré la mauvaise gestion: transporter de plus en plus de personnes en toute sécurité avec de moins en moins de salariés. La pratique de la finance est simple et brutale: on privatise les profits (tirés de l’efficacité de la SNCF) et on collectivise les pertes (factices, créées par la mauvaise gestion des oligarques). La «gestion» de la crise de 2008 et ses développements (Grèce, Portugal, Espagne, Italie, France) en donnent une autre illustration, à une autre échelle. Il n’y a jamais eu autant d’inégalités en France, en Europe et sur la planète.4 Le modèle qui se profile déjà pour la SNCF est cet embarquement pour bestiaux type le train «oui-go» effectué sous contrôle d’une milice aboyeuse (vu en gare de Montparnasse-Vaugirard en février 2018), dans un climat entre Vichy années quarante et le tiers-monde, et la suppression, commencée depuis des années, des lignes réputées «non rentables», après les avoir mal entretenues; sous-entendu, les «usagers» n’ont qu’à se payer eux-mêmes leurs transports à leurs risques, une manière d’entamer encore leur pouvoir d’achat et leur santé, d’accroître la pollution. Pendant ce temps, on remet les autocars en circulation, et on continue sans vergogne la propagande sur la pollution culpabilisante des automobilistes. Ce projet de privatisation et de ruine du chemin de fer, parlez-en aux Anglais qui ont vu le gouvernement de John Major, l’europhile du jour qui veut remettre en cause le Brexit, détruire en les privatisant leurs transports ferroviaires en 1993, faisant des chemins de fer britanniques, les plus anciens du monde, une honte et un champ de ruines.5 En matière d’art et de culture, la démolition est aussi de mise (le patrimoine comme l’innovation): ces nouveaux riches ont des goûts clinquants de parvenus, et ils plient à leur bassesse toutes les institutions d’Etat et plus généralement tout l’environnement (architectural, artistique, sonore…). La surmédiatisée disparition de «Johnny», par le petit prince en personne, vient d’en donner une illustration consternante encore une fois par son unanimité, et se poursuit au-delà de sa disparition… La France Louis.14, après la réduction de Louis.16 et 230 ans après la Révolution et la fin symbolique des privilèges, est ramenée au petit prince de la finance, Emmanuel 1.0: une restauration des privilèges, comme en 1815, quand l'Europe coalisée avait (déjà) puni la France de ses audaces de solidarité et d'égalité. Privilégiés de tous les pays et de toutes les époques, unissez-vous!
C’est entendu, mais le petit prince d’aujourd’hui, contrairement au Roi Soleil, n’a plus le souci national le plus élémentaire de l’excellence, de l’efficacité et de la consolidation d’une administration, ni le souci du patrimoine, et pour cause, il a été élu par l’oligarchie: il dilapide l’héritage (et pas seulement matériel, mais aussi politique et philosophique) qui a fait la cohérence de l’histoire collective de la France, même sous l’ancien régime, et qui fait encore la richesse et la notoriété, le «capital sympathie» dirait le petit prince, du pays le plus visité du monde. Après Nicolas, Jacques, et les deux François qui ont allègrement trahi leurs électeurs, Emmanuel 1.0, c’est la régression collective à tous les étages, rationnellement et brutalement organisée, il faut le reconnaître, comme jamais depuis la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher, sans aucune mémoire républicaine de ce que furent les valeurs de bien public, d’intérêt général et de solidarité de notre pays; c’est le chaos et l’exclusion au quotidien, l’inégalité comme moteur, l’affaiblissement du plus fragile offert au lucre des prédateurs de la planète, et la propagande médiatique 24h sur 24 pour tenter de convaincre du contraire. Ça fonctionne en partie. Le jazz dans tout ça fait ce qu’il peut; c’est-à-dire rien. Il perd chaque jour ses amateurs, sa force collective, son état d'esprit qu’il tirait de son indépendance et de sa communauté de naissance, et sans doute d’une parenté philosophique avec nos valeurs de 1789. Il se disloque comme l’ensemble de la société, régulièrement et sûrement, et s’il est encore capable de «miracle culturel», comme Cécile McLorin Salvant et Aaron Diehl, dont nous parlons ce mois, il subit plus que jamais les dysfonctionnements de l’époque, comme l’évoquent Carmen Lundy ou le récit ordinaire et finalement triste de Sylvia Howard. Leur expression et leur talent ne recevront jamais la reconnaissance artistique, même à postériori, car le disque, en tant qu’objet artistique, la mémoire du jazz, est lui aussi en train de disparaître sous les assauts d’une société de la superficialité, étalonnée sur l’argent, l’apparence et le pouvoir qu’ils confèrent, promue, entre autres régions du monde, dans cette Europe de la finance, par notre petit prince de la finance bien propre dans son petit costume de trader de la City. Comme nous l’a dit la météo de cet hiver 2017-18, et contrairement à la propagande pour vendre de l’électricité nucléaire et les voitures électriques6, le réchauffement, ce n’est pas pour tout de suite, et on ne peut que le regretter: 50 ans après mai 68, printemps chauds et jazz hot font cruellement défaut dans la France d’Emmanuel 1.0, et plus largement dans un monde inquiet et inquiétant, pour l’essentiel inconscient de son devenir, puisqu’il ne proteste pas massivement (on espèrerait faire erreur à l’aube de cette bataille du rail) et procrée sans mesure, pour le plus grand confort et profit de cette arrogante oligarchie.
Yves Sportis Couverture: Cécile McLorin Salvant et Carmen Lundy © David Sinclair
1. Les médias télévisés et la presse politique ont été totalement loboto-macronisés depuis la prise de pouvoir du petit prince, et on peut lire sur ce sujet, de la SNCF et de la propagande, des analyses techniques de contenus, sérieuses ou au second degré (celle de Samuel Gontier pour Télérama) qui relèvent l’organisation et le monolithisme caricaturaux de cette propagande, dans l’esprit de la presse du régime de Vichy, démultipliée aujourd’hui en raison de la technologie et des moyens actuels: http://www.telerama.fr/television/la-reforme-de-la-sncf-jugee-salutaire-a-lunanimite-des-editorialistes,n5504569.php, http://www.acrimed.org/Reforme-de-la-SNCF-1-premiers-tirs-de-barrage, http://www.acrimed.org/Reforme-de-la-SNCF-3-quand-les-Grandes-Gueules-sCes journalistes sauvent l’honneur d’une profession corrompue dans ce qu’elle donne à voir sur les écrans et dans les kiosques. 2. Dernier en date, au jour de l'écriture de cet éditiorial, la vente de la part majoritaire de l'Etat dans le Groupe ADP, anciennement Aéroports de Paris, une entreprise française qui construit, aménage et exploite des plates-formes aéroportuaires, «le leader mondial au service de ses clients», un des bijoux de l'intelligence française en la matière, créé en 1945, qui gère, conçoit des aéroports sur toute la planète, assure leur sécurité. C'est aussi un des plus grands propriétaires fonciers de France et un promoteur immobilier de poids. ADP détient également des participations en France et à l'étranger. Transformé en SA en 2005, devenant ADP, la société est alors cotée en bourse, l'Etat restant majoritaire à 67%. Aujourd'hui l'Etat possède encore une majorité de 50,6%. C'est donc un des ensembles les plus attirants, autant pour son savoir faire que pour ses résultats et ses actifs, que s'apprête à privatiser le gouvernement actuel, bradant au passage un des éléments de l'indépendance de la France. Contrairement à la SNCF, le résultat est sans cesse en augmentation, et on voit bien que dans les deux cas, l'objectif est la privatisation à terme pour privatiser les profits et collectiviser les pertes (car toutes les dessertes et la sécurité resteront à la charge du contribuable). Les prédateurs du monde se bousculent déjà. Enfin, les gouvernements de la France qui engagent les Français, les particuliers, à investir leur épargne pour soutenir leur économie, n'ont pas songé, pour que ce bijou de l'ingénierie française reste une propriété de la nation, à en répartir le capital entre les Français, car l'épargne française est légendaire et peut se permettre cet investissement et que les Français ont contribué à faire d'ADP l'entreprise qu'elle est. Cela reviendrait il est vrai à leur vendre individuellement ce qui leur appartient déjà collectivement. Enrichir les Français avec leurs réussites collectives n'a jamais été le propos et le projet du petit prince, de ses prédécesseurs et de leurs complices. Ils travaillent pour l'oligarchie, les très riches et puissants de ce monde. Les événements se précipitent, car depuis ADP, et avant même de mettre en ligne, le dernier pillage en cours concerne la privatisation de l'hydroélectricité, les barrages si vous préférez. Là encore, les crocodiles se marchent dessus pour accéder à ce qui a été payé par le contribuable et constitue une rente…
3. Malgré plus de 6 millions de chômeurs, en dépit de toutes les manipulations de chiffres et radiations de Pôle Emploi, le renseignement humain est remplacé par une robotisation simpliste (messageries automatiques, sites en boucle) sans efficacité, dans une administration toujours plus complexe, exigeante et chronophage pour les administrés, voire dysfonctionnant en permanence (exemple, le service numérisé des cartes grises qui remplace le service humain), occasionnant un gaspillage de temps sans limite pour des millions de personnes, dont beaucoup de professionnels, excédées et plongées dans l’univers orwello-kafkaien du petit prince de la finance.
4. Les prédateurs n'ont jamais été aussi nombreux et aussi riches, en France également, comme en attestent les nombreux classements qui glorifient ces fortunes indécentes au regard de la pauvreté qui s’étale dans le monde et en France: https://www.forbes.fr/classements/classement-forbes-2018-des-milliardaires-francais - https://www.forbes.fr/classements/classement-forbes-2018-top-20-des-milliardaires-mondiaux https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/0301071933165-1000-milliards-de-plus-pour-les-milliardaires-du-monde-2141225.php5. «La qualité du
service ferroviaire se détériore à vitesse grand V outre-Manche, 20 ans
après la privatisation de British Rail. Hausse incontrôlée du prix des
billets, trains supprimés et réduction du personnel conduisent près de
deux Britanniques sur trois à souhaiter une renationalisation complète. A
cela s’ajoutent de nombreuses grèves, notamment dans le sud du pays, où
les conducteurs et les chefs de train entament demain leur 33e jour de mouvement en moins d’un an.» (La Tribune, 19/01/2017)
6. On ne sait pas quoi faire des déchets nucléaires et, déjà, des batteries des voitures électriques; pour les fabriquer, les puissances se livrent à une lutte digne des Barbouzes (Film avec Lino Ventura, Bernard Blier et Francis Blanche), en moins drôle pour les populations et pour l’environnement en Afrique, en Amérique du Sud et Asie, pour la possession des mines nécessaires à leur production. Cf. Libération (16/09/2017): «Une réduction de la consommation d’énergie discutable: Dans son rapport datant d’avril 2016, l’ADEME souligne que «le développement du véhicule électrique permet de réduire la dépendance au pétrole importé». Grâce à un «excellent rendement énergétique», il consomme aussi moins d’énergie qu’un véhicule thermique pour se déplacer. Mais il y a un hic : «Sur l’ensemble de son cycle de vie, la consommation énergétique d’un VE [vehicule électrique] est globalement proche de celle d’un véhicule diesel». Cela s’explique par le fait qu’une voiture électrique nécessite deux fois plus d’énergie pour sa fabrication qu’une voiture thermique. Un des pôles les plus énergivores est l’assemblage des batteries.Toujours selon l’Ademe, le potentiel d’épuisement des ressources fossiles pour la fabrication d’un véhicule électrique est plus important que pour les véhicules thermiques. En cause, l’extraction des matériaux rares (cobalt, lithium, graphite…) qui composent les batteries lithium-ion utilisées sur le marché. «La filière nécessaire à la fabrication des batteries a des effets dramatiques, ce qui a été démontré de manière édifiante par deux documentaires. Celui de France 5 en Amérique du Sud sur les réserves de lithium. Il y a aussi celui d’Envoyé spécial sur le graphite de Chine». Le cobalt provient de RDC (Congo), là-bas les exploitations sont d’un point de vue éthique totalement anormales, c’est pourquoi nous essayons de nous en affranchir. Aujourd’hui beaucoup de compagnies essaient de recycler ces matériaux à partir de batteries usagées pour les réutiliser dans les nouvelles. Cela a aussi un coût moins important que d’aller extraire du nouveau cobalt», explique le chercheur Jean-Marie Tarascon. Il est aujourd’hui possible de recycler une batterie en intégralité, mais là aussi, cela a un coût que les constructeurs ne veulent pas forcément assumer. L’Union européenne oblige depuis 2011 à recycler au moins 50% du poids des batteries. Et comme le lithium est un produit léger, il n’est pas recyclé en priorité. article entier: http://www.liberation.fr/futurs/2017/09/16/les-voitures-electriques-sont-elles-vraiment-propres_1596551
© Jazz Hot n°683, printemps 2018
|