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Victor Morel © Julieta Morel by courtesy of Victor Morel
Victor Morel © Julieta Morel by courtesy of Victor Morel

Víctor MOREL

Jazz in Paraguay

Moins connue, la scène jazz du Paraguay n’en demeure pas moins active. Le batteur paraguayen Víctor Morel apporte son énergie et sa richesse à la défense de cette scène encore peu structurée lors de ses voyages à l’étranger. C’est dans ce contexte que nous l’avons rencontré.
Né le 31 mars 1983 à Asunción, dans une famille musicale – son père n'est autre que Victor Toti Morel, batteur déjà réputé – il évoque l’influence du jazz américain dans le pays tout autant que les grandes figures du jazz au Paraguay et l’importance du Big Band del Centro Cultural Paraguayo Americano (CCPA). Coleader du Joaju Cuarteto depuis 2011, il développe avec cette formation un répertoire de compositions originales et revisite les chansons du folklore paraguayen en lui insufflant un état d’esprit jazz.

Propos recueillis par Mathieu Perez
Photos by courtesy of Victor Morel


© Jazz Hot 2019



Jazz Hot: Vous avez toujours baigné dans la musique. Votre père est le batteur Toti Morel, votre oncle le bassiste Nene Salerno. A quel âge avez-vous commencé à jouer?

Víctor Morel: J’ai la chance d'être né dans un environnement musical et artistique. Mon père m'a donné ma première batterie à l'âge de 5 ans. J'ai pris des cours avec lui, j’ai assisté à des concerts et à des répétitions avec mon père et mon oncle.

Père et fils: Victor Toti Morel et Victor Morel, Jr. © Photo X by courtesy of Victor Morel
Père et fils: Victor Toti Morel et Victor Morel, Jr. © Photo X by courtesy of Victor Morel

Comment en êtes-vous venu à jouer du jazz en particulier?

Le jazz a toujours été très présent dans ma vie; j’écoutais mon père s’exercer ou répéter avec ses groupes. C’est mon père et ses musiciens qui m’ont donné envie de jouer du jazz. J’écoutais les vinyles de mon père et de mon oncle. Mais assister à leurs concerts, voir en direct les dynamiques de l’improvisation et, surtout, le lien musical entre les musiciens, c’est sans doute ça qui m’a conduit à avoir cette passion pour le jazz.

Quels musiciens vous ont donné envie de devenir musicien de jazz?

Sans aucun doute ma première grande inspiration a été mon père et les musiciens de sa génération avec lesquels il jouait régulièrement: Carlos Centurion, Tato Zilly Nene Salerno, Carlos Schvartzman, Remigio Pereira, et d’autres dont j’écoutais les disques, le quartet de John Coltrane, Herbie Hancock, Miles Davis, John Scofield, Elvin Jones, Roy Haynes, Jack DeJohnette, entre autres.

Quelle a été l’importance de musiciens comme Coltrane et de la formation paraguayenne Jazz x Mil pour vous?

Grâce aux disques de mon père, j’ai pu découvrir une grande variété de musiciens de jazz, notamment Jaco Pastorius. J’écoutais aussi beaucoup de hip-hop et de funk. Mais Love Supreme a été une révélation. Ce disque a eu un grand impact sur moi, pour son énergie et l'esprit de liberté qu'on ressent. Et j'ai pu assister à des concerts du groupe de jazz paraguayen Jazz x Mil, qui se composait de Carlos Centurion au piano, Tato Zilli à la basse, mon père Toti Morel à la batterie. Ils invitaient des musiciens comme le tromboniste Remigio Pereira ou le guitariste américain Joe Kirkland. C'est un groupe qui m’a donné d'excellents outils musicaux. Il m’a permis d’accéder à un répertoire, à de nouvelles musiques de jazz, et de comprendre tout ce que peut être le jazz, c'est-à-dire être témoin de ce lien entre les musiciens.

Avez-vous étudié le jazz à l'école?

Non, il n'y a hélas pas d'écoles de jazz au Paraguay. Mais de grands musiciens se consacrent à l'enseignement privé ou dans les conservatoires de musique qui n’ont pas de département de jazz. Mon principal professeur de batterie et de jazz a été mon père. Je me considère comme un autodidacte mais d'autres musiciens de sa génération ont aussi été mes professeurs. Avec eux, je pouvais d'abord aller les écouter puis jouer avec eux.

Quelles sont vos premières expériences en jouant du jazz?

Ma première expérience a été de jouer avec des amis. Je développe avec certains d’entre eux des projets de jazz. Une grande école pour moi a été, après avoir passé une audition, le Big Band du CCPA dirigé par Remigio Pereira.

Parlez-nous de cette expérience avec le Big Band del Centro Cultural Paraguayo Americano (CCPA). Combien de temps avez-vous joué avec cet orchestre? Qu'avez-vous appris de cette expérience?

Le CCPA, formé d'abord en tant que big band de jazz, a été dirigé par le tromboniste Remigio Pereira, pendant trois ans, puis par le guitariste Jose Villamayor. Je suis resté dans l’orchestre pendant neuf ans. Je dois dire que dès mes débuts, le CCPA a eu un grand impact sur moi. Ça a été mon école du jazz. C’était aussi un défi. Je n’avais pas beaucoup d’expérience avant de rejoindre l’orchestre. L'art d'assembler un orchestre, de le diriger, de communiquer entre musiciens, de développer un répertoire font partie des choses que j’ai apprises au CCPA.

Quelle est l'importance du CCPA dans l'histoire du jazz au Paraguay?

En tant qu'institution de promotion de la culture américaine, le CCPA a joué un rôle important dans le développement du jazz au Paraguay. Depuis les années 1960 et 1970, les musiciens paraguayens peuvent écouter les jazzmen américains à la télé et en vinyles. Il y a aussi le théâtre de la CCPA où des musiciens de renommée mondiale sont venus jouer, grâce au programme Jazz Ambassadors. Et son festival international de jazz existe depuis plus de 20 ans. Depuis 10 ans, le CCPA est la seule institution culturelle qui dirige un orchestre de façon stable et promeut du jazz.


Joaju © photo Negib Giha by courtesy of Victor Morel
Joaju © photo Negib Giha by courtesy of Victor Morel

Vous avez formé Joaju Cuarteto en 2011 avec Giovanni Primerano (b), Bruno Muñoz (ts) et Miguel Antar (b). Que voulez-vous exprimer avec ce quartet?

Le quartet est né avec l'idée majeure de développer un répertoire différent de ce qu’on joue habituellement, c’est-à-dire les standards du jazz américain, et donc générer un véritable répertoire autour des compositions de jazzmen paraguayens, aussi créer un son et une esthétique propre à ce quartet.

Dans votre premier disque Jazz de Acá, vous reprenez la musique des grands jazzmen paraguayens. Pourriez-vous nous parler des thèmes que Joaju a choisi d'enregistrer?

Le répertoire a été choisi en fonction des musiciens que j’avais rencontrés grâce à mon père, et avec qui j’avais des affinités musicales. C'est donc d'un commun accord avec les autres membres du quartet qu’il nous a semblé important d’interpréter la musique de ceux que nous considérons comme les maîtres du jazz au Paraguay et qui, à travers leurs compositions et leur identité, ont donné une certaine structure et forme au jazz du Paraguay. Le plus souvent, ces thèmes n’avaient jamais été enregistrés auparavant.

Qui sont les jazzmen paraguayens les plus influents?

Des musiciens tels que Jorge Lobito Martinez, Carlos Centurion, Gustavo Viera, Carlos Schvartzman, Toti Morel, Riolo Alvarenga, Remigio Pereira, Palito Miranda, Dani Cortaza ou encore Kuky Rey ont exercé une grande influence sur le développement du jazz dans notre pays, que ce soit dans le domaine éducatif, dans le jeu musical ou le développement de projets musicaux.

Votre dernier album s’intitule Ahoraite. Joaju reprend des chansons du folklore paraguayen. Pourquoi est-il important de faire se rencontrer le jazz et le folklore paraguayen?

Reprendre des compositions du folklore paraguayen participe à l’effort de développer l'improvisation dans la musique populaire paraguayenne. Et la musique paraguayenne enrichit aussi le jazz en tant qu’idiome, et vice versa. Ce mélange permet au quartet d'approfondir son identité sonore.

Il y a quelque temps, Joaju a joué avec l’alto espagnol Perico Sambeat. Que gardez-vous de cette expérience?

C’était une belle expérience d’avoir joué avec lui. Perico n’est pas seulement un musicien de grande qualité artistique, mais une excellente personne. Avoir joué avec lui, cela nous a marqués. Il vient d’une grande tradition du jazz, il a son identité. Sans compter qu’en sa présence, le quartet a gagné une puissance sonore extraordinaire. Une expérience qui nous a enthousiasmés, laissant la possibilité d'une seconde collaboration que nous prévoyons de réaliser pour 2019, avec un concert où on interprétera des compositions réalisées pour un projet spécial, qui mêle le flamenco et des chansons du folklore paraguayen. Je suis impatient de voir comment ces deux cultures musicales vont se mêler au jazz.

Joaju et Perico Sambeat © photo Darioka by courtesy of Victor Morel
Joaju et Perico Sambeat © photo Darioka by courtesy of Victor Morel

Parlez-nous du jazz au Paraguay. Comment se porte la scène à Asunción?

Je dis toujours que la scène jazz au Paraguay est petite mais dynamique. Au cours des dix dernières années, elle s’est beaucoup développée, avec davantage de musiciens, de projets artistiques, d’albums. Avec un public de plus en plus fidèle et toujours à la recherche de propositions innovantes. Et une nouvelle génération de musiciens de grande qualité. En ce moment, il y a trois principaux festivals de jazz: le festival Jazzday de Asunción, le 30 avril; le festival Asujazz fondé par le CCPA et la ville de Asunción, en octobre; le festival Jazz al Este, fondé par la ville de Ciudad del Este.

Combien de clubs y a-t-il à Asunción?

Il y a actuellement deux clubs de jazz, avec un programme régulier où on peut voir différents projets jazz, notamment au Dracena et au Mburucujazz, tous deux dirigés par des musiciens de jazz, le batteur Sebastian Ramirez et le saxophoniste de Joaju Bruno Muñoz.

Dans quels clubs jouez-vous?

Je joue dans ces deux clubs avec différentes formations. En août dernier, j’étais en résidence au Dracena tous les mercredis.

Combien de jours les groupes jouent-ils dans les clubs?

Mburucujazz programme principalement des formations de jazz deux fois par semaine. Dracena est ouvert chaque semaine et programme du jazz trois jours par semaine. De même, il existe d'autres lieux non dédiés exclusivement au jazz qui programment du jazz une fois par semaine ou deux fois par mois: les bars El Granel, La Lucille, Kamastro et Mariano Domingo.

Quel genre de public est attiré par le jazz?

Le public qui fréquente les clubs de jazz est jeune, 20-35 ans.

En termes d'esthétique, y a-t-il un style de jazz prédominant?

Au cours des cinq dernières années, de nombreux projets ont été menés à bien. Les musiciens jouent leurs propres compositions, entre jazz contemporain et fusion. La musique paraguayenne, avec ses rythmes en 6/8 tels que la polka et la guarania, joue un rôle important. Une esthétique développée, il y a longtemps, par Palito Miranda, une de nos grandes références en jazz, et qui se développe encore aujourd'hui.

Qu'est-ce qui préoccupe le plus les musiciens de jazz paraguayens? jouer dans des clubs, organiser des tournées, etc.?

Par rapport aux autres capitales d’Amérique du Sud, l’accès à des salles de concert de qualité est sans aucun doute l’un des principaux problèmes rencontrés par les musiciens. Ce qui peut entraver le développement de projets, de sorte qu’ils soient financièrement rentables, et la possibilité de tourner à l’étranger. Donc, la scène jazz est surtout underground et autogérée. Le besoin de lieux est vital pour prendre de plus grands risques, publier des albums, avoir une certaine visibilité pour organiser des tournées à l’étranger. Aujourd'hui, le pays compte trois festivals de jazz importants et une scène jazz avec des musiciens et un public en croissance constante. Cependant, les espaces dans lesquels des présentations de qualité peuvent être développées sont insuffisants et, en cela, le soutien des autorités culturelles est essentiel. Les salles de concert dans le pays avec un piano par exemple sont assez rares. Y accéder a également un coût, ce qui, sans un soutien important, est pratiquement impossible. Mais, ce qui est surprenant et stimulant, c’est que la qualité artistique des musiciens est très élevée, et qu’elle n’est pas limitée par le peu de soutien des autorités culturelles ou la faiblesse de l’industrie musicale.

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