Eric McPherson, Nice Jazz Festival 2019 © Umberto Germinale
Eric McPHERSON
Continuum
Connu ces dernières années,
en Europe du moins, pour sa présence au côté du contrebassiste John Hébert dans le magnifique trio de Fred Hersch, Eric McPherson est parmi les
batteurs prenant le plus de plaisir à naviguer entre les esthétiques et les
sensibilités du jazz. Il est allé à la bonne école. Né le 11 décembre 1970 à New York, il
entend du jazz, en direct, dès sa petite enfance lorsqu’il part vivre en
Californie avec sa mère, une danseuse de jazz, laquelle travaille aussi au
légendaire Keystone Korner à San Francisco. De retour à New York au début de
l’adolescence, il se lie d’amitié avec Nasheet Waits, le fils du grand batteur Freddie Waits, et Abraham Burton, et il étudie
la batterie avec Michael Carvin. Puis, une fois le lycée fini, au LaGuardia High
School of Music & Artand Performing Arts, une prestigieuse
école artistique publique, il s’installe à
Hartford, dans le Connecticut, pour approfondir son éducation au côté de
Jackie McLean au Hartt School of Music (rebaptisé Jackie McLean Institute
of Jazz en 2000), à l'Université de Hartford. Il intègre alors la formation du
maestro et cette aventure dure quinze ans (1991-2006).
Les anciens, Eric McPherson en a côtoyé d’autres:
Richard Davis (son parrain), Freddie Waits, Max Roach… Il a multiplié les
collaborations, le plus souvent longues, avec des leaders fameux, notamment
Andrew Hill (2003-2007) et Fred Hersch (depuis 2009). Ces expériences intenses,
celles avec ses frères de cœur Abraham Burton (ts) et Nasheet Waits (dm), ont façonné
une personnalité musicale créative, pleine de finesse et bien consciente des
racines de cette musique. Pour s’en rendre compte, il suffit d’entendre le
quartet du tonnerre qu’il a mis sur pied il y a dix ans, et qui se compose
toujours d’Abraham Burton (ts), Dezron Douglas (b), un autre disciple de Jackie McLean
(voir Jazz Hot n°672), et David Bryant (p). Propos recueillis par Mathieu Perez Photos d'Umberto Geminale, Pascal Kober et X by courtesy of Eric McPherson
© Jazz Hot 2019
Eric McPherson au sein de l'orchestre de Jackie et René McLean,
Jazz à Vienne 1993 © Pascal Kober
Jazz Hot: Vous n’avez
cessé de travailler avec de grands leaders aux esthétiques très différentes.
Eric McPherson: J’ai
toujours pratiqué cette musique de cette façon. Le premier groupe avec lequel
j’ai joué était composé de Nasheet Waits et Abraham Burton. Tous les trois, on
a grandi ensemble. On n’a jamais eu d’idées arrêtées sur la musique.
Comment avez-vous été
initié au jazz?
A 11 ans, ma mère m’a emmené au Sweet Basil voir
un concert de mon parrain, Richard Davis. C’était la première fois que je le
rencontrais… enfin, presque. Il avait conduit ma mère à l’hôpital quand elle a accouché de moi. Il lui avait conseillé de m’appeler Eric, en souvenir d’Eric Dolphy. Donc, ce soir-là au Sweet Basil, je le voyais pour la première
fois depuis ma naissance. Il jouait avec Freddie Waits. A ce concert-là, j’ai
été transporté par l’énergie qui se dégageait de cette musique.
Votre mère était artiste?
Ma mère était danseuse. Tous ses amis étaient des
musiciens, des comédiens… Elle a dansé à des concerts de Duke Ellington, de
Tito Puente, de Cannonball Adderley… Elle a aussi joué dans le spectacle Evolution of the Blues de Jon Hendricks, à San Francisco. Nous avons vécu là-bas pendant un moment. Le jazz, c’était une
culture. Elle travaillait aussi au Keystone Korner de Todd Barkan. Elle élevait
seule son enfant. Elle bossait dur. Quand elle a vu que j’étais attiré par la
batterie, elle m’a présenté à Charles Moffett.
Vous avez grandi à
San Francisco?
Je suis né en 1970 à New York, mais j’ai vécu à San
Francisco pendant quatre, cinq ans. Ma mère travaillant au Keystone Korner, j’ai
pu rencontrer Elvin Jones. Enfin, j’étais tout petit. L’histoire, c’est que je
lui aurais dit qu’un jour, je serai batteur, et qu’il m’a pris avec lui sur
scène. En 1973, ma sœur est née. Airto Moreira a fait une cérémonie d’accueil au
Keystone Korner pour elle. Puis, on est revenu à New York en 1976-1977.
La batterie est votre
premier instrument?
Oui. J’ai aussi un peu flirté avec la guitare. Puis, ma mère
m’a présenté à Michael Carvin.
Dans ces années
d’éveil au jazz, étiez-vous proche de Richard Davis?
A partir de ce fameux concert où je l’ai rencontré, je l’ai
vu à chacun de ses passages à New York. Il vit dans le Wisconsin. A l’époque, quand
il venait, il jouait au moins une semaine. Donc, je passais toutes les soirées
au club, et je le regardais jouer. J’étais aussi un roadie pour Freddie Waits, j’installais la batterie etc.
De qui se composait
la formation de Richard Davis?
Il y avait Ricky Ford, Marvin Peterson, que Cecil
Bridgewater a remplacé, et Sir Roland Hanna.
Quel était alors
votre batteur préféré?
Freddie Waits! C’était aussi le seul que je connaissais. Plus
tard, il y a eu Elvin Jones. Ma mère avait ses disques. Je les écoutais
religieusement. Et puis, Art Blakey etc. Plus on écoute, plus on apprend et mieux
on saisit les liens entre ces musiciens, qui a influencé qui…
Le batteur Michael
Carvin vous a suivi durant toute votre adolescence.
Il m’a formé, de l’âge de 12 ans jusqu'à 19 ans.
C’était un
apprentissage tourné uniquement autour de la technique?
Avec lui, c’étaient des leçons de vie. Bien sûr, il m’enseignait
les rudiments de la batterie, le vocabulaire Wilcoxon, etc. Ça portait surtout
sur la bonne mentalité à avoir, les questions qu’il faut toujours se poser. Pourquoi
joues-tu de la batterie? Pourquoi joues-tu ce que tu es en train de jouer? Qu’est-ce
que signifie être professionnel? Je me souviens avoir passé des mois
sans toucher la batterie. Michael m’a beaucoup marqué. J’étais aussi un roadie pour lui, mais je l’étais plus
souvent avec Freddie Waits. Donc j’apprenais des choses différentes de fortes
personnalités. Je n’avais jamais pris de leçon privée avec Freddie, mais c’est
celui que j’ai vu jouer le plus souvent. Des musiciens de mon âge m’ont
beaucoup appris aussi, comme Nasheet Waits.
Qu’avez-vous appris
de lui?
Dès l’âge de 10 ans, Nasheet et moi, on était dans la même
classe. Ses parents et ma mère se connaissaient avant que nous soyons nés. Nasheet
avait un lien plus direct avec cette musique. Par exemple, une fois, on était chez moi –on avait 10 ans– on écoutait le disque Off
the Wall de Michael Jackson. Nasheet sort alors une K7, «Gone» de
Miles Davis, sur l’album Porgy and Bess,
avec un solo de Philly Joe Jones. C’est la première fois que j’entendais ça.
Quel est le premier
album de jazz que vous avez acheté?
Antiquity. C’est un
duo entre Jackie McLean et Michael Carvin.
A 14 ans, vous jouiez
au Jazz Cultural Center de Barry Harris…
Oui, il y avait des sessions, des concerts... J’accompagnais
Barry pendant ses cours. C’est un lieu où on a tous beaucoup appris. D’ailleurs,
les musiciens qui jouaient au Jazz Cultural Theater ont joué un rôle important au
tout début du Smalls. Des gens comme C. Sharpe, Frank Hewitt, Cecil Payne,
Jimmy Lovelace, Clifford Barbaro… Ils n’étaient peut-être pas les musiciens les
plus célébrés, mais nous avons beaucoup appris d’eux. D’ailleurs, tous les
dimanches, le vocaliste Marion Cowings donne un cours au Smalls. Ça vient du
Jazz Cultural Center de Barry Harris. Il y a beaucoup de liens entre ces deux
lieux.
Comment s’est faite
la rencontre avec Jackie McLean?
La première fois que j’ai rencontré Jackie McLean, c’est
grâce à René McLean. Vers 1990, il a sorti le disque Dynasty, qui marquait son grand retour depuis 20 ou 30 ans. Abraham
Burton et moi sommes allés à l’une des répétitions avant l’enregistrement, et
j’ai rencontré Jackie. Plus tard, Michael Carvin lui a parlé de moi. Après le
lycée, tout indiquait donc la voie de Hartford. J’y suis allé pour Jackie
McLean.
Combien de temps avez-vous
passé au Hartt School of Music à l'Université de
Hartford?
Quatre ans; j’étais ou à l’école ou sur la route avec Jackie
McLean.
Vous avez intégré la
formation de Jackie McLean dès votre arrivée à Hartford?
Dès mon arrivée; c’était un apprentissage.
Qu’est-ce que le
professeur McLean voulait absolument transmettre à ses élèves?
L’importance de bien connaître l’histoire.
Et que retenez-vous
de l’expérience musicale avec lui?
Quand je jouais avec lui, c’était une autre forme
d’éducation. J’entendais alors d’autres histoires, des choses de la vie: ce
qu’il avait appris en passant du temps chez Monk ou avec Charlie Parker, Bud
Powell; ce que c’était que grandir avec Sonny Rollins ou jouer avec les
Messengers, Mingus... Cette histoire, il me l’a transmise comme lui l’a reçue, de
façon orale.
Quel était alors votre
état d’esprit?
Je vivais tout ça intensément. Avec le recul, je m’aperçois
combien j’ai été chanceux. Tout le monde n’a pas eu cette opportunité.
Qu’avez-vous appris
de lui?
L’exigence, le respect de soi, des musiciens, l’importance
de faire les choses avec intégrité. A l’époque où je jouais avec Jackie, il
m’arrivait de jouer aussi avec les musiciens de mon âge. Quand je voyais ce
qu’ils faisaient! (Rires) Jackie ne laissait rien passer avec moi.
Eric McPherson avec Jackie McLean et Gary Bartz
© Photo X, by courtesy of Eric McPherson
Il était dur?
Oh, oui! C’était old
school.
Les musiciens de la
formation de Jackie McLean –Alan Palmer, Nat Reeves, René McLean, vous–
semblaient très soudés.
On habitait tous dans le Connecticut. Nat enseignait à
l’école, René arrivait d’Afrique, Alan commençait à enseigner. Nous avons tous
appris de Jackie. Et on était là pour le soutenir.
Avait-il des rapports
très différents avec ses musiciens?
Nous avions tous une relation différente avec lui. Alan
allait chez lui presque tous les jours. S’il y a un musicien qui peut vous
expliquer l’art de Jackie McLean du point de vue du piano, c’est Alan. Pour
moi, j’apprenais le plus souvent sur le terrain. Ma relation se limitait à
jouer avec lui.
Votre première
tournée européenne, c’était avec lui?
Non, avec Roy Hargrove. A la place du Smoke, à Harlem, il y
avait autrefois Augie’s. J’y ai joué dès la fin du lycée, vers 1989. J’y avais
un gig tous les week-ends. Plein de musiciens ont fait partie de ma formation.
Il y a eu Jesse Davis, Antoine Roney, Dwayne Burno, Chris McBride, Ugonna Okegwo,
Tyler Mitchell, Tim Givens, Spike Wilner, Marc Carey, Jacky Terrasson, Brad Mehldau…
En 1990, je suis parti avec Jesse Davis en tournée au Japon. Et, cette même année,
à Helsinki avec Roy Hargrove, Chris McBride, Mark Whitfield, Walter Blanding,
Stephen Scott... C’était juste avant de partir pour Hartford.
Quelle était l’ambiance
au sein de la formation de Jackie McLean quand vous l’avez intégrée?
Quand vous êtes le nouveau venu, il y a cette dynamique qui
fait que tout le monde vous dit quoi faire. Une fois, un des musiciens me dit
comment jouer et je l’écoute. Mais ce n’était pas ce que Jackie voulait. Il me
l’a fait comprendre! Au point qu’en tournée au Japon, il a appelé au téléphone
Michael Carvin pour lui demander ce qui n’allait pas chez moi. Michael me rappelle,
etc. Une fois que j’ai compris ce qui s’était passé, j’ai eu la situation en
main.
Vous avez enregistré Rhythm of the Earth et Fire & Love. Comment cela se passait
en studio avec lui?
Nous les avons enregistrés à cinq ans d’écart. Rhythm of the Earth au début, en 1992. Fire & Love en 1997. Les deux
expériences étaient intenses. Jackie était intense, surtout pendant un
enregistrement. Avec lui, il fallait être très attentif et bien ancré et, en
même temps, lui proposer quelque chose de nouveau, être créatif tout en étant très
ancré. A la fin de sa vie, il avait développé son propre vocabulaire. C’est
encore présent chez ses anciens élèves, comme Dezron Douglas. Beaucoup enseignent
aujourd’hui. Ça fait bizarre, parce que j’entends ces éléments chez de jeunes
musiciens qui n’ont pas connu Jackie, qui sont arrivés après sa mort. Jackie
McLean, c’était une culture. Et nous la transmettrons à notre tour. On fait
partie de quelque chose qui nous dépasse tous.
Enregistrer Fire & Love chez Blue Note, c’était
important?
Je ne le pense pas. C’est un label qui a joué un grand rôle.
Tout n’était pas non plus reluisant dans cette histoire, surtout du côté des
droits des musiciens...
Les anciens vous ont-ils
sensibilisé à la défense des droits des musiciens?
Pas vraiment. J’ai appris sur le terrain... Les anciens ne donnaient
trop d’infos.
Quels sont vos
disques préférés de Jackie McLean?
Il y en a tellement! J’ai grandi en écoutant Antiquity, New York Calling, Let Freedom
Ring, Dr. Jackle… Qu’est-ce que
j’ai écouté ces disques! Ils font partie de ma vie. Abraham Burton, qui joue de l’alto, avait tous les disques de Jackie.
Avant de faire partie
de sa formation, l’aviez-vous vu en concert?
Je l’ai vu jouer une fois en duo avec Michael Carvin. Il ne
jouait plus quand je suis arrivé à Hartford.
Comment vous
êtes-vous retrouvé aux sessions d’enregistrement de M’Boom, fondé par Max Roach?
Ah! ces musicos avaient un équipement de dingue! Le rêve de
tout batteur! Nasheet et moi avons beaucoup travaillé avec Max.
Qu’avez-vous appris
de Max Roach?
La première fois que j’ai rencontré Max, c’était grâce à ma
mère. Après ça, je n’ai raté aucun des concerts de M’Boom. Et comme Freddie
Waits en faisait partie, Nasheet et moi, on les voyait souvent. Quand vous
passez du temps avec ces musiciens, vous apprenez beaucoup. Rien qu’en voyant
comment ils manipulent le matos. Avec Max, c’était ce type de leçon. Je n’avais
pas du tout avec lui la même relation qu’avec Michael Carvin ou Jackie McLean.
Quel rôle a joué
M’Boom dans votre formation de musicien?
J’ai grandi avec ce son, ce vocabulaire. Plus tard, Nasheet
a joué avec M’Boom. D’ailleurs, Max voulait monter un groupe avec des musiciens
plus jeunes. Ce n’est hélas jamais arrivé... Mais Nasheet et moi, on pense à
faire quelque chose dans cet esprit. Je suis toujours surpris de voir le nombre de
musiciens qui ne connaissent pas ce groupe. Même des batteurs et des
percussionnistes.
Dezron Douglas, Eric McPherson et Abraham Burton dans les coulisses de Laigueglia Percfest 2010 © Umberto Germinale
Avec Nasheet Waits,
vous avez repris MPI Studio (pour «Multi-Percussion
Instrumentalist»), le studio d’enregistrement créé par Freddie Waits.
Oui, et on a tout perdu dans l’ouragan Sandy. Instruments,
disques, disques durs... C’est terrible! On connaissait ce studio depuis
toujours, c’était une seconde maison. Quand Freddie Waits est mort en 1989,
Nasheet, Abraham et moi avons décidé de le reprendre et de poursuivre son
activité. On l’a réarrangé, rééquipé etc. C’est très important pour nous de
faire les choses en indépendant. On a enregistré plusieurs albums là-bas. Par exemple?
Nasheet en a fait un qui s’appelle Equality. Puis, il y a eu Future,
avec le quartet que j’ai aujourd’hui: Abraham Burton, Dezron Douglas, David
Bryant. Puis, il y a eu Keep It Movin’,
l’album de ma femme, la pianiste Shimrit Shoshan (1983-2012), avec John Hébert,
Abraham Burton, Luques Curtis et moi. Elle a fait ce disque avant de mourir. Beaucoup
d’autres musiciens ont fait des trucs. Ça fonctionnait comme une communauté. On
pouvait utiliser le studio pour enregistrer, répéter… Je me souviens d’une
énorme jam session. Il y avait 20, 30 musiciens. Ils étaient tous venus, Roy
Hargrove, Marc Cary...
Abraham Burton est
votre complice de toujours, tout comme Nasheet Waits. Comment évolue votre
relation musicale avec lui?
Aujourd’hui, quand on joue, on peut emprunter toutes les
voies possibles et imaginables. Plus on joue avec quelqu’un, mieux on le
comprend, plus ce que vous ferez aura du sens. C’est ce qui m’importe le plus.
Vos parcours sont parallèles.
Quand j’étais avec Jackie, Abraham était avec Art Taylor. On
est allé à l’école ensemble. Avec Nasheet aussi. A un moment, Nasheet a dû
quitter New York. Il est revenu quand son père est mort. Et c’était comme si de
rien n’était. Un des derniers gigs chez Augie’s, c’est lui qui l’a fait. Il me
remplaçait, parce que je n’étais pas sûr de pouvoir le faire, vivant à Hartford.
Puis, Nasheet a joué avec Andrew Hill avant moi. Mais il l’avait rencontré à un concert avec Jackie McLean. Il me remplaçait. Et c’est Nasheet qui a parlé de moi à
Andrew.
Qu’appréciez-vous chez
lui?
Sa musicalité est inouïe. Il connaît l’histoire, il a étudié
les musiciens, il connaît les paroles de toutes les chansons par cœur, il est
curieux de tout. Quand il joue, il peut tout faire.
Que cherchez-vous
chez d’autres musiciens?
Jouer avec des musiciens que je ne connais pas, c’est toujours
passionnant. Et ça vous fait grandir. Mais si vous avez déjà un lien très fort avec
quelqu’un, c’est la meilleure situation possible. Si je devais jouer avec une
formation en particulier, ce serait avec Abraham Burton, Dezron Douglas et
David Bryant, les musiciens de mon quartet. Je joue avec eux depuis dix ans, c’est
le paradis! Aujourd’hui, David a une compréhension incroyable de la musique, même s’il est le plus jeune. On met nos tenues d’explorateur et on part à
l’aventure. Vous pouvez appeler ça le quartet d’Abraham Burton ou le mien, ce
sont les personnes avec lesquelles je suis lié, et je veux renforcer ce lien autant
que possible.
John Hébert, Fred Hersch et Eric McPherson © Photo X, by courtesy of Eric McPherson
Quel est l’état
d’esprit dans le trio de Fred Hersch?
Dans la situation avec Fred, je m’adapte à lui, ce qui est
passionnant. John Hébert apporte aussi beaucoup à la situation, ce qu’il fait
est incroyable. Tout le monde contribue pleinement à cette musique. Il y a
cette idée fausse que c’est seulement le leader qui fait les choses. Faut-il s’adapter
à la sensibilité musicale d’un Fred Hersch?
Non, parce que ces sensibilités, j’ai dû les apprendre en
jouant avec Jackie McLean. Une fois que j’ai trouvé ce qu’il fallait pour
rendre le leader confortable, je suis moi-même, et je peux repousser les
limites. Certains qui ne me connaissaient qu’avec Jackie McLean ont été choqués
de me voir jouer avec Fred Hersch. Un jour, un type m’a dit que je jouais free (rires)! Il y a des thèmes dans le répertoire de Fred, comme «Serpentine», qui
en effet sont très ouverts. Mais j’ai joué avec Andrew Hill et je n’ai jamais
rencontré quelqu’un de plus libre que lui. «Out», «free», ce sont des mots. Il
y a surtout des couleurs, des textures.
A partir de quand
vous êtes-vous senti à l’aise avec Fred Hersch?
Sans doute après Whirl,
le premier disque que j’ai fait avec lui. A partir de là, les choses ont pris
la direction qui mène à la situation actuelle. Fred a une personnalité très
forte mais il est très ouvert et toujours prêt à aller vers l’inconnu. Quand un
leader a cette qualité, sa musique respire. John et moi sommes à ses
côtés, avec lui.
Fred Hersch Trio avec John Hébert et Eric McPherson, Nice Jazz festival 2019 © Umberto Germinale
Avant de travailler
avec Andrew Hill, le connaissiez-vous?
Je savais qui il était,bien sûr. La première fois que
j’ai entendu sa musique, c’était avec Alan Palmer, on était dans sa voiture. Il
avait mis un de ses albums dans son lecteur CD.
Comment avez-vous
abordé cette situation?
C’était nouveau pour moi. J’avais déjà
joué dans des situations disons «free». Avec Andrew, les thèmes étaient là, les
formes aussi, mais tout était toujours en mouvement. Ça n’avait plus rien à
voir avec la régularité métronomique. C’était une question de feeling,
d’humeur. Un vrai défi, parce qu’il faut aller chercher la musicalité qu’on a
en soi. Je ne vous cache pas qu’au départ, j’étais un peu inquiet (rires)!
Quel a été l’impact d’Andrew
Hill sur votre approche de l’improvisation?
Il a augmenté ma compréhension de ce que signifie improviser.
Je jouais avec John Hébert avant Andrew. Beaucoup de choses que j’ai
expérimentées avec lui dans le trio d’Andrew, se sont répercutées dans le trio
de Fred. John et moi, on a un lien très fort.
Il semble qu’Andrew
Hill, sa personnalité, sa musique, vous touchaient particulièrement.
Profondément, oui. Andrew a joué avec Charlie Parker, mais
il a été assez intelligent et ouvert d’esprit pour se tourner vers d’autres
directions tout en étant ancré dans cette musique. Jackie McLean aussi. Mais
avec Jackie, la formation était un quintet, un sextet, un septet... On était
plus proche des Messengers, avec des arrangements... Avec Andrew, la question en
trio était de savoir comment on allait propulser chaque situation. Pour ça, il
n’y avait aucun manuel d’instruction (rires). Jouer avec lui au moment où je
l’ai fait, ça m’a beaucoup apporté, beaucoup fait grandir. Jusque-là, je
n’avais pas été dans ce type de situation aussi intensément. Quand je joue avec
Abraham, Dezron et David, cette expérience est toujours là, présente avec moi.
A certains moments, le thème va bouger. Il y a cet élément «Andrew Hill», et ça
nous ouvre encore d’autres portes.
Combien de temps
avez-vous joué avec lui?
Trois ou quatre ans. D’ailleurs, quand Jackie McLean est
mort, j’étais en tournée avec Andrew… La première fois que j’ai joué avec
lui, je remplaçais Nasheet au Albright-Knox Art Gallery de Buffalo, un des plus
anciens musées des Etats-Unis. Puis, du temps a passé. Je pense qu’Andrew
savait qu’il était en phase terminale. Il jouait autant qu’il le pouvait. Mais
il avait du mal à se déplacer. On ne se rend pas compte de l’énergie qu’il faut
pour s’installer à une chaise. Il n’aimait pas beaucoup les soundchecks. Il
touchait le piano, et c’était bon (rires). Il était très détendu. Il parlait
toujours de la nécessité d’être indépendant. Il était réaliste. Avoir
enregistré Time Lines avec lui, c’est
un point culminant de mon parcours. On était censé enregistrer en trio. A la
dernière minute, il a préféré rester chez lui. Et John, Nasheet et moi, on a
passé les deux derniers jours de sa vie avec lui. On était là jusqu’à la fin. Difficile
d’avoir un lien plus fort avec quelqu’un.
Où se tenait le
dernier concert que vous avez joué avec lui?
C’était à Trinity Church, à New York, en mars 2007. Il est
mort un mois plus tard. Ce concert était surréel. Rien que sa façon de lancer
le set était incroyable. Je n’avais pas l’impression de jouer. C’était une
expérience spirituelle.
Quels sont vos albums
préférés de Andrew Hill?
J’adore Smoke Stack,
avec deux bassistes, Richard Davis et Eddie Khan, Point of Departure,Black
Fire…
Vous aussi avez
enregistré avec deux bassistes dans Continuum.
C’était une façon de leur rendre hommage. Je trouve que
Dezron et John jouent bien ensemble. Au départ, il ne devait pas y avoir deux
bassistes. Le jour de l’enregistrement, ils sont venus tous les deux.
Que vouliez-vous dire
avec Continuum, votre premier album
en leader (sorti en 2008 chez Smalls Records)?
C’était ma façon de rendre hommage à ma mère, à Andrew, à
Richard, à Jackie, à ceux qui ont beaucoup compté pour moi et ont joué un rôle
essentiel dans mon développement musical. Dans cet album, il y a aussi Shimrit au
piano. Pour les thèmes, je savais exactement ce que je voulais faire. D’autres
étaient de la composition spontanée. C’était important qu’il se passe
différentes choses.
Vous avez peu
enregistré en leader.
Leader, pas leader, peu importe! J’ai toujours tout fait en
indépendant avec Abraham, comme mes deux albums Continuum et Cause and Effect.
Seule la musique compte. Grandir aussi, encore et toujours. Transmettre ce
savoir. La raison pour laquelle je fais cette musique, c’est pour cet esprit
qu’il génère. La musique est d’une puissance! Je veux pouvoir la partager
autant que possible, et surtout avec les musiciens avec qui j’ai un lien
solide. Et ça n’a rien à voir avec le marché ni la vente de disques. Cette musique
est culturelle. Elle vient du feeling. Nous avons besoin d’alternatives à tout
ce qu’on nous fait avaler. Si vous ne comprenez pas tout ce qui se passe au premier
abord, ce n’est pas grave. L’essentiel, c’est de sentir cette musique.
*
DISCOGRAPHIE
Leader CD 2000. Cause and Effect
(avec Abraham Burton), Enja 9377 2 CD 2007. Continuum, Smalls
Records 0033 CD 2015. De3, Live at Maxwell’s,
Sunnyside SSC 1448 (avec Dezron Douglas et Duane Eubanks)
Sideman CD 1991. Jesse Davis, Horn of
Passion, Concord Jazz 4465 CD 1992. Jackie McLean, Rhythm
of the Earth, Antilles314 517 075-2 CD 1994. Abraham Burton, Closest
to the Sun, Enja Records 8074 2 CD 1995. Abraham Burton, The
Magician, Enja Records 9037 2 CD 1996. Myron Walden, Hypnosis,
NYC Records 6025 2 CD 1997. Steve Davis, The Jaunt,
Criss Cross 1113 CD 1997. Eric Bibb, Me to You,
Code Blue 3984 20444 2 CD 1997. Jackie McLean, Fire &
Love, Blue Note 7243 4 93254 2 5 CD 1997. Armin Marmolejo,
Boarding Pass, Igmod IGM 49708-2 CD 1997. Jimmy Greene,
Introducing Jimmy Greene, Criss Cross Jazz 1181 CD 1999. Arkadia Jazz All-Stars,
Thank You, Duke! Our Tribute To Ellington, Arkadia Jazz 70003 CD 1999. James Hurt, Dark
Grooves, Mystical Rhythms, Blue Note 7243 4 95104 2 5 CD 2000. Jimmy Greene, Brand New
World, BMG Classics 09026 63564 2, RCA Victor 09026 63564 2 CD 2003. Avishai Cohen, Lyla,
Sunnyside SSC 4601 CD 2004. Steve Lehman,
ArtificialLight, Fresh Sound New Talent 186 CD 2005. Matt Criscuolo, Lotus
Blossom, M Records 837101026000 CD 2005. Jeremy Pelt, Identity,
MAXJAZZ 404 CD 2005. Steve Lehman, Demian As
Posthuman, Pi Recordings 17 CD 2006. Andrew Hill, Time
Lines, Blue Note 0946-3-351 170 2 8 CD 2006. Charnett Moffett,
Internet, Piadrum Records 0601 CD 2006. Luis Perdomo,
Awareness, RKM Music 1123 CD 2006. Steve Davis, Outlook,
Posi-Tone Records 8041 CD 2007. Steve Davis, Alone
Together, Mapleshade10832 CD 2008. Luis Perdomo, Pathways,
Criss Cross Jazz 1308 CD 2008. Abraham Burton, Future,
MPI/NYC 11991 CD 2009. Charnett Moffett, Art
of Improvisation, Motéma 00021 CD 2009. Aruán Ortiz, Alameda,
Fresh Sound New Talent 336 CD 2009. Gaida, Levantine
Indulgence, Palmyra Recordings CD 2009. Raynald Colom,
Evocación, Adlib ArtsADLIB02, Jazz Village 570004 CD 2010. Fred Hersch, Whirl,
Palmetto 2143 CD 2010. Rez Abbasi, Natural
Selection, Sunnyside 1264 CD 2010. Shimrit Shoshan, Keep
It Movin’, Shimmya Music (non numéroté) CD 2010. Steve Davis, Images:
The Hartford Suite, Positone 8066 CD 2011. NYJAZZ Initiative, Mad
About Thad, Jazzheads 1185 CD 2011. Fred Hersch,
Everybody’s Song But My Own, Venus Records 1049 CD 2011. Diego Urcola,
Appreciation, CAM Jazz 5041 CD 2011. New Jazz Workshop,
Underground, Njw Music 5637951485 CD 2011. Itai Kriss, The Shark,
Avenue K Records 001 CD 2011. Benjamin Drazen, Inner
Flights, Posi-Tone Records 8076 CD 2012. Tyler Mitchell, Live at
Smalls, Smallslive 0030 CD 2012. Fred Hersch, Alive at
the Vanguard, Palmetto 2159 CD 2012. Aruán Ortiz, Orbiting,
Fresh Sound New Talent 396 CD 2013. Lucian Ban, Mystery,
Sunnyside SSC 1345 CD 2013. Marty Ehrlich Large
Ensemble, A Trumpet in the Morning, New World Records 80752-2 CD 2014. Fred Hersch, Floating,
Palmetto 2171 CD 2014. Rob Derke & The
NYJAZZ Quartet, Blue Divide, ZOHOZM 201401 CD 2014. Josh Evans, Hope &
Despair, Passin Thru Records 7947A CD 2014. Duane Eubanks, Things
of That Particular Nature, Sunnyside 1390 CD 2015. Rez Abbasi, Intents and
Purposes, Enja Records 9621-2 CD 2016. Lucian Ban Elevation,
Songs from Afar, Sunnyside 1387 CD 2018. Victor Gould,
Earthlings, Criss Cross Jazz 1398 CD 2018. Fred Hersch, Live in
Europe, Palmetto Records 2192
VIDEOS
1997.
Jimmy Greene, «Spring Can Really Hang You Up The Most» Jimmy
Greene (ts), John Swana (tp), Steve Davis (tb), Aaron Goldberg (p), Darryll
Hall (b), Eric McPherson (dm)
https://www.youtube.com/watch?v=wA4uPvAb6-o
2000. Abraham Burton
& Eric McPherson, «Nebulai»
Abraham
Burton (ts), James Hunt (p), Yosuke Inoue (b), Eric McPherson (dm) https://www.youtube.com/watch?v=Kmt2uxuZjkI
2004. Jackie McLean Quintet,
«Mr. E», Umbria Jazz (Italie)
Jackie McLean (as), René McLean
(as, fl), Alan Palmer (p), Nat Reeves (b), Eric McPherson (dm) https://www.youtube.com/watch?v=PBSUCTMgrFY
2006. Andrew Hill, «Time Lines» Andrew Hill (p), Charles
Tolliver (tp), Greg Tardy (ts), John Hébert (b), Eric McPherson (dm) https://www.youtube.com/watch?v=mDWlZPlSdOA
2010. Steve Davis, «The
Modernist»
Steve Davis( tb), Mike DiRubbo
(as), Josh Evans (tp), David Bryant (p), Dezron Douglas (b), Eric McPerson (dm)
https://www.youtube.com/watch?v=xnD8Zr6taCc
2012. Fred Hersch, «The Wind/Moon
and Sand», Live at the Village Vanguard (NYC)
Fred Hersch (p), John Hébert
(b), Eric McPherson (dm)
https://www.youtube.com/watch?v=ybd7MotqokE
2012. Josh Evans, «Book's
Bossa», Live at Smalls (NYC)
Josh Evans (tp), Zaccai Curtis
(p), Ameen Saleem (b), Eric McPherson (dm)
https://www.youtube.com/watch?v=wk0naU4eWVw
2016. Fred Hersch, «Serpentine»,
Funchal Jazz Festival (Portugal)
Fred Hersch (p), John Hébert
(b), Eric McPherson (dm)
https://www.youtube.com/watch?v=Ms-zsiogGs0
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