Constat: Ce que révèle cette épidémie Pour en rester au niveau du constat, nous vivons, en pays «riches», un épisode mondialisé, sans précédent, d’un virus instrumentalisé pour faire peur jusqu’à l’écœurement dans un double procès de destruction des libertés et de mémoire. En raison de la précarisation de l’ensemble des systèmes de santé, en regard des politiques natalistes complètement irresponsables, une indigence des services publics organisée depuis des années jusqu’à restreindre, dans cette crise, la mission de soigner des médecins, il faut déplorer les disparitions précipitées de musiciens de jazz, âgés et/ou malades, à l’image de ce qui se passe pour tous dans l’ensemble de la société française et dans le monde développé. Pour une part d’entre elles, le virus n’y est pas mêlé; l’âge, la maladie et la panique sanitaire devant le sous-équipement focalisant les moyens sur l’épidémie, ont suffi. Pour les autres, touchés par le virus, l’insuffisance de soins et/ou leur inadaptation par ignorance, aveuglement, et le manque de réactivité du système ont contribué à une mortalité accrue, même si ce virus n’est pas très différent d’une épidémie ordinaire annuelle, y compris dans la mortalité qu’il provoque. La différence notable est que l’insuffisance sanitaire, constatée par des pénuries hallucinantes en pays riches (Italie du Nord, Madrid, Nord Est de la France, New York…), où il a fallu choisir parfois qui sauver, faute de moyens aux dires des médecins eux-mêmes, s’est naturellement traduite par une attaque marquée contre les personnes affaiblies par les maladies ou simplement par l’âge et par un confinement qui semble parfaitement inadapté quand on ne se donne pas les moyens de protéger, de tester, d'isoler et de soigner les plus fragiles et leurs soignants. Ce sont les plus confinés qui sont les plus touchés, et qui vont malheureusement continuer à l’être dans les mois qui viennent en raison de l’abandon dont ils ont été l’objet. Le confinement sans discernement a été la réponse antidémocratique et non scientifique à la pénurie de moyens sciemment planifiée depuis de longues années par les politiques qui sont toujours en action dans la gestion de cette crise sanitaire depuis la crise de la canicule de 2003 ou celle du sang contaminé. C’est incontestable dans tous les pays qui n’ont pu faire face à un phénomène épidémique ordinaire, saisonnier, même si la mortalité zéro n’existe pas et jamais. La référence à la grippe espagnole de nos «scientifiques» de plateaux TV, des responsables gouvernementaux et des «politiques» hexagonaux est aussi indécente qu’inexacte sur le plan historique du nombre des contaminés et des décès; d’autres épidémies ont été aussi et plus mortifères, sans aboutir à une telle panique et à un tel enfermement en France et dans le monde, sans démolir le fonctionnement économique de plusieurs pays; indécente en particulier par la volonté de faire peur pour justifier et installer durablement des pratiques politiques antidémocratiques, pour attenter au Droit du travail, aux conquêtes sociales, pour masquer une crise financière et industrielle bien réelle qui aboutit à l’appauvrissement du plus grand nombre, et évacuer la responsabilité des politiques sanitaires, sociales et économiques à marche forcée vers les inégalités accrues qu’imposent les pouvoirs en place dans les pays riches, pour le compte de l’oligarchie mondialisée. Ils rognent en effet les conquêtes démocratiques et sociales dans le monde développé, et particulièrement depuis la financiarisation totale de la vie humaine mise en œuvre depuis 40 ans par l’oligarchie. Ils ont décidé d’arrêter une partie de l’économie du monde sans scrupule aucun sur les conséquences dramatiques sur le monde des indépendants de l’économie, les petits producteurs, favorisant encore la grande distribution, les circuits de vente en ligne des multinationales. Si les anciens payent déjà de leur vie les conséquences des politiques de santé, le prix à payer de ces décisions économiques est à venir, et là nul doute qu’il s’agira pour le pouvoir oligarchique de minimiser les conséquences au lieu de les gonfler comme actuellement pour faire peur.
Dans un bon texte du 26 avril 2020, le pianiste et patron de club new-yorkais, Spike Wilner, expose la situation du jazz, celle de ses deux clubs (le Smalls et le Mezzrow), et le danger de mort qui menace tout ce qui reste d’indépendance, les artistes au premier rang, car au-delà de la crise sanitaire, la débandade et la crise économique réelle, organisées par le monde de la finance pour imposer son talon de fer dans les pays encore récalcitrants, aboutissent à étrangler la totalité du secteur culturel créatif indépendant. Le monde de la culture subventionnée pourra sans aucun doute se rétablir, mais le monde indépendant est voué à une destruction accélérée, bien que l’érosion régulière ait déjà commencé à le fragiliser depuis quarante ans. Durant l’année 2020, les artistes indépendants vont devoir «sucer les pierres» car la plupart des manifestations ont été annulées, sous la pression des autorités. Malgré toutes les promesses démagogiques de compensation, comme s’il ne s’agissait que d’une parenthèse indolore, il est à prévoir que l’avenir n’appartienne plus qu’à la culture subventionnée, clientéliste, institutionnelle et, par définition, ça signifie que le jazz et la création en général qui doivent être libres et indépendants pour en être, vont être durablement sinistrés. Plus grave, seuls les artistes installés et/ou subventionnés pourront surnager, privant le jazz, les arts et la pensée de l’essentiel de leur potentiel de création, d’originalité et de subversion, les «financiers» de la culture, privés ou d’Etat, devenant de fait les décideurs de ce qui mérite d’exister, de ce qu'est la culture. On sait déjà où vont leurs choix, leur démagogie ne trompe pas, l’inculture de ces financiers/gestionnaires de la culture n’étant plus à décrire jusqu’au sommet de l’Etat ou des institutions. La culture, la pensée aux ordres et en dépendance, on en connaît les résultats dans les médias, et on en voit déjà de nombreuses manifestations dans l’art depuis quarante ans; le jazz ne fait pas exception malgré sa résistance qui vient pour l’essentiel de son atavisme de lutte, de ses racines, de son vécu en marge et en opposition aux pouvoirs. Voilà pour le constat. Aucune réaction n’est à attendre dans un ensemble mondialisé où les responsabilités financières, juridiques et politiques, ne seront jamais déterminées, avec leurs conséquences humaines, dans un jeu de connivences et de complaisances des pouvoirs, dans une époque où les populations se sont aussi passivement laissées enfermer, priver de leur liberté jusqu’à devoir justifier leurs déplacements et leur vie par un ausweis de sinistre mémoire (en France). Le jazz va dépendre plus que jamais de la capacité individuelle de ses artistes et de quelques acteurs indépendants (labels, producteurs, agents, médias…), pour survivre, toujours plus mal. Wynton Marsalis –malgré le deuil qui le frappe– reste un des pôles de résistance. Mais il a bientôt 60 ans, et s’il possède cette fibre collective d’Ellis pour porter la bonne parole et la vitalité du jazz, il nous semble bien seul à posséder cette force et cette intelligence créative, même si le nombre de ses disciples est important. Dans ce contexte, Jazz Hot a d’abord choisi d’honorer la mémoire des disparus, les anonymes en général que nous saluons, et les artistes en rappelant longuement et de manière documentée leurs parcours; puis d’être solidaire des indépendants, comme Spike Wilner et Wynton Marsalis, qui essaient de résister à ce tsunami de conformisme, un étouffoir selon nous suicidaire, soit par la parole soit par leur musique, de résister au néant qu’impose ce pouvoir planétaire de la finance –un tout petit monde par le nombre, fermé et étriqué par l’esprit– qui a dramatiquement réduit la résistance, la vitalité la plus animale, l’instinct de survie, qui a annihilé le courage, dans ces vingt dernières années en particulier. Il y a une exception dans ce constat effrayant quant à la démocratie: la parole de l’équipe du Dr Didier Raoult, à Marseille, qui, quoi que l’on pense de ses résultats –je les pense remarquables et rien n’est venu les contredire– a su apporter une information alternative, calme, pédagogique et responsable, et restaurer la mission de soigner –le serment d'Hippocrate– des humains plutôt que de trier ceux qui doivent vivre ou mourir selon les moyens, plutôt que disserter sur la méthode d'analyse et d’expérimenter sur des cobayes humains en pleine crise sanitaire.
Si les membres de l’équipe de Jazz Hot ont chacun leur perception de cette crise, que je respecte y compris quand elle se conforme à l’idée dominante, il m’appartient, comme directeur de la publication, de prendre la responsabilité de vous donner un point de vue différent, qu’il vous paraisse bon ou mauvais selon ce que vous en pensez en tant que lecteurs. Il contribue à la nécessaire pluralité de l’expression, au débat démocratiques qui ont disparu de la presque totalité des médias qui, en ces jours sombres, se sont exprimés d’une seule voix, à l’unisson et en renfort du pouvoir mondialisé et de son antenne locale, nationale, comme autant de propagandistes de la peur, aussi soumis et privés d’esprit critique que la plus grande part de l’humanité. Le souci des Anciens, comme le macabre comptage quotidien des morts en Ehpad, est d'ailleurs venu avec un retard très évocateur. Il a fallu aussi un temps certain pour avoir la confirmation que plus de 90% des victimes ont plus de 65 ans.
Jazz Hot est né dans l’indépendance et dans la marge artistique, le jazz, l’esprit critique et la libre pensée, et donc y reste en ces tristes circonstances du constat de la fin, légalisée, de la démocratie en France. Yves Sportis-Avril 2020 |