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LE MONDE DU SILENCE


«Il vient un jour où le silence devient une trahison» (Martin Luther King, Jr.L’assassinat de George Floyd est survenu pendant le grand enfermement planétaire sur fond de peur. La réaction sans masque de la communauté afro-américaine a été comme une explosion salutaire de réalité dans un silence de mort. Les derniers mots de la victime, devenus slogan («I can’t breathe»), ressemblent beaucoup dans la forme (privation d’air et donc d’expression) à ceux d’une autre victime, française, Cédric Chouviat («J’étouffe»), dont la mort –avant l’enfermement (3 janvier 2020)– est passée inaperçue dans l’inflation de violences policières les plus variées dont le «pays des Droits de l’Homme» s’est fait une spécialité sans que les citoyens ou le monde ne s'en indignent. Ces personnes ne sont pas mortes par accident mais par système et par indifférence du plus grand nombre, malgré l’effet planétaire «George Floyd», une résultante de l'enfermement, une expression populaire partiellement tolérée à vocation d'exutoire. 
Au-delà du phénomène de foule, ces morts sont le symbole de l’asphyxie de la société.
Certaines protestations se font maintenant à genoux (symbole de soumission) et en silence, masqué (négation de l’expression), comme ce concert du Smalls annulé pour faire place au silence sous pression de la pensée normalisée («Blackout Tuesday»), un contresens culturel, alors que le jazz est justement un cri et une philosophie de liberté qui refusent la normalisation, la soumission et le silence imposé quand il n'est pas un libre choix artistique.
L’avalanche de contraintes liberticides de toutes natures est littéralement étouffante: y compris celles que s’imposent les foules, en adoptant passivement de manière moutonnière les rails des réseaux dits «sociaux», élaborés pour enrichir des oligarques, manipulés pour appauvrir intellectuellement et socialement, créés pour encadrer, fliquer, dénoncer et contrôler la pensée, l’action et la vie du plus grand nombre: comme les barrières de circulation dans les files d’attente, dans la rue, les marchés; comme les masques portés à retardement, sans raison quand ils ne sont d’aucune utilité; comme cette administration technocratisée qui réduit notre expression à ce qu’elle veut seulement entendre et qui brime toute réponse, toute contestation, toute humanité, toute solidarité sociale; comme cette intelligence artificielle et cette mécanisation à outrance qui réduisent l’incroyable intelligence et aptitude physique humaines à des comportements robotiques déjà annoncés par Charlot dans Les Temps modernes, et qui vouent maintenant une partie de l'humanité à l’inutilité et au chômage dans une concurrence indigne pour la survie.
Le fonctionnement politique verrouillé, sans alternative, au point d’en chasser le peuple par des élections sans objet, sans projet, sans alternative qui ne mobilisent personne, a donné dans une Assemblée Nationale française unanimement bâillonnée par des masques, en juin 2020, une image de ce théâtre d'ombres, une expression symbolique de ce monde de silence imposé et de duplicité.
L’humanité suffoque. Cette asphyxie de la société française et planétaire était déjà sensible dans les explosions sociales qui ont parcouru la Terre avant 2020, opportunément réduites au silence par le Covid-19. Le bâillon total (le reconfinement) est suspendu pour 2020-2021 au dessus des têtes comme une menace, une peur. 
La violence d’Etat, oligarchique et planétaire, est sans contre-pouvoir. Même l'art, la littérature se plient. La violence est policière mais plus largement de système car la police n'est qu'un instrument parmi d'autres et pas le plus dangereux quand on pense à la finance internationale à grande vitesse (G5): le télétravail, destructeur de solidarité sociale, politique, humaine, d'émulation intellectuelle; le contrôle social et comportemental par la peur (l'épidémie aujourd'hui, hier le terrorisme), la publicité, les médias; la culture et la transmission virtualisées par écran, privées d’émotion, de participation, de critique et du contact de l’œuvre, de l’artiste, de l’enseignant, du direct, du live dit-on en jazz, c’est-à-dire privées de vie. 
C’est cette société que se sont imposés les habitants de cette planète, et qui va les étouffer s’ils ne retrouvent ni courage, ni conscience pour sortir des rails 
des corruptions, des addictions, les grandes et les ordinaires: à la reproduction; à la consommation; à un confort et une sécurité factices dans une société de peurs et d'inégalités; à la normalisation par la mode, la publicité comportementale, les réseaux «sociaux» gestapistes, l'introversion narcissique et nombriliste, et bien d'autres abandons comme celui du contrôle du pouvoir médical ce dernier trimestre. C’est la planète que détruisent les Terriens (on a plus détruit sur Terre dans les 80 dernières années que dans les 4 millions d'années précédentes) quand ils ne renversent pas une table à laquelle d’ailleurs, la plupart ne sont pas invités.
Pour finir, comme nous l'avons commencé, avec la lucidité de Martin Luther King, Jr.: «L’histoire devra se rappeler que la plus grande tragédie de cette période de transition sociale ne fut pas les paroles venimeuses et les actions violentes des méchants, mais plutôt le silence terrifiant et l’indifférence des gens sensés.»

Yves Sportis-Juillet 2020
© Jazz Hot 2020

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