Kirk Lightsey et Cecil McBee, Marseille 1998 © Ellen Bertet
Kirk LIGHTSEY
L'homme qui aimait Detroit
Kirk Lightsey, c'est une longue histoire dans le jazz commencée il y a plus de 70 ans à Detroit, une puissante cité industrielle de la région des grands lacs américains, riche surtout aujourd'hui, et éternellement, d'un passé de culture et de luttes (cf. Detroit, le film de Kathryn Bigelow). La musique en particulier, à travers la communauté afro-américaine, a trouvé dans ce creuset le lieu d'un développement incroyable de talents de première importance pour le jazz, comparable à New Orleans, New York, Philadelphie et Pittsburgh. Aujourd'hui, Detroit a perdu cette industrie (cf. Gran Torino, le fim de Clint Eastwood), et la ville a connu de sombres périodes, encore récemment puisqu'en 2014, le Detroit Institute of Arts, un des plus grands musées des Etats-Unis, était prêt à vendre une partie du patrimoine d’une ville retrouvant des niveaux de pauvreté et d'abandon social qu'on pensait révolus. Parmi les légendes du jazz, dont beaucoup ont disparu depuis trois ans, rares sont les témoins de l’âge d'or du jazz dans la grande cité. Kirk Lightsey, le pianiste, multi-intrumentiste (b, cl, bcl, fl, cello, basson), compositeur et chef d'orchestre, né le 15 février 1937 à Detroit, revient ici, pour la quatrième fois avec nous depuis 1991 (Jazz Hot n°482, 520, 612), pour raconter des moments d'un long parcours, si long qu'on n’en voit jamais les limites. Il est resté longtemps à Detroit, touchant aux dimensions variées de sa tradition populaire, gravissant les étapes qui amènent à l'excellence au contact de ses célèbres concitoyens, parfois d'adoption, Cecil McBee, une longue amitié, mais aussi Tommy Flanagan, Barry Harris, Elvin Jones, Thad Jones, Joe Henderson, Yusef Lateef… Il a touché aux nombreuses dimensions de cette tradition, le blues, l'église, le rhythm and blues et la soul de Tamla Records devenu Motown (contraction de Motor Town en référence avec la spécialité industrielle de Detroit), le label légendaire de la ville fondé en 1958 par Berry Gordy. Kirk a même parfois côtoyé les vedettes de la variété internationale comme Tony Bennett; il a aussi parcouru l'Amérique et le monde en tous sens, en leader, en sideman, en collectifs, consacrant ses forces à perpétuer la tradition exceptionnelle, du jazz et du piano, de cette ville aux côtés du gotha du jazz. Son grand sourire, qui traduit un abord de la vie toujours positif, trouve sa source dans une enfance heureuse au sein d'une famille unie, même si le père en a été absent rapidement. Il est aussi de ces Américains qui ont choisi un jour d'habiter la France et Paris, où il a la particularité d’être en bons termes avec toutes les chapelles qui ne manquent pas en France même quand on se limite au jazz, car Kirk Lightsey est une excellente nature. Dans le volet qu'il nous consacre aujourd'hui, il s'attarde sur sa ville d'origine, Detroit, sur sa jeunesse et son apprentissage, avec une multitude de détails à même de nous permettre de mieux sentir l'atmosphère de solidarité qui caractérisait cette ville exceptionnelle dont nous ont déjà parlé les regrettés Barry Harris, Geri Allen, Curtis Fuller, et tant d'autres légendes aujourd'hui disparues. Tous y ont trouvé un cadre social et culturel, l'esprit chaleureux d'une émulation saine pour devenir des artistes accomplis, de premier plan. L’environnement, parfois très dur au quotidien sur le plan économique, n’a pas généré de concurrence mais une solidarité tournée vers la perfection de la création. Ces témoignages doivent nous interroger sur ce qui construit un artiste et son art en général, car c’est ce qui a construit le jazz, des artistes de haut niveau en aussi grand nombre, et des personnalités généreuses comme Kirk Lightsey. Kirk Lightsey poursuit aujourd'hui un prodigieux parcours artistique, ponctué de concerts des deux côtés de l’Océan Atlantique et début novembre 2022 paraissait son dernier album en live au Smalls Jazz Club enregistré en septembre 2021 avec un quartet all stars composé de Mark Whitfield (g), Santi Debriano (b) et Victor Lewis (dm)…
Propos recueillis par Mathieu Perez Photos Ellen Bertet, Alain Dupuy-Raufaste, Umberto Germinale, Pascal Kober Photos by courtesy of Kirk Lightsey, collection personnelle, extraites du blog Coming & Going de Mary Folliet: et de Before Motown, Gallert Collection,
images extraites de YouTube Avec nos remerciements
© Jazz Hot 2022
Kirk Lighsey enfant © photo X, Coll. Kirk Lightsey by courtesy, extraite du site Coming & Going
Jazz Hot: Quel souvenir gardez-vous de votre enfance dans la
ville industrielle de Detroit?
Kirk Lightsey: En raison de la présence de l'industrie automobile, Detroit était une grande ville, une ville riche.
Je suis très fier et privilégié d'avoir grandi à Detroit, car il y avait certaines des meilleures écoles.
D'où venait votre famille?
Du Sud. De Memphis dans le Tennessee et du Mississippi. Mes
parents sont venus à Detroit parce qu'il y avait du travail pour tout le monde
ici. L'industrie automobile était si importante… Tout le monde voulait être
à Detroit.
Que faisaient vos parents?
Mon grand-père travaillait pour la Michigan Consolidated Gas
Company. Il a reçu pas mal de récompenses pour n'avoir jamais été en retard ou
absent au travail pendant cinquante ans. J'adorais ma
famille. Ils ont tellement contribué à mon devenir de musicien.
Votre père?
Mon père était chauffeur de taxi, c'était juste un citoyen
ordinaire. Il a été éjecté de chez nous, j'avais environ 3 ans. Je ne
l'ai jamais vraiment connu, mais je l'ai rencontré des années plus tard quand
j'ai déménagé à New York. Il y vivait depuis de nombreuses années. Quand je me suis
enfin présenté chez lui, avant même qu'il ait vu qui était à la porte, il savait
que c'était moi, pour une raison indéterminée. C'était assez étrange, mais assez
remarquable.
Chez vous, il y avait votre mère et vos grands-parents?
Oui, c'était le ménage. C'était un assez bel appartement parce que mon grand-père, comme je l'ai dit, était réputé pour être un excellent employé de la Michigan Consolidated Gas Company. Grâce à son travail, il nous a aidés à traverser les moments difficiles. Ma mère était couturière. Elle faisait mes vêtements et ses
vêtements, et elle a fait ça pour gagner sa vie. Elle travaillait seule.
La musique était-elle présente chez vous?
Ma famille avait l'habitude de faire des fêtes. Aux soirées,
il y avait toujours un pianiste, notamment Eddie Hines. Je ne me souviens pas du
nom des autres. Eddie était mon préféré, et c'était un grand pianiste. Je me
faufilais hors du lit et j’allais m'asseoir à côté de lui. Tout le monde jouait
aux cartes et dansait sur sa musique. Personne dans la famille ne jouait de piano. (Rires) Ma
grand-mère avait l'habitude de s'amuser sur le piano avec deux doigts, mais
personne d'autre n'en jouait, sauf moi, depuis ma naissance, je
suppose. A 5 ans, j'ai demandé des cours à ma mère. Elle m'a d'abord envoyé
prendre des leçons auprès de mon professeur de maternelle, puis elle m'a envoyé
vers un autre prof qui m'a amené à un autre niveau et, après ça, elle m'a
envoyé chez Johnson Flanagan, le frère de Tommy Flanagan.
Et votre grand-mère?
Elle était la meilleure cuisinière de Detroit. (Rires) Bien
qu'elle la fasse depuis chez elle. Elle s’occupait de la maison. Tous les
week-ends, nous faisions des fêtes. Ma famille réunissait ses amis. C’était
l’occasion de parler de ceux qui essayaient de monter à Detroit et de jouer aux
cartes (pokeeno). C'était l'une des raisons principales de leurs relations:
être toujours ensemble. C'était super parce qu'ils s'aidaient les uns les autres.
C'était une grande et prestigieuse famille grâce à ceux qu'ils attiraient du Sud, en raison de ce que mon grand-père faisait.
Les Beam, la famille du côté de votre mère, venaient de Memphis?
Oui. Certains venaient à Detroit pour les vacances chaque
été.
Alliez-vous à Memphis?
J'y suis allé une fois. C'était après que j'ai eu mon permis
de conduire. Conduire là-bas était une sacrée corvée. (Rires)
Lorsque votre famille organisait ces fêtes, qui venait?
C'étaient des amis de mes grands-parents, des
gens qu'ils connaissaient depuis l'enfance ou qu'ils avaient amenés du Sud.
Le Sud a toujours été très présent durant votre enfance…
Oh, oui. (Rires) Le Sud était toujours très présent parce
que ma grand-mère et mon grand-père avaient amené la plupart de ces gens à Detroit, la vie était meilleure à Detroit. Ils pouvaient gagner leur vie s'ils
choisissaient bien, et la plupart d'entre eux l'ont fait. Mes tantes et ma
famille étaient très drôles. J'avais un oncle, qu’on appelait «Oncle Willie», qui gagnait son argent en marchant dans la rue. Je marchais parfois avec lui mais je ne trouvais rien. (Rires) C'est toute une histoire, cette famille. Les
membres de ma famille pouvaient être très audacieux, prospères et très bien
informés, même s'ils n'étaient pas allés à l'université. Ma grand-mère a eu ma
mère à 14 ans, ou quelque chose comme ça, c'est l'une des raisons pour
lesquelles ma famille est venue à Detroit.
Avez-vous grandi à l'église?
Oh, oui, j'étais enfant de chœur à l'église épiscopale
méthodiste africaine d'Ebenezer.
Où viviez-vous à Detroit?
Notre appartement était sur Brush Street. C’était en face de l'hôpital Harper et de l'hôpital Grace. Maintenant, tout ce quartier est devenu l'hôpital Harper... Le quartier où je suis né n'existe plus. Il appartient maintenant à l'hôpital Harper. A l'époque,
c'était l'un des quartiers noirs à la mode, c’était un quartier chic à cause des hôpitaux. Mon grand-père a rendu tout cela possible, c'était un gars bien. Tout le quartier était noir. Le quartier commençait à Woodward Avenue, qui était la grande rue qui séparait l'est de l'ouest. Du côté ouest de Woodward Avenue se trouvait l'Université Wayne. L'ouest de Woodward Avenue était blanc, l'est était noir, à l'exception des deux hôpitaux. Et Woodward Avenue était l'une des rues principales parce qu'il y avait la bibliothèque de Detroit et le Detroit Museum of Arts, où mes grands-parents m'emmenaient tout le temps.
La plupart de vos souvenirs d'enfance viennent de cet appartement…
Oui. Ensuite, nous avons déménagé dans
un autre coin, vers le nord-ouest, un bien meilleur quartier. Nous nous sommes installés
dans ce quartier parce que ma grand-mère avait touché le gros lot. (Rires) Elle
a gagné à la loterie! (Rires) A cette époque, presque tout le monde jouait à
la loterie, on appelait ça les numbers (numéros). C'est ainsi que nous avons
acheté une nouvelle maison, et avons pu faire beaucoup de
choses, comme acheter une voiture. Beaucoup de Blancs quittaient ce quartier-là pour aller dans de meilleurs logements au nord de la ville. Mais pour nous, c'était haut de gamme parce que nous nous déplacions du centre-ville vers la partie nord de Detroit, qui était bien mieux que le quartier d'où nous venions. C'était plus propre; il y avait un grand supermarché juste au coin de la rue; c'était un quartier mixte. A cette époque, j'étais au lycée.
Quel âge aviez-vous lorsque vous avez emménagé dans votre
second domicile?
J'étais au lycée. Le quartier où nous avons acheté une maison était
un quartier résidentiel. Nous possédions une maison pour la première fois. Oncle
Willie, qui marchait dans la rue pour trouver de l'argent, gagnait plus
d'argent encore parce que c'est à ce moment-là que des parcmètres ont été
installés. (Rires) Il trouvait plus d'argent que la plupart des gens n'en
gagnaient en une journée. Il a gagné beaucoup avec ces machines! (Rires) Mais
ce n'était pas un escroc ou quoi que ce soit de ce genre, il était juste très assidu, très
intelligent. Il a réussi à se sortir de l'armée où il avait été enrôlé. Pendant tout le temps qu'il y a passé, il ne faisait absolument rien de ce qu'on
lui disait de faire, il avait une forte personnalité. Toute ma famille était
ainsi. (Rires)
La genèse et les effets des émeutes de Detroit de 1967 Article et vidéo par Radio Canada-Ohdio
Qu’en était-il du racisme à Detroit?
Il y a eu des émeutes raciales; en 1943, par
exemple, quand j'avais 5 ou 6 ans, je m'en souviens très bien. C'était
incroyable! Je m'asseyais à la fenêtre, et je regardais les Noirs venant du côté
est attaquer les gens sortant de l'hôpital Grace pour fumer une cigarette, les
médecins, les infirmières et autres, attaquer ces Blancs. Les gens revenaient
en courant à l'intérieur et ne ressortaient plus. C'était si triste pour moi
parce que je n'aimais pas qu'ils blessent les gens avec qui nous étions plutôt
amis. Avec les enfants de mon pâté de maisons ou de notre immeuble, nous
avions l'habitude de jouer sur le terrain devant l'hôpital Grace, une
sorte de pelouse.
Votre famille parlait-elle de ce qu'elle avait vécu dans le Sud?
Non, à moins que certains de leurs
amis soient à la maison et veuillent parler de ces moments. Mais ils ne
parlaient presque jamais des injustices ou de ce qu'ils avaient traversé. Quand ils invitaient des gens du Sud et que ma famille du Sud venait chez nous, nous découvrions bien sûr comment ils
allaient et ce qu’il s’y passait. C'était une conversation de famille au sein de la
famille, c'est ainsi que j'ai connu cette vie-là. Ils n'en parlaient pas en
profondeur.
Kirk Lightsey adolescent © photo X, Coll. Kirk Lightsey, extraite du site Coming & Going
Seul enfant de la maison, vous deviez être le roi, n'est-ce pas?
Ouais, je suppose que j'avais tout ce que je voulais.
(Rires) Ma mère a appris à lire la musique pour m'apprendre à lire la musique.
Elle est sans doute la principale force musicale de ma vie, mais elle ne jouait
pas de musique. Les professeurs m'apprenaient à lire aussi. A l'époque, les
professeurs me jouaient ma leçon. Je me souvenais de ce qu'ils jouaient, je rentrais chez moi, je le jouais au piano, et je le rejouais pour le professeur. Ils
pensaient que je lisais la musique jusqu'au jour où le professeur a retourné la
partition, et je l'ai quand même jouée. C'est alors qu'ils ont appelé ma mère, et elle a commencé à apprendre à lire la musique pour m'apprendre à lire. C'est à ce point que ma famille m'a soutenu. Ma famille adorait la
musique, ils avaient tous les derniers disques.Vous avez grandi en écoutant les disques de swing des années 1930… Absolument! Et il y avait toujours de la musique à la radio. Qui étaient vos professeurs de piano? Madame Tarver, notre professeur de chant à l'école primaire. Puis, elle m'a envoyé chez Madame Matthews qui m'a donné des leçons jusqu'à ce qu'elle m'envoie chez le frère de Tommy Flanagan, Johnson, lequel m'a envoyé chez Gladys Wade Dillard(1), qui a été la professeur de Tommy Flanagan et de Barry Harris. Vous alliez tous les vendredis soir avec votre mère au Paradise Theatre… Exactement, voir Duke Ellington dans son fabuleux costume et l'entendre parler. A l'époque, tant de gens venaient du Sud, vous entendiez l'accent du Sud partout. Mais quand vous entendiez Duke Ellington parler, il était incroyable! C'était un Noir qui parlait dans une autre langue –je veux dire– un anglais parfait. C'était énorme pour moi. L’entendre lui et son groupe, cela m’a beaucoup marqué. Il a toujours été mon groupe préféré. Je les voyais deux fois par an, il me semble. Au Paradise Theatre, on passait d'abord un film, puis il y avait un comédien, des danseurs, puis un orchestre. J'ai rencontré plein de musiciens parce qu’ils traînaient sur place. Votre famille était-elle proche de musiciens? Non, pas vraiment. Ils étaient juste là pour voir le spectacle. Etiez-vous attiré par un instrument en particulier ou juste par le feeling d’Ellington? C'était le feeling, le son de l'orchestre de Duke Ellington et la façon de parler de Duke. J'étais fasciné. Des années plus tard, quand j'étais à Los Angeles, Ellington était en tournée et j'ai séjourné dans le même hôtel que lui. J'ai eu la chance de rencontrer tous ses musiciens. J'ai toujours aimé le groupe d'Ellington. Je connaissais aussi l’orchestre de Basie, j'ai eu l'occasion de voyager sur la route dans le même bus qu’eux. Puis, en tournée avec O.C. Smith, tous les groupes se sont retrouvés un soir à Vienne. Miles était là aussi. Joe Clayton, notre joueur de congas, nous a pris en photo avec Miles et sa petite amie de l'époque, Cicely Tyson. Mais quand il a tiré les photos, rien n'est sorti, comme sous l’effet d’une force magique. Bennie Maupin nous racontait l'impact qu'Alice Coltrane avait eu sur lui. Elle était l’une de vos camarades de classe, n'est-ce pas? Oui. Elle et moi avons étudié avec Gladys Wade Dillard, qui a été aussi la prof de Johnson Flanagan, le frère de Tommy, et de Barry Harris. Nous faisions de petits récitals ensemble. Ensuite, Alice a joué et chanté avec un groupe assez populaire à Detroit, avec George Bohanon (tb); ils faisaient du très bon travail. Elle a arrêté, je ne me souviens plus pourquoi, mais elle m'a choisi pour la remplacer. George Bohanon et moi étions très proches. Nous sommes allés au même collège puis nous étions ensemble à Motown. Bennie Maupin a étudié à la Teal School of Music… Oh, oui! Rod Keeler, mon meilleur ami de l'époque, étudiait à la Teal School of Music. Mais ils n'acceptaient pas les Noirs dans l'orchestre symphonique à l'époque. Certains des meilleurs étudiants de Cass Technical High School, où j’étais, faisaient exprès d’échouer en fin d’années en attendant d’être en âge d'intégrer l'orchestre symphonique. Moi, je n'ai pas étudié à la Teal School, je ne prenais pas la clarinette assez au sérieux, même si la clarinette m'a valu une bourse à l'université et m'a évité de porter une arme dans l'armée.
La fanfare de la Cass Technical High School pour la parade annuelle de Thanksgiving, 1954 photo X, coll. Kirk Lightsey, extraite du site Coming & Going
Vous avez passé vos années à Cass Technical High School à jouer de la clarinette?
Oui, bien sûr. Il n'y avait pas de possibilité pour le piano. Qui étaient vos amis les plus proches durant ces années de lycée? Paul Chambers et moi courions après les mêmes filles. (Rires) En fait, Paul et moi n'avons jamais joué ensemble, mais nous traînions ensemble tout le temps. J'étais aussi proche de Hugh Lawson. Hugh jouait pour les bals. Lui et moi étions bons copains, et j'avais l'habitude d'aller assez souvent chez lui parce qu'il avait un piano. Nous nous asseyions et jouions ensemble, parcourions des chansons et ce genre de choses. On traînait ensemble au lycée; à midi, on allait jouer au billard; Hugh était le meilleur joueur de billard du coin, il remportait tout l'argent. Ron Carter était à Cass. Il jouait du violoncelle à l'époque. Un jour, Paul n'est pas venu à l'école, on pensait qu'il lui était arrivé quelque chose. Puis, on a appris qu'il était parti pour New York à l'invitation de Paul Quinichette. Il ne nous a pas dit au revoir. (Rires) Ensuite, nous avons appris qu'il avait obtenu le gig avec Miles. Tout au long de vos années à Cass, jouiez-vous du piano? Oh, oui, bien sûr! Je n'étais pas clarinettiste. Est-il vrai que vous passiez vos après-midis après l'école chez Barry Harris? Oui, en effet, avec tout le monde. Tant de gens se rassemblaient chez lui. Barry parlait des voicings et des gammes, des différentes approches, de ce que Bud Powell jouait et pourquoi. Barry était un fou de Bud Powell. Il adorait Bud! Qu'est-ce qui rendait Gladys Wade Dillard si exceptionnelle? Elle avait des capacités pédagogiques phénoménales. Elle nous apprenait non seulement le piano classique, mais aussi des petites choses jazzy; elle aimait le jazz. Elle respectait tout ce qui était musical. Quelques-uns de ses étudiants étaient des musiciens classiques noirs très célèbres. Elle était incroyable! Elle était notre personne préférée dans le monde musical. Pensez-vous qu'elle a influencé Barry Harris en termes de compétences pédagogiques? Je ne pense pas. Barry était un enseignant né; il est né avec ce don, et il a enseigné toute sa vie. Ensuite, il ne prétendait pas être enseignant; il ne rassemblait personne chez lui, c’est nous qui venions. Cela énervait tellement son épouse. Elle nous mettait parfois dehors. (Rires) De quoi parlait Barry durant ces après-midis? Des progressions d'accords, de la structure des accords, des doigtés, des gammes. Nous lui posions des questions; il demandait: «Montrez-moi comment vous faites ça?». Nous lui montrions, il nous corrigeait, et ça continuait comme ça. Bref, nous nous présentions chez lui tous les jours. Cela pouvait commencer par une question. Il débutait d'une manière différente à chaque fois. Il répondait à nos questions, et ça commençait comme ça. Ou il avait quelque chose de particulier à nous montrer quand nous étions chez lui. Et puis le soir, on allait le voir jouer de la musique avec un groupe. Pour l’hommage de Jazz Hot à Barry Harris, vous nous aviez envoyé un témoignage magnifique. Vous racontiez cette soirée où Barry Harris accompagnait Charlie Parker. Oui, en effet. Barry jouait avec Charlie Parker un soir, et nous le savions, Charles McPherson et moi. Nous sommes allés au Graystone Ballroom pour les écouter. Alors qu'on se tenait à la porte, attendant que Charlie Parker entre, il est venu, et s'est approché de nous en disant: «Je parie que vous jouez de la musique?», et nous avons répondu: «Oui, M. Parker. Nous vous attendions.». Nous étions ravis de porter son saxophone sur scène. Vous disiez que c'était là, la place de Barry Harris, sur une scène avec Charlie Parker. Oui, en effet, c'est très vrai, il connaissait parfaitement la musique de Charlie Parker. Il connaissait tout par cœur et savait ce que Bud avait joué sur chaque disque. C'est la raison pour laquelle nous avions choisi de traîner chez Barry tous les jours, parce qu'il pouvait tout nous apprendre. Il pouvait nous dire où nous nous trompions et quoi faire. Cette nuit-là avec Bird, nous regardions bouché bée la magie en train de se produire, la ressentant, en en faisant partie, et connaissant les gens qui la faisaient. Où avez-vous appris le blues? Eh bien, je ne sais pas. Cela venait de plusieurs endroits, le blues était un peu le feeling dans l'église où je suis allé, l’église épiscopale méthodiste africaine d’Ebenezer. C'était juste en face de chez nous, pas même à un pâté de maisons. Ma famille achetait tous les disques à cette époque et, bien sûr, il y avait beaucoup de chanteurs de blues à Detroit. Les pianistes qui venaient jouer pour les soirées chez nous, le week-end, jouaient aussi du blues… Avez-vous eu une association avec des bluesmen de Detroit? J'ai eu la chance de voir John Lee Hooker en personne. Je jouais en face du club où il jouait sur la 12eRue. Nous y sommes tous allés et l'avons écouté. Il était tellement content de nous voir parce que peu de gens venaient le voir. C'était un héros pour nous à l'époque. A l’adolescence, à part les fêtes chez vous, où entendiez-vous de la musique live? Aux bals de l'école. Certains des gars du coin jouaient dans la plupart des bals, et nous y allions. A ce moment-là, danser était à la mode, et tu ne pouvais pas danser tout seul. La danse était la clé, donc tout le monde dansait à cette époque. Detroit a une belle tradition de pianistes: Hank Jones, Willie Anderson (1924-1971) ou encore Abe Woodley… Qu'avez-vous retenu d’eux? Abe était un bon ami à moi. Hank Jones était déjà parti à New York. Je ne l'ai pas rencontré avant d'aller à New York. Willie Anderson était très important. Il faisait partie des aînés. Il était le plus âgé et le meilleur pianiste de Detroit pendant très longtemps. Je ne me souviens pas de ce qui lui est arrivé. Abe Woodley était aussi vibraphoniste; il me montrait tous les trucs que je n'obtenais pas de Barry Harris. (Rires) Quelle a été l'importance du World Stage, créé par Barry Harris, Kenny Burrell et Yusef Lateef? Barry et Kenny Burrell avaient lancé les soirées du mardi-soir où toutes les stars de passage en ville venaient. A l’époque, personne ne travaillait le mardi-soir. Donc, tout le monde se retrouvait au World Stage. Et c'est là que les jeunes ont eu la chance d'entendre tous les aînés, de jouer avec eux. Barry s’occupait de tout cela pour qu'il y ait environ trois sets. Le premier set était le groupe vedette choisi pour ce soir-là. Pour le deuxième set, Barry incluait des jeunes qu'il avait repérés pour soutenir les aînés. Quand on était choisi, on était nerveux, mais parce que c’était Barry, on savait ce qu’on allait jouer. Et on était prêt parce qu’on s'était préparé, et donc prêt à monter sur scène et à jouer. Barry jouait un rôle très important. Nous avons accompagné des musiciens comme Kenny Burrell. Tommy Flanagan était là parfois, Barry était toujours là. Et puis, pour le troisième set, Barry appelait différents musiciens pour jouer ensemble. Et c'était un grand rassemblement où tout le monde pouvait s'écouter. Quelle était votre relation avec les aînés? Il y avait beaucoup d'amour, c'était comme une famille. Les aînés vous prenaient à part et vous disaient ce que vous aviez raté, si vous aviez raté quelque chose, changé le pont ou si vous l’aviez oublié. Il y avait des gens qui étaient là tous les mardis, qui adoraient la musique et qui étaient dans tous les clubs toute la semaine à en écouter. Ils ne jouaient pas, ils n'étaient pas musiciens. Une fois où nous jouions un thème, je ne connaissais pas le pont, j'étais en train de le massacrer. Ces deux amis qui ne jouaient pas m'ont pris à part et m'ont chanté le pont; ces non-musiciens connaissaient les thèmes. (Rires) Et Tommy Flanagan? Tommy était un musicien plus libre. Lui, Paul Chambers et Elvin jouaient toujours ensemble. Tommy avait un style fluide, si doux. Il cherchait tout le temps des possibilités dans ce genre de choses. La drogue était-elle déjà partout à l'époque? La drogue était partout. Pas mal de musiciens se piquaient, mais ils n'étaient pas les meilleurs de notre famille. J'ai lu qu'Horace Silver était important pour vous dans ces années-là? Oh, oui, parce qu'il jouait avec Art Blakey. Horace Silver composait de la musique, et nous jouions sa musique. Il signait les derniers hits, tous les thèmes qu'il a écrits à l'époque. Il était très important pour nous. Je l'ai rencontré plusieurs fois, c’était un très bon gars, il avait une drôle de façon de jouer, je ne sais pas, je suppose que certaines personnes ont essayé de jouer comme lui. On aimait juste sa musique. Bennie Maupin racontait qu'un autre lieu privilégié pour les musiciens était la maison de Joe Brazil. Est-ce un endroit où vous alliez? C'est vrai, j’avais oublié. Je n’y traînais pas autant que les saxophonistes. Outre les pianistes, quels autres musiciens ont eu le plus d'impact sur vous? Bird et Trane, bien sûr. Impossible de ne pas citer Charlie Parker, c’est l'un des pionniers. Et il y avait là un tas de bons musiciens, comme Tommy et Elvin qui étaient toujours ensemble. Joe Henderson et moi étions de bons amis. Comment vous êtes-vous rapproché de Joe Henderson? J’avais un groupe avec le trompettiste Albert Aarons, le saxophoniste Beans Bowles et le batteur Roy Brooks (cf. également l'interview de Warren Smith). Et voilà Joe qui débarque de Detroit pour étudier à la Wayne State University. Sitôt qu’on l’a rencontré, on est partis en tournée avec lui tout un été. Quelle était votre relation avec le ténor Sam Sanders? Nous avons beaucoup joué ensemble dans divers endroits. C'était à l'époque des émeutes raciales. On jouait beaucoup aux meetings tenus par Elijah Muhammad(2).
Terry Pollard, A Detroit Jazz Legend, Fresh Sound Records
Quelle était votre relation avec la pianiste Terry Pollard?Terry et moi étions de très bons amis; elle et mon épouse étaient encore plus amies. Terry était une femme merveilleuse et une grande pianiste. J'ai joué avec elle quelques fois quand elle jouait du vibraphone. Elle connaissait beaucoup de musiques; elle ne jouait pas comme les autres. Elle a été l'une des premières femmes pianistes à jouer du jazz à Detroit. Alice Coltrane était là, mais Terry était le niveau au-dessus. Elle a travaillé avec Terry Gibbs (Alice McLeod-Coltrane également). Elle a joué avec la harpiste Dorothy Ashby. Elle était gentille, douce, très intelligente. Il semble qu'à cette époque il y avait un grand sentiment de camaraderie entre musiciens? C'est parce que tout le monde se connaissait. A un moment donné, tout le monde jouait ensemble au World Stage.
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A l'adolescence, comment aviez-vous accès aux clubs?
On se peignait des moustaches. (Rires) Et quand on
ne pouvait pas entrer, on s'asseyait devant le club parce que la plupart du
temps le groupe jouait près de la fenêtre du club. Donc, on était dehors et on écoutait la musique quand même. A
la pause, les musiciens sortaient pour fumer, et on les rencontrait.
Il y avait tellement de musique, partout, de tous les niveaux et de toutes
sortes. Certains étaient des groupes de blues, d’autres de Motown…
Toutes sortes de groupes. Mais la plupart étaient des groupes de jazz.
Le Three Sixes était-il un club important à l'époque?
Le Three Sixes était un vieux club de Detroit, de l'époque
de ma mère. Je ne sais pas si elle m'y a emmené ou si nous y sommes seulement passés
jeter un coup d'œil, parce que c'était un club très célèbre à l'époque. J'étais vraiment jeune, bien trop jeune pour y aller seul. C'était il y a
très longtemps, j'avais 8 ans ou quelque chose comme ça.
Le Flame Show Bar?
Un soir, j'y ai vu Ray Charles. Non seulement, il chantait et
jouait du piano, mais il a également joué du saxophone alto. (Rires)
Et puis, il y a le Hobby Bar où Terry Pollard et Alice
Coltrane ont eu un engagement.
C'est là que Yusef Lateef a tenu un gig pendant de
nombreuses années. Les meilleurs pianistes de la ville ont joué avec lui à
un moment ou à un autre.
N'est-ce pas au Hobby Bar que vous avez eu votre premier gigimportant?
C'est vrai…
Dans quelles circonstances avez-vous rencontré Miles Davis?
Miles est revenu à Detroit, avec Paul Chambers. Nous allions
les voir d'abord pour accueillir Paul à bras ouverts, et lui montrer à quel point
nous étions fiers de lui, et pour rencontrer Miles, si possible. Je pense que
j'étais debout au bar, Miles aussi, et l'un de nous s'est
approché. Je ne savais pas quoi lui dire, alors, j'ai dit: «Bonjour, Mr. Davis, elle
est superbe la bague que vous portez. Où l'avez-vous achetée?» (Rires). Il a répondu:
«Macy's» –une chaîne de grands magasins–, il a pris son verre et a quitté le bar.
C'était ma première rencontre avec lui. (Rires) Après ça, je l'ai rencontré
dans toutes sortes de contextes.
Miles jouait à cette époque avec Red Garland, Philly Joe Jones et John Coltrane…
Ouais. J'avais joué avec Trane avant ça; c'est la seule fois de
ma vie, à l'hôtel Westin, j'y jouais avec Yusef. Il est venu un soir, et m'a
demandé ce que je voulais jouer. Nous avons fini par jouer un blues pendant
environ une heure!
Quels pianistes en dehors de Detroit ont eu un impact sur
vous?
Red Garland, Horace Silver, Ramsey Lewis, Chris Anderson,
Gene Harris…
Comment avez-vous trouvé votre propre voix musicale?
Eh bien, tant de gens essayaient de jouer comme Bud Powell,
surtout Barry. J'écoutais davantage Tommy Flanagan et des gens qui avaient leur propre
voix, je ne voulais pas copier Tommy. Mais quand tu écoutes autant quelqu'un,
forcément tu joues un peu comme lui. Mais je n'ai jamais pensé que je jouais
comme Tommy; je voulais simplement jouer avec fluidité et douceur, pas comme les
autres pianistes de l'époque. A force d’entendre Bud, certaines choses sont
restées, c’est comme ça…
Que pensiez-vous du duo Charles McPherson et Lonnie Hillyer?
C’étaient les étudiants choisis par Barry. Ils jouaient
comme Bird et Dizzy. Barry jouait avec Charles, et poursuivait son investigation avec Parker de la même manière qu'il poursuivait ce processus avec Bud.
Kirk Lightsey à la flûte, Jazz à Vienne, 2012 © Pascal Kober
Bennie Maupin racontait à quel point le World Stage l’avait
marqué. Et notamment, il se souvenait avoir vu Yusef Lateef expérimenter les flûtes et le basson…
J'adore le son que Yusef avait à la flûte, c'est pourquoi
j'ai appris la flûte moi-même. Je voulais jouer du blues à la flûte. Plus tard,
j'ai appris à jouer du hautbois, du basson, de la clarinette basse et du
violoncelle…
Vous avez dit que les deux groupes les plus populaires
étaient ceux de Yusef Lateef et de Barry Harris…
Le groupe de Yusef était plus oriental, avec une sonorité
parfois africaine, parfois indienne, plus éthérée avec
des métriques différentes, mais pas toujours. Barry avait des morceaux exceptionnels qui l'emmenaient dans d'autres directions, mais quand il jouait du blues, tout le monde dansait, Barry
était Barry. Il y avait aussi le groupe de Tommy Flanagan.
Il jouait beaucoup en trio, généralement avec ses
gars à lui. Du coup, le public allait et venait d’un club à l’autre. (Rires)
Qui vous a embauché à Motown?
Berry Gordy, il traînait dans les clubs, il a écouté tout
le monde. Après avoir lancé Motown en 1958, un soir, il m'a juste glissé un papier qui m'invitait à me rendre, le lendemain matin, à Hitsville, le premier
siège social et studio d'enregistrement de Motown. Je
n'avais aucune idée de ce dont il s'agissait. J'y suis resté environ un an et demi, ou quelque chose comme ça. C’était le début de Motown et tout était merveilleux
là-bas, mais le seul problème était que, quel que soit le temps que vous passiez sur un enregistrement, vous n'étiez payé que pour la prise finale, que cela vous ait
pris deux prises ou deux jours. C'est
pourquoi j'ai finalement quitté Motown, et j’ai repris la route.
Comment fonctionnait Motown?
Nous jouions des morceaux, mais ne savions pas avec quels
groupes ils seraient assemblés ni avec quels chanteurs. On nous donnait une ébauche ou une ligne de base et quelques
grilles d'accords. Nous devions en faire un groove, quelque chose qu'ils pourraient
utiliser. Lamont Dozier était là, il a été l'un des premiers compositeurs que
nous avons rencontrés à Motown.
Avec quels musiciens?
Il y avait toutes sortes de musiciens. Je me souviens que Stevie Wonder a trouvé le groove que notre batteur n'avait pas pu obtenir avec le
bassiste James Jamerson; Stevie l'a trouvé à la batterie en cinq minutes. Nous
essayions depuis quelques jours de trouver quelque chose comme ça. (Rires) C'est dire à
quel point Stevie était magique, il devait avoir environ 12 ans. Les Four Tops étaient le groupe avec lequel j'ai le plus joué avec Roy Brooks
et Ernie Farrow, le frère d'Alice Coltrane. Nous sommes allés à Las Vegas avec
eux, l'un des plus grands moments de ma vie. (Rires) A Motown, il y
avait aussi les Supremes, des jeunes filles à l'époque. Elles attendaient
devant la porte du studio que leurs parents viennent les chercher…
Qu'avez-vous fait avant de rejoindre l'armée, en
1960?
Stanley
Cowell m'avait demandé de le remplacer
pour un de ses concerts dans un hôtel à Toledo, dans l’Ohio, le week-end, du
jeudi au dimanche. Puis, ce trio a obtenu un gig à Chicago. Nous partagions la
scène avec Carmen McRae. Après notre concert, nous allions sur Rush Street où
se trouvaient tous les autres clubs. C'est là que j'ai rencontré une chanteuse
appelée Teri Thornton. Nous sommes devenus proches et avons beaucoup joué
ensemble, je passais donc beaucoup de temps à Chicago. Cette scène était un
peu plus blues, un peu plus funky. Ensuite, j'ai reçu cette lettre qui me
forçait à entrer dans l'armée.
Stanley Cowell et vous étiez proches?
Stanley était un très bon ami à moi, il vivait dans l'Ohio.
Il venait souvent chez moi, à Detroit. Il avait un jeu différent du mien. Le son
qu’il avait était plus clair, et pas aussi fluide que celui de Tommy Flanagan.
Il a changé au fil des ans. C'était un grand musicien. Et certaines des choses
que j'ai ajoutées à mon répertoire sont venues de l'avoir entendu lors de son
concert de fin d'études à l'Université du Michigan, c'étaient surtout des
choses classiques.
Alliez-vous aux jam sessions et after-hours à Chicago?
Oui, nous allions en voir beaucoup à Rush Street. Il y
avait des clubs en face les uns des autres, et nous allions d’un club à un
autre. Ramsey Lewis était l'un des nombreux musiciens à Chicago à l'époque.
Joe Henderson, Kirk Lightsey, Herman Wright et Roy Brooks © photo X, Coll. Kirk Lightsey by courtesy,
extraite de Before Motown de Lars Bjorn et Jim Gallert (Gallert Collection)
A Detroit, avant d'aller à l'armée, vous aviez une section
rythmique avec Herman Wright (b) et Roy Brooks (dm).
Oui, et nous avons accompagné Joe Henderson. Nous avons
beaucoup joué ensemble. Nous avons joué pendant trois mois dans une station
balnéaire noire avec Albert Aarons (tp) et Herman Wright. Nous avions un
batteur de Chicago, dont j'ai oublié le nom, qui a eu un accident, ensuite, Roy
Brooks est entré dans ce groupe. Herman Wright était un vrai gardien du tempo, un musicien complet. Roy Brooks était très créatif. Notre rythmique a accompagné tant de jazzmen de passage à Detroit à l'époque!
Hugh Lawson a aussi beaucoup joué avec Herman Wright et Roy
Brooks.
Oh, oui! Nous avons tous joué ensemble. Quand un pianiste n’était
pas disponible, il en appelait un autre, nous nous connaissions tous. Mais chacun
avait son équipe; Herman Wright et Roy Brooks étaient mes gars à moi.
Joe Henderson était un esprit libre…
Joe n’est pas devenu meilleur, il a toujours été génial, jusqu'au jour de sa mort, aussi grand que lorsque nous l'avons rencontré à Detroit. C'était un esprit musical magique, il n’apprenait pas au fur et à mesure, il savait déjà tout, semble-t-il. Il est né avec cette magie musicale. Et il pouvait jouer avec n'importe quel groupe, n'importe quelle musique, lire la musique à l'envers et à l’endroit. Il savait écrire, composer. Tommy était aussi un esprit libre, Roy Brooks également qui créait d'autres sons à la batterie.
Qu'appréciiez-vous
chez Joe?
C'était quelqu'un de discret. Quand il est arrivé à
Detroit, la première fois, il est resté à la maison pendant quelques semaines,
jusqu'à ce qu'il trouve un logement. Il logeait chez ma mère. Un jour, j'étais sorti acheter quelque chose et, quand je suis revenu, la radio était allumée et
passait du Coltrane. Joe était en larmes. Je lui ai demandé
ce qui n’allait pas, et il a répondu: «Trane joue mes trucs». Coltrane jouait ses
trucs –c'est ce qu'il a dit–, et il pleurait à cause de ça! C'est dire à quel point Joe était
avancé, il n'admirait pas Coltrane, c’est Coltrane qui jouait ses trucs!
Joe était-il considéré comme une force musicale à Detroit à
l'époque?
Il a rejoint les maîtres du jazz, mais il ne s'est jamais forcé, dans
aucune situation. Il a toujours été sollicité, et il était très bien payé parce qu'il
était si génial. C'est pourquoi je dis qu'il n'est pas devenu le géant
qu'il était à sa mort. Il l'a toujours été, dès le premier jour où nous nous
sommes rencontrés.
Qu’avez-vous appris de lui?
Eh bien, il me montrait des voicings meilleurs que ceux que
j'utilisais. Il me montrait différentes choses au piano que je n'avais pas
apprises de Barry Harris ou à l'écoute de Tommy Flanagan. Il me montrait des raccourcis pour aborder certains tournants des
thèmes. J'ai tellement appris de lui!
Partageait-il des anecdotes avec vous?
Pas vraiment. Il ne parlait pas beaucoup de son passé. On se
retrouvait au concert. Ce n'était pas un bavard, c'était un
gars tranquille.
J’ai lu qu’Elvin Jones ouvrait les stores au Bluebird Inn où il jouait pour que les jeunes puissent regarder et écouter.
Les jeunes se réunissaient à l'extérieur parce que le
propriétaire, Clarence, qui connaissait la plupart des jeunes, laissait parfois entrer
certains d'entre eux, et les mettait dans un coin pour qu'ils puissent être proches d'Elvin
ou de celui qu'ils essayaient d'écouter ou qui était leur prof. Il y avait tellement de musiciens à cette époque,
je ne me souviens plus de tous les noms. Et donc, Elvin ouvrait les stores. Il
aimait aussi voir les gens le regarder, et son groupe donnait un spectacle
pour les jeunes. A l'époque, quand ces gars plus âgés entendaient de jeunes
musiciens possédant de grandes chances de devenir musiciens, ils
les inspiraient, les encourageaient et leur parlaient. C'est pour cette
raison que le World Stage a été si important pour nous, et c'est pourquoi c’était
toujours bondé. Les chaises étaient comme des chaises de plage pliantes, vous étiez
à l'aise et écoutiez de la bonne musique. C'était une grande salle.
Avez-vous eu d'autres engagements de longue durée avant d'aller à l'armée?
J'ai joué au Frolic Show Bar, peut-être pendant deux ans. Nous avons accompagné des gens comme Alberta Adams et Betty Bebop Carter.
Quelles ont été vos premières impressions en arrivant à Fort
Knox, pour l'armée?
Eh bien, Fort Knox était si grand, et il y avait un groupe
d'entraînement où se retrouvaient les musiciens qui arrivaient là-bas. A l’arrivée, vous étiez en formation pour devenir un soldat; cela a été le
moment le plus dur pour moi: porter un fusil et ramper dans la boue, et tout
ça… Après, vous passiez un entretien pour savoir dans quel secteur vous seriez dans
l'armée, à Fort Knox. Et c'est là que je leur ai raconté mon histoire musicale
et que j'ai eu mon autorisation. Ils m'ont mis dans l'un des orchestres de
l'armée, dans l'un de ceux où Cannonball Adderley avait été autrefois sergent-chef.
Kirk Lightsey, toujours avec Cecil McBee 50 ans après, avec Billy Harper, David Weiss, Billy Hart (The Cookers),
2010, La Seyne-sur-Mer © Photo Alain Dupuy-Raufaste
Qui étaient vos compagnons, à part Cecil McBee? Beaver Harris
était-il toujours là?
Je pense qu'il était déjà parti. J'ai rencontré des
personnes qui vivaient à Louisville, près de Fort Knox, qui traînaient en ville.
Louisville, comme l’armée, était ségréguée. Quel souvenir
gardez-vous de la ségrégation dans le Kentucky?
Une fois, lorsque mon épouse de l'époque m'a rendu visite,
je portais mon uniforme parce que nous avions joué une marche à Louisville avec
l’orchestre de l’armée. Nous avons voulu dîner dans un restaurant près de Fort
Knox, et on ne m'a pas laissé entrer. L'armée était un peu ségréguée
aussi. De nombreuses situations comme celle-là se sont produites. Nous étions
choisis en fonction de nos compétences et de notre éducation ou de notre place
dans l’orchestre. Je voulais aller en Allemagne, mais on ne m'a pas laissé sortir
de Fort Knox parce qu'il n'y avait pas assez de clarinettistes.
Comment se déroulaient les journées?
On se réveillait le matin, on jouait une marche pour le lever du drapeau. Ensuite, on revenait déjeuner. Il y avait une grande
table de billard au premier étage de la salle de répétition. On pouvait jouer
tout ce qu’on voulait sur différents pianos. On se réunissait en groupes pour jouer au club des officiers, pour
les clubs ordinaires, divers bals et événements spéciaux organisés à Fort Knox.
Et il y avait plusieurs clubs à Louisville où nous allions faire des concerts. Il
y avait de bons musiciens autour de Louisville. J'ai gagné beaucoup d'argent
dans l'armée. (Rires) Parce que nous allions jouer le soir à Louisville, je
jouais de la musique jour et nuit. Après quelques mois, nous
avons loué, à quelques-uns, un appartement à Louisville. Si nous jouions trop tard, nous pouvions
dormir en ville et revenir à temps pour changer de vêtements et nous présenter au lever du drapeau, le matin. Nous étions en permission chaque week-end. Une fois, avec
Rudolph Johnson et un tas d'autres gars, Cecil peut-être, nous nous sommes tous
entassés dans une voiture et sommes allés à Detroit pour voir Coltrane; nous
avons attrapé son dernier set. A l'époque, Trane ne s’arrêtait jamais de jouer, il continuait pendant la pause. Il allait dans le vestiaire et jouait, jouait,
jouait. Il travaillait sur certaines recherches en particulier, et jouait jusqu'à ce
qu'il remonte sur scène. Le groupe commençait avec ce qu'il venait de jouer en
dehors de la scène, c'était incroyable d’assister à ça! Plus tard dans ma
carrière, après qu'il a épousé Alice, chaque fois qu'il était en ville,
j'allais traîner avec eux et parler un moment. Il est devenu une sorte de
connaissance à moi, mais nous ne traînions pas beaucoup ensemble. Quand nous parlions,
Alice et moi lui racontions notre enfance et comment nous avions grandi
ensemble. Trane ne parlait pas beaucoup.
De quelle manière les saxophonistes vous ont-ils influencé?
C'était la façon dont ils me parlaient de certains
de leurs voicings qu'ils changeaient sur certains accords à certains endroits
de certains thèmes. Et j'apprenais à glisser sur certaines parties des thèmes et
à les faire sonner d'une autre manière pour les mener au pont. Chaque musicien avait une manière différente
d'aborder un thème. A cause de ça, étant leur accompagnateur dans
l'orchestre, j'en apprenais davantage sur les intervalles et les approches des
différentes sections et sur toutes les manières de jouer des thèmes. A
partir de ces informations, qui provenaient de tant d'endroits différents, j'ai
beaucoup appris sur les voicings, sur le jeu, sur mes propres idées du jeu et sur la façon de sculpter la musique. Et s'ils savaient quelque chose qui
pouvait enrichir vos connaissances, ils partageaient l’info. C’était une belle
période d'apprentissage. J'ai abandonné ma bourse à l'Université Wayne après
environ un an et je suis parti sur la route. Etre sur la route a été ma
formation universitaire.
Cecil McBee, Marseille, Cri du Port, Théâtre Toursky, 1984 © Ellen Bertet
Revenons à Fort Knox et à l'une de vos plus longues amitiés, Cecil McBee. (cf. Jazz Hot n°482, n°581)
Oui, je l'ai rencontré à l'armée, tout comme Rudolph
Johnson. Nous étions dans le même orchestre. Rudolf Johnson était alors
saxophoniste. Et Cecil, qui jouait de la clarinette à l’armée, pratiquait la contrebasse
dans les toilettes, la nuit. C'était le gars qui courait après les filles (Rires) et un musicien très doué. Il avait joué dans sa ville natale, à Tulsa,
Oklahoma, avec des groupes qui étaient plutôt célèbres. Ce n'était pas un grand
clarinettiste, mais il était assez bon pour être dans l’orchestre. Après un
certain temps, il a été promu de caporal à sergent. Son attitude a changé, nous
l’appelions «César». (Rires) On s'est beaucoup moqué de lui, mais il était cool.
Il a quitté l'armée environ six mois avant moi. Il est retourné à l'université
pour terminer ses études. Quand il a terminé, j’avais été démobilisé, et je
l'ai invité à Detroit.
A Fort Knox, vous aviez un groupe avec Cecil et Rudy
Johnson.
Je ne me souviens plus vraiment qui
était le batteur, je pense que c'était un gars de Louisville. Il y avait un
pianiste noir à Louisville, qui avait le gig principal. Lui et moi sommes
devenus de grands amis. Le club dans lequel il jouait était notre lieu de ralliement presque tous les soirs quand nous pouvions sortir de Fort Knox. Nous passions
toujours par ce club. Puis, nous avons trouvé un autre gig dans un endroit du
centre-ville. Nous y avons joué pendant environ un an, presque tous les soirs,
au moins du mercredi au dimanche. Nous avons gagné pas mal d'argent pendant
cette période. Nous avons acheté des voitures et toutes sortes de choses. Une
fois, en 1960, l'orchestre de l'armée a joué à l'Hippodrome de Louisville en
l'honneur de Cassius Clay (Mohamed Ali). Il avait remporté les Gants d'Or.
Comme il était de Louisville, il y avait eu cette grande cérémonie. Au milieu de
la cérémonie, il en a eu assez de rester assis à écouter tous ces discours à la
con, et il est venu traîner avec le groupe. C'était un gars formidable, qui
plaisantait et s'amusait avec nous.
Quelle a été l'importance de cette expérience musicale
pendant l'armée dans votre développement personnel?
C'était génial parce que nous avons rencontré d'autres excellents
musiciens dans la même situation. Eux aussi avaient dû rejoindre l'armée, et nous
jouions dans le même orchestre. Nous avons donc eu la chance de jouer avec
d'autres bons musiciens, de les côtoyer, de jouer au billard, et de nous lier
d'amitié avec eux, et ils ne représentaient qu'une partie de l'orchestre de
l'armée. Tout le monde était sur un pied d'égalité, personne ne pensait être le
meilleur, parce que tout le monde subissait les mêmes conneries de l'armée. Nous
sommes devenus de grands amis au sein de l'armée.
Après Detroit et Chicago, jouer tous les soirs à Louisville vous a-t-il aidé à façonner votre voix?
Oh, bien sûr. Le simple fait de jouer tous les soirs avec
des personnes différentes et de jouer d'autres musiques que d'autres personnes
connaissaient m'a aidé à façonner mes propres idées sur la façon
d'accompagner. J'avais accompagné beaucoup de gens avant d'entrer dans l'armée
et de très bons musiciens à Detroit. Cette période a rassemblé toutes ces
expériences. Joe Henderson a été enrôlé à peu près au même moment que moi, bien que basé dans une autre ville. Je ne sais pas comment il s’est retrouvé
à jouer dans le spectacle de l'armée, intitulé «Rolling Along Show». Il se
rendait dans toutes les bases militaires pour divertir les troupes. Quand le
spectacle est arrivé à Fort Knox, j’ai demandé à Joe: «Où est ton saxo?». Croyez-le
ou non, il jouait de la contrebasse! (Rires) Joe savait aussi jouer du piano. Il
pouvait jouer de n'importe quel instrument. C'était un génie!
A cette époque, vous tombez amoureux du basson.
C'était beaucoup plus difficile que la clarinette que je
connaissais alors très bien. J'ai commencé à étudier le basson à Louisville
avec un excellent professeur. Pendant le week-end, je jouais du basson dans
l'orchestre local, c'était aussi une excellente expérience d'apprentissage.
C'était un simple orchestre, il y avait des jeunes mais aussi des personnes
plus âgées qui n'étaient pas de grands musiciens mais essayaient de jouer. Il y
avait des gens qui étaient assez bons mais qui n'avaient pas le temps ou qui
faisaient autre chose de leur vie, et ils voulaient continuer à jouer de la musique.
Plus tard, quand j'ai quitté l'armée, lors d'une des émeutes de Detroit, des
amis à moi ont retrouvé des instruments volés. Alors, j'ai acheté un basson
Heckel pour 200 dollars. Je l'emportais partout avec moi. Une fois, je
voyageais avec Damita
Jo, qui était
une chanteuse de très haut niveau, et j'en ai joué avec elle. J'adore le
basson, le son de cet instrument, sa place dans l'orchestre, au milieu de
l'harmonie d'un orchestre, cela donne au pianiste de nombreuses idées sur la
façon dont les voicings pourraient être au piano, sur comment fonctionnent les
voicings et les lignes, et comment cela sonne dans l'orchestre. J'essaie de
faire ça au piano. Faire du piano un orchestre.
A votre retour de l'armée, la ville de Detroit avait-elle beaucoup
changé?
Tant de musiciens avaient quitté la ville pour aller à New
York! De jeunes musiciens avaient repris la première ligne des musiciens de Detroit.
Motown est l'une des choses qui m'ont retenu, et mes vieux copains m'appelaient
tout le temps, donc, je travaillais toujours, je n'avais pas besoin de quitter
Detroit. Ensuite, j'ai quitté ma deuxième épouse, j'ai pris un grand loft dans
un quartier mixte. Beaucoup de juifs avaient quitté ce quartier. Quand je
suis sorti de l'armée, j'avais beaucoup d'argent, grâce aux gigs à Louisville. Et
je m'étais marié pendant l'armée parce que ça multipliait mon salaire militaire par
deux ou trois. Tous les musicos venaient chez moi quand ils étaient de passage en
ville, Cedar Walton et Freddie Hubbard s'arrêtaient toujours chez moi.
Vous sentiez-vous plus avancé musicalement?
Oh, oui, et je l'étais! J'avais joué beaucoup plus de musique à tous les niveaux. A Detroit, j'ai commencé à jouer avec le frère de Joe
Henderson, Leon Henderson. Nous nous sommes rencontrés à Louisville parce que
je pense qu'il étudiait là-bas. Nous sommes devenus de grands amis. Quand je
suis revenu de l'armée, il s'était installé à Detroit aussi. Il faisait partie
du groupe que nous avions créé avec le trompettiste Charles Moore. Il nous a
tout appris, vraiment, comment répéter en groupe… Leon Henderson et moi
répétions chez moi tous les jours.
Leon et Joe Henderson se ressemblaient-ils?
Leon jouait très bien, un peu comme Joe. Je veux dire, il
avait une approche différente, mais il était à peu près du même niveau que Joe, c'était un excellent musicien. Je ne pense pas qu'il ait jamais quitté Detroit.
Il s'est marié et a fondé une famille, ce qui l'a ancré davantage dans cette
ville.
Qu’était le Instage?
C'est un collectif que j'avais créé. Un mélange d'artistes,
de danseurs, d'acteurs, de musiciens. Nous organisions un spectacle avec tous
les membres de ce collectif au Grand Théâtre au sein du Detroit Institute of
Arts (l’un des plus grands musées des Etats-Unis), au moins une ou deux fois
par an, pendant quelques années. Des artistes visuels créaient les décors,
d'autres le son, des musiciens prenaient en charge la musique, etc. Et ça a
marché. Ça a tellement bien marché que lorsque j'ai quitté Detroit, l’un de mes
amis, le batteur Doug Hammond, venu à Detroit depuis la Floride, a monté un collectif
similaire à Detroit, intitulé «Something
Else». Il a poursuivi mon projet. Instage était un grand collectif de
personnes. Nous nous réunissions dans mon loft, une
fois par semaine ou chaque fois que c'était nécessaire pour tout préparer
ensemble. Nous avons investi du temps et de l'argent pour organiser ces spectacles.
Et ça a vraiment marché. J'étais donc ravi quand Doug a continué. En fait,
grâce au Instage, j'ai rencontré Famoudou Don Moye, il est devenu
l'un de mes gars. Nous nous parlons au téléphone tous les jours aujourd'hui…
Avez-vous pu gagner de l'argent avec le Instage?
Assez pour récupérer ce que nous
avions investi.
Les Leaders: Kirk Lightsey, Cecil McBee, Lester Bowie, Chico Freeman, Famoudou Don Moye, Arthur Blythe,
La connexion entre Detroit et l'AACM de Chicago à Marseille en 1998 © Ellen Bertet
Avez-vous été impliqué dans l'AACM?
Oui, j'ai joué avec eux en Italie lors d'une petite tournée
avec Lester Bowie, Don Moye et l'Art Ensemble of Chicago.
Vous sentiez-vous proche de ces musiciens, de leur esthétique
et de leur style de musique?
Oh, oui. Trane avait poussé la musique plus loin, puis cela
n'a cessé de s'étendre. L’Art Ensemble of Chicago l'a poussé le plus loin
possible.
Comment avez-vous rencontré Herbie Hancock?
La chanteuse Teri Thornton et moi répétions ensemble dans un studio de radio à Chicago. Teri et moi parlions d'une chanson dont nous n'étions pas sûrs. Herbie Hancock est passé, et il a entendu ce que nous faisions. Il est entré et a dit: «Hé, dans ce que tu viens de jouer, pourquoi n'essayes-tu pas ceci?», il avait raison. Et c'est ainsi que nous nous sommes rencontrés. Nous sommes de bons amis depuis lors. Je connais Herbie depuis qu'il est avec Miles. Quand lui et Ron Carter étaient à Detroit, ils m’appelaient, et je les pilotais à travers Detroit, on traînait ensemble. Je les ramenais à la maison, et on se mettait au piano.
Etiez-vous un mordu de McCoy Tyner?
Oui, je l’ai toujours écouté; j'ai toujours imaginé que je pouvais le remplacer dans le quartet de Coltrane. Je l'ai rencontré un
jour à Chicago…
Qu'appréciiez-vous chez McCoy Tyner en particulier ?
Il avait une approche différente du piano. C'était
complètement différent de ce que nous avions étudié. Son approche du piano et sa
façon d’accompagner Trane étaient tout simplement incroyables! Cela semble si
simple, mais la façon dont il abordait certaines situations était ce que nous
essayions d'atteindre à Detroit. Et c'était, lui-aussi, un gars discret. Une fois,
nous étions sur la même affiche. Je jouais avec Dexter (Gordon),
et ne savais pas comment j'allais pouvoir jouer après McCoy. Je lui ai demandé: «McCoy, écoute, comment
jouer après toi, après tout ce que tu as joué?». Il a répondu: «Monte sur scène, et sois toi-même!» Et il avait raison.
Kirk Lightsey, John Heard, Dexter Gordon
© photo X, Coll. Kirk Lightsey by courtesy, extraite du site Coming & Going
Avez-vous eu d'autres leçons de vie?
Une fois, avec Dexter, je ne sais plus où nous étions, il a
joué de toute son âme et, quand il a fini, il a reçu une standing ovation. Puis,
à mon tour, j'ai joué et joué, joué, joué. Quand j'ai fini, silence. La salle
était complètement silencieuse. Je savais que j'avais très bien joué, mais je
me disais: «Qu'est-ce que je fais maintenant?» Dexter m'a vu au bord des
larmes. Il est venu et m’a dit: «Ils étaient subjugués». Et c'était l'une des
grandes leçons: joue de toute ton âme et n’attends rien en retour, il s'agit de
donner. Cela a changé ma vie, vraiment! Parce que c'est la plus
grande ovation que vous puissiez recevoir, encore mieux qu'une ovation: le silence absolu. C'est presque comme une
prière.
Vous a-t-il fallu du temps pour le comprendre?
Non, j’ai pigé tout de
suite. Dexter savait que je comprendrais, et c'est pourquoi il me l'a dit.
Parce qu'il m'avait regardé tout le temps du solo, jusqu'à ce qu'il doive reprendre.
Parfois, le silence est encore meilleur qu'une standing ovation.
Cecil McBee, Marseille 1998 © Ellen Bertet
Quand vous avez quitté l'armée, vous avez obtenu un engagement au
Hobby Bar avec Cecil McBee.
Oui, j'ai alors invité Cecil à venir à Detroit. Il a logé
chez ma mère pendant six mois, ou quelque chose comme ça. Ensuite, nous avons
fait venir George Goldsmith, notre batteur préféré, l’un des gars
qui traînaient avec nous. Nous avons passé un bon moment ensemble. Nous avons
joué cinq soirs par semaine pendant au moins un an. Et nous invitions d'autres musiciens
à se joindre à nous. Cecil et moi étions très proches.
Combien de sets jouiez-vous au Hobby Bar?
Deux ou trois. Nous commencions vers 21h et terminions vers
1h du matin, ou quelque chose comme ça. C'était un club, peut-être de 100
personnes. Et c'était un bon gig. Cela a duré assez longtemps.
Est-ce Bob Cranshaw ou Denny Zeitlin qui a conseillé à
Cecil d'aller à New York?
Je n’en suis pas sûr, mais Cranshaw était l'un de nos bons
amis. Denny était également psychiatre, et c'est avec lui que Cecil a quitté
Detroit pour aller à San Francisco. Lorsque Cecil est parti, Ernie Farrow l'a
remplacé au Hobby Bar.
Vous avez
quitté Detroit pour Los Angeles avec le chanteur O.C. Smith, n’est-ce pas?
Effectivement, je suis allé à L.A. avec lui. J'ai quitté Detroit une
première fois pour aller à New York avec Melba Liston. La fois suivante,
c'était avec la chanteuse Damita Jo.
A New York en 1965, vous avez enregistré avec Chet Baker (cf. Jazz Hot n°327 et n°405), soutenu par George Coleman, Herman Wright et Roy
Brooks, des sessions fameuses qui ont donné cinq albums.
Je suppose que Roy Brooks avait mis ça en place. Les
sessions d'enregistrement ont fini par durer une semaine entière avec Chet,
George Coleman, Sonny Stitt et Benny Green. Cela alors que Brooks et
moi accompagnions Damita Jo à Atlantic City. Chaque jour, nous allions à New
York et passions la moitié de la journée en studio. Là, l’arrangeur du morceau
suivant était assis dans la salle de contrôle et préparait le morceau à venir. Dès que nous avions fini avec un morceau, il en distribuait un autre. Nous
avons enregistré tellement de musique qu'ils ont sorti cinq albums.
A l'époque, vous semblait-il plus important de jouer avec Sonny Stitt qu’avec Chet Baker?
Oui,
parce qu'on écoutait Miles, et à Detroit tout le monde se moquait un peu de Chet parce qu'on pensait tous qu'il copiait Miles. Nous avons compris plus tard
que Chet était en fait un autre type de personnalité: il chantait comme il
jouait. Depuis, nous sommes devenus de bons amis, et nous avons fait
d'autres disques ensemble.
*
1. On trouve très peu de renseignements sur Gladys Wade Dillard qui a pourtant enseigné à tant de musiciens de grand talent, comme Tommy Flanagan, Barry Harris, Kirk Lightsey, Alice Coltrane, Terry Pollard, entre autres, malgré l'admiration des artistes musiciens.
2. Elijah Muhammad, né Elijah Poole le 7 octobre 1897, à Sandersville, Georgia, fils de prédicateur baptiste, s’est fixé en 1923 à Detroit, où il a travaillé sur les chaînes de l’usine automobile Chevrolet. Devenu, comme ses deux frères, un disciple de Wallace Fard Muhammad, le fondateur de Nation of Islam, puis le dirigeant du mouvement à partir de 1934, il a radicalisé et développé l’action du mouvement. Nation of Islam s’est ensuite solidement installée à Chicago. Elijah Muhammad a fait de la prison de 1942 à 1946 parce qu’il prônait l’idée que les Afro-Américains n’avaient aucune raison de se battre contre les Japonais pour le compte de leurs oppresseurs. C’est le mouvement dont fit partie Malcolm X, avant d’en démissionner, soupçonnant Elijah Muhammad de corruptions diverses. Elijah Muhammad est mort en 1975. Le mouvement s’est fractionné en plusieurs descendances, dont une a gardé le nom de Nation of Islam, sous la direction de Louis Farrakhan.
n°520-1995
n°612-2004
LES ARTISTES DE DETROIT & JAZZ HOT
Bennie Maupin: n°2021
De très nombreux autres artistes de Detroit, ou qui y ont vécu, peuvent compléter la connaissance de la richesse culturelle de Detroit: Elvin Jones, Thad Jones, Donald Byrd, Paul Chambers, Ron Carter, Calvin Frazier, Aretha Franklin, Detroit Gary Wiggins, Terry Pollard, Milt Jackson, Kenn Cox, Howard McGhee, Lucky Thompson, Billy Mitchell… On vous laisse chercher dans Jazz Hot et ailleurs, les textes des livrets et des pochettes de disques…
DETROIT A LIRE & A VOIR
• Before Motown, A History of Jazz in Detroit 1920-1960, par Lars Bjorn with Jim Gallert, The University of Michigan press, Ann Arbor, 2001, cf. Jazz Hot n°585-2001
• Jazz From Detroit, Mark Stryker, The University of Michigan Press, Ann Arbor, 2019, Jazz Hot/Library 2020
• Detroit
, drame historique de Kathryn Bigelow (143 min., USA, 2017), Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
• Detroit dans la Lutte (Rubrique Jazz Roots & Words): Martin Luther King à Detroit, Les émeutes de Detroit (1943-1967), Standing in the shadows of Motown (film)…
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DISCOGRAPHIE par Mathieu Perez et Jérôme Partage
Kirk Lightsey, Nice Jazz Festival 2013 © Umberto Germinale-Phocus
Leader-Coleader LP 1974. Kirk Lightsey and Rudolph Johnson With The All Stars, Habiba, Gallo 1774 LP/CD 1982. Kirk Lightsey, Lightsey 1, Sunnyside 1002 LP/CD 1982-83. Kirk Lightsey, Lightsey 2, Sunnyside 1005 LP/CD 1983. Kirk Lightsey, Isotope, Criss Cross Jazz 1003
CD 1986. The Leaders, Mudfoot, Black Hawk 520-2 (avec Lester Bowie, Arthur Blythe, Chico Freeman, Cecil McBee
et Famoudou Don Moye) CD 1986. Kirk Lightsey Quartet, First Affairs, Lime Tree 0015 CD 1986. Kirk Lightsey Quartet, Everything Is Changed, Sunnyside 1020 CD 1986. Kirk Lightsey Quintet Featuring Marcus Belgrave, Kirk 'n Marcus, Criss Cross Jazz 1030
CD 1987. The Leaders, Out Here Like This, Black Saint 120 119-2 (avec Lester Bowie, Arthur Blythe, Chico Freeman, Cecil McBee et Famoudou Don Moye) CD 1987. Kirk Lightsey Trio Featuring Freddie Hubbard, Temptation, Baystate 8122 CD 1988. The Leaders Trio, Heaven Dance, Sunnyside 1034 (avec Cecil McBee et Famoudou Don Moye) CD 1988. The Leaders, Unforeseen Blessings, Black Saint 120 129-2
CD 1990. Kirk Lightsey, From Kirk to Nat, Criss Cross Jazz 1050CD 1991. Kirk Lightsey, Lightsey to Gladden, Criss Cross Jazz 1306 CD 1991. Lennart Ginman/Kirk Lightsey, 1991, Stunt 9003 CD 1992. Tony Lakatos/Al Foster/Kirk Lightsey/Tibor Elekes, Recycling, Jazzline 1134 2
CD 1993. The Leaders, Slipping and Sliding, Sound Hills 8054 (avec Lester Bowie, Arthur Blythe, Chico Freeman, Cecil McBee et Famoudou Don Moye) CD 1994. Kirk Lightsey Trio, Goodbye Mr. Evans, Evidence 22165-2 CD 1994. Miriam Klein/Kirk Lightsey, Ballads for Loving Kindness, Divox 49305 CD 1994. Tony Lakatos/Al Foster/Kirk Lightsey/George Mraz, The News, Jazzline 1140-2
CD 1995. Roots, Saying Something, In + Out Records 77031-2 (avec Arthur Blythe, Nathan Davis, Chico Freeman, Benny Golson, Buster Williams, Ed Thigpen) CD 1996. Roots, For Diz & Bird, In + Out Records 77039-2 (avec Arthur Blythe, Nathan Davis, Chico Freeman, Benny Golson, Buster Williams, Ed Thigpen) CD 2000. Kirk Lightsey/Famoudou Don Moye/Tibor Elekes, Estate, Itinera 006 CD 2002. Ricky Ford/Kirk Lightsey, Reeds and Keys, Jazz Friends Productions 007
CD 2008. Louise Gibbs & Kirk Lightsey, Everybody’s Song But Our Own, 33 Records 172
CD 2011. Kirk Lightsey, Coltrane Revisited @ Bird’s Eye, SteepleChase 33146 CD 2012. Kirk Lightsey, Solo Piano en Argentina, Rivorecords 09 CD 2012. Kirk Lightsey, Home Piano, Rivorecords 22
CD 2013. Kirk Lightsey Trio, If You’re Not Having Fun By Now…, No Black Tie Records 69 CD 2014. Tibor Elekes/Famoudou Don Moye/Kirk Lightsey, Le Corbu, Unit Records 4622 CD 2017. Marilena Paradisi/Kirk Lightsey, Some Place Called Where, Losen Records 187-2 CD 2019. Kirk Lightsey, I Will Never Stop Loving You, Jojo Records 001
Sortie début novembre 2022:
CD 2021. Kirk Lightsey, Live at Smalls Jazz Club, Cellar 003 (Mark Whitfield, Santi Debriano, Victor Lewis)
Sideman
LP 1962. George Bohanon Quartet, Boss: Bossa Nova, Workshop Jazz 207 (=CD Fresh Sound 1669) LP/CD 1965. Chet Baker, Smokin' With The Chet Baker Quintet, Prestige 7449 LP/CD 1965. Chet Baker, Groovin' With The Chet Baker Quintet, Prestige 7460 LP/CD 1965. Chet Baker, Comin' On With The Chet Baker Quintet, Prestige 7478 LP/CD 1965. Chet Baker, Cool Burnin' With The Chet Baker Quintet, Prestige 7496 LP/CD 1965. Chet Baker, Boppin' With The Chet Baker Quintet, Prestige 7512 LP/CD 1965. Sonny Stitt, Pow!, Prestige 7459 LP/CD 1972. Rudolph Johnson, The Second Coming, Black Jazz 11
LP/CD 1974. Henry Franklin, The Skipper at Home, Black Jazz 17 LP/CD 1974. Calvin Keys, Proceed With Caution!, Black Jazz 18 LP 1974. The Mallory Hall Band, Song of Soweto, IRC 8021 LP 1974. Monk Montgomery, In Africa... Live!, Philadelphia International Records KZ.6012 LP/CD 1975. Roland Haynes, The 2nd Wave, Black Jazz 19 LP 1975. Kenny Burrell, 19Sky Street, Fantasy 9514 LP 1976. Rudolph Johnson, Time and Space, Ovation Records 1805 LP 1977. Harold Land/Blue Mitchell Quintet, Mapenzi, Concord Jazz 44 (=CD 4044)
LP 1979. Jerry Rush, Rush Hour, Inner City Records 1076 CD/DVD 1979. Dexter Gordon, North Sea Jazz Legendary Concerts, Bob City Records 12.004 LP 1980. Rufus Reid Trio, Perpetual Stroll, Theresa Records 111 (=CD Sunnyside 1027-D) LP 1980. Collectif, God Rest Ye Merry, Jazzmen, Columbia FC 37551 (=CD CK 37551) (1 titre avec Dexter Gordon Quartet) CD 1981. Dexter Gordon, Backstairs, Live at EJ's 103.603 LP 1981. Dexter Gordon, Jive Fernando, Chiaroscuro Records 2029 LP 1982. Dexter Gordon, American Classic, Elektra Musician E1-60126 (=CD Discovery Records 71009) LP 1982. Collectif, In Performance at The Playboy Jazz Festival, Elektra Musician E1-60298 (2 titres avec Dexter Gordon Septet)
LP 1982. Doug Hammond, Spaces, Idibib 105 (=CD Octave Lab 2562) LP/CD 1983. Jimmy Raney Quartet Featuring Kirk Lightsey, The Master, Criss Cross Jazz 1009 CD 1983-87. Chet Baker, Naima: Unusual Chet, Vol. 1, Philology 52-2 CD 1984. Saheb Sarbib Quintet, It Couldn't Happen Without You, Soul Note 1098 LP 1984. Ricky Ford, Shorter Ideas, Muse 5314 CD 1984. Clifford Jordan Quintet Featuring Junior Cook, Two Tenor Winner, Criss Cross Jazz 1011 LP 1985. Roslyn Burrough, Love Is Here, Sunnyside 1009 CD 1985. Peter Leitch, Red Zone, Reservoir 103
CD 1986. James Moody, Something Special, Novus 3008-2 CD 1986. David Newman, Heads Up, Atlantic 7 81725-1 LP 1986. Ricky Ford, Looking Ahead, Muse 5322 CD 1986. Brian Lynch Sextet, Peer Pressure, Criss Cross Jazz 1029 CD 1986. Attila Zoller, Overcome: Live at The Leverkusen Jazz Festival, Enja 5053 1 CD 1987. Woody Shaw, Imagination, Muse 5338 CD 1987. Ricky Ford, Saxotic Stomp, Muse 5349 CD 1987. Jim Pepper, Dakota Song, Enja 5043-34
CD 1988. Jim Pepper, The Path, Enja 5087 CD 1988. Özay, Moves, Entente 833 082-928 CD 1988. Sangoma Everett/Kirk Lightsey/Riccardo Del Fra, Fresh Air, IDA Records 018 CD 1988. David Newman, Fire! Live at The Village Vanguard, Atlantic 81965-1 CD 1989. The Satchmo Legacy Band, Salute to Pops, Vol. 1, Soul Note 121116-2 CD 1989. The Satchmo Legacy Band, Salute to Pops, Vol. 2, Soul Note 121166-2 CD 1989. Paris Reunion Band, We Remember Klook: Live at the Moonwalker, Sonet 1030 CD 1989. Steve Nelson, Full Nelson, Sunnyside 1044
CD 1989. Jérôme Barde, Feliz, Sunnyside 1042 CD 1990. Wendell Harrison, Fly By Night, Wenha 170 CD 1991. David Murray Quartet, Black & Black, Red Baron AK 48852 CD 1991. James Clay, Cookin' at The Continental, Antilles 314-510 724-2 CD 1991. Javon Jackson/Billy Pierce, Burnin’, Criss Cross Jazz 1139 CD 1992. Marcus Belgrave/Lawrence Williams, Working Together, Detroit Jazz Musicians Co-Op 101 CD 1992. Vanessa Rubin, Soul Eyes, Novus/RCA 01241 63127-2 CD 1992. Jeri Brown, "Unfolding" The Peacocks, Justin Time 45-2
CD 1993. Sonny Fortune, Monk's Mood, Konnex Records 5048 CD 1994. Louis Hayes & Company, The Super Quartet, Timeless Records 424 CD 1994. Carlos Ward, Faces, Peull Music 0001 CD 1994. Sonny Fortune, Four in One, Blue Note 7243 8 28243 2 9 CD 1994. Billy Pierce, Rio: Ballads & Bossa Novas, Sunnyside 1065 CD 1995. Özay, Antiquated Love, Basic 50004 CD 1998. Dan Saint Marseille, Departure, Resurgent Music 120 CD 2000. Joe Lee Wilson, Feelin' Good!, Big City 79210
CD 2000. Florian Arbenz, Level 4, Meta Records 009 CD 2001. Noga & Quartet, Kurt Weill Jazz-Songs, Sony Classical 500616 2 CD 2001. Agostino Di Giorgio Trio, The Path, Fonó Records 904-2 CD 2003. Ricky Ford Quintet, Green Note: Live at La Fenêtre, Marge 33 CD 2004. Steve Nelson, Fuller Nelson: The Second Time Around, Sunnyside 1134 CD 2006. Doug Hammond, A Real Deal, Heavenly Sweetness 001 CD 2009. Doug Hammond Tentet Live, Rose, Idibib 202 CD 2011. Stéphane Belmondo, The Same As It Never Was Before, Sunnyside 3088 CD 2012. Stéphane Belmondo, Ever After, Universal Music France 376 549 4
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VIDEOGRAPHIE par Hélène Sportis
Kirk Lightsey, jeux de mains au Cri du Port, Marseille, décembre 2010 © Ellen Bertet
Chaînes YouTube de Kirk Lightsey: https://www.youtube.com/channel/UCsRSO2IKtnt6RM-4g8K6-7w https://www.youtube.com/channel/UCdBsdonynkG0O8gsCRvFX5A https://www.youtube.com/channel/UCURVzdMzwRaS4W_aJdQ6xnQ
1979. Kirk Lightsey, Dexter Gordon (ts), Rufus Reid (b), Eddie Gladden (dm), North Sea Jazz Festival, Carrousel Zaal, La Haye, Hollande, 15 juillet https://www.youtube.com/watch?v=P0AnSH4y3p0 https://www.youtube.com/watch?v=8YuwkKrvWh4 https://www.youtube.com/watch?v=lGDnn8UBdes https://www.youtube.com/watch?v=GnJ0MDLyrs4 https://www.youtube.com/watch?v=mDF2uCEEcPY https://www.youtube.com/watch?v=u0UrsCXxQmE https://www.youtube.com/watch?v=8cQttTC31wU
1980. Kirk Lightsey, Dexter Gordon (ts), Rufus Reid (b), Eddie Gladden (dm), Festival de Jazz de São Paulo, Brésil https://www.youtube.com/watch?v=ezjO6LXUPGA
1982. Kirk Lightsey, Dexter Gordon (ts), David Eubanks (b), Eddie Gladden (dm), théâtre Aula Magna, Lisbonne, Portugal https://www.youtube.com/watch?v=KJY_K42HXfg
1983. Kirk Lightsey, Dexter Gordon (ts), David Eubanks (b), Eddie Gladden (dm), Harvest Jazz Festival Paul Masson Vineyard, Saratoga, CA https://www.youtube.com/watch?v=Znm88X3BVSI https://www.youtube.com/watch?v=CVyhovYSuIM https://www.loc.gov/item/jots.200016004
2003. Kirk Lightsey, Pietro Di Rienzo (b), Marc Erbetta (dm), Live in Cagliari, Sardaigne-Italie https://www.youtube.com/watch?v=f5gfpP-Z0ig
2014. Kirk Lightsey, Gabor Bolla (ts), Michel Rosciglione (b), Bernd Reiter (dm), Duc des Lombards, Paris, 17 juillet https://www.youtube.com/watch?v=S0uT77YYuk8
2014. Kirk Lightsey, Benny Golson (ts), Gilles Naturel (b), Doug Sides (dm), Mezzo, 21 juillet https://www.bilibili.com/video/BV1E7411H7tu/
2015. Tribute to Dexter Gordon, Kirk Lightsey, Serge Casero (ts), Christian TonTon Salut (dm), Sylvain Romano (b), Théâtre Sortie Ouest, Béziers, 23 janvier https://www.youtube.com/watch?v=tgA5ceNlop4 https://www.youtube.com/watch?v=VHav5L92RB4 https://www.youtube.com/watch?v=1F2bymOAU6E
2016. Kirk Lightsey, Antonio Serrano (hca), Jazz San Javier, Espagne https://www.youtube.com/watch?v=bf9auKGdgyY
2016. Kirk Lightsey, Smalls Jazz Club, New York, NYC, El Duende Prod. https://www.youtube.com/watch?v=Jv6hrZl8Nh4
2016. Kirk Lightsey, Bob Sands (ts), Ignasi Gonzalez (b), Jo Krause (dm), 37th Gouvy Jazz & Blues festival, Belgique https://www.youtube.com/watch?v=sXG4zoXUit0
2016. Kirk Lightsey, paroles et musique, interview de Brian Vincent Pace, 37e Detroit Jazz Festival, Hart Plaza, avec Robert Hurst (b), Louis Hayes (dm) https://www.youtube.com/watch?v=BF0G0dCtm-Q
2021. Kirk Lightsey, Mark Whitfield (g), Santi DeBriano (b), Victor Lewis(dm), Live at Smalls Jazz Club, New York, NYC, 14 septembre https://www.youtube.com/watch?v=RNyu-Z2pSAo
2022. Kirk Lightsey & Piero Odorici (ts), Darryl Hall (b), Jason Brown (dm), Nisville, Serbie, 12 août https://www.youtube.com/watch?v=TIu-ZsDCbR0 https://www.youtube.com/watch?v=TfpPIhf0RuE https://www.youtube.com/watch?v=wpIpk9_xZho * |
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