Paul Motian
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22 nov. 2011
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23 mars 1931, Providence, RI - 22 novembre 2011, New York, NY
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| Paul Motian était né dans une famille d’origine arménienne à Providence, Rhode Island le 23 mars 1931 (Il y a des ouvrages et des sites dont Wikipedia qui le donnent né le 25 mars 1931 à Philadelphie, mais élevé à Rhode Island ?), et il vient hélas de nous quitter ce 22 novembre 2011. Depuis quelques années il ne pouvait plus tellement voyager ni prendre l’avion, aussi restait-il à New York où il jouait encore avec différents musiciens, dont Lee Konitz, Jason Moran et quelques autres. Je sais maintenant malheureusement que nous ne ferons jamais l’interview qu’il m’avait promise. En fait à chaque rencontre il m’a dit gentiment et avec son sourire charmeur : «Une autre fois». La première fois que je l’ai rencontré c’était lors du regretté Printemps du Jazz de Nîmes à la fin des années 90. Nous étions dans le hall de l’hôtel Imperator, cet hôtel
| mythique dans lequel Ava Gardner et Ernest Hemingway venaient cacher leur amour, et comme il m’avait très aimablement refusé l’interview je lui avais dit pour me venger sauvagement, car nous avions parlé de ces visiteurs célèbres: « Dommage, de toute façon c’est moi qui ai la chambre d’Ava Gardner ». Il m’avait répliqué : « Moi, j’ai préféré celle d’Hemingway, dans celle-là il y a à boire ! » Ceci pour souligner sons sens de l’humour et de la répartie. Et c’est à ce même festival que Daniel Humair m’a dit alors que nous dégustions un Costières de Nîmes : « Viens, Paul Motian va jouer, il faut que je sois tout près de la batterie pour essayer de comprendre comment il fait.» Car on le sait, le drumming de Paul Motian est atypique, il insuffle dans le groupe une voix plus mélodique que rythmique, encore que finalement la marque rythmique, bien que sous jacente, soit très présente: un jeu délicat, scintillant, plein d’ellipses, privilégiant les balais, faisant de la batterie un instrument expressif à l’image des autres, les soufflants ou les cordes, construisant plus des contrepoints qu’occupé à marquer le tempo ; un musicien d’une grande subtilité, d’une écoute rare, suggérant et provoquant le soliste ; en résumé un coloriste sensuel dont la riche palette lui permettait de faire vivre toutes les couleurs du groupe. Quelqu’un n’a-t-il pas dit qu’il était le Picasso de la batterie ! Il avait commencé gamin à la guitare, puis il écouta toutes sortes de musiques avant de découvrir le jazz vers l’âge de 15 ans en écoutant tous les grands de l’époque, de Count Basie, Duke Ellington à Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Max Roach, Bud Powell, de qui est né son engouement pour les pianistes. C’est après son service militaire, en 1954, que sa carrière démarre et qu’il jouera aux côtés de tout ce que le jazz compte de phares et de musiciens de pointe : George Wallington, Scott LaFaro, Chuck Israels, George Russell, Tony Scott, Thelonious Monk, Warne Marsh, Al Cohn, Zoot Sims, Albert Ayler, Don Cherry, Pharoah Sanders, Mose Allison, Charles Lloyd, Dewey Redman, Charles Brackeen, David Izenzon, Arild Andersen, Jean-François Jenny-Clark, Jo Lovano, Bill Frisell, Jim Pepper, Ed Schuller, Lee Konitz, Eric Watson, Tim Berne, Chris Potter, Larry Grenadier, Ron Carter, et même des Français, Martial Solal, Henri Texier, Stéphan Oliva, Bruno Chevillon, Daniel Yvynec l’actuel directeur de notre ONJ, et avec d’autres Européens : Bob Stenson, Enrico Rava, Enrico Pieranunzi Et puis surtout sa longue contribution au « Liberation Music Orchestra » de Charlie Haden de 1969 à 2000. Paul Motian était aussi un compositeur remarquable, en témoignent ses premiers albums en trio chez ECM avec Jo Lovano et Bill Frisell, ainsi que l’album « Fantasm-RCA/BMG » enregistré en France avec Bruno Chevillon et Stephan Oliva. Il affectionnait donc les pianistes, surtout en trio, qu’on en juge : Bill Evans dont il devint le batteur régulier, Oscar Peterson, Lennie Tristano, Keith Jarrett, Carla Bley surtout pour « Escalator Over The Hill », œuvre grâce à laquelle je l’ai entendu pour la première fois, Geri allen, Marylin Crispell, Jason Moran, Brad Mehldau et bien sûr il fut absolument à son meilleur, en osmose totale, avec ce fameux trio en compagnie de Gary Peacock et Paul Bley. Jo Lovano déclarait dans Jazz Magazine : « Paul arrive à jouer toutes sortes d’accents en laissant beaucoup d’espace entre, mais il joue avec la même intensité mélodique, et il réagit aussi à tout ce qui se passe au niveau du rythme harmonique. C’est pour ça qu’il est le batteur numéro un des grands pianistes, parce qu’il est en phase avec le rythme harmonique, tout en intercalant d’autres choses pour fournir des idées aux autres musiciens. » On trouvera tous les détails de sa carrière sur les différents sites et dans le dictionnaire du jazz. Le jazz perd un grand batteur, mais peut-être le flambeau de ce type de drumming repose-t-il dans les mains de Brian Blade ? Nous présentons nos sincères condoléances à sa famille et à tous ses amis
Serge Baudot Photo ©David Sinclair
© Jazz Hot n°657, automne 2011
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