Jayne Cortez
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28 déc. 2012
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10 mai 1934, Fort Huachuca, AZ - 28 décembre 2012, New York, NY
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© Jazz Hot n°662, hiver 2012-2013
Née le 10 mai 1934, la
poétesse et militante Jayne Cortez, de son vrai nom Sallie Jayne
Richardson, est décédée le 28 décembre 2012 à New York où elle résidait
en alternance avec Dakar. Née à la base militaire de Fort Huachuca
(Arizona) où son père était en poste, elle grandit dans le Watts à Los
Angeles à partir de 7 ans. La musique de ses parents est le jazz, le
blues, Bessie Smith, Duke Ellington, Dinah Washington… Elle fera ses
études supérieures au Compton Community College et adopte comme nom de
scène le nom de jeune fille de sa grand-mère maternelle. Elle épouse
Ornette Coleman en 1954. Elle est la mère du batteur Denardo Coleman (né
en 1956) que l’on retrouve sur nombre de ses enregistrements. Elle
participe au combat pour les droits civiques dans le Mississippi,
travaillant avec le Student Nonviolent Coordinating Committee pour
enregistrer les électeurs noirs sur les listes (été 1963 et 1964). Elle
divorce en 1964 et fonde alors le Watts Repertory Theater Company, dont
elle sera la directrice artistique jusqu’en 1970. Elle voyage en Europe
et en Africa et s’installe à New York en 1967. En 1975, elle épouse le
sculpteur et graveur Mel Edwards qui illustrera certaines de ses
publications ou couverture d’albums.
Son premier enregistrement en duo avec Richard Davis (b) s’intitule
Celebrations and Solitudes et sort en 1974 sur le label de Stanley
Cowell et Charles Tolliver, Strata-East. Elle enregistrera ensuite pour
son propre label Bola Press (fondé en 1972) Unsubmissive Blues (1979).
Ses enregistrements se fondent alors sur un background funk, fourni par
son groupe les Firespitters (Bern Nix, g ; Al McDowell, b et Denardo
Coleman) auquel se joignent d’autres musiciens jouant aussi avec Ornette
Coleman comme Jamaaldeen Tacuma ou Charles Moffet Jr. (1982, There It
Is ; 1986, Maintain Control avec Ornette Coleman lui-même). Cheerful
& Optimistic (1994) utilise le kora africain, de même que Taking the
Blues Back Home (1996) qui parcourt des univers variés illustrés par
Nakoyo Suso (voc), Billy Branch (hca), Talib Kibwe (as), Frank Lowe
(ts). En 2002, elle est accompagnée sur son Borders of Disorderly Time
par Bobby Bradford, Ron Carter et James Blood Ulmer.
Son style incantatoire est un mélange de chant et de récitatif, dans
la tradition de la jazz poetry, qui constitue une forme artistique
singulière, entre littérature et musique, écriture et performance. Elle a
publié une demi-douzaine de recueils de poésie (1971, Festivals and
Funerals ; 1984, Coagulations ; 2002, Jazz Fan Looks Back, etc.) qui ne
rendent pas justice à son art, qui est fondé sur la voix poétique dans
sa dimension rythmique et présencielle et fait parfois songer à Abbey
Lincoln. Dans la liste de ses inspirations, elle cite Langston Hughes,
Aimé Césaire, Léon Damas, Christopher Okigbo, Henry Dumas, Amiri Baraka
et Richard Wright.
Elle participe du Black Arts Movement, qui est la branche culturelle
du Black Power, ce qui donnait à son activité artistique une tonalité
idéologique partisane là où le blues et le jazz sont une expression
culturelle dont la valeur politique n’est pas celle d’une doctrine. Dans
ce mouvement de militants plutôt que d’artistes, Stanley Crouch (qui,
en tant que batteur, l’avait accompagnée en 1966) remarquait lui-même
que Jayne Cortez possédait un véritable talent littéraire. «
During the nationalist promenade and the charade of ineptitude, the
very shoddiness of which was supposed to breach a "revolutionary"
standard, only one female poet was consistently interesting to me, and
that one was Jayne Cortez.... [In her work] there was a passion and an
ear for melody and the manipulation of sounds and rhythm units that
smoked away the other contenders for the crown, revealing their
entrapment in a militant self-pity and adolescent rage more akin to
tantrums than the chilling fire and evil of someone like Bessie Smith,
the super bitchiness and dignity of a Billie Holiday or a Dinah
Washington .... Jayne Cortez is, then, the real thing. » (cité par Karen
Ford, On Cortez’s Poetry ;
http://www.english.illinois.edu/maps/poets/a_f/cortez/poetry.htm 99)
Elle enseignait aussi à l’université, notamment Rutger’s University
(Livingston College, artiste en résidence 1977-83, mais aussi Dartmouth
College, Howard University, Queens College, Wesleyan University, Eastern
Michigan University, etc.), disposant ainsi de postes permettant de
diffuser ses idées dont la pseudo-marginalité avait ainsi pris un tour
institutionnel. Avec l’écrivain Ama Ata Aidoo, elle fonde l’Organization
of Women Writers of Africa (OWWA) en 1991. Elle organise le colloque à
New York "Slave Routes: The Long Memory" (oct. 1999, Institute for
African-American Affairs de New York University) et "Yari Yari Pamberi:
Black Women Writers Dissecting Globalization" (2004).
Elle considérait à juste titre le jazz comme un ensemble culturel
large et non un simple genre musical : « Jazz isn’t just one type of
music, it’s an umbrella that covers the history of black people from
African drumming to field hollers and the blues. In the sense that I
also try to reflect the fullness of the black experience, I’m very much a
jazz poet. » (1997, dans l’hebdomadaire britannique The Weekly
Journal). Cette intuition s’est incarnée dans des contenus d’un intérêt
hétérogène, l’imprécation idéologique prenant souvent le pas sur la
dimension artistique. Jayne Cortez est une performer dont la source
culturelle est dans le preaching. Plus que son message idéologique
constitué de clichés afro-centristes et anti-occidentaux avec la
classique posture pacifiste, elle était porteuse de la culture
afro-américaine d’une manière peut-être plus profonde qu’elle ne le
soupçonnait, laissant ainsi la majesté du blues surgir entre les lignes
d’un discours souvent trop formaté.
Jean Szlamowicz
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