Cabu fait son jazz !
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16 avril 2013
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Cinéma Le Balzac, Paris, 11 avril 2013
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© Jazz Hot n°663, printemps 2013
A deux pas des Champs-Elysées, un petit cinéma indépendant résiste encore et toujours aux grands circuits de distribution envahissants. En plus des films à l’affiche, Jean-Jacques Schpoliansky, son directeur, enrichit la programmation du Balzac de cinés-concerts, d’opéras sur grand écran, et de concerts de musique classique et de jazz. Semblable aux festivals de jazz les plus exigeants et passionnés dans le jazz, Le Balzac défend l’idée d’un cinéma de quartier de qualité et d’indépendance.
Cette soirée « Cabu fait son jazz ! » est l’occasion de voir Stormy Weather sur grand écran. Après un bref échange entre Schpoliansky et Cabu autour de la passion du swing satiriste pour le jazz, le Cab’ laisse la place au swing, la plus belle invention depuis l’écriture, comme il aime tant à le rappeler.
Mais avant, place à Sylvia Howard et à son Black Label Swingtet (cf. Jazz Hot, n°662), composé de Georges Dersy (tp), Antoine Chaudron (ts), Christian Bonnet (ts, arr), Jean-Sylvain Bourgenot (tb), Jacques Carquillat (p), Jean de Parseval (b) et Alain Chaudron (dm).
Au cours de ce petit set, Sylvia Howard interprète des titres extraits de son dernier album Now or Never, tels que « Take The A Train », « Now or Never », « Alright, OK, you win ». Le public découvre une chanteuse puissante à la technique exercée. Dès le premier titre, le charisme et le charme de la chanteuse crèvent l’écran, c’est le cas de le dire. Ses impulsions, mesurées, toujours impeccables, sont accompagnées d’un Swingtet rodé, offrant de beaux solos de Georges Dersy, Jean-Sylvain Bourgenot et Christian Bonnet. La salle est emballée. Pour amener le concert vers le film, Sylvia Howard interprètent « Minnie the Moocher » avec une grande classe, le scat naturel, dialoguant avec le public qui joue le jeu au gré des « Hi De Hi De Hi De Hi ».
Comme pour illustrer les chansons, des dessins de Cabu, pris sur le vif lors de concerts de jazz ou illustrations de pochettes de disques, défilent sur le grand écran. Ajouté au plaisir de voir ces dessins plein pot, le trait génial du dessinateur, comme sa tendresse, son inventivité et son humour pour ces gueules et beaux personnages du jazz, apparaît dans toute sa diversité. Pensons à ces dessins de Lester Young qui fait ronronner les chats, Art Blakey qui explose de son siège, Quincy Jones de son big band, Gil Evans, le pinceau à la main, qui s’adonne à un tableau avec son orchestre en guise de palette ou encore ces dessins noir et blanc de Duke Ellington, plus réalistes et complexes, d’une vérité et d’une justesse saisissantes.
Le concert achevé, Jean-François Pitet introduit le film. Ce spécialiste de Cab Calloway nourrit au quotidien, depuis 2006, un site web consacré au Cab’ en publiant avec générosité des archives rares et des curiosités en appliquant toujours ce souci de l’historien de la remise dans le contexte historique. Place au film. Tourné en 1943, Stormy Weather est un film à part. Il est l’un de deux films avec pour seul casting des acteurs afro-américains, l’autre étant Cabin in the sky, réalisé la même année. Précieux témoignage par tant d’aspects (Fats Waller, aussi bon pianiste qu’acteur, chantant « Ain’t Misbehavin’ » ; les performances finales bien sûr des Nicholas Brothers, à couper le souffle ; Cab Calloway survolté emportant les musiciens et le public à des sommets) et navet indicible par d’autres (scénario inexistant, manque de nuances, dialogues faciles, réalisation maladroite, jeu des acteurs lourd). L’histoire tient en quelques mots : le Bill Williamson (Bill ‘Bojangles’ Robinson) reçoit un magazine célébrant la contribution des Afro-Américains à l’entertainment depuis vingt ans, point de départ d’un retour en arrière sur sa carrière de danseur et sur son grand amour, Selina Rogers (Lena Horne). Le film est une collection de sketchs plus qu’un film musical à proprement parler. Si Bill Robinson, alors âgé de 64 ans, partage le rôle principal avec la jeune et belle Lena Horne, il est hélas bien sous-employé. Ce qui ajoute une sorte de mélancolie à ce film. Andrew L. Stone, le réalisateur, ne s’intéressa à aucun solo du tap dancer, qui influença pourtant tant de danseurs (pensons à cette séquence éblouissante, « Bojangles of Harlem », dans Swingtime (1936), dans laquelle Fred Astaire, grimé en Bojangles, rend hommage à ses deux héros, Bill Robinson et John W. Bubbles.). Mais, sur grand écran, tout passe. La dernière partie du film, en grand, très grand, est un spectacle toujours aussi magique. Et le public d’applaudir, comme les tout premiers spectateurs du film, les Nicholas Brothers qui, après de multiples pirouettes et autres figures swing dans les airs, retombent toujours sur leurs pieds.
Mathieu Perez
(texte et photos)
photo 1 : Georges-Dersy (tp), Jean-Sylvain-Bourgenot (tb)
Photo 2 : Sylvia Howard (voc), Jacques Carquillat (p)
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