Ospedaletti (Italie)
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1 sep. 2013
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Jazz Sotto Le Stelle, 8 au 10 août 2013
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© Jazz Hot n°664, été 2013
Le précieux festival présenté par la municipalité d’Ospedaletti, à deux pas de San Remo, fête ses 10 ans. Une aubaine, dans un délicieux petit théâtre de verdure au milieu des palmiers et face à la mer, Umberto Germinale (photographe de Jazz Hot) y programme le meilleur de musiciens italiens triés sur le volet qu’il est rare d’entendre sur la Côte d’Azur.
Jeudi 8. Rosario Bonaccorso (b) présente son Travel Notes Ensemble, composé de Flavio Boltro (tp), Andrea Pozza (p), Nicola Angelucci (dm) et de l’Argentin Javier Girotto (sop sax). Aux compositions délicates mais toniques dont, le plus souvent, le bassiste fredonne l’intro’ en doublant sa ligne de basse, un procédé qu’il utilise fréquemment pour les riffs de relance et les codas , s’ajoutent quelques reprises au traitement très original, dont une bossa de Jobim traitée en tango désarticulé aux limites du possible. Si le jeu tout de sensibilité et de vélocité et le magnifique son de Flavio Boltro ont fait sa renommée, ceux de Javier Girotto, qui nous étaient inconnus, se révèlent tout à fait à la hauteur de l’enjeu. Excellent pianiste, bon batteur et bassiste virtuose. Enthousiasme communicatif, plaisir manifeste de jouer. Un régal !
Vendredi 9. Tout autre climat avec Giornale di Bordo. Les trois Sardes Antenello Salis (p, acc, perc, voc), Gavino Murgia (alto, soprano, voc) Paolo Angeli (g, voc) et leur complice de Chicago, Hamid Drake (dm, cf. Jazz Hot n° 659) retracent une croisière onirique aux escales inattendues. Trois voyages mouvementés d’une demi-heure, qui abordent les rives du jazz (« Salt Peanuts ») celles de la pop (« Blackbird » des Beatles, « Apache » des Shadows) ou de musiques de films (Il était une fois dans l’Ouest, d’Ennio Morricone), tout en longeant de temps à autres des îlots de folklore sarde, irlandais,ou brésilien. Sur cette mer constamment agitée de vagues d’un free jazz envoûtant et jovial, les esquifs, sont plutôt hétéroclites. Si la batterie, le soprano, l’alto et l’accordéon demeurent des plus conformes, le piano a subi quelques ajouts d’objets improbables modifiant son timbre. Le piano électrique émet des sons de marimba ou d’épinette. La guitare, de facture traditionnelle, est équipée de toute une batterie de cordes supplémentaires (dont certaines jouées à l’archet), de percussions et de résonateurs divers. Elle évolue dans les registres de la guitare classique, de la contrebasse, et du violoncelle, et souvent simultanément (Pat Metheny en a, paraît-il, commandé une copie à son propriétaire). Quant aux voix (de bel canto), elles se transforment en sifflet d’alerte, en conques marines, voire en didgeridoo australien, façon corne de brume. Concert spectaculaire à l’humour ravageur, extrêmement construit malgré son aspect « foutraque », dont il serait difficile de retrouver toutes les saveurs autrement qu’en enregistrement vidéo. Vive la musique vivante !
Samedi 10. Retour à un jazz plus orthodoxe avec le quartet de Dado Moroni. Ce pianiste ancien compagnon de route de Tom Harrell, parmi beaucoup de grands musiciens du jazz, est entouré de Riccardo Fioravanti (b) et Enzo Zirilli (dm), sa section rythmique habituelle, et du Belge, Bert Joris (tp), arrangeur du Brussels Jazz Orchestra. Moroni et Joris ont signé toutes les compositions jouées ce soir. Le ton est donné d’emblée, dès le premier morceau avec « Alfred » dédié à McCoy Tyner (dont c’est le prénom), en duo piano-trompette. Plus tard, « Mr. Dodo » sera dédié à Dodo Goya, contrebassiste de San Remo qui accompagna Johnny Griffin, présent dans l’assistance. Sur des grilles harmoniques très complexes, le bassiste a la solidité d’un roc ligure et le batteur, quel que soit le tempo, est remarquable de finesse. La sonorité de trompette évoque Chet, la dextérité en plus, et le jeu du pianiste résolument post-bop reste néanmoins très personnel. Chacun déroule de longues improvisations à l’inventivité constante et dénuée de tout cliché. L’écoute mutuelle est totale, et les quatre-quatre sont un modèle du genre. Concert de presque deux heures d’une grande intensité, que sublime, dans cet amphithéâtre de quelques 250 places, la proximité avec les musiciens. Un moment rare! Bravo et merci pour cette très belle programmation, et longue vie, sous les étoiles, au festival d’Ospedaletti !
Daniel Chauvet
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