La Boîte de Jazz Woluwé-Saint-Pierre (Belgique), 2 novembre 2013
© Jazz Hot n°665, automne 2013
C’est un jazz-club
qui parcourt les villes belges au cours de la saison (voir nos Hot News).
Imaginez un genre de grosse roulotte transformée en cabaret pour
vous raconter l’histoire du jazz de Congo Square à New York. A
chaque étape, le module déploie ses ailes pour s’ouvrir sur un
espace pouvant accueillir cent personnes. Garni de tables rondes,
d’un bar, de photos de légende, d’une scène avec piano, de
trois écrans et de tout un assortiment de sons et de lumières à
faire jalouser le Cotton Club, la Boîte s’anime pendant deux actes
de soixante minutes. L’idée a germé dans la tête d’un père et
de son fils. Jacques Mercier, le père, fut animateur vedette sur les
chaînes RTBiènes (radio et TV) ; Stéphane, le fils, est
saxophoniste et professeur de jazz. Encore fallait-il trouver les
sponsors publics et privés pour donner une réalité au rêve !
La rencontre avec Cédric Monnoye fut décisive. Sur un scénario et
une mise en scène de François de Carpentries - un Français de
Bruxelles, une scénographie de Karine Van Hercke et une régie
d’Aurélie Remy, l’histoire est contée chaque soir par Jacques
Mercier et ses compagnons. L’illustration est excellente par les
projections, le jeu des acteurs, les séquences enregistrées et la
musique en live. Nous n’étions pas à la première, le 27
septembre sur la place Flagey d’Ixelles, occupés, juste en face,
par le beau concert du trio d’Eliane Elias (p, voc) au Studio 4 du
Centre Culturel. Le 2 novembre, à
Woluwé-Saint-Pierre, nous avons pu rattraper le module au cours de
la deuxième étape. Ce soir-là, François Makanga, se balade de
table en table avec les consommations, puis il rejoint la scène pour
mimer, danser et dialoguer avec le narrateur : Jacques Mercier,
le chef d’orchestre : Stéphane Mercier (as, fl, perc), la
chanteuse : Mercedes Gomez et le pianiste : Vincent
Bruyninckx. L’histoire débute en 1843 au son des tam-tams de Congo
Square, puis, sous la chicotte, on traverse les chants de coton. Avec
les projections d’images, Stéphane nous explique la gamme
pentatonique, l’émergence de la syncope, les work songs et les
gospels. Jacques raconte les Minstrels ; Vincent (p) illustre la
pompe, le ragtime, Scott Joplin (« Mapple Leaf Rag ») et
Jelly Roll Morton (« Jelly Roll Blues »). Avec « Saint
Louis Blues » on arrive à Béchet, puis on évoque Joséphine
Baker. Mercedes Gomez (voc) chante un « J’ai deux amours »
fort bien rendu. On n’évite pas la « Petite Fleur »,
on raconte Nick La Rocca, les bordels et les enterrements à La
Nouvelle-Orléans (« Saint James Infirmary »), King
Oliver et « West And Blues » et puis Louis Armstrong et
Duke Ellington (« Sophisticated Lady »), Gershwin et
« Rhapsody In Blue », le jungle
et « Black And Tan Fantasy », le swing de Benny Goodman
et Gene Krupa, Billie Holiday (« Strange Fruits »),
Coleman Hawkins (« Body And Soul »)… Après
l’éblouissement, une deuxième bière et l’entracte, vient la
seconde partie. Conteurs, acteurs, musiciens, chanteuse et
projectionniste nous racontent Django, le HCF (« La
Marseillaise »), Ella Fitzgerald (« A-Tisket,
A-Tasket »), le Duke (« Take The A Train ») et
l’incontournable Glenn Miller (« Moonlight Serenade »).
On souligne l’importance de Robert Goffin qui décrit la transe dès
1932. A Bruxelles, les orchestres de Jack Kluger et Jean
Omer adoptent le nouvel idiome; sur l’écran : Toots
Thielemans joue « Bluesette » en duo avec Stevie Wonder.
Des zazous de Saint-Germain-des-Prés, on transite via Juliette Greco
(« Si tu t’imagines ») pour arriver à Charlie Parker
(« Ornithology »), puis Miles Davis et Gil Evans
(« Sketches Of Spain »). On passe rapidement sur la
déviation du rhythm‘n blues vers le rock and roll. Des images de
Louis Armstrong défilent en mode revival ;
il chante « C’est si bon ». Suit une interview-fiction
entre Jacques Mercier, pour les questions, et Satchmo : pour les
réponses. Après le be bop, le cool, le jazz-rock et l’acid-jazz
(sic) le spectacle se
conclut bien évidemment sur « A Love Supreme ».
Superflues, par contre : la pantomime de Jacques Mercier déguisé
en guitariste psychédélique et la mention quasi systématique de
toutes les addictions. Oui, Bird, Chet et les autres s’y sont
adonnés. Oui, ils ont malheureusement fait école trop longtemps.
Mais alors, pourquoi ne pas essayer d’expliquer la marche vers
l’inaccessible étoile qui est celle de tous les créateurs ?
En rappel et en jam, les acteurs invitent le public à ponctuer les
phrases de « So What ». Cette illustration
du jazz peut apparaître naïve aux initiés
qui ont, au fil des années, encouragé la complexification de
l’écriture. Le jazz, cri d’un peuple opprimé, s’est
rapidement élevé au rang d’Art musical. Cette évolution des
valeurs est une richesse, mais l’enrichissement qui mène à
l’élitisme crée aussi une certaine marginalité. Il faut que le
jazz reparle aux gens pour redevenir populaire.
Pour cela, il nous faut l’expliquer ; racoler en le
racontant. C’est le but poursuivi par la Boîte de Jazz. Je pense
qu’elle y réussit assez bien. Au cours des douze
mois de tournée, sur le même scénario, le personnel est appelé à
changer. Au piano, vous découvrirez peut-être Ivan Paduart ou
Casimir Libersky à la place de Vincent Bruyninckx ; Malou
Beauvoir (voc) pourrait remplacer Mercedez Gomez ; Bruno Grollet
devrait jouer la doublure de Stéphane Mercier. Pour les dates en
Flandre, le lecteur néerlandophone devrait être Jan Hautekiet,
pianiste et animateur jazz à la VRT. Texte : Jean-Marie Hacquier Photos : Pierre Hembise |