André Paquinet
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5 juillet 2014
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1er octobre 1926, Arcueil (94) - 5 juillet 2014, Saâcy-sur-Marne(77)
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© Jazz Hot n°668, été 2014
Tout un monde, celui des musiciens français jazz et variétés d’après la Deuxième Guerre continue de se réfugier à l’étage des souvenirs, avec cette fois le départ d’un archétype du trombone parfait, estimé et reconnu par ses pairs de même génération, tous genres confondus : André Paquinet. Les trompettistes Roger Delmotte (classique), Fred Gérard et Roger Guérin eurent pour lui la plus grande admiration.
André Paquinet fait partie d’une famille de trombonistes avec un père Guy (1903-1981) et un frère cadet méconnu, Michel (1931-1970) qui ont marqué l’instrument. Guy surtout dont André admirait le style : «je dirais même plus fin que Tommy Dorsey.» (André Paquinet, 2009). André a débuté le solfège auprès de sa mère. Pendant huit ans avant que Guy ne se décide, André étudie le piano auprès de sa mère et de sa sœur. Il a aussi suivi des leçons de Raoul Gola « qui a enseigné le piano à tous les enfants de musiciens » aime à dire Loulou Vezant. André étudiera l’harmonie auprès de Julien Falk, Paule Lantier et Gabriel Pierné. Et son désir était de jouer les grandes orgues. Mais voilà, en 1939, alors qu’il est au Touquet-Paris Plage avec son père embauché-là dans l’orchestre de Bruno Coquatrix, son destin bascule. Guy Paquinet organise une séance photo avec André au trombone, puis décide de lui enseigner l’instrument. Certes, André entendait suffisamment son père jouer pour apprécier l’instrument. Il n’a que 13 ans et son père est très exigeant (André sera d’ailleurs son seul élève !). Il s’astreint à jouer des notes tenus au trombone tout en faisant ses devoirs d’école, pour que le son soit parfait et pour ne pas décevoir son père (qui en fin de vie me dira que ce qu’il a fait de mieux, c’est son fils André !). De fait, comme le remarqua André Gosset, André Paquinet jouait comme Guy, sans écraser les lèvres, d’où sa longévité car, à 85 ans, André continuait de se produire en concert! André a joué, à l’occasion, pour des émissions radio, aux côtés de son père dans l’orchestre de Raymond Legrand.
C’est le 13 janvier 1943 qu’il fait ses débuts en tant que professionnel, dans l’Orchestre Van Hoorebeck au Gaumont Palace. Dès la deuxième semaine, Van Hoorebeck lui fit jouer le Boléro de Ravel (!), ce fameux solo que Léo Vauchant mit au point avec Ravel, et qui, longtemps, fut la terreur des trombonistes «classiques». Pas de problème pour André qui souvent jouait sa partie à l’octave au-dessus sous les réprimandes de Van Hoorebeck. Fin 1943 à début 1944, il joue dans l’orchestre Jacques Météhen avec Alex Renard (tp). En effet, tant Guy qu’André nous ont dit l’abondance de travail pour les musiciens pendant l’Occupation. André joue ensuite dans l’Orchestre de son père. En 1945, il est employé par Alix Combelle à La Roulotte. Engagé dans l’Armée de l’Air (1945), il participe avec ses camarades à l’orchestre de Tony Proteau qui joue au Lido (1946). André Paquinet restera 10 ans dans cet établissement (aux côtés de Robert Fassin, lead tp). Il travaille aussi pour Aimé Barelli (1946), Raymond Legrand (1947), chez Jacques Hélian (1951-52), Claude Bolling (1953-57). En 1953, il accompagne Sidney Bechet à l’Alhambra au sein de l’orchestre Tony Proteau (aux côtés de Guy Paquinet et Nat Peck, tb).
Au passage des 78 tours aux 45 et 33 tours, les maisons de disques enregistrent à tour de bras pour monter un catalogue (Pathé Marconi, Philips, Barclay, Vogue). Il n’y a pas de « jazzman exclusif » à cette époque. Ce sont les mêmes brillants instrumentistes et/ou artistes qui font les séances jazz et variétés, et notamment pour les chanteurs. Ils sont d’ailleurs employés par une flopée d’arrangeurs-orchestrateurs de haut niveau qu’André aimera servir parce qu’ils ont tous leur style (André Popp, Michel Legrand, Christian Chevallier, Quincy Jones, etc.). En fait, André Paquinet fut pour le trombone ce que Fred Gérard, collègue et ami, fut à la trompette. Un technicien infaillible donc destiné à jouer la première partie (la plus exigeante en tessiture) de la section. A cette différence près que Fred était aussi (très bon) chorusman, alors qu’André laissait l’improvisation à Benny Vasseur et Charles Verstraete (à partir de 1954) qui, avec Gaby Vilain, constituaient la section de trombones A, c’est-à-dire celle que l’on contacte en priorité dans les studios. Ce n’est pas un cas unique, beaucoup de lead trompette ou trombone depuis l’époque de Fletcher Henderson, ne sont pas (ou sont peu) improvisateurs, et n’en sont pas moins jazz puisque ce sont eux qui imposent à toute la section le phrasé rythmique avec inflexions adéquat au genre. « Requin » de studio, comme André Paquinet, c’était un métier dont l’autre exigence était une lecture musicale à vue rapide, précise : « On lisait une fois pour voir si le copiste n’a pas fait de fautes, puis on enregistrait. » (André Paquinet, 2009). André enregistre notamment pour Alix Combelle (mai 1954, « Moonlight Serenade » avec Alex Renard, Pierre Sellin, Jean Mauclaire, Fernand Verstraete, tp), Christian Chevallier (1955, avec son frère Michel!), André Persiani (mai 1955, avec Fred Gérard, Lucien Juanico, tp), Lucky Thompson (mars 1956, avec Fernand Verstraete, tp), Michel Legrand (1956-57), Fred Gérard & ses 5 Trombones (1957, avec Benny Vasseur, Charles Verstraete, Guy Destanque, Emile Vilain, tb, disques President), André Popp, Quincy Jones (1957-59), Martial Solal (mai 1956 avec Billy Byers ; mars 1958, section de cuivres et rythmique ; 1962, avec Nat Peck et Raymond Katarzynski, tb), André Hodeir (1963, 1966), Daniel Janin (1965), Dany Doriz (1966), Jean-Claude Naude (1967, 1971, 1975), Paul Mauriat, Lucien Lavoute (1970, musique d’André Lutereau, avec Fred Gérard, Maurice Thomas ou Michel Barrot, lead tp), Claude Luter (1971, séance aux côtés de Claude Gousset, tb), Eddy Louiss & Ivan Jullien (1971, Porgy & Bess), Michel Colombier (1971, Wings).
On le voit à la télévision dans l’Orchestre Raymond Lefèvre (avec Fred Gérard, lead tp). Recruté par Billy Byers, André Paquinet a également participé à l’enregistrement de Turcadet pour Duke Ellington (1960), avec Fred Gérard et Roger Guérin. A sa stupéfaction, Duke l’a déplacé du premier pupitre au dernier, le résultat sonore obtenu fit comprendre à tous les participants la pertinence musicale qui n’était en rien une vexation.
De 1957 à 1970, André Paquinet fut coleader d’un duo de trombone avec Benny Vasseur, très populaire. Ce célèbre tandem apparaît à la TV avec Annie Cordy, très proche d’André. Il enregistre pour Annie Cordy (For Me…Formidable, Orchestre Armand Migiani, Pathé LP 67096) mais aussi pour John William (1963, Negro Spirituals, Polydor). Bien entendu le tandem Benny Vasseur-André Paquinet laisse une multitude de disques (1957, Festival 2183 : «The Man I Love», «Mood Indigo», «Sonny Boy» ; 1959, 45t Festival 1178, Jazz à danser avec Vincent Casino, tp, «Charleston», «Ain’t She Sweet», «Blues» arrangé par André Paquinet, etc.; 1960, Festival 2192, Succès, «Chérie Chérie je reviens» ; 33t 25cm Festival FLD 128, Trombones en coulisse : «Pour faire une jam», «In a Spanish Little Town», etc ; 33t 25 cm Festival FLD 140, Jazz à la Fiesta, Rythmes bleus au Palm Beach : «Swingin’ the Blues», «Cherokee», «September in the Rain» ; juin 1958, 33t 25 cm, Festival FLD 173, Dixie Trombone, «Tin Roof Blues», «Muskrat Ramble», «High Society», etc.). Certains feront la moue, mais (cf. sélection vidéo) la réalité auditive est que cette «variété» a plus de relation avec les critères historiques du jeu jazz que nombre des ambitieuses «expérimentations» qualifiées «jazz» de l’époque et ultérieurement (dont l’intérêt, possible, est ailleurs). André Paquinet joue aussi dans les Four Bones de François Guin (1968, 1970), avec Slide Hampton, Ivan Jullien (1970-71), Roy Eldridge (1970). Il enregistre avec les Four Bones (1971, avec Bill Coleman ; 1975). Puis, il travaille à Berlin dans l’orchestre Radio-TV SFB de Paul Kuhn (1972-77, avec Carmell Jones, tp, Leo Wright, as, Torolf Molgaard, tb, Charles Orieux, btb). André a bien sûr enregistré pour Paul Kuhn (1975, Pop à la Swing, EMI ; 1977, the Big Band Beatles, EMI). Il passe ensuite sept ans dans l’Orchestre SRG (TV) dirigé par Hans Moëckel. Parallèlement, il travaille pour Paul Mauriat (1982-84, avec François Guin, tb)
De retour en France en 1984, il rejoue premier trombone pour Claude Bolling (disques dès 1984). André fut jusqu’à sa mort «titulaire» dans le Big Band de Claude Bolling, ce qui lui a permis de fréquenter de plus jeunes générations d’instrumentistes qui, d’ailleurs, lui manifestaient l’admiration méritée. Chez Bolling, André Paquinet pouvait être soliste aussi, notamment dans les reprises de Tommy Dorsey («Mary», etc.). Il poursuit aussi sa collaboration à l’orchestre Paul Mauriat (années 1990, avec Kako Bessot, Tony Russo, Michel Barrot, Patrick Artero, tp, François Guin, Christian Guizien, tb, Jean-Jacques Justafré, Nicolás Gautiez, François Cagnon, cor). André Paquinet, jusqu’à la fin, aura besoin de jouer du trombone et, dès qu’il y a une occasion, elle est bonne. Ce qui n’est pas si simple dans une société soumise aux modes éphémères et au jeunisme : «Quand vous vieillissez, certains ne vous voient pas d’un bon œil.» (André Paquinet, 2009). On remarque donc André Paquinet dans la Swing Locomotive d’Emile Vilain (à Chennevières, avec Fred Gérard, tp) et le Doctor Jazz Orchestra (avec René Caron, tp). Il participe aussi, pour un soir, au « Grand Orchestre de l’Olympia reconstitué » avec Raymond Fonsèque et Roger Guérin (Najac, 2006). Et même, en 2009, il joue en soliste le Concerto de Guy Lyupaerts avec la Musique de l’Armée de l’Air. André Paqunet a enseigné au Conservatoire de Saint-Maur. La chanteuse Vicky Palix fut l’une de ses quatre épouses. André Paquinet a joué un trombone King 2B. En 71 ans de carrière professionnelle, il a vécu l’évolution des genres musicaux et la disparition des grands orchestres de variétés qu’il déplorait. Il a, de fait, suivit l’évolution de la façon de jouer du trombone depuis les modèles initiaux que furent Tommy Dorsey et Guy Paquinet. Il admirait la technique des Jiggs Whigham, Bill Watrous : «L’Amérique: les premières découvertes viennent toujours de chez eux, parce qu’il y a une telle compétition dans tous les domaines.»
Lorsque je l’ai présenté à un confrère américain comme le «Urbie Green français», il en a été flatté et n’a pas contesté. Mais humblement, il relativisait : «Dans le monde, il n’y a pas LE meilleur. Il n’y a que des meilleurs.» (André Paquinet, 2009). Et il conseillait : «Ce qu’il faut, c’est bien écouter tout.» André Paquinet était très aimable, convivial. Nous le regrettons beaucoup.
Michel Laplace
Photos : vidéo 1988 et Lisiane Laplace 2010.
Source : Michel Laplace, Le Monde de la Trompette et des Cuivres (classique, variétés, jazz) (2014, DVD-Rom, 3306 pages, ISBN 978-2-9549-7410-1, http://michel-laplace1.e-monsite.com/ contact: michellaplace@neuf.fr)
Vidéos Orchestre Claude Bolling, « High Society » avec Gérard Badini (cl) & Arthur Motta (dm) (1958, correction d’identification des trompettes : Henri VAN HAEKE, lead tp, coda aiguë, Roger Guérin, Robert Fassin, René Léger et Maurice Thomas)
André Hodeir (1972, Maurice Thomas, lead tp, Roger Guérin, Christian Bellest, tp)
Benny Vasseur-André Paquinet, « Roland a téléphoné »
Benny Vasseur-André Paquinet, « Blues » - Arranged By Paquinet
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