Dès les
débuts du jazz à la New Orleans, la clarinette est devenu
l'instrument principal des orchestres à égalité avec la trompette.
Importation récente de la musique européenne, elle a produit le
premier solo reconnu d'une musique où l'improvisation collective
prime sur l'instrumentiste : le solo d'Alphonse Picou sur « High
Society » est devenu une référence et à l'instar de la
musique classique, ce solo devait être joué note pour note à
l'original. Même si le saxophone fait très vite son entrée dans le
jazz, la clarinette demeure un instrument important durant la swing
era : plusieurs chefs
d'orchestres, à l'image de Benny Goodman ou Artie Shaw, conservent à
l'instrument son rôle de leader. Mais avec l'arrivée du bebop, le
lent déclin amorcé au profit du saxophone s'accentue. Ainsi, la
clarinette jazz compte peu de solistes d'importance aujourd'hui. Ils
sont quasi inexistants en dehors du jazz new orleans et swing. Et la
plupart sont également saxophonistes. Ce qui n'a pas été le cas de
Buddy DeFranco, l'un des rares clarinettistes à avoir adopté le
nouveau style et à demeurer fidèle à l'instrument.
Boniface Ferdinand Leonard
DeFranco, dit Buddy, est né à Camden (New Jersey) le 17 février 19231. Son père
est aveugle et joue du piano. Dès l'age de 12 ans, il commence une
carrière professionnelle pour aider son père à subvenir aux
besoins d'une famille pauvre, dans les environs de Philadelphie, où
sa famille est revenue se fixer lorsqu'il avait 3 ans. Sa mère était
secrétaire dans une usine de cigares et, après une tentative de
suicide, est internée pour le restant de ses jours. A 5 ans, le
jeune garçon apprend seul la mandoline et plus tard veut étudier le
saxophone. Les amis musiciens de son père lui conseillent de
commencer par la clarinette et il prend des cours avec Chap Cottrell
puis avec Wally DeSimone, un voisin qui joue dans l'orchestre de
l'Earl Theater. Il suit ensuite les cours de la Mastbaum School of
Music de Philadelphie. Son intérêt pour le jazz lui vient de son
père et de son oncle qui aiment les grands orchestres et emmènent
le jeune garçon voir Chick Webb, Count Basie, Duke Ellington, Jimmy
Lunceford et tous ceux qui passent en ville. Après son diplôme, il
débute dans l'orchestre de Johnny Scat Davis en 1939, puis il
rejoint l'orchestre de Gene Krupa où il rencontre Roy Eldridge.
Puis en
1943, alors qu'il tourne avec Charlie Barnet, il entend les
enregistrements de Charlie Parker avec Jay McShann. Il commence alors
à essayer de jouer à la clarinette comme Bird le fait au saxophone
alto. Alors que ses idoles étaient Artie Shaw et Benny Goodman, il
déclare dans une interview à Down
Beat : « J'ai
décidé de jouer de la clarinette comme Bird articulait au saxo. Il
n'était pas facile d'imiter Artie Shaw, et encore plus difficile de
copier Bird car la clarinette est un instrument si difficile à
jouer. » En 1944, il
rejoint l'orchestre de Tommy Dorsey et en 1945 gagne le référendum
des lecteurs de Down Beat.
Il joue également dans l'orchestre de Boyd Raeburn en 1948 et
l'année suivante se fixe à New York. Il devient alors un musicien
de plus en plus renommé de la 52th
Street. Il gagne les référendums des critiques et participe au
Metronome All Stars où il côtoie Charlie Parker qui devient un ami.
Il joue dans des formations plus modernes et rejoint le sextet de
Count Basie. Lorsqu'il le quitte, il participe à Jazz at the
Philarmonic de Norman Granz et monte son propre grand orchestre qui
dure moins d'un an. Il analyse cet échec avec beaucoup de lucidité :
« L'orchestre n'avait
pas d'identité et ce n'était pas le bon moment : le temps des
big bands était fini. Il ne dura pas un an et j'ai perdu beaucoup
d'argent. »
Pendant
près des quatre ans, de 1952 à 1955, il tourne avec un quartet qui
comprend Kenny Drew ou Sonny Clark au piano, le bassiste Gene Wright
et les batteurs Art Blakey ou Bobby White, des musiciens
Afro-Américains : « Ce
que je peut vous dire à propos des Blancs et des Noirs, c'est que
durant cette période, les orchestres noirs avait un swing qui vous
prenait tout entier, vous le sentiez dans vos hanches, au plus
profond de vos émotions. J'avais une affinité avec les orchestres
noirs, car au fond de moi je savais que le rythme, c'était ça.
C'est ce que j'aime et que j'ai toujours essayé de communiquer
lorsque je joue. »
Lorsque
le bebop décline à la fin des années 50, ayant de plus en plus de
mal à trouver du travail, Buddy DeFranco s'installe sur la Côte
Ouest, devient musicien de studio et un enseignant. Il participe
alors au groupe les Polytones avec l'accordéoniste Tommy Gummina,
groupe qui ne rencontrera qu'un succès d'estime. Il adopte alors la
clarinette basse en plus de son instrument principal. De 1966 à
1974, il dirige le Glenn Miller Orchestra. Ce travail est tellement
prenant – l'orchestre étant engagé des années à l'avance dans
le monde entier –, qu'il déclare alors ne plus toucher son
instrument, se consacrant totalement à son travail de chef
d'orchestre.
En 1975,
il se marie pour la troisième fois, avec Joyce O. Yount, et
s'installe à Panama City (Floride) où sa femme travaille dans
l'immobilier. Il ne cesse de jouer jusque dans les années 2000 avec
de nombreuses collaborations (Dave McKenna, Terry Gibbs) tournant
souvent trente semaines par an. Il décède à Panama City le 24
décembre 2014.
Buddy
DeFranco a enregistré avec tous les musiciens importants aussi bien
du swing que du bebop. Il a à son actif plus de cent cinquante
disques. Il a apporté au bebop un son très policé, chaleureux qui
ne tournait pas le dos à la nouvelle musique. Il a été l'un des
rares musiciens à assumer l'héritage du passé de son instrument
tout en le projetant dans l'avenir, à une époque où ce n'était
pas véritablement évident.
Guy
Reynard
1. Une
biographie de Buddy DeFranco est parue en anglais mais écrite par
deux auteurs français : A
Life in the Golden Age of Jazz, A Biography of Buddy DeFranco
par Fabrice Zammarchi et
Sylvie Mas, Parkside Publications, 2002.
Discographie :
Leader : CD
1953. Mr Clarinet, Verve 847408-2 CD 1955. Cooking the Blues,
Verve 8221 CD 1956. Autumn Leaves, Verve 3529 CD 1958. Cross
Country Suite, Universal 11035 LP 1963. Polytones, Mercury 60833
(avec Tommy Gummina) CD 1964. Blues Bag, Koch Jazz 8545 CD
1974. Free Fall, Canadid 71008 CD 1981. Mr. Lucky, Pablo/OJCCD
938-2 CD
1984. Buddy DeFranco Meets Martin Taylor, Hep Jazz 2030 CD
1994. Born to Swing, Hindsight HCD 701 CD 1999. Do Nothing Till
You Hear From Me, Concord Jazz CCD4851-2 CD 2005. Artie Shaw,
Verve 881 234-2 CD 2007. Charlie Cat 2, Arbors 19349
Sideman : LP 1943-44. Charlie Barnet, Hop on the
Skyliner, Decca 8098 CD 1943-47. Stan Kenton, The Complete Capitol
Studio Recordings of Stan Kenton 1943-1947, Blue Note 21389 CD
1946. Tommy Dorsey, Having Wonderful Time, RCA 51643 CD 1946. The
Metronome All-Stars, Metronome All-Star Bands, RCA/Bluebird
7636 LP 1949. Lennie Tristano, Crosscurrents, Capitol 11060 CD
1954-56. Art Tatum, The Complete Pablo Group Masterpieces, Pablo
4401-2 CD 1957. Roy Eldridge, 1957 Live, Jazz Band EBCD 21072 CD
1958. Harry Sweets Edison / Stan Getz / Gerry Mulligan / Oscar
Peterson Trio, Jazz Giants '58, Verve 001079302 CD 1972. Glenn
Miller Orchestra, Yesterdays, Ranwood Records 1017 LP 1981. Terry
Gibbs, Jazz Party: First Time Together, Palo Alto 8011 CD 1997.
Dave McKenna, You Must Believe in Swing, Concord Jazz 47562 CD
1997. Rolf Kühn, Affairs, Intuition 3211
Vidéos : Terry Gibbs and Buddy DeFranco,
émission Tonight Show with Johnny Carson (1982) Ross
Tompkins (p), Joel DiBartolo (b), Ed Shaughnessy (dm) and the Tonight
Show Band
« Yesterdays »,
Buddy DeFranco 1983 avec Les Brown, Aurex Jazz Festival (1er sept.
1983, Budokan, Tokyo)
« Giant Steps », Terry
Gibbs & Buddy DeFranco (1987)
« Memories
of You » (1991) Buddy DeFranco (cl), Terry Gibbs (vib), Herb Ellis
(g)
The
Clarinet Lings (2001) Buddy DeFranco (cl), Putte Wickman (cl), Claes
Crona (dm), Peter Island Östlund (p), Hans Backenroth (b), Claes
Crona (dm)
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