
Orrin
Keepnews est né le 2 mars 1923, dans le Bronx, d'un père
travailleur social et d'une mère enseignante. Il suit les cours de
l'université de Columbia car il pense devenir journaliste. Il
fréquente les clubs de la 52e
rue mais il est bientôt appelé par l'Air Force. Peu de temps avant
la fin de la Seconde Guerre mondiale, il participe à des missions
au-dessus du Japon comme navigateur à bord d'un bombardier.
Démobilisé, il termine ses études à Columbia. Muni d'un diplôme
d'anglais, il est embauché par l'éditeur Simon and Schuster. Dans
le même temps, il écrit dans une petite revue de jazz, The
Record Changer, rachetée
par Bill Grauer en 1948. Tout deux se sont connus à Columbia. Et
c'est dans cette revue qu'il écrit un premier article élogieux sur
Thelonious Monk alors peu connu du public. Et bientôt tous les deux
fondent Riverside Records. Leur premier travail porte sur des
rééditions des 78 tours RCA de musiciens New Orleans et swing.
C'est la première série numéroté RLP 12-101 à 159 où l'on ne
trouve que des musiciens des débuts du jazz et uniquement des
rééditions. Le premier numéroté RLP 12-101 est appelé Young
Louis Armstrong et
regroupe des enregistrements en 78 tours de 1923 à 1925. Ces
rééditions se font en vinyl 30 cm (12 pouces en anglais). Cette
indication dure jusqu'au début des années 60 et disparaît lorsque
ne sortent plus aucun 25 cm. La volonté pédagogique n'est pas
absente : une serie de 5 disques retrace l'histoire du jazz de
Scott Joplin au revival jusqu'en 1954. Cette première série de
rééditions comporte 159 albums et marque également la volonté de
couvrir toute l'histoire du jazz de Jelly Roll Morton et King Oliver
aux frères Tommy et Jimmy Dorsey, et également la volonté
d'explorer toutes les musiques noires : jazz (les plus
nombreux), Blues (Blind Lemon Jefferson, Ida Cox) et gospel (Reverend
Gary Davis). Commencée avec louis Armstrong et terminée avec
l'Original Dixieland Jazz Band, cette série de soixante disques
constitue un véritable prélude historique à toute la carrière de
Orrin Keepnews.

Après
cette première période Riverside va se consacrer aux musiciens
modernes et cesser les rééditions. Randy Weston est le premiers à
signer chez Riverside : Bill Grauer l'a entendu en club et
recommande de le recruter. Mais Keepnews n'a pas confiance dans les
goûts musicaux de son partenaire et va l'écouter avant de signer un
contrat avec lui. Désormais Bill Grauer abandonne le côté
artistique à Orrin Keepnews et se consacre aux aspects financiers de
l'entreprise. Lorsque Keepnews et Grauer apprennent que Thelonious
Monk n'a plus de contrat, ils décident de le faire signer et
commence une collaboration fructueuse mais toujours délicate tant
Monk est souvent imprévisible, exigeant tant pour les autres que
pour lui même. La réédition bien des années plus tard de
l'intégrale de ces enregistrements vaudra un Grammy Award à Orrin
Keepnews. Il obtiendra d'ailleurs quatre Grammy Awards qui
récompensent ses productions pour les pochettes et les notes qu'il
écrit lui-même. Petit à petit, les musiciens vont affluer vers
Riverside : Sonny Rollins, Wes Montgomery, Canonball Adderley
vont rejoindre le label. A l'exception de Sonny Rollins, la plupart
de ces musiciens sont de jeunes inconnus qui viennent réaliser leurs
premiers disques chez Riverside. Les trompettistes Blue Mitchell,
Clark Terry, Chet Baker, le tromboniste Julian priester débutent sur
Jazzland le label parallèle à Riverside, les saxophonistes Benny
Golson, Johnny Griffin, Eddie Lockjaw Davis, les pianistes Junior
Mance, Thelonious Monk, Barry Harris et Billy Taylor, les guitariste
Charlie Byrd, Munell Lowe, Wes Montgomery, le batteur Philly Joe
Jones, la
chanteuse Abbey Lincoln, trouvent une oreille attentive chez Orrin
Keepnews. En 1959 l'enregistrement du quintet de Cannonball Adderley
au Jazz Workshop de San Francisco amorce une série d'enregistrements
publics. Les plus fameux sont ceux de Bill Evans au Village Vanguard
en 1961. Quelques jours après l'enregistrement Scott LaFaro meurt
dans un accident de voiture et Bill Evans se retire de la scène. La
publication du disque Sunday
at the Village Vanguard
montre l'intérêt de cette musique alors un peu boudée par le
public. Pour le remercier Bill Evans écrit le morceau « Re-Person
I Knew », titre en apparence énigmatique mais qui se révèle
être un anagramme de Orrin Keepnews.
Bientôt
les temps deviennent difficiles pour Riverside, les principaux
artistes sont recrutés par les majors et quittent le label :
Thelonious Monk signe chez Columbia, Cannonball Adderley rejoint
Capitol et Wes Montgomery trouve un nouveau contrat chez Verve. En
décembre, Bill Grauer meurt des suites d'une crise cardiaque et on
découvre alors que la comptabilité masque de graves déficits et
malgré tout ses efforts Orrin Keepnews ne peut sauver Riverside qui
fait faillite quelques mois plus tard. Le travail accompli est
considérable : en quelques onze années, plus de cinq-cents
disques ont été publiés et montrent une large connaissance de
l'histoire du jazz des tout débuts, jusqu'au progressiste George
Russell. On trouve peu de disques de blues : seuls John Lee
Hooker et Odetta ont signé un album chez Riverside. Une seule
compagnie a produit autant de disques que Riverside, c'est Prestige
la compagnie de Bob Weinstock. Mais alors que ce dernier était
surtout attaché au profit immédiat, Orrin Keepnews travaille pour
l'avenir en plein accord avec les musiciens. Alors qu'à la fin de
leur contrat les plupart des artistes cherchent à quitter, Prestige,
les musicien Riverside retrouveront toujours avec plaisir la
direction de Orrin keepnews. Il est à noter que la plupart des
référence Riverside ont été rééditée en CD sur le label
Orginal Jazz Classics.

Il
n'abandonne pas pour autant la production et travaille en indépendant
pendant deux ans. En 1966 il s'associe au pianiste Dick Katz et fonde
une nouvelle compagnie de disques indépendante : Milestone
Records continue dans la lignée de Riverside et enregistre des
musiciens déjà confirmés. McCoy Tyner, Joe Henderson, Gary Bartz
vont produire plusieurs disques sur le nouveau label. Il faut
remarquer que les deux premiers musiciens étaient des artistes Blue
Note qui sont venus continuer leur à produire leur musique lorsque
Blue Note a sombré dans la musique commerciale. Milestone connaît
un large développement, mais la concentration de l'industrie du
disque se poursuit et en 1972, Orrin Keepnews devient directeur en
recherche et développement pour le jazz du label Fantasy et revient
sur la côte ouest à San Francisco. Il retrouve alors Cannonball
Adderley et produit les derniers disques du saxophoniste. Fantasy qui
a racheté les enregistrements Riverside, se porte bientôt acquéreur
de Milestone. Orrin Keepnews va alors une nouvelle fois innover en
créant les « twofers », double albums de rééditions
des catalogue Fantasy, Riverside et Jazzland qui contiennent la
plupart des enregistrements qu'il a lui même produits. C'est ainsi
que Wes Montgomery, Sonny Rollins et de nombeux autres vont voir
leurs albums réédités sur le label. Bill Evans signe chez
Milestone, mais c'est Helen Keane, son manager qui produit ses
albums. En 1980, après avoir été nommé vice président de
Fantasy, il quitte le label et redevient indépendant car dit-il
« même dans le meilleur des cas je ne peux être heureux en
travaillant pour quelqu'un d'autre. »
En 1985,
il fonde une nouvelle compagnie Landmark Records où il applique la
même politique éditoriale : il signe quelques jeunes
musiciens : Mulgrew Miller, Ralph Moore, Vincent Herring et
retrouve des musiciens confirmés comme Donald Byrd, Jimmy Heath,
Bobby Hutcherson et de nombreux autres. Le cas de Donald Byrd est
tout à fait significatif de l'aura d'Orrin Keepnews : le
trompettiste n'a plus enregistré depuis de nombreuses années et ses
errances dans la musique commerciale, il revient au jazz et
enregistre plusieurs albums. En 1993 Landmark passe sous la houlette
de Muse Records et s'en est fini de la carrière d'Orrin Keepnews en
tant que créateur de compagnies de disques. Il redevient producteur
free-lance et participe à la réédition en CD de nombreux sessions
parues auparavant en vinyle. En 1999, en particulier pour le
centenaire de Duke Ellington, il produit le coffret de 24 CD des
enregistrements RCA du pianiste et chef d'orchestre. La Keepnews
Collection réédite chez Concord dernier possesseur en date de ses
enregistrements toute une série d'albums remasterisés en 24 bits.

Orrin
Keepnews a reçu de nombreuses récompenses, outre ses Grammy
Awards : un Trustees Award for Lifetime Achievement en 2004 et
en 2011 un NEA Jazz Masters Lifetime Achievement. Il avait eu deux
enfants de son premier mariage : David Keepnews qui enseigne les
soins infirmiers et la politique de santé au Hunter College à New
York et Peter Keepnews journaliste de jazz au New York Times.
A
l'heure où l'industrie du disque est en perpétuelle restructuration
sinon en voie de disparition, des producteurs comme le fut Orrin
Keepnews sont de plus en plus indispensables. Mais ils sont largement
combattus par une politique de rentabilité immédiate qui se moque
du devoir de mémoire envers une musique qui risque de revenir à
l'éphémère tant la matérialité d'un support risque de lui faire
défaut. Le jazz peut-il survivre et se régénérer par un retour à
l'oralité de ses débuts ? Rien n'est moins sûr car alors
disparaîtrait tout un pan de la mémoire de notre musique. Guy Reynard
Livres
Orrin
Keepnews, outre les notes de pochette en particulier lors de la
réédition des enregistrements de Bill Evans
chez Riverside avait publié deux ouvrages disponibles en anglais :
Orrin Keepnews et Bill Grauer Jr., A Pictorial History of Jazz: People and Places from New
Orleans to Modern Jazz (4th ed.), Crown Publishing Group, 1961 Orrin Keepnews, The View
from Within: Jazz Writings, 1948-1987, Oxford University Press, 1988
Jazz Hot n°518, mars 1995 (numéro des 60 ans de Jazz Hot): Un petit brin de Fantasy, interview de Ralph Kaffel, Bill Belmont, Terry Hinte et Ed Michel
Vidéos :
Orrin Keepnews,
Producer: Saint Monk
Orrin Keepnews Meets
the Saxophone Colossus
Viva Cannonball
Adderley
The Incredible Jazz Guitar of Wes Montgomery
Mr. Pulled Together -
Clark Terry
Portrait of Bill Evans -
Orrin Keepnews
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