Arthur (Murray) Blythe, «Black Arthur» pour ses amis, saxophoniste alto, compositeur, quelque peu oublié des scènes et des studios depuis la fin des années 2000, vient de rejoindre la section des saxophonistes alto du paradis. Aucune cause officielle de sa mort n’a été donné, mais il luttait depuis les années 2005 contre la maladie de Parkinson. En 2013, il avait été ramené d’un coma artificiel suite à une tumeur bénigne et, selon le vibraphoniste et ami Gust Tsilis, il avait eu récemment une pneumonie. Son décès a été annoncé ce lundi matin sur sa page. Aucun de ceux qui l’ont écouté en concert et/ou côtoyé dans les coulisses, les studios ne pourront oublier sa silhouette rondouillarde, sa gentillesse et sa bonhomie communicative. Le personnage ne cache pas le musicien émérite qui dans toutes les circonstances a su hisser vers le haut une musique intense et sans concession. Sa carrière en leader se déroule sur une petite trentaine d’années (1977-2003) et si le label Columbia, après un lancement appuyé et des pressions pas toujours salutaires, lui préféra un jazz plus commercial, il laisse une série d’albums personnels mémorables. Son nom reste aussi associé à des sérieux employeurs tels Horace Tapscott, Chico Hamilton, Gil Evans, Jack DeJohnette, Mc Coy Tyner… et des camarades de route tels David Murray, Chico Freeman, Lester Bowie, Sam Rivers, Don Cherry, Don Moye… avec lesquels il a joué dans les groupes parmi le plus représentatifs d'un jazz de culture de haut niveau: The World Saxophone Quartet, The Leaders, Roots… Johnny Hodges, Benny Carter, Charlie Parker vont l’accueillir à bras ouverts.
Arthur Blythe © David Sinclair
Natif de Los Angeles, Arthur Blythe grandit à San Diego, où il commence à 10 ans l’étude de la musique dans l’orchestre de son école puis aux côtés de Kirtland Bradford, ex-membre de la section de saxophones de l’orchestre de Jimmie Lunceford. De retour à Los Angeles, au début des années soixante, il rejoint le groupe du pianiste Horace Tapscott, chef de file de la west coast, version afro-américaine (Jazz Hot n°548, 1998 et n°559, 1999) et participe en 1961 à la création de l’association, The Union of God's Musicians and Artist's Ascension (UGMAA) basée dans les faubourgs de la ville, dans le quartier de Watts. Ce collectif d’artistes qui réunit musiciens, danseurs, peintres, cinéastes entend défendre des conceptions avant-gardistes ainsi que l’emploi de ses membres en organisant directement de nombreuses manifestations. Arthur Blythe participe activement à ce travail collectif et, en 1969, enregistre pour la première fois un album signé par Horace Tapscott, The Giant Is Awakened, paru sur le label Flying Dutchman. Toujours sous la houlette du pianiste, auprès duquel il jouera jusqu’à 1974, Il se produit aussi pour arrondir ses fins de mois dans des formations de rhythm & blues de la Côte Ouest.
Le milieu des années 70 marque un grand changement dans sa vie car il s’installe à New York où il travaille en tant qu’agent de sécurité, et où il rencontre le batteur Chico Hamilton qui l’embauche (1974-1977), pour une seconde carrière plus internationale. Il grave trois albums à ses côtés et côtoient dans la Grosse Pomme une jeune génération de musiciens baptisés «The Youngs Lions». Il joue aussi et enregistre avec Azar Lawrence, Charles Tyler, Julius Hemphill ou Steve Reid. Adoubé par ses pairs, il répète régulièrement dans le big band de Gil Evans, et figure jusqu’en 1981 sur six albums et lors des concerts du maître-arrangeur.
A la fin des années 1970, très sollicité, Arthur Blythe apparaît aux cotés de Lester Bowie, Sunny Murray, Barry Alstchul et en 1980 avec le Jack DeJohnette-Special Edition. Entre-temps, sa propre carrière discographique a démarré par l’enregistrement en 1977 de l’album The Grip, signé sur le label India Navigation, suivi de Bush Baby en 1978 chez Adeplhi Records, puis retour en 1979 chez India Navigation pour Metamorphosis. Arthur Blythe est devenu un artiste en pleine maturité maîtrisant aussi bien le langage du free jazz que celui de la tradition, combinant les deux dans une synthèse originale. En fait Arthur Blythe domine l’histoire du jazz et en emprunte à son gré toutes les formes de la plus classique à la plus marginale. Du standard à l’improvisation totale, le tout servi par une technique sans faille où l’on croit reconnaître ses prédécesseurs mais dont la forme et le son lui appartiennent totalement.
Il se produit avec deux formations différentes, l’une très électrique en quintet où l’on retrouve une orchestration très particulière avec Kelvyn Bell (g) ou James Blood Ulmer (g), Bob Stewart (tu), Abdul Wadud (cello) et Bobby Battle (dm), l’autre plus acoustique en quartet avec Stanley Cowell (p), Fred Hopkins (b) et Steve McCall (dm). Les deux formations lui permettent de présenter la palette de ses compositions et chaque concert revêt un caractère aventureux.
Remarqué par Columbia qui veut réinvestir dans le jazz, il signe un contrat qui donne une série de magnifiques albums : In the Tradition (1979), le superbe Lenox Avenue Breakdown (1979), Illusions (1980), Blythe Spirit (1981) et Elaborations (1982), puis des productions plus contrôlées Light Blue-Arthur Blythe Plays Thelonious Monk (1983), Put Sunshine in It (1985), Da-Da (1986) et Basic Blythe (1988); les derniers, suivant la politique commerciale de la maison, n’hésitent pas à imposer des violons là où il n’en faut pas. Les exigences du label ne correspondent plus à la liberté inventive du musicien. Il semble également que Columbia ait concentré sa promotion sur Wynton Marsalis, artiste jazz vedette de son catalogue.
Les années suivantes, Arthur Blythe signe peu d’albums en leader et tourne moins avec son groupe, mais participe à de nombreuses aventures collectives ponctuées de tournées, de quatre disques avec The Leaders (Lester Bowie, Chico Freeman, Famoudou Don Moye, Kirk Lightsey, Cecil McBee), de trois albums avec Roots (Chico Freeman, Sam Rivers, Don Pullen, Idris Muhammad ou Tommy Campbell et Santi DeBriano) et une collaboration avec The World Saxophones Quartet qu’il intègre suite au décès de son ami et compagnon de route, Julius Hemphill. Même si sa carrière apparaît moins bien mise en valeur, il enregistre toujours en leader pour Enja Records, en 1991 Hipmotism, en 1994 Retroflection, en 1995 Calling Cards, disques où l’on retrouve entre autres John Hicks, Bobby Battle et Cecil McBee.
Par la suite, Arthur Blythe ne travaille plus qu'avec de petits labels, ce qui ne l’empêche pas de produire une musique toujours bien vivante et pleine d'énergie; Night Song en 1997 pour Clarity Records, Arthur Blythe & David Eyges-Today Blues en 1998 chez CIMP, de nouveau avec David Eyges Sky, chez MidLantic Records en 2002. Il termine, entre 2000 et 2003 sa carrière discographique de leader sur l'excellent label de Joe Fields, Savant Records, en signant quatre albums: Arthur Blythe Trio, Spirits in the Field, Blythe Byte, Focus et Exhale sur lequel son visage barbu apparaît très fatigué.
Pour conclure ce tour d'horizon discographique, son dernier enregistrement se fera auprès de John Abercrombie, Terri Lyne Carrington, Antony Cox, Mark Feldman et Gust Tsilis en 2005 pour l’album Echoes sur le label Alessa Records.
Disparu ensuite de la scène, de la radio et d’échos dans la presse spécialisée, les dix dernières années de la vie d’Arthur Blythe sont peu documentées. Il était atteint depuis des années de la maladie de Parkinson et avait contribué fortement à la lutte contre cette maladie en donnant de nombreux concerts et en créant une fondation consacrée à la recherche médicale: The Arthur Blythe’ Parkinson Fund.
Malgré une relativement faible notoriété, ce qui est souvent le cas des artistes de culture apparus dans les années soixante-dix (la grand famille des musiciens à laquelle appartient Arthur Blythe en particulier), Arthur Blythe marque néanmoins de son talent exceptionnel l’histoire du jazz depuis ces années. Il reste donc un musicien à découvrir pour de nombreux amateurs. Jazz Hot a eu l'occasion de mettre en avant, à plusieurs reprises, ce vrai talent, discret comme souvent dans le jazz, dans le n°482 où Arthur Blythe fait la couverture avec ses compagnons du World Saxophone Quartet, avec un second article consacré aux Leaders, son autre groupe. Dans le Jazz Hot n° 515, où il fait seul la couverture et se raconte en détail (il est recommandé de s'y reporter, comme à l'interview d'Horace Tapscott), Black Arthur (son surnom parmi les musiciens) décrivait ainsi son style: «J'ai toujours cherché à avoir un son volumineux, une certaine ampleur dans mon jeu.[…] Des altistes ont aussi su développer cette qualité: je pense à Charlie Parker, Cannonball Adderley, Jackie McLean.» On ne saurait mieux définir la lignée de saxophonistes alto à laquelle appartient Arthur Blythe, dont il est un digne représentant.
Michel Antonelli Photo David Sinclair
Arthur Blythe et Jazz Hot: n°379/380-1980, n° 420-1985, n°492-1991 et n°515-1994 (interview et discographie détaillée).
DISCOGRAPHIE:
Leader
LP 1977. The Grip, Indian Navigation 1029
LP 1977. Bush Baby, Adelphi 5008
LP 1977. Metamorphosis, India Navigation 1038
LP 1978. In the Tradidtion, Columbia 84152
CD 1978. Lenox Avenue Breakdown, Columbia/Koch Jazz 7871
CD 1980. Illusions, Columbia Sony 7188
LP 1981. Blythte Spirit, Columbia 37427
LP 1982. Elaborations, Columbia 38163
LP 1983. Light Blue: Arthur Blythe Plays Thelonious Monk, Columbia 38661
LP 1984. Put Sunshine in It, Columbia 26098
LP 1985. Da-Da, Columbia 26888
CD 1987. Basic Blythe, Columbia 40884
CD 1991. Hipmotism, Enja 6088-2
CD 1996. Calling Card, Enja 9051-2
CD 1994. Retroflection, Enja 8046-2
CD 1997. Night Song, Clarity 1016
CD 2000. Spirits in the Field, Savant 2024
CD 2001. Blythe Byte, Savant 2036
CD 2002. Focus, Savant 2044
CD 2003. Exhale, Savant 2050
Coleader
Synthesis
1977. Six by Six avec Olu Dara, Chiaroscuro 172
1979. Sentiments avec Olu Dara et David Murray, Ra Records 101
The Ledaers
CD 1986. Mudfoot, Black Hawk 520-2
CD 1987. Out Here Like This, Black Saint 120 119-2
CD 1988. Unforessen Blessings, Black Saint 120 129-2
CD 1994. Slipping and Sliding, Sound Hills 8054
Roots
LP 1992. Salutes the Saxophone-Tribute to John Coltrane, Dexter Gordon, Sonny Rollins and Lester Young, In & Out IOR 7016-3
CD 1993. Stablemates, In & Out IOR 7021-2
CD 1995. Say Something, In & Out IOR 77031-2
Autres collaborations
LP 1986. Gust Williams Tsilis & Alithea with Arthur Blythe, Pale Fire, Enja 5061
CD 1989. Chico Freeman/Arthur Blythe, Luminous, Ronnie Scott Jazz House 010
CD 1991. McCoy Tyner Featuring David Murray, Arthur Blythe, Ron Carter, Aaron Scott, 44th Street Suite, Red Baron 469284 2
CD 1991. World Saxophone Quartet, Metamorphosis, Nonesuch 7559-79258-2
CD 1993. Santi Debriano Billy Hart and Arthur Blythe, 3-Ology, Konnex 5047
CD 1993. Jeff Palmer, John Abercrombie, Arthur Blythe, Victor Lewis, Ease On, AudioQuest Music 2-AQM-1014
CD 1994. Chico Freeman Quintet Featuring Arthur Blythe, The Unspoken Word, Ronnie Scot Jazz House JHCD 030
CD 1995. Chico Freeman Quintet Featuring Arthur Blythe, Focus, Contemporary Records CCD-14073-2
CD 1997. Arthur Blythe, David Eyges and Bruce Ditmas, Synergy, In & Out IOR 77033-2
CD 1997. Joey Baron, Arthur Blythe, Ron Carter, Bill Frisell, Down Home, Intuition 3503 2
CD 1998. Arthur Blythe & David Eyges, Today’s Blues, CIMP 158
CD 1999. Joey Baron, Arthur Blythe, Ron Carter, Bill Frisell, We’ll Soon Find out, Intuition 3515 2
CD 2002. David Eyges - Arthur Blythe, Sky, MidLantic Records 2002-101
CD 2004. David Eyges, Arthur Blythe, Abe Speller, Ace, MidLantic Records 2004-209
CD 2005. John Abercrombie, Arthur Blythe, Terri Lyne Carrington, Antony Cox, Mark Feldman, Gust Tsilis, Echoes, Alessa 1002
Sideman
CD 1969. Horace Tapscott Quintet, The Giant is Awakened, International Phonograph 107
LP 1974. Azar Lawrence, Bridge Into the New Age, Prestige 10086
CD 1975. Charles Tyler Ensemble, Voyage From Jericho, Bleu Regard 1944
CD 1975. Julius Hemphill, Coon Bid’ness, Freedon 741028
CD 1975. Chico Hamilton, Peregrinations, Blue Note 50544
CD 1976. Steve Reid, Rhythmatism, Universal Sound 23
LP 1976. Gil Evans, Syntetic Evans, Poljazz 636
LP 1976. Chico Hamilton, Chico Hamilton And The Players, Blue Note 12097
LP 1977. Chico Hamilton, Catwalk, Mercury 1-1163
CD 1978. Lester Bowie, The 5th Power, Black Saint 0020
CD 1978. Sunny Murray’s Untouchable Factor, Apple Cores 35107
CD 1978. Rodney Jones, Articulation, Timeless SJP 125
LP 1978. Barry Altschul, Another Time/Another Place, Muse 5176
LP 1978. Gil Evans And His Orchestra, European Tour July 1978, Geo
LP 1978. Lester Bowie, African Children, Horo Records 29-30
LP 1979. Gil Evans, Gil Evans Live At The Royal Festival Hall London 1978, RCA Victor 25209
LP 1979. Gil Evans Orchestra, Parabola, Horo Records 31-32
LP 1980. Eric Gale, Touch of Silk, Columbia 36570
CD 1980. Gil Evans, Live At The Public Theater (New York 1980) Vol.2, Storyville 5005
CD 1980. Jack DeJohnette, Special Edition, ECM 1152-827 694-2
CD 1980. McCoy Tyner, 4X4, Milestone 55007-2
CD 1980. Gil Evans, Live At The Public Theater (New York 1980) Vol.1, Storyville 5003
LP 1981. Johnny Copeland, Copeland Special, Jackal Records 721
LP 1981. Woody Shaw with Antony Braxton, The Iron Men, Muse 5160
LP 1981. Gil Evans, The Rest of Gil Evans Live at the Royal Festival Hall London 1978, Mole 3
CD 1983. Gil Evans, Priestless, Antilles 422-826 770-2
CD 1985. Jack DeJohnette, Works, ECM 825 427-2
CD 1991. The John Carter & Bobby Bradford Quartet and the Horace Tapscott Quintet, West Coast Hot, RCA 83107
CD 1994. Rodney Kendrick, Dance Worl Dance, Gitanes Jazz Productions 521 937-2
CD 1994. Kevin Mahogany, Songs and Moments, Enja 8072-2
CD 1995. Lawrence D. Butch Morris, Testament: A Conduction Collection- Conduction 15, Where Music Goes II, New World Records- CounterCurrents 80480-2
CD 1995. Jeff Palmer, Island Universe, Soul Note 121301-2
CD 1995. Johnny Copeland, Texas Party, Orbis 056
CD 1997. Sting and Gil Evans, Strange Fruit, ITM Records 1499
CD 1998. Woody Shaw, Two More Pieces of the Puzzle, 32 Jazz 32069
CD 1999. Jack DeJohnette, Festival, ECM
CD 2001. Rodney Jones, Soul Manifesto, Blue Note 72435
CD 2001. Chico Hamilton, Forestrom, Koch Jazz 7870
CD 2002. Cold Sweat, Plays J.B, Winter & Winter 919 025-2
CD 2006. Various, The Dark Tree: Jazz And The Community Arts in Los Angeles, University Of California Press
CD 2006, Gitta Kahle Quintet, Blue Tide Red, Unit Records 4170
CD 2010. Lester Bowie, The Complete Remastered Recordings on Black Saint & Soul Note, Black Saint/Soul Note BXS 1006
DVD
2003 The Gadd Gang/Roots-Salute To The Saxophone/The Gadd Gang–Digital Live–Vol.5, Eagle Vision 321 (Recorded at the Brewhouse Theatre, Taunton in 1992
VIDEOS
1980. En quartet à Berlin https://www.youtube.com/watch?v=W95XuJ-Er9s
1981. En quintet à Montreux https://www.youtube.com/watch?v=8u8yJTxCCKE
1981. Avec McCoy Tyner https://www.youtube.com/watch?v=xUpllpD6ClE
1992. Avec Roots https://www.youtube.com/watch?v=XU_eKFPsdaY
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