Né en Louisiane, dans la petite ville d’Edgard, le 24
décembre 1918, Dave Bartholomew a paisiblement terminé ses jours, non loin de là, à Metairie, un bourg de l'agglomération de New Orleans, plus de
cent ans après, le 23 juin 2019. Ce trompettiste et chef d'orchestre, fidèle au
répertoire traditionnel de La Nouvelle-Orléans, aura marqué comme peu de
musiciens la musique populaire afro-américaine en participant à la genèse du
rhythm & blues, tout en mêlant ses talents singuliers de producteur,
arrangeur, compositeur et découvreur de talents et en mettant son instrument
au service d’une multitude d'artistes émergents. Sa portée musicale s'étend
bien au-delà de sa longue collaboration avec Fats Domino sur le mythique label
Imperial.
Fils d'un trompettiste de jazz, David Louis Bartholomew a
grandi dans un environnement musical riche et a débuté au tuba avant de passer
à la trompette. Surnommé «Leather Lungs» pour sa capacité à tenir
la note, il est le protégé de Peter Davis, professeur de renom et ami de la
famille qui donna quelques cours à Louis Armstrong. Il débute dans les marching
bands de La Nouvelle-Orléans et fait partie des formations de Clayborn
Willians, Papa Celestin et Fats Pichon;
il fait ainsi ses classes dans les clubs du French Quarter ou sur les
bateaux remontant le Mississippi. Il effectue également son apprentissage
derrière les pupitres de big bands célèbres tels ceux d'Ernie Fields et de
Jimmie Lunceford. Il poursuit cette expérience en grande formation durant la
Seconde Guerre mondiale au sein de l’orchestre des 196th Army Ground
Force où il met à profit ses capacités d’arrangeur et de compositeur.
Après la guerre, il retourne à La Nouvelle-Orléans et monte
un sextet, The Dew Droppers, qui arpente les lieux nocturnes de la Cité du
Croissant tel que les clubs Tijuana et Dew Drop Inn. La formation connaît un
succès local et joue une musique alliant les rythmes de parades du Mardi Gras,
du middle jazz et du jump blues précurseur du fameux groove de New Orleans, ce
«Big Beat» exécuté de main de maître par le batteur Earl Palmer
allié aux saxophonistes Joe Harris (as), Clarence Hall (ts), Herb Hardesty (ts)
et aux incontournables Lee Allen (ts) et
Alvin Red Tyler (ts) à partir de 1950. La rythmique est complétée par
Frank Fields (b), Ernest McLean (g) et Salvador Doucette (p). En 1947, le groupe enregistre dans le fameux
studio Cossimo Matassa, pour le label DeLuxe, une poignée de titres dont les
excellents «She's Got Great Big Eyes and Great Big Tighs» et
«Bum Mae» avant d’enchaîner deux ans plus tard avec un premier
succès «Country Boy» suivi de «Good Jax Boogie».
Lors d'une tournée au Texas en 1949, il rencontre Lew Chudd,
le patron des disques Impérial, qui lui propose un poste de directeur
artistique. Désormais, Dave Bartholomew explore la riche scène musicale néo-orléanaise
mais également écrit, produit, arrange et enregistre avec sa formation pour des
artistes de rhythm & blues, dont Fats Domino, avec lequel il a écrit ce qui
est peut-être le premier titre de rock & roll avec «The Fat Man» qui est une
adaptation d'un vieux blues «Junker's Blues». Il signe également un
deuxième succès avec le titre «3x7=21» pour la chanteuse Jewel
King avec un superbe chorus d'Alvin Red Tyler (ts). Il interrompt fin 1950 sa
collaboration avec Imperial suite à une dispute avec Lew Chudd, pour travailler
avec divers labels comme King, Specialty, Modern où il accompagne Etta James
sur «Tough Lover». Il produit ou joue entre autres sur «Tutti
Frutti» et «Long Tall Sally» de Little Richard, «Lawldy
Miss Clawdy» et «Strange Lee» de Lloyd Price ou «I Hear
You Knocking» de Smiley Lewis. Son retour chez Impérial en 1952 marque
une étape importante dans sa carrière, voyant s’intensifier sa collaboration avec
Fats Domino, amplifiant un succès qui ira bien au-delà du public afro-américain.
Sous la direction de Dave Bartholomew, Fats Domino place 65 singles dans le
classement Billboard pop entre 1955 et 1964. Des titres tels que «Ain't
That a Shame», «Blue Monday», «I'm Walkin»,
«Blueberry Hill» ou «Let the Four Winds Blow» sont
devenus des classiques et démontrent une entente et une complémentarité autant
artistique qu'humaine entre les deux hommes. L'univers du rock & roll
naissant a également puisé dans le répertoire de Dave Bartholomew, d'Elvis
Presley, Jerry Lee Lewis à Buddy Holly. N'oublions pas le «My Ding a
Ling» de Chuck Berry qui est en fait une adaptation d'un thème de Dave
Bartholomew datant de 1952 ayant pour titre «Little Girl Sing Ding a
Ling». Au sujet de son premier contact avec le jeune Fats Domino, il
déclara: « On aurait dit
que toute La Nouvelle-Orléans s'était donné rendez-vous au Hideway un club de
la ville pour le voir. Fats cassait la baraque! Il chantait et jouait du
piano sans s'arrêter. Tout le monde s'amusait. Ma première impression ne s'est
pas démentie. Il était un grand chanteur et un grand artiste. Et quoi qu'il
fasse, personne ne pouvait le battre.» En parallèle, il continue son
travail avec le label Impérial en collaborant avec des artistes tels que Bobby
Mitchell, Roy Brown, Bobby Charles, Tommy Ridgley, Earl King ou T-Bone Walker,
ne se limitant pas d'ailleurs au catalogue Impérial comme le prouvent les
titres «Second Hand Soul», «Dinah», «Won't
Settle Down» et «Misery» du pianiste Cousin Joe. Sa carrière
de leader n’est cependant pas mise entre parenthèses, et il signe quelques
superbes titres tels que «Jump Children» (1954) avec Fats Domino au
piano ou «The Monkey» (1957) véritable titre engagé pour l'époque.
Il effectue également quelques tournées
avec le chanteur Sam Cooke en 1960, soutenu par Allen Toussaint, un jeune pianiste au talent prometteur.
Lorsque Liberty Records
rachète Impérial en 1963, il refuse de quitter La Nouvelle-Orléans pour Los
Angeles, et il travaille sporadiquement pour les labels Trumpet et Mercury avant de
créer le sien, Broadmoor, et de rentrer progressivement en semi-retraite. On
peut toutefois l'entendre en 1972 au Newport Jazz Festival ainsi qu'avec sa
formation de jazz traditionnel à la tête de laquelle il se produit jusqu’aux
années 1990, enregistrant trois albums dans l’idiome de ses débuts. Il apparaît
également dans la première saison de la superbe série Treme, produit par HBO,
lors d'un concert avec Antoine Baptiste et Allen Toussaint s'illustrant avec
assurance à la trompette sur «Time Is on My Side». Il s'est
également produit dans les années 2000 au New Orleans Jazz and Heritage
Festival. Lorsqu'il évoquait le rock & roll, il précisait avec justesse et
ironie:«Je crois que le
rock & roll vient bien de nous, les Noirs. Nous avions le rhythm & blues
depuis très longtemps, puis une paire de blancs sont arrivés, et ils ont appelé
ça 'rock & roll', alors que c'était toujours du rhythm & blues. C'est de là
que ça vient, de nous.» Il est allé rejoindre les icônes de la
musique afro-américaine pour qui il a tant œuvré.David Bouzaclou SELECTION DISCOGRAPHIQUE
Leader, coleader CD 1947-50. The Chronological Dave Bartholomew 1947-1950,
Blues & Rhythm Series Classics 5002 CD 1949-63. The Genius of Dave Bartholomew: Spirit of New Orleans,
EMI Records USA 7801842 CD 1950-52. The Chronological Dave Bartholomew 1950-1952,
Blues & Rhythm Series Classics 5055 CD 1950-61. Golden Rule In New Orleans, King & Imperial
Sides, 1950-1961, Hoddo Records CD 1950-62. Jump Children!, Imperial Singles Plus
1950-1962, Jasmine 845 CD 1952-55. The Chronological Dave Bartholomew 1952-1955,
Blues & Rhythm Series Classics 5169 LP 1981. Dave Bartholomew's New-Orleans Jazz Band, Broadmoor
Records 1201 CD 1994. Walking to New Orleans: Dave Bartholomew Meets the
Maryland Jazzband of Cologne, GHB Records 328
CD 1995. New Orleans «Yea Yea» Breakdown: Dave
Bartholomew and the Maryland Jazz Band of Cologne, Timeless Records 602
Sideman CD 1945-1956. The Cosimo Matassa Story, Proper Box 129 CD 1945-1956. Cosimo Matassa Story vol 2, Proper Box 174 CD 1949-1963. Fats Domino, Out of New Orleans , Bear Family B01MQ1PKH6
DVD/SERIES
2006. Fats Domino, Live From Austin, New West NW8029 2010-2013.
Treme (Série TV HBO), 36 épisodes de 60 min. (4 saisons), Réal. Agnieszka
Holland, Prod.Blown Deadline Prods,David Simon, Eric Overmeyer,
Nina K. Noble, Carolyn Strauss
VIDEOS 1962. Fats Domino, «Don't Want You No More», concert à
la télévision française https://www.youtube.com/watch?v=Hk9N-yJa8XA
1986. Fats Domino, Live From Austin (concert intégral) https://www.youtube.com/watch?v=kFZrXw0ccwQ
1996. The Maryland Jazz Band of Cologne + Dave
Bartholomew, Live at Preservation Hall https://www.youtube.com/watch?v=LM0yWNv59UE
2011. Dave Bartholomew and Dr. John at New Orleans Jazz
Festival Heritage https://www.youtube.com/watch?v=MfpJplQd4zY
2014. Dave Bartholomew and Fats Domino at home https://www.youtube.com/watch?v=p4XYis0Tc3I
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